Le docteur Putegnat a publié
plusieurs articles sur la fièvre typhoïde dans le Lunévillois
(voir Gazette médicale de Paris 1638).
L'article ci-dessous date de 1845 : mais la fièvre typhoïde
continuera de sévir tout au long du XIXème (voir
Archives générales de médecine Janvier
1880), et n'épargnera pas population et troupes durant la
première guerre mondiale.
Note : la fièvre typhoïde est une maladie infectieuse causée par une
bactérie de la famille Entérobactérie, du genre des salmonelles.
La maladie sévit toujours dans le monde (21 millions de malades
par an, avec 200 à 600 000 décès annuels), transmise par l'eau
et la nourriture crue, mais a régressé en France et en Europe dès la javellisation généralisée de l'eau de
boisson.
On lit parfois que la vaccination obligatoire antityphoïdique
dès 1914 a contribué à éradiquer la maladie : certes, mais la
loi du 27 mars 1914
ne concernait que l'armée active, et seuls 125 000 soldats
avaient été vaccinés avant l'entrée en guerre. La vaccination
sera accélérée pendant la guerre, où l'on dénombre dans l'armée
45000 cas en 1914, 64000 en 1915, 12000 en 1916, 1600 en 1917 et
665 en 1918 (attention cependant à ces chiffres, car il semble
que les troupes
coloniales n'aient pas été systématiquement vaccinées...)
Journal de médecine, de
chirurgie et de pharmacologie.
Décembre 1845
I. - MÉMOIRES ET
OBSERVATIONS.
Recherches sur le génie épidémique de la fièvre typhoïde,
observée dans plusieurs communes de l'arrondissement de
Lunéville; par PUTEGNAT, docteur en médecine et en chirurgie,
membre de plusieurs sociétés savantes, etc.
Quomodocumque se res habeat, unusquisque abundat suo sensu.
(Baglivi, édition de 1751, page 389.)
Si chaque praticien, libre de toute doctrine, nullius methodum
vituperant, sed abs omnibus discens (comme le dit Baglivi, l.
c.); étudiant avec soin les affections qu'il rencontre, était
convaincu qu'il se doit non-seulement aux malades, mais encore à
la science, l'on verrait celle-ci se perfectionner avec une
rapidité étonnante.
Chose singulière ! à laquelle on ne peut réfléchir sans douleur
: parmi les corps scientifiques, le médical est celui où
brillent du plus vif éclat ta science et l'éducation, et il est
malheureusement celui dans lequel ont jeté de plus profondes
racines, la vanité et les préjugés. Ainsi: vous, médecins de
campagne; vous, médecins de petites villes ; vous tous enfin,
qui vivez avec vos clients, qui les observez avant, pendant et
après la maladie, je vous le dis, vous tenterez souvent en vain
d'élever la voix pour faire connaître le fruit de votre
expérience consciencieuse, car vous n'exercez pas sur un
théâtre, non point assez grand, mais assez élevé !
Si, il y a quelques années, on voyait paraître de nombreux
écrits sur la fièvre
typhoïde, c'est que, dans ce moment, où l'on discutait beaucoup
sur l'essentialité des fièvres, où Broussais avait engagé sa
vive et rude polémique contre les doctrines médicales, cette
affection présentait un heureux champ de bataille, sur lequel
les partis pouvaient se montrer pour vider leurs querelles
scientifiques.
Aujourd'hui, quoiqu'on ne discute plus sur l'individualisation
de cette fièvre, parce que les symptômes anatomiques et
physiologiques en sont bien établis, l'on voit par les
recherches publiées dans les journaux, que l'étude de cette
affection est encore à l'ordre du jour, et que bien des points
de son histoire méritent d'être éclaircis. La seule dissidence
qui règne entre les médecins de Paris et ceux qui exercent en
province, est aussi une preuve que le dernier mot à dire sur
l'étiologie de cette maladie est à trouver.
Aux médecins donc, qui ont vu et observé cette fièvre à Paris et
dans de petites localités; qui savent, comme nous le dit Baglivi
(lib. 1,C. 1.), novos veteribus non opponere, sed quoad fieri
potest, perpetuo jungere foedere; à ceux-là donc qui ne se sont
enrôlés sous aucune bannière, l'on doit accorder son attention
quand ils font connaître ce qu'ils ont appris.
Ayant étudié pendant cinq années, la fièvre typhoïde dans les
hôpitaux de Paris, ayant pu soigner des centaines d'individus
atteints de cette affection, que j'ai vue régner épidémiquement
dans neuf communes de l'arrondissement de Lunéville, je viens
traiter un des points les plus obscurs de son étiologie.
L'étiologie constitue, sans contredit, l'une des parties
principales de l'histoire d'une maladie quelconque et en
particulier de la fièvre typhoïde. Cette vérité, que j'ai
développée ailleurs (voir mon Traité de Pathologie interne du
système respiratoire, tome 1er, page 115), a été appréciée de
tout temps : de là vient que les Sydenham, les Huxam, les Stool,
les Pringle, les Roederer et lesWagler, se sont occupés de
l'étiologie de cette affection. Mais, il faut l'avouer, si,
depuis quelque temps les observateurs ont étudié avec une
patience et un soin tout particulier, le diagnostic des maladies
et toutes les altérations pathologiques saisissables, qui
représentent les diverses périodes de celle-ci, c'est au
détriment de l'étiologie. Ce que je dis d'une maladie quelconque
s'applique surtout et en particulier à la fièvre typhoïde, sur
les causes de laquelle règne encore, dit M. Louis (tome II, page
457), la plus profonde obscurité.
Si l'on consulte les derniers ouvrages publiés sur cette
affection (voir ceux de Chomel, 2e édition; de Louis, 2e édition
; de Forget; de Piorry), l'on verra qu'il est impossible
d'attribuer à cette fièvre ces mille et une causes que l'on
donne ordinairement à chaque maladie.
Bien que repoussée par MM. Andral, Bouillaud, Broussais, Louis,
Petit, Rochoux, Serres, etc., la contagion de la fièvre
typhoïde, reconnue par Huxam (ch. VIII), aujourd'hui, est
irrévocablement démontrée et admise (voir Forget, Entérite
folliculeuse, page 465; Piorry, Pathologie iatrique,
introduction, page XXIII). Ce fait est dû spécialement aux
travaux de M. Bretonneau (Archives générales de médecine, tome
XXI, 1829), de M. Gendron (l. c., 1829, n° de juin et juillet),
de M. Leuret, et aux miens que j'ai adressés à l'Académie de
médecine de Paris, et que j'ai publiés en partie dans la Gazette
médicale de Paris, en 1838, pages 397 et 710 (voir Forget et Piorry, I. c).
Mon but, en composant ce travail basé sur treize cents faits
environ, n'est pas de prouver de nouveau cette contagion ; mais
de démontrer dans quelles circonstances elle a lieu, et pourquoi
elle n'existe point dans telles autres. II me sera facile,
d'après mon expérience et les nombreuses observations que j'ai
recueillies, de faire voir que cette fièvre est bien plus
souvent contagieuse que ne le pensent MM. Chomel et Genest(l.
c.), Gautier de Claubry (Mémoires de l'Académie de médecine,
1838, t. VIII), et de préciser avec justesse les circonstances,
assez rares et non encore déterminées (disent ces auteurs),
suivant lesquelles cette fièvre se communique. Pourquoi à Paris
la contagion ne subsiste-t-elle pas ? Par quels motifs cette
contagion règne-t-elle dans certaines localités ? Ce mémoire
doit répondre à ces questions ; il donnera les raisons en vertu
desquelles la contagion n'a pas lieu et ne doit point régner
dans les hôpitaux, et démontrera la vérité de cette phrase de M.
Andral (Clinique médicale, tome 1er, page 485) : Nous ne nions
point les faits cités par les auteurs (Bretonneau, Gendron,
Leuret, Putegnat, etc.) ; mais ce que nous avançons avec
assurance, c'est que jamais à Paris, soit dans les hôpitaux,
soit hors des hôpitaux, nous n'avons reconnu à cette maladie le
moindre caractère contagieux. »
Quelles sont les principales circonstances qui favorisent la
contagion de la fièvre typhoïde dans certaines familles de
Lunéville et dans plusieurs communes de l'arrondissement de
cette ville ?
Pour résoudre ce problème complexe et d'une si haute portée tant
hygiénique que thérapeutique, j'ai besoin de m'appuyer sur de
nombreuses considérations que je vais d'abord faire connaître en
répondant aux questions suivantes:
A. Sous quelle forme la fièvre typhoïde semble-t-elle surtout
contagieuse ?
B. a quelle époque de la maladie la contagion est-elle le plus à
craindre ?
C. Quelles sont les. personnes les plus exposées à ta contagion
?
D. Quelles sont les conditions topographiques les plus propres à
engendrer cette fièvre et à la propager par la contagion ?
A. - Je ne sais sous quelle forme la fièvre typhoïde se présente
le plus souvent à Paris ; mais j'ai pu et dû remarquer que, à
Lunéville et dans les villages où j'ai été appelé pour la
traiter, j'ai rencontré, rarement la variété ataxique ;
quelquefois la variété inflammatoire, adynamique; et,
très-fréquemment, la forme muqueuse. Cela posé, l'on ne sera pas
étonné de m'entendre dire : ta fièvre typhoïde, forme muqueuse,
est celle qui se transmet le plus souvent. Cependant, je dois
ajouter que, proportion gardée, la variété muqueuse est encore
celle qui se communique le plus facilement.
Ici se présente la question suivante : Une variété quelconque
produit-elle nécessairement la même variété ?
Non. J'ai vu la muqueuse engendrer l'ataxique, ou toute autre;
l'ataxique, telle ou telle autre ; l'adynamique donner le typhus
gangréneux, et celui-ci les variétés muqueuse et adynamique
(voir mon mémoire dans la Gazette médicale de Paris, 1838, page
711). Ainsi, telle variété peut produire telle ou telle autre,
suivant des circonstances qui me sont restées inconnues ; et,
qui plus est : la forme transmise peut, suivant une cause cachée
quelquefois et même souvent appréciable, être plus ou moins
dangereuse que celle qui l'a donnée. La forme productrice n'est
donc point essentiellement liée à la forme engendrée. Tel est un
fait que j'ai observé et vérifié tant à Lunéville que dans les
environs.
B. - A quelle période cette fièvre est-elle surtout contagieuse
?
Cette question est, à mes yeux, aussi importante que celle qui
la précède immédiatement. Il ne suffit pas, en effet, de savoir
que telle affection est contagieuse, mais à quelle période elle
l'est surtout. L'on sait que certaine maladie est contagieuse
depuis sa naissance jusqu'à sa disparition (variole,
scarlatine); tandis que telle autre (la gale par exemple) ne
jouit plus du pouvoir de se transmettre au bout de quelques
jours qu'elle est soumise à un traitement rationnel, parce que
l'acarus est tué bien que la vésicule persiste encore. Or, voici
ce que j'ai cru remarquer au sujet de la fièvre typhoïde,
interrogée sous ce point de vue.
Cette maladie, sous forme muqueuse, ou ataxique, ou bilieuse, ou
adynamique, etc., est contagieuse pendant ses trois périodes
principales. J'ai vu des individus être atteints de cette
affection, pour avoir soigné, et même visité une seule fois, un
des leurs, convalescent, ou chez lequel tous les symptômes
connus faisaient diagnostiquer soit l'état gaufré, soit
l'ulcération d'une ou de plusieurs plaques de Peyer. Tel est un
premier résultat auquel je suis parvenu. Je dis encore que c'est
pendant la période des ulcérations, qui, comme on le sait, va
jusque dans la convalescence, que j'ai vu la contagion être plus
facile et plus fréquente. Mais est-ce là un motif suffisant pour
déterminer à croire que c'est alors que la contagion est
vraiment le plus à craindre ? Je ne le pense pas, et voici les
raisons sur lesquelles je m'appuie: il est bien évident que,
puisque cette fièvre est susceptible de se transmettre par la
contagion, pendant ses trois périodes, elle doit nécessairement
se propager plus souvent et plus facilement pendant celle qui
est la plus longue. La période des ulcérations étant la plus
longue des trois, il n'est donc pas étonnant que ce soit pendant
son cours qu'ait surtout lieu la contagion. L'on, pourrait
encore trouver assez facilement des motifs qui prouveraient que
c'est véritablement, à cette époque que la contagion soit
surtout à craindre. C'est pendant cette période d'ulcérations
que les malades offrent des pétéchies, des sueurs, des
fuliginosités; c'est alors qu'ils ont, ou qu'ils peuvent avoir
des eschares ; c'est alors que les yeux sont chassieux, qu'il y
a absorption du pus des ulcères ; que le lit et la chambre du
patient sont fréquemment infectés, au point que celui-ci demande
de l'air, à grands cris, c'est alors que son haleine a une odeur
particulière, sui generis, que j'ai déjà signalée dans la
Gazelle médicale de Paris (l. c.) ; c'est alors que le sang tiré
de la veine (ce que, du reste, nie à tort M. Forget, l. c., page
455) est tel qu'à sa vue seule, il est souvent possible de
reconnaître que l'individu qui l'a fourni est frappé
de fièvre typhoïde ; c'est alors enfin, que tout le corps du
malade est infecté au plus haut degré, que les intestins et le
trépied vital reçoivent les plus cruelles atteintes.
C. - Quelles sont les personnes les plus exposées à la contagion
?
Cette question est bien plus difficile à résoudre qu'on ne
pourrait le croire de prime abord. Le grand intérêt attaché à sa
solution, fait qu'elle mérite d'être étudiée avec un soin
extrême. Pour y répondre, je dois rechercher quels sont les
âges, tempéraments, constitutions, etc., qui prédisposent le
plus à cette maladie, et qui semblent favoriser le plus sa
propagation par contagion.
Age. C'est principalement chez les adultes que la fièvre est
fréquente à Lunéville et dans les villages voisins. Les trois
quarts des nombreux malades que j'ai soignés, avaient de 15 à 40
ans. J. Franck avait déjà donné ces chiffres dans son Traité de
médecine pratique. Et cependant les observateurs modernes disent
que la période de la vie où l'on trouve le plus de malades
atteints de cette affection, est celle de 20 à 30 ans (Forget,
l. c.).
Après les adultes et les hommes faits, les enfants sont, d'après
mon observation, les plus exposés à la contagion, lorsque la
fièvre règne épidémiquement, soit quand la localité où elle
sévit, offre les circonstances que j'indiquerai bientôt. Je
ferai remarquer ici que bien avant M. Constant, quia publié ses
recherches en 1839, dans le Journal de» connaissances
médico-chirurgicales, j'avais démontré (voir Gazette médicale de
Paris, p. 307 et 712, en 1838) que la lièvre typhoïde attaque
souvent les enfants.
Parmi les nombreux enfants que j'ai vus atteints de cette
fièvre, tant à Lunéville, que, et surtout, dans les communes de
Xermaménil, de Bauzemont, de Bénaménil, peu sont morts, et
beaucoup se sont sauvés par les seuls efforts de la nature.
Grand et utile renseignement que le médecin ne doit point perdre
de vue, et qui confirme ces sentences du père de la médecine :
Natura morborum medicatrix (Épid. sect. 6, 8e l.); invertit
natura sibi ipsi vias non excogitatione (l. c. lib. vi, sect. 5,
N° 2). Ce fait a été de la dernière évidence, surtout dans le
village de Bauzemont, qui n'a eu à déplorer la mort d'aucun des
enfants que j'y ai vus, et dont le plus jeune n'avait que treize
mois.
Je n'ai soigné que quatre vieillards atteints de l'affection
typhoïde. Pourquoi seulement quatre vieillards sur un total de
1,300 malades environ ? Serait-ce parce qu'ils sont peu nombreux
?
Chez les quatre vieillards, la fièvre présentait la variété dite
adynamique. Cette forme serait-elle, dans ce cas, une
conséquence de l'âge, comme le pensait Pinel ? Je suis assez
porté à le croire quand je réfléchis que, chez les individus
courbés sous le poids des ans, bien des maladies (inflammation
soit du poumon soit des voies urinaires) peuvent entraîner
l'adynamie. Mais, pourrait-on me dire, ces vieillards, que vous
avez soignés, n'avaient peut-être que cette dernière sorte
d'adynamie, c'est-à-dire, l'adynamie produite par une maladie
quelconque, et non pas la variété adynamique de la fièvre
typhoïde. Il est bien vrai que, fort heureusement, je n'ai pu
confirmer mon diagnostic par l'examen cadavérique, puisque ces
vieillards se sont rétablis; mais ces faits me paraissant
curieux, je n'ai rien dû négliger pour me convaincre. Si j'avais
pu douter un instant, la considération suivante aurait suffi
pour achever de m'éclairer : Dans la famille de plusieurs de ces
malades régnait la fièvre typhoïde : ainsi, le père Baille (de
la commune de Bénaménil), sa fille et les deux enfants de
celle-ci avaient en même temps cette affection ; ainsi, pendant
que le vieillard Pérette (du même village) était gravement
atteint de cette affection, ses deux gendres succombaient à la
même maladie.
De ce que je viens de dire sur les âges, il découle cette
conséquence : A Lunéville et dans les communes de son
arrondissement, aucun âge n'est à l'abri de la fièvre typhoïde :
ni l'enfance, ni la jeunesse, ni l'homme d'un âge mûr, ni le
vieillard. Seulement, dans certaine période de la vie, elle est
plus commune que dans les autres. La raison de ce fait ne pourra
être comprise que quand j'aurai donné les
autres causes qui favorisent la contagion.
Tempérament, constitution. D'après mes observations, tel
tempérament n'est pas plutôt que tel autre une prédisposition à
cette fièvre ; de plus, je n'ai pas remarqué que tel tempérament
entraînât telle variété de préférence à telle autre. Ainsi, le
tempérament bilieux ne suffit point pour que cette maladie
affecte la femme bilieuse. A l'appui de ce que j'avance, je
citerai seulement quelques observations. Mlle R., de Lunéville,
cheveux bruns, tempérament sanguin; forme adynamique. Mlle B.,
de Lunéville, tempérament bilieux; forme muqueuse. M. A, de
Bénaménil, tempérament nerveux; forme muqueuse. Mlle S., de
Rehainviller, tempérament sanguin; variété inflammatoire. M. M.,
de Rinville, lymphatico-sanguin ; forme ataxique.
Ainsi, il est de toute évidence que la fièvre typhoïde, soit à
Lunéville, soit dans les villages environnants, qu'elle règne ou
non épidémiquement, n'est point influencée dans ses variétés et
dans sa propagation par ces différents groupes de caractères
physiques, que l'on est généralement convenu d'appeler
tempéraments.
Une chose certaine pour moi, c'est que la fièvre typhoïde suit
dans sa propagation, une marche opposée à celle qu'avaient
adoptée le choléra et avant lui la grippe. Je vais m'expliquer:
Le choléra que j'ai étudié à Paris et dans plusieurs communes
des Vosges et de la Meurthe; la grippe que j'ai vue à Paris, à
Lunéville et dans bien des villages, m'ont offert ceci de
particulier: Le choléra semblait attaquer, de préférence, les
individus atteints d'une maladie gastro-intestinale, soit aiguë,
soit chronique, ceux adonnés à la débauche et spécialement à
l'ivrognerie ; la grippe frappait, de prédilection, les
poitrines faibles ou malades (voir mon Traité de pathologie
interne du système respiratoire, t. I, p. 320). La fièvre
typhoïde, au contraire, règne plutôt chez les gens sobres, chez
les individus robustes et chez ceux qui ne portent point une
lésion intestinale. Donc la force, la sobriété, l'état de santé
des intestins, favorisent le développement et la propagation de
la fièvre typhoïde (MM. Andral, Bouillaud, suivant M. Montrait,
ont fait cette remarque, mais seulement sous le point de vue du
développement) ; d'où il suit que M. Louis a eu tort de dire :
que toutes les constitutions sont également sujettes à cette
maladie.
L'on voit donc que le génie épidémique de la fièvre typhoïde,
considéré sous un certain point de vue, est opposé à celui de la
grippe et à celui du choléra-morbus. Ce n'est pas tout encore :
la grippe était grave chez un individu faible, maladif et
très-nerveux; le choléra devenait excessivement dangereux chez
un individu faible, maladif, usé par la boisson ; la fièvre
typhoïde, au contraire, tant à Lunéville que dans les environs,
ne m'a point semblé devenir plus grave quand elle attaquait un
individu épuisé par une cause quelconque, et, au contraire, m'a
paru bien plus sérieuse chez l'homme fort, sobre et jouissant
d'une belle santé.
Je résume cet article et dis : L'homme robuste est très-exposé à
la contagion de la fièvre typhoïde et en est toujours
sérieusement frappé. Ceci prouve que ce n'est pas par motif de
consolation que le professeur Fouquier « a tracé avec talent le
tableau des avantages d'une faible constitution. » D'ailleurs
Hippocrate avait déjà dit : Robustiores ubi in morbum incidunt,
agrius restituuntur (de alimento). Voir Réveillé-Parise, Hygiène
des hommes livrés aux travaux de l'esprit, chap. XVI, t. I, page
316.)
Je dois dire ici que, lorsque j'ai observé cette fièvre chez des
personnes atteintes d'une ancienne maladie intestinale, elle
affectait presque toujours la forme muqueuse, et que, d'après
les nombreux faits que j'ai recueillis, la variole n'est point
un préservatif de l'affection typhoïdienne, ainsi que l'ont
avancé des médecins du Haut-Rhin.
Sexe. La fièvre typhoïde, dit-on, est plus fréquente parmi les
hommes que parmi les femmes. Si cela est vrai à Paris, ce que
j'ai de la peine à croire, attendu que ceux qui ont avancé cette
remarque n'ont pas eu égard à la composition de la population de
cette ville; si, dis-je, cela est vrai à Paris, ce n'est pas une
raison pour qu'il en soit ainsi nécessairement dans toutes les
localités. En effet, à Lunéville et dans les communes
environnantes, je n'ai pas rencontré plus d'hommes que de femmes
frappés de cette maladie. Si j'ai vu cette fièvre dans telle
famille atteindre toutes les femmes et les enfants, et épargner
les hommes (la famille Pierson du village de Bauzemont); en
revanche, je l'ai pu voir attaquer de préférence les hommes et
épargner les femmes, comme dans la famille Voinot de Bénaménil.
Ainsi M. Forget a eu raison de dire : quant au sexe il n'y a
rien de positif.
Le sexe, si j'en crois mes observations, n'influe pas non plus
sur la gravité de la fièvre. Si, dans tel village, j'ai perdu
beaucoup de femmes (à Bénaménil, par exemple), dans la commune
de Bauzemont j'ai sauvé la vie à toutes. - Sans terminer ce qui
a trait à ce sujet, je dois dire que dans certains villages (Bauzemont,
Fraimbois) je n'ai perdu que des hommes ; que, dans d'autres (Einville,
Xennaménil, Chenevières), j'ai vu les deux sexes payer un égal
tribut à la mort.
Je n'ai point remarqué que tel sexe fut plus disposé à la
contagion que tel autre, ni que l'un fût plus exposé à telle
forme de préférence aux autres.
J'ai reconnu que la ménorrhagie est bien plus fréquente dans les
formes muqueuses et adynamiques que dans les autres. Les trois
femmes enceintes que j'ai soignées pour cette fièvre (variété
ataxo-adynamique) ont guéri, mais ont avorté. Je ne sais si la
grossesse favorise la contagion.
Affections morales. Je n'en connais qu'une seule qui puisse
favoriser la contagion de la fièvre typhoïde : c'est la peur.
Maintes fois j'ai trouvé des faits à l'appui de cette opinion
(Journal de médecine de Lyon, 1842). M. Forget a fait aussi la
même remarque. Ce que je dis ici de la fièvre typhoïde a aussi
été applicable au choléra-morbus.
Voyons, si en admettant cette cause prédisposante de la
contagion, je confirme ce que j'ai avancé ci-dessus, savoir :
que les hommes forts et robustes étaient plus disposés que les
autres à contracter la fièvre typhoïde.
De deux hommes, dont l'un est sain et robuste, dont l'autre est
débile et malingre : celui-là est plus accessible à la peur, car
la force morale lui fait défaut; celui-ci, au contraire, habitué
qu'il est à souffrir, se résigne assez facilement; il attend, il
espère et la bénigne influence de cette disposition tarde
rarement à se faire sentir. Fernel a dit : A capite fluit omne
malum.
La force et la peur favorisent donc la propagation de la fièvre
typhoïde par la contagion, surtout quand elles sont réunies dans
un même individu.
Cela posé et prouvé, il est plus surprenant que cette maladie
sévisse avec une grande rigueur contre les personnes non
acclimatées. En effet, celles-ci sont ordinairement des jeunes
gens (la jeunesse favorise la contagion), par conséquent fortes
et en même temps manquant de force morale; car presque toutes
regrettent plus ou moins le pays natal et redoutent de tomber
malades loin du toit paternel. L'on sait
d'ailleurs que Larrey, Johnson et J. Franck, admettent le
découragement comme cause principale du typhus. Mais je
m'arrête, car j'anticipe sur ce que j'ai à dire de
l'acclimatement.
Saisons. Anni quidem tempestatum earumdemque vicissitudinum
magna vis est ad condendum, fovendum, tel destruendum seminium
quoddam morbosum epidemicum (Raederer et Wagler, sect. I, cap.
I). C'est en automne et au printemps que j'ai vu la fièvre
typhoïde épidémique dans plusieurs villages de l'arrondissement
de Lunéville.
Remarquons que c'est pendant ces deux saisons que les pluies
sont abondantes, que les ruisseaux s'enflent, que les rivières
sortent facilement de leur lit et inondent, plus ou moins loin,
les plaines sur lesquelles, en se retirant, les eaux
abandonnent des débris de plantes et d'animaux qui se
décomposent, et par conséquent, infectent plus ou moins les
lieux voisins selon les vents. Remarquons aussi qu'à ces deux
époques de l'année le corps de l'homme est surtout en butte à la
maladie; car les fonctions du système cutané sont changées,
phénomène qui est représenté chez l'animal par la mue.
Acclimatement. A Paris, où l'on nie la contagion de cette
fièvre, la plupart des observateurs considèrent l'acclimatement
comme une cause fréquente et puissante du développement de la
fièvre typhoïde ; ils soutiennent que le brusque changement
d'air, d'eau, de lieu, de nourriture et d'habitudes engendre
facilement cette maladie. A l'appui de cette manière de voir,
ces auteurs rapportent le fait suivant: cette affection fait de
grands ravages parmi les jeunes gens qui viennent habiter Paris.
En lui-même, ce fait est exact; mais l'induction que l'on en
tire est exagérée de beaucoup ; et en voici la preuve:
Sur 1,300 malades environ, j'en ai seulement rencontré quinze
soumis à l'influence de l'acclimatement. Ainsi, à Lunéville et
dans les petites localités environnantes, l'acclimatement ne
peut pas à lui tout seul engendrer la fièvre typhoïde; ainsi,
quand bien même cette cause se montrerait à Paris (ce qui, à mon
avis, est bien loin d'être prouvé d'une manière péremptoire) ce
ne serait point une raison pour qu'elle existât dans d'autres
localités. Pour moi, ce n'est pas l'acclimatement, c'est-à-dire
le changement d'air, d'eau, de lieu, de nourriture,
d'habitudes, etc., qui engendre la maladie, mais un air humide
et vicié. Cependant, dira-t-on, comment se fait-il donc que la
fièvre typhoïde règne de préférence parmi les nouveaux arrivés à
Paris ? Si la dothinentérie parait sévir de préférence contre
les jeunes gens nouvellement fixés à Paris, il faut penser que
peu de personnes âgées arrivent dans cette ville; que celles-ci,
logeant dans des chambrées, sans amis, sans parents, sans
fortune, sont forcés de se réfugier dans les hôpitaux. L'on peut
donc comprendre maintenant pourquoi, dans les hôpitaux de la
capitale, l'on rencontre atteints de la fièvre typhoïde plus de
jeunes gens nouvellement arrivés que de ceux acclimatés.
Je me résume et dis : à Lunéville et dans les communes
environnantes l'acclimatement n'est point une cause de fièvre
typhoïde. M. Forget, à Strasbourg, est arrivé au même résultat
que moi.
Encombrement. On a dit, et l'on a invoqué les chiffres à l'appui
de cette opinion, que l'encombrement était une cause puissante
de développement et de la propagation de cette affection. Si ce
fait est vrai à Paris, comme l'a démontré, le premier, mon
maître M. le professeur Piorry, voyons ce que j'ai dû observer
dans ma clientèle.
A Lunéville et dans les communes voisines, je n'ai jamais vu
naître la fièvre par la seule cause de l'encombrement. Et, s'il
n'en était pas ainsi, pourquoi certains villages (Nehainviller,
Deuxville, Hériménil) où l'encombrement est plus grand que dans
tels autres (Bénaménil, Bauzemont), seraient préservés des
épidémies de cette fièvre ? Pourquoi certaines parties de
quelques communes (comme à Einville, Bauzemont) seraient-elles
entièrement ou presque entièrement à l'abri de cette affection ?
Ainsi, l'encombrement seul ne suffit point pour causer le
développement et la propagation épidémique de la dothinentérie ;
mais il aggrave le mal comme dans la variole, la scarlatine, la
coqueluche. Sur ce point, je me trouve d'accord avec Fernel,
Pringle (Maladies des armées, 3e partie, chap. VII) et Parent-Duchâtelet.
Après avoir parlé de l'acclimatement et de l'encombrement, il ne
me reste plus à traiter que de l'habitation pour avoir répondu à
cette quatrième question : Quelles sont à Lunéville et dans les
communes voisines les conditions les plus propres à favoriser le
développement et la propagation par contagion de la fièvre
typhoïde ?
Il est un fait qui m'a beaucoup frappé et sur lequel je désire
vivement appeler l'attention de mes confrères. Tous les villages
où j'ai vu régner épidémiquement cette fièvre, sont placés sur
une rivière ou sur un ruisseau dont le lit est marécageux, et
qui, pendant les pluies même peu abondantes, ne suffit plus pour
contenir les eaux chargées de beaucoup de limon. Voici les
preuves de ce que je viens de dire:
Les villages de Lamath,de Xennaménil, sont près de la Mortagne;
Bénaménil est sur la Vesouze; Einville et Bauzemont sont arrosés
par le Sanon ; Fraimbois est traversé par le Rhu ; Ogéville et
Réclonville sont baignés par la Blette ; Chenevières, près de la
Meurthe, est traversé par des ruisseaux qui viennent des bois et
de fontaines.
Voici maintenant quelques détails topographiques qui méritent
toute l'attention de l'observateur.
Le village de Bauzemont, bâti en amphithéâtre sur le versant
d'une montagne, regarde le Midi. Il est composé d'une rue
principale qui tourne autour d'un mamelon, sur lequel se
trouvent élevées l'église et quelques maisons. Le centre qui
domine toute la partie basse de la commune et en est séparé par
un flanc coupé à pic, finit insensiblement par être de niveau
avec la partie nord de la rue qui le circonscrit. La partie
basse est la portion du midi du village. Elle se compose
spécialement d'un rang de maisons dont la face regarde le nord.
Cette ligne de maisons se dirige de l'est à l'ouest
parallèlement au cours du Sanon de la rive droite duquel elle
n'est éloignée que de quelques mètres. Eh bien, c'est dans cette
partie basse de Bauzemont, située près du Sanon, petite rivière
dont le lit marécageux est souvent à sec, et qui, après une
faible pluie fréquemment ne suffit plus: c'est dans cette
portion de la commune que la fièvre typhoïde a régné plusieurs
fois épidémiquement, où la propagation par contagion a été si
palpable maintes fois. Mais comment dans ces épidémies la partie
nord ou élevée du village a-t-elle été presque exempte de la
dothinentérie ? Le vent du nord passe au-dessus de Bauzemont,
abrité qu'est ce village par un coteau très-élevé sur lequel on
voit le château et les nombreux arbres qui l'avoisinent. Le vent
du sud, au contraire, après s'être chargé de tous les miasmes
végétaux et animaux qui se trouvent dans la prairie, où ils ont
été abandonnés par les débordements du Sanon, vient frapper en
plein sur le village, et ainsi le couvrir d'émanations
méphytiques. Mais, dira-t-on, pourquoi donc dans la partie
supérieure de cette commune la fièvre typhoïde a-t-elle été si
rare ? A cela je répondrai deux choses: 1° dans certains endroits
de cette partie supérieure, le vent du sud, ne peut régner vu la
manière dont sont placées quelques maisons; 2° on sait que MM.
Rigaud et de Humbold ont prouvé que les émanations méphytiques
qui se font à l'air libre ne s'élèvent jamais au-dessus d'une
certaine hauteur.
Ainsi, l'on comprend pourquoi le village de Hénaménil, situé sur
le Sanon, si près et presque en face de Bauzemont, n'a pas été
atteint de cette fièvre épidémique. En effet, cette commune,
placée sur la rive gauche de la rivière, est à l'abri du vent du
nord qui pouvait lui envoyer les émanations méphytiques, en même
temps que ce vent aurait pu, au contraire, préserver Bauzemont
s'il avait pu balayer ce village.
La commune d'Einville, à 7 kilomètres au nord de Lunéville,
traversée dans toute sa longueur par une route, est située dans
un vallon sur la rive droite du Sanon. Ainsi cette rivière
marécageuse, sujette à manquer souvent d'eau et à de fréquents
débordements, qui baigne la partie sud de Bauzemont, vient a
quatre kilomètres plus bas que ce village arroser la partie sud
et basse d'Einville.
Ce bourg de 1,150 habitants, est composé de plusieurs rues
principales: une à l'est qui, se dirigeant du haut en bas du
nord au sud, part de la route pour aboutir au Sanon ; trois
autres presque parallèles entre elles et à la rive droite du
Sanon, partent de la première, se dirigeant de l'est à l'ouest,
de haut en bas, de telle sorte que les ruisseaux, les immondices
qui les encombrent en grande abondance, surtout la basse, ou
celle qui est le plus au sud et à quelques mètres du Sanon,
viennent aboutir à un centre commun, lequel est constitué par la
place où se voit la fontaine et par une petite rue qui établit
communication entre cette place et la rue basse.
Si j'ai pu me faire comprendre, l'on voit que les immondices de
trois longues rues et d'une place boueuse très-fréquentée,
viennent tomber dans un lieu où se trouvent des maisons et qui
sont à quelques pas de la rivière que j'ai dit être marécageuse.
Ce n'est pas tout encore : cette portion du village est battue
par les vents du sud et de l'ouest qui balayent le vallon arrosé
par le Sanon, tandis que l'autre en est à l'abri, protégée
qu'elle se trouve par un côteau et le village de Raville.
Pour que ces causes d'infection fussent combattues, il faudrait
que le vent du nord pût souffler dans cette localité : or c'est
une chose tout à fait impossible, vu la présence d'un coteau
élevé qui domine au nord tout Einville, et qui même, à l'ouest,
est couronné par des forêts.
La topographie médicale, sous le point de vue de la fièvre
typhoïde épidémique, est donc la même à Einville qu'à Bauzemont;
aussi, dans ces deux villages, j'ai pu observer les mêmes
phénomènes.
Ce que je viens de dire prouve jusqu'à l'évidence l'influence de
l'humidité sur la production et la propagation de la fièvre
typhoïde épidémique (voir Hippocrate, aph. 16, 3. 110). Ne
pouvant tracer dans ce mémoire la topographie médicale,
considérée sous le point de vue de la fièvre typhoïde épidémique
de chacune des communes que j'ai indiquées, je ne veux plus
m'arrêter un instant que sur celle de Bénaménil où j'ai vu deux
fois cette affection régner épidémiquement.
Bénaménil, situé à 14 kilomètres à l'est de Lunéville, est
composé d'une rue principale, longue d'un kilomètre environ,
dirigé de l'ouest à l'est. Ce village étendu parallèlement à la
rive gauche de la Vesouze, dont il est séparé par une prairie
fertilisée par les débordements de la rivière, est traversé dans
toute sa longueur par une grande route. Une vaste et épaisse
forêt le protège contre les vents du sud qui, par le même motif,
ne peuvent régner que faiblement dans les communes de
Manonvillers et de Domjevin. Par suite de cette disposition, les
miasmes méphytiques qui s'élèvent dans les vapeurs fournies par
plusieurs ruisseaux marécageux, et par les débris animaux et
végétaux abandonnés sur la prairie par les débordements de la
Vesouze, ne sont point écartés par les vents.
Ainsi, pour que dans les environs de Lunéville la fièvre
typhoïde soit contagieuse, ou puisse devenir épidémique, il faut
que certains vents chassent sur les habitations peuplées de
personnes qui se trouvent dans les conditions ci-dessus
indiquées, l'air humide, chargé de miasmes putrides, produits
soit par un cours d'eau marécageuse, soit par des débordements
aussi marécageux.
Telle est la raison en vertu de laquelle les villages de
Domjevin, de Frémenil, de Manonvillers, si près de Bénaménil,
ravagé par deux épidémies de fièvre typhoïde, n'ont point
souffert de cette épidémie; voilà pourquoi Ogevillers et
Réclonville, situés comme Bénaménil, en ont été atteints;
pourquoi Xennaménil, situé sur la rive droite de la Mortagne, a
été frappe de l'épidémie plus tard que Lamath, placé sur la rive
gauche; pourquoi Hénatnénil et Raville sur la rive droite du
Sanon n'ont point éprouvé l'épidémie qui régnait à Bauzemont et
à Einville, villages baignés par la rive gauche du Sanon ;
pourquoi à Einville, à Bauzemont, l'épidémie n'a ravagé qu'une
portion donnée de la commune ; pourquoi dans d'autres communes
où j'ai vu quelques cas de fièvre typhoïde, comme à Hériménil,
Réhainviller, Mont, Blainville-sur l'Eau, Authelopt, Vitrimont,
Saint-Clément, etc., cette affection n'est point devenue
épidémique.
Ne sait-on pas aussi que Fracastor, en 1505, attribua une
épidémie de fièvre pestilentielle à un débordement du Pô; que
Forestus, à Delft, fit la même observation ; que Chirac, en
1694, remarqua que la fièvre épidémique de Rochefort provenait
de vapeurs de marais formés par l'inondation de la mer, portées
vers la ville par le vent qui soufflait de ce côté-là !
L'on voit d'après ce que je viens de dire, combien Hippocrate a
eu raison de conseiller au médecin qui arrive dans une localité
qu'il ne connaît point, d'examiner avec soin son exposition par
rapport aux vents (Introduction au Traité de l'air, des eaux et
des lieux).
Telle est la réponse à la question D.
Si maintenant l'on se représente à la mémoire les réponses que
j'ai faites aux questions A, B, C,D, que j'ai dû poser pour
résoudre celle-ci: Quelles sont les principales circonstances
qui favorisent la contagion de la fièvre typhoïde dans plusieurs
communes de l'arrondissement de Lunéville ? l'on aura la
solution de cette dernière.
Maintenant, à l'aide de ce que j'ai dit, j'avais recherché
comment il se fait que, dans les hôpitaux de Paris (Andral,
Clinique médicale, t. I, p. 485) et d'Angleterre, la contagion
de la fièvre typhoïde ne se montre pas.
Les salles des hôpitaux sont propres, aérées, non humides ;
ainsi, déjà par ces seuls motifs, dans ces lieux, la propagation
par contagion de la fièvre typhoïde doit être très-difficile. Ce
n'est pas tout : j'ai prouvé ci-dessus que les individus forts
et bien portants, sont exposés plus que les autres à la
contagion de cette fièvre : or, dans une salle d'hôpital où se
trouvent un, deux, cinq typhoïdiens, tous les autres habitants
ne sont ni forts ni bien portants; mais des individus soit en
convalescence, soit affaiblis par une maladie quelconque. Donc,
par ces motifs encore, la propagation par la contagion de la
fièvre typhoïde doit ou manquer ou être excessivement rare dans
un hôpital.
L'on voit aussi que Stoll a eu tort de nier la contagion en
s'expliquant comme il suit : « Si l'on admet un virus contagieux
pour la fièvre pétéchiale, pour la miliaire et autres, comment
se fait-il que ceux qui sont jour et nuit dans les hôpitaux
demeurent exempts de cette maladie ? »
Je terminerai ce travail par les propositions suivantes:
1° La fièvre typhoïde est une maladie générale qui peut, dans
plusieurs villages de l'arrondissement de Lunéville, et dans
certaines circonstances que j'ai reconnues le premier, se
développer spontanément, devenir épidémique en se propageant par
la contagion. Celle-ci, niée par les médecins de Paris, soutenue
par MM. Bretonneau, Gendron, Leuret, Putegnat, de Lunéville, est
admise aujourd'hui par
MM. Chomel, Gautier de Claubry, Forget, Piorry.
2° Un individu, de 15 à 40 ans, de l'un ou de l'autre sexe,
sobre et robuste, ne portant point une maladie intestinale, et
qui craint beaucoup la fièvre typhoïde, est très-exposé, dans
plusieurs communes des environs de Lunéville, à gagner cette
maladie par la contagion, s'il est soumis à certaines influences
atmosphériques. Ces influences atmosphériques sont des miasmes
méphitiques, provenant de la décomposition de débris végétaux et
animaux, abandonnés au contact de l'air par un cours d'eau
roulant dans un lit marécageux, tantôt à sec, le plus souvent
insuffisant. Ces miasmes, qui ne sont point nuisibles ou qui ne
subsistent pas quand ils ne reçoivent pas l'influence de
l'humidité, me paraissent transportés et rendus actifs par l'eau
en vapeurs.
3° Les moyens les plus efficaces d'éviter cette affection
consistent : 1° à ne point la redouter avec frayeur; 2° à ne pas
séjourner dans une chambre dans laquelle est couche un
typhoïdien, et à n'y entrer qu'autant que l'air y est
continuellement renouvelé; 3° à habiter un lieu élevé, pas
exposé aux vents qui balayent une colline dans laquelle serpente
un cours d'eau marécageux, qui peut facilement être à sec ou se
répandre sur les lieux voisins.
4° Ce travail, fruit de ma propre expérience, tend à prouver
que la cause première et le génie épidémique de la fièvre
typhoïde ne seront pas toujours inconnus. Puisse-t-il engager
les observateurs, éclairés par les immortels ouvrages des Huxam,
des Pringle, des Sydenham, des Roederer et Wagler, etc., à fixer
leur attention sur ce point de pathologie et d'hygiène digne
d'un si haut intérêt !
Notes :
Journal
Officiel - 28 mars 1914
LOI rendant obligatoire, dans l'armée, la vaccination
antityphoïdique.
Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur
suit :
Article unique - La vaccination antityphoïdique est obligatoire
à l'égard des militaires de l'armée active.
Dans le cas où les circonstances paraîtraient l'exiger, une
décision ministérielle pourra en prescrire l'application aux
militaires des réserves, convoqués pour une période
d'instruction.
La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la
Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'Etat.
Fait à Paris, le 27 mars 1914.
R. POINCARÉ.
Par le Président de la République :
Le ministre de la guerre, J. NOULENS.
Journal officiel du 31 mars 1918
- La vaccination antityphoïdique des contingents de race noire
n'avait pas été pratiquée jusqu'ici en raison de la rareté des
infections typhoïdes chez ces sujets à l'âge adulte, et aussi
par crainte des réactions vaccinales trop fortes.
MM. les docteurs Guy Laroche et Mazet ont pratiqué l'an dernier
cette vaccination sur un contingent de Canaques, à l'occasion
d'une épidémie de fièvre typhoïde qui, dans le même bataillon,
laissa indemnes les blancs vaccinés et ne frappa que les
Canaques non vaccinés.
Deux piqûres de 1 et de 2 centimètres cubes furent faites à huit
jours d'intervalle. Le vaccin employé fut le vaccin chauffé
comprenant les bacilles typhiques et paratyphiques.
Les auteurs insistent sur le peu de réactions qu'ils ont
observées bien que les Canaques réunissent la plupart des causes
qui pourraient faire hésiter à appliquer la vaccination :
paludisme, dysenterie, filariose, etc. Non seulement il n'y eut
aucun incident, mais encore les injections furent mieux
supportées que chez les Européens. Ce peu d'intensité de
réactions vaccinales tient probablement à ce que le système
nerveux des races noires est beaucoup plus calme que celui de la
race blanche.
Cette expérience montre qu'en présence de cas analogues chez des
hommes de couleur il y aurait lieu de ne pas hésiter à pratiquer
la vaccination antitypho-paratyphoïdique. |