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F
ièvre typhoïde dans l'arrondissement de Lunéville - 1845


Le docteur Putegnat a publié plusieurs articles sur la fièvre typhoïde dans le Lunévillois (voir Gazette médicale de Paris 1638). L'article ci-dessous date de 1845 : mais la fièvre typhoïde continuera de sévir tout au long du XIXème (voir Archives générales de médecine Janvier 1880), et n'épargnera pas population et troupes durant la première guerre mondiale.

Note : la fièvre typhoïde est une maladie infectieuse causée par une bactérie de la famille Entérobactérie, du genre des salmonelles. La maladie sévit toujours dans le monde (21 millions de malades par an, avec 200 à 600 000 décès annuels), transmise par l'eau et la nourriture crue, mais a régressé en France et en Europe dès la javellisation généralisée de l'eau de boisson.
On lit parfois que la vaccination obligatoire antityphoïdique dès 1914 a contribué à éradiquer la maladie : certes, mais la loi du 27 mars 1914 ne concernait que l'armée active, et seuls 125 000 soldats avaient été vaccinés avant l'entrée en guerre. La vaccination sera accélérée pendant la guerre, où l'on dénombre dans l'armée 45000 cas en 1914, 64000 en 1915, 12000 en 1916, 1600 en 1917 et 665 en 1918 (attention cependant à ces chiffres, car il semble que les troupes coloniales n'aient pas été systématiquement vaccinées...)


Journal de médecine, de chirurgie et de pharmacologie.
Décembre 1845

I. - MÉMOIRES ET OBSERVATIONS.
Recherches sur le génie épidémique de la fièvre typhoïde, observée dans plusieurs communes de l'arrondissement de Lunéville; par PUTEGNAT, docteur en médecine et en chirurgie, membre de plusieurs sociétés savantes, etc.
Quomodocumque se res habeat, unusquisque abundat suo sensu.
(Baglivi, édition de 1751, page 389.)
Si chaque praticien, libre de toute doctrine, nullius methodum vituperant, sed abs omnibus discens (comme le dit Baglivi, l. c.); étudiant avec soin les affections qu'il rencontre, était convaincu qu'il se doit non-seulement aux malades, mais encore à la science, l'on verrait celle-ci se perfectionner avec une rapidité étonnante.
Chose singulière ! à laquelle on ne peut réfléchir sans douleur : parmi les corps scientifiques, le médical est celui où brillent du plus vif éclat ta science et l'éducation, et il est malheureusement celui dans lequel ont jeté de plus profondes racines, la vanité et les préjugés. Ainsi: vous, médecins de campagne; vous, médecins de petites villes ; vous tous enfin, qui vivez avec vos clients, qui les observez avant, pendant et après la maladie, je vous le dis, vous tenterez souvent en vain d'élever la voix pour faire connaître le fruit de votre expérience consciencieuse, car vous n'exercez pas sur un théâtre, non point assez grand, mais assez élevé !
Si, il y a quelques années, on voyait paraître de nombreux écrits sur la fièvre
typhoïde, c'est que, dans ce moment, où l'on discutait beaucoup sur l'essentialité des fièvres, où Broussais avait engagé sa vive et rude polémique contre les doctrines médicales, cette affection présentait un heureux champ de bataille, sur lequel les partis pouvaient se montrer pour vider leurs querelles scientifiques.
Aujourd'hui, quoiqu'on ne discute plus sur l'individualisation de cette fièvre, parce que les symptômes anatomiques et physiologiques en sont bien établis, l'on voit par les recherches publiées dans les journaux, que l'étude de cette affection est encore à l'ordre du jour, et que bien des points de son histoire méritent d'être éclaircis. La seule dissidence qui règne entre les médecins de Paris et ceux qui exercent en province, est aussi une preuve que le dernier mot à dire sur l'étiologie de cette maladie est à trouver.
Aux médecins donc, qui ont vu et observé cette fièvre à Paris et dans de petites localités; qui savent, comme nous le dit Baglivi (lib. 1,C. 1.), novos veteribus non opponere, sed quoad fieri potest, perpetuo jungere foedere; à ceux-là donc qui ne se sont enrôlés sous aucune bannière, l'on doit accorder son attention quand ils font connaître ce qu'ils ont appris.
Ayant étudié pendant cinq années, la fièvre typhoïde dans les hôpitaux de Paris, ayant pu soigner des centaines d'individus atteints de cette affection, que j'ai vue régner épidémiquement dans neuf communes de l'arrondissement de Lunéville, je viens traiter un des points les plus obscurs de son étiologie.
L'étiologie constitue, sans contredit, l'une des parties principales de l'histoire d'une maladie quelconque et en particulier de la fièvre typhoïde. Cette vérité, que j'ai développée ailleurs (voir mon Traité de Pathologie interne du système respiratoire, tome 1er, page 115), a été appréciée de tout temps : de là vient que les Sydenham, les Huxam, les Stool, les Pringle, les Roederer et lesWagler, se sont occupés de l'étiologie de cette affection. Mais, il faut l'avouer, si, depuis quelque temps les observateurs ont étudié avec une patience et un soin tout particulier, le diagnostic des maladies et toutes les altérations pathologiques saisissables, qui représentent les diverses périodes de celle-ci, c'est au détriment de l'étiologie. Ce que je dis d'une maladie quelconque s'applique surtout et en particulier à la fièvre typhoïde, sur les causes de laquelle règne encore, dit M. Louis (tome II, page 457), la plus profonde obscurité.
Si l'on consulte les derniers ouvrages publiés sur cette affection (voir ceux de Chomel, 2e édition; de Louis, 2e édition ; de Forget; de Piorry), l'on verra qu'il est impossible d'attribuer à cette fièvre ces mille et une causes que l'on donne ordinairement à chaque maladie.
Bien que repoussée par MM. Andral, Bouillaud, Broussais, Louis, Petit, Rochoux, Serres, etc., la contagion de la fièvre typhoïde, reconnue par Huxam (ch. VIII), aujourd'hui, est irrévocablement démontrée et admise (voir Forget, Entérite folliculeuse, page 465; Piorry, Pathologie iatrique, introduction, page XXIII). Ce fait est dû spécialement aux travaux de M. Bretonneau (Archives générales de médecine, tome XXI, 1829), de M. Gendron (l. c., 1829, n° de juin et juillet), de M. Leuret, et aux miens que j'ai adressés à l'Académie de médecine de Paris, et que j'ai publiés en partie dans la Gazette médicale de Paris, en 1838, pages 397 et 710 (voir Forget et Piorry, I. c).
Mon but, en composant ce travail basé sur treize cents faits environ, n'est pas de prouver de nouveau cette contagion ; mais de démontrer dans quelles circonstances elle a lieu, et pourquoi elle n'existe point dans telles autres. II me sera facile, d'après mon expérience et les nombreuses observations que j'ai recueillies, de faire voir que cette fièvre est bien plus souvent contagieuse que ne le pensent MM. Chomel et Genest(l. c.), Gautier de Claubry (Mémoires de l'Académie de médecine, 1838, t. VIII), et de préciser avec justesse les circonstances, assez rares et non encore déterminées (disent ces auteurs), suivant lesquelles cette fièvre se communique. Pourquoi à Paris la contagion ne subsiste-t-elle pas ? Par quels motifs cette contagion règne-t-elle dans certaines localités ? Ce mémoire doit répondre à ces questions ; il donnera les raisons en vertu desquelles la contagion n'a pas lieu et ne doit point régner dans les hôpitaux, et démontrera la vérité de cette phrase de M. Andral (Clinique médicale, tome 1er, page 485) : Nous ne nions point les faits cités par les auteurs (Bretonneau, Gendron, Leuret, Putegnat, etc.) ; mais ce que nous avançons avec assurance, c'est que jamais à Paris, soit dans les hôpitaux, soit hors des hôpitaux, nous n'avons reconnu à cette maladie le moindre caractère contagieux. »
Quelles sont les principales circonstances qui favorisent la contagion de la fièvre typhoïde dans certaines familles de Lunéville et dans plusieurs communes de l'arrondissement de cette ville ?
Pour résoudre ce problème complexe et d'une si haute portée tant hygiénique que thérapeutique, j'ai besoin de m'appuyer sur de nombreuses considérations que je vais d'abord faire connaître en répondant aux questions suivantes:
A. Sous quelle forme la fièvre typhoïde semble-t-elle surtout contagieuse ?
B. a quelle époque de la maladie la contagion est-elle le plus à craindre ?
C. Quelles sont les. personnes les plus exposées à ta contagion ?
D. Quelles sont les conditions topographiques les plus propres à engendrer cette fièvre et à la propager par la contagion ?

A. - Je ne sais sous quelle forme la fièvre typhoïde se présente le plus souvent à Paris ; mais j'ai pu et dû remarquer que, à Lunéville et dans les villages où j'ai été appelé pour la traiter, j'ai rencontré, rarement la variété ataxique ; quelquefois la variété inflammatoire, adynamique; et, très-fréquemment, la forme muqueuse. Cela posé, l'on ne sera pas étonné de m'entendre dire : ta fièvre typhoïde, forme muqueuse, est celle qui se transmet le plus souvent. Cependant, je dois ajouter que, proportion gardée, la variété muqueuse est encore celle qui se communique le plus facilement.
Ici se présente la question suivante : Une variété quelconque produit-elle nécessairement la même variété ?
Non. J'ai vu la muqueuse engendrer l'ataxique, ou toute autre; l'ataxique, telle ou telle autre ; l'adynamique donner le typhus gangréneux, et celui-ci les variétés muqueuse et adynamique (voir mon mémoire dans la Gazette médicale de Paris, 1838, page 711). Ainsi, telle variété peut produire telle ou telle autre, suivant des circonstances qui me sont restées inconnues ; et, qui plus est : la forme transmise peut, suivant une cause cachée quelquefois et même souvent appréciable, être plus ou moins dangereuse que celle qui l'a donnée. La forme productrice n'est donc point essentiellement liée à la forme engendrée. Tel est un fait que j'ai observé et vérifié tant à Lunéville que dans les environs.

B. - A quelle période cette fièvre est-elle surtout contagieuse ?
Cette question est, à mes yeux, aussi importante que celle qui la précède immédiatement. Il ne suffit pas, en effet, de savoir que telle affection est contagieuse, mais à quelle période elle l'est surtout. L'on sait que certaine maladie est contagieuse depuis sa naissance jusqu'à sa disparition (variole, scarlatine); tandis que telle autre (la gale par exemple) ne jouit plus du pouvoir de se transmettre au bout de quelques jours qu'elle est soumise à un traitement rationnel, parce que l'acarus est tué bien que la vésicule persiste encore. Or, voici ce que j'ai cru remarquer au sujet de la fièvre typhoïde, interrogée sous ce point de vue.
Cette maladie, sous forme muqueuse, ou ataxique, ou bilieuse, ou adynamique, etc., est contagieuse pendant ses trois périodes principales. J'ai vu des individus être atteints de cette affection, pour avoir soigné, et même visité une seule fois, un des leurs, convalescent, ou chez lequel tous les symptômes connus faisaient diagnostiquer soit l'état gaufré, soit l'ulcération d'une ou de plusieurs plaques de Peyer. Tel est un premier résultat auquel je suis parvenu. Je dis encore que c'est pendant la période des ulcérations, qui, comme on le sait, va jusque dans la convalescence, que j'ai vu la contagion être plus facile et plus fréquente. Mais est-ce là un motif suffisant pour déterminer à croire que c'est alors que la contagion est vraiment le plus à craindre ? Je ne le pense pas, et voici les raisons sur lesquelles je m'appuie: il est bien évident que, puisque cette fièvre est susceptible de se transmettre par la contagion, pendant ses trois périodes, elle doit nécessairement se propager plus souvent et plus facilement pendant celle qui est la plus longue. La période des ulcérations étant la plus longue des trois, il n'est donc pas étonnant que ce soit pendant son cours qu'ait surtout lieu la contagion. L'on, pourrait encore trouver assez facilement des motifs qui prouveraient que c'est véritablement, à cette époque que la contagion soit surtout à craindre. C'est pendant cette période d'ulcérations que les malades offrent des pétéchies, des sueurs, des fuliginosités; c'est alors qu'ils ont, ou qu'ils peuvent avoir des eschares ; c'est alors que les yeux sont chassieux, qu'il y a absorption du pus des ulcères ; que le lit et la chambre du patient sont fréquemment infectés, au point que celui-ci demande de l'air, à grands cris, c'est alors que son haleine a une odeur particulière, sui generis, que j'ai déjà signalée dans la Gazelle médicale de Paris (l. c.) ; c'est alors que le sang tiré de la veine (ce que, du reste, nie à tort M. Forget, l. c., page 455) est tel qu'à sa vue seule, il est souvent possible de reconnaître que l'individu qui l'a fourni est frappé
de fièvre typhoïde ; c'est alors enfin, que tout le corps du malade est infecté au plus haut degré, que les intestins et le trépied vital reçoivent les plus cruelles atteintes.

C. - Quelles sont les personnes les plus exposées à la contagion ?
Cette question est bien plus difficile à résoudre qu'on ne pourrait le croire de prime abord. Le grand intérêt attaché à sa solution, fait qu'elle mérite d'être étudiée avec un soin extrême. Pour y répondre, je dois rechercher quels sont les âges, tempéraments, constitutions, etc., qui prédisposent le plus à cette maladie, et qui semblent favoriser le plus sa propagation par contagion.
Age. C'est principalement chez les adultes que la fièvre est fréquente à Lunéville et dans les villages voisins. Les trois quarts des nombreux malades que j'ai soignés, avaient de 15 à 40 ans. J. Franck avait déjà donné ces chiffres dans son Traité de médecine pratique. Et cependant les observateurs modernes disent que la période de la vie où l'on trouve le plus de malades atteints de cette affection, est celle de 20 à 30 ans (Forget, l. c.).
Après les adultes et les hommes faits, les enfants sont, d'après mon observation, les plus exposés à la contagion, lorsque la fièvre règne épidémiquement, soit quand la localité où elle sévit, offre les circonstances que j'indiquerai bientôt. Je ferai remarquer ici que bien avant M. Constant, quia publié ses recherches en 1839, dans le Journal de» connaissances médico-chirurgicales, j'avais démontré (voir Gazette médicale de Paris, p. 307 et 712, en 1838) que la lièvre typhoïde attaque souvent les enfants.
Parmi les nombreux enfants que j'ai vus atteints de cette fièvre, tant à Lunéville, que, et surtout, dans les communes de Xermaménil, de Bauzemont, de Bénaménil, peu sont morts, et beaucoup se sont sauvés par les seuls efforts de la nature. Grand et utile renseignement que le médecin ne doit point perdre de vue, et qui confirme ces sentences du père de la médecine : Natura morborum medicatrix (Épid. sect. 6, 8e l.); invertit natura sibi ipsi vias non excogitatione (l. c. lib. vi, sect. 5, N° 2). Ce fait a été de la dernière évidence, surtout dans le village de Bauzemont, qui n'a eu à déplorer la mort d'aucun des enfants que j'y ai vus, et dont le plus jeune n'avait que treize mois.
Je n'ai soigné que quatre vieillards atteints de l'affection typhoïde. Pourquoi seulement quatre vieillards sur un total de 1,300 malades environ ? Serait-ce parce qu'ils sont peu nombreux ?
Chez les quatre vieillards, la fièvre présentait la variété dite adynamique. Cette forme serait-elle, dans ce cas, une conséquence de l'âge, comme le pensait Pinel ? Je suis assez porté à le croire quand je réfléchis que, chez les individus courbés sous le poids des ans, bien des maladies (inflammation soit du poumon soit des voies urinaires) peuvent entraîner l'adynamie. Mais, pourrait-on me dire, ces vieillards, que vous avez soignés, n'avaient peut-être que cette dernière sorte d'adynamie, c'est-à-dire, l'adynamie produite par une maladie quelconque, et non pas la variété adynamique de la fièvre typhoïde. Il est bien vrai que, fort heureusement, je n'ai pu confirmer mon diagnostic par l'examen cadavérique, puisque ces vieillards se sont rétablis; mais ces faits me paraissant curieux, je n'ai rien dû négliger pour me convaincre. Si j'avais pu douter un instant, la considération suivante aurait suffi pour achever de m'éclairer : Dans la famille de plusieurs de ces malades régnait la fièvre typhoïde : ainsi, le père Baille (de la commune de Bénaménil), sa fille et les deux enfants de celle-ci avaient en même temps cette affection ; ainsi, pendant que le vieillard Pérette (du même village) était gravement atteint de cette affection, ses deux gendres succombaient à la même maladie.
De ce que je viens de dire sur les âges, il découle cette conséquence : A Lunéville et dans les communes de son arrondissement, aucun âge n'est à l'abri de la fièvre typhoïde : ni l'enfance, ni la jeunesse, ni l'homme d'un âge mûr, ni le vieillard. Seulement, dans certaine période de la vie, elle est plus commune que dans les autres. La raison de ce fait ne pourra être comprise que quand j'aurai donné les autres causes qui favorisent la contagion.
Tempérament, constitution. D'après mes observations, tel tempérament n'est pas plutôt que tel autre une prédisposition à cette fièvre ; de plus, je n'ai pas remarqué que tel tempérament entraînât telle variété de préférence à telle autre. Ainsi, le tempérament bilieux ne suffit point pour que cette maladie affecte la femme bilieuse. A l'appui de ce que j'avance, je citerai seulement quelques observations. Mlle R., de Lunéville, cheveux bruns, tempérament sanguin; forme adynamique. Mlle B., de Lunéville, tempérament bilieux; forme muqueuse. M. A, de Bénaménil, tempérament nerveux; forme muqueuse. Mlle S., de Rehainviller, tempérament sanguin; variété inflammatoire. M. M., de Rinville, lymphatico-sanguin ; forme ataxique.
Ainsi, il est de toute évidence que la fièvre typhoïde, soit à Lunéville, soit dans les villages environnants, qu'elle règne ou non épidémiquement, n'est point influencée dans ses variétés et dans sa propagation par ces différents groupes de caractères physiques, que l'on est généralement convenu d'appeler tempéraments.
Une chose certaine pour moi, c'est que la fièvre typhoïde suit dans sa propagation, une marche opposée à celle qu'avaient adoptée le choléra et avant lui la grippe. Je vais m'expliquer:
Le choléra que j'ai étudié à Paris et dans plusieurs communes des Vosges et de la Meurthe; la grippe que j'ai vue à Paris, à Lunéville et dans bien des villages, m'ont offert ceci de particulier: Le choléra semblait attaquer, de préférence, les individus atteints d'une maladie gastro-intestinale, soit aiguë, soit chronique, ceux adonnés à la débauche et spécialement à l'ivrognerie ; la grippe frappait, de prédilection, les poitrines faibles ou malades (voir mon Traité de pathologie interne du système respiratoire, t. I, p. 320). La fièvre typhoïde, au contraire, règne plutôt chez les gens sobres, chez les individus robustes et chez ceux qui ne portent point une lésion intestinale. Donc la force, la sobriété, l'état de santé des intestins, favorisent le développement et la propagation de la fièvre typhoïde (MM. Andral, Bouillaud, suivant M. Montrait, ont fait cette remarque, mais seulement sous le point de vue du développement) ; d'où il suit que M. Louis a eu tort de dire : que toutes les constitutions sont également sujettes à cette maladie.
L'on voit donc que le génie épidémique de la fièvre typhoïde, considéré sous un certain point de vue, est opposé à celui de la grippe et à celui du choléra-morbus. Ce n'est pas tout encore : la grippe était grave chez un individu faible, maladif et très-nerveux; le choléra devenait excessivement dangereux chez un individu faible, maladif, usé par la boisson ; la fièvre typhoïde, au contraire, tant à Lunéville que dans les environs, ne m'a point semblé devenir plus grave quand elle attaquait un individu épuisé par une cause quelconque, et, au contraire, m'a paru bien plus sérieuse chez l'homme fort, sobre et jouissant d'une belle santé.
Je résume cet article et dis : L'homme robuste est très-exposé à la contagion de la fièvre typhoïde et en est toujours sérieusement frappé. Ceci prouve que ce n'est pas par motif de consolation que le professeur Fouquier «  a tracé avec talent le tableau des avantages d'une faible constitution. » D'ailleurs Hippocrate avait déjà dit : Robustiores ubi in morbum incidunt, agrius restituuntur (de alimento). Voir Réveillé-Parise, Hygiène des hommes livrés aux travaux de l'esprit, chap. XVI, t. I, page 316.)
Je dois dire ici que, lorsque j'ai observé cette fièvre chez des personnes atteintes d'une ancienne maladie intestinale, elle affectait presque toujours la forme muqueuse, et que, d'après les nombreux faits que j'ai recueillis, la variole n'est point un préservatif de l'affection typhoïdienne, ainsi que l'ont avancé des médecins du Haut-Rhin.
Sexe. La fièvre typhoïde, dit-on, est plus fréquente parmi les hommes que parmi les femmes. Si cela est vrai à Paris, ce que j'ai de la peine à croire, attendu que ceux qui ont avancé cette remarque n'ont pas eu égard à la composition de la population de cette ville; si, dis-je, cela est vrai à Paris, ce n'est pas une raison pour qu'il en soit ainsi nécessairement dans toutes les localités. En effet, à Lunéville et dans les communes environnantes, je n'ai pas rencontré plus d'hommes que de femmes frappés de cette maladie. Si j'ai vu cette fièvre dans telle famille atteindre toutes les femmes et les enfants, et épargner les hommes (la famille Pierson du village de Bauzemont); en revanche, je l'ai pu voir attaquer de préférence les hommes et épargner les femmes, comme dans la famille Voinot de Bénaménil. Ainsi M. Forget a eu raison de dire : quant au sexe il n'y a rien de positif.
Le sexe, si j'en crois mes observations, n'influe pas non plus sur la gravité de la fièvre. Si, dans tel village, j'ai perdu beaucoup de femmes (à Bénaménil, par exemple), dans la commune de Bauzemont j'ai sauvé la vie à toutes. - Sans terminer ce qui a trait à ce sujet, je dois dire que dans certains villages (Bauzemont, Fraimbois) je n'ai perdu que des hommes ; que, dans d'autres (Einville, Xennaménil, Chenevières), j'ai vu les deux sexes payer un égal tribut à la mort.
Je n'ai point remarqué que tel sexe fut plus disposé à la contagion que tel autre, ni que l'un fût plus exposé à telle forme de préférence aux autres.
J'ai reconnu que la ménorrhagie est bien plus fréquente dans les formes muqueuses et adynamiques que dans les autres. Les trois femmes enceintes que j'ai soignées pour cette fièvre (variété ataxo-adynamique) ont guéri, mais ont avorté. Je ne sais si la grossesse favorise la contagion.
Affections morales. Je n'en connais qu'une seule qui puisse favoriser la contagion de la fièvre typhoïde : c'est la peur. Maintes fois j'ai trouvé des faits à l'appui de cette opinion (Journal de médecine de Lyon, 1842). M. Forget a fait aussi la même remarque. Ce que je dis ici de la fièvre typhoïde a aussi été applicable au choléra-morbus.
Voyons, si en admettant cette cause prédisposante de la contagion, je confirme ce que j'ai avancé ci-dessus, savoir : que les hommes forts et robustes étaient plus disposés que les autres à contracter la fièvre typhoïde.
De deux hommes, dont l'un est sain et robuste, dont l'autre est débile et malingre : celui-là est plus accessible à la peur, car la force morale lui fait défaut; celui-ci, au contraire, habitué qu'il est à souffrir, se résigne assez facilement; il attend, il espère et la bénigne influence de cette disposition tarde rarement à se faire sentir. Fernel a dit : A capite fluit omne malum.
La force et la peur favorisent donc la propagation de la fièvre typhoïde par la contagion, surtout quand elles sont réunies dans un même individu.
Cela posé et prouvé, il est plus surprenant que cette maladie sévisse avec une grande rigueur contre les personnes non acclimatées. En effet, celles-ci sont ordinairement des jeunes gens (la jeunesse favorise la contagion), par conséquent fortes et en même temps manquant de force morale; car presque toutes regrettent plus ou moins le pays natal et redoutent de tomber malades loin du toit paternel. L'on sait d'ailleurs que Larrey, Johnson et J. Franck, admettent le découragement comme cause principale du typhus. Mais je m'arrête, car j'anticipe sur ce que j'ai à dire de l'acclimatement.
Saisons. Anni quidem tempestatum earumdemque vicissitudinum magna vis est ad condendum, fovendum, tel destruendum seminium quoddam morbosum epidemicum (Raederer et Wagler, sect. I, cap. I). C'est en automne et au printemps que j'ai vu la fièvre typhoïde épidémique dans plusieurs villages de l'arrondissement de Lunéville.
Remarquons que c'est pendant ces deux saisons que les pluies sont abondantes, que les ruisseaux s'enflent, que les rivières sortent facilement de leur lit et inondent, plus ou moins loin, les plaines sur lesquelles, en se retirant, les eaux abandonnent des débris de plantes et d'animaux qui se décomposent, et par conséquent, infectent plus ou moins les lieux voisins selon les vents. Remarquons aussi qu'à ces deux époques de l'année le corps de l'homme est surtout en butte à la maladie; car les fonctions du système cutané sont changées, phénomène qui est représenté chez l'animal par la mue.
Acclimatement. A Paris, où l'on nie la contagion de cette fièvre, la plupart des observateurs considèrent l'acclimatement comme une cause fréquente et puissante du développement de la fièvre typhoïde ; ils soutiennent que le brusque changement d'air, d'eau, de lieu, de nourriture et d'habitudes engendre facilement cette maladie. A l'appui de cette manière de voir, ces auteurs rapportent le fait suivant: cette affection fait de grands ravages parmi les jeunes gens qui viennent habiter Paris. En lui-même, ce fait est exact; mais l'induction que l'on en tire est exagérée de beaucoup ; et en voici la preuve:
Sur 1,300 malades environ, j'en ai seulement rencontré quinze soumis à l'influence de l'acclimatement. Ainsi, à Lunéville et dans les petites localités environnantes, l'acclimatement ne peut pas à lui tout seul engendrer la fièvre typhoïde; ainsi, quand bien même cette cause se montrerait à Paris (ce qui, à mon avis, est bien loin d'être prouvé d'une manière péremptoire) ce ne serait point une raison pour qu'elle existât dans d'autres localités. Pour moi, ce n'est pas l'acclimatement, c'est-à-dire le changement d'air, d'eau, de lieu, de nourriture, d'habitudes, etc., qui engendre la maladie, mais un air humide et vicié. Cependant, dira-t-on, comment se fait-il donc que la fièvre typhoïde règne de préférence parmi les nouveaux arrivés à Paris ? Si la dothinentérie parait sévir de préférence contre les jeunes gens nouvellement fixés à Paris, il faut penser que peu de personnes âgées arrivent dans cette ville; que celles-ci, logeant dans des chambrées, sans amis, sans parents, sans fortune, sont forcés de se réfugier dans les hôpitaux. L'on peut donc comprendre maintenant pourquoi, dans les hôpitaux de la capitale, l'on rencontre atteints de la fièvre typhoïde plus de jeunes gens nouvellement arrivés que de ceux acclimatés.
Je me résume et dis : à Lunéville et dans les communes environnantes l'acclimatement n'est point une cause de fièvre typhoïde. M. Forget, à Strasbourg, est arrivé au même résultat que moi.
Encombrement. On a dit, et l'on a invoqué les chiffres à l'appui de cette opinion, que l'encombrement était une cause puissante de développement et de la propagation de cette affection. Si ce fait est vrai à Paris, comme l'a démontré, le premier, mon maître M. le professeur Piorry, voyons ce que j'ai dû observer dans ma clientèle.
A Lunéville et dans les communes voisines, je n'ai jamais vu naître la fièvre par la seule cause de l'encombrement. Et, s'il n'en était pas ainsi, pourquoi certains villages (Nehainviller, Deuxville, Hériménil) où l'encombrement est plus grand que dans tels autres (Bénaménil, Bauzemont), seraient préservés des épidémies de cette fièvre ? Pourquoi certaines parties de quelques communes (comme à Einville, Bauzemont) seraient-elles entièrement ou presque entièrement à l'abri de cette affection ? Ainsi, l'encombrement seul ne suffit point pour causer le développement et la propagation épidémique de la dothinentérie ; mais il aggrave le mal comme dans la variole, la scarlatine, la coqueluche. Sur ce point, je me trouve d'accord avec Fernel, Pringle (Maladies des armées, 3e partie, chap. VII) et Parent-Duchâtelet.
Après avoir parlé de l'acclimatement et de l'encombrement, il ne me reste plus à traiter que de l'habitation pour avoir répondu à cette quatrième question : Quelles sont à Lunéville et dans les communes voisines les conditions les plus propres à favoriser le développement et la propagation par contagion de la fièvre typhoïde ?
Il est un fait qui m'a beaucoup frappé et sur lequel je désire vivement appeler l'attention de mes confrères. Tous les villages où j'ai vu régner épidémiquement cette fièvre, sont placés sur une rivière ou sur un ruisseau dont le lit est marécageux, et qui, pendant les pluies même peu abondantes, ne suffit plus pour contenir les eaux chargées de beaucoup de limon. Voici les preuves de ce que je viens de dire:
Les villages de Lamath,de Xennaménil, sont près de la Mortagne; Bénaménil est sur la Vesouze; Einville et Bauzemont sont arrosés par le Sanon ; Fraimbois est traversé par le Rhu ; Ogéville et Réclonville sont baignés par la Blette ; Chenevières, près de la Meurthe, est traversé par des ruisseaux qui viennent des bois et de fontaines.
Voici maintenant quelques détails topographiques qui méritent toute l'attention de l'observateur.
Le village de Bauzemont, bâti en amphithéâtre sur le versant d'une montagne, regarde le Midi. Il est composé d'une rue principale qui tourne autour d'un mamelon, sur lequel se trouvent élevées l'église et quelques maisons. Le centre qui domine toute la partie basse de la commune et en est séparé par un flanc coupé à pic, finit insensiblement par être de niveau avec la partie nord de la rue qui le circonscrit. La partie basse est la portion du midi du village. Elle se compose spécialement d'un rang de maisons dont la face regarde le nord. Cette ligne de maisons se dirige de l'est à l'ouest parallèlement au cours du Sanon de la rive droite duquel elle n'est éloignée que de quelques mètres. Eh bien, c'est dans cette partie basse de Bauzemont, située près du Sanon, petite rivière dont le lit marécageux est souvent à sec, et qui, après une faible pluie fréquemment ne suffit plus: c'est dans cette portion de la commune que la fièvre typhoïde a régné plusieurs fois épidémiquement, où la propagation par contagion a été si palpable maintes fois. Mais comment dans ces épidémies la partie nord ou élevée du village a-t-elle été presque exempte de la dothinentérie ? Le vent du nord passe au-dessus de Bauzemont, abrité qu'est ce village par un coteau très-élevé sur lequel on voit le château et les nombreux arbres qui l'avoisinent. Le vent du sud, au contraire, après s'être chargé de tous les miasmes végétaux et animaux qui se trouvent dans la prairie, où ils ont été abandonnés par les débordements du Sanon, vient frapper en plein sur le village, et ainsi le couvrir d'émanations méphytiques. Mais, dira-t-on, pourquoi donc dans la partie supérieure de cette commune la fièvre typhoïde a-t-elle été si rare ? A cela je répondrai deux choses: 1° dans certains endroits de cette partie supérieure, le vent du sud, ne peut régner vu la manière dont sont placées quelques maisons; 2° on sait que MM. Rigaud et de Humbold ont prouvé que les émanations méphytiques qui se font à l'air libre ne s'élèvent jamais au-dessus d'une certaine hauteur.
Ainsi, l'on comprend pourquoi le village de Hénaménil, situé sur le Sanon, si près et presque en face de Bauzemont, n'a pas été atteint de cette fièvre épidémique. En effet, cette commune, placée sur la rive gauche de la rivière, est à l'abri du vent du nord qui pouvait lui envoyer les émanations méphytiques, en même temps que ce vent aurait pu, au contraire, préserver Bauzemont s'il avait pu balayer ce village.
La commune d'Einville, à 7 kilomètres au nord de Lunéville, traversée dans toute sa longueur par une route, est située dans un vallon sur la rive droite du Sanon. Ainsi cette rivière marécageuse, sujette à manquer souvent d'eau et à de fréquents débordements, qui baigne la partie sud de Bauzemont, vient a quatre kilomètres plus bas que ce village arroser la partie sud et basse d'Einville.
Ce bourg de 1,150 habitants, est composé de plusieurs rues principales: une à l'est qui, se dirigeant du haut en bas du nord au sud, part de la route pour aboutir au Sanon ; trois autres presque parallèles entre elles et à la rive droite du Sanon, partent de la première, se dirigeant de l'est à l'ouest, de haut en bas, de telle sorte que les ruisseaux, les immondices qui les encombrent en grande abondance, surtout la basse, ou celle qui est le plus au sud et à quelques mètres du Sanon, viennent aboutir à un centre commun, lequel est constitué par la place où se voit la fontaine et par une petite rue qui établit communication entre cette place et la rue basse.
Si j'ai pu me faire comprendre, l'on voit que les immondices de trois longues rues et d'une place boueuse très-fréquentée, viennent tomber dans un lieu où se trouvent des maisons et qui sont à quelques pas de la rivière que j'ai dit être marécageuse.
Ce n'est pas tout encore : cette portion du village est battue par les vents du sud et de l'ouest qui balayent le vallon arrosé par le Sanon, tandis que l'autre en est à l'abri, protégée qu'elle se trouve par un côteau et le village de Raville.
Pour que ces causes d'infection fussent combattues, il faudrait que le vent du nord pût souffler dans cette localité : or c'est une chose tout à fait impossible, vu la présence d'un coteau élevé qui domine au nord tout Einville, et qui même, à l'ouest, est couronné par des forêts.
La topographie médicale, sous le point de vue de la fièvre typhoïde épidémique, est donc la même à Einville qu'à Bauzemont; aussi, dans ces deux villages, j'ai pu observer les mêmes phénomènes.
Ce que je viens de dire prouve jusqu'à l'évidence l'influence de l'humidité sur la production et la propagation de la fièvre typhoïde épidémique (voir Hippocrate, aph. 16, 3. 110). Ne pouvant tracer dans ce mémoire la topographie médicale, considérée sous le point de vue de la fièvre typhoïde épidémique de chacune des communes que j'ai indiquées, je ne veux plus m'arrêter un instant que sur celle de Bénaménil où j'ai vu deux fois cette affection régner épidémiquement.
Bénaménil, situé à 14 kilomètres à l'est de Lunéville, est composé d'une rue principale, longue d'un kilomètre environ, dirigé de l'ouest à l'est. Ce village étendu parallèlement à la rive gauche de la Vesouze, dont il est séparé par une prairie fertilisée par les débordements de la rivière, est traversé dans toute sa longueur par une grande route. Une vaste et épaisse forêt le protège contre les vents du sud qui, par le même motif, ne peuvent régner que faiblement dans les communes de Manonvillers et de Domjevin. Par suite de cette disposition, les miasmes méphytiques qui s'élèvent dans les vapeurs fournies par plusieurs ruisseaux marécageux, et par les débris animaux et végétaux abandonnés sur la prairie par les débordements de la Vesouze, ne sont point écartés par les vents.
Ainsi, pour que dans les environs de Lunéville la fièvre typhoïde soit contagieuse, ou puisse devenir épidémique, il faut que certains vents chassent sur les habitations peuplées de personnes qui se trouvent dans les conditions ci-dessus indiquées, l'air humide, chargé de miasmes putrides, produits soit par un cours d'eau marécageuse, soit par des débordements aussi marécageux.
Telle est la raison en vertu de laquelle les villages de Domjevin, de Frémenil, de Manonvillers, si près de Bénaménil, ravagé par deux épidémies de fièvre typhoïde, n'ont point souffert de cette épidémie; voilà pourquoi Ogevillers et Réclonville, situés comme Bénaménil, en ont été atteints; pourquoi Xennaménil, situé sur la rive droite de la Mortagne, a été frappe de l'épidémie plus tard que Lamath, placé sur la rive gauche; pourquoi Hénatnénil et Raville sur la rive droite du Sanon n'ont point éprouvé l'épidémie qui régnait à Bauzemont et à Einville, villages baignés par la rive gauche du Sanon ; pourquoi à Einville, à Bauzemont, l'épidémie n'a ravagé qu'une portion donnée de la commune ; pourquoi dans d'autres communes où j'ai vu quelques cas de fièvre typhoïde, comme à Hériménil, Réhainviller, Mont, Blainville-sur l'Eau, Authelopt, Vitrimont, Saint-Clément, etc., cette affection n'est point devenue épidémique.
Ne sait-on pas aussi que Fracastor, en 1505, attribua une épidémie de fièvre pestilentielle à un débordement du Pô; que Forestus, à Delft, fit la même observation ; que Chirac, en 1694, remarqua que la fièvre épidémique de Rochefort provenait de vapeurs de marais formés par l'inondation de la mer, portées vers la ville par le vent qui soufflait de ce côté-là !
L'on voit d'après ce que je viens de dire, combien Hippocrate a eu raison de conseiller au médecin qui arrive dans une localité qu'il ne connaît point, d'examiner avec soin son exposition par rapport aux vents (Introduction au Traité de l'air, des eaux et des lieux).
Telle est la réponse à la question D.
Si maintenant l'on se représente à la mémoire les réponses que j'ai faites aux questions A, B, C,D, que j'ai dû poser pour résoudre celle-ci: Quelles sont les principales circonstances qui favorisent la contagion de la fièvre typhoïde dans plusieurs communes de l'arrondissement de Lunéville ? l'on aura la solution de cette dernière.
Maintenant, à l'aide de ce que j'ai dit, j'avais recherché comment il se fait que, dans les hôpitaux de Paris (Andral, Clinique médicale, t. I, p. 485) et d'Angleterre, la contagion de la fièvre typhoïde ne se montre pas.
Les salles des hôpitaux sont propres, aérées, non humides ; ainsi, déjà par ces seuls motifs, dans ces lieux, la propagation par contagion de la fièvre typhoïde doit être très-difficile. Ce n'est pas tout : j'ai prouvé ci-dessus que les individus forts et bien portants, sont exposés plus que les autres à la contagion de cette fièvre : or, dans une salle d'hôpital où se trouvent un, deux, cinq typhoïdiens, tous les autres habitants ne sont ni forts ni bien portants; mais des individus soit en convalescence, soit affaiblis par une maladie quelconque. Donc, par ces motifs encore, la propagation par la contagion de la fièvre typhoïde doit ou manquer ou être excessivement rare dans un hôpital.
L'on voit aussi que Stoll a eu tort de nier la contagion en s'expliquant comme il suit : «  Si l'on admet un virus contagieux pour la fièvre pétéchiale, pour la miliaire et autres, comment se fait-il que ceux qui sont jour et nuit dans les hôpitaux demeurent exempts de cette maladie ? »

Je terminerai ce travail par les propositions suivantes:
1° La fièvre typhoïde est une maladie générale qui peut, dans plusieurs villages de l'arrondissement de Lunéville, et dans certaines circonstances que j'ai reconnues le premier, se développer spontanément, devenir épidémique en se propageant par la contagion. Celle-ci, niée par les médecins de Paris, soutenue par MM. Bretonneau, Gendron, Leuret, Putegnat, de Lunéville, est admise aujourd'hui par MM. Chomel, Gautier de Claubry, Forget, Piorry.
2° Un individu, de 15 à 40 ans, de l'un ou de l'autre sexe, sobre et robuste, ne portant point une maladie intestinale, et qui craint beaucoup la fièvre typhoïde, est très-exposé, dans plusieurs communes des environs de Lunéville, à gagner cette maladie par la contagion, s'il est soumis à certaines influences atmosphériques. Ces influences atmosphériques sont des miasmes méphitiques, provenant de la décomposition de débris végétaux et animaux, abandonnés au contact de l'air par un cours d'eau roulant dans un lit marécageux, tantôt à sec, le plus souvent insuffisant. Ces miasmes, qui ne sont point nuisibles ou qui ne subsistent pas quand ils ne reçoivent pas l'influence de l'humidité, me paraissent transportés et rendus actifs par l'eau en vapeurs.
3° Les moyens les plus efficaces d'éviter cette affection consistent : 1° à ne point la redouter avec frayeur; 2° à ne pas séjourner dans une chambre dans laquelle est couche un typhoïdien, et à n'y entrer qu'autant que l'air y est continuellement renouvelé; 3° à habiter un lieu élevé, pas exposé aux vents qui balayent une colline dans laquelle serpente un cours d'eau marécageux, qui peut facilement être à sec ou se répandre sur les lieux voisins.
4° Ce travail, fruit de ma propre expérience, tend à prouver que la cause première et le génie épidémique de la fièvre typhoïde ne seront pas toujours inconnus. Puisse-t-il engager les observateurs, éclairés par les immortels ouvrages des Huxam, des Pringle, des Sydenham, des Roederer et Wagler, etc., à fixer leur attention sur ce point de pathologie et d'hygiène digne d'un si haut intérêt !


Notes :

Journal Officiel - 28 mars 1914
LOI rendant obligatoire, dans l'armée, la vaccination antityphoïdique.
Le Sénat et la Chambre des députés ont adopté,
Le Président de la République promulgue la loi dont la teneur suit :
Article unique - La vaccination antityphoïdique est obligatoire à l'égard des militaires de l'armée active.
Dans le cas où les circonstances paraîtraient l'exiger, une décision ministérielle pourra en prescrire l'application aux militaires des réserves, convoqués pour une période d'instruction.
La présente loi, délibérée et adoptée par le Sénat et par la Chambre des députés, sera exécutée comme loi de l'Etat.
Fait à Paris, le 27 mars 1914.
R. POINCARÉ.
Par le Président de la République :
Le ministre de la guerre, J. NOULENS.

Journal officiel du 31 mars 1918
- La vaccination antityphoïdique des contingents de race noire n'avait pas été pratiquée jusqu'ici en raison de la rareté des infections typhoïdes chez ces sujets à l'âge adulte, et aussi par crainte des réactions vaccinales trop fortes.
MM. les docteurs Guy Laroche et Mazet ont pratiqué l'an dernier cette vaccination sur un contingent de Canaques, à l'occasion d'une épidémie de fièvre typhoïde qui, dans le même bataillon, laissa indemnes les blancs vaccinés et ne frappa que les Canaques non vaccinés.
Deux piqûres de 1 et de 2 centimètres cubes furent faites à huit jours d'intervalle. Le vaccin employé fut le vaccin chauffé comprenant les bacilles typhiques et paratyphiques.
Les auteurs insistent sur le peu de réactions qu'ils ont observées bien que les Canaques réunissent la plupart des causes qui pourraient faire hésiter à appliquer la vaccination : paludisme, dysenterie, filariose, etc. Non seulement il n'y eut aucun incident, mais encore les injections furent mieux supportées que chez les Européens. Ce peu d'intensité de réactions vaccinales tient probablement à ce que le système nerveux des races noires est beaucoup plus calme que celui de la race blanche.
Cette expérience montre qu'en présence de cas analogues chez des hommes de couleur il y aurait lieu de ne pas hésiter à pratiquer la vaccination antitypho-paratyphoïdique.

 

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