Le problème des symboles
religieux sur les monuments aux morts de la grande guerre ne
semble pas avoir affecté le canton de Blâmont, mais il s'est
produit toute proche, puisqu'on lit dans le journal La Croix du
17 novembre 1924 :
« Un arrêté injustifié
M. Bouët. sous-préfet de Lunéville vient de refuser
l'autorisation d'ériger le monument aux morts de Bénaménil
(Meurthe-et-Moselle) tel que le représente le projet affiché sur
la porte de l'église, cela sous prétexte qu'il porte une croix.
Si l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 interdit d'apposer
aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics, il
fait formellement exception pour les monuments funéraires.
D'après un arrêt du Conseil d'Etat du 4 juillet 1924, annulant
un arrêté du maire de Fouilly du 11 novembre 1921, cette
dernière expression « monuments funéraires » s'applique à tous
les monuments destinés a rappeler le souvenir des morts, même
s'ils ne recouvrent pas une sépulture et quel que soit le lieu
où ils sont érigés ».
Inauguration du monument aux
morts de Bénaménil |
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L'article 28 de la loi du
9 décembre 1905 prévoit effectivement :
« Art. 28 - Il est interdit, à l'avenir, d'élever ou
d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments
publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à
l'exception des édifices servant au culte, des terrains de
sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires,
ainsi que des musées ou expositions. »
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Depuis le décret du 15
juillet 1922 (Journal officiel du 19 juillet 1922), les
préfets ont compétence pour statuer sur les projets de
monuments aux morts présentés par les municipalités :
« Le Président de la République française,
Sur la proposition du ministre de l'intérieur,
Vu l'ordonnance du 10 juillet 1816,
Décrète :
Art. 1er. - Par dérogation aux dispositions de l'ordonnance
du 10 juillet 1816, il sera statué par arrêté préfectoral
sur les projets de monuments à élever, en dehors des
cimetières militaires, à la mémoire des soldats morts pour
la patrie au cours de la guerre 1914-1918.
Art. 2 - Le Ministère de l'Intérieur est chargé de
l'application du présent décret.
Fait à Paris, le 15 juillet 1922
A. MILLERAND »
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L'arrêt du conseil d'Etat
cité par La Croix ne concerne pas « la commune de « Foully », mais de « Fouilloy » dans la Somme, ou l'abbé
Guerle s'oppose au maire de la commune :
« CONSEIL D'ÉTAT
4 juillet 1924
ARRÊT
LE CONSEIL D'ÉTAT;
Vu la loi du 5 avr. 1884 ;
Vu la loi du 9 déc. 1905 ;
Vu les lois des 7-14 oct. 1790 et 24 mai 1872 ;
En ce qui concerne les dispositions de l'art. 3 de l'arrêté
attaqué relatives au monument aux morts
Considérant qu'en vertu de l'art. 94 de la loi du 5 avr.
1884, les arrêtés des maires ont pour effet soit de publier
à nouveau des lois et règlements de police, et de rappeler
les citoyens à leur observation, soit d'ordonner des mesures
locales confiées par les lois à l'autorité des maires ;
Considérant qu'en interdisant le dépôt de croix, emblèmes
religieux et autres autour du monument aux morts, le maire
de Fouilloy n'a pu avoir pour objet de rappeler les
dispositions de l'art. 28 de la loi du 9 déc. 1905 aux
termes desquelles : « il est interdit à l'avenir d'élever ou
d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments
publics ou en quelqu'emplacement public que ce soit, à
l'exception des édifices servant au culte, des terrains de
sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires
ainsi que des musées ou expositions » ; qu'en effet, il
résulte de la distinction même faite par le législateur
entre les « terrains de sépulture dans les cimetières » et
les « monuments funéraires » que cette dernière expression
s'applique à tous les monuments destinés à rappeler les
souvenirs des morts même s'ils ne recouvrent pas de
sépultures et quel que soit le lieu où ils sont érigés ;
que, par suite, le monument élevé à la mémoire des morts de
la guerre sur une place publique de la commune de Fouilloy
doit être considéré comme un monument funéraire au sens de
l'art. 28 précité de la loi du 9 déc. 1905 ; qu'ainsi,
l'apposition de signes ou emblèmes religieux sur ce monument
n'est pas interdite par ledit art. 28 de la loi du 9 déc.
1905 ;
Considérant, d'autre part, qu'il appartient aux maires, en
vertu des pouvoirs de police qu'ils tiennent de l'art. 97 de
la loi du 5 avr. 1884, d'édicter les mesures locales
nécessaires au maintien de l'ordre et de la tranquillité
publique, et notamment d'interdire si les circonstances
l'exigent l'apposition sur le monument aux morts d'une
commune d'emblèmes de nature à enlever à ce monument son
véritable caractère et à provoquer des troubles, mais qu'ils
ne peuvent sans excéder leurs pouvoirs, prohiber, ainsi que
l'a fait le maire de Fouilloy par l'art. 3 de l'arrêté
attaqué, le simple dépôt de croix, emblèmes religieux et
autres autour du monument aux morts et empêcher ainsi les
familles de rendre à ceux des leurs qui sont morts pour la
France un hommage de forme aussi normale et aussi
traditionnellement respectable ; que le sieur Guerle est, en
conséquence, fondé à demander l'annulation de l'art. 3 de
l'arrêté attaqué ;
ART. 1er. - L'arrêté susvisé du maire de Fouilloy, en date
du 12 nov. 1921, est annulé. »
Il résulte des termes de cet
arrêt, que si le préfet à l'autorité pour statuer sur l'érection
des monuments aux morts depuis 1922, il ne peut fonder un refus
sur la base de l'article 28 de la loi de 1905, puisque le
monument au mort doit être considéré « comme un monument
funéraire ».
Le journal La Croix a donc juridiquement raison dans le
cas de la commune de Bénaménil, le pouvoir d'interdiction ne
relevant pas du préfet mais du maire, même si le
monument est situé devant le cimetière dans un espace
public. |
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Encore qu'une éventuelle interdiction du maire ne concerne que
les places publiques. Ainsi, le cimetière communal n'étant pas
considéré comme une place publique, il est possible d'y apposer
tout emblème religieux sans contrevenir à la loi, et c'est pour
éviter toute controverse (dans un contexte de querelle
religieuse que la grande guerre a cependant interrompue et
amenuisée), que de nombreuses communes feront le
choix d'implanter leur monument aux morts dans le cimetière
communal.
Sur les 24 monuments du canton de Blâmont, sont concernés par la
présence d'une croix catholique (et non par la seule croix de
guerre) les monuments de :
-
Ancerviller, portant une
croix en façade ;
-
Autrepierre, situé à
l'intérieur du cimetière, et surplombé d'une croix ;
-
Fréménil, situé devant le
cimetière, et surplombé d'un christ en croix ;
-
Harbouey, situé dans le
cimetière, surplombé d'un christ en croix (mais ce calvaire
a été affecté à la fonction de
monument aux morts en 1900) ;
-
Reclonville, situé à
l'intérieur du cimetière, et surplombé d'un christ en croix
;
-
Repaix, portant une croix
en façade ;
-
Vého, situé dans le
cimetière, surplombé d'un christ en croix.
Comme on le voit, seuls les
monuments d'Ancerviller, Fréménil et Repaix présentent des
symboles religieux sur une place publique... et ont donc été à
ce titre autorisés, ou du moins non interdits, par le maire. |