Le Pays lorrain
N° 1 - janvier-Mars 1992
La renaissance de la
métallurgie dans le bassin de Nancy au XIXe siècle.
I. Les entreprises créées avant 1865
Lucien Geindre
[...]
Saint-Maurice, Blâmont
Christophe Batelot possédait à Saint-Maurice-lès-Badonviller,
vers 1810, une petite usine métallurgique composée d'un feu
d'affinerie, d'un marteau, d'une chaufferie et de deux
martinets, usine reconstruite en 1818 et pour laquelle il devait
acheter des gueuses de fonte à l'étranger.
C'est pourquoi il décida de créer un haut fourneau à un quart de
lieue plus loin, aux moulins de Sainte-Agathe (qui n'existent
plus aujourd'hui) sur le ruisseau de Bréménil. Le premier de
ceux-ci moulait le blé, le second, à deux tournants pilant le
chanvre, servirait à l'établissement du haut fourneau pour
lequel il était prévu une consommation annuelle de 4 000 stères
de bois à prendre dans les 8000 arpents de forêt que possédait
Batelot. Le minerai serait tiré des montagnes voisines, là où
les anciennes forges de Cirey (converties en verrerie)
s'approvisionnaient avant la Révolution. Mais, sur avis
défavorable des Eaux et Forêts, le maître de forges se vit
refuser, le 18 avril 1818, l'autorisation préfectorale demandée
et ne put construire son fourneau. Son usine ferma aux environs
de 1850.
En prairial an X, le citoyen Malherbe écrivait au préfet Marquis
que les forges autorisées à Cirey par lettres patentes de 1760
avaient ruiné leurs propriétaires en raison de leur éloignement
et de la mauvaise qualité du minerai.
A l'origine elles comptaient deux hauts fourneaux, cinq feux de
forge, une fenderie, une platinerie, une clouterie et un
chantier de modelage. En l'an II, il n'y avait plus qu'un
fourneau, allumé six mois par an, deux feux de forge et une
fenderie. On ne pouvait fabriquer du bon fer avec le minerai
contenant zinc, blende et cuivre.
Malherbe avait essayé de retrouver, dans la montagne, un ancien
filon, meilleur que celui alors exploité, mais il n'y était pas
parvenu. Il se décidait donc à abandonner le projet de faire «
rouler des forges à Cirey ». On avait déjà, durant la
Révolution, installé une papeterie et une brasserie dans une
partie des bâtiments (en l'an III) et gardé un feu de forge pour
fabriquer des outils, puis établi une verrerie livrant du verre
façon Bohême.
Batelot aurait donc risqué d'utiliser lui aussi un mauvais
minerai. La famille Batelot possédait aussi, depuis 1826, les
Forges de la Vezouze, au Moulin des Champs, à Blâmont,
établissement que l'annuaire départemental signalait comme «
manufacture de quincaillerie et gros instruments aratoires ». Un
rapport de l'ingénieur des Mines, de 1855, indique qu'elle
comprend deux usines :
- L'usine ancienne (dont le bâtiment porte encore la date de
1826) à 3 feux de chaufferie, 4 martinets sur 2 ordons
(charpente), 1 soufflerie (soufflets à piston carré de 1,05 m de
section).
- La nouvelle usine (1840) à 3 foyers et 2 martinets.
- L'aiguiserie à 3 meules- 2 roues hydrauliques.
L'ensemble peut livrer 120 000 pièces par an avec 50 ouvriers.
Le patron en est alors la veuve Batelot jeune, née Constance
Dufays. L'affaire marche bien et se développe. Mais, en 1894,
les héritiers l'arrêtent, malgré de nombreuses commandes. Sur
120 ouvriers, 26 sont licenciés le 29 avril et les autres dans
les trois mois suivants. M. d'Hausen, le directeur, héritier de
Batelot, est alors désigné comme « le type du hobereau
réactionnaire, hautain et indifférent au sort du personnel »
dans un rapport de police adressé au préfet. La société Gouvy de
Dieulouard, dans laquelle les d'Hausen ont des intérêts, se
porte acquéreur des matières premières, mais pas immédiatement,
semble-t-il, de l'usine. Toutefois, dans l'historique de cette
maison nous relevons la mention du rachat, en 1894, des forges
de Blâmont, dont elle reprend les brevets, les meilleurs
ouvriers et le matériel.
L'usine du Moulin des Champs est donc définitivement condamnée.
Les constructions encore existantes abritent aujourd'hui
l'exploitation agricole de M. Müller. En face d'elles se
dressent l'ancien château du maître et les logements des
ouvriers. Distant de 8 km, le village de Saint-Maurice porte
toujours l'épithète « aux Forges » et la vieille usine
transformée en scierie s'appelle encore la Forge. (M. Danichert). |