Revue générale des
sciences pures et appliquées
Éd. Doin (Paris)
15 juillet 1918
Dr P. CHAVIGNY - L'INVASION
DES RATS AUX TRANCHÉES PENDANT LA GUERRE DE 1914
SES CAUSES. - SES REMÈDES
PREMIÈRE PARTIE
Au début de la campagne de
1914, trois fléaux vinrent s'abattre presque en même temps sur
les armées françaises les Allemands, les rats et les poux.
Quelques semaines de campagne apprirent à nos troupes à lutter
efficacement contre les Allemands. On eut plus de peine à se
débarrasser des rats et des poux.
La pullulation extrême des rats inspirait tout d'abord des
craintes légitimes au point de vue épidémiologique et
infectieux: Le rat est en effet un des principaux propagateurs
du bacille pesteux ; la morsure du rat est le point de départ
d'une infection très particulière, le sokodu (1) ; le rat est
encore un récepteur de choix pour quelques microbes :
Saccharomyces tumefaciens, Sporotrichum. Enfin, récemment, on a
accusé aussi le rat d'égout d'être un réservoir de virus de la
spirochétose ictéro-hémorragique (2).
Les craintes épidémiologiques restèrent vaines, fort
heureusement; il n'en fallut pas moins organiser une lutte
acharnée contre les rats, devenus bientôt, en raison de leur
extrême abondance, un fléau des tranchées.
Nos soldats souffraient réellement de l'incessante persécution
de ces rats qui, innombrables, ne respectaient plus rien,
dévoraient les provisions jusque dans les musettes, dans les
poches même, rongeaient les vêtements, le linge, les chaussures,
réveillaient les dormeurs sur la figure desquels ils venaient se
promener, leur mordillant même parfois les mains ou les
oreilles. Leur audace ne connaissait aucune borne. Les cris de
bataille entre les mâles, le bruit que font ces animaux en
rongeant le bois, la répugnance instinctive et profonde que
certaines personnes ressentent pour ces animaux achevaient de
troubler le repos de soldats qui en avaient pourtant grand
besoin.
Un médecin me disait Le bombardement m'est égal, mais je
déserterais plutôt que de vivre dans un local infesté de rats.
Chargé de tout ce qui concerne l'hygiène du combattant, le
Service de Santé pouvait paraître naturellement désigné pour
étudier et appliquer les procédés de destructions des rats. Or,
cette attribution fut peut-être une des causes de l'échec
indiscutable auquel on aboutit. Malgré l'organisation d'équipes
de dératisation pourvues des moyens les plus savants, les plus
modernes de destruction, les rats continuèrent à pulluler; et,
aux tranchées, les combattants en furent réduits à s'y habituer.
Si l'on veut bien s'abstraire de l'ambiance médicale
prédominante, il semble que cela s'explique. Les médecins, tout
imprégnés dans leur mentalité par les doctrines pastoriennes,
n'étaient guère capables d'envisager et d'étudier une question
d'hygiène autrement que sous l'aspect d'un problème de
bactériologie. Leur déformation professionnelle est trop
complète. Ils s'adressèrent à l'Institut Pasteur et on sait quel
fut le succès des méthodes préconisées par celui-ci. En réalité,
il s'agissait d'une question de Zoologie générale et c'était
strictement à ce point de vue que le cas devait être analysé; la
présente étude en est tout entière la démonstration. Prétendre à
détruire un animal dont on connaissait mal les mœurs était une
oeuvre irréalisable, vouée d'avance à l'échec.
Quelques-uns de ceux qui avaient charge de détruire les rats
étaient, au sujet de l'histoire naturelle de ces animaux, d'une
ignorance vraiment stupéfiante, décevante : Un chef d'équipe de
dératisation auquel on demandait De quelle sorte sont les rats
auxquels vous avez affaire ? répondit sans hésiter : Il y en a
des gros, des moyens et des petits. C'était tout ce qu'il en
savait. Vraiment, dans la lutte ainsi comprise, les rats avaient
la partie belle. Ils devaient l'emporter et c'est ce qui eut
lieu.
Si d'un esprit attentif et exempt d'idées préconçues on étudie
les mœurs des rats, on trouve dans leurs habitudes alimentaires,
dans les lois de leur reproduction, une série de notions encore
trop peu connues, qui expliquent la pullulation des rats aux
armées en campagne et qui doivent obligatoirement guider
l'hygiéniste dans le choix des mesures prophylactiques à opposer
au développement de ce fléau. Cette étude doit avoir pour base
l'observation directe, l'expérimentation. Elle ne doit accepter
que bien rarement et sous contrôle immédiat les notions
courantes, celles que le public possède sur ces questions.
Presque toutes les notions de notoriété publique en ces
questions sont fondées sur des on-dit dépourvus de la moindre
valeur. Au cours de mes tournées journalières aux tranchées,
j'interrogeais inlassablement les uns et les autres au sujet des
rats et j'étais souvent stupéfait des réponses qui m'étaient
fournies avec une conviction déconcertante. J'ai éliminé de mon
récit toutes ces sornettes, produit de l'imagination dépourvue
de toute critique.
I. - HISTORIQUE
II est de notion courante en hygiène militaire n que les armées
en campagne ont toujours été en butte à une véritable
persécution due au développement excessif des rats dans les
cantonnements.
Peu importe la valeur historique à attribuer au fait rapporté
dans l'Ecriture, d'après laquelle le mulot d'Egypte aurait causé
la perte de l'armée de Sennachérib en dévorant pendant la nuit
toutes les cordes des arcs et toutes les courroies des boucliers
assyriens. Ce qu'il faut en retenir, c'est la notion si ancienne
de constatation du fléau constitué par les rats aux armées en
campagne.
Divers mémoires d'écrivains militaires retracent mention
identique.
Au début de la campagne de 1914, l'invasion des tranchées par
les rats a été assez rapide. Cependant, rien ne permet de
l'attribuer à une émigration de ces animaux qui seraient venus
d'un autre endroit pour s'y établir. Cela n'a nulle part revêtu
le caractère d'une invasion massive, instantanée; c'était,
a-t-il semblé, une pullulation sur place, mais pullulation d'une
rapidité vraiment incroyable. Nombre de témoignages établissent
que cette pullulation a commencé dès que la stabilisation des
lignes se fut produite, au moment précis où la guerre de
tranchées a succédé à la guerre de mouvement, par conséquent à
une date postérieure au mois de septembre 1914.
Malgré une différence profonde dans leur façon de comprendre et
d'appliquer les règles de l'hygiène sociale, individuelle et
militaire, les armées anglaises, tout comme les armées
françaises, ont connu l'invasion par les rats et en ont
souffert. Il est vrai de noter que les troupes anglaises
venaient progressivement occuper des secteurs tenus par les
Français et déjà envahis par les rongeurs.
Les troupes italiennes ont également pâti de la pullulation des
rats. Ces animaux leur furent particulièrement pénibles pendant
les mois durant lesquels elles eurent à tenir des tranchées sur
le Carso, pendant les périodes où l'alimentation était
abondante. Elles les virent presque complètement disparaitre
lorsque, après leur retraite du mois de septembre 1917, elles
vinrent s'établir plus en arrière dans des contrées où elles ne
reçurent plus qu'une ration plus strictement mesurée.
Au Maroc où, habituellement, les rats sont abondants dans les
agglomérations indigènes et autour des magasins de l'Intendance,
il n'y a pas eu, depuis 1914, de multiplication anormale du
nombre des rats. En colonnes, dans les camps mobiles, les rats
sont à peu près inconnus. Dans les postes-fixes-blockhaus, les
rats apparaissent dans les 4 ou 5 mois qui suivent leur
construction (Médecin-major Colleye).
Tout ceci constitue encore une preuve manifeste de ce que le rat
est bien spécialement le fléau des armées en guerre de position
(siège, tranchées).
II. - LIMITATION DE L'INVASION PAR LES RATS A LA RÉGION DES
TRANCHÉES
Les rats ont pullulé à l'excès dans toutes les régions de
l'extrême front-avant, là où des troupes nombreuses étaient
cantonnées, logées dans des conditions d'hygiène sommaire. La
zone de cette pullulation ne dépassait guère une bande de
terrain d'une dizaine de kilomètres de largeur. Même lorsque des
villages, de petites villes abandonnés par la population civile
se trouvaient occupés par des troupes, tout près de la zone des
tranchées, les rats ne s'y montraient pas trop nombreux, parce
que ces villages conservaient encore un rudiment des
installations hygiéniques du temps de paix.
Dans les villages tout à fait déserts, abandonnés de leurs
habitants et non occupés par la troupe, même en pleine zone de
tranchées, les rats étaient rares. Pour schématiser les choses,
on peut dire que les rats étaient les inséparables compagnons du
soldat aux tranchées et qu'ils se localisaient depuis la région
des cuisines roulantes jusqu'aux premières lignes.
Voici à ce sujet un fait bien caractéristique : Dans le village
d'Ancervillers, vide de ses habitants, dans aucune maison,
pourtant soigneusement visitée, on ne retrouve aucune trace de
crottes de rats, témoignage constant de leur présence. Par
contre, dans une des maisons de ce pays, dans une seule, les
cuisines roulantes d'un bataillon d'infanterie avaient été
installées. Les cuisiniers se plaignaient de ce que cette maison
fût rendue inhabitable par le nombre des rats qui y avaient élu
domicile. En fait, dans toutes les chambres de cette maison, les
crottes étaient innombrables. Cette localisation si stricte dans
une maison déterminée d'un village, auprès de la cuisine, auprès
des provisions, a une signification qu'il faut retenir.
A quelque distance de Tahure, une ambulance vient s'installer
sur un terrain de culture, loin des habitations. Les premiers
jours, il n'y existait aucun rat. Quelques jours plus tard, les
rats font leur apparition dans l'ambulance, et bientôt ils s'y
montrent aussi nombreux, aussi insupportables que dans les
formations voisines.
Cette invasion générale des rats aux tranchées était en relation
étroite avec les conditions de la vie des troupes dans la zone
de l'avant. C'est dans une analyse serrée des conditions
particulières à cette région, des habitudes ou des défauts de
ceux qui y habitaient qu'il fallait rechercher l'explication du
fait anormal qu'on y observait.
Toute cause d'ordre général devait être fatalement éliminée
d'emblée impossible d'invoquer l'influence de l'année, d'une
saison plus particulièrement chaude ou même du hasard. Il y
avait bien une cause locale et il fallait la préciser.
Entreprendre la lutte contre les rats sans connaître cette cause
de leur développement, c'était agir en aveugle et fatalement
courir à un échec.
Il faut bien retenir que cette extraordinaire multiplication des
rats aux tranchées ne correspondait nullement à une invasion
générale des campagnes ou des villes parles rongeurs. Dans
certaines contrées, certaines années, les rongeurs deviennent
incroyablement nombreux sous l'influence de causes mal
déterminées encore, et ces invasions sont bien connues à la
campagne où elles ruinent les récoltes. En 1904, par exemple,
des millions d'hectares de cultures et de bois avaient été
ravagés par ces rongeurs devenus légion dans l'Ouest de la
France (Charentes, Deux-Sèvres, etc.). En 1911, c'était le tour
du Soissonnais. En 1913, le fléau se manifestait de nouveau en
Charente-Inférieure. On le retrouvait, mais à un degré moindre,
en Normandie, où les rongeurs s'étaient montrés plus nombreux
que de coutume. Au contraire, en 1914 et pendant les années
suivantes, en France, le nombre des rongeurs des champs resta
presque normal, et, dans son rapport à la Commission de
l'Agriculture de la Chambre en 1914, M. Perrier signalait encore
la présence des campagnols en divers départements.
Notons de suite que la pullulation des rongeurs des champs et
des bois n'a qu'un rapport bien indirect avec celle des rongeurs
des tranchées, puisqu'il s'agit d'espèces animales absolument
distinctes. Les désastres agricoles sont provoqués par les
mulots, les campagnols, qui ne fréquentent jamais l'habitation
humaine.
Dans les contrées dont les champs, les exploitations agricoles
sont ravagées par les rats, la distinction est assez facile à
faire.
Une notion épidémiologique intéressante, concernant la suette
miliaire, vient confirmer cette idée, de la répartition stricte
et exclusive des rats en rats des villes et en rats des champs.
Chantemesse, Marchoux et Haury, ayant remarqué que la suette
arrêtait ses ravages épidémiques aux portes des villes,
rappelaient que là aussi s'arrêtait l'habitat du campagnol,
auquel ils attribuaient un rôle important dans la diffusion de
la maladie (3).
Pourtant, ces notions d'habitat strict des diverses espèces de
rongeurs de la famille des
Muridés ne sont pas encore acceptées par tous ou peut-être ne
sont-elles pas suffisamment connues. Ainsi, Strickland (4) admet
que le Mus Decumanus est surtout un rat des champs, un rat
sauvage, tandis que le Mus Rattus serait le rat de ville,
semi-domestique. Cette distinction est loin d'être d'accord avec
les données admises par la plupart des naturalistes et qu'il est
facile d'ailleurs de contrôler soi-même.
Dans la zone voisine des tranchées, il y a eu parfois
pullulation de certaines espèces de rats des champs. Ainsi, j'ai
eu occasion de constater, au cours des années 1915 et 1916, une
multiplication anormale du rat des champs (Mus Sylvaticus) dans
les environs de Nancy, particulièrement vers le village de
Hoéville. Dans les champs, où les récoltes de l'année précédente
étaient restées sur pied, ces rats se multiplièrent à un degré
véritablement incroyable. En plein jour, la surface du sol
semblait mouvante, tant était formidable le nombre de ces
rongeurs; autour de toutes les mottes de terre le passage
incessant de leurs allées et venues avait créé de véritables
sentiers, des couloirs de terre battue. Aucune mesure de
destruction ne fut prise à l'encontre de ces rats des champs et
leur disparition fut aussi rapide que l'avait été leur
apparition.
Dans les champs demeurés incultes, ces rats ne trouvèrent plus
la nourriture dont ils avaient besoin, et dès l'été 1917 ils
avaient absolument disparu de ces régions qu'ils avaient
dévastées les années précédentes.
III. - ESPÈCES DE RATS QUI ONT PARTICIPÉ A L'ENVAHISSEMENT DES
TRANCHÉES
Il est couramment admis en Zoologie que, depuis le milieu du
siècle dernier, le rat noir a disparu de l'Europe devant son
concurrent, mieux adapté, le surmulot, venu des régions
caspiennes (5). En réalité, le rat noir n'a pas disparu, mais il
s'est partagé avec le surmulot le parasitisme de nos
habitations. Chacune de ces espèces a choisi les conditions qui
convenaient le mieux à ses habitudes, à ses nécessités
d'existence. Le rat noir réside dans les parties supérieures de
nos habitations, dans les greniers, dans les combles, dans les
parties sèches. Le surmulot, au contraire, habite la cave; il
s'installe près des cuisines, dans les sous-sols, dans toutes
les parties humides; il pullule dans les égouts, dans les
abattoirs. Jamais d'ailleurs ces deux espèces animales ne
s'écartent de nos habitations ou de leurs dépendances. Si
parfois on rencontre le surmulot à quelque distance des maisons,
c'est parce qu'il suit le tracé des égouts jusqu'à leur débouché
dans les cours d'eau voisins, et s'y nourrit de tous les
détritus qui passent.
L'espèce qui prédominait absolument aux tranchées était le
surmulot (Mus decumanus, Mus ou Epimys norgevicus).
Les caractères spécifiques de cet animal sont les suivants
Pelage de la région dorsale d'un brun roux, ventre gris clair ou
blanchâtre; pieds presque nus, couleur chair; les oreilles
mesurent un tiers de la longueur de la tête. La queue, plus
courte que le corps, est garnie de 200 à 210 anneaux; enfin, les
plis du palais sont verruqueux.
A titre presque exceptionnel, beaucoup plus rarement que le
surmulot, on rencontrait également aux tranchées le rat noir
(Mus rattus). On m'en a procuré plusieurs échantillons capturés
aux tranchées des villages voisins du Bois-le-Prêtre. Ce rat
noir occupait parfois les mêmes portions de tranchées que le
surmulot, mais il habitait de préférence les tranchées sèches,
ce qui expliquait bien naturellement sa rareté relative.
Le rat noir a le pelage dorsal d'un gris très foncé avec des
reflets presque noirâtres. (Souvent les troupiers m'avaient dit
avoir vu et capturé des « rats bleus »). Les poils de la région
ventrale sont de couleur cendrée foncée. Les pieds sont
noirâtres, les doigts semés de poils blanchâtres. Les oreilles
ont une longueur qui dépasse la moitié de celle de la tête; la
queue plus longue que le corps, porte de 250 à 280 anneaux. Les
plis transversaux du palais sont lisses. Pour l'étude de la
biologie de ces animaux, il a fallu, en général, en captivité,
recourir aux renseignements fournis par le rat blanc, espèce de
laboratoire autrement maniable, car en captivité, le rat noir,
et surtout le surmulot, sont des adversaires avec la férocité
desquels il faut compter. En outre, toutes les questions de
reproduction en captivité ne peuvent s'étudier que sur le rat
blanc, puisque le rat noir et le surmulot restent habituellement
stériles quand on les a mis en cage.
D'après les renseignements obligeamment fournis par MM. les
Professeurs E. Perrier et Trouessart (du Muséum), ainsi que par
M. Prévot (chargé de l'élevage des animaux à l'Institut Pasteur
à Garches), il semble bien que le rat blanc couramment rencontré
dans le commerce soit simplement une race albinos
héréditairement fixée par l'élevage en domesticité. On rencontre
indifféremment dans les laboratoires, paraît-il, soit la variété
albinos du rat noir, soit la variété albinos du surmulot; à
défaut des autres caractères devenus indistincts, le moyen de
reconnaître l'espèce à laquelle ces albinos se rattachent
originairement consiste à peu près exclusivement dans l'examen
des plis du palais et dans la numération des écailles de la
queue.
Les rats albinos qui ont servi à mes expériences de laboratoire
en 1917 étaient des surmulots blancs.
IV. - ÉTUDE DU RAT EN CAPTIVITÉ
Le rat noir et le surmulot peuvent se conserver longtemps en
captivité pourvu qu'on leur fournisse une nourriture appropriée
et suffisamment abondante. Le rat blanc, à l'inverse des deux
autres, se reproduit aisément en captivité.
Pour éviter que les jeunes rats blancs des élevages ne
s'échappent des cages, il suffit de placer les mères, sur le
point de mettre bas, dans des cages pourvues de grillage à
mailles de 13 ou 16 millimètres; le calibre de ces mailles ne
permet pas aux jeunes de les traverser quand ils commencent à
sortir du nid. Pour les cages d'adultes, on peut adopter le
grillage à mailles de 19 et même de 22 millimètres (6).
Quand on veut garder longtemps en captivité des rats noirs ou
des surmulots, il est bon de les placer dans des cages qui
communiquent chacune de l'une à la suivante par des trappes à
coulisse. On peut ainsi opérer aisément le nettoyage de chaque
cage en faisant passer alternativement les animaux captifs dans
la cage voisine. A défaut de cette précaution, on risque de
rencontrer de grandes difficultés dans l'entretien des cages, le
surmulot et le rat noir étant très habiles à s'échapper dès que
la porte de leur cage est entrouverte. C'est une installation à
prévoir à l'avance, avant le début de toute expérience.
Il ne semble pas que la captivité, même prolongée (expérience
portant sur quatre mois), modifie en rien le caractère, les
habitudes ni même l'intelligence du rat noir ou du surmulot.
Le rat blanc, très maniable à la main de l'homme qui le prend
doucement, a cependant conservé ses instincts de défense à
l'égard de ses ennemis. J'ai vu un rat blanc sauter résolument
au museau d'un chien qui s'approchait de lui avec des
manifestations hostiles.
1. Organes des sens. Une grande partie des mœurs et des
habitudes des espèces animales tiennent au degré de
développement relatif et à l'acuité de leurs organes des sens.
Chez le rat blanc, avec lequel des constatations d'acuité
visuelle ou de finesse d'odorat sont beaucoup aisées et plus
précises, on peut affirmer que l'odorat est très peu développé.
D'ailleurs, chez cet animal, la vue ne paraît guère plus que
l'odorat l'aider à la recherche de sa nourriture Sur une table
on place un morceau de viande, en ayant soin qu'il ne soit pas
voisin de l'un des bords, puis sur cette table on lâche un rat
blanc à jeun depuis 24 heures. L'animal met un temps très long à
trouver le morceau de viande, à le happer. Manifestement, il ne
s'en empare qu'au moment où le hasard de ses allées et venues le
fait passer presque au contact du morceau de viande.
En ce qui concerne la vision très défectueuse du rat blanc, en
plein jour, on pourrait être tenté de penser que l'absence des
pigments oculaires en est la cause et que le rat est aveuglé par
la lumière diurne. Pourtant, M. le Dr' Dor, qui a fait des
recherches sur la rétine des rats blancs, a constaté que chez
ceux-ci le pigment des franges rétiniennes était conservé.
Le rat noir et le surmulot paraissent avoir une vision meilleure
que-celle du rat blanc, surtout dans l'obscurité : Par exemple,
si exiguë que soit l'entrée du trou dans lequel ils se réfugient
en cas de danger menaçant, ces animaux en retrouvent
instantanément l'orifice.
Des manifestations presque innombrables d'une intelligence,
d'une astuce vraiment surprenantes ont été observées chez le rat
noir et le surmulot, surtout en tout ce qui concerne le souci
d'assurer leur alimentation et de se préserver du danger. Ils
sont particulièrement avisés quand il s'agit de se rendre compte
du mécanisme d'un piège qui les retient prisonniers. Ou encore
là où, pour la deuxième ou la troisième fois, on place des
tartines recouvertes de mort-aux-rats sur une de leurs faces,
les rats retournent la tartine et grignotent toute la face non
recouverte du toxique.
Parmi les moyens de défense du rat retenu prisonnier, il en est
un qui est certainement original et dont le rat blanc a conservé
le secret tout comme ses ancêtres de race libre. Si on prend un
rat par l'extrémité de la queue et qu'on le tienne ainsi
suspendu dans l'espace, l'animal trouve le moyen d'imprimer à
son corps un mouvement de rotation rapide; la torsion de la
queue arrive bientôt à provoquer la rupture de celle-ci, avec
sacrifice de quelques lambeaux détendons. A ce prix, l'animal
recouvre sa liberté.
2. Repos diurne. Activité nocturne. Le rat et le surmulot sont
des animaux nocturnes. Ils dorment ou somnolent dans leur trou
pendant toute la durée de la journée et en sortent à la nuit
tombante, quand la période du travail humain cesse. L'activité
nocturne de ces rongeurs rend leur présence tout à fait pénible
aux tranchées parce qu'ils troublent, empêchent tout sommeil
dans les abris où ils circulent en grand nombre; mais aussi la
nuit est-elle la période favorable quand on veut les chasser,
les détruire.
3. Résistance aux parasites. Les rats sont d'une résistance
incroyable au parasitisme. Ainsi, pour les trypanosomiases, le
rat ne manifeste aucun trouble apparent de la santé, même quand
son sang est infesté à tel point que les parasites y sont aussi
nombreux que les hématies. On sait d'ailleurs que le rat blanc,
malgré ses facilités de manipulation et d'élevage, reste à peu
près sans emploi dans les laboratoires de bactériologie, parce
qu'il est trop réfractaire à l'action de la plupart des germes
pathogènes. (7)
4. Longévité. D'après des renseignements recueillis de divers
côtés, il semble que le rat blanc vive environ de deux à trois
ans. Vers la fin de leur existence, les femelles deviennent un
peu moins prolifiques, tandis que les mâles restent de bons
reproducteurs jusqu'à la fin, Il est probable que la longévité
des surmulots et des rats noirs est sensiblement la même que
celle du rat blanc, sans que j'aie pu trouver de renseignements
précis cet égard.
5. Lutte entre espèces. Sous certaines conditions de sexe, le
rat noir et le surmulot se tolèrent fort bien et vivent ensemble
dans la même cage, même exiguë, sans s'attaquer, pourvu que la
nourriture soit abondante.
On peut placer dans la même cage un rat noir et un surmulot,
pourvu qu'ils soient de sexe différent, ou encore l'un
quelconque des précédents avec un surmulot blanc, mais toujours
à condition que le sexe diffère. Deux mâles, ou de même espèce
ou d'espèce différente, se battent jusqu'à la mort, tandis que
deux femelles vivent en bonne intelligence.
Par contre, une souris placée dans la cage d'un surmulot est
immédiatement attaquée, étranglée et dévorée. En liberté
pourtant, la concurrence alimentaire ne semble pas mettre aux
prises les surmulots et les souris. Il est fréquent de
rencontrer les deux espèces se perpétuant dans une même maison.
V. - ALIMENTATION
1. Régime alimentaire. Le surmulot, le rat noir sont des
commensaux stricts de l'homme. Ils se nourrissent des mêmes
substances alimentaires que lui, de celles qu'il a accumulées,
préparées pour son usage, de celles qui restent comme détritus
de sa cuisine, comme déchets de sa table. Aucune autre
nourriture ne leur convient, ne leur permet de se sustenter.
Cette adaptation si nettement limitée à des conditions très
précises de vie domine toute l'histoire de ces animaux. Elle
conditionne leur reproduction, leur pullulation, leurs
invasions. C'est un fait qui ne semble pas jusqu'ici avoir été
suffisamment mis en relief. Il mérite pourtant qu'on le précise,
qu'on s'y arrête, qu'on en fasse la démonstration bien complète,
qu'on s'en persuade, car c'est l'idée fondamentale qui devra
servir de point de départ dans la lutte contre ces animaux.
Cette idée est en contradiction avec des notions courantes
considérées comme bien établies, presque indiscutables, Un des
travaux les plus documentés et les mieux faits sur la biologie
des surmulots, celui de Lantz, donne une longue liste des divers
objets qui servent de nourriture aux rats (8). D'après Lantz, le
surmulot, presque omnivore, mange deux onces de nourriture tout
à fait quelconque par jour (9) (l'animal demi-adulte mangeant
déjà comme un adulte).
Selon lui, un surmulot consommerait de 45 à 50 livres anglaises
de grain par an. Le surmulot, dit encore Lantz, dévore des
poulets et leurs œufs, détruit le gibier, mange des fruits, des
légumes, du café, des dattes, des oranges, du cacao il ronge les
vignes cultivées dans les serres, les draps, les vêtements, les
livres recouverts de peau; il est friand de colle, il attaque
volontiers les harnais, surtout quand ils sont usagés ; il
dévore aussi les rideaux, soit en soie, soit en coton, les
tapis, etc., etc.
Cette liste est à la fois incomplète et inexacte : Elle est
incomplète, car le rat s'attaque sans exception à toutes les
substances sur lesquelles ses dents sont capables de faire
prise. Elle est surtout inexacte parce qu'on a confondu gâcher,
ronger et manger. Or, le rat est un terrible gâcheur. Poussé par
un besoin irrésistible, il ronge sans cesse et indistinctement
tous les objets qui tombent à portée de sa dent redoutable.
Cependant, son régime est loin d'être quelconque. En réalité, le
rat noir comme le surmulot sont omnivores, mais au sens étroit
que ce mot comporte pour l'homme. Il leur faut les mêmes
aliments que lui, il les leur faut sous les mêmes formes. On
pourrait presque dire qu'ils ont besoin de la même cuisine. Le
rat mange à la même table que l'homme. En général, il mange
après lui, se contentant de ses restes.
Le rapprochement est curieux à faire, de l'homme au rat, entre
deux espèces animales dont le type dentaire est aussi différent.
L'une des premières particularités qui dominent la question
alimentaire du rat, c'est, pour celui-ci, la nécessité absolue
de manger souvent, de manger beaucoup. Le rat meurt très vite
d'inanition. Par exemple, un surmulot jusque-là grassement
nourri est placé le 16 mai dans une cage d'isolement où il est
soumis à la diète absolue d'aliments et de boisson. Il cherche,
s'agite, tourne. Le 18 à midi, il paraît encore aussi vif qu'au
début. A 3 heures de l'après midi, le même jour, il semble
abattu, et à 5 heures, il est mort.
Le surmulot est un animal qui absorbe avec sa nourriture une
grande quantité de liquide : l'eau lui est nécessaire. On
pouvait alors se demander si, dans l'expérience précédente,
l'animal était mort de faim ou de soif. Donc, parallèlement, un
autre surmulot avait été isolé dans une autre cage, sans aucun
aliment, mais avec de l'eau à discrétion (16 mai à midi}.
L'animal boit avec avidité, et il meurt le surlendemain, 18 mai,
à trois heures de l'après-midi, assez brusquement aussi. C'est
donc bien l'inanition qui est la raison de la mort rapide dans
ces expériences. Le surmulot meurt donc très vite d'inanition.
Cela se comprend, car l'animal, relativement au poids de son
corps, absorbe chaque jour une proportion considérable
d'aliments. D'après Lantz, un surmulot adulte dévorerait chaque
jour 57 grammes de nourriture. Pour un poids moyen de 140 gr.
qui est le poids d'un surmulot adulte, une ration journalière de
57 gr. est dans la relation de 1 à 2,4. Si l'on rapportait la
même proportion au poids d'un adulte-homme, celui-ci devrait
absorber chaque jour 33 kilogs de nourriture. Ces chiffres
représentent donc une digestion journalière d'une intensité
presque incroyable. Les chiffres de Lantz paraissent d'ailleurs
un peu exagérés, et j'ai pu conserver des surmulots en bon état
avec une ration d'entretien de 30 à 40 gr., ce qui représente
encore un coefficient de nutrition très élevé.
Ce besoin d'une nourriture abondante conduit les rats à
s'entre-dévorer quand on en abandonne plusieurs dans une cage
sans nourriture. Ils engagent presque aussitôt la bataille pour
la vie, pour la viande. Des soldats avaient fait l'expérience en
laissant 8 rats dans une cage. Le huitième jour, il n'en restait
plus qu'un et encore était-il sérieusement blessé.
Les données zoologiques courantes nous ont habitués à déduire le
régime alimentaire d'un animal de sa formule dentaire. Cette
conception, extrêmement simpliste, est presque fausse en
pratique. Dominé en gros par la formule dentaire, le régime de
toute espèce animale est conditionné dans le détail par des
habitudes très strictes auxquelles l'animal ne peut déroger sous
peine d'une mort rapide. Par exemple, l'écureuil et le surmulot
sont bien effectivement deux rongeurs de formule dentaire
identique or chacun d'eux mourrait rapidement d'inanition si on
prétendait le soumettre au régime alimentaire de l'autre espèce.
Même entre les rongeurs, et entre des espèces qui nous
paraissent très pareilles, la Zoologie connait des différences
portant précisément sur la dentition. Ainsi, chez le campagnol (Arvicolien),
les molaires sont dépourvues de racines et par conséquent
continuent à croître pendant toute la vie, tandis que chez les
Muséides (rats omnivores), les molaires, pourvues de racines,
cessent de croître dès qu'elles sont complètement formées.
Les recherches sur le régime alimentaire exact du surmulot et du
rat sont plus difficiles à réaliser qu'il pourrait le sembler à
première vue. Il y a en effet des différences individuelles qui
viennent troubler les résultats. Assez souvent, dans une cage
contenant par exemple une dizaine d'animaux, qu'on nourrit d'une
façon identique, si, un jour quelconque, on substitue à la
ration habituelle un aliment imprévu dont on veut connaître la
valeur alimentaire, on constate qu'un ou deux de ces animaux du
lot tentent franchement de s'en nourrir, tandis que les autres
s'y refusent. Il faut donc faire des expériences répétées et
déduire les résultats d'une série de moyennes.
D'expériences ainsi conduites et multipliées qui ont été faites
avec la collaboration de M. le Médecin-Major Laurens, il résulte
que le surmulot, contrairement à l'opinion reçue, a un régime
alimentaire très étroit. Ce sont des animaux beaucoup plus
difficiles qu'on ne le croirait. C'est ainsi qu'ils mangent la
mie du pain et laissent la croûte ; il faut qu'ils soient
pressés par une faim extrême pour y toucher. Des rats
dépérissent, ayant à côté d'eux des croûtes sèches dans leur
mangeoire.
Rats noirs et surmulots mangent volontiers le riz cuit, le
poisson cuit, le fromage, le lard surtout quand il est grillé,
les pommes de terre quand elles sont cuites, les carottes
(cuites), un peu des divers fruits de table (poires, mirabelles,
pommes), les diverses salades crues, les pâtes cuites, les
choux. Dans un melon, ils dévorent la chair, laissant de côté
l'écorce. Ils croquent volontiers le sucre et le chocolat (10).
Rats et surmulots mangent volontiers de la viande,
principalement de la viande cuite, bien que cette nourriture
paraisse fort peu en rapport avec leur dentition. Ils mangent
parfois de la viande crue, mais c'est pour eux un aliment de
nécessité et non de choix.
Constamment ils délaissent les navets, les raves, le pissenlit;
ils grignotent l'avoine, mais dépérissent s'ils n'ont pas
d'autre nourriture. Quand on leur donne un morceau de viande un
peu putréfiée, ils mangent les parties restées saines et
délaissent le reste.
Ils ne touchent pas à l'orge.
Un rat nourri pendant quelques jours exclusivement avec des
fruits de table meurt d'inanition.
Un rat meurt d'inanition plutôt que de dévorer des vers blancs
mis à sa disposition dans sa mangeoire. Si l'on essaie de
nourrir exclusivement ces animaux avec l'une des substances peu
alimentaires qu'ils rongent volontiers, cuir, drap, étoffes,
bois, etc., on constate que le rat ou le surmulot en expérience
meurt dans le même délai exactement que s'il était privé de
toute nourriture. Ces substances n'ont donc pour lui aucune
valeur alimentaire. En usant de cette méthode expérimentale
d'alimentation, on constate d'abord, non sans étonnement, que le
surmulot n'est même pas un animal granivore. Nous avons dit déjà
qu'il meurt de faim à côté d'une provision d'orge et il ne mange
le blé qu'à défaut de toute autre chose. II est même incapable
de se nourrir couramment, en les consommant à l'état cru, de la
plupart des légumes et des fruits qui poussent dans nos jardins
et dans nos champs. Des carottes crues, des pommes de terre
crues, des salades, etc., retardent chez lui la mort par
inanition et ne l'empêchent pas. Entre tous les produits de nos
champs et jardins, il ne pourrait tirer quelque profit
alimentaire que de certains de nos fruits de table, bien maigre
butin, et surtout bien transitoire au cours de l'année.
Privé de sa nourriture normale, le rat cherche à tromper sa faim
en rongeant tout ce qu'il trouve. Cela cause des incertitudes et
des erreurs d'expérience. Il faut répartir les aliments en deux
classes ceux avec lesquels on peut continuer à maintenir
l'animal en bon état, avec son poids normal, et ceux d'autre
part à côté desquels il meurt d'inanition au bout d'un certain
temps, bien qu'il les ronge avec avidité. Par tous ceux qui ont
habité les tranchées, on a entendu raconter avec quelle
prestesse les rats s'emparaient du savon et de la bougie.
Pourtant ces substances ne constituent jamais pour eux un
aliment de quelque valeur. Toutes les fois que du savon ou de la
bougie étaient distribués dans les cages, ils n'étaient mangés
qu'à la dernière extrémité, quand les autres aliments faisaient
défaut. On peut parfois cependant à tort croire que les rats en
sont très friands. Dès que le morceau de savon est jeté dans la
cage, un rat s'en empare et le grignote un autre immédiatement
se précipite et le lui enlève. Ce jeu continue et bientôt le
morceau de savon a été attaqué par tous, mais ils s'en dégoûtent
vite et, en fin de compte, le savon reste sur le sol de la cage,
à peine diminué de volume. Il en est de même pour la bougie.
On entend dire parfois que les rats abondent autour des
feuillées. Rien ne permet pourtant de croire que le rat trouve
dans les matières fécales humaines une nourriture qui puisse lui
suffire. Son tube intestinal est trop pareil à celui de l'homme
pour pouvoir en être complémentaire. Les restes de notre
digestion ne le nourriraient pas.
On sait que le rat s'attaque aux cadavres. Dans les
amphithéâtres, dans les morgues, on constate très souvent que
les cadavres ont été partiellement rongés par les rats, mais
l'attaque est presque toujours extrêmement localisée. Les
surmulots vident les orbites de leur contenu, ils dévorent les
parties adipeuses des oreilles, parfois les lobes graisseux du
visage, vers l'arcade zygomatique. Il faut des conditions
spéciales pour que les rats poussent plus loin leurs dégâts sur
les cadavres. Le cadavre n'est pour le rat qu'un aliment de
nécessité vers lequel son instinct et son flair ne l'attirent
guère. On peut s'en convaincre en constatant que les cimetières
militaires du temps de guerre, avec leurs cadavres sommairement
ensevelis, à profondeur restreinte, ne sont pas d'ordinaire
bouleversés parles rats ni par leurs galeries.
Sur le champ de bataille, on sait que les cadavres abandonnés
sont assez souvent dévorés par les rats, et, quand on déplace un
de ces cadavres, il n'est pas rare de voir s'échapper quatre ou
cinq rats qui, sous celui-ci, trouvaient le gite et le couvert.
Mais un vieil axiome affirme que le rat nourri de cadavres en
meurt bientôt. Souvent, en effet, on trouve des rats crevés sous
les cadavres du champ de bataille.
Puisque la nourriture du rat est si strictement limitée à un lot
de substances seules capables de le nourrir, on pourrait se
demander pourquoi le rat ronge, grignote, détruit un si grand
nombre, une si grande variété de matières qui ne sont nullement
assimilables par son intestin. Il y a là un problème dont la
solution n'apparaît guère. Des expériences seraient nécessaires
sur ce point. Peut-être pourrait-on faire un rapprochement avec
une constatation due à Dehne. D'après celui-ci, quand on
conserve pendant un certain temps des rats en captivité, privés
de substances qu'ils puissent ronger sans arrêt, ces animaux
verraient bientôt leurs incisives s'allonger démesurément et
percer même les joues. Ce fait a été répété par beaucoup
d'auteurs qui ont vu cet accident se produire quand, l'une des
incisives ayant été cassée par une cause fortuite, l'incisive
opposée à celle qui manque pousse indéfiniment n'étant plus usée
contre l'autre. Mais quant à la croissance indéfinie des
incisives chez les animaux simplement conservés en cage, il y a
là quelque chose que je n'ai jamais observé, ni chez le rat
blanc après plusieurs années de captivité, ni chez le rat noir
ou le surmulot après plusieurs mois.
2. Recherche des aliments sous terre. Peu guidé, comme nous
l'avons vu, par un odorat qui semble assez défectueux, le rat ne
paraît guère se faire fouisseur pour atteindre la nourriture.
Les expériences que j'ai tentées à ce sujet ont été trop peu
nombreuses et leur dispositif était trop rudimentaire pour qu'on
en puisse tirer des conclusions formelles, indiscutables
pourtant, ce fait m'a paru suffisamment établi pour qu'il y ait
intérêt à le confirmer et à le prendre comme guide pratique de
conduite dans certaines conditions, dans la lutte contre les
rats.
3. Raisons de la commensalité du rat et de l'homme. - Toutes ces
constatations expérimentales concernant le mode d'alimentation
des rats cadrent avec un fait d'observation qui aurait pu
suffire à les faire deviner d'avance et qui, d'ailleurs, m'avait
servi de fil conducteur pour bâtir l'hypothèse que ces
expériences étaient destinées à contrôler : Si le rat était en
effet un animal réellement omnivore, il n'y aurait eu aucune
raison pour que son habitat fût si strictement limité aux
habitations humaines. On ne s'expliquerait par exemple
nullement, si le rat était susceptible d'être granivore, que sa
pullulation se soit limitée pendant la guerre à la zone des
tranchées et qu'il ne se soit pas répandu dans les champs
environnants. S'il suivait la troupe, c'est que la troupe le
nourrissait et il n'habitait pas les champs parce qu'il y serait
mort de faim.
Une autre raison encore intervient pour que le rat soit
rigoureusement commensal de l'homme: il n'est ni hibernant ni
approvisionneur. Pour les rongeurs, en effet, sous nos climats,
dans des contrées où, en hiver, il n'existe plus aucune
substance alimentaire sur le sol des champs, ni dans les bois,
il faut choisir entre ces deux termes: hiberner ou faire des
provisions d'hiver. Hiberner est un moyen de se soustraire aux
difficultés de l'alimentation pendant la mauvaise saison. Les
rongeurs non hibernants sont approvisionneurs. L'écureuil est du
type approvisionneur, tandis que la marmotte est du type
hibernant. Le rat noir et le surmulot ne sont pas hibernants.
Sur eux, le seul effet de l'hiver est d'atténuer simplement
leurs facultés de reproduction.
Ces animaux ne constituent jamais d'approvisionnements
alimentaires. Le fait est directement constatable : l'animal,
dans nos habitations, loge dans les entrevous, dans les recoins
inaccessibles au bouleversement du balai. Il ne se creuse pas de
terriers. Si, à titre très exceptionnel, ne trouvant aucun
refuge pour son habitation, il est parfois astreint à fouir, son
terrier ne renferme jamais de provisions alimentaires. De
nombreuses constatations de ce fait ont été apportées par ceux
qui, aux tranchées, se sont efforcés d'observer les mœurs de ces
animaux et qui m'ont conté ce qu'ils avaient vu.
D'ailleurs, avec son mode d'alimentation, le rat ne peut pas
être approvisionneur en vue de l'hiver, car toutes les
substances dont il se nourrit sont putrescibles à très brève
échéance. C'est une raison de plus pour qu'il soit notre
commensal obligé; nous constituons pour lui ses provisions
d'hiver et nous les lui distribuons à mesure de ses besoins.
4. Essais de substances répugnantes. A propos de la prophylaxie,
nous verrons qu'on pourrait songer, pour écarter les rats, à
imprégner les déchets de cuisine avec une substance qui les
dénature, les rende impropres à servir de nourriture au rat. La
substance voulue pour cette dénaturation existe peut-être, mais,
malgré des essais répétés, nous ne l'avons pas trouvée. Le rat
mange avec la même avidité que d'ordinaire ses aliments
coutumiers, même quand on les imbibe abondamment soit de crésyl,
soit de pétrole. Il semble pourtant qu'il manifeste quelque
répugnance pour les aliments arrosés de carbonate de soude ou
d'hyposulfite de soude. C'est un chapitre d'expérience qu'il
serait utile de compléter. Mandoul, d'après ses expériences,
conclut que le pétrole éloigne le rat, sans cependant
l'empoisonner (11). En temps de guerre moderne, le pétrole
devient trop rare pour qu'on puisse le réserver à des emplois de
ce genre.
5. Gâchage d'aliments - Les rats sont voraces, mais ils sont
encore bien plus gâcheurs. Si, dans une journée, ils absorbent
près de la moitié de leur propre poids en nourriture, ils en
déchirent, rongent, gaspillent deux où trois fois plus. Toutes
les fois qu'ils rencontrent un fragment alimentaire dont le
poids ne dépasse pas la limite extrême de leurs forces, ils
l'entraînent aux environs de leur trou, ils en mangent une
partie, puis ils en souillent le reste de leurs excréments et de
leur urine (12). Cette façon d'être est très remarquable sur les
animaux en cage. Quand on essaie sur ceux-ci les effets d'une
inanition relative, affamés, et recevant une ration
insuffisante, ils en gaspillent, en gâchent au moins la moitié,
la couvrent de crottes et, alors, dépérissent d'inanition à côté
d'aliments ainsi altérés par eux-mêmes. En captivité, ils ne
manquent jamais de souiller de leurs crottes l'eau qu'ils
devraient boire; ils s'en privent ainsi et en manquent bientôt.
6. Terriers. Aux tranchées, dans des conditions inusitées de
vie, ne trouvant parfois que des abris insuffisants pour leur
fournir un gîte sûr, il semblait que les surmulots, par un
retour à des habitudes ancestrales, devaient volontiers se
creuser des terriers. Le surmulot est, en cas de nécessité, un
excellent fouisseur; il creuse vite et facilement. Cependant,
aux tranchées mêmes, les terriers s'observaient en petit nombre:
les rats noirs, les surmulots nichaient de préférence dans tous
les coins où les rondins, où les planches laissaient un
interstice, une double paroi. Dans certains secteurs, cependant,
on trouvait de véritables et nombreux terriers dont les boyaux
d'accès venaient s'ouvrir dans la paroi même de nos tranchées.
Toutes les fois, à ma connaissance, que des terriers de cette
sorte ont été ouverts, les conduits aboutissaient une sorte de
chambre centrale située à une profondeur de 0 m. 70 à 1 mètre.
Cette chambre centrale mesurait environ 0 m. 20 de diamètre.
De cette chambre centrale, plusieurs boyaux divergeaient, au
nombre de deux ou trois en général. Dans la chambre centrale de
ces terriers, on trouvait constamment une nichée de jeunes
surmulots. Jamais, dans aucun cas, cette chambre ne contenait de
provisions de nourriture au delà de ce qui pouvait être consommé
dans la journée. Le terrier, pour le surmulot, représente une
construction exceptionnelle et qui a un but spécial, celui de
protéger les jeunes, car ceux-ci doivent être soigneusement
tenus par la mère à l'abri de la voracité du père et des autres
mâles, qui dévorent d'une façon constante les jeunes qu'ils
rencontrent tant que ceux-ci ne sont pas encore en état de fuir
leurs atteintes.
En hiver, le terrier peut être aussi un abri contre le froid.
VI. - FONCTIONS DE REPRODUCTION
Les notions qu'on possède sur la reproduction du rat noir et du
surmulot proviennent de quelques rares faits d'observation
directe chez l'animal eh liberté. Bien autrement précises sont
les notions tirées, par comparaison, d'expériences faites en
captivité sur le rat blanc et sur le surmulot blanc.
Ni le rat noir, ni le surmulot, nous l'avons dit, ne se
reproduisent en captivité. J'ai mis en cage une femelle de
surmulot capturée à l'un des derniers jours d'une période de
gestation. On lui avait fourni tous les matériaux nécessaires
pour se construire un nid et mettre bas à l'abri de tous les
regards. Cette femelle a pourtant dévoré tous ses petits
aussitôt après leur naissance. En captivité également, j'ai
souvent répété le séjour par couples dans la même cage soit pour
le rat noir, soit pour le surmulot, et jamais les femelles n'ont
eu de portées.
Des faits de ce genre sont trop connus pour quantité d'autres
espèces animales, dans les jardins zoologiques, pour qu'il y ait
lieu de s'en étonner, bien que le mécanisme et la raison exacts
n'en soient pas bien déterminés. C'est ainsi, par exemple, que
le Dr Rugger (13) nous apprend que le chat du Paraguay ne se
reproduit pas en captivité et qu'une chatte de cette espèce,
enfermée après fécondation, dévore ses petits. Le nombre des
petits d'une portée de surmulots paraît être, d'après des
chiffres qui m'ont été fournis à bien des reprises par des
équipes de dératiseurs ou par des soldats aux tranchées, de huit
à dix ou douze. Ces chiffres concordent avec ceux de Lantz, qui
donne le chiffre de 8,1 comme moyenne sur 12.000 observations le
chiffre le plus fort qui ait été noté par lui a été de 14. Cet
auteur n'a pas précisé toutefois si les nombres donnés par lui
provenaient d'observations sur l'animal libre ou, au contraire,
de résultats obtenus par l'élevage des variétés albinos.
1. Faits expérimentaux chez le surmulot blanc. Les données
fondamentales sont les suivantes Une femelle de surmulot blanc
met bas au bout de vingt et un jours. Bientôt elle peut être
remise au mâle à nouveau et le temps minimum qui s'est écoulé
entre deux portées consécutives a été dans mes expériences de
soixante-deux jours.
Ainsi, une femelle a mis bas une première portée le 26 avril (9
petits, dont 4 femelles). Soixante-deux jours après, le 27 juin,
elle donne une seconde portée (10 petits, dont 4 femelles).
Soixante-huit jours plus tard, elle fournissait une troisième
portée (11 petits, dont 5 femelles). D'autre part, les jeunes
arrivent très rapidement à l'état adulte et de jeunes mères sont
capables de mettre bas à leur tour quand elles parviennent à
l'âge de deux mois et demi à trois mois. Les premières portées
sont d'ordinaire de nombre un peu réduit (cinq à six petits en
moyenne). Mais, dès la portée suivante, les nombres se relèvent
à dix ou douze. Contrairement à ce qu'on observe dans l'élevage
des autres rongeurs, les nichées sont d'une grande robustesse et
les déchets d'élevage sont d'une rareté extrême(14).
Même lorsqu'on connaît toutes les données précédemment énumérées
sur le nombre des portées des rats et leur durée de gestation et
d'élevage, l'esprit a la plus grande peine à s'imaginer quelle
est la marche de la progression vraie dans cette multiplication
d'animaux, si, partant d'un seul couple de rats, on place ces
animaux dans des conditions telles que leur multiplication ne
soit entravée par rien. C'est une question amusante à poser à
des esprits même avisés auxquels on fournit toutes les données
du problème. Les audacieux, auxquels on demande quel est le
nombre des descendants d'un couple de rats en trois ans,
s'imaginent avancer des chiffres presque fantastiques en parlant
de cent ou même de cinq cents. Le chiffre fourni par Lantz (15),
avec documentation à l'appui, diffère d'une façon extraordinaire
de ces appréciations portées a priori. D'après Lantz, en effet,
un couple de rats engendre en trois ans 20.155.392 animaux (nous
disons bien vingt millions).
Ce chiffre est bien fait pour provoquer à première vue quelque
incrédulité; il est pourtant incontestable, et je résume ici
quelques nombres obtenus dans un élevage de surmulots blancs au
cours de l'année 1917. Les conditions de cet élevage étaient
médiocres, la quantité de nourriture parfois insuffisante et
j'ai prélevé un certain nombre de sujets pour des expériences en
cours. La progression est cependant déjà presque formidable.
Une paire de surmulots donne :
26 avril, une portée de 9 petits (dont4 femelles)
27 juin - 10 - 4
3 septembre - 11 - 5
Des femelles de la première portée ont elles-mêmes des petits
1° Le 19 juillet 11 petits;
2° Le 25 juillet 5 petits;
3° Le 25 juillet 3 petits;
4° Le 12 août 6 petits.
Le 17 octobre, j'avais au total 80 rats et il m'était devenu
impossible de distinguer entre tous ces animaux, malgré les
marques que j'avais essayé de leur appliquer, et de reconnaître
à temps quelles étaient les femelles prêtes à mettre bas. Dans
la cage commune des adultes, les < petits étaient piétines par
les autres adultes, quand bien même ils n'étaient pas dévorés
par eux. Il faudrait une installation presque immense pour
poursuivre rigoureusement ces essais d'élevage total pendant une
année seulement. J'ai été rapidement débordé, même dans les
limites d'une reproduction bien réduite. Le tableau ci-après
retrace théoriquement quelle est la progression d'un élevage de
cette sorte pour lequel on arriverait à réaliser de bonnes
conditions d'expérimentation
OBSERVATIONS
Ce tableau fournit une donnée minima (il est par 4 portées de 8.
On peut avoir 5 portées dans l'année).
Au printemps suivant 360 femelles seront prêtes à avoir des
petits et chacune d'elle devient le point de départ d'un calcul
analogue, soit: 1.120 x 560=627.200, auxquels s'ajoutent les
restants de l'année précédente, soit un total de 628.320.
Dehne avait obtenu les chiffres suivants Un couple de rats
blancs lui donne une portée le 1er mars. Il sépare la mère le 9
avril. Le 11 mai il a une nouvelle portée (soit 72 jours après
la première). Une paire de rats de la portée du 1er mars lui
donne des petits le 1er juin (soit 103 jours après leur
naissance) Ces chiffres ont longtemps servi de base aux
évaluations des naturalistes pour parler de la rapidité de
multiplication des rats.
On voit, d'après les chiffres du tableau précédent, que les
chiffres de Lantz restent au-dessous des nombres théoriques.
M. Perrier, dans son rapport déjà cité, rappelait, à propos du
campagnol (Arvicola arvensis), la terrible fécondité de celui-ci
: un seul couple de campagnols peut en une seule année avoir
4.000 descendants !
2. Développement des jeunes- Les jeunes te surmulots blancs, au
moment de leur naissance, pèsent environ 5 gr., et la longueur
du corps, queue non comprise, est de 2 cm. On remarque combien
est relativement considérable le poids de la nichée d'une
femelle par rapport au poids de cette femelle même. Celle-ci
pèse en effet 150 gr. et elle a produit dix petits pesant chacun
5 gr., soit en tout 50 gr., le tiers de son propre poids. (A
cela il faudrait encore ajouter le poids des placentas).
Les petits, nés aveugles et glabres, commencent à ouvrir les
yeux quand ils atteignent leur quatorzième jour. Ils sont déjà à
ce moment pourvus d'un duvet court, et bientôt, vers le 20e
jour, ils font leurs premiers pas hors du nid, dans lequel la
mère les a tenus jusque-là à l'abri a de tous les regards.
Au cours de l'élevage, de l'allaitement (soit pendant vingt
jours environ), la mère change généralement son nid une seule
fois de place. Dans mes premières observations, j'avais été
surpris de voir que, malgré la présence de dix petits qui jamais
ne sortaient du nid, ce nid n'était pourtant souillé ni par les
excréments ni par l'urine de ces jeunes. Un peu surpris de cette
constatation, j'ai soumis une nichée à une surveillance assez
minutieuse. J'ai alors constaté que de temps en temps, dans
l'intervalle des tétées, la mère retournait prestement les
jeunes et leur léchait la région ano-génitale, avalant de toute
évidence les matières qu'elle exprimait ainsi de leur rectum et
de leur vessie,
Ce système, quoique contrôlé par une observation bien attentive,
n'avait pas été sans me causer quelque étonnement et je doutais
presque de mes constatations, quand le hasard de mes lectures
m'a appris que ce mode opératoire n'était pas aussi exceptionnel
qu'on pourrait se l'imaginer à première vue. Dans l'ouvrage de
Féré (16) sur l'instinct sexuel, j'ai trouvé mention identique
se rapportant au lapin. C'est d'ailleurs un fait bien connu en
zoologie.
3. Influence du froid. Le froid a une action nocive très nette
sur la pullulation des rats et des surmulots. Le surmulot, par
exemple, répandu à l'heure actuelle sur toute la surface du
globe, ne se rencontre toutefois pas dans les contrées froides.
Une autre preuve de cette action est encore donnée par l'époque
à laquelle, sous nos climats, naissent les portées de rats. La
reproduction est en effet absolument interrompue pendant tout
l'hiver. Il faut cependant déjà que le froid soit assez vif pour
que son action se manifeste. Ainsi, à Nomény, il y avait de la
neige sur la terre au mois .de novembre 1917 quand des soldats,
détruisant un terrier de surmulots, y trouvèrent une nichée de
huit jeunes à moitié développés et parfaitement bien portants.
Cependant, dans la nuit du 16 au 17 octobre 1917, par un temps
seulement frais (+1°), une de mes nichées d'élevage âgée de 10
jours a perdu 5 jeunes sur 9. Il est vrai que, dans mes cages,
mes animaux étaient infiniment moins bien protégés que dans
l'intérieur d'un terrier. C'est peut-être dans ce cas ce qui
explique les différences observées.
4. Influence de l'intoxication sur la reproduction. - Une
expérience déjà ancienne de Masse et Gscheidler (17) prouve que
la période de reproduction est celle dans laquelle la race des
rats est le plus accessible aux causes de destruction, aux
accidents frénateurs de la pullulation excessive. Ils ont rendu
une femelle de rat blanc passagèrement stérile par une injection
de 15 gouttes d'une solution de morphine à 1 %.
5. Influence de l'inanition - Mais le froid et l'intoxication ne
sont pas les seuls à agir pour limiter la reproduction de ces
animaux, et dans les conditions ordinaires le manque de
nourriture ou même une simple restriction dans l'alimentation
des rats suffisent à modérer ou à empêcher la reproduction de se
poursuivre. C'est une cause qui bien plus souvent l'occasion
d'intervenir et de faire sentir ses effets. Elle a donc, à ce
titre, une bien autre importance.
J'ai maintenu en cure d'amaigrissement un surmulot femelle qui
pesait 190 gr. au début de l'expérience. La ration alimentaire
était calculée de façon à maintenir l'animal au poids de 175 gr.
(25 gr. environ de nourriture au lieu de 40 gr., ration
habituelle.)
Cette femelle ainsi préparée conservait toutes les apparences de
la santé ainsi que toute sa vivacité. Elle a été, de très
nombreuses fois, accouplée à un mâle bien nourri et bien
portant. En l'espace de trois mois, jamais cette femelle n'a
fourni aucune portée, tandis qu'auparavant, en état
d'alimentation normale, elle m'avait fourni dans les délais
habituels, après un seul accouplement, une portée de 11 petits.
D'autres femelles, de la même portée qu'elle, servaient de
témoins et, abondamment nourries, donnaient des portées
régulières aux dates normales. Cette constatation n'a d'ailleurs
rien qui doive surprendre. C'est une règle de biologie générale,
car elle a été constatée jusque chez les végétaux. Naudin, L.
Blaringhem et Bordage ont reconnu que le sexe des fleurs est
sous la dépendance de l'intensité de la nutrition. Ainsi, le
sexe mâle dans les descendants est la traduction d'un
affaiblissement de la nutrition de la plante qui sert de
générateur.
Il apparaît donc, par des faits d'observation et aussi
d'expérience, que cette question du taux de la nutrition est
d'importance primordiale sur la reproduction des rats, et c'est
évidemment elle qui est l'agent régulateur habituel et efficace
de l'extension prise par ces animaux dans une contrée.
Nous abordons ici un de ces problèmes curieux de concurrence
vitale, de cette règle aux mille données, aux formules variées,
qui préside à la diffusion des espèces animales et des espèces
végétales dans l'Univers (18).
La plupart des espèces animales, et, à plus forte raison encore,
les espèces végétales, dont les moyens de reproduction sont
autrement puissants; seraient susceptibles d'encombrer à elles
seules toute la surface disponible du globe si certaines
conditions n'intervenaient pas pour limiter la progression
géométrique de leur descendance théorique.
Or, le rat et le surmulot n'ont que fort peu d'ennemis capables
de les détruire quand ils ont atteint l'état adulte, et nos
recherches, quand il s'agira des procédés de destruction,
indiqueront bien la difficulté qu'on éprouve à triompher de la
vitalité, du courage et de la malice des rats adultes.
La régulation dans la pullulation des rats paraît se faire
surtout par l'intermédiaire de la ration alimentaire que
trouvent les femelles. C'est par là, vraisemblablement, que, en
tous lieux du monde, le nombre des rats reste proportionnel à la
quantité de nourriture globalement offerte à leur voracité.
Cette question da nourriture devient primordiale quand les
autres facteurs de restriction diminuent d'importance à l'égard
d'une race envahissante. C'est vraisemblablement un degré un peu
supérieur dans la faculté de s'assimiler nos résidus
alimentaires, de se les réserver, qui a assuré à au surmulot,
dans des conditions presque identiques de vie, la prédominance
sur le rat noir, qui, depuis les Croisades jusqu'au XVIIIe
siècle, avait tenu en Europe le rôle de rat des agglomérations
humaines.
Les lois d'équilibre des diverses espèces animales dans la
Nature sont toujours difficiles à saisir dans leur complexité,
qui aboutit habituellement à des résultats stables, presque
invariables. Il est curieux de rappeler ici que l'homme est
l'agent perturbateur devenu le plus important à la surface de la
Terre, à l'époque actuelle, dans les modifications des espèces
animales et végétales du monde.
C'est lui, par exemple, qui a provoqué l'invasion de l'Australie
par les lapins qu'il y avait importés, lui encore qui, ayant
importé les chevaux dans l'Amérique du Sud, y a ainsi provoqué
l'extension formidable qu'ils y ont prise. En sens inverse,
c'est lui aussi qui a provoqué la disparition des bisons de
l'Amérique du Nord, celle déjà plus ancienne de l'Epiornis de
Madagascar, celle actuellement en cours de la girafe et de
l'éléphant, etc.
C'est nettement à son intervention que se rapporte la diffusion
du surmulot sur toute la surface du globe. Il l'a implanté
partout, de proche en proche, à mesure que cet animal trouvait à
sa portée de nouvelles habitations où des résidus de table lui
permettaient de vivre. Ainsi encore, au commencement de la
guerre, le rat et le surmulot ont envahi les tranchées non pas
par émigration, mais par pullulation, et parce que les
tranchées, avec leur population humaine excessive en des lieux
toujours dépourvus d'égouts, répandaient à profusion sur le
terrain les résidus de cuisine humaine, nourriture nécessaire à
ces animaux.
Dans les agglomérations urbaines, le rat est un agent
complémentaire de transformation des résidus alimentaires; mais
là où les égouts manquent, on peut dire que les rats les
remplacent : ils sont des agents actifs de la transformation des
matières azotées résiduelles. II n'y a pas en effet à la surface
du globe de substances alimentaires qui tombent au rebut sans
qu'elles soient immédiatement utilisées par une espèce animale
préposée à cette fonction, dont les insectes des cadavres
fournissent un exemple si typique et bien connu (Mégnin-Favre).
Donc, groupant ces constatations précises, ces expériences, nous
nous représentons bien maintenant quelles furent les causes qui
présidèrent à l'invasion des tranchées par les rats cette
invasion tout entière fut due à la présence d'une nourriture
appropriée aux besoins des rats, et accumulée en si
extraordinaire abondance que les rats ont pu y réaliser cette
pullulation formidable, dans les limites de leur multiplication
en progression géométrique. Dans une seconde partie, nous
examinerons les procédés de destruction des rats, et nous
tirerons les conclusions qui se dégagent de cette étude.
Dr P. Chavigny,
Médecin principal de 2e classe,
Professeur agrégé du Val-de-Grâce.
(1) L. DESSAUYAGES La maladie par morsure de rat
(sokodu des Japonais). Th. Montpellier, 1917.
(2) Paris-Médical, 1917, t. XXIII, p. 168 et 193. Louis MARTIN
et AUGUSTE PETTIT Présence de Spirochoeta ictero-hémorragie chez
le surmulot des tranchées. C.R ? Société de Biologie, 6 janvier
1917. - COURMONT et DURAND : Bulletin de la Société Médicale des
Hôpitaux, Paris, 26 janvier 1917. - Noter encore que le rat
donne asile à un bacille fort voisin de celui de la lèpre (MAMHOUX
Presse médicale, 1914, p. 201).
(3) CHANTEMESSE, MARHOUX et HAURY: Suette militaire et rat des
champs. Bull. Acad. de .Méd., 1906, p. 293.
(4) STRICKLAND : Lancet, 14 novembre 1914.
(5) Pallas écrit qu'à l'automne 1727, après un tremblement de
terre, des bandes innombrables de surmulots, parties des bords
de la Caspienne, avaient traversé la Volga près d'Astrakan et
s'étaient répandues en Russie. Le surmulot est apparu en
Angleterre en 1732, en Prusse Orientale en 1750, à Paris en
1753. En 1780, il était répandu dans tonte l'Allemagne. En 1809,
on le trouve en Suisse. En 1775, il était arrivé en Amérique.
On pourra remarquer que cette lenteur de diffusion subséquente
n'indique guère que l'animal soit migrateur au sens habituel de
ce mot. II semble plutôt que ce rat ait été transporté par
l'homme dans ses voyages, devenus plus fréquents à cette époque
(transport des marchandises).
(6) Dans le commerce on trouve les tailles suivantes de grillage
métallique mesurées en millimètres: 13, 16, 19, 22. 25, 31, 40,
45, 51. La mesure se compte transversalement dans la maille,
d'une torsade à celle qui, en face, lui est parallèle.
(7) Exception faite pour le Saccharomyces tumefaciens et pour
les Sporotrichum.
(8) LANTZ Les rats aux Etats-Unis. Washington, 1909.
(9) Une once anglo-américaine = 28 gr. 35 et un surmulot
absorberait ainsi environ 57 grammes de nourriture.
(10) Dans un magasin où les vivres étaient en boîtes
métalliques, les rats avaient dévoré ou déchiqueté les
étiquettes gommées apposées sur les caisses. Dans les serres,
les rats causent de gros dégâts en rongeant les bulbes, les
oignons à fleur, mais là, la distinction entre ce qu'ils
détruisent et ce qui leur sert à proprement parier de nourriture
n'est pas faite d'une façon exacte. On a remarqué qu'ils
respectent toujours les bulbes de certains narcisses.
(11) H. MANDOUL Arch. de Parasitologie, 1909, p. 451.
(12). Un fait de même genre est bien connu de tous ceux qui
tentent l'élevage des lapins domestiques, lesquels gâchent
exactement autant qu'ils mangent.
(13) Dr RUGGER: Naturgeschichte der Säugethiere von Paraguay
(14) Comparer ce fait par exemple avec les insuccès nombreux
dans les nichées de jeunes lapins. - Pourtant, malgré cette
fragilité des jeunes, il a suffi aux lapins de rencontrer des
conditions favorisantes pour prendre en Australie l'extension
qu'on connaît.
(15) LANTZ Les rats aux Etats-Unis, p. 16. Washington, 1909.
(16). FËRÉ Instinct sexuel, p. 66, d'après Bellion (en note).
(17) MASSE et GSCHEIDLER : Untersnchungen an den physiolog.
Laborator. in Wurtzburg, II, I. Leipzig, 1869.
(18) DARWIN : De l'origine des Espèces, chap. III : Concurrence
vitale.
Revue
générale des sciences pures et appliquées
Éd. Doin (Paris)
30 juillet 1918
L'INVASION DES RATS AUX TRANCHÉES PENDANT LA GUERRE DE 1914 SES
CAUSES. SES REMÈDES
DEUXIÈME PARTIE
VII. - LES PROCÉDÉS DE
DESTRUCTION DES RATS ET SURMULOTS
La plupart, sinon la totalité, des moyens de destruction mis en
usage contre les rats ont une efficacité très restreinte, on
pourrait même dire presque illusoire dans les conditions dans
lesquelles on les a appliqués. Il semble que les notions
précédemment exposées, concernant les mœurs des rats, peuvent
conduire à adopter une orientation différente et plus assurément
efficace dans la lutte contre ces rongeurs.
La multiplicité même des moyens de lutte préconisés contre les
rats prouve, à l'évidence, combien leur efficacité est mal
établie. S'il existait un bon procédé, on s'y tiendrait et on
négligerait les autres. Ces procédés sont si nombreux qu'il
faut, pour les rappeler même sommairement, les classer par
catégories.
On peut adopter par exemple la classification qui a été proposée
par Khayatt (1)
1° Moyens d'ordre mécanique (pièges divers, obturation des
trous, noyade par l'eau ou le goudron bouillant)
2° Emploi des ennemis naturels des rats (chiens ratiers, chats,
etc.)
3° Moyens bactériologiques (Bacillus typhimurium de Loeffler,
bacille de Lacer, B. de Mereshkowsky, B. d'Issatschenko, B. de
Danysz)
4° Moyens chimiques (poisons divers, produits asphyxiants).
Il est certain que tous ces moyens ont chacun une certaine
efficacité. Chaque ouvrage qui traite de la question des rats
fait mention de quelques-uns de ces procédés de destruction ou
en prône spécialement un nouveau, mais aucun auteur ne paraît
avoir cherché à en faire une revue quelque peu complète, et les
renseignements pratiques et d'ordre technique sont souvent
difficiles à se procurer. L'énumération du plus grand nombre
possible de ces moyens de destruction peut cependant être utile
à ceux qui sont chargés d'en user pour se délivrer eux-mêmes ou
pour délivrer la collectivité des inconvénients de ces rongeurs.
Les rats, grâce à leur intelligence, ne se laissent jamais
prendre deux fois au même artifice; il semblerait même que
certains d'entre eux soient presque capables d'interpréter le
danger d'un piège en bénéficiant de l'expérience qu'un autre rat
a payée de sa vie.
« Les rats semblent se communiquer leurs impressions sur les
dangers qu'ils redoutent. Ainsi, mon ami André Fossé d'Arcosse
m'écrit qu'en ce moment il expérimente chez lui - à Soissons -
un piège à rats perfectionné. Le premier jour, dix rats se
laissèrent prendre, et depuis on en trouve bien parfois deux ou
trois enfermés, mais si on les abandonne dans leur prison, le
lendemain ils sont partis. Cela n'est possible que par l'aide
que se prêtent les rats, et en effet, on trouve des empreintes
de dents à la boule de plomb qui sert de contrepoids et fait
fonctionner la bascule. La boule est sans doute tirée par un rat
qui en explique aux autres le mécanisme (2) »
On m'a récemment cité un fait tout aussi probant de l'astuce des
rats, on peut même dire de leur intelligence. Dans un magasin
d'Intendance fréquenté par les rats, on essaie de soustraire un
fromage de gruyère à leur voracité en l'isolant sur une large
plaque de tôle ondulée posée elle-même sur un gros tonneau. La
tôle empêchait les rats de grimper jusqu'à l'objet convoité, la
hauteur du tonneau mettant le fromage hors de leur portée.
Cependant, on constatait bientôt qu'ils étaient parvenus à
ronger le fromage. On observa alors leur manège. Les rats
grimpaient jusqu'au plafond, et d'une poutre de celui-ci se
laissaient tomber sur le fromage.
L'inventeur d'un piège à rats perfectionné, la nasse Marty,
disait qu'il existait « des rats savants » d'une habileté sans
pareille à sortir des pièges, rats pour lesquels il fallait
construire des pièges spéciaux (Raynaud).
Il faut donc, quand on entreprend la lutte contre ces animaux,
disposer de toute une gamme de moyens de destruction et en
changer souvent, autant que le permettent le matériel et les
circonstances.
VIII. - LES PIÈGES
Beaucoup de ces appareils sont trop connus pour qu'il soit
nécessaire d'en donner une description complète. D'une façon
générale, le piège simple, robuste et bon marché est celui vers
lequel doivent s'orienter les préférences. Par principe, il vaut
mieux se servir des pièges qui tuent l'animal. Leur inconvénient
est qu'aucun d'eux ne peut prétendre au titre de piège
perpétuel, car, si ingénieux que soient ces pièges perpétuels,
ceux-ci sont des appareils où les animaux entrent parfois et
d'où ils s'échappent presque toujours.
La plupart des pièges destinés aux rats comportent comme appât
un fragment alimentaire ; l'animal, au moment où il touche cet
appât, déclanche le mécanisme de fonctionnement du piège. Toute
une série de pièges de cette catégorie sont représentés par un
cercle métallique dont les deux moitiés, sous la pression d'un
ressort, se referment et étranglent l'animal.
Certaines ratières ont la forme d'une sorte de couloir en
treillage métallique quadrangulaire. L'appât, placé vers le
milieu, commande le mécanisme de fermeture des deux portes
situées aux extrémités, et l'animal est prisonnier.
D'autres appareils sont basés sur un système un peu différent.
Ce sont les nasses et les appareils automatiques. Attiré par
l'odeur d'une friandise, l'animal entre dans l'appareil et, pour
poursuivre son chemin, franchit à un moment quelconque une
trappe à contrepoids qui, ne s'ouvrant que dans un seul sens,
lui ferme le chemin du retour.
Les grands pièges perpétuels pour rats sont des appareils
volumineux et coûteux.
Il est assez rare qu'ils prennent un grand nombre de rats. Puis
les animaux éventent le système et ils n'entrent plus dans un
piège qui a contenu un rat crevé.
On peut improviser un piège perpétuel pour rats en prenant
modèle sur un système fort usité comme piège à souris. Le
principe de l'appareil est basé sur ce que l'animal entre dans
le piège en grimpant le long d'un plan incliné capable de
basculer sur un axe qui le soutient vers son milieu. Quand
l'animal est arrivé en haut de ce plan incliné, son poids rompt
brusquement l'équilibre et le plan incliné bascule. Pris ainsi
dans un espace rétréci, le rat passe dans la chambre principale
du piège en soulevant une trappe. Le mouvement imprimé alors à
celle-ci libère le plan incliné qui reprend sa position
première, prêt à recueillir un nouvel hôte. En Algérie, j'ai vu
construire économiquement de ces pièges avec de vieux bidons à
pétrole.
Un type de piège perpétuel improvisé en usage parmi les troupes
américaines peut être utile à connaitre, car il est de
construction simple
Dans un tonneau dont on a enlevé un des fonds, on met de l'eau.
Au milieu du tonneau est planté un piquet qui supporte un appât.
Au-dessus du bord du tonneau est une planchette qui va vers
l'appât, et cette planchette, à bascule, déverse dans l'eau tout
rat qui s'y est engagé. Un rat agrippé au piquet de l'appât
pousse des cris qui attirent les autres rats.
Il existe divers pièges-assommoir : l'animal, donnant une
impulsion à un aliment qu'il convoite, fait tomber sur lui un
appareil qui l'écrase. L'un des systèmes classiques de ce genre,
celui qui est le plus simple à improviser avec quelques
baguettes, est le piège en 4 de chiffre. Il est bien connu des
braconniers qui l'emploient pour beaucoup d'autres animaux que
le rat, en modifiant seulement ses dimensions. Ce piège se
compose, pour le rat, de trois baguettes mesurant chacune
environ quinze centimètres et s'engrenant mutuellement par de
petites encoches. La queue de la barre transversale du 4 est
pointue et on y enfile l'appât. La partie supérieure de la
branche oblique du 4 sert de point d'appui à une large planche
lourdement chargée d'un pavé. Tout mouvement communiqué à
l'appât effondre le système et l'animal est écrasé sous le poids
qui s'abat sur lui.
Un moyen de destruction des rats encore fort simple à improviser
c'est le collet, vieux système emprunté aussi à l'art du
braconnier. Le collet est extrêmement efficace à condition
d'être monté par un individu exercé au braconnage. Le collet
consiste en une boucle de fil de fer fin, laissée très mobile
pour être de fonctionnement aisé et disposée dans le sens
vertical, le plus habituellement, au moyen d'un piquet de
soutien la boucle est enfin retenue au sol par un piquet
d'arrêt. Le collet ne comporte pas d'appât et il doit être placé
sur une piste de passage du rat. L'animal, en traversant la
boucle, s'y prend ou s'y étrangle.
Disons à propos de ces collets, ainsi d'ailleurs que pour placer
un piège quelconque dans le point favorable, qu'on doit
connaître les habitudes du rat, sa façon de circuler. Dans les
habitations, le rat erre toujours en rasant le pied des murs, ne
traversant le milieu des pièces qu'à titre tout à fait
exceptionnel. Par conséquent, tous les pièges doivent être
disposés le long des murs, leur orifice étant aussi près que
possible du mur lui-même.
Certains pièges à palette qu'on trouve dans le !c commerce sont
en entier conçus sur cette donnée : une fois tendus, ils
comportent une sorte de pédale qui, sous l'influence de la
moindre à pression, déclanche un fort système d'assommoir. Il
est recommandé de placer cet appareil au ras des murs. Le rat
est pris par ce piège et assommé au cours de ses allées et
venues, sans qu'il y ait besoin de munir le piège d'aucun appât.
On s'entend mal sur la forme de piège à laquelle il convient de
réserver le nom de traquenard. Pour les uns, c'est le banal
piège à palette dont le déclanchement libère deux demi-cercles
dentés qui emprisonnent en se redressant soit le cou, soit une
patte de l'animal.
Pour d'autres, c'est une sorte de hameçon à plusieurs lames qui,
tenues réunies dans un appât, s'écartent dès que le gibier mord
à l'hameçon, et tire sur celui-ci. Ce dernier appareil, plus
usité pour les carnassiers de moyenne ou de grande taille, peut
cependant s'employer aussi contre les rats. On suspend l'appât
préparé à une certaine hauteur, de telle façon que l'animal visé
saute pour happer le morceau de viande et déclanche ainsi le
mécanisme de l'appareil.
Un ingénieur italien, devant lequel était soulevée cette
question de la destruction des rongeurs, émettait une idée qui,
pour être un peu originale à première vue, ne semble pas moins
devoir retenir l'attention. Il disait qu'on pourrait
efficacement protéger des approvisionnements un peu importants
en les entourant d'un câble conducteur de courant. Tout rat qui
toucherait ce câble serait électrocuté. En raison de la
sensibilité des animaux aux courants, le voltage nécessaire
n'aurait pas besoin d'être très élevé.
La plupart des appâts usités ont déjà été cités au furet à
mesure. Donnons cependant une place spéciale à l'essence d'anis,
très recommandée. Les graines de tournesol ont également été
préconisées par diverses personnes qui disent s'en être servies
avec profit.
On a signalé que l'odeur du tabac était extrêmement antipathique
aux rats et que ceux qui préparent des pièges pour les rats
devaient s'abstenir rigoureusement de fumer pendant qu'ils se
livrent à cette besogne; qu'ils doivent même se laver
soigneusement les mains avant de toucher les pièges ou les
appâts.
IX. - OBTURATION DES TROUS
Quand les rats pénètrent dans un local où l'on emmagasine des
substances alimentaires, il peut être avantageux d'obturer les
trous par lesquels ils y entrent; mais, le rat étant un
excellent fouisseur, il est bon de faire cette obturation d'une
façon très soignée. Si on n'a pas employé de matériaux solides,
le rat a bientôt fait de désencombrer le passage et de
recommencer ses méfaits.
On a recommandé de boucher les trous de passage avec du ciment
mélangé de tessons de bouteilles. Le moyen est bon, mais assez
souvent le rat tourne la difficulté en se creusant un nouveau
passage quelques centimètres plus loin.
Le rat est très industrieux pour pénétrer dans les locaux
fermés. On l'a vu, par exemple, entrer dans un magasin clos de
tôles ondulées enfoncées, par leur bord inférieur, de 30
centimètres en terre, et, pour cela, se creuser un tunnel qui
descendait au-dessous de ces tôles et remontait ensuite de
l'autre côté.
On a encore proposé d'inonder les rats dans leurs terriers avec
de l'eau bouillante, avec du goudron bouillant, etc. Mais le
terrier du rat, lorsqu'il en existe, a souvent plusieurs
orifices; l'animal échappe ainsi aux liquides dangereux si l'on
n'a soin au préalable de les boucher tous.
Selon Brehm, dans certaines contrées, infestées de rats, on
utilise une sorte de piège perpétuel du modèle suivant On creuse
une fosse de 1 m. 20 de profondeur en forme d'entonnoir
renversé, avec une dalle horizontale au fond et quatre dalles
obliques formant paroi. Un appât y attire le premier rat;
celui-ci, bientôt affamé et incapable de s'échapper, attire, par
ses cris, d'autres rats. Il étrangle le rat suivant qui y tombe
et le dévore. C'est donc un piège perpétuel dans lequel on
économise l'appât. Ce piège est d'un modèle bien encombrant et
n'est guère de mise que dans une exploitation rurale.
Du groupe constitué par les procédés précédents, on pourrait
encore rapprocher l'emploi de la glu, habituellement réservée à
des animaux de plus petite taille. A. Ilvento s'est bien trouvé,
dans ses essais de dératisation des docks de Palerme, de
l'emploi de planches de 0 m. 50/0 m.25 qu'il enduisait d'une
sorte de colle très puissante.
Aux tranchées, l'invasion obsédante par les rats stimulait
l'ingéniosité des soldats, décidés aux moyens les plus extrêmes
pour se débarrasser des rats qui les harcelaient. Ils ont eu
recours aux procédés les plus étranges Dans une compagnie du
génie, employée à la guerre de mine, des hommes prenaient au
piège des rats vivants, puis les relâchaient après avoir fixé
derrière eux un pétard de cheddite avec une mèche lente allumée.
Le rat effrayé par le bruit de la combustion se réfugiait dans
son trou qu'il faisait sauter et on espérait qu'il y
ensevelissait avec lui un certain nombre de ses compagnons.
X. - EMPLOI DES ENNEMIS NATURELS DES RATS
Au voisinage des habitations humaines, le rat est à l'abri de
ses ennemis, des animaux qui détruisent les petits rongeurs des
champs (hiboux, chouettes, couleuvres, fouines, etc.), que notre
présence éloigne.
On a essayé, aux tranchées, d'employer les animaux destructeurs
des rats. Il ne faut pas songer à employer le chat. Celui-ci
n'attaque pas les rats, il les redoute. Le rat, au contraire,
n'a aucune crainte du chat, qu'il méprise. Voici une expérience
bien démonstrative : Dans une grande cage, où il y a plusieurs
rats, on introduit un chat. Celui-ci s'accroupit dans un coin de
la cage et laisse les rats lui grimper sur le dos, lui passer
entre les oreilles. Lorsqu'on excite les rats, ce sont ceux-ci
qui attaquent le chat, lui mordillent le museau ou les oreilles
et le chat se défend mollement.
Le chien est un auxiliaire bien préférable dans la lutte contré
les rats. Certaines races de chiens, les fox-terriers, en
particulier, peuvent être convenablement dressées à la chasse
aux rats, mais ces chiens ratiers, pour rendre des services
efficaces, doivent être dirigés par un homme au courant de cette
sorte de chasse. Le chien ratier a en effet besoin qu'on le
guide, qu'on lui donne des ordres et aussi qu'on l'aide à
débusquer le rat des réduits dans lesquels celui-ci s'est
réfugié. On aura par exemple soit à ouvrir les galeries d'un
terrier, soit à inonder, soit à enfumer le rat dans son terrier.
Alors, le chien ratier fera son office et ne laissera échapper
aucun des rats quand ceux-ci prendront la fuite.
La présence seule d'un chien ratier dans une maison jusque-là
infestée suffit parfois à en faire déloger les rats, même sans
en avoir fait aucune hécatombe. J'ai connu des faits très précis
de cet ordre. Il semble que le rat sente la présence d'un ennemi
redoutable et lui cède la place.
Mal dirigé, le chien ratier ne produit aucun résultat et, dans
beaucoup de secteurs visités, on me signalait que des chiens
ratiers y avaient séjourné pendant un certain temps sans qu'on
en eût tiré le moindre bénéfice.
Il semble d'ailleurs que cet insuccès ait été officiellement
constaté, puisque, après avoir été militairement constitués par
équipes pendant un certain temps, les chiens ratiers ont à peu
près disparu des armées, ainsi que cela s'était produit déjà
pour les chiens sanitaires.
Une idée originale de protection a été, paraît-il, préconisée.
C'était celle qui consistait à favoriser le développement du rat
sibérien, grand ennemi du surmulot. Mais on a bien vite renoncé
à ce système, car le remède était plus néfaste que le mal, ce
rat sibérien étant encore beaucoup plus gênant et beaucoup plus
redoutable que l'autre.
XI. -EMPLOI DES MOYENS BACTERIOLOGIQUES
L'emploi de ces moyens repose sur une idée séduisante elle
consiste à répandre dans les régions infestées par les rats les
germes d'un microbe susceptible de provoquer chez ceux-ci une
infection mortelle. Cette idée a déjà été exploitée dans la
lutte contre d'autres rongeurs. On se rappelle, sans doute, les
espoirs qui avaient été fondés sur cette donnée, lorsque
l'Institut Pasteur avait fait entreprendre, sous la direction du
Dr Loir, une campagne de destruction des lapins en Australie.
Cette tentative avait abouti à un échec presque complet. Elle a
été peu à peu abandonnée.
La difficulté est de découvrir un germe à la fois assez virulent
pour créer une infection, une épidémie mortelle chez l'animal
visé, et en même temps assez hautement spécifique pour ne pas
risquer de propager ses effets meurtriers parmi les espèces
voisines, surtout sur nos espèces domestiques. Il faut, en
outre, que l'épidémie ne puisse en aucun cas être nuisible à
l'homme.
La première idée de communiquer une affection épidémique au rat
pour nous en débarrasser semble, d'après Loriga, remonter à G.
Joseph (3), qui employait dans ce but le favus.
En France, nous sommes assez tentés de croire que le seul virus
utilisable contre le rat est le virus Danysz (4), celui qui
avait été adopté par l'Institut Pasteur, mais toute une autre
série de germes de même catégorie avait été proposée :
Bacillus Typhi Murium de Loeffler (5),
Bacille de Lacer (6)
Bacille de Mereshkowsky (7),
Bacille d'Issatschenko.
Après des promesses qui autorisaient toutes les espérances, on a
presque renoncé à l'usage de ces virus figurés destinés à la
destruction des rats. Ils se sont montrés, à l'usage, tout
d'abord extrêmement infidèles, et ce fut le cas particulièrement
pour le virus Danysz. Quand on répand dans les régions infestées
des appâts imbibés de cultures de bacille de Danysz, le nombre
des rats diminue généralement quelque peu; mais c'est un
résultat bien insignifiant, puisque, rapidement, le nombre des
rongeurs augmente de nouveau. Puis, comme tous les autres moyens
destructeurs, ce virus épuise vite ses effets. Les rats qui ont
échappé à une première distribution de virus ne se laissent plus
prendre à la suivante.
On voit, par exemple, que les tartines de virus sont rongées
seulement du c6té non imprégné. Surtout, ce qu'il faut reprocher
au virus Danysz, et ce qui a fait renoncer radicalement à son
emploi depuis 1915, c'est que ce bacille se rapproche beaucoup
trop des paratyphiques. On a nettement, depuis 1892, incriminé
son emploi de n'être pas étranger à la diffusion des épidémies
paratyphoïdes survenues depuis cette époque. Cette assertion
était exposée en termes précis dans un article de Lereboullet en
1916, et ne paraît avoir suscité aucune réplique (8).
La résistance naturelle du rat aux agents infectieux reste et
restera un obstacle à peu près insurmontable à sa destruction
par un agent microbien. Pour triompher de cette résistance, on
est en effet obligé d'avoir recours à un germe de virulence très
exaltée, et les germes très virulents ne restreignent pas leur
activité à une seule espèce animale. C'est là qu'est le danger.
Tromsdorf, Shibayama, Babès et Busila ont signalé des cas
d'infection humaine par le B. typhi muriem, et Cayrel, dans son
travail sur ce procédé de destruction des rats, a rapporté un
cas net d'infection dû à ce bacille. Danysz lui-même a reconnu
le danger de son procédé.
XII. - EMPLOI DES MOYENS CHIMIQUES
Les substances chimiques comptent au nombre de celles qui ont
été le plus anciennement employées, et le commerce fournit les
plus usuels de ces ingrédients sous le nom de « mort-aux-rats ».
On a ainsi usé de la pâte phosphorée, de la pâte à l'arsenic,
etc.
Pâte phosphorée :
Phosphore. 20
Eau bouillante. 400
Farine de blé. 400(ou farine quelconque)
Suif fondu. 400
Huile de noix ou d'œillette. 200
Sucre pulvérisé. 300
à étendre en couches légères sur des tranches de pain minces.
Dangereuse aux animaux de basse-cour.
Autre formule:
Phosphore divisé. 8
Farine de seigle 180
Eau tiède. 180
Beurre fondu. 180
Sucre. 125
Ou encore
Farine 24
Phosphore. 3
Eau. 173 (Schattenmann)
On prépare aussi avec le phosphure de zinc des pâtes toxiques
ayant sur les pâtes phosphorées ordinaires l'avantage de ne pas
dégager des vapeurs gênantes, et, de plus, ce phosphure est
spécialement toxique pour les rongeurs, qui y sont plus
sensibles que les autres animaux.
Pâte arsenicale
Suif fondu. 1000
Farine. 1000
Arsenic en poudre très fine 100
Noir de fumée. 10
Essence d'anis. 1
(Formule de l'Ecole de Pharmacie)
On a conseillé aussi l'emploi du carbonate de baryte (très peu
actif), du camphre, du chlorure de chaux, mélangés aux aliments,
mais l'essai de ces substances ne paraît pas avoir donné
satisfaction à ceux qui s'en sont servis. On peut dire que
toutes les substances toxiques, sans exception, ont été ainsi
utilisées. Leur gros inconvénient, c'est que la plupart d'entre,
elles sont tout aussi toxiques pour les animaux de basse-cour et
pour l'homme et que leur emploi ne va pas sans de graves
dangers. Les enfants par exemple et des personnes non averties
sont capables de manger l'appât empoisonné.
En outre, de même que tous les produits précédents, ces toxiques
sont d'une efficacité restreinte contre les rats, toujours pour
ce même motif que les rats épargnés par une première
distribution du poison ont leur éducation faite par les
accidents qu'ils ont constatés, et, quand leur méfiance est
éveillée, il devient impossible de les prendre par le même
procédé.
Il faut savoir que la façon de préparer les appâts a une grande
importance sur les résultats qu'on obtient et qu'il faut avoir
fait une éducation du mode d'emploi de ces produits pour être
capable de bien les utiliser (Guerrapain).
Pour la destruction des rats dans les égouts, Nehring conseille
de placer sur les trottoirs de ces égouts, et surtout vers les
points de bifurcation, de petits poissons dont on a badigeonné
le ventre avec la mort-aux-rats (9).
Pour écarter les rats, on a recommandé de badigeonner les sacs
de blé avec un lait de chaux à 10/1000 (10).
Dans la catégorie des toxiques destinés aux rats, il a semblé
qu'on avait fait un progrès considérable quand on a eu l'idée,
depuis quelques années, de recourir à l'emploi de la scille. La
scille contient un glucoside, la scillitine, substance très
active, qui, très toxique pour le rat, l'est au contraire
infiniment peu pour les animaux domestiques et pour l'homme. Il
semblait, théoriquement, que l'on touchait avec cette découverte
à la solution tant cherchée du problème qui nous occupe ici.
L'Institut Pasteur, qui prépare ce poison à la scillitine, a
formulé dans un texte très précis toutes les précautions à
observer pour arriver à un résultat favorable. Cet extrait
toxique est délivré en bouteilles stérilisées à l'autoclave à
120°. Ce produit est dosé de façon à ce qu'un centimètre cube
suffise pour cinq ou six grammes d'appât. Il ne faut pas pousser
plus loin le degré de concentration, car l'amertume deviendrait
telle que les rats n'accepteraient plus l'appât. Un excellent
moyen d'allécher le rat est de mélanger la scillitine à du lait
sucré ou à du bouillon gras. Il est souvent difficile dans les
circonstances de guerre de se procurer ces substances
adjuvantes.
L'extrait toxique de l'Institut Pasteur doit être employé frais,
car cette substance perd son activité au bout de 3 à 4 jours.
Cette nécessité d'avoir recours à une substance aussi
fraîchement préparée peut être le point de départ de réelles
difficultés pratiques en certains cas (11). On peut alors, pour
suppléer à la scillitine, user de la poudre de scille, beaucoup
moins fragile
Loir et Legangneux (12) préconisent deux modes de préparation de
ce produit
1° Pâte à la scille :
Poudre de scille. 5 gr.
Farine. 20 gr.
Poudre de fenouil. 20 gr.
Essence d'anis. 1 gtt.
Axonge (graisse ordinaire). Q. S. pour faire une pâte dure que
l'on met en tablettes de 10 grammes environ.
L'odeur d'anis, d'après ces auteurs, attire les rats qui en sont
très friands.
2° Poudre de seille et de viande hachée à parties égales ; faire
des boulettes de 5 grammes environ. On s'est, paraît-il, servi
avec profit aussi de pâtes toxiques à la strychnine. D'ailleurs,
toutes les substances toxiques peuvent être utilisées. On n'est
limité que par leur prix de revient et par les risques
d'intoxication pour l'homme et les animaux domestiques. La
strychnine est, à ce dernier point de vue, particulièrement
redoutable.
Les produits toxiques gazeux ont pendant un certain temps joui
d'une grande notoriété.
Pour la dératisation dans les espaces clos, et tout
particulièrement dans les cales des bateaux, on a commencé par
conseiller l'emploi des vapeurs dégagées par la combustion du
soufre à l'air libre. On a parlé d'abord de 10 kilos de soufre
et de 20 kilos de charbon de bois par 1.000 mètres cubes (durée
10 heures), puis Raynaud demandait de 60 à 100 gr. de soufre par
mètre cube. Wade tenait l'acide sulfureux pour efficace à
condition qu'on pût assurer pendant deux heures une teneur
uniforme de 0,5 d'acide sulfureux pour 100, mais ce taux était
très difficile à atteindre. - Langlois et Loir (13) montrèrent
que le gaz Clayton est beaucoup plus actif que l'acide
sulfureux, parce qu'il agit comme aldéhyde sulfureux. Les
appareils Clayton constituent le matériel classique des ports en
temps d'épidémie de peste.
Galaine et Houlbert (14) ont présenté en 1916 à l'Académie des
Sciences un appareil employant l'anhydride sulfureux. Cet
appareil paraît simple et il mérite qu'on l'essaie pour en
vérifier l'efficacité pratique. Leur appareil se compose : 1°
d'un récipient qui contient l'anhydride sulfureux liquide, 2°
d'un réchauffeur à eau bouillante, 3° d'une petite turbine à
ailettes en aluminium entraînant une hélice à 4 branches formant
ventilateur. Le récipient contenant l'anhydride est une
bouteille en acier à parois de 3 mm. Il faut calculer 72 gr.
d'anhydride par mètre cube d'air à une température optima de
20°.
Apéry (15) a proposé l'emploi du CO2 pour asphyxier les rats
dans les cales des bateaux, mais on a fait remarquer que ce
produit risquait d'être dangereux pour le personnel du bord.
Jacques (16) constatait que la sulfuration des cales, même
vides, n'avait pas donné les résultats espérés. Il a essayé de
la carbonication appliquée au moyen d'un chaland carbonique
Lafond, portant tout le matériel nécessaire à l'opération. Ce
système paraît être promptement tombé dans l'oubli.
David et Duriau, comparant les résultats obtenus avec CO2 et
l'acide sulfureux (appareil Clayton), trouvaient ce dernier bien
préférable (17).
Nocht et Giemsa ont Insisté sur les inconvénients du CO2 qui est
surtout insuffisant et du SO2 qui détériore gravement certaines
marchandises, et ils ont proposé d'avoir recours à l'oxyde de
carbone. En raison des dangers immenses de l'emploi de ce gaz,
leur conception est restée à l'état théorique (18).
Le sulfure de carbone est un gaz très toxique pour les rongeurs
parasites. Il a l'inconvénient d'être extrêmement inflammable et
d'être toxique. Il doit par conséquent être manipulé avec
précautions. Ce n'est pas un produit qu'on puisse mettre sans
danger entre toutes les mains.
L'aldéhyde formique peut être également employée contre les
rats, mais il est nécessaire qu'elle soit à la dose de 15 gr.
par mètre cube et qu'elle puisse agir pendant 36 heures. Elle ne
convient donc pour la dératisation que si elle peut être
employée dans des espaces clos tels que les cales des navires.
On peut encore en injecter dans des terriers de rats et en
boucher ensuite l'entrée.
Tout fortuitement, on a pu constater au cours de la guerre que
les gaz toxiques employés par les Allemands, particulièrement
les gaz chlorés envoyés sous forme de vagues, étaient d'une
réelle efficacité comme produit destructeur de rats. Toutes les
fois que j'ai eu à constater les effets de ces vagues aux
tranchées, j'ai récolté un très grand nombre de cadavres de
rats. Ceux-ci, expulsés de leurs trous par les gaz, étaient
venus mourir sur les caillebotis. C'était un bien mince bénéfice
au regard des accidents produits. Dans des égouts, on pourrait
user des vapeurs de chlore en versant de l'acide sulfurique sur
de l'hypochlorite de chaux (Raynaud).
Aucun de ces procédés d'asphyxie par les gaz ne peut, bien
entendu, être utilisé ni dans les habitations, ni aux armées en
campagne.
Loir a recommandé l'intoxication des rats dans leurs terriers
par l'acétylène dans l'orifice du trou de rat, on introduit
quelques fragments de carbure de calcium, on bouche l'orifice
avec de la terre et on arrose abondamment. On doit au préalable
bien vérifier si le terrier n'a pas d'autres sorties, qu'on
boucherait de la même façon. Un procédé de destruction des rats
qui se rapproche des précédents, bien qu'il s'agisse
probablement d'une action mécanique, est celui qui est conseillé
par Brehm on prépare un mélange de malt et de chaux vive avec un
peu de sucre. La soif provoquée chez le rat par l'absorption de
ce mélange conduit l'animal à boire abondamment. Le rat meurt-
dès qu'il a bu la quantité d'eau suffisante pour éteindre la
chaux. Ce procédé a son explication théorique, mais il serait
intéressant de contrôler si ce vieux procédé a l'efficacité que
la tradition lui attribue.
XIII. - PRIMES A LA. DESTRUCTION
Pour la destruction de tous les animaux nuisibles, le système
des primes est un de ceux qui donnent des résultats
satisfaisants, car il est bien fait pour stimuler un zèle que
les bons conseils n'arriveraient pas à susciter. Les primes ont
été pendant un certain temps en usage dans la marine marchande,
particulièrement dans la Compagnie des Messageries maritimes.
Celle-ci avait un gros intérêt à ce que les marchandises
transportées fussent à l'abri de la destruction par les
rongeurs, et aussi à ce que ces animaux ne fussent pas
incriminés de servir d'agents de transport pour la peste. La
prime allouée alors était de 0 fr. 10 par rat présenté au
recensement. On s'est promptement aperçu que les matelots
s'entendaient fort bien à exploiter ce genre de revenus en
prenant toutes les précautions voulues pour ne pas en tarir la
source. Ils favorisaient par tous les moyens en leur pouvoir la
multiplication des rats et n'en détruisaient que l'excédent. Les
compagnies durent renoncer à l'emploi de la prime à la
destruction.
Loir et Legangneux ont cité le cas d'un dératiseur qui, aux
tranchées, faisait de véritables hécatombes de rats. En 105
jours, il avait tué de sa main 5.437 rats (50 environ par jour).
Dans divers secteurs, j'ai rencontré de ces spécialistes,
proches parents, en général, des braconniers. Ils rendaient des
services parce qu'ils étaient arrivés à bien connaître les mœurs
des rats et qu'ils savaient utiliser, placer et varier leurs
appâts et leurs pièges. En cas de besoin, ce sont des capacités
qu'il faudrait savoir rechercher et utiliser dans les équipes de
dératiseurs, car il ne suffit pas de désigner un infirmier comme
dératiseur pour que les capacités voulues dans cet emploi
surgissent en lui, sans préparation et sans éducation
préalables.
On m'a cité le cas d'un de ces débiles mentaux qu'on rencontre
parfois dans les compagnies, qu'ils encombrent de leur
incapacité absolue. Cet homme n'avait jamais été bon à rien
jusqu'au jour où il a été désigné pour faire la chasse aux rats.
Il avait quelque peu braconné lorsqu'il était chez lui, et il se
montra dans cet emploi de dératiseur d'une habileté réelle, très
profitable à tous.
Les dératiseurs rendent surtout de bons services quand ils sont
stimulés par une prime et un peu surveillés.
II règne dans le public certaines croyances auxquelles nous ne
nous arrêterons pas. On a raconté par exemple qu'on se
débarrassait à tout jamais des rats en en prenant un, lui
cousant l'anus, ce qui le rend enragé; on le lâche alors, et
l'exemple terrifie les autres rats qui décampent aussitôt. - La
crédulité populaire a une série de ces recettes.
Quand il s'agit de la destruction des rongeurs par les procédés
habituels (pièges ou poison), dans une installation un peu
importante, il est bon de calculer à l'avance le prix de revient
de l'entreprise de dératisation. Dans ce prix de revient, il
faut faire entrer l'achat du matériel (appâts, pièges ou poison)
et surtout la main-d'œuvre qui peut être importante. Faute de
cette précaution, on risquerait parfois de sérieux mécomptes.
Un chef d'équipe de dératisation a établi le prix de revient du
matériel employé dans le secteur dans lequel il opérait. Selon
lui, sur une période de quelque durée, chaque rat capturé
revenait sensiblement à 7 fr. 50.
XIV. - VALEUR PRATIQUE DES DIVERS MOYENS DE DESTRUCTION
La multiplicité des procédés de destruction préconisés est,
avons-nous déjà dit, un sûr garant de leur efficacité très
restreinte. Rien n'est plus vrai et lorsqu'on a, au moyen des
procédés réputés les plus efficaces, conduit d'une façon même
rigoureuse la chasse aux rongeurs, on constate qu'on parvient à
en réduire le nombre, mais qu'on n'arrive pour ainsi dire jamais
à les faire disparaître.
Dans son travail sur la destruction des rats aux tranchées, le
Dr Cayrel se déclare très satisfait des résultats obtenus par
ses équipes de dératisation Dans un secteur qui mesurait
approximativement 270.000 mètres carrés, avec un front de 7 à 8
kilomètres, deux équipes; constituées chacune d'un caporal et de
trois brancardiers, ont pratiqué la dératisation du 9 décembre
1915 jusqu'au 5 avril 1916. Dans cet espace de 4 mois, Cayrel
estime à 46.000 environ le nombre des rongeurs détruits (sur ce
chiffre, 9.000 ont été tués par les chiens ratiers; le reste a
péri par l'emploi de la scillitine de l'Institut Pasteur).
Cayrel, en terminant son travail, déclarait lui-même que les
résultats étaient insuffisants.
Il a obtenu là un résultat déjà appréciable, mais il serait bien
nécessaire de savoir si les rats avaient notablement diminué
dans ce secteur et si, surtout, le résultat a été quelque peu
durable.
On a en effet remarqué que, si un secteur est soigneusement
nettoyé de rongeurs, l'envahissement s'en fait à nouveau d'une
façon rapide aussitôt que la surveillance a cessé. Il semble
bien en effet que les rats des secteurs voisins, toujours
limités, là où ils habitaient, par la question de nourriture
disponible, viennent bientôt prendre la place des rats disparus
dans la zone où des aliments non disputés s'offrent à leur
voracité. Nombre de fois, cette observation a été faite.
Puis, combien ce chiffre de 50.000 animaux détruits est
insignifiant à l'égard des nombres bien autrement formidables de
la multiplication du rat. Ces chiffres, nous les avons fournis
plus haut. Dans un seul secteur, où la substance alimentaire
paraît être redevenue abondante, de nouvelles nichées de rats
auront vite comblé les quelques vides dus aux efforts des
dératiseurs.
Henri Thierry avait déjà fait observer, il y a longtemps,
qu'après destruction par les poisons « les rats se déplacent ».
C'est presque le seul bénéfice obtenu.
Les échecs d'une dératisation complète, même très soignée, et
dans les conditions les meilleures, sont bien connus. Dans la
Revue d'Hygiène, on peut lire le fait suivant (19) :
Le Saqhalien subit au Frioul une dératisation et une
désinfection rigoureuses par la sulfuration ajoutée aux autres
moyens en usage. On tue 1.011 rats. Pourtant, à l'arrivée à
Marseille, on constatait que les cales renfermaient encore
quelques rats qui avaient trouvé moyen d'échapper aux procédés
de destruction employés.
A. Ilvento (20) avait organisé la lutte contre les rats dans les
docks du port de Palerme. Ces docks, très vieux, installés sur
terre battue, n'étaient pas étanches et ne permettaient pas
l'emploi de gaz asphyxiants. Il a donc fallu se contenter là des
moyens mécaniques, Ilvento a eu satisfaction de l'emploi d'une
espèce de colle très forte, sorte de glu qu'il étendait sur des
planches de 0 m. 50 sur 0 m. 25. Mais, malgré ses soins, les
résultats restaient peu brillants. C'est ainsi qu'il avait
capturé seulement 1.599 rats en 4 ans, ce qui mettait, vu le
nombre de pièges employés, la proportion des prises à 2 par an
et par piège.
Créel, au cours de l'épidémie de peste de 1912, avait été chargé
de la dératisation à Porto-Rico, Il a employé simultanément
presque tous les procédés connus (poison, ratières, sulfuration
et pétrolage). Il a ainsi capturé 45.000 rats (21).
Wade et Haldane (22), Batko (23) fournissent d'autres exemples
des résultats bien insuffisants que donne la dératisation des
bateaux.
En outre, quand il s'agit d'estimer les résultats pratiques
obtenus par la lutte contre les rats, on est obligé, quand on a
employé les virus bactériens ou les substances toxiques, de
fournir des chiffres approximatifs, puisque les rats atteints
ont été, pour un grand nombre, mourir dans leurs trous. Très
naturellement, l'opérateur a quelque tendance à faire valoir les
résultats de la méthode qu'il utilise, de la peine qu'il a
prise. Il est presque trop facile et un peu tentant d'améliorer
la statistique en lui concédant discrètement un ou deux zéros,
pour arrondir les chiffres. Il est de notoriété que la chasse
conduit volontiers à l'exagération. Le chef d'équipe de
dératisation risque donc de totaliser des chiffres que ses
piégeurs auront ainsi majorés.
Quand on se sert de pièges, on ne risque pas de s'illusionner
soi-même sur les résultats, et les chiffres ci-dessus fournis
par A. Ilvento sont plus remarquables par leur sincérité que par
le bénéfice vrai.
Enfin, aux tranchées, on a fait des reproches au système de
destruction employé par le Service de Santé. Quelques-uns de ces
reproches sont, il est vrai, jugés dès qu'on les énonce. Tel,
celui-ci : On incriminait les équipes de dératiseurs de venir
frustrer les soldats des primes dont ils bénéficiaient par la
chasse aux rats. D'autres critiques plus sérieuses étaient
faites Quand les rats contaminés ou intoxiqués par l'un des
virus ou toxiques employés allaient mourir dans leurs trous, ils
infestaient d'odeur de putréfaction l'abri dans les parois
duquel ils avaient logé. J'ai entendu souvent cette plainte
émise en ma présence par des témoins absolument dignes de foi,
nullement exagérateurs ni de parti pris.
XV. - DÉRATISATION MASSIVE, DERATISATION PROGRESSIVE
La destruction des rats par secteurs successifs, aux tranchées,
est en contradiction avec la loi de répartition de ces animaux,
qui vont là où i il y a de la nourriture disponible. C'est au
contraire sur de très grandes étendues qu'il faut agir
simultanément. C'est d'ailleurs ainsi qu'on opère en agriculture
pour la destruction des campagnols on fait la destruction le
même jour sur de très vastes espaces.
Pourquoi les moyens de destruction sont-ils insuffisants, car
ils le sont, le fait est indéniable ?
On a pu se faire illusion sur leurs résultats et certains
esprits seront tentés de faire valoir que, dans le courant des
derniers mois, les rats sont devenus plus rares aux tranchées,
ce qui, selon eux, serait un argument en faveur des procédés
employés. Ce mode de raisonnement est tout à fait contestable,
nous le verrons dans un instant. Il ressemble un peu trop à
celui du public qui admirerait l'efficacité indubitable des
calculs des astronomes sur la production des éclipses. La lutte
contre les rats reste en général inefficace parce qu'on aborde
le problème de telle façon qu'il est fatalement insoluble. La
pullulation des rats comporte en effet deux facteurs :
1° Des portées à progression formidable;
2° Une multiplication liée à la quantité des aliments
disponibles.
Le second facteur conditionne le premier. Dans la lutte, nous
nous trouvons constamment distancés, parce que notre effort se
borne à détruire quelques adultes, tandis que, d'un autre côté,
par le fait de notre négligence et de nos mauvaises habitudes
hygiéniques, nous fournissons aux mères toute l'alimentation
nécessaire pour que la multiplication de l'espèce atteigne les
extrêmes limites possibles. Quand on connaît toutes les données
réelles de la question, notre conduite habituelle ne peut
paraître que formellement irrationnelle et aussi irréfléchie que
possible c'est essayer de vider un bassin sans s'occuper de
fermer le robinet d'alimentation. En somme, c'est aborder un
problème de Biologie sans avoir en rien essayé d'en connaître
les données.
Dans la lutte que les hygiénistes conduisent au nom de l'Intérêt
général contre d'autres espèces parasites dangereuses, on en est
arrivé, en divers cas, à des résultats réellement intéressants,
à une prophylaxie efficace, toutes les fois qu'on a pu attaquer
le parasite dans ses formes de moindre résistance, dans les
conditions qui déterminent réellement sa pullulation.
Rappelons-en les exemples les plus typiques. C'est ce qui est
arrivé partout où, pour se débarrasser des mouches, on a
supprimé les fumiers ou les amas de détritus sur lesquels leurs
œufs se développent. C'est encore ce qui s'est produit, avec un
succès indiscutable, lorsque les Américains, à Cuba, ont obtenu
la disparition des Anophèles à partir du jour où ceux-ci n'ont
plus trouvé aucune eau stagnante disponible où leurs œufs
puissent éclore, où leurs larves puissent prospérer.
Ces remarquables exemples d'une lutte bien comprise et bien
dirigée permettent de dire ceci En général, l'homme souffre des
atteintes d'un parasite quand, par ignorance ou par incurie, il
le nourrit et en facilite la multiplication.
Appliquons aux rats ces idées générales, les préceptes de
défense qu'on en doit déduire, et la formule directrice devient
: Nous sommes infestés par les rats quand nous laissons trainer
autour de nous des quantités de détritus alimentaires. Rien
n'est plus démonstratif dans l'histoire des invasions de rats
que ce qui s'est produit aux tranchées depuis le début de la
campagne de 1914.
Il faut avoir circulé dans les tranchées et dans les
cantonnements de repos, surtout pendant les premiers mois de la
guerre, pour avoir idée de l'effroyable gâchage de substances
alimentaires par les troupes. En cette période d'abondance, la
ration alimentaire dépassait largement les besoins de l'homme,
et de tous les côtés, aux tranchées, dans les boyaux, sur les
talus, on ne rencontrait que des restants de gamelle répandus
sur le sol. C'est d'une façon assez tardive, aussi, que
l'hygiène des cuisines improvisées s'est peu à peu constituée,
et, encore, est-elle restée bien rudimentaire. On en est
pourtant assez généralement arrivé à creuser près des cuisines
des fosses à détritus.
Depuis quelques mois, avec la pénurie progressive des aliments,
les excédents de déchets de cuisine, les fonds de gamelle se
sont faits beaucoup plus rares, et, pour ma part, je serais
tenté d'attribuer un rôle à ce fait dans la diminution assez
réelle du nombre des rats aux tranchées, dans la période la plus
proche de nous.
Cette sorte de proportionnalité serait tout à fait d'accord avec
les résultats de l'étude que nous venons de faire sur les causes
de la multiplication des rats à partir de 1914.
XVI. - PROPHYLAXIE
Que faut-il donc faire ? Peut-être pourrait-il sembler que les
résultats de cette étude sont plutôt décevants, puisqu'ils se
bornent à constater l'inefficacité des moyens de protection mis
en usage, et qu'il n'a été question d'aucun procédé nouveau de
défense. Pourtant, il est rare, en hygiène, qu'une question plus
complètement élucidée ne porte pas avec elle les germes de
principe d'une solution pratique.
Les rats sont donc, d'après tout ce que nous avons vu, les
commensaux stricts de la desserte de la table de l'homme. Il
faut donc en arriver, dans les secteurs où les rats deviennent
insupportables, à les réduire à la famine. Lorsque cette famine
aura enrayé leur pullulation, il deviendra alors à la fois aisé
et efficace de poursuivre et de détruire les adultes par tous
les moyens de destruction connus. A cette condition et à cette
condition seule, on fera de bonne besogne, c'est-à-dire qu'on
obtiendra des résultats durables.
Opérer autrement, c'est se contenter de mesures administratives;
ce n'est pas travailler, ce n'est pas produire.
Les mesures de prophylaxie ainsi comprises comportent à la fois
des mesures individuelles et des mesures collectives.
1. Mesures individuelles. II ne faut pas se cacher que celles-là
seront les plus difficiles à organiser. Elles auront contre
elles cet état d'ignorance, d'apathie et de méfiance qui fait le
fond de la nature humaine être malpropre, négligent, indifférent
à toutes les règles les plus élémentaires d'hygiène, c'est,
semble-t-il, pour la plupart des individus, faire preuve de
caractère et d'un esprit louable d'initiative, d'indépendance.
Contre cet état d'esprit, la lutte est difficile à conduire,
mais il semble que le commerce ait réellement bien saisi la
psychologie de cette mentalité populaire le jour où il a accepté
cette formule si puissamment pensée de la réclame. Il faut
répéter indéfiniment la même chose pour que le publie arrive à
la croire (peu importe, d'ailleurs, qu'elle soit vraie ou
fausse).
Ayant une idée vraie à faire pénétrer, nous pouvons nous
inspirer de ce précepte en essayant de trouver une formule
capable de constituer proverbe et de faire image. Il semble donc
qu'on puisse, pour atteindre le but proposé, engager à répéter à
d'innombrables exemplaires les deux écriteaux suivants :
1° On le nombre de rats qu'on mérite par sa malpropreté.
2° Qui sème sa gamelle fait pousser des rats.
2. Mesures collectives. Les mesures collectives sont le
complément obligé des mesures individuelles. Elles doivent
tendre à en faciliter l'application, mais elles ne sauraient en
aucun cas y suppléer et elles ne doivent pas avoir pour but de
dispenser l'individu de s'intéresser aux mesures à prendre, sous
prétexte que c'est à la municipalité, ou à ses chefs, ou à
l'Etat à faire le nécessaire.
Les mesures collectives doivent viser
1° A mettre les approvisionnements de matières alimentaires à
l'abri des rongeurs. Qu'il s'agisse de gros approvisionnements
ou au contraire d'approvisionnements de petites collectivités,
il faut opposer à l'habileté des parasites l'obstacle
infranchissable et en même temps le plus économique : c'est le
grillage de fil de fer à mailles de 19 millimètres. C'est le
type de la défense contre les rats, qui ne peuvent trouver aucun
moyen quelconque de triompher de cet obstacle, puis c'est
réellement un moyen pratique, toujours applicable;
2° A empêcher que les déchets alimentaires, que la desserte de
nos tables ne profitent à la multiplication des rats.
Par exemple, aux armées, c'est aux unités et non aux individus
qu'appartient le soin de créer en nombre suffisant et en des
points moyennement distants les uns des autres, bien répartis,
près des cuisines, près des points de rassemblement, les fosses
à détritus.
Quand on aura obtenu que les déchets, au lieu d'être semés
partout, soient régulièrement déversés dans ces fosses, on
avisera alors à les mettre là, hors des atteintes des rats.
Trois moyens s'offrent à l'esprit
1° Asperger ces détritus d'une substance dénaturante qui, nous
l'avons vu, reste encore à déterminer;
2° Tous les soirs, couvrir la fosse d'une certaine quantité de
terre;
3° Recouvrir la fosse aux détritus d'un cadre en grillage de fil
de fer.
Enfin, à propos de ces détritus, une autre idée peut être
envisagée. C'est un système qui est, bien entendu, inapplicable
dans les secteurs agités, de circulation difficile, mais
certainement utilisable dans les secteurs de repos le procédé
consiste à utiliser les détritus alimentaires pour
l'engraissement des porcs.
Porcs et rats ont exactement la même formule alimentaire. Là
encore, c'est une formule stéréotypée qui peut donner à
réfléchir aux esprits imprévoyants
Quand on nourrit des rats, c'est autant de perdu pour l'élevage
des porcs.
Dr P. Chavigny,
Médecin principal de 2° classe.
Professeur agrégé du Val-de-Grâce.
(1) KHAYATT : Prophylaxie de la peste par la
destruction des insectes et des rongeurs. Th. Paris, 1902.
(2) FOVEAU DE COURMELLES : Les faculté: mentales des animaux.
Baillière, 1890, p. 145.
(3) G. JOSEPH : Der Landwirth, 1882.
(4) DANYSZ : Ann. de la Science agronomique, 1895, Vol. I. Revue
d'Hyg. 1900, p. 321. Ann. de l'Inst. Pasteur, 1900, p., 193.
(5) LOEFFLER : Cent. f. Bakt. 1892, t. XII, p. 129; 1892, t.
XIII, p. 1 ; 1893, t. XIV, p. 647.
(6) LACER : Centr. f. Bakt. 1891, t. XI, p. 184; 1893, t. XIII,
p. 184; 1894, t. XVI, p. 33.
(7) MERESHKOWSKY Centr. f. Bakt., 1894, t. XVI, p. 612.
(8) LEREBOULLET : La lutte contre les rats des tranchées. Paris
Médical, 26 août 1916, p. t65. Lettre du Dr Vinsche.
(9) NEHRING : Hygienische Rundschau, 15 décembre 1899.
(10) KOSSEL et NOCHT : Arbeiten aus dem Kaiserlichen
Gesundheitsamte, 1901, p. 100.
(11) La disparition rapide de l'activité du toxique à la
scillitine de l'Institut Pasteur est un inconvénient tel pour
l'usage courant de cette substance que le Service de Santé l'a
fait remplacer (mai 1918) par un extrait gras de conservation
beaucoup supérieure.
(12) LOIR et LEGANGNEUX Paris Médical, 21 janvier 1916.
(13) LANGLOIS et LOIR Destruction des rats à bord des bateaux.
Revue d'Hygiène, 1902, p. 411.
(14) GALAINE et HOULBERT C. R. de l'Académie des Sciences, 6
mars 1916.
(15) APÉRY : Archives orientales de Médecine et de Chirurgie, 6
janvier 1900, p. 5.
(16) JACQUES : Destruction des rats à bord des navires par la «
Carbonication ». Revue d'Hygiène, 1903, p. 120.
(17) DAVID et DURIAU : Désinfection des navires, Carbonication
et Sulfuration. Revue d'Hygiène, 1903, p. 500.
(18) NOCHT et GlEMSA. Arbeiten aus den Kaiserlichen
Gesundheitamte, 1903, p. 91-94.
(19) Revue d'Hygiène 1902, p. 834.
(20) ARCHANGELO ILVENTO Les rats et la prophylaxie antipesteuse
dans le port d& Palerme. Arch. . f. Schiffs und Tropenhygiene,
juin 1913.
(21) CRÉEL : Eradication de la peste à Porto-Rico. Journal of
Amer. med. Ass. 1913.
(22) WADE et HALDANE : 33° Annual Report of the local Government
Board, 1903-1904.
(23) BATKO : Destruction des rats à bord des navires à
Alexandrie. Bull. du Serv. de Santé et de l'Hygiène de Belgique,
espt. 1901, p. 591.
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