Le Ban de Corcieux : bulletin religieux
mensuel des paroisses de Corcieux, La Chapelle, La
Houssière, Gerbépal et Saint-Jacques-du-Stat
Edition : Saint-Dié - Mai 1919
Explication pour
couper les Ailes à un Canard par trop bavard
Un bruit court par le
pays, depuis trois mois, et tous les échos de nos
montagnes le répètent, disant : «
L'abbé
Blumstein est riche à quatre cent mille francs ».
Oh ! la bonne aubaine ! si cela est, cet abbé pourra
faire bien des heureux.
Quoi que le « moi » soit souverainement haïssable, force
m'est de parler de moi.
Et d'abord, je cite une parole du saint curé d'Ars et je
me l'applique intégralement; puisque je prends du galon,
j'en prends pour la peine. M. Vianney disait un jour :
Un homme du monde, il n'y a pas longtemps, vint faire
ici la sainte communion ; il avait trois cent mille
francs de fortune; il en donna cent pour faire bâtir une
église, cent pour les pauvres, cent à ses parents, et il
s'en alla à la Trappe.
Eh ! bien, j'en avais tout autant ; j'en ai fait tout
autant, mais, pour mon malheur, je ne suis pas encore
allé à la Trappe, où je visais d'arriver, parce qu'au
moment d'y aller, les Ordres religieux étaient dissous
et expulsés de France.
Ensuite, j'avance trois propositions ou thèses que je
pourrais facilement prouver: Ce dont je remercie Dieu.
1° Oui, j'étais, un jour, riche à des centaines de mille
francs ;
2° oui, j'en ai dépensé la plus grande partie en oeuvres
pies, ce dont je suis heureux et content;
3° oui, j'ai perdu tout le reste, ce dont je demande
pardon.
Donc, je suis depuis longtemps à la portion congrue.
C'est un fait connu de tout le pays de Blâmont, que la
fortune m'a longtemps souri, de 1877 à 1907. Or, tout ce
laps de temps, j'ai toujours puisé dans ma caisse, sans
jamais l'épuiser, ni en tarir la source : Dieu me le
rendait.
Mon premier don a été pour l'église de Blâmont, où j'ai
été vicaire. Puis, j'ai passé par Chazelles, Gondrexon,
Leintrey et Amenoncourt : autant de pauvres églises,
dont j'ai commencé par payer les dettes, et dont l'une
remontait à cinq ans pour des réparations urgentes, que
le curé n'avait pas pu payer avant sa mort ; et dont une
autre existait depuis quinze ans, pour des cloches non
soldées.
Ces dettes éteintes, j'ai eu le courage de restaurer,
successivement, chacune de mes quatre églises ; et en
les quittant, les finances de ces quatre églises étaient
florissantes.
Puis vint la création de la paroisse d'Avricourt, avec
son église, son cimetière et sa maison pour le prêtre,
paroisse que j'ai desservie gratuitement, depuis 1888 à
1908.
Si je n'ai pas donné cent mille pour une seule église,
j'ai dépensé cent et des mille pour mes cinq églises.
Entre temps, j'étais la Providence visible de bien des
personnes qui avaient grand besoin de quelque secours au
moment opportun : Cultivateurs ruinés par une série de
mauvaises années ; douaniers et employés qui ne
pouvaient pas fournir le cautionnement réglementaire
pour un poste qui leur était offert ; jeunes gens qui ne
pouvaient se marier si l'on ne venait pas à leur aide;
personnes insolvables livrées à la justice; débiteurs
persécutés par des créanciers cupides et cruels ;
enfants de famille qui désiraient conserver leur
patrimoine ; personnes qui voulaient acheter un fond de
commerce, pour en vivre ; commerçants et industriels
honnêtes, mais peu aisés, qui avaient besoin d'une somme
ou d'une caution pour des achats plus considérables ;
pauvres honteux, dont quelques-uns habitaient des
châteaux ; oui, toutes ces personnes, de. catégories si
diverses, avaient recours à moi, et toutes ont été
secourues selon leurs désirs et leurs besoins,'pour
l'amour de Dieu.
Quand j'eus versé dans le sein de toutes ces infortunes
la plus grande partie de ma fortune, je fis un retour
sur moi- même ; tenant la charrue, je ne devais pas
regarder en arrière ; j'ai succombé à la tentation, et
il m'arriva malheur comme à cet homme de bien dont parle
le grand saint Eloi, dans une homélie sur le détachement
des biens de la terre : « Voici, mes bien aimés, une
histoire véritable, que.je vais vous conter sur le sujet
que nous traitons ».
Des anciens nous ont raconté qu'un laboureur employait
en aumônes tout le fruit de ses travaux, ne se réservant
que ce qui lui était nécessaire pour sa subsistance.
Le démon, dans la suite des temps, lui inspira de faire
quelque petit trésor, dans la pensée qu'il pourrait en
avoir besoin dans une maladie ou dans la vieillesse. Il
amassa en effet de l'argent et en remplit sa bourse.
Enfin, il arriva qu'il devint malade à un pied, et son
pied tombait en pourriture.
Ce malade dépensa en médecins tout ce qu'il avait
réservé, sans en retirer aucun soulagement; bien plus la
putréfaction se répandait dans toutes les parties du
corps. Pour sauver le malade, le médecin proposa
l'amputation du pied malade, et il convint du jour de
l'opération avec le malade.
Pendant la nuit, cet homme, revenant sur sa vie passée,
fut touchée de regret de la faute qu'il avait commise,
gémissait et fondait en larmes, et il disait au
Seigneur: « Souvenez-vous de mes premières œuvres, quand
je distribuais aux pauvres le gain de mon travail. »
A ces paroles, un ange lui apparut et lui dit : « Où est
cet argent que tu avais amassé ? où est cette espérance
sur laquelle tu te fondais ?» Le malade comprit alors et
dit : « Seigneur, j'ai péché ; je ne- commettrais plus
désormais de pareilles fautes. »
Alors, l'ange lui toucha le pied, et à l'heure même il
fut guéri. Il se leva le matin et alla travailler à sa
terre.
Le médecin arriva le matin avec tous ses instruments.
Quel ne fut pas son étonnement, en voyant son client
labourer la terre! Croyant, ce médecin glorifia le
Seigneur qui avait si miraculeusement guéri son malade.
Et moi, par une série d'infortunes, je perdis, comme ce
malade, toutes mes réserves : la main de Dieu m'a
touché.
Il ne me reste qu'à dire avec le saint homme Job :
Seigneur, vous me l'avez donné, et vous me l'avez ôté ;
que votre saint nom soit béni !
En 1911, je pouvais encore disposer de cent francs ; ils
m'ont servi à faire le pèlerinage de Lourdes. Un de nos
pèlerins mourut en arrivant en face de la ville de Marie
; j'assistais à ses funérailles, en enviant son bonheur
de reposer près de Marie. J'aurais tant aimé être à sa
place : j'avais assez vécu et j'étais par trop
malheureux ! Notre-Dame de Lourdes ne me voulait pas à
Lourdes, mais à l'Hospice de la Vierge, à Vichibure, où
quelques semaines plus tard, M. Pierre Nicole me reçut
avec ma grande infortune.
J'avais de nouveau un gîte, une table et un ami, et par
surcroît un autel.
L'Abbé E. Blumstein, hospitalisé. |