Alphonse Dedenon, dans son Histoire du Blâmontois dans les temps modernes
évoque le passage de Marie-Louise d'Autriche à Blâmont en
1810, en vue de son mariage le 2 avril avec Napoléon. Les mêmes faits sont relatés
ci-dessous par un témoin direct.
SOUVENIRS DE
GLOIRE ET D'AMOUR
DU LIEUTENANT-COLONEL PARQUIN
(Denis-Charles Parquin, 20/12/1786-19/02/1845)
Ed TALLANDIER - 1911
En 1810, à peine âgé de vingt-trois ans, j'étais heureux et fier : j'étais officier français !
Dans la première semaine du mois de mars, la brigade du général Colbert se mit en route pour être échelonnée en détachements de cinquante cavaliers, commandés par un officier, à chaque relais de poste,
de Strasbourg à Compiègne. C'était pour escorter la nouvelle Impératrice, Marie-Louise. J'étais avec mon détachement à Sarrebourg. L'ordre était d'escorter les voitures qui devaient prendre le trot sur la grande route et traverser les villes et les villages au pas, et de laisser approcher le peuple afin qu'il pût voir l'Impératrice. S. E. le prince de Neufchâtel, qui avait épousé solennellement, le 11 mars, à Vienne, au nom de l'Empereur Napoléon, la fille des Césars, commandait la marche du convoi, ayant sous ses ordres le général Lauriston, aide de camp de l'Empereur, qui voyageait dans la voiture du prince. La sixième voiture était celle de l'Impératrice, qui avait près d'elle, à sa gauche, la reine de Naples, soeur de l'Empereur.
Le général Colbert remplissait les fonctions d'écuyer auprès de l'Impératrice; il y avait aussi un chambellan de l'Empereur, qui aurait dû se tenir à la portière de droite de la voiture de l'Impératrice ; mais il restait souvent en arrière et paraissait souffrir beaucoup des fatigues du voyage. Cette circonstance me valut une orange que Marie-Louise passa probablement pour lui, mais que je pris de la main de l'auguste personne, qui laissa le fruit dans ma main, n'apercevant pas le chambellan à qui elle le destinait.
Le général avait fait inviter les officiers de la brigade à lui prêter un de leurs chevaux sellé à chaque relais. A Strasbourg, mon domestique lui tint prêt le cheval qui avait appartenu à l'officier des Barkos, et qui était devenu ma propriété depuis l'affaire des houlans. Ce cheval, qui avait courtes oreilles et courte queue, était loin d'être jeune et beau; il avait cependant une allure très agréable pour le cavalier : c'était un petit galop de chasse très régulier, auquel il paraissait avoir été accoutumé de longue date. Arrivé à Blamont, qui était la fin du relais, le général vint me dire que ce cheval l'avait délassé des fatigues de la route, et il me pria de le lui laisser pour faire avec lui encore un relais. J'acquiesçai à la demande du général, je tenais à lui être agréable.
Je donnai de Blamont la consigne de la marche à mon ami Jouglas,
officier au régiment qui commandait l'escorte jusqu'au relais
prochain.
Je venais d'avoir l'occasion de voir parfaitement Marie-Louise ; elle me parut être une très belle personne, avec une taille des plus élégantes, une figure très fraîche, de belles dents et une fort jolie main, signe certain de la beauté du pied. La reine de Naples, qui l'accompagnait, était alors dans tout l'éclat de son extraordinaire beauté.
Au relais de Blamont, après la harangue inévitable du maire, un villageois à l'air aisé, qui portait un chapeau à trois cornes, s'approcha de la voiture et dit à l'Impératrice, en se découvrant :
« Madame, rendez bien heureux notre grand Empereur, et surtout faites-lui beaucoup d'enfants. »
Puis il termina son allocution en criant : « Vive l'impératrice Marie-Louise et vive
l'empereur Napoléon. » Marie-Louise, aux paroles naïves du paysan lorrain, ne put s'empêcher de rire, et se retournant vers la reine de Naples, elle lui dit :
« Voilà un Français qui me paraît bien impatient ! Qu'il attende au moins que je sois épousée. »
Le cortège reprit sa route le soir. [...]
Lieutenant- Colonel Parquin
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