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Lorsque, après Lionnois et Durival, divers chercheurs, le juge
de paix Michel, Cayon, A. Cény et Morey songèrent à Claudot, ils
se heurtèrent à des obstacles de toute nature, rareté de
documents, dilficultés de les réunir, contradictions verbales
dans lesquelles il n'était pas commode de déduire la vérité. Ce
qui est facile aujourd'hui, où une publicité à outrance
enregistre les plus petits incidents de vie des personnalités,
et souvent des moindres, qui occupent l'opinion, était, il y a
moins de cent ans, hérissé de complications dont on ne peut se
faire une idée. Mais peu à peu on finit par aboutir : si les
frayeurs de voie ont quelquefois erré, si René Ménard, dans son
livre, d'ailleurs bien fait, sur les artistes en
Alsace-Lorraine, ne mentionne pas même le nom de Claudot, si le
docte Siret, dans son Dictionnaire, esquive toute recherche en
le déclarant « peintre de portraits de l'école lorraine, détails
inconnus », d'autres biographes ont mieux rempli leur tâche en
apportant de sérieuses contributions aux travaux qui devaient
être repris par leurs successeurs. Le père de Claudot, qui remplissait de modestes fonctions dans
la magistrature de la principauté de Salm, mourut trois mois
après la naissance de son fils : sa veuve, à laquelle incombait
l'éducation de quatre enfants, confia le jeune Charles au curé
de Badonviller, qui, frappé des dispositions artistiques de son
élève, l'envoya, dès qu'il fut en âge de quitter le nid
maternel, dans la petite ville de Blâmont, où le peintre fit ses
premières armes en travaillant à la décoration de l'église des
Capucins ; de là il passa à Lunéville et y collabora aux
peintures de l'église des Carmes. La détermination de s'établir à Nancy fut inspirée à Claudot par
le désir d'y retrouver Girardet, qui, l'ayant vu à l'œuvre
lorsqu'il décorait l'église des Carmes de Lunéville, fut frappé
de ses dispositions et lui proposa de devenir son élève. Mais en
1759 le peintre ordinaire de Stanislas était tellement absorbé
par ses multiples travaux aux résidences royales qu'il confia
Claudot à son collaborateur Charles Joly, en attendant qu'il pût
s'occuper de lui, ce qu'il fit un peu plus tard avec la plus
grande bonté et le plus cordial dévouement. Sous la direction de
ses deux maitres, le jeune artiste se familiarisa avec les
principes de l'architecture et de la décoration : il les aida
dans leurs peintures du château de la Malgrange et de la salle
de la Comédie à Nancy et s'acquitta si bien de sa tâche que
Girardet le chargea à peu près complètement de la partie
décorative de ses vastes compositions, et Joly de la mise au
point et de l'exécution de plusieurs de ses maquettes. Son
habileté se développa si rapidement qu'en outre d'un grand
portrait du roi de Pologne pour le salon de l'Hôtel-de-Ville,
Girardet lui fit obtenir, pour le palais du Gouvernement, la
commande de sept grands dessus de porte, dont deux paniers de
fleurs et cinq paysages avec figures, qui malheureusement ont
été détruits. Entre temps, de 1759 à 1766, Claudot peignait une
grande bannière pour la paroisse Saint-Pierre, ornée des deux
figures de saint Stanislas et de saint Pierre, et plusieurs
tableaux d'histoire, entre autres l'Échelle de Jacob et l'Ange
annonçant aux bergers la naissance du Christ, que possède le
musée de Nancy, les Bergers d'Arcadie, qui sont au Musée
lorrain, et l'Adoration des mages, le Baptême du Christ et Jésus
chez Marthe et Marie, placés dans deux chapelles de notre
cathédrale. En cette même année 1766, Stanislas mourait, et son duché était
rattaché à la France. Devenue, un peu contre son gré, simple
chef-lieu provincial, Nancy eut à cœur de rendre un solennel
hommage au dernier duc de Lorraine en lui Elisant de magnifiques
funérailles auxquelles collaborèrent tous les artistes qu'il
avait réunis autour de lui. Claudot fut chargé de dessiner,
d'après les projets de Girardet, le mausolée qui fut élevé par
la municipalité pour la cérémonie du 26 mai dans l'église
Saint-Roch, et dont une gravure de Collin nous a conservé le
grand caractère. On attribue à Claudot une peinture de
l'ensemble de cette décoration, qui, d'abord placée au-dessus
d'une cheminée du tribunal de commerce, est aujourd hui au Musée
lorrain ; en outre des consoles et des gradins du catafalque,
Claudot exécuta divers emblèmes et attributs mortuaires à
l'entrée et dans le chœur de l'église.
Peu de peintres ont eu une carrière plus heureuse, plus active
et plus honorée que Joseph Vernet, dont son ami Diderot disait
un peu emphatiquement et avec majuscules que ses ouvrages
étaient « comme le Créateur pour la célérité, et comme la Nature
pour la vérité ». Né en 1714, il était fils d'un peintre
d'attributs d'Avignon, qui n'avait pas moins de vingt-deux
enfants ; dès sa quatorzième année, il aidait son père en ornant
fort bien des panneaux de voitures et de chaises à porteurs : à
dix-sept ans, il se tira à son honneur de la décoration de
l'hôtel de Soubise. Comme beaucoup de peintres de son époque, il
se rendit à Rome à l'âge de vingt ans et, sans fortune, y mena
tout d'abord une vie assez besogneuse. Mais cette période fut de
courte durée; entré dans l'atelier d'un peintre obscur dont le
nom seul nous est resté, Fergioni, puis dans celui d'Adrien
Manglard, il fut recommandé à un cardinal qui lui commanda deux
marines. Il était lancé et ne s'arrêta plus. Les nombreux
tableaux qu'il exécutait déjà avec une prestigieuse habileté
trouvèrent des acheteurs non seulement à Rome, mais à Paris, où
l'Académie royale de peinture se l'associa dès 1745 et le nomma
membre titulaire à son retour en France, en 1753. Louis XV se
l'attacha, le chargea d'exécuter l'importante série des Ports de
France et le logea au Louvre. De 1753 à 1789, date de sa mort,
il se prodigua dans des centaines de compositions dont
l'ordonnance élégante et la facture alerte sont la joie des
yeux. Marié à Rome à une femme charmante, d'origine anglaise,
lié à Paris avec l'élite de la cour, du monde, de l'art et de la
critique, d'une santé robuste, d'une humeur enjouée, il goûta
toutes les satisfactions qu'on peut ambitionner en ce monde. A Joseph Vernet revient l'honneur d'avoir ramené la peinture du paysage à une interprétation plus directe de la nature, mais il convient d'ajouter que l'empreinte des tendances conventionnelles italiennes, dont il ne put jamais se libérer, l'empêcha de jouer le rôle d'un véritable novateur. Si un certain nombre de ses tableaux, parmi lesquels on doit signaler le Château Saint-Ange et le Ponte Rolto du Musée du Louvre, gardent un aspect de vérité qui nous charme, l'ensemble de son oeuvre considérable accuse la fantaisie et l'arrangement de l'atelier. Il est certain, comme l'affirme un critique d'un jugement très sûr, M. Arsène Alexandre, qu'il a fait souvent des études d'après nature, mais elles n'étaient pour lui que des exercices qui le tenaient en haleine pour entretenir son extraordinaire facilité. Tous les tableaux qu'il a exécutés à Paris, d'après des thèmes que lui donnaient les amateurs, brouillards, coups de vent, calmes, tempêtes, étaient composés et peints de pratique, jetés sur la toile sans la préparation d'esquisses préliminaires qui, disait-il, le déroutaient, et sous le feu spontané de son imagination. A la date du 6 mai 1765, il écrivait à M. Girardot de Marigny ; « Je serais encore gêné si j'avais devant moi une esquisse qu'on eût approuvée, parce qu'il n'est pas douteux que lorsque je voudrais exécuter en grand, il me viendrait dans la tête d'y faire des changements que je n'oserais hasarder, de crainte qu'ils ne fussent pas du goût de ceux pour lesquels « je ferais le tableau. » Il resta toute sa vie un improvisateur exquis et un véritable magicien de la brosse, aussi à l'aise dans ses petites compositions que dans ses vastes Ports de France, oeuvres élégantes et faciles, tellement admirées par Louis XV qu'à une réflexion indiscrète de son portraitiste La Tour sur l'absence de marine de la France, le roi répliquait sèchement au peintre : « Que dites-vous là ? Et Vernet, donc ! » Si flatteur qu'il soit, ce propos royal, relaté par Chamfort, a été révisé par la postérité. Joseph Vernet est aujourd'hui, de par le verdict de l'opinion, un mariniste et un paysagiste important et distingué dont la place est haute dans notre école française ; c'est le premier artiste du dix-huitième siècle qui ait soulevé les voiles routiniers sous lesquels s'affadissait la peinture de son temps, et on ne saurait trop l'en louer. Mais s'il fut l'instigateur d'un retour à la réalité, si de son oeuvre se dégagent parfois les éclairs d'un précurseur, il ne peut être classé parmi les régénérateurs de l'art. Une tradition veut que dans une de ses premières traversées il se soit fait attacher au mât d'un navire pour observer le fracas d'une tempête : cet acte de témérité, s'il est authentique, est plutôt une audacieuse fantaisie de jeunesse que l'impulsion d'un tempérament porté vers l'étude acharnée de la vérité, car avec les années ce beau feu s'est calmé et les appels de l'artiste à la nature sont devenus de moins en moins fréquents, à mesure que les commandes accumulées des collectionneurs l'obligeaient à un travail d'atelier sans trêve. N'oublions pas toutefois qu'il nous a donné un grand exemple, trop mal suivi encore, en couvrant ses croquis d'après nature de notations qui lui permettaient de rester en contact avec les aspects vrais de ses sites, en apportant à sa mémoire la précision de ses observations rapides. Ce sujet est d'une sérieuse importance, mais il faut se contenter de l'effleurer ici. Telle est dans ses grandes lignes la vie de l'artiste que
Claudot eut l'heureuse pensée de venir trouver à Paris, et qui
l'accueillit avec l'affabilité qui était un des traits de son
caractère. Sous sa direction, le jeune Lorrain entrevit des
horizons artistiques nouveaux, l'interprétation habile de toutes
les scènes de la nature, la curiosité des heures, la séduction
de grâce et de clarté d'une peinture jeune et franche, en même
temps que la souplesse et l'agrément d'une exécution preste. Il nous revenait avec une vision transformée et une science de composition et d'exécution qu'il devait mettre à profit, avec des phases diverses, pendant trente-sept années. Ses biographes nous font savoir qu'il s'installa de 1769 jusqu'à sa mort dans la maison de la rue de la Hache qui porte aujourd'hui le n° 50, au coin de la rue Saint-Dizier. L'année même de son retour, sa femme succombait en donnant le jour à son second fils; dans le courant de l'année suivante, le peintre se remariait, à l'église Saint -Sébastien, avec Antoinette Henry, dont il eut deux fils et une fille. A tous les points de vue, il y a lieu de faire trois parts de
l'existence de Claudot depuis sa réinstallation à Nancy jusqu'à
sa mort. Les tableaux de Claudot, répandus dans les maisons de Nancy, auraient dû cependant maintenir la réputation de leur auteur et sauver son nom d'un oubli immérité. Mais, avec le temps et les événements, les goûts artistiques s'étaient modifiés : sous l'omnipotence de David, on se désintéressa des pastorales pour admirer les imitations raides et gourmées de l'antiquité ; puis, par une violente réaction, on se passionna pour la fougue et la richesse des conceptions romantiques. Ce fut seulement au milieu du dix-neuvième siècle qu'on revint aux chantres aimables de la peinture idyllique dont les excès du réalisme faisaient mieux apprécier la grâce et l'attrait. Alors seulement on revint à Claudot, à ses élégantes
compositions, dont la moins bonne garde toujours un caractère
pittoresque, et on leur fit une place de choix dans les
décorations intérieures. Grands ciels dont l'azur est tempéré
par de légers nuages, horizons fermés par les courbes héroïques
de montagnes qui évoquent les Vosges, les Apennins et
quelquefois les « monts glorieux » de la Thessalie et de la
Phocide, colonnes corinthiennes profilant dans l'éther leurs
fûts et leurs architraves où les pampres et les lierres mêlent
leurs fines dentelures au lacis des ornements délités par les
siècles, statues, aqueducs hardis interrompus par des
écroulements, temples en ruines, ponts audacieux, mers largement
étalées, rivières sinueuses au cours brisé par les endiguements,
rochers sourcilleux, couronnés de frondaisons, d'où mugit le
fracas des cascades, grands arbres à moitié desséchés et tordus
par la vieillesse, tous ces éléments pittoresques, que les
lourds imitateurs de Claude le Lorrain avaient figés dans des
arrangements laborieux et fumeux, sont combinés avec une si
bonne grâce et peints avec tant d'agrément dans les tableaux de
Claudot qu'on oublie leur caractère conventionnel pour se
laisser aller à l'impression riante qui s'en dégage. Mais, lorsque Claudot est en bonne veine, lorsqu'il peut prendre son temps et mesurer son effort, c'est vraiment un délicieux producteur de paysages d'harmonie où l'on sent passer le souffle des vieux poètes bucoliques et de leurs continuateurs du dix-huitième siècle, Racan, Segrais, Gessner, Deshoulières et André Chénier. Sans vouloir faire trop de littérature avec ce curieux de lignes et de couleurs, qui n'eut guère le temps de lire, j'ajouterai qu'on peut trouver dans son œuvre l'influence des incitations, vers les beautés de la nature, de J.-J, Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand, peut-être aussi celle des exhortations des physiocrates au retour à la vie des champs, source de tout bonheur et de toute richesse. Mais ce serait trop philosopher que de développer ces rapprochements. La palette de Claudot était fort simple, comme du reste celle
des artistes de son temps, qui, heureusement pour eux, n'avaient
pas à leur disposition les centaines de tons que l'industrie
moderne offre à la peinture. Des terres jaunes, rouges et
vertes, du bleu d'outremer et de Prusse, du vermillon, telles
étaient les modestes ressources dont de grands peintres ont tiré
un si bon parti, et qui nous valent tant de chefs-d'œuvre dont
la conservation est due autant au petit nombre de couleurs
employées qu'cà la franchise de leur application. Le temps a
produit une altération inévitable, mais modérée, sur les
tableaux de Claudot : ils ont, comme air de famille, un œil
rougeâtre qui tient vraisemblablement à ce que ses toiles,
suivant la méthode italienne, étaient revêtues d'une couche
légère d'ocre rouge. Toutefois, ils ont peu foncé, et ses ciels
principalement ont gardé leur limpidité, avec le léger virage au
verdâtre qui est le défaut du bleu de Prusse. A propos de bleu,
je veux citer l'affirmation suivante de Morey, dans ses Artistes
lorrains à l'étranger : « Le prix le plus élevé des tableaux de
Claudot ne dépassait pas six écus de six livres; les moindres
étaient d'un écu de six francs, plus le prix de la couleur de
l'outremer, si toutefois on désirait qu'elle entrât dans les
ciels. » Quoiqu'il en soit de ce renseignement, les ciels de
Claudot ont tous une telle analogie de tons et de valeurs qu'il
faudrait en inférer, ou que le temps a exercé une action
semblable sur les deux bleus, ou que très peu d'amateurs ont
consenti à accepter la plus-value de l'outremer. Save a raison
en insistant sur le côté décoratif de l'œuvre de Claudot, mais
il restreint son rôle en le qualifiant de peintre-décorateur,
dans le titre même de son travail paru dans la Lorraine Artiste.
Ce vocable semble le circonscrire dans une courte spécialité,
tandis qu'en outre de décors de théâtre, parmi lesquels il faut
citer le grand palais qu'il brossa en 1803, d'après les dessins
de Girardet, pour la première représentation à Nancy du Jugement
de Salomon, et qui passa au théâtre de Lunéville, il a peint de
grands tableaux religieux, de vastes compositions mythologiques,
des scènes d'histoire et une quantité énorme de paysages. Ses
trumeaux et ses dessins de portes et de glaces sont de
véritables tableaux dont la plupart ont été enlevés de leur
destination première pour entrer dans les collections les plus
choisies. Il faut reconnaître que leur place primitive est
encore celle qui leur est le plus favorable, parce que leur
exécution hardie et rapide rend mieux son effet à une certaine
distance, mais ils n'en tiennent pas moins un rang fort
honorable au milieu des peintures les plus attrayantes.
N'oublions pas que Joseph Vernet, Boucher, Fragonard, Hubert
Robert et tant d'excellents maitres du dix-huitième siècle ont
peint aussi des dessus de portes et de glaces, qui ont été
depuis longtemps détachés pour figurer dans nos musées parmi les
plus belles productions de l'art français. Claudot ne fut
évidemment que leur modeste imitateur, mais il mérite d'être
classé parmi les paysagistes dont les ouvrages se verront
toujours avec plaisir ; c'est un sérieux éloge à lui adresser
lorsqu'on voit tant de productions artistiques sombrer dans une
morne indifférence. La physionomie de Claudot, telle qu'il nous l'a transmise
lui-même, reflète bien le caractère de sa peinture. Le visage,
régulier et d'allure distinguée, précise son goût pour les
arrangements corrects de de ses compositions, et l'œil spirituel
révèle l'habileté vraiment exceptionnelle avec laquelle il en
rendait les plus petits détails. Je partage pleinement cette
fois l'opinion de Save, affirmant que ces traits sans ingénuité
accusent plus de finesse que de tendance à l'émotion, et que «
la nature devait manquer pour Claudot d'architecture romaine ».
Ne lui demandons que ce qu'il a su si bien nous donner. L'art
est infini dans ses compréhensions et dans les sentiments
qu'elles éveillent en nous; à côté des peintres qui émeuvent nos
cœurs, il y a place pour ceux qui réjouissent nos regards : les
premiers nous touchent, les autres nous distraient de nos
préoccupations et nous délassent, en nous charmant, des heures
pesantes de la vie.
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