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Claudot - 1733-1805

Voir aussi Charles Claudot

Note : Claudot n'est pas décédé en 1806, mais le 28 décembre 1805
 


REVUE LORRAINE ILLUSTRÉE
1909

Jean-Baptiste Claudot

CLAUDOT

DÉLASSONS-NOUS aujourd’hui dans la compagnie d’un aimable artiste, d’un évocateur de contrées de rêve où l’air est doux, où une lumière blonde égaie des sites agréables et, ce qui est plus rare encore, où l’homme parait toujours heureux et vertueux. En face de ces paysages de grâce et de paix, on se prend à évoquer des souvenirs classiques de jeunesse et des réminiscences poétiques modernes : des fragments de Méléagre, de Bion, de Virgile, des parnassiens contemporains, Hérédia entre autres, reviennent à la mémoire, et l’on se figurerait volontiers l’auteur de ces peintures bucoliques installé comme le jeune Théocrite dans l’ile de Cos, sous un portique en face duquel bleuissent les flots de la mer Egée,
Et là-bas, à travers la lumineuse gaze,
Le Parnasse où, le soir, las d’un vol immortel,
Se pose, et d’où s’envole, à l’aurore, Pégase.
Cependant, Jean-Baptiste-Charles Claudot n’a jamais visité ni la Grèce, ni même l’Italie. A part un séjour de trois ans à Paris et des excursions en Lorraine, toute sa vie s’est écoulée à Badonviller d’abord, où il naquit en 1733, puis à Blâmont, à Lunéville, à Pont-à-Mousson et enfin à Nancy, où il mourut en 1806. Nous verrons, en parcourant sa carrière, à quelles sources il puisa les tendances de paysagiste vers lesquelles, après plusieurs essais, son talent s’orienta définitivement.
Le nom de Claudot est populaire en Lorraine. Ses oeuvres ornent nos églises, nos musées, nos demeures avec une telle abondance qu’on se demande comment un seul peintre, eût-il exercé sa profession pendant plus de cinquante-cinq ans, a pu en produire un si grand nombre. On a souvent affirmé qu’il se faisait aider par ses fils et ses élèves, mais cette opinion repose plutôt sur des inductions que sur des faits et ne peut être considérée comme indiscutable. Bien entendu, il n’est question ici que des tableaux qui sont vraiment de lui, car on en rencontre un peu partout des imitations et des copies dont beaucoup exigent un grand discernement pour ne pas être confondues avec les originaux : il y a une vingtaine d’années, les pseudo-Claudot sortaient par douzaines de plusieurs ateliers, revêtus de cet enduit séculaire sous lequel on vieillit si souvent et si facilement les peintures toutes fraîches. Depuis, cette branche de pastiche semble abandonnée, soit que les amateurs se soient raréfiés, soit qu’ils aient montré plus d’exigences sur l’authenticité de leurs achats.
Malgré la notoriété, on pourrait presque dire, toutes proportions gardées, la célébrité de Claudot, la vie de cet infatigable artiste n’a été vraiment connue que près de quatre-vingts ans après sa mort. Jusque-là, quelques écrivains s’étaient occupés de lui, mais dans des études incomplètes et quelquefois erronées. On était en désaccord non seulement sur les dates de la naissance et du décès du peintre, mais sur son nom, que la plupart des Nancéiens de ma génération prononçaient Claudon, par une cacographie assez fréquente en Lorraine, et même Glaudon, comme le disait obstinément mon vieux camarade d’atelier Victor de Bouillé. Le mordant Ch. Courbe, qui se complaisait à rectifier, s’est attaché à relever ces erreurs avec sa verve gauloise, mais un étalage d’érudition pour les signaler me parait aujourd’hui vain et sans intérêt : il faut reconnaître, à la décharge de leurs auteurs, qu’aucun contemporain de Claudot n’a pris le soin de nous renseigner avec assez de détails sur son existence, et que sa mort passa à peu près inaperçue, à une époque où l’épopée napoléonienne ne laissait guère de place aux préoccupations artistiques.

Jean-Baptiste Claudot

Lorsque, après Lionnois et Durival, divers chercheurs, le juge de paix Michel, Cayon, A. Cény et Morey songèrent à Claudot, ils se heurtèrent à des obstacles de toute nature, rareté de documents, dilficultés de les réunir, contradictions verbales dans lesquelles il n’était pas commode de déduire la vérité. Ce qui est facile aujourd’hui, où une publicité à outrance enregistre les plus petits incidents de vie des personnalités, et souvent des moindres, qui occupent l’opinion, était, il y a moins de cent ans, hérissé de complications dont on ne peut se faire une idée. Mais peu à peu on finit par aboutir : si les frayeurs de voie ont quelquefois erré, si René Ménard, dans son livre, d’ailleurs bien fait, sur les artistes en Alsace-Lorraine, ne mentionne pas même le nom de Claudot, si le docte Siret, dans son Dictionnaire, esquive toute recherche en le déclarant «  peintre de portraits de l’école lorraine, détails inconnus », d’autres biographes ont mieux rempli leur tâche en apportant de sérieuses contributions aux travaux qui devaient être repris par leurs successeurs.
Au total, c’est seulement en 1888 qu’un critique auquel notre histoire artistique est redevable d’appréciations compétentes et d’utiles renseignements, où on peut regretter quelque fantaisie et trop de partialité, le décorateur Gaston Save, fit connaître la vie et l’œuvre de Claudot dans une étude remplie d’intéressantes indications. Nous connaissons maintenant l’essentiel de l’existence de notre compatriote. Ce n’est évidemment pas assez pour satisfaire notre curiosité de bons Lorrains, mais, en songeant que nous sommes moins documentés sur Claude Gellée que sur Claudot, nous nous contenterons plus aisément de n’en pas savoir davantage sur ce dernier, que nous pourrons suivre suffisamment dans les phases de sa carrière.

Jean-Baptiste Claudot

Le père de Claudot, qui remplissait de modestes fonctions dans la magistrature de la principauté de Salm, mourut trois mois après la naissance de son fils : sa veuve, à laquelle incombait l’éducation de quatre enfants, confia le jeune Charles au curé de Badonviller, qui, frappé des dispositions artistiques de son élève, l’envoya, dès qu’il fut en âge de quitter le nid maternel, dans la petite ville de Blâmont, où le peintre fit ses premières armes en travaillant à la décoration de l’église des Capucins ; de là il passa à Lunéville et y collabora aux peintures de l’église des Carmes.
C’est tout ce qui nous a été transmis de ses débuts, mais on peut conjecturer et même certifier que Claudot emporta de son séjour à Badonviller, qui, suivant toute vraisemblance, se prolongea jusqu’à sa quinzième année, des impressions de nature qui s’imposèrent plus tard à son tempérament et en firent le paysagiste qu’il est devenu. Les environs de Badonviller se recommandent par le caractère agreste qui marque le plus grand nombre de ses tableaux: Claudot dut parcourir maintes fois les plaines riantes couronnées par les étages des montagnes, s’enfoncer dans les forêts dont le silence est égayé par le murmure des sources et le bruit des torrents, escalader les hauteurs du Donon et du Ballon de Rougimont, suivre les méandres de la vallée de Celles, explorer les ruines du château de Pierre-Percée, contourner les bords du lac de Lamaix, dont les eaux calmes reflètent les hêtres et les sapins. Ces alentours vosgiens, encore accessibles et accueillants, ces contrastes entre la plaine et les monts, ces horizons aux lignes souples, ces ciels allégés par les voiles de nos climats tempérés se retrouvent dans un grand nombre de ses paysages, et si l’influence de Joseph Vernet y ajouta, vingt ans après, un peu de pompe italienne, on y sent toujours l’empreinte de ses jeunes visions et de la terre natale.
Les travaux de Claudot à Blâmont et à Lunéville fixèrent l’attention sur lui, car en 1753, à l’âge de vingt ans, il fut appelé par les Pères Jésuites du pensionnat de Pont-à-Mousson et nommé professeur de dessin et de peinture à cet établissement ; il remplit ce poste jusqu’en 1759, date à laquelle il vint se fixer à Nancy et épousa Marie-Louise Hat, fille d’un maître tailleur pour femmes. Lionnois, qui nous renseigne sur ce mariage, ajoute que le peintre habitait alors chez son beau-père, au n° 5 de la rue Stanislas, et que, deux ans après, il paya son droit à la ville comme nouvel entrant.

Jean-Baptiste Claudot

La détermination de s’établir à Nancy fut inspirée à Claudot par le désir d’y retrouver Girardet, qui, l’ayant vu à l’œuvre lorsqu’il décorait l’église des Carmes de Lunéville, fut frappé de ses dispositions et lui proposa de devenir son élève. Mais en 1759 le peintre ordinaire de Stanislas était tellement absorbé par ses multiples travaux aux résidences royales qu’il confia Claudot à son collaborateur Charles Joly, en attendant qu’il pût s’occuper de lui, ce qu’il fit un peu plus tard avec la plus grande bonté et le plus cordial dévouement. Sous la direction de ses deux maitres, le jeune artiste se familiarisa avec les principes de l’architecture et de la décoration : il les aida dans leurs peintures du château de la Malgrange et de la salle de la Comédie à Nancy et s’acquitta si bien de sa tâche que Girardet le chargea à peu près complètement de la partie décorative de ses vastes compositions, et Joly de la mise au point et de l’exécution de plusieurs de ses maquettes. Son habileté se développa si rapidement qu’en outre d’un grand portrait du roi de Pologne pour le salon de l’Hôtel-de-Ville, Girardet lui fit obtenir, pour le palais du Gouvernement, la commande de sept grands dessus de porte, dont deux paniers de fleurs et cinq paysages avec figures, qui malheureusement ont été détruits. Entre temps, de 1759 à 1766, Claudot peignait une grande bannière pour la paroisse Saint-Pierre, ornée des deux figures de saint Stanislas et de saint Pierre, et plusieurs tableaux d’histoire, entre autres l’Échelle de Jacob et l’Ange annonçant aux bergers la naissance du Christ, que possède le musée de Nancy, les Bergers d’Arcadie, qui sont au Musée lorrain, et l’Adoration des mages, le Baptême du Christ et Jésus chez Marthe et Marie, placés dans deux chapelles de notre cathédrale.
Donnons une mention particulière à un décor que le peintre exécuta en 1766 sur les dessins de Joly pour le théâtre de Nancy, et que Gaston Save, qui s’y connaissait, déclare le plus beau de notre théâtre et décrit ainsi : «  Cette composition grandiose occupe six plans, dont les trois premiers figurent de grandes arcades aux entrecolonnements garnis de statues de dieux plus grandes que nature et dont le riche entablement atteint les frises. Les derniers plans figurent une coupole largement ouverte, décorée à profusion de sculptures, de marbres et de dorures. La perspective se terminait à l’infini, sur la toile de fond, par de hauts portiques conduisant à un arc triomphal entouré de jardins. » Save ajoute que cette dernière partie est presque détruite, que les modifications d’écartement des portants du théâtre, lorsqu’il écrivait sa notice, ne permettaient plus de bien juger de la beauté du reste, et que la peinture avait bien souffert de l’humidité et de restaurations maladroites. Il est présumable que ce décor ne sera plus approprié aux proportions scéniques du nouveau théâtre, et que le temps continuera à exercer sur lui son œuvre funeste. On pourrait souhaiter tout au moins qu’il en fût exécuté une réduction conservée dans une des salles de notre école des Beaux-Arts, afin d’en perpétuer la riche composition et la belle ordonnance.

Jean-Baptiste Claudot

En cette même année 1766, Stanislas mourait, et son duché était rattaché à la France. Devenue, un peu contre son gré, simple chef-lieu provincial, Nancy eut à cœur de rendre un solennel hommage au dernier duc de Lorraine en lui Elisant de magnifiques funérailles auxquelles collaborèrent tous les artistes qu’il avait réunis autour de lui. Claudot fut chargé de dessiner, d’après les projets de Girardet, le mausolée qui fut élevé par la municipalité pour la cérémonie du 26 mai dans l’église Saint-Roch, et dont une gravure de Collin nous a conservé le grand caractère. On attribue à Claudot une peinture de l’ensemble de cette décoration, qui, d’abord placée au-dessus d’une cheminée du tribunal de commerce, est aujourd hui au Musée lorrain ; en outre des consoles et des gradins du catafalque, Claudot exécuta divers emblèmes et attributs mortuaires à l’entrée et dans le chœur de l’église.
Cette date de 1766, si importante dans l’histoire de la Lorraine, le fut également pour les destinées de notre jeune peintre. La mort de Stanislas jeta le désarroi dans la phalange artistique concentrée à sa cour ; les commandes qu’il prodiguait aux peintres, aux sculpteurs et aux architectes cessèrent absolument, et les malheureux artistes, privés de leur soutien, traversèrent des jours d’épreuve qui pour la plupart ne devaient pas avoir de terme. Claudot se rendit compte de cette triste situation : jeune et courageux, il se dit qu’il devait chercher une autre route et se décida résolument à aller trouver à Paris Joseph Vernet, dont il avait eu l’occasion d’admirer l’œuvre gravé. Cette inspiration fut pour lui le salut et le début d’une ère nouvelle. S’il était resté à Nancy, il est hors de doute que son talent, procédant de celui de ses deux maitres lorrains et cantonné dans leur spécialité, ne se fût pas ouvert une voie plus large, dans laquelle lui servirent les excellents principes de goût, de dessin et d’arrangement que Girardet et Joly lui avaient inculqués.

Jean-Baptiste Claudot

Peu de peintres ont eu une carrière plus heureuse, plus active et plus honorée que Joseph Vernet, dont son ami Diderot disait un peu emphatiquement et avec majuscules que ses ouvrages étaient «  comme le Créateur pour la célérité, et comme la Nature pour la vérité ». Né en 1714, il était fils d’un peintre d’attributs d’Avignon, qui n’avait pas moins de vingt-deux enfants ; dès sa quatorzième année, il aidait son père en ornant fort bien des panneaux de voitures et de chaises à porteurs : à dix-sept ans, il se tira à son honneur de la décoration de l’hôtel de Soubise. Comme beaucoup de peintres de son époque, il se rendit à Rome à l’âge de vingt ans et, sans fortune, y mena tout d’abord une vie assez besogneuse. Mais cette période fut de courte durée; entré dans l’atelier d’un peintre obscur dont le nom seul nous est resté, Fergioni, puis dans celui d’Adrien Manglard, il fut recommandé à un cardinal qui lui commanda deux marines. Il était lancé et ne s’arrêta plus. Les nombreux tableaux qu’il exécutait déjà avec une prestigieuse habileté trouvèrent des acheteurs non seulement à Rome, mais à Paris, où l’Académie royale de peinture se l’associa dès 1745 et le nomma membre titulaire à son retour en France, en 1753. Louis XV se l’attacha, le chargea d’exécuter l’importante série des Ports de France et le logea au Louvre. De 1753 à 1789, date de sa mort, il se prodigua dans des centaines de compositions dont l’ordonnance élégante et la facture alerte sont la joie des yeux. Marié à Rome à une femme charmante, d’origine anglaise, lié à Paris avec l’élite de la cour, du monde, de l’art et de la critique, d’une santé robuste, d’une humeur enjouée, il goûta toutes les satisfactions qu’on peut ambitionner en ce monde.
Vers le milieu du dix-huitième siècle, les traditions de Claude le Lorrain s’étaient perverties sous la pratique d’imitateurs maladroits. La magnificence de ses compositions avait fait place à un héroïsme artificiel alourdi encore par des éclairages de convention et par l’absence d’atmosphère. Watteau, Oudry, Pater et Lancret, qui avaient réagi contre l’invasion systématique d’accessoires théâtraux, temples compliqués, cascades figées et rochers cartonneux, étaient morts, et au lieu de leurs coins vivants de nature baignés de lumière, les fabricants de fêtes galantes ne considéraient plus le paysage que comme un décor inconsistant et sans caractère propre.

Jean-Baptiste Claudot

A Joseph Vernet revient l’honneur d’avoir ramené la peinture du paysage à une interprétation plus directe de la nature, mais il convient d’ajouter que l’empreinte des tendances conventionnelles italiennes, dont il ne put jamais se libérer, l’empêcha de jouer le rôle d’un véritable novateur. Si un certain nombre de ses tableaux, parmi lesquels on doit signaler le Château Saint-Ange et le Ponte Rolto du Musée du Louvre, gardent un aspect de vérité qui nous charme, l’ensemble de son oeuvre considérable accuse la fantaisie et l’arrangement de l’atelier. Il est certain, comme l’affirme un critique d’un jugement très sûr, M. Arsène Alexandre, qu’il a fait souvent des études d’après nature, mais elles n’étaient pour lui que des exercices qui le tenaient en haleine pour entretenir son extraordinaire facilité. Tous les tableaux qu’il a exécutés à Paris, d’après des thèmes que lui donnaient les amateurs, brouillards, coups de vent, calmes, tempêtes, étaient composés et peints de pratique, jetés sur la toile sans la préparation d’esquisses préliminaires qui, disait-il, le déroutaient, et sous le feu spontané de son imagination. A la date du 6 mai 1765, il écrivait à M. Girardot de Marigny ; «  Je serais encore gêné si j’avais devant moi une esquisse qu’on eût approuvée, parce qu’il n’est pas douteux que lorsque je voudrais exécuter en grand, il me viendrait dans la tête d’y faire des changements que je n’oserais hasarder, de crainte qu’ils ne fussent pas du goût de ceux pour lesquels «  je ferais le tableau. » Il resta toute sa vie un improvisateur exquis et un véritable magicien de la brosse, aussi à l’aise dans ses petites compositions que dans ses vastes Ports de France, oeuvres élégantes et faciles, tellement admirées par Louis XV qu’à une réflexion indiscrète de son portraitiste La Tour sur l’absence de marine de la France, le roi répliquait sèchement au peintre : «  Que dites-vous là ? Et Vernet, donc ! »

Jean-Baptiste Claudot

Si flatteur qu’il soit, ce propos royal, relaté par Chamfort, a été révisé par la postérité. Joseph Vernet est aujourd’hui, de par le verdict de l’opinion, un mariniste et un paysagiste important et distingué dont la place est haute dans notre école française ; c’est le premier artiste du dix-huitième siècle qui ait soulevé les voiles routiniers sous lesquels s’affadissait la peinture de son temps, et on ne saurait trop l’en louer. Mais s’il fut l’instigateur d’un retour à la réalité, si de son oeuvre se dégagent parfois les éclairs d’un précurseur, il ne peut être classé parmi les régénérateurs de l’art. Une tradition veut que dans une de ses premières traversées il se soit fait attacher au mât d’un navire pour observer le fracas d’une tempête : cet acte de témérité, s’il est authentique, est plutôt une audacieuse fantaisie de jeunesse que l’impulsion d’un tempérament porté vers l’étude acharnée de la vérité, car avec les années ce beau feu s’est calmé et les appels de l’artiste à la nature sont devenus de moins en moins fréquents, à mesure que les commandes accumulées des collectionneurs l’obligeaient à un travail d’atelier sans trêve. N’oublions pas toutefois qu’il nous a donné un grand exemple, trop mal suivi encore, en couvrant ses croquis d’après nature de notations qui lui permettaient de rester en contact avec les aspects vrais de ses sites, en apportant à sa mémoire la précision de ses observations rapides. Ce sujet est d’une sérieuse importance, mais il faut se contenter de l’effleurer ici.

Jean-Baptiste Claudot

Jean-Baptiste Claudot

Telle est dans ses grandes lignes la vie de l’artiste que Claudot eut l’heureuse pensée de venir trouver à Paris, et qui l’accueillit avec l’affabilité qui était un des traits de son caractère. Sous sa direction, le jeune Lorrain entrevit des horizons artistiques nouveaux, l’interprétation habile de toutes les scènes de la nature, la curiosité des heures, la séduction de grâce et de clarté d’une peinture jeune et franche, en même temps que la souplesse et l’agrément d’une exécution preste.
Le talent de Claudot, si bien préparé à cette initiation, grandit rapidement : son maitre se prit pour cet élève intelligent, laborieux et docile, d’une affection dont il lui donna un témoignage public en acceptant d’être en 1767 le parrain de son premier fils. Les progrès de Claudot s’affirmaient par des tableaux que les amateurs de Paris et ceux de Lorraine se disputaient, et dont la réputation, franchissant les frontières, amena plusieurs souverains d’Europe à l’engager à se fixer auprès d’eux. Mais l’enfant de Badonviller gardait toujours au fond du cœur l’amour du pays qui l’avait vu naitre et, malgré l’intimité dans laquelle son ménage vivait avec celui de Joseph Vernet, en dépit des instances de ce dernier à le garder auprès de lui, il se décida en 1769 à rentrer à Nancy, où deux de ses sœurs s’étaient fixées. La Lorraine lui réservait une carrière très honorable, mais assurément moins brillante et moins fructueuse que celle qui l’attendait s’il était resté à Paris ou s’il s’était établi dans une des cours européennes dont il avait décliné les ouvertures. Son attachement au sol natal marque chez lui un désintéressement des plus rares et des plus méritoires.

Jean-Baptiste Claudot

Il nous revenait avec une vision transformée et une science de composition et d’exécution qu’il devait mettre à profit, avec des phases diverses, pendant trente-sept années. Ses biographes nous font savoir qu’il s’installa de 1769 jusqu’à sa mort dans la maison de la rue de la Hache qui porte aujourd’hui le n° 50, au coin de la rue Saint-Dizier. L’année même de son retour, sa femme succombait en donnant le jour à son second fils; dans le courant de l’année suivante, le peintre se remariait, à l’église Saint -Sébastien, avec Antoinette Henry, dont il eut deux fils et une fille.

Jean-Baptiste Claudot

A tous les points de vue, il y a lieu de faire trois parts de l’existence de Claudot depuis sa réinstallation à Nancy jusqu’à sa mort.
De 1769 à la Révolution, il goûta le calme de la vie de famille et les satisfactions d’un travail stimulé par une vogue toujours croissante. Tout en exécutant des paysages des dimensions les plus variées, il se consacra surtout à la peinture des scènes champêtres qu’il était de mode alors de placer au-dessus des glaces et des portes ou d’enchâsser dans les trumeaux des appartements, entre les fenêtres. Il s’appliqua à rendre sur ses toiles les grands aspects de nature un peu apprêtée dont Joseph Vernet lui avait donné tant d’exemples, et sa participation à ces embellissements des maisons de la cité fut considérable. D’un autre côté, la municipalité lui commanda un certain nombre de travaux : en 1774, il fut chargé de la maquette de la décoration des mausolées édifiés dans les églises des Dominicains et Saint-Roch pour les services funèbres célébrés les 29 mai et 18 juin à la mémoire de Louis XV ; trois ans plus tard, on lui confia le tableau du maître-autel de l’église Sainte -Elisabeth ou des Sœurs-Grisés, détruit quelques années plus tard et représentant une Assomption dans un décor d’architecture; en 1778, l’artiste peignit deux grands paysages pour le salon de l’hôtel de l’Intendance, place Royale, et en 1779 les décorations de la salle du Nouveau-Concert. Cette série se clôt en 1790 par la réparation des peintures à la détrempe de Girardet au salon carré de l’Hôtel-de-Ville, que le mouvement des murs avait crevassées et abîmées.
Heureux jusqu’à l’année 1792, Claudot traversa, à cette époque terrible de notre histoire nationale, de longs jours de tristesse et d’épreuves. D’abord, les préoccupations de cette époque tourmentée portèrent aux beaux-arts un coup redoutable : les amateurs, frappés dans leur fortune, devinrent de plus en plus rares, et les quelques commandes faites à Claudot lui furent payées en assignats. D’un autre côté, l’émigration de ses deux fils ainés fit noter le peintre comme suspect et l’amena en 1793 à porter à la Monnaie ses bijoux et ses modestes ressources, pour venir en aide à la patrie en danger et détourner de ses enfants les rigueurs des tribunaux révolutionnaires. Ce généreux sacrifice plongea Claudot dans une détresse dont il chercha à sortir en multipliant ses travaux et en les cédant à vil prix à des intermédiaires qui exploitèrent sa lamentable position : sa production fut énorme, mais se ressentit de sa fiévreuse activité en dégénérant en un métier où ses qualités de fraîcheur et de grâce s’alourdirent. Pour bien apprécier l’ensemble de sa carrière, il est équitable d’en distraire ces années de labeur forcé, de 1792 à 1799.
A partir du Consulat, la chaîne des années heureuses se renoua; ses deux fils rentrèrent auprès de Claudot, et les œuvres charmantes recommencèrent à naître sous ses pinceaux, à tel point que la plupart d’entre elles comptent parmi ses meilleures. Des interrogations plus fréquentes aux enseignements de la nature, provoquées par des commandes de vues de sites déterminés, de propriétés et de villes, marquèrent dans son talent, quoi qu’on en ait dit sans preuves et sans contrôle, une sorte de renouveau, une compréhension vive et jusque-là un peu exceptionnelle de la réalité, en même temps qu’un souci plus personnel d’arrangement. Il suffirait de voir au Musée lorrain les vues de la Place de Grève et du Cours de la Liberté et du Fossé séparant la Ville-Vieille de la Ville-Neuve, exécutées en 1801 depuis les fenêtres de l’appartement de M. Menessier-Lallement, à l’angle de la place Carnot et de la rue des Michottes, et les deux importantes Vues de Bayon, peintes pour décorer la maison de la rue Saint-Jean habitée alors par M. Jaquinet, avocat au Parlement de Nancy, pour constater que Claudot avait retrouvé toute sa verve et n’avait jamais été en plus complète possession de ses moyens. Ces souvenirs, d’un si grand intérêt pour nous, sont égayés par de nombreux personnages du tour le plus spirituel. A cette époque se rattachent aussi beaucoup de paysages peints par Claudot au château de Clévant, où son propriétaire, M. Rolland de Malleloy, recevait l’artiste dans une cordiale intimité. C’est encore de cette période que datent les six beaux trumeaux qui ornaient, jusqu’à la mort de M. Frédéric Pêne, sa propriété de la Côte, avenue de Boufflers, et qui, eux aussi, n’ont pas été exécutés de pratique dans l’atelier de la rue de la Hache : M. Drouot, frère du général, a dit souvent avoir vu Claudot travailler sur place à ces remarquables décorations, ce qui indique chez lui une préoccupation dont il n’était pas coutumier, celle de l’harmonisation de ses peintures avec leur milieu.
Les reproductions de plusieurs de ces œuvres dans cette étude suffiront à montrer que les soixante-dix ans de Claudot n’avaient rien enlevé à la verdeur de son talent, et qu’il pouvait avoir encore devant lui un brillant avenir. Malheureusement, ses chagrins et ses privations avaient ébranlé sa santé, et cette évolution s’était à peine affirmée que la mort enlevait à son pays ce charmant petit-maître. A part quelques lignes banales dans les journaux du temps, cet événement fut à peine remarqué, et il fallut près d’un demi-siècle pour qu’on s’aperçût du vide qu’il avait laissé dans l’art lorrain.

Jean-Baptiste Claudot

Les tableaux de Claudot, répandus dans les maisons de Nancy, auraient dû cependant maintenir la réputation de leur auteur et sauver son nom d’un oubli immérité. Mais, avec le temps et les événements, les goûts artistiques s’étaient modifiés : sous l’omnipotence de David, on se désintéressa des pastorales pour admirer les imitations raides et gourmées de l’antiquité ; puis, par une violente réaction, on se passionna pour la fougue et la richesse des conceptions romantiques. Ce fut seulement au milieu du dix-neuvième siècle qu’on revint aux chantres aimables de la peinture idyllique dont les excès du réalisme faisaient mieux apprécier la grâce et l’attrait.

Jean-Baptiste Claudot

Alors seulement on revint à Claudot, à ses élégantes compositions, dont la moins bonne garde toujours un caractère pittoresque, et on leur fit une place de choix dans les décorations intérieures. Grands ciels dont l’azur est tempéré par de légers nuages, horizons fermés par les courbes héroïques de montagnes qui évoquent les Vosges, les Apennins et quelquefois les «  monts glorieux » de la Thessalie et de la Phocide, colonnes corinthiennes profilant dans l’éther leurs fûts et leurs architraves où les pampres et les lierres mêlent leurs fines dentelures au lacis des ornements délités par les siècles, statues, aqueducs hardis interrompus par des écroulements, temples en ruines, ponts audacieux, mers largement étalées, rivières sinueuses au cours brisé par les endiguements, rochers sourcilleux, couronnés de frondaisons, d’où mugit le fracas des cascades, grands arbres à moitié desséchés et tordus par la vieillesse, tous ces éléments pittoresques, que les lourds imitateurs de Claude le Lorrain avaient figés dans des arrangements laborieux et fumeux, sont combinés avec une si bonne grâce et peints avec tant d’agrément dans les tableaux de Claudot qu’on oublie leur caractère conventionnel pour se laisser aller à l’impression riante qui s’en dégage.
Toutes ces compositions sont animées par de nombreux personnages dont les attitudes d’intimité sont en accord avec les beaux lieux dont ils respirent l’air tiède et pur, groupes devisant au bord des eaux claires, villageois portant leur produits à la ville ou regagnant leurs paisibles foyers, pêcheurs jetant ou suspendant leurs filets, bergers faisant résonner leurs instruments rustiques en gardant leurs troupeaux, femmes lavant du linge dans les anses des rivières, vieillards entourés de leurs petits-enfants. Ces figures, habillées pour la plupart des vêtements du dix-huitième siècle, sont précisées d’une touche habile et ferme, et lorsqu’il plaît au peintre de les draper à l’antique et de s’inspirer de scènes de la Bible ou d’épisodes romains ou grecs, elles ne jettent jamais de notes discordantes dans les paysages qu’elles complètent. Ai-je dit qu’elles sont généralement trop longues et que, par outrance de visées classiques, elles excèdent de deux ou trois têtes le canon le plus tolérant ?
Ce serait louer immodérément Claudot que de lui accorder une trop grande personnalité. Il est bien lui-même dans ses vues de villes, de villages et de châteaux lorrains, et dans celles des bords de la Meurthe et de la Moselle, interprétées d’après ses esquisses, ses notes ou ses souvenirs. Mais une partie notable de ses compositions fait songer d’abord à Joseph Vernet et à Berghem, dont il a copié avec bonheur plusieurs tableaux, puis à divers peintres de scènes champêtres dont les originaux ou les gravures ont dû le séduire, Ruysdaël, Pillement, Loutherbourg, Lallemand, Hubert Robert, d’autres encore.
L’écueil d’une production à outrance, lorsque de fréquentes consultations devant la réalité ne la retrempent pas, c’est la monotonie et l’abus de moyens semblables appliqués à des variantes trop nombreuses. Claudot y tomba souvent, surtout lorsque l’abondance des commandes l’obligeait à bâcler un trumeau par jour. Les parois de son atelier étaient tendues de bandes de toile sur lesquelles, après avoir précisé les dimensions de ses paysages, il passait d’un sujet à l’autre sans arrêt ni répit. Il paraît certain aussi qu’il avait auprès de lui, à gages et à l’année, un broyeur de couleurs et un encadreur qui ne pouvaient le suivre dans son activité. Soit que le succès lui fût venu trop vite, soit que son tempérament l’amenât à se contenter aisément, il n’a jamais connu les inquiétudes, souvent poussées jusqu’à l’obsession, des artistes qui poursuivent âprement un idéal : une fois sa voie choisie, il la suivit d’un pas méthodique, comme un bon travailleur qui s’est tracé sa tâche et tient avant tout à satisfaire sa clientèle.

Jean-Baptiste Claudot

Mais, lorsque Claudot est en bonne veine, lorsqu’il peut prendre son temps et mesurer son effort, c’est vraiment un délicieux producteur de paysages d’harmonie où l’on sent passer le souffle des vieux poètes bucoliques et de leurs continuateurs du dix-huitième siècle, Racan, Segrais, Gessner, Deshoulières et André Chénier. Sans vouloir faire trop de littérature avec ce curieux de lignes et de couleurs, qui n’eut guère le temps de lire, j’ajouterai qu’on peut trouver dans son œuvre l’influence des incitations, vers les beautés de la nature, de J.-J, Rousseau, de Bernardin de Saint-Pierre et de Chateaubriand, peut-être aussi celle des exhortations des physiocrates au retour à la vie des champs, source de tout bonheur et de toute richesse. Mais ce serait trop philosopher que de développer ces rapprochements.

Jean-Baptiste Claudot

La palette de Claudot était fort simple, comme du reste celle des artistes de son temps, qui, heureusement pour eux, n’avaient pas à leur disposition les centaines de tons que l’industrie moderne offre à la peinture. Des terres jaunes, rouges et vertes, du bleu d’outremer et de Prusse, du vermillon, telles étaient les modestes ressources dont de grands peintres ont tiré un si bon parti, et qui nous valent tant de chefs-d’œuvre dont la conservation est due autant au petit nombre de couleurs employées qu’cà la franchise de leur application. Le temps a produit une altération inévitable, mais modérée, sur les tableaux de Claudot : ils ont, comme air de famille, un œil rougeâtre qui tient vraisemblablement à ce que ses toiles, suivant la méthode italienne, étaient revêtues d’une couche légère d’ocre rouge. Toutefois, ils ont peu foncé, et ses ciels principalement ont gardé leur limpidité, avec le léger virage au verdâtre qui est le défaut du bleu de Prusse. A propos de bleu, je veux citer l’affirmation suivante de Morey, dans ses Artistes lorrains à l’étranger : «  Le prix le plus élevé des tableaux de Claudot ne dépassait pas six écus de six livres; les moindres étaient d’un écu de six francs, plus le prix de la couleur de l’outremer, si toutefois on désirait qu’elle entrât dans les ciels. » Quoiqu’il en soit de ce renseignement, les ciels de Claudot ont tous une telle analogie de tons et de valeurs qu’il faudrait en inférer, ou que le temps a exercé une action semblable sur les deux bleus, ou que très peu d’amateurs ont consenti à accepter la plus-value de l’outremer. Save a raison en insistant sur le côté décoratif de l’œuvre de Claudot, mais il restreint son rôle en le qualifiant de peintre-décorateur, dans le titre même de son travail paru dans la Lorraine Artiste. Ce vocable semble le circonscrire dans une courte spécialité, tandis qu’en outre de décors de théâtre, parmi lesquels il faut citer le grand palais qu’il brossa en 1803, d’après les dessins de Girardet, pour la première représentation à Nancy du Jugement de Salomon, et qui passa au théâtre de Lunéville, il a peint de grands tableaux religieux, de vastes compositions mythologiques, des scènes d’histoire et une quantité énorme de paysages. Ses trumeaux et ses dessins de portes et de glaces sont de véritables tableaux dont la plupart ont été enlevés de leur destination première pour entrer dans les collections les plus choisies. Il faut reconnaître que leur place primitive est encore celle qui leur est le plus favorable, parce que leur exécution hardie et rapide rend mieux son effet à une certaine distance, mais ils n’en tiennent pas moins un rang fort honorable au milieu des peintures les plus attrayantes. N’oublions pas que Joseph Vernet, Boucher, Fragonard, Hubert Robert et tant d’excellents maitres du dix-huitième siècle ont peint aussi des dessus de portes et de glaces, qui ont été depuis longtemps détachés pour figurer dans nos musées parmi les plus belles productions de l’art français. Claudot ne fut évidemment que leur modeste imitateur, mais il mérite d’être classé parmi les paysagistes dont les ouvrages se verront toujours avec plaisir ; c’est un sérieux éloge à lui adresser lorsqu’on voit tant de productions artistiques sombrer dans une morne indifférence.
Le pastel a quelquefois tenté Claudot, ainsi qu’en témoigne une composition, traitée avec ce procédé et représentant les Bergers d’Arcadie. Le peintre est revenu plusieurs fois sur ce thème, qui, immortalisé par le Poussin, exprime d’une façon si touchante la fragilité du bonheur et le regret des biens perdus ; il l’a paraphrasé dans le grand tableau du Musée lorrain, et il a collaboré aussi à une variante plus petite, sur l’exécution de laquelle son possesseur, M. le comte de Warren m’a fait connaitre ces particularités intéressantes : le tombeau où repose le pasteur a été peint par son grand-père, les figures par Isabey et le paysage par Claudot.
Signalons aussi de ce dernier des dessins à l’encre de Chine, de forme ovale, qui se trouvent dans nos musées, quelques natures mortes, fleurs et gibier, dont l’agencement est un peu banal et la couleur assez triste, et une décoration murale dans une pièce de la maison n° 21 de la rue de Malzéville.
On pourrait relever chez le peintre pas mal d’anachronismes, mais il faut laisser à l’artiste le droit de s’exprimer comme il lui convient le mieux, même lorsqu’il érige une colonne antique, en guise de porte-lanterne, dans un coin de la Place de Grève ou qu’il flanque la Porte Désilles d’immenses ruines romaines. Il a aussi trop sacrifié au goût de son temps en multipliant les architectures et les coulisses, arbres, rochers ou ruines, dont les plagiaires de notre grand Claude avaient si puérilement abusé. Soyons indulgents pour ces sacrifices à l’exigence de la mode et à une conception, poussée jusqu’au faux héroïsme, de ces moyens décoratifs et théâtraux.

Jean-Baptiste Claudot

La physionomie de Claudot, telle qu'il nous l’a transmise lui-même, reflète bien le caractère de sa peinture. Le visage, régulier et d’allure distinguée, précise son goût pour les arrangements corrects de de ses compositions, et l’œil spirituel révèle l’habileté vraiment exceptionnelle avec laquelle il en rendait les plus petits détails. Je partage pleinement cette fois l’opinion de Save, affirmant que ces traits sans ingénuité accusent plus de finesse que de tendance à l’émotion, et que «  la nature devait manquer pour Claudot d’architecture romaine ». Ne lui demandons que ce qu’il a su si bien nous donner. L’art est infini dans ses compréhensions et dans les sentiments qu’elles éveillent en nous; à côté des peintres qui émeuvent nos cœurs, il y a place pour ceux qui réjouissent nos regards : les premiers nous touchent, les autres nous distraient de nos préoccupations et nous délassent, en nous charmant, des heures pesantes de la vie.
Les illustrations qui commentent si agréablement cet article ont été prises d’après les originaux du Musée lorrain, si riche en documents et si largement ouvert aux chercheurs, et aussi d’après ceux de plusieurs amateurs de notre ville, Mme Henry de Vienne, le comte Beaupré, M. Félix Collenot, M. Marcel Maure et la famille du regretté M. Frédéric Pêne. Je prie les conservateurs de nos souvenirs provinciaux et les possesseurs de Claudot d’agréer ici mes plus vifs remerciements pour l’amabilité avec laquelle ils m’ont permis de puiser dans leurs belles collections.
Tu nous manques, bon et fécond Claudot. Combien tes délicieux mensonges apporteraient de calme et d’apaisement à notre époque inquiète et tourmentée ! Nous vivons, nous autres artistes, dans le trouble, dans l’angoisse de l’avenir, dans la poursuite maladive d’arrangements et d’effets que notre main est impuissante à rendre. Notre palette, complexe jusqu’à la pléthore ou simplifiée jusqu’à l’indigence, se débat dans les lois encore mystérieuses de l’optique, dans les terribles réactions chimiques qui dénaturent nos tons et nos mélanges, dans les complications d’une esthétique nébuleuse dont nous cherchons vainement la formule ; nous peignons trop clair ou trop foncé, tantôt accumulant sur nos toiles des enchevêtrements multicolores à l’aspect farouche et heurté, tantôt noyant nos couleurs dans un lavis fluide qui leur enlève leur ressort et leurs vibrations. Nous voulons trop savoir et trop dire, et nos perplexités nous empêchent de voir dans sa simplicité l’impassible nature qui continue paisiblement sa chanson autour de nous. Pour nous guérir du mal dont nous souffrons, pour nous ramener à une vision plus naïve, il nous faut regarder souvent les paysages arcadiens qui tombaient de tes doigts alertes comme les fleurs des fruitiers aux souffles d’avril. Pendant plus d’un demi-siècle, tu as poursuivi ta tâche aimable, d’un pas tranquille, sans heurts, sans à-coups, éclairant de la pureté de tes ciels, avec ou sans outremer, les campagnes idylliques que tes yeux n’ont point vues, mais qui hantaient ton esprit. Tu ne t’es pas soucié du code des complémentaires pour rendre ces beaux lieux d’illusion où l’on peut croire qu’il ferait bon vivre, parce que les lignes en sont harmonieuses et que l’humanité semble y goûter le bonheur.
Ch. de MEIXMORON DE DOMBASLE.

Jean-Baptiste Claudot

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