On relevé dans l'Histoire
du Blâmontois dans les temps modernes de l'abbé Alphonse
Dedenon le passage suivant :
« Puis, soudain, deux chefs audacieux, voulant venir en aide
aux protestants des Pays-Bas, révoltés contre le Roi d'Espagne,
tentèrent de traverser la Lorraine. A la tête de 60.000 reîtres
ou lansquenets, ils débouchaient des Vosges et envahissaient
Sarrebourg (juin 1622); puis, marchant en deux colonnes, ils
prenaient le chemin de la Seille et de la Vezouze : c'étaient le
duc de Brunswick et Mansfeld. A cette nouvelle, la contrée fut
glacée d'épouvante. « Ces soldats, lisons-nous dans le
Journal de Vuarin, commettaient des crimes
horribles dans les campagnes, ils tuaient ce qu'ils
rencontraient, comme à guerre ouverte, violaient femmes et
filles, pillaient églises et chapelles, coupaient les moissons
sur pied ». Des Lorrains, appartenant au régiment du seigneur de
Lémont accoururent à Blâmont sous la conduite du capitaine
Titello, pour leur barrer la route. Or, ces singuliers
protecteurs firent plus de mal que l'ennemi. Titello, voulant
installer un corps de garde de son invention, fit démolir des
murailles du château, sur une longueur de 30 toises; ses hommes
saccagèrent les granges et écuries, envahirent le palais, et,
n'y trouvant rien à piller, brisèrent stupidement les portes et
les fenêtres, et remplirent le puits d'immondices. Quand arriva
Mansfeld, tous ces braves prirent la fuite ; sans l'ombre de
résistance, les Allemands passèrent et firent peu de mal. »
Et dans les archives de la Chambre des Comptes de Lorraine (Registe
B. 3517 In-folio, 51 feuillets, papier.) :
« 1622. - Compte de Charles Thabouret. - Dépenses : pour
réparations aux murailles du château de Blâmont, tant à celles
qui furent rompues et démolies par les soldats étant en garnison
audit château, qu'à celles que l'on a fait abattre pendant le
passage du comte de Mansfeld; - pour réparations aux écuries,
dégradées par les soldats du régiment de M. de Laimont ; etc. »
Ernst von Mansfeld
Peter Ernst II von Mansfeld (né vers 1580 et mort le 29 novembre
1626 à Rakowitza, village de Bosnie) est un chef de guerre qui
rejoint le camp des protestants en 1610. Lors de la révolte de
Bohême, Charles-Emmanuel de Savoie l'envoi prendre Pilsen avec 2
000 hommes, mais il est battu par les impériaux commandés par
Bucquoy à la bataille de Sablat le 10 juin 1619.
Le roi Frédéric V lui offre le commandement de son armée, que
Mansfeld replie vers le Haut-Palatinat en 1621, puis il passe
dans le Palatinat rhénan où il prend Haguenau le 6 décembre. Il
inflige une défaite à l'armée catholique du comte de Tilly, qui
le poursuivait depuis le Haut-Palatinat, à la bataille de
Mingolsheim le 27 avril 1622. Mansfeld pille l'Alsace et la
Hesse, mais devant les multiples exactions de ses troupes,
Frédéric V le congédie le 13 juillet 1622. Mansfeld, se retrouve
sans soutien financier et abandonne le 15 juillet le siège de
Saverne. Pour conserver ses troupes, il se livre en Alsace à
pillage et rançonnement : il aurait à cette époque 18 régiments
de piétons et 130 escadrons de cavalerie, soit une armée de 40
000 hommes. Il trouve alors un nouvel engagement, et se joint à
ce titre au comte Christian de Brunswick contre Ferdinand II du
Saint-Empire ; ensemble ils prennent le chemin des Pays-Bas,
passant par la Lorraine fin juillet 1622, pour forcer le barrage
des Espagnols à la bataille de Fleurus le 29 août 1622 et aller
prêter main-forte aux assiégés de Bergen-op-Zoom.
La traversée de la
Lorraine
Dans sa
biographie de Ernst von Mansfeld, le comte de Villermont
nous donne de précieuses informations : le chef de guerre aurait
prévenu le Duc de Lorraine de son passage avec 25 000 hommes, en
lui enjoignant de fournir des vivres s'il souhaitait des ravages
amoindris. En effet, Mansfeld agit en mercenaire, et ne payant
plus ses troupes, doit rejoindre au plus vite les Pays-Bas pour
son nouvel engagement : il ne souhaite en aucun cas affronter
inutilement le catholique Duc de Lorraine, et peut-être a-t-il
en mémoire le sort de l'expédition des reîtres venus en 1587 au
secours d'Henri de Navarre, écrasée par le duc de Guise à Auneau
le 24 novembre 1587.
Mansfeld va donc entrer en Lorraine en juillet 1622, s'efforçant
à une traversée des plus rapides (il fait ainsi monter ses
fantassins en croupe des cavaliers), pour atteindre Corny où le
duc de Lorraine lui fournit barques et pontons pour traverser la
Moselle, et envoyer ainsi le danger vers le pays messin.
On ignore la date exacte du passage à Blâmont : l'envoi du
régiment français du seigneur de Lémont, composé de lorrains,
semble selon Dedenon avoir été bien peu utile. Mais a-t-il
permis d'éviter un ravage plus considérable de la ville ? Ou
Mansfeld, dans l'urgence de traverser la Lorraine, s'est-il
efforcé de ne pas s'attirer la colère du Duc de Lorraine dès son
entrée sur le territoire, respectant son courrier du 25 juillet
?
Dans les archives anciennes de la ville d'Épinal on trouve trace
d'un « Demenge Boban va à Blâmont, pour savoir des nouvelles
de l'armée du comte de Mansfeld ; il y retourne le 16 juillet.
[...] Demenge Boban retourne une troisième fois à Blâmont, pour
avoir des nouvelles de l'armée du comte de Mansfeld. »
On peut donc situer le passage de Ernst von Mansfeld à Blâmont
dans la dernière semaine de juillet 1622.
Ernst de Mansfeldt,
par le comte Antoine Charles Hennequin de Villermont
Ed. Bruxelles, Devaux, 1865-66.
Mansfeldt et Halberstadt
n'avaient plus qu'un parti à prendre : chercher fortune au
hasard et la chercher promptement, car leurs troupes étaient
décimées par la faim, et la désertion en vidait les rangs. Ils
étaient aux portes de la Lorraine ; sans avoir de dessein bien
arrêté, ils se décidèrent à se diriger sur la France, soit pour
tenter un coup de main en faveur des Huguenots, soit pour se
rapprocher de la Hollande, où ils étaient appelés. Chose
étrange, ces hommes qui se faisaient un jeu de leur parole,
vis-à-vis de l'Empereur, qui déchiraient sans pitié le sein de
leur patrie et laissaient froidement commettre les plus
monstrueux excès contre leurs compatriotes, changèrent tout à
coup devant l'étranger. Avant de pénétrer sur les terres de la
Lorraine, ils prévinrent courtoisement le duc de leur intention
et s'engagèrent à tenir aussi bonne discipline que possible,
s'il consentait à leur fournir des vivres. La lettre écrite à
cette occasion par Mansfeldt est des plus curieuses et montre le
jugement qu'il portait lui-même sur sa propre armée :
« Monseigneur, à mon grand regret suys-je constrainct de faire
la présente à V. A. sur tel subject qui est pour la requerrir de
me permettre le passage par ses terres pour tirer vers France.
Or, pour l'affection que je porte au bien d'icelle et de ses
Estats, j'ay bien voulu l'en advertir, afin qu'elle chemine au
devant pour pouvoir scavoir où l'armée pourra passer en touchant
le moins que faire à ses Estats, et d'autant que nos soldatz, à
cause du mauvais payment, se donnent licences et commettent des
excès du tout contre ma volonté, je n'ay voulu obmettre d'advertir
V. A. qu'elle fera bien de commander par les lieux où il nous
faudra passer, de faire retirer ès villes et places de seureté
ce qu'il sera de plus précieux à ses subjets, en fortifiant les
places d'autant de gens qu'elle jugera nécessaire, afin que si
elles etoyent attaquées par les soldatz, ils puissent faire
resistence à l'encontre d'eulx, mais aussy d'autre costé V. A.
peult aysement considerer que sans la munition de bouche, il est
impossible qu'on retienne les soldatz en debvoir, et partant je
la prie de donner ordre par tout où l'armée, qui est de 15,000
hommes de pied et 10,000 chevaulx, sera constrainte de passer,
que la munition de bouche y soit suffisamment préparée, pour par
ce moyen tenir les soldatz en leur debvoir et prevenir les
inconveniens que sans cela ne sera possible d'empescher. Je prie
doncq V. A. d'avoir esgard à cecy et de croire qu'ayant esté, je
suis, etc. ( 1 ). »
En même temps qu'il écrivait cette lettre, Mansfeldt donnait
ordre au gouverneur de Haguenau, l'un de ses
lieutenants-colonels, de lever une dernière contribution de
10,000 thalers sur la ville et de le rejoindre en toute hâte
avec sa garnison (2). Craignant d'être suivi de trop près par
les troupes d'Anholt, il fit monter ses fantassins en croupe de
ses nombreux cavaliers et pénétra en Lorraine. Le duc avait à
peine eu le temps de prendre les mesures de précautions que
Mansfeldt lui avait recommandées et il s'attendait aux plus
grandes calamités. Mais par une singularité bien plus
extraordinaire encore que leur courtoisie préventive envers le
duc, Mansfeldt et Halberstadt tinrent parole et firent tout ce
qui était en leur pouvoir pour contenir la licence de leurs
gens. A la vérité, ce pouvoir était très-limité, par la raison
que, ne payant pas les soldats, ils ne pouvaient leur imposer de
frein. Néanmoins le duc, agréablement surpris de ne voir ses
États qu'à moitié ravagés, tint compte aux deux aventuriers de
leur bonne volonté.
« Les dégastz que l'armée de Mansfeldt et d'Halberstadt fait
dans mes pays, écrivait-il au duc de Croy le 29 juillet, ne sont
pas petits, comme vous pourrez juger, car encore que l'intention
des chefs se montre bonne et que le corps d'icelle armée vist
avecq règle, si est ce que les coureurs, pressez par la
nécessité des vivres, font de grands maux et ont forcé quelques
chasteaux et maisons fortes, comme entre autres Luc, et
entrepris celles de Buzemont et Serre, dont ilz ont esté
repoussez avecq perte de quelques-uns des leurs et ont aussy
bruslé la basse-cour du dit Buzemont et quelques maisons du
village, tué hommes, femmes, filles et enfants, tant en ce lieu
qu'en quel ques autres, emmené le bétail qu'ils ont pu prendre
partout et commis plusieurs autres excez, pour lesquels réprimer
j'ay commandé à ma cavalerie de costoyer et empescher les ditz
coureurs (3). »
Le duc espérait que le fléau destructeur passerait rapidement,
et ses inquiétudes furent extrêmes lorsqu'il vit Mansfeldt
s'arrêter pendant près de huit jours dans le voisinage de Nancy,
au grand détriment des campagnes et surtout des châteaux, objet
tout particulier de la haine des bandits du Bâtard. Ce fut avec
un indicible soulagement qu'il apprit enfin son départ. Il
s'empressa de fournir nombre de barques et de pontons pour lui
faire traverser la Moselle à Corny.
(1) Archives du royaume de Belgique. Liasse de
l'audience. Lettre du 25 juillet 1622.
(2) Bibliothèque de Bourgogne. Manuscrits n° 15912, p. 74.
(3) Archives du royaume de Belgique. Liasses de l'audience n
531.
Journal de Pierre Vuarin, garde-notes à Etain. 1587-1666
Publié par Henri Lepage
Éd. Nancy, 1859
1622. Depuis le 15 mars ou
environ jusqu'au commancement de may, pluyes continuelles et
pendant ledit mois par interval, lesquelles néantmoins n'auroient
causés aucuns maux aux biens de la terre, ains fait proffit aux
grains, tant bleds que marsages, par la multiplication des
plantes.
Au mois de juillet, ledit comte de Mansfeld et le due de
Brunswicq, qui estoient ensemble, sachant que S. A. s'estoit
désarmé, auroient demandé passage par Lorraine avec leurs armées
composées de 60,000 personnes, lequel passage on n'auroit sceu
empeschcr, d'autant que Saditte A. n'avoit force suffisante, de
sorte qu'ils seroient entrés, sur la fin dudit mois de juillet,
par le costé de St.-Nicolas, passé entre Metz et le
Pont-à-Mousson et tiré par Mars-la-Tour, Buzy, Rouvres, Amel,
Senon, Eton, Vaudoncourt, tirant à Stenay et de là à Mouzon.
Auquel passage ils auroient tués tous ceux qu'ils rencontroient,
comme à guerre ouverte, brûlé les villages, viollés filles et
femmes, pillés et dérompus les églises, autels, emportés tout ce
qu'ils auroient trouvé de bon et fait les plus grands maux qu'on
ait oui parler auparavant, jaçoit que S. A. leur faisoit fournir
munitions pour vivre.
Qui plus est auroient coupés partyes des grains pendant en
racines, tant bled que marsages, pour leurs nourritures et de
leurs chevaux qu'ils logoient ès églises et chapelles,
desquelles ils faisoient des étables qu'ils laissoient plaines
de fumier et immondices, l'autre partye des grains aiant este
perdu et gaslé, nottamment où ils passoient et conduisoient
leurs canons en nombre de huit pièces, de sorte qu'on n'auroit
que bien peu recueilli ès moissons de laditte année ès finages
ou ils auraient passés, s'estant espandus pour aller courir et
piller trois ou quatre lieues en largeur dedans la Lorraine.
Le village de Gondrecourt en Woipvre fut entièrement brûlé, et
partye de ceux de Belchamp, Aucourt, Jandelize, St-Jean,
Hennemont, Rouvre, avec une infinité d'autres ès environs de
Stenay, Mousay sur la rivière de Meuse et au pays de Verdunois,
en tous lesquels lieux ils auraient fait une infinité de maux,
emmenant avec les meubles tous les chevaux, vaches, moutons et
bestails qu'ils pouvoient rencontrer, les allant chercher
jusqu'au profond des bois où les pauvres gens s'estoient
réfugiés et cachés, les trouvant par le moyen de plusieurs du
pais qui avoient pris les armes et suivoient laditte armée pour
piller, en sorte qu'à aucuns villages il ne leur serait resté
aucun bestail de quelles espèces se puisse estre.
L'on tenoit que laditte armée alloit assiéger Verdun ou Mouzon;
de fait, elle avoit séjourné quelques quinze jours à l'entour
dudit Mouzon, mais elle n'auroit esté assiégé, même ne serait
arresté ès ville et château fort et qui eussent peu faire
résistances ès pays de S. A.
Pendant lequel passage S. À. aurait fait lever gens de guerre et
fait entrer dedans Etain le régiment du sieur de Nubecourt,
composé de mil hommes sans les garçons et bagages, qui y fut
treize jours vivant à discrétion, à la ruyne du peuple, en sorte
que les vivres auraient grandement enchérys, et avant la lin du
mois d'août la quarte de bled valloit 12 fr., l'avoine 5 fr.
D'avantage l'on avoit fait levée de touts les bleds qu'on auroit
pu trouver ès greniers tant de S. A. que des particuliers pour
faire munition pour l'armée de Lorraine que S. A. avoit fait
mettre sur pied pendant le mois d'août, qui estoit de six à sept
mil hommes tant à pied qu'à cheval. Laquelle armée, conduite par
M. le prince de Phalsbourg, sur la fin dudit mois d'août, auroit
séjourné tant audit Etain (où ledit prince estoit logé) qu'és
villages de la prévosté dudit lieu, l'espace de cinq jours
entiers, vivant aussi à leur discrétion, pillants, rançonnants
et faisants de même que l'armée ennemie, excepté qu'ils ne
tuoient ny ne brûloient, le tout à la ruyne des pauvres sujets,
jà pillés et appauvris par le passage de laditte armée.
Les pauvres gens des villages s'estant retirés en leurs maisons
après ledit passage, auroient receus telle infection, tant des
corps morts de plusieurs de laditte armée qui mouroient tous les
jours et autres, qu'on tuoit mêmement les bestes qu'ils
laissoient morts, puanteurs causées par les immondices qu'ils
avoient laissés ès maisons, que plusieurs en sont morts, tant de
dissenterie qu'autres maladies contagieuses. On avait recueilli
le reste des grains ès moissons, qui estoit bien petit,
nottamment audit Etain et villages voisins, laditte armée les
ayant foudroyés et les gens de S. A. fait couper, dissiper et
manger à leurs chevaux.
Les maladies de dissenterie et fièvres auroient tellement
continués qu'ès villages d'Olley, St-Jean, Busy, Belchamp,
Rouvre, Lanhère, Amel, Senon et autres, où l'armée avoit passé,
seroit mort le tiers des hommes et femmes ou environ, même en
seroit mort un grand nombre audit Etain, principalement les
vieux et les pauvres, qui mouraient pour n'estre secourus et de
nécessité qu'ils enduraient, la plus grande partie des autres
estoient affligés des maladies que dessus.
Rédaction :
Thierry Meurant |
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