Dans l'article « Jean Coupaye - Héros
de la Résistance - 1944 », nous avons relaté l'exécution en
forêt de Maîtrechet, proche de Cirey sur Vezouze, de Jean Hubert
COUPAYE, Edouard MORQUIN, Roger ROGER et Charles THOMAS.
A chaque cérémonie ou visite de familles à la stèle des
fusillés, se repose la question des assassins, notamment des
français du « Groupes d'action pour la justice sociale » de
Rennes.
A partir de sources multiples, une approche de réponse à cette
question apparaît désormais possible, susceptible de corrections
ou de compléments.
Ce sont les services du
Sicherheitsdienst (SD) de Rennes, qui sont, en septembre 1944,
repliés au château proche de Val-et-Châtillon : c'est pour cette
raison que leurs anciens auxiliaires à Rennes du « Groupe
d'Action pour la Justice Sociale » (parfois appelé GAJS,
mais plus généralement dénommé « Groupe d'action du Parti
Populaire Français », GAPPF) leurs sont réaffectés (ce
groupe a compté jusqu'à 26 membres, et était arrivé à Rennes le
8 juin 1944).
Après ce séjour en Lorraine,
le
reste du groupe rejoindra Neustadt an der Weinstrasse, où ses membres
devront
choisir entre différentes solutions : engagement dans la Légion
Brandebourg, dans les Waffen SS, dans une école d’espionnage, ou
enfin travail dans les usines avec mission de délation.
Trois témoignages, notamment
recueillis par le cour de justice de Rennes, citent des noms :
-
Armand Lussiez : « J'avais creusé leurs fosses avec Pottier sur ordre d'Imbert »
-
Gaston Guglielminotti :
« arrestation d'un grand nombre de personnes par Imbert,
Chaperon et Lussiez. Parmi les personnes arrêtées, je peux
citer le curé de Petitmont, l'abbé Père, deux gendarmes de
Cirey, dont un fut maltraité par Gallais. »
-
et selon Roger Welvaert,
le peloton d'exécution de la forêt de Maîtrechet était
commandé par deux officiers allemands, Brower et Winzel, et
composé de Lucien Imbert, Chaperon, Tilly, Terrier et
Gonzales.
L’article du Républicain
Lorrain du 27 mai 1950 indique « Le 14, le S.D. quitte
cette ville [Cirey], libéra un certain nombre d'internés, en
envoya d'autres en déportation et en fit conduire 4 dans la
forêt, à 200 mètres de la route 393, où ils furent exécutés par
des miliciens et trois Allemands. Les cadavres, enterrés sur
place, furent découverts et identifiés comme étant ceux de MM.
Morquin, Coupage, Thomas et Roger. »
L’Est-Républicain du même jour indique :
« Les exactions du S.D. de Rennes...
Au cours de son repli vers l’Allemagne, le S.D. de Rennes «
ramassa » six prisonniers à Lunéville, qui furent fusillés à
Domèvre. Cette sinistre besogne devait être répétée à Madrechet,
où quatre résistants furent abattus. Des trois responsables de
ces massacres, seul Fritz Barkenow, 51 ans, sturmbannführer
S.S., est actuellement sous les verrous. Les autres, Hermann
Wenzel, 41 ans, hauptscharführer S.S., et Wolhelm Walter. 44
ans, obersturmführer, courent encore.. »
Les « trois Allemands » ayant, selon le Républicain
Lorrain, participé à Maîtrechet ne peuvent cependant pas
être Barnekow, Wenzel et Walter, puisqu’il est certain que
Breuer est présent. Il reste donc un doute sur la présence et
l’identité de ce troisième allemand...
Parmi les Allemands présents lors de l'assassinat en
forêt de Maitrechet :
-
Adolf BREUER. Le premier, désigné sous
le nom de Brower dans les auditions du tribunal de
Rennes, est le Hauptscharführer Adolf Breuer, commerçant à
Cologne (où il est né le 5 janvier 1913), de la section IV
du SD de Rennes..Après avoir, au début de la guerre, exercé
comme traducteur à Rennes pour la Geheime Feldpolizei, il
intègre la section IV A (lutte contre la résistance) du S.D.
de Rennes, puis la section IV E (contre-espionnage).
Adolf
Breuer a pour maîtresse l'interprète du service,
Marie-Thérèse Honorez (née en Belgique en 1921). A la fin de
la guerre, le couple se glisse en Belgique au sein d'un
convoi de réfugiés allemands, mais il est arrêté à
Bruxelles muni de faux-papiers. Lorsque Breuer apprend que la Cour de justice de
Rennes réclame son extradition, il se suicide dans sa
cellule le 22 mai 1946.
Quant à Marie-Thérèse Honorez, elle est condamnée à
la peine de mort le 31 décembre 1946 par la Cour militaire
de Bruxelles, mais sa peine est commuée en prison à vie, et
elle bénéficie de la grâce du roi des Belges en 1954.
-
Hermann WENZEL. Le second, désigné sous
le nom de Winzel dans les auditions du tribunal de
Rennes, et parfois Wentzel, est le Hauptscharführer
Dr Hermann Wenzel, né le 23 septembre 1910 à
Magdebourg, de la section IV du SD de Rennes, connu sous le
sobriquet de « Mexicano », chirurgien-dentiste à Magdebourg avant-guerre,
spécialiste des affaires de résistance.
Membre de la Geheime Feldpolizei à Lorient de décembre 1941
à juin 1942, il devient membre du SD de Lorient jusqu’à la
dissolution de ce poste en février 1943. Il intègre alors comme Oberscharführer le SD de
Pontivy, en tant qu'adjoint du chef Hammer, puis chef en
1944.. L'Est Républicain du 27 mai 1950 nous apprend que les
exactions à Lunéville et dans le Blâmontois, dépendantes du
SD de Rennes, impliquaient le Sturmbannführer SS Fritz
Barnekow, 51 ans, remis aux autorités
françaises en février 1948 (écroué à Metz, interrogé à
Nancy, et comparaissant devant le tribunal militaire de la
VIème région), et, toujours en fuite, l'Obersturmführer
Wilhelm Walter, 44 ans, et le Hauptscharführer S.S. Hermann
Wenzel, 41 ans. Hermann Wenzel a été inscrit sur la liste
Crowcass (Central
Registry of War Criminals and Security Suspects) des
criminels de guerre recherchés (« S.S. Hauptscharfuehrer in
Abt. IV Sipo and S.D Rennes »).
Les Français, membres
du Groupe d'Action pour la Justice Sociale :
-
Lucien IMBERT. Le groupe français du
GAPFF est commandé par Lucien Maurice Imbert, dit « Le Caïd »,
(né en
1913 à Roanne sous le nom de Roillet). Il est employé du garage Hoppman de Saint-Malo,
lorsqu'il est recruté par le docteur Philippe Daussat
responsable du PPF de Saint-Malo (et médecin de
l'organisation Todt, pour un secteur s'étendant de Granville
à Saint-Brieuc).
Son groupe, d'une quinzaine d'hommes, est
constitué à Rennes le 8 juin 1944.
Lucien Imbert est condamné à mort le 19 septembre 1945 par
la cour de Justice de Rennes, et exécuté à Rennes le 7
novembre 1945.
-
Raymond CHAPPRON.
Raymond Maurice Chappron est né en
1914 à Châtillon-sur-Seine, en Côte d’Or. Lorsqu'il est
recruté pour le groupe, il travaille à Saint-Malo dans le même garage que Imbert.
Il est attesté que le 7 juillet 1944, lors de l'opération
contre le maquis de Broualan en Ille-et-Vilaine, il
reconnaît le résistant René Capitain qu'il a connu avant
guerre à Saint-Malo, et l'exécute sommairement Il est
condamné à mort par la Cour de Justice de Rennes le 17
octobre 1945, et exécuté à Rennes le 5 décembre 1945.
-
Armand LUSSIEZ. Armand Nestor Lussiez (né
en 1912 à Caullery), a dans le groupe, la biographie la plus
contrastée. Après trois ans dans l'armée, il devient
mécanicien chez Renault à Billancourt, se marie en 1934, et adhère en 1936 au
Parti Communiste Français et à la CGT. Le 21 décembre 1936,
il part en Espagne comme volontaire de la 13ème
Brigade Internationale 10ème bataillon. Blessé en
Teruel le 26 décembre 1936, rapatrié en France pour y être
soigné jusqu'au 17 février 1937, et il retourne travailler
chez Renault. En septembre 1937, il retourne en Espagne avec
la 14ème Brigade 4ème bataillon, où il est à
nouveau blessé le 26 mars 1938.
Redevenu mécanicien chez Renault à Billancourt, il divorce
en 1942, puis adhère au PPF de Saint-Malo, où il est recruté
par Daussat pour le GAPPF.
Il faut noter que Lussiez est
responsable aussi de meurtres à Lunéville puisqu'il déclare,
dans son interrogatoire en 1945, que le 10 septembre 1944,
il y a participé au pillage d'une épicerie, puis que quatre
ou cinq prisonniers ont été emmenés et fusillés sur la route
de Blâmont, lui-même ayant tiré mais ne sachant pas le nom
de celui qu'il a abattu. Roger Welvaert confirme
l'information : « Le groupe quitte Saint-Dié pour
Lunéville où il est cantonné une dizaine de jours dans une
caserne. Plusieurs arrestations sont opérées. Plusieurs
personnes abattues au bord de la route une heure après le
départ de Lunéville par des membres du Groupe d'Action ».
(il semble que 6 prisonniers emmenés de Lunéville aient
été abattus à Domèvre-sur-Vezouze, avec la participation
établie du S.S. Fritz Barnekow - Est-Républicain 27 mai 1950,
de Herman Wenzel, et Wilhelm Walter. Ces prisonniers FFI, de
Lunéville, auraient été remis par la milice aux mains du SD,
et exécutés sommairement le 14 septembre 1944 à Domèvre-sus-Vezouze.)
Armand Lussiez est condamné à mort par la Cour de Rennes et
fusillé à Rennes, au stand de tir de Coëtlogon, le 17
juillet 1946.
-
Gérald GALLAIS.
Né en
1926 à Boulogne, Gérald Gallais appartient en 1940 et 1941 au groupe de résistance
dirigé par son père René Gallais, gardien du château de
Fougères. Il est arrêté avec ses parents, sa sœur, et 56
habitants de Fougères le 9 octobre 1941. Son père est
guillotiné à prison centrale Stadelheim de Munich le 21
septembre 1943, sa mère et sa sœur déportées en Allemagne
d'où elles sont rapatriées le 24 avril 1945.
Pourquoi les
Allemands ont-ils relâché Gérald Gallais le jour même de
l'arrestation ? Il subsiste des doutes sur la fait qu'il ait
lui-même informé les Allemands...
Durant l'hiver 1943-1944, Gallais se livre au marché noir,
mais semble disposer de la protection du Sicherheitsdienst,
dont il est probablement agent, puisqu'il dispose de
faux-papiers (au nom de Goavec) et d'une carte de police
allemande pour circuler en toute impunité dans la zone
côtière interdite. En mai 1944, il agit à Rennes pour le SD,
puis à Dinard en juin, etc.
C'est ainsi que Gallais,
spécialisé dans la recherche des maquis, travaille
conjointement avec Imbert, et organise l'opération commune
contre le maquis de Saint-Hilaire-des-Landes du 27 juillet
1944. Lorsque le GAPFF de Rennes prend la fuite le 1er août
1944 vers Paris, Gallais les accompagne. Paris le 10 août,
Chaumont le 19 août, puis, Vittel, Épinal, Saint-Dié,
Lunéville, avant de se rendre à Cirey-sur-Vezouze.
Le 13 octobre 1944, pour une sombre histoire de vol (« pour avoir puisé dans la caisse du groupe et s'être rendus
coupables de malversations envers les camarades »
déclare Welvaert), Gallais (ainsi que Guglielminotti et sa
femme) est arrêté sur ordre de Lucien Imbert. Il semble
effectivement que le trio avait conservé 40000 francs volés
à un particulier lors d'une perquisition, mais que
contrairement aux usages du SD qui pratiquait vol et
pillage, ils n'aient pas rapporté le butin à la caisse
commune, Tous trois
sont envoyés au camp de Schirmeck-Vorbrück (sous
administration du SD) et déportés à Dachau (entrée du 21
octobre 1944 n° 177407), où Gallais
décède le 16 janvier 1945.
Mais le tribunal de Rennes, qui
ignore son décès, se montre clément le 7 novembre 1945,
considérant que Gallais était mineur au moment des faits, et
ne le condamne qu'à cinq ans de travaux forcés par
contumace.
-
Georges TILLY. Né en
1923, originaire de Perros-Guirec, Georges Tilly y travaille avant guerre
dans la carrière de granit de la Fierté en Perros-Guirec. Il
travaille pour la Kriegsmarine, et sur une sombre histoire
de vol de pneus, se retrouve au maquis de Priziac,
neutralisé sur ses indications par les Allemands le 8 juin
1944. Recruté mi-juin par le SD de Rennes, il se rapproche du groupe
nationaliste Bezen Perrot, avec qui le SD de Rennes et le
GAPPF opèrent à Uzel, centre de détention et de torture des
résistants dont 34 seront exécutés sauvagement le 14 juillet
1944 et enterrés dans des fosses dans la forêt de
L'Ermitage-Lorge. A cette époque, il semble que le Bezen ne
l'acceptant pas comme membre,
Tilly devient l'un des membres les
plus cruels du GAPPF (dont le crime effarant à Rennes du
cafetier Moisan, le 25 juillet 1944
- Voir aussi la
note sur Daniel Travert). Arrêté, il est interné
au camp de Langueux (Côtes-du-Nord) où il est identifié
comme criminel en septembre 1945.
Il est condamné à mort par la Cour de Justice de Rennes le
21 mars
1946, et fusillé au stand de tir de Coëtlogon à Rennes le 20
juin 1946.
-
Gaston GUGLIELMINOTTI.
Gaston Joseph François
Guglielminotti (né en 1918 à Saint-Julien-en-Genevoix), est arrêté sur
l'ordre d'Imbert le 13 octobre 1944, avec sa femme, Maria
Henriette Denise Pennetier, et Gérald Gallais
: ils arrivent au camp de Schirmeck le 14 octobre 1944, et
sont, comme « Sch. » (Schutzhaft - détention conservatoire,
appliquée aux opposants au régime ou autres personnes
indésirables), déportés à Dachau (entrée du 21 octobre 1944 n° 177408 - Marie Pennetier est
déportée dans un camp de la Forêt Noire).
Guglielminotti est libéré
par les américains le 27 avril 1945, rentre en France le 29
mai 1945 et s'installe boulevard Ney à Paris.
La cour de justice
d'Ille-et-Vilaine (sous-section de Quimper) le condamne le
29 janvier 1946 à 20 ans de travaux forcés, 10 ans
d'interdiction de séjour et confiscation de tous les biens.
Décédé à Paris XVIIIème en 1969.
-
Roger WELVAERT. Né en
1924, Roger Welvaert est garçon boulanger à Roubaix.
Il est certain qu'avec 5 autres GAPPF, il a arrêté le 8
octobre 1944 le curé de Petitmont Henri Viole (1880-1957)
qui sera déporté à Dachau (n° 117418, libéré le 29 avril
1945).
Après avoir fui en
Allemagne, il aurait suivi les cours d'une école d'espions
parachutistes à Reutligen. Il se fait rapatrier comme S.T.O.
Arrêté, il est traduit devant la cour de Justice de Nancy,
qui le condamne le 22 octobre 1946 à la peine de mort et à
la dégradation nationale. Incarcéré à la prison Charles III
de Nancy, il est fusillé le 16 janvier 1947 aux « Fourrasses
», champ de tir des Baraques de Laxou.
-
Le Pottier
-
Terrier
-
Gonzalès
|
Arrestation de
Haxaire et Math (voir note) |
Fosses de
Maîtrechet |
Exécutions de
Maîtrechet |
Adolf Breuer |
? |
|
O |
Hermann Wenzel |
? |
|
O |
Lucien Imbert |
O |
O |
O |
Armand Lussiez |
O |
O |
|
Raymond Chappron |
O |
|
O |
Gérald Gallais |
O |
|
|
Georges Tilly |
? |
|
O |
Gaston Guglielminotti |
? |
|
|
Roger Welvaert |
? |
|
? |
Le Pottier |
? |
O |
|
Terrier |
? |
|
O |
Gonzales |
? |
|
O |
Note : s'il est déjà
surprenant de voir Armand Lussiez figurer dans le « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (http://www.maitron.fr)
avec une biographie qui ne dépasse pas 1938, le cas de Gérald
Gallais est encore plus équivoque. Car si la mention « mort pour
la France » lui avait été attribuée en 1950, et apparemment
retirée par le Ministère suite à l'intervention du comité
FFI/FTP de Fougères, il figure encore dans les bases nationales
du Ministère des Armées de « Mémoire des hommes » (https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/),
à la fois dans la rubrique « Titres, homologations et
services pour faits de résistance » et dans « Base des
morts en déportation (1939-1945) ».
Ainsi Gérald Gallais s'affiche dans les mêmes bases mémorielles
que Pierre Haxaire et Pierre Math, les « deux gendarmes de Cirey dont un fut maltraité par Gallais », arrêtés et
déportés par les GAPPF le 21 septembre 1944, et décédés à
Auschwitz... Et sans doute aussi avec de très nombreux autres
FFI qu'il a arrêtés et torturés, dont certains l'ont accompagné
de Cirey au camp de Schirmeck, puis par le même train de
Schirmeck au camp de Dachau comme on le voit dans le cas de
Henri Viole ou Raymond André.(voir
à cet article la copie du registre d'entrée au camp de Dachau)
Rédaction : Thierry
Meurant |
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