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Les assassins de la forêt de Maîtrechet - 14 octobre 1944


Dans l'article « Jean Coupaye - Héros de la Résistance - 1944 », nous avons relaté l'exécution en forêt de Maîtrechet, proche de Cirey sur Vezouze, de Jean Hubert COUPAYE, Edouard MORQUIN, Roger ROGER et Charles THOMAS.

A chaque cérémonie ou visite de familles à la stèle des fusillés, se repose la question des assassins, notamment des français du « Groupes d'action pour la justice sociale » de Rennes.
A partir de sources multiples, une approche de réponse à cette question apparaît désormais possible, susceptible de corrections ou de compléments.


Ce sont les services du Sicherheitsdienst (SD) de Rennes, qui sont, en septembre 1944, repliés au château proche de Val-et-Châtillon : c'est pour cette raison que leurs anciens auxiliaires à Rennes du « Groupe d'Action pour la Justice Sociale » (parfois appelé GAJS, mais plus généralement dénommé « Groupe d'action du Parti Populaire Français », GAPPF) leurs sont réaffectés (ce groupe a compté jusqu'à 26 membres, et était arrivé à Rennes le 8 juin 1944).

Après ce séjour en Lorraine, le reste du groupe rejoindra Neustadt an der Weinstrasse, où ses membres devront choisir entre différentes solutions : engagement dans la Légion Brandebourg, dans les Waffen SS, dans une école d’espionnage, ou enfin travail dans les usines avec mission de délation.

Trois témoignages, notamment recueillis par le cour de justice de Rennes, citent des noms :

  • Armand Lussiez : « J'avais creusé leurs fosses avec Pottier sur ordre d'Imbert »

  • Gaston Guglielminotti : « arrestation d'un grand nombre de personnes par Imbert, Chaperon et Lussiez. Parmi les personnes arrêtées, je peux citer le curé de Petitmont, l'abbé Père, deux gendarmes de Cirey, dont un fut maltraité par Gallais. »

  • et selon Roger Welvaert, le peloton d'exécution de la forêt de Maîtrechet était commandé par deux officiers allemands, Brower et Winzel, et composé de Lucien Imbert, Chaperon, Tilly, Terrier et Gonzales.

L’article du Républicain Lorrain du 27 mai 1950 indique « Le 14, le S.D. quitte cette ville [Cirey], libéra un certain nombre d'internés, en envoya d'autres en déportation et en fit conduire 4 dans la forêt, à 200 mètres de la route 393, où ils furent exécutés par des miliciens et trois Allemands. Les cadavres, enterrés sur place, furent découverts et identifiés comme étant ceux de MM. Morquin, Coupage, Thomas et Roger. »
L’Est-Républicain du même jour indique :
« Les exactions du S.D. de Rennes...
Au cours de son repli vers l’Allemagne, le S.D. de Rennes « ramassa » six prisonniers à Lunéville, qui furent fusillés à Domèvre. Cette sinistre besogne devait être répétée à Madrechet, où quatre résistants furent abattus. Des trois responsables de ces massacres, seul Fritz Barkenow, 51 ans, sturmbannführer S.S., est actuellement sous les verrous. Les autres, Hermann Wenzel, 41 ans, hauptscharführer S.S., et Wolhelm Walter. 44 ans, obersturmführer, courent encore.
. »

Les « trois Allemands » ayant, selon le Républicain Lorrain, participé à Maîtrechet ne peuvent cependant pas être Barnekow, Wenzel et Walter, puisqu’il est certain que Breuer est présent. Il reste donc un doute sur la présence et l’identité de ce troisième allemand...

Parmi les Allemands présents lors de l'assassinat en forêt de Maitrechet :

  • Adolf BREUER. Le premier, désigné sous le nom de Brower dans les auditions du tribunal de Rennes, est le Hauptscharführer Adolf Breuer, commerçant à Cologne (où il est né le 5 janvier 1913), de la section IV du SD de Rennes..Après avoir, au début de la guerre, exercé comme traducteur à Rennes pour la Geheime Feldpolizei, il intègre la section IV A (lutte contre la résistance) du S.D. de Rennes, puis la section IV E (contre-espionnage).
    Adolf Breuer a pour maîtresse l'interprète du service, Marie-Thérèse Honorez (née en Belgique en 1921). A la fin de la guerre, le couple se glisse en Belgique au sein d'un convoi de réfugiés allemands, mais il est arrêté à Bruxelles muni de faux-papiers. Lorsque Breuer apprend que la Cour de justice de Rennes réclame son extradition, il se suicide dans sa cellule le 22 mai 1946.
    Quant à Marie-Thérèse Honorez, elle est condamnée à la peine de mort le 31 décembre 1946 par la Cour militaire de Bruxelles, mais sa peine est commuée en prison à vie, et elle bénéficie de la grâce du roi des Belges en 1954.

  • Hermann WENZEL. Le second, désigné sous le nom de Winzel dans les auditions du tribunal de Rennes, et parfois Wentzel, est le Hauptscharführer Dr Hermann Wenzel, né  le 23 septembre 1910 à Magdebourg, de la section IV du SD de Rennes, connu sous le sobriquet de  « Mexicano », chirurgien-dentiste à Magdebourg avant-guerre, spécialiste des affaires de résistance.
    Membre de la Geheime Feldpolizei à Lorient de décembre 1941 à juin 1942, il devient membre du SD de Lorient jusqu’à la dissolution de ce poste en février 1943. Il intègre alors comme Oberscharführer le SD de Pontivy, en tant qu'adjoint du chef Hammer, puis chef en 1944..
    L'Est Républicain du 27 mai 1950 nous apprend que les exactions à Lunéville et dans le Blâmontois, dépendantes du SD de Rennes, impliquaient le Sturmbannführer SS Fritz Barnekow, 51 ans, remis aux autorités françaises en février 1948 (écroué à Metz, interrogé à Nancy, et comparaissant devant le tribunal militaire de la VIème région), et, toujours en fuite, l'Obersturmführer Wilhelm Walter, 44 ans, et le Hauptscharführer S.S. Hermann Wenzel, 41 ans.
    Hermann Wenzel a été inscrit sur la liste Crowcass (Central Registry of War Criminals and Security Suspects) des criminels de guerre recherchés (« S.S. Hauptscharfuehrer in Abt. IV Sipo and S.D Rennes »).

Les Français, membres du Groupe d'Action pour la Justice Sociale :

  • Lucien IMBERT. Le groupe français du GAPFF est commandé par Lucien Maurice Imbert, dit « Le Caïd », (né en 1913 à Roanne sous le nom de Roillet). Il est employé du garage Hoppman de Saint-Malo, lorsqu'il est recruté par le docteur Philippe Daussat responsable du PPF de Saint-Malo (et médecin de l'organisation Todt, pour un secteur s'étendant de Granville à Saint-Brieuc).
    Son groupe, d'une quinzaine d'hommes, est constitué à Rennes le 8 juin 1944.
    Lucien Imbert est condamné à mort le 19 septembre 1945 par la cour de Justice de Rennes, et exécuté à Rennes le 7 novembre 1945.

  • Raymond CHAPPRON. Raymond Maurice Chappron est né en 1914 à Châtillon-sur-Seine, en Côte d’Or. Lorsqu'il est recruté pour le groupe, il travaille à Saint-Malo dans le même garage que Imbert. Il est attesté que le 7 juillet 1944, lors de l'opération contre le maquis de Broualan en Ille-et-Vilaine, il reconnaît le résistant René Capitain qu'il a connu avant guerre à Saint-Malo, et l'exécute sommairement  Il est condamné à mort par la Cour de Justice de Rennes le 17 octobre 1945, et exécuté à Rennes le 5 décembre 1945.

  • Armand LUSSIEZ. Armand Nestor Lussiez (né en 1912 à Caullery), a dans le groupe, la biographie la plus contrastée. Après trois ans dans l'armée, il devient mécanicien chez Renault à Billancourt, se marie en 1934, et adhère en 1936 au Parti Communiste Français et à la CGT. Le 21 décembre 1936, il part en Espagne comme volontaire de la 13ème Brigade Internationale 10ème bataillon. Blessé en Teruel le 26 décembre 1936, rapatrié en France pour y être soigné jusqu'au 17 février 1937, et il retourne travailler chez Renault. En septembre 1937, il retourne en Espagne avec la 14ème Brigade 4ème bataillon, où il est à nouveau blessé le 26 mars 1938.
    Redevenu mécanicien chez Renault à Billancourt, il divorce en 1942, puis adhère au PPF de Saint-Malo, où il est recruté par Daussat pour le GAPPF.
    Il faut noter que Lussiez est responsable aussi de meurtres à Lunéville puisqu'il déclare, dans son interrogatoire en 1945, que le 10 septembre 1944, il y a participé au pillage d'une épicerie, puis que quatre ou cinq prisonniers ont été emmenés et fusillés sur la route de Blâmont, lui-même ayant tiré mais ne sachant pas le nom de celui qu'il a abattu. Roger Welvaert confirme l'information : « Le groupe quitte Saint-Dié pour Lunéville où il est cantonné une dizaine de jours dans une caserne. Plusieurs arrestations sont opérées. Plusieurs personnes abattues au bord de la route une heure après le départ de Lunéville par des membres du Groupe d'Action ». (il semble que 6 prisonniers emmenés de Lunéville aient été abattus à Domèvre-sur-Vezouze, avec la participation établie du S.S. Fritz Barnekow - Est-Républicain 27 mai 1950, de Herman Wenzel, et Wilhelm Walter. Ces prisonniers FFI, de Lunéville, auraient été remis par la milice aux mains du SD, et exécutés sommairement le 14 septembre 1944 à Domèvre-sus-Vezouze.)
    Armand Lussiez est condamné à mort par la Cour de Rennes et fusillé à Rennes, au stand de tir de Coëtlogon, le 17 juillet 1946.

  • Gérald GALLAIS. Né en 1926 à Boulogne, Gérald Gallais appartient en 1940 et 1941 au groupe de résistance dirigé par son père René Gallais, gardien du château de Fougères. Il est arrêté avec ses parents, sa sœur, et 56 habitants de Fougères le 9 octobre 1941. Son père est guillotiné à prison centrale Stadelheim de Munich le 21 septembre 1943, sa mère et sa sœur déportées en Allemagne d'où elles sont rapatriées le 24 avril 1945.
    Pourquoi les Allemands ont-ils relâché Gérald Gallais le jour même de l'arrestation ? Il subsiste des doutes sur la fait qu'il ait lui-même informé les Allemands...
    Durant l'hiver 1943-1944, Gallais se livre au marché noir, mais semble disposer de la protection du Sicherheitsdienst, dont il est probablement agent, puisqu'il dispose de faux-papiers (au nom de Goavec) et d'une carte de police allemande pour circuler en toute impunité dans la zone côtière interdite. En mai 1944, il agit à Rennes pour le SD, puis à Dinard en juin, etc.
    C'est ainsi que Gallais, spécialisé dans la recherche des maquis, travaille conjointement avec Imbert, et organise l'opération commune contre le maquis de Saint-Hilaire-des-Landes du 27 juillet 1944. Lorsque le GAPFF de Rennes prend la fuite le 1er août 1944 vers Paris, Gallais les accompagne. Paris le 10 août, Chaumont le 19 août, puis, Vittel, Épinal, Saint-Dié, Lunéville, avant de se rendre à Cirey-sur-Vezouze.
    Le 13 octobre 1944, pour une sombre histoire de vol (« pour avoir puisé dans la caisse du groupe et s'être rendus coupables de malversations envers les camarades » déclare Welvaert), Gallais (ainsi que Guglielminotti et sa femme) est arrêté sur ordre de Lucien Imbert. Il semble effectivement que le trio avait conservé 40000 francs volés à un particulier lors d'une perquisition, mais que contrairement aux usages du SD qui pratiquait vol et pillage, ils n'aient pas rapporté le butin à la caisse commune, Tous trois sont envoyés au camp de Schirmeck-Vorbrück (sous administration du SD) et déportés à Dachau (entrée du 21 octobre 1944 n° 177407), où Gallais décède le 16 janvier 1945.
    Mais le tribunal de Rennes, qui ignore son décès, se montre clément le 7 novembre 1945, considérant que Gallais était mineur au moment des faits, et ne le condamne qu'à cinq ans de travaux forcés par contumace.

  • Georges TILLY. Né en 1923, originaire de Perros-Guirec, Georges Tilly y travaille avant guerre dans la carrière de granit de la Fierté en Perros-Guirec. Il travaille pour la Kriegsmarine, et sur une sombre histoire de vol de pneus, se retrouve au maquis de Priziac, neutralisé sur ses indications par les Allemands le 8 juin 1944. Recruté mi-juin par le SD de Rennes, il se rapproche du groupe nationaliste Bezen Perrot, avec qui le SD de Rennes et le GAPPF opèrent à Uzel, centre de détention et de torture des résistants dont 34 seront exécutés sauvagement le 14 juillet 1944 et enterrés dans des fosses dans la forêt de L'Ermitage-Lorge. A cette époque, il semble que le Bezen ne l'acceptant pas comme membre, Tilly devient l'un des membres les plus cruels du GAPPF (dont le crime effarant à Rennes du cafetier Moisan, le 25 juillet 1944 - Voir aussi la note sur Daniel Travert). Arrêté, il est interné au camp de Langueux (Côtes-du-Nord) où il est identifié comme criminel en septembre 1945.
    Il est condamné à mort par la Cour de Justice de Rennes le 21 mars 1946, et fusillé au stand de tir de Coëtlogon à Rennes le 20 juin 1946.

  • Gaston GUGLIELMINOTTI. Gaston Joseph François Guglielminotti (né en 1918 à Saint-Julien-en-Genevoix), est arrêté sur l'ordre d'Imbert le 13 octobre 1944, avec sa femme, Maria Henriette Denise Pennetier, et Gérald Gallais : ils arrivent au camp de Schirmeck le 14 octobre 1944, et sont, comme « Sch. » (Schutzhaft - détention conservatoire, appliquée aux opposants au régime ou autres personnes indésirables), déportés à Dachau (entrée du 21 octobre 1944 n° 177408 - Marie Pennetier est déportée dans un camp de la Forêt Noire).
    Guglielminotti est libéré par les américains le 27 avril 1945, rentre en France le 29 mai 1945 et s'installe boulevard Ney à Paris.
    La cour de justice d'Ille-et-Vilaine (sous-section de Quimper) le condamne le 29 janvier 1946 à 20 ans de travaux forcés, 10 ans d'interdiction de séjour et confiscation de tous les biens. Décédé à Paris XVIIIème en 1969.

  • Roger WELVAERT. Né en 1924, Roger Welvaert est garçon boulanger à Roubaix.
    Il est certain qu'avec 5 autres GAPPF, il a arrêté le 8 octobre 1944 le curé de Petitmont Henri Viole (1880-1957) qui sera déporté à Dachau (n° 117418, libéré le 29 avril 1945).
    Après avoir fui en Allemagne, il aurait suivi les cours d'une école d'espions parachutistes à Reutligen. Il se fait rapatrier comme S.T.O.
    Arrêté, il est traduit devant la cour de Justice de Nancy, qui le condamne le 22 octobre 1946 à la peine de mort et à la dégradation nationale. Incarcéré à la prison Charles III de Nancy, il est fusillé le 16 janvier 1947 aux « Fourrasses », champ de tir des Baraques de Laxou.

  • Le Pottier

  • Terrier

  • Gonzalès

  Arrestation de Haxaire et Math (voir note) Fosses de Maîtrechet Exécutions de Maîtrechet
Adolf Breuer ?   O
Hermann Wenzel ?   O
Lucien Imbert O O O
Armand Lussiez O O  
Raymond Chappron O   O
Gérald Gallais O    
Georges Tilly ?   O
Gaston Guglielminotti ?    
Roger Welvaert ?   ?
Le Pottier ? O  
Terrier ?   O
Gonzales ?   O

Note : s'il est déjà surprenant de voir Armand Lussiez figurer dans le « Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier » (http://www.maitron.fr) avec une biographie qui ne dépasse pas 1938, le cas de Gérald Gallais est encore plus équivoque. Car si la mention « mort pour la France » lui avait été attribuée en 1950, et apparemment retirée par le Ministère suite à l'intervention du comité FFI/FTP de Fougères, il figure encore dans les bases nationales du Ministère des Armées de « Mémoire des hommes » (https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/), à la fois dans la rubrique « Titres, homologations et services pour faits de résistance » et dans « Base des morts en déportation (1939-1945) ».
Ainsi Gérald Gallais s'affiche dans les mêmes bases mémorielles que Pierre Haxaire et Pierre Math, les « deux gendarmes de Cirey dont un fut maltraité par Gallais », arrêtés et déportés par les GAPPF le 21 septembre 1944, et décédés à Auschwitz... Et sans doute aussi avec de très nombreux autres FFI qu'il a arrêtés et torturés, dont certains l'ont accompagné de Cirey au camp de Schirmeck, puis par le même train de Schirmeck au camp de Dachau comme on le voit dans le cas de Henri Viole ou Raymond André.(voir à cet article la copie du registre d'entrée au camp de Dachau)

 

Rédaction : Thierry Meurant

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