Revue l'Architecture - N° 2 1928
LES ÉGLISES MODERNES
L'église d'Harbouey (Meurthe-et-Moselle)
MM. Lauthe S.A.D.G. et Théo Clément
Le village d'Harbouey est situé au sommet
d'un des contreforts de la chaîne des Vosges, dans une très belle situation. Nos
confrères Lauthe, architecte diplômé par le Gouvernement et Théo Clément, ancien
élève de l'école Saint-Luc, en Belgique et membre de la Société Centrale des
Architectes belges, furent chargés par la municipalité d'étudier la
reconstruction des bâtiments communaux détruits pendant la guerre mairie,
écoles, église. C'est ce dernier monument que nous étudions aujourd'hui.
L'ancienne église qui datait du XVe siècle, n'offrait aucun caractère artistique
; elle a été complètement détruite ;à son emplacement une énorme excavation
abritait une pièce d'artillerie lourde.
L'église fut reconstruite sur place, mais son orientation fut modifiée ; la
nouvelle façade est disposée sur la grande place au lieu d'être placée comme
jadis sur une petite rue. Le terrain n'étant pas très vaste, les architectes,
pour conserver à la nef la plus grande dimension possible, décidèrent de placer
le clocher de côté ;il y a de nombreux et heureux exemples de cette disposition
qui a l'avantage de laisser l'entrée principale plus libre et de ne pas alourdir
le porche ; nous trouvons même, en Italie, l'exemple de clochers complètement
séparés de l'église.
Nos confrères se sont appliqués à ne pas imiter un style déterminé, et ils ont
eu bien raison ; on sait l'intéressant renouveau qui caractérise, à notre
époque, le style des édifices religieux. Les architectes, même les meilleurs,
ont trop longtemps traîné dans le plagiat du passé et imité exagérément - copié
même - la Renaissance, le roman, voire même le style ogival, si inimitable
pourtant. Il est vrai de reconnaître qu'ils y étaient incités par le clergé qui
ne comprenait guère autre chose que la reproduction des vieux sanctuaires. Les
architectes actuels ont compris que l'on pouvait parfaitement allier les
convenances religieuses et la tradition avec une traduction moderne des beaux
programmes religieux. S'inspirant souvent - mais très librement - du style
romano-byzantin plus maniable que le style ogival, ils sont arrivés à nous
donner des églises nettement modernes et parfaitement respectueuses de la
tradition catholique, ne dédaignant
même pas de se servir des matériaux les plus modernes. Le clergé, rompant avec
ses vieilles habitudes, a encouragé et aidé nos confrères et nous avons montré
ici même, dans ce journal, les heureux résultats obtenus. Nos confrères Lauthe
et Clément ont marché dans la même voie et, tout en s'inspirant largement de
l'art roman, ils ont cherché à faire oeuvre indépendante, utilisant les
matériaux de la région, grès des Vosges, moellons du pays, qui leur imposaient
une grande sobriété dans les détails. Ils ont
employé pour l'exécution des planchers, des linteaux, etc., le béton armé qui,
dans ce cas, remplit parfaitement ses fonctions de procédé commode de
construction.
Le plan, très simple, comporte un vestibule d'entrée, au-dessus duquel est
disposée, suivant l'usage, la tribune des orgues, des bas côtés, et un choeur
flanqué d'une sacristie. Le clocher est accolé
à l'église à droite de l'entrée; une seconde entrée est ménagée sous le clocher
; un petit escalier faisant saillie sur le nu du clocher donne accès à la
tribune des orgues. Le plan, comme il convient pour une petite église, est
simple et clair; je ne ferai qu'un reproche, c'est le manque de largeur des bas
côtés ; je sais bien qu'on aime les bas côtés dans les églises; cela permet de
trouver des endroits un peu séparés de la nef et où le recueillement est plus
facile ; d'autre part, on y place volontiers des autels secondaires. Mais, dans
le cas actuel, en raison de la difficulté de trouver des bas côtés de largeur
suffisante et d'y placer les autels, on se demande s'il n'eût pas été préférable
de faire une nef unique. Cette critique est d'ailleurs légère, car on peut
reconnaître qu'au point de vue de l'aspect, les bas côtés donnent plus de
satisfaction.
L'étude des élévations extérieures est très réussie ; la façade de l'église, de
forme un peu basse, est bien étudiée et le porche d'entrée, toujours si
difficile à arranger, a bon aspect. Il se répète identique sur la tour, ce qui
est peut-être une erreur. La tour qui flanque l'église à droite est sobrement
étudiée, l'escalier est franchement accusé ; peut-être cette tour est-elle un
peu lourde. Je pense qu'elle aurait gagné à être plus mince comme le sont
généralement les beaux campaniles des églises italiennes. Néanmoins tout cela a
bonne allure ;les autres façades sont également bien disposées, le raccord de la
sacristie avec l'église est bien étudié.
L'élévation intérieure comporte longitudinalement outre le vestibule surmonté de
la tribune de l'orgue, trois arcades basses portées sur de robustes piliers et
transversalement une voûte en plein
cintre éclairée par quelques jours ingénieusement arrangés ; le tout se continue
par le choeur composé d'une petite travée et du cul-de-four qui contient
l'autel.
La construction est très simple ; nos confrères ont employé le grès des Vosges
pour les parties essentielles et, pour le reste, des moellons du pays recouverts
d'enduits en ciment blanc. Comme nous l'avons dit, les planchers, linteaux,
etc., ont été exécutés en béton armé ; la charpente est en sapin rouge d'Alsace,
la couverture en ardoises d'Angers.
Enfin, dans l'établissement du mobilier - autels, bancs, confessionnaux - nos
confrères ont trouvé collaborateur précieux, M. Cayette, sculpteur, un de leurs
camarades d'école ; ils se louent également de l'entrepreneur MM. Pagny, Collin
et Bouf, de Nancy, qui ont parfaitement exécuté le monument.
Enfin, je ne veux pas terminer sans faire connaître
que nos confrères Lauthe et Clément ont trouvé, auprès de la municipalité d'Harbouey
et principalement auprès du maire, M. Odinot, les plus grandes facilités pour
mener à bien leur oeuvre, et une grande intelligence des choses artistiques. Ils
m'ont dit combien ils étaient heureux de leur rendre ce témoignage. Cela
d'ailleurs ne nous étonne pas ; de plus en plus, les municipalités en contact
avec de vrais et bons architectes se rendent un compte exact des besoins de
l'architecture et s'intéressent à notre art.
20 octobre 1927.
A. LOUVET. |