Le texte ci-dessous est issu des carnets de guerre d'Edouard Le Conte, payeur
aux armées (payeur particulier de 1re classe) de la 16ème
Division d'infanterie 8ème corps d'armée, qui exerce cette fonction
de août 1914 à octobre 1917.
Édouard Louis Marie Le Conte (Beauvais 5 juillet 1876 - Paris le 13 janvier
1960) sera le premier président de la Cour des Comptes de 1946 à 1948.
Ce carnet nous donne plusieurs informations :
-
On savait par le témoignage de Joseph
Colin, publié par l'Est Républicain en
février 1915, que le maire de Blâmont, Charles Bentz, avait quitté
Blâmont la 14 août au soir dès l'entrée des premières troupes françaises (85ème
régiment d'infanterie), « vers la France ». On voit ici qu'il s'est
arrêté à Domèvre pour témoigner.
-
Le Général de Maud'huy, commandant la 16ème
division, est à Domèvre, et envisage de capturer le général allemand : mais
c'est un hasard s'il prend à 23 heures la tête d'un bataillon du 95èmé
Régiment d'Infanterie, pour le conduire à Blâmont, et se lancer dans le très
infructueux combat de Blâmont,
-
dont les pertes sont totalement inconnues
du Journal de marche. Ici, Edouard Le Conte nous donne le chiffre de « 60
hommes et trois officiers ». Cette donnée est fort crédible, puisque les
trois officiers sont effectivement le lieutenant
Quinquet et les sous-lieutenants Eucharis et Allégrini. Nous n'avions
comme information que « la douzaine de braves » de la section de Paul
Quinquet (voir témoignage de Paul Rimbault),
mais l'Historique du 95ème
évoquait « Dans la nuit, le 2e bataillon attaque à la baïonnette les
hauteurs tenues au nord de Blamont par une avant-garde bavaroise. Malgré
leur héroïsme, les 6e et 7e compagnies sont décimées. », sans plus de
décompte
14 août [1914] - Arrivée à Domèvre tard dans
la soirée. Les Allemands avaient quitté le village le jour même. Je pénètre dans
la salle d'auberge où l'état-major achevait un dîner succinct. Le général de
Maud'huy paraissait très animé. Il avait entendu dire que le général allemand,
von X., pouvait bien être encore à Blâmont et y passer la nuit et il avait formé
le projet de l'y surprendre.
« Je lui mettrai sac au dos, me déclara-t-il, et en tout cas, M. le payeur,
apportez-moi demain mon courrier à Strasbourg !»
À ce moment on introduisit auprès de nous le maire de Blâmont qui fuyait son
pays où sa vie avait été très menacée. Il me dit que les Allemands s'étaient
livrés dans sa commune aux pires excès tels des Huns ou des Wisigoths. Les gens
de Domèvre qui avaient subi l'invasion pendant trois jours ne signalaient rien
de semblable.
À 11 heures, le général entend passer une troupe dans la rue du village et
demande laquelle. On lui répond que c'est un bataillon du 95e Régiment
d'infanterie qui arrive à Domèvre pour y cantonner. - « Je l'emmène séance
tenante à Blâmont !» s'écrie-t-il, et il part avec son officier d'ordonnance et
quelques officiers de son état-major.
Nous nous regardons avec inquiétude tant cette entreprise nocturne paraît
téméraire.
Comme nous avons la consigne de ne pas nous coucher, je laisse mes voitures
attelées et je recommande aux hommes de ne pas s'éloigner. Les adjoints et
moi-même, nous nous étendons sur un peu de paille dans la salle de la mairie où
l'état-major établit sa permanence. À 3 heures du matin, brouhaha qui me
réveille. Le général était de retour l'oreille basse. Sa tentative avait échoué
; il s'était heurté à des retranchements et à des fils de fer d'où une grêle de
balles s'était abattue sur lui. Cette équipée nous coûta 60 hommes et trois
officiers. C'est miracle que nos pertes n'aient pas été plus fortes au dire de
ceux qui en furent les témoins.
Les coups de feu éclatèrent, paraît-il, à peu de distance de Domèvre, mais je ne
les avais pas entendus tant j'étais fatigué par le convoi de dix-huit heures qui
m'y avait amené.
Au petit jour, je me repliai à Herbéviller à quelques kilomètres en arrière
suivant l'ordre qui me fut donné; dans la brume du matin, j'aperçus le long de
la route quelques cadavres d'hommes et de chevaux. C'étaient les premiers que je
rencontrais.
[C'est à Herbéviller que j'échangeai le court dialogue suivant avec un capitaine
d'infanterie qui passait à la tête de sa compagnie. « - Suis-je bien sur mon
chemin ?», me demanda-t-il, en montrant la direction de Domèvre. « - Où
allez-vous ?» « - Je n'en sais rien»]
Le 15 au soir, ma besogne postale terminée, j'eu quelque peine à rallier
l'état-major de ma Division qui, suivant son habitude, m'avait totalement
oublié. C'est de village en village que je suivis son passage; je le rejoignis à
Frémonville, dernier village français avant la frontière. En traversant Blâmont,
je vis le mur encore maculé de sang où les Allemands avaient fusillé deux hommes
soupçonnés à tort d'avoir tiré sur eux.
À Frémonville, on me donne une chambre passable; à noter pourtant que tous les
carreaux de la fenêtre ont été cassés à coups de crosse par les Prussiens. Le
lendemain 16 août, on amène à Frémonville un espion arrêté à Domèvre. C'est un
Français. L'officier allemand qui se servait de lui est blessé et prisonnier;
les charges qui pèsent sur lui du fait des déclarations de cet officier sont
accablantes. D'ailleurs, peu après son arrestation, il s'enfonça son couteau
dans la poitrine jusqu'à la garde sous le sein gauche. Je vais voir cet homme et
je l'interroge ; sa blessure ne semble pas l'incommoder autrement. − «Faut-il
que ce soit une crapule pour qu'il n'en soit pas mort», me dit le gendarme
préposé à sa garde.
Le 17 nous reprenons la marche en avant. En somme, jusqu'à présent, l'ennemi ne
fait pas tête sérieusement.
À 3 heures et quart, je passe la frontière par les bois de Hattigny. Le poteau
est déjà abattu. L'instant est assez émouvant. Le temps est malheureusement
épouvantable. Il tombe une pluie fine qui ressemble à un brouillard; on n'y voit
pas à cent mètres. Je cueille des fleurs de Lorraine pour les envoyer en France.
Nous arrivons à Hattigny où nous rejoignons l'état-major et où nous cantonnons.
Dès le lendemain matin 18 août, nous avançons par Aspach et Landange. À Héming
nous franchissons le canal de la Marne au Rhin. |