Journal de Société d'archéologie lorraine et du Musée historique lorrain - 1853
NOTICE SUR LE PEINTRE J.-B.-C. CLAUDOT.
Le portrait lithographié que nous offrons aujourd'hui à nos abonnés, est la copie fidèle d'un dessin provenant de la collection de M. le président de Luxer ; elle a été dessinée et lithographiée par M. Thorelle, un des membres de la Société d'Archéologie. Nous pensons qu'il n'est pas sans intérêt d'y joindre quelques détails biographiques sur un homme qui mérite, à juste titre, d'être compté parmi les célébrités artistiques de notre pays.
Jean-Baptiste-Charles Claudot naquit à Badonviller, petite ville de Lorraine, trois mois après la mort de son père, qui occupait une place dans la magistrature. Sa mère, restée veuve avec quatre enfants, et sans fortune, confia son fils au curé de l'endroit, qui était en même temps instituteur de la jeunesse. Le désir de la famille était qu'il se consacrât au barreau, auquel la vivacité de son esprit et son intelligence précoce semblaient le rendre propre; mais bientôt il manifesta pour la peinture un goût décidé, qui se trahissait par les croquis dont ses cahiers étaient couverts et par les ébauches dont les murs de son pensionnat étaient barbouillés.
Il n'était encore pour ainsi dire qu'un enfant et ne connaissait des mystères de l'art que ce que lui en avait révélé la nature, lorsque le couvent des Capucins de Blâmont, ayant obtenu la canonisation d'un de ses frères, et désirant déployer Le plus de pompe possible dans la fête qui devait célébrer ce grand événement, on jeta, pour décorer les murs de l'église, les yeux sur le jeune artiste, dont les dispositions faisaient grand bruit. Claudot entreprit cette tâche, qui paraissait si au-dessus de ses forces, avec ce noble courage qu'inspire la confiance en Dieu et l'amour de l'art. Il réussit au-delà de toute espérance et son oeuvre excita l'admiration des nombreux pèlerins accourus pour rendre hommage au nouveau saint.
A l'exemple des Capucins, les Carmes de Lunéville confièrent, peu de temps après, au jeune Claudot, la décoration de leur église ; ce second essai ne fut pas moins heureux que le premier. On rapporte que Girardet étant entré dans l'église et s'étant arrêté longtemps à en examiner les détails, aperçut un enfant agenouillé devant l'autel et priant dévotement. S'étant approché de lui et lui frappant sur l'épaule : « Mon ami, lui demanda-t-il, pourriez-vous me dire quel est l'auteur de ces peintures ? » Claudot, car c'était lui, ne voulant pas engager de conversation, dans le saint lieu, fit signe à l'étranger de sortir avec lui, et ils ne furent pas plutôt dehors qu'il lui avoua, non sans une certaine satisfaction, qu'il était l'auteur des décorations de l'église. Girardet, émerveillé de rencontrer de pareilles dispositions dans un âge aussi tendre, exprima son admiration à Claudot en termes des plus flatteurs et offrit de lui donner des leçons.
Cette proposition comblait tous les voeux du jeune artiste; mais le peintre de Stanislas ayant été obligé de faire un voyage à cette époque, ne put que commencer à mettre à exécution son généreux dessein ; il confia son élève aux soins d'André Joly, qui venait de décorer la Malgrange et qui exécutait plusieurs tableaux pour l'Hôtel-de-Ville de Nancy.
Claudot ne travailla pas longtemps sous ce maître et se livra bientôt à la verve et a la fécondité de son talent. Il abordait tous les genres avec une facilité prodigieuse, et comme il était d'une extrême adresse, toutes les manières de peindre lui devenaient bien vite familières ; cependant il adopta de préférence le paysage à l'huile, la mode étant alors d'en orner les appartements, depuis les salles à manger et les corridors jusqu'aux dessus de portes et aux trumeaux de glaces. Le nombre des tableaux qu'il a peints est infini, et quoique le temps les ait dispersés, il s'en trouve encore dans le pays beaucoup auxquels il ne manque, pour être plus précieux et plus recherchés, que d'être plus rares. Comme bien souvent il lui arrivait d'en exécuter un dans sa journée, et qu'il les vendait à vil prix, on conçoit qu'il ne pouvait apporter un grand soin a ces ouvrages, qu'il appelait, en plaisantant, de la marchandise ; aussi est-il nécessaire, pour bien juger l'artiste, d'aller chercher, dans les collections, de petits tableaux commandés tout exprès, et pour lesquels on lui fournissait des couleurs plus fines que celles qu'il employait ordinairement. Quelques-uns de ces tableaux sont dignes, par les beautés qu'ils renferment, de figurer à côté des maîtres : les lointains, surtout, y sont d'une finesse admirable.
Claudot savait orner ses paysages de figures qui, quoiqu'un peu allongées, suivant le goût du temps, ne manquent pas de mouvement et ne laissent pas que de donner de la vie à ses compositions. Ainsi, s'il représente une tempête, une famille éplorée se livre à la douleur autour d'un cadavre que les flots viennent de déposer sur le rivage. Ici, dans un site riant, sous de frais ombrages, des bergers se livrent au plaisir de la danse, tandis que leurs troupeaux paissent tranquillemént l'herbe de la prairie. L'imagination poétique et le goût de l'artiste percent dans tous ses ouvrages. Nous connaissons aussi de lui des tableaux de sainteté qui ne sont pas dépourvus de mérite et qui donnent la mesure de ce qu'il eût pu faire dans ce genre, si son talent avait reçu tout le développement dont il était susceptible.
Il est bien certain qu'il n'a manqué à Claudot que d'être à même de se livrer davantage à l'étude des maîtres et de la nature, et, sans vouloir établir de comparaison entre les deux artistes compatriotes, ne peut-on pas croire que Claude Gelée ne fût pas devenu le premier des paysagistes, s'il ne fût allé demander des inspirations au beau ciel de l'Italie et s'il n'eût vécu au milieu des maîtres dont fourmillait alors cette terre classique des beaux arts.
Claudot fit un seul voyage à Paris, et il n'y séjourna que deux mois, malgré les instances qui lui furent faites pour l'y retenir. Il s'était concilié, pendant ce court espace de temps, l'affection de tous ceux qui l'avaient connu, et notamment du célèbre Joseph Vernet, qu'il se plut souvent à imiter dans ses ouvrages.
Marié à 24 ans, l'artiste lorrain eut de cette union, qui fut des plus heureuses, sept fils et une fille, seul représentant aujourd'hui de cette nombreuse famille, et à l'obligeance de laquelle nous devons une partie des renseignements que nous offrons à nos lecteurs. Beaucoup d'entre nous ont connu deux de ses fils, qui vivaient encore il y a quelques années, professant le dessin et jouissant d'une considération méritée ; le plus jeune était conservateur du Musée de Nancy.
Au talent de l'artiste, Claudot joignait les qualités qui font l'homme de bien : plein de dévouaient pour son pays, il était toujours prêt à lui consacrer son talent, et il donna, en différentes occasions, des preuves du plus ardent patriotisme. Il était, dans son intérieur, un modèle de vertu et de bonté ; pieux et charitable, il remplissait ses devoirs de religion avec la plus scrupuleuse exactitude, et ses moyens ne lui permettant pas de répandre, comme il l'aurait désiré, d'abondantes aumônes sur les malheureux, il recevait dans son atelier de pauvres jeunes gens à qui il donnait gratuitement des leçons de son art, leur fournissant en outre tous les matériaux dont ils avaient besoin.
Quoique Claudot fût d'une santé très-délicate, son excessive sobriété, la régularité et le calme de ses habitudes, prolongèrent son existence jusqu'à l'âge de 73 ans. Il mourut entouré de l'affection et de l'estime générales, emportant avec lui les regrets de tous ses concitoyens.
ALEX. GÉNY.
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