MADAME DE GRAFIGNY (1695-1758)
G. NOËL - 1913
Le
grand-oncle de Mme de Grafigny, Callot, « noble lorrain » et
graveur immortel, en dessinant vers 1630 ses images fines et
sèches de gueux et de soldats, avait illustré d'avance
soixante-dix ans de l'histoire de Lorraine.
Pendant trois quarts de siècles, sur le sol piétiné, dévasté du
malheureux duché, on ne vit guère autre chose que des soldats et
des gueux. Et comme fond du tableau, des villes pillées, des
châteaux éventrés, des chaumières brûlées, des champs retournés
en landes, des forêts saccagées. On pourrait écrire en quatre
mots l'histoire du pauvre petit pays pendant cette dure période
: misère, désolation, ruine, mort.
« Il ne restait plus, en plusieurs terres, que des broussailles
au milieu desquelles paraissaient des masures et les restes des
anciens villages (1). »
Pour empêcher cette terre de mourir tout à fait, quand le calme
fut revenu, il fallut importer des paysans, comme on lâche du
gibier sur un terroir dévasté par le braconnage. Près de
Blâmont, on en fit venir de Picardie, ce détail resté dans les
traditions locales entre mille autres pareils que l'on pourrait
dire (2).
Vers la fin du siècle, aux environs de 1695, la charge écrasante
et continuelle du logement des
troupes françaises achevait de consommer ce que les violences de
la guerre n'avaient pas détruit : car ces malheureux, qui
n'avaient plus rien pour eux-mêmes, devaient encore nourrir les
soldats du roi de France établis sur leur pays.
Le duc Charles V de Lorraine, ayant attaché sa fortune à celle
de son beau-frère l'Empereur, avait vu
ses États occupés par Louis XIV. Il était mort général impérial,
dépouillé de son duché. Son fils Léopold vivait à Innsbrück dans
les États de son oncle, entouré de quelques gentilshommes
fidèles, mais à peu près sans ressources.
(1) D'AUDIFFRET, « Mémoire sur le
Duché de Lorraine par M. d'Audiffret cy-devant envoyé
extraordinaire du Roy aux cours de Mantoue, de Parme et de
Modène et à celle de Lorraine », mémoire conservé à la
bibliothèque de Nancy. Jean-Baptiste d'Audiffret (1657-1733),
géographe et diplomate, observateur fidèle et abondant, a étudié
la cour et le peuple de Lorraine de 1703 à 1733. Il mourut à
Nancy en 1733. Le résultat de sa surveillance politique est
conservé, sous forme de dépêches, aux dossiers des Archives du
ministère des Affaires étrangères. Dans le mémoire dont il vient
d'être parlé, il résume ses connaissances et ses jugements sur
la Lorraine et son peuple.
M. d'HAUSSONNViLLE, dans son Histoire de la Réunion de la
Lorraine (4eme vol.), a fait de larges et fréquents emprunts aux
dépêches diplomatiques de M. d'Audiffret ainsi qu'à son mémoire.
(2) D'Audiffret le dit aussi, en parlant du relèvement qui eut
lieu par les
soins du duc Léopold : « C'est à quoi a beaucoup contribué un
grand nombre de sujets du Roy (de France) de diverses provinces
et particulièrement de Picardie qui vinrent s'y établir. »
Histoire de
Lorraine (duché de Lorraine, duché de Bar, Trois-Évêchés). II.
De 1552 à 1789
Robert Parisot, Robert (1860-1930)
Ed. 1919-1924 [T. II p. 90]
Comme la France eut à soutenir deux grandes guerres pendant
cette période, les habitants des duchés durent payer des
contributions en argent, supporter des réquisitions, le logement
des gens de guerre, sans parler des violences qui accompagnaient
toujours à cette époque les passages de troupes. Ajoutons qu'en
1672, puis en 1679, le gouvernement français prit des mesures de
rigueur contre les Lorrains qui avaient quitté le pays pour
aller combattre sous les ordres de leur souverain légitime.
Pourtant le roi de France s'occupa de repeupler le pays ; il fit
venir dans les régions de la Seille et de la Sarre, qu'avait
ruinées la guerre de Trente ans, des colons de la Picardie et du
Vermandois.
[T. II p. 139]
La guerre de Trente ans réduisit de moitié, peut-être des trois
quarts, la population des duchés. Il y eut un relèvement à la
fin du XVIIe siècle, dû en partie à l'arrivée, durant la seconde
occupation française, de colons venus de la Picardie, du
Vermandois et de l'Auvergne. Le nombre des habitants alla sans
cesse croissant au XVIIIe siècle.
Les duchés auraient compté 400.000 habitants en 1711, 760.000 en
1737, mais Andreu de Bilistein ne leur en accorde qu'environ
600.000 en 1762. En 1778 Necker évalue le nombre des habitants
de la Lorraine et du Barrais à 834.000, en 1781 elle est estimée
être de 1 846.218 âmes ; M. de Pommelles attribue aux duchés
923.000 habitants au moment de là Révolution. Aucune de ces
évaluations ne repose sur un recensement exact de la population.
[T. II. p. 262]
Pendant la guerre de Trente ans, beaucoup de villages de langue
allemande, situés entre la Seille, la Nied et la Sarre perdirent
tous leurs habitants. Ceux qui ne furent pas massacrés périrent
soit de la peste, soit de la famine, ou bien allèrent chercher
ailleurs un refuge. Durant la seconde occupation française, le
gouvernement de Louis XIV fit venir, pour repeupler ces
localités désertes, des colons de la Picardie, du Vermandois et
d'autres provinces du royaume. Ces nouveaux habitants ne
parlaient que le français, et leurs descendants gardèrent la
langue de leurs ancêtres ; c'est ainsi que, jusqu'en 1870, le
français demeura seul en usage dans des villages, dont le nom;
germanique rappelait que jadis ils avaient été occupés par une
population de langue allemande.
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