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La reconstitution des régions dévastées en Lorraine
Paul Fiel (1879-1939)


La reconstitution des régions dévastées en Lorraine
P. Fiel
EDITION DU PAYS LORRAIN - Rue de la Monnaie - NANCY
ARTS GRAPHIQUES MODERNES NANCY

1935

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Monseigneur Thouvenin (1868-1934)

La reconstitution des régions dévastées en Lorraine

Quand j'acceptai de présenter dans le Pays Lorrain un tableau général de la reconstitution des régions dévastées en Lorraine, au cours de la guerre 1914-19I8, j'entendais que cette étude serait inspirée et dirigée par celui qui, pour en exposer le génie de conception et la puissance d'exécution, n'aurait eu qu'à dire ce qu'il avait fait. Sans aucun des préambules dont il n'avait nul souci et avec sa vigueur entraînante, Mgr Thouvenin aurait eu vite fait de marquer, pour l'instruction des générations futures, l'essentiel de l'oeuvre gigantesque dans laquelle il fut un animateur de tout premier plan. Sans lui, ces pages seront bien imparfaites; qu'on y trouve du moins un hommage d'affection filiale et une marque de l'admiration et de la gratitude qui, dès maintenant, enveloppent sa mémoire comme dans un manteau de gloire.

Les premiers secours aux sinistrés. - Le tableau des dévastations de la guerre n'est plus à faire. En face de ces ruines, les plus courageux et les plus optimistes se demandaient si jamais on pourrait les relever. Il nous souvient qu'un confrère, démobilisé en janvier 1919, fit part à un de ses supérieurs de son intention de retourner dans la paroisse qu'il administrait avant la guerre : «  Mon pauvre ami, lui fut-il répondu, je suis passé à X..., la semaine dernière; croyez-moi, avant dix ans il ne s'y trouvera pas un chat! » C'est actuellement un coquet et confortable village dont les seules terres incultes sont peuplées de plantureux troupeaux. Le sentiment de cette personnalité ecclésiastique, homme prudent, sage et courageux, était bien aussi celui des pouvoirs publics, et ce qu'on appelle «  zone rouge» serait beaucoup plus considérable si, parfois contre la défense formelle de l'Etat, les sinistrés eux-mêmes n'avaient reporté la vie dans leurs ruines. Avec la même foi et la même énergie qui avaient avivé et soutenu le courage de nos soldats, le sinistré de la guerre plaça une confiance inébranlable dans l'engagement sacré de l'Etat de réparer les dommages aux frais de la Nation. Il est juste d'ajouter tout de suite qu'à part les habitants de certains îlots rendus dangereux par les engins de guerre et méconnaissables au point qu'on y cherchait en vain l'emplacement des maisons et le tracé des voies publiques, les populations évacuées furent vivement encouragées et puissamment aidées par les pouvoirs publics et la charité privée à reconstituer leurs foyers.
Les premiers secours, transport du pauvre mobilier d'exil, ravitaillement, baraquements provisoires, furent rapidement organisés par les services de l'Etat. Pendant que la vie locale reprenait, grâce aux allocations et aux secours en nature de l'Etat, grâce aussi aux oeuvres charitables et aux Comités d'assistance, un élan qu'il n'est pas exagéré de dire mondial apporta aide matérielle et réconfort moral aux sinistrés. Pour le seul département de la Meuse, la liste des communes adoptées couvre six grandes pages in-8° dans un mémoire de M. Charles Magny, ancien préfet de la Meuse. En Meurthe-et-Moselle 46 communes ont fait l'objet d'une déclaration d'adoption; dans les Vosges on en compte 39 qui ont bénéficié de dons et legs.
La loi de réparation des dommages de guerre. - Si vive était la sympathie de l'opinion publique, si grande la générosité privée, ce n'étaient que des moyens momentanés de réorganisation. L'Etat avait déclaré que la réparation des dommages de guerre était une dette nationale dont tous les Français étaient solidaires. Ce n'était pas de la charité, mais de la justice.
A vrai dire la réparation des dommages de guerre aux frais de la collectivité est une conception moderne. Une loi du 11 août 1792 établit une organisation régulières de secours destinés à venir en aide aux victimes de la guerre. La Convention alla plus loin et par décret du 27 février 1793, elle reconnut à ces victimes le droit à une réparation intégrale. Mais une loi du 19 ventôse an VI abrogea les dispositions antérieures, en maintenant la théorie du secours. En fait cet acte précurseur ne fut suivi de nul effet. L'idée fut reprise par l'Assemblée nationale qui décréta, le 6 septembre 1871, qu' «  un dédommagement sera accordé à tous ceux qui ont subi, pendant l'invasion, des contributions de guerre, soit en argent, soit en nature, des amendes et des dommages matériels, etc... ». C'était le grain de semence qui renfermait le principe du droit à la réparation intégrale.
Le 26 décembre 1914, sur la proposition de M. Marin, député de Meurthe-et-Moselle, le droit à la réparation intégrale était introduit dans la législation française. L'application de cette loi fut réglée par décret du 20 juillet 1915, ce qui permit de faire quelques évaluations de dommages dans les communes libérées de la vallée de la Mortagne, du Grand-Couronné et de la région de Bar-le-Duc; mais en fait ce travail fut repris après la guerre.
La charte qui garantit aux sinistrés le paiement de leurs dommages porte la date du 17 avril 1919. Le mécanisme de cette loi repose sur l'initiative privée. Des commissions cantonales évaluent les dommages, le sinistré reconstitue, l'Etat contrôle le remploi, et le Trésor public paie. La théorie de Turgot a toujours été vraie: «  l'Etat commerçant et industriel exploite mal et toujours à des conditions très onéreuses ».
Pas davantage qu'aucune oeuvre humaine, la loi du 17 avril n'est parfaite. Du moins elle a permis la réalisation d'un effort gigantesque qui fera, sans conteste, l'admiration des historiens de l'avenir. Il est facile après coup de voir les abus qu'on aurait pu éviter, et on peut juger ce qu'il est convenu d'appeler le «  scandale de la cession des dommages de guerre ». Combien d'ouvriers agricoles, tentés par la somme offerte pour les dommages de leur maison, ont abandonné la campagne et sont maintenant de lamentables chômeurs sans ressources! Si le sinistré direct pouvait être autorisé à reconstruire dans un rayon déterminé, par contre il aurait suffi d'allouer

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Montfaucon (Meuse). Ruines conservées comme vestiges de guerre. (Collection de la Préfecture de la Meuse).

à celui qui n'était pas disposé à reconstituer une somme correspondant à la valeur vénale de 1914, et non pas la perte subie, c'est-à-dire la valeur de construction en 1914. Ainsi on ne verrait pas, comme dans maints villages lorrains, le sol complètement remis en état de productivité et les ouvriers agricoles manquer de locaux d'habitation.

L'aménagement des localités dévastées. - Le bilan des dévastations de la guerre se répartit d'une façon très inégale dans les trois départements lorrains qui furent reconstitués sous le régime de la loi du 17 avril 1919. La réparation des dommages de guerre en Moselle ayant été faite d'après la loi locale en vigueur à la fin des hostilités, nous devons l'étudier à part. Sur 55.045 immeubles existant dans la Meuse en 1910, 21.861 furent totalement détruits, et 13.909 partiellement. En Meurthe-et-Moselle ces chiffres deviennent respectivement: 87.315, 11.802 et 29.630; dans les Vosges: 28.842, 2.227 et 6.123. Sans donner à cette statistique une valeur de précision qu'elle n'a sans doute pas, nous en retenons la proportion dans laquelle les trois départements furent dévastés.
Fort bien inspiré, le législateur du 17 avril 1919 prescrit et met à la charge de l'Etat l'établissement d'un plan d'alignement, d'aménagement et de nivellement des communes sinistrées. Bien que les résultats soient très inégaux et que la hâte de reconstruire ait empêché certaines améliorations désirables, les résultats sont loin d'être négligeables, et l'aménagement d'un certain nombre de villages de la région de Verdun, du plateau de Voëvre et de la vallée de la Vezouse a fort bien conjugué la notion de l'hygiène avec les besoins de l'exploitation rurale moderne. L'exemple le plus caractéristique et le mieux réussi nous semble être Flirey, reconstruit au croisement de deux routes, avec un chemin de défruitement derrière les maisons. Dans d'autres endroits, comme à Port-sur-Seille, Halloville, Fey-en-Haye, Montfaucon, Vauquois, Boureuilles, le village a été complètement ou sérieusement déplacé tantôt pour éviter un dénivellement dangereux, tantôt pour rapprocher les constructions d'une grande voie de communication. A peu près partout du reste, la disposition des édifices publics (église, mairie, école) a été soigneusement étudiée, et, chaque fois qu'on l'a pu, on a réalisé un ensemble du meilleur goût.
Pendant que le service de la Reconstitution foncière examinait les plans d'alignement et que les Ponts et Chaussées réparaient et rectifiaient les voies publiques, le Génie rural faisait un remarquable effort pour arriver à un aménagement plus rationnel des habitations et des locaux d'exploitation agricole. Avec des variantes, selon la disposition des lieux, le type que nous reproduisons est celui dont on s'inspira dans la plupart des cas.
Incontestablement, et on le sent mieux que jamais, il faut, sinon refouler au village l'immigré des villes et cités ouvrières, du moins retenir à la vie rurale les habitants des campagnes. Ils y resteront fidèles dans la mesure où ils y trouveront le confort essentiel de l'agglomération urbaine. L'argument avait une valeur plus puissante encore pour réacclimater le sinistré à son coin de terre. Rien n'a été négligé de ce côté par le législateur et les pouvoirs publics, et de larges subventions tant du Pari mutuel que du Ministère des Régions libérées ont permis la réalisation de vastes projets intercommunaux d'électrification et d'adduction d'eau.
Vingt-huit syndicats intercommunaux (treize pour Meurthe-et-Moselle, deux pour les Vosges, treize pour la Meuse) groupant 373 communes, ont exécuté des travaux d'électrification pour 23.608.I32 francs. Ces dépenses ont été totalement couvertes par des indemnités de dommages de guerre: 3.249.083 proviennent de dommages directs au domaine privé des communes, et 20.359.049 d'achat d'indemnités de dommages de guerre; là du moins les cessions ont eu un résultat heureux. On ne saurait trop louer l'esprit d'initiative et l'activité avec lesquels le service du Génie rural dirigea ce vaste mouvement syndicaliste pour l'électrification des campagnes.
L'Administration des Ponts et Chaussées (Service hydraulique) ne fit pas moins pour les travaux d'adduction d'eau potable. Dans le seul département de Meurthe-et-Moselle, 181 communes furent intéressées à ces améliorations dont l'exécution représente une somme de 80.460.000 francs. La proportion est la même dans les autres départements lorrains.

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Dessin du Génie rural de Meurthe-et-Moselle

Grâce aux subventions de l'État (Pari mutuel et Régions libérées), ces projets d'adduction d'eau furent réalisés avec un minimum de dépenses pour les communes, et dans les villages où l'initiative des municipalités fut en rapport avec celle de l'Etat les frais de branchements des habitations privées furent imputés sur le budget municipal, dans la mesure où la légalité le permettait. Il n'est pas banal de voir maintenant, dans la plupart de nos villages lorrains, des bouches d'incendie, et nous nous souvenons de la joie de M. Duponteil, alors préfet de Meurthe-et-Moselle, en voyant, au cours d'une fête d'inauguration, la pompe à incendie lancer son jet au-dessus du coq de la flèche de l'église haute de 35 mètres. Malheureusement l'ampleur et le perfectionnement de ces réseaux d'adduction d'eau n'était pas prévue quand on établit les projets de bâtiments d'exploitation et d'habitation, et trop souvent le robinet sur l'évier est le seul qui apporte un peu de confort dans les ménages.

Les Coopératives de reconstruction. - Pour l'exécution de ces grands travaux les communes trouvèrent de précieux auxiliaires dans les différents services administratifs et techniques de chaque département. Faute de cette collaboration, à laquelle il est juste de rendre un hommage parfaitement mérité, plus d'un conseil municipal aurait reculé devant la tâche. Ce qui paraissait insurmontable aux assemblées municipales l'était encore bien davantage pour les particuliers. La reconstitution était laissée à l'initiative privée, mais qu'allait devenir le sinistré, surtout le petit propriétaire, devant la manoeuvre de cette énorme machine que formait la loi des dommages de guerre?
C'est ici qu'intervient un des organismes qui ont joué un rôle prépondérant et rendu d'immenses services pour la reconstitution immobilière: la coopérative de reconstruction. Dès le 12 octobre 1918, M. Albert Lebrun, ministre du Blocus et des Régions libérées, exprimait son intention de favoriser le développement du principe de la coopération pour la reconstruction des immeubles. Déjà M. le chanoine Thouvenin, dans des réunions agricoles ou des entretiens avec le préfet Mirman et les municipalités, avait envisagé la formation de groupements semblables à ceux qui avaient permis la reconstruction rapide des régions inondées de la Marne, en I9II. Il n'est pas pour nous déplaire que ce soient deux Lorrains qui apparaissent à l'origine de ce vaste mouvement coopératif. Désormais, avec sa netteté de conception et sa puissance de réalisation, la belle personnalité de Mgr Thouvenin dominera le problème de la reconstitution. Sa formation sociale, son caractère résolu, son esprit d'initiative, son expérience des questions ouvrières et des habitations à bon marché, les services de tous ordres qu'il avait rendus aux réfugiés, l'étude qu'il avait faite, durant la guerre, des réquisitions et des dommages de guerre l'accréditaient auprès des populations pour prêcher la socialisation du relèvement des ruines de la guerre. C'est un fait d'expérience qu'une doctrine a les apôtres qu'elle mérite. Ici l'union a fait la force, et les coopératives de reconstruction auront opéré ce miracle de relever les villages et les cités en moins de temps qu'il n'en a fallu pour les détruire.
Dès que l'idée de coopérative est lancée par M. Lebrun à la Chambre des députés en janvier 1919, M. le chanoine Thouvenin se met en campagne. Il va, encouragé et secondé par l'administration préfectorale qui lui fournit les moyens de transport, arrêté souvent par des réseaux barbelés, il va là où il sait trouver des évacués rentrés dans leurs ruines. Garant de la parole de l'Etat, il promet la reconstitution, la réparation intégrale, facilite les premiers secours et jette les bases de la Coopérative de reconstruction. Désormais il sera l'âme de cette oeuvre gigantesque. Il fera partie des Comités et des Commissions de la Préfecture. Le Ministère des Régions libérées l'appellera à la Commission supérieure des dommages de guerre. Sans trêve ni repos il recevra dans son modeste bureau de la salle Déglin, étudiera en profondeur toutes les questions; pendant des années il ne quittera Nancy que pour des tournées dans les chantiers de reconstruction, réussissant à obtenir de ses journées un prodigieux rendement. Un de ceux qui l'ont le mieux connu, le plus apprécié, et qui fut parmi ses collaborateurs les plus avertis, actuellement personnage important de l'Administration centrale, m'écrivait dernièrement à son sujet: «  En travaillant avec lui souvent m'est revenue dans l'esprit la parabole d'Emerson. Pour équarrir la pièce de bois qui gît à ses pieds, le charpentier lève la hache le plus haut qu'il peut, il frappe ensuite de toute sa force multipliée par les lois universelles du monde. Je ne me permets pas de parler des forces surnaturelles qui soutenaient et guidaient Mgr Thouvenin. La divine loi de charité multipliait tous ses efforts. Mais dans le cadre matériel de son action, avec quel sens ingénieux et

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Un type de maison reconstruite (petite culture). (Dessin du Génie rural de Meurthe-et-Moselle).

puissant il savait utiliser toutes les lois humaines dont il connaissait mieux que personne les possibilités »,
En moins d'un an, 206 Coopératives; avec 12.555 adhérents représentant 900 millions d'intérêts engagés, furent fondées, la plupart avec l'intervention personnelle de M. le chanoine Thouvenin, et réorganisées plus tard conformément à la loi du 15 août 1920, qui porta la marque de ses suggestions. Toutes ces Coopératives furent groupées en une Union départementale que fonda et dirigea, Mgr Thouvenin et c'était un spectacle peu banal de voir ce prêtre aux traits puissants présider les assemblées générales entre le préfet et l'évêque.

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Sainte-Geneviève (Meurthe-Et-Moselle). Maisons bombardées et incendiées par les obus allemands les 6, 7, 8 septembre 1914. (Vue prise en janvier 1915 après une chute de neige.)

L'exemple de Nancy était concluant et le Ministre des Régions libérées pouvait écrire au préfet du Nord: «  Le fonctionnement des Coopératives du département de Meurthe-et-Moselle ayant été reconnu comme particulièrement satisfaisant, et la collaboration de l'administration, des architectes des Coopératives et des entrepreneurs singulièrement étroite dans ce département, je vous prie d'y envoyer en mission M. Bonnet et votre chef du service des Coopératives pour qu'ils se rendent compte des méthodes employées, en vue de les employer dans le département du Nord »,
L'éloquence des chiffres va nous montrer l'importance du rôle rempli par les Coopératives : En Meurthe-et-Moselle sur 1.850 millions de dépenses faites pour la reconstruction immobilière, 900 millions furent gérés par les Coopératives. Dans les agglomérations rurales 92 % des immeubles furent reconstruits par ces sociétés. Dans la Meuse, 246 Coopératives groupées en Unions d'arrondissement réunies elles-mêmes en fédération départementale, reçurent mandat de gestion pour 1.173 millions. Dans les Vosges, il y eut 24 coopératives, auxquelles 121.283.000 francs furent délégués.

La reconstruction des édifices civils et cultuels. - Incontestablement, dans l'ordre d'urgence du relèvement des régions dévastées, les locaux agricoles et industriels et les habitations particulières devaient occuper le premier rang. Mais, dès la fin de 1920, dans certaines communes où les entrepreneurs avaient déployé une prodigieuse activité, on put envisager le relèvement des édifices publics. Cette préoccupation fut soumise à M. le chanoine Thouvenin, en octobre 1920, et le moyen qu'on soumettait à son examen était la création d'un syndicat intercommunal dans la vallée de la Vezouse. Il écouta avec attention et ne répondit pas. Moins de 48 heures après il rappelait son interlocuteur et lui soumettait son plan: c'était la création d'une Coopérative de reconstruction des églises dont les adhérents seraient les propriétaires des édifices, en l'espèce presque toujours les communes. Vivement encouragés par le préfet, les maires adhérèrent au projet, et, le 15 mars 1921, la société coopérative de reconstruction des églises du diocèse de Nancy était fondée; elle releva 107 églises avec un capital engagé de 54.148.526 francs. Les évêques des autres diocèses dévastés s'inspirèrent de l'exemple de Nancy, soit que, réunis à Paris, ils aient entendu M. le chanoine Thouvenin, soit qu'ils aient fait étudier sur place, par un représentant de leur administration, l'organisme de Nancy. Les fêtes organisées à l'occasion de la reconstitution des églises peuvent être placées parmi celles qui apportèrent à Mgr Thouvenin les joies les plus douces et les plus élevées. Il était franchement heureux devant la première pierre de l'église d'Ancerviller posée par le préfet et bénite par l'évêque, et la fibre la plus sensible de son patriotisme s'exalta en entendant les paroles de M. Duponteil : «  Quand un bâtiment est terminé on place au faîte un bouquet. Eh! bien, à la reconstruction de votre village, nous allons mettre le bouquet en posant la première pierre de son église. Et cette pierre je la poserai avec une émotion profonde et un respect infini, au nom de la France républicaine, abri tutélaire des croyances et des libertés ». Si Mgr Thouvenin, qui ne rechercha jamais l'apparat, demanda à l'évêque d'inviter le nonce apostolique à consacrer la première église reconstruite, c'est qu'il entendait par là faire de la haute propagande française: «  Le représentant du pape en France consacrant une nouvelle église construite avec l'argent de la France, à la place d'une église détruite par les faits de guerre, l'évêque de Nancy disant à l'ambassadeur du Saint-Siège tout le concours apporté par le Gouvernement français et ses représentants dans la reconstruction des églises, le nonce rapportant au chef de l'Église catholique que la France, en s'imposant de très lourds sacrifices, relève les temples de Dieu aussi bien que les mairies et les écoles, les usines et les maisons de commerce, les fermes et les habitations particulières, voilà des gestes et des paroles capables d'impressionner tous les bons Français, tous les étrangers sincères, et de détruire les préjugés et les erreurs engendrés par la propagande de nos anciens ennemis ».
Ce qui venait d'être fait pour les églises pouvait l'être et le fut pour les mairies et les écoles. Le 8 octobre 1921, le préfet de Meurthe-et-Moselle fondait une Coopérative de reconstruction des écoles publiques et mairies de Meurthe et-Moselle dont la direction fut confiée à M. Coulon, inspecteur de l'enseignement primaire à Lunéville. Avec une activité et parfois une intrépidité qui franchissaient tous les obstacles, ce dernier, grâce à un labeur surhumain, mena rapidement son oeuvre: 135 écoles ou mairies-écoles représentant une indemnité de 44.771.366 francs.
A son tour la Coopérative des écoles de Meurthe-et-Moselle fut copiée par les autres départements. «  Je tiens, écrit M. Magny, préfet de la Meuse, à faire une mention Spéciale à la Coopérative des mairies-écoles. Placée sous la présidence de M. Loyseau du Boulay, cette Coopérative a été approuvée le 17 mars 1923; elle a entrepris la construction de 112 mairies-écoles, de 17 écoles et 14 mairies et annexes. Grâce à elle le département de la Meuse pouvait dire, dès 1926, que toutes les écoles étaient ouvertes. » Cet exposé serait incomplet si on n'y ajoutait la Coopérative de reconstruction des églises du diocèse de Verdun dirigée par M. le grand-vicaire Dion. La Coopérative des églises et celle des écoles et mairies du département de la Meuse groupèrent respectivement: la première, 123 communes avec un total de délégations de 39.825.446 francs; la seconde, 142 communes avec 41.307.239 francs. Dans les Vosges, 15 mairies-écoles et 16 églises furent reconstruites.
L'oeuvre de la reconstitution fut caractérisée et grandement facilitée par un esprit de solidarité et d'entente qui mérite d'être retenu. Plus d'une fois le représentant de la Coopérative des écoles se rencontra avec celui des églises dans les villages dévastés de Meurthe-et-Moselle, et dans la même réunion du conseil municipal on examina les projets de reconstruction de l'église et de l'école. Quand l'État dut payer le remploi des dommages de guerre en obligations de la Défense nationale (O. D. N.), la Coopérative des églises de Nancy dont la trésorerie avait été mise à l'aise par des dons importants et la gestion particulièrement avisée de Mgr Thouvenin, préserva d'une crise dangereuse la Coopérative des écoles en lui changeant en espèces, à leur valeur nominale, des O. D. N. dont le cours était gravement déprécié.
Dans la dernière année de son existence, la Coopérative des églises de Nancy a donné aussi son concours financier à un certain nombre de Coopératives du département dont le bilan final était en déficit pour différentes raisons. Elle consacra ses facilités de trésorerie à des achats d'indemnités de dommages de guerre à des cours intéressants, et put ainsi sauver de la détresse des Coopératives malheureuses ou imprudentes, et des coopérateurs intéressants. Toutes ces opérations ont été effectuées par la Coopérative des églises, non seulement sans aucun bénéfice, mais avec la prise en charge par elle-même des intérêts intercalaires entre l'époque où elle versait en espèces ses acomptes aux Coopératives et celle ou elle recevait de l'État des titres nominatifs inaliénables et toujours d'une valeur réelle inférieure au capital nominal.

Les emprunts. - Dès la signature du traité de Versailles il fut évident que l'Allemagne se déclarerait incapable de payer les dommages de guerre aussi vite

Gerbéviller. - La rue Carnot, anciennement rue Haute de la Ville Vieille. (Documents communiqués par M. J. Godfrin).
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Après le 24 août 1914 (avec le pâté de maisons compris entre cette rue et la rue Basse).
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Avant le 24 août 1914. Après la reconstruction (1934).
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La plupart des maisons du côté gauche n'ont pas été reconstruites.

qu'on les réparerait. Il était donc à craindre que le Ministère des Finances ne pût pas suivre la cadence de celui des Régions libérées. Le législateur prévut cet essoufflement de la trésorerie, et, dans la loi de finances du 31 juillet 1920 (art. 150 à 158), il envisagea pour le sinistré ou les groupements de sinistrés la possibilité d'emprunter avec la garantie de l'Etat sur la production d'un certificat global de dommages; l'Etat s'engageait aussi à payer les arrérages.
Séduit par ces dispositions qui permettaient aux sinistrés eux-mêmes de venir au secours de l'Etat en empruntant à sa place et avec sa garantie, le président de l'Union des Coopératives de reconstruction de Meurthe-et-Moselle convoqua un certain nombre de personnalités, le 19 septembre 1920. Ici encore, nous croyons bien que Mgr Thouvenin fut à l'avant-garde du mouvement. La question était encore trop nouvelle, ce jour-là, pour permettre des conclusions immédiates; la discussion du reste fut passionnée par un représentant des corps élus qui protesta que l'Etat devait payer les indemnités de dommages en espèces et que le sinistré y avait un droit absolu. C'était très beau en théorie, mais l'avancement de la reconstitution devait être cherché avant tout dans le domaine des possibilités. Fort de ce sentiment, M. le chanoine Thouvenin reprit la question devant une assemblée élargie où se trouvaient la plupart des conseillers généraux; nous n'avons trouvé nulle part, même dans la discussion de la loi du 31 juillet 1920, exposée avec plus de clarté le mécanisme des conventions d'annuités avec l'Etat. Quand le Conseil général décida un premier emprunt il n'eut qu'à se louer d'en avoir confié la gestion au président de l'Union, qui avait déjà fait l'expérience de la question dans l'emprunt de 15 millions contracté par la Coopérative des églises.
Cette dernière société avait fait appel au crédit public, le 15 juillet 1921. Ce fut, croyons-nous, le premier emprunt consenti par le Ministère des Régions libérées. A certains avantages dont fut seul à bénéficier l'emprunt des églises du diocèse de Nancy, on peut se demander si M. Thouvenin ne connaissait pas la question pour le moins aussi bien que les agents du Ministère et que le ministre lui-même, qui cependant était M. Loucheur. «  L'emprunt du bon Dieu », comme le qualifia un grand quotidien, obtint un vif succès. Il était du reste rehaussé par des considérations qui méritent de passer à la postérité : «  Aujourd'hui, laissant aux particuliers sinistrés (ouvriers, propriétaires, cultivateurs, industriels, commerçants), l'argent que l'Etat peut mettre à leur disposition; voulant soulager momentanément les finances de l'Etat, alors que ces charges sont particulièrement lourdes, cherchant à assurer du travail aux entrepreneurs et aux ouvriers du bâtiment, la Coopérative des églises demande au public les 15 millions nécessaires pour construire le gros oeuvre des édifices du culte, afin que les prêtres et les fidèles ne soient pas obligés d'assister aux offices religieux dans les pauvres baraques qui leur servent de chapelle provisoire... Beaucoup de fidèles ont pleuré sur leur église en ruines et se sont promis de tout faire pour la relever. Les chrétiens, même peu pratiquants, demandent la reconstruction de l'église, témoin de leurs joies et de leurs deuils ... Tous veulent que se relève l'église qui proclame et transmet de générations en générations les notions

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Verdun-sur-Meuse (14 février 1921). Place d'Armes et rue de la Belle-Vierge déblayées.(Collection de la Préfecture de la Meuse)

d'honneur, de justice, de bonté, de charité qui caractérisent la France chrétienne ». Je sus dans la suite par une confidence rétrospective que le président de la Coopérative des églises avait rédigé cet appel barrésien au cours d'une nuit pendant laquelle La grande Pitié des églises de France était son livre de chevet.
Vulgarisée par un tel maître, la théorie des emprunts sur conventions d'annuités de trente ans fut vite comprise et appliquée. L'Union des Coopératives d'arrondissement de la Meuse fit le sien, appelé «  emprunt Lecourtier », du nom de son principal animateur, en juin 1922; il se montait à 100 millions. D'autres emprunts furent faits dans la Meuse (département, ville de Verdun, sinistrés d'Étain, églises dévastées, outillage sinistré, etc ... ) en tout un total de 333.672.000 francs. En Meurthe-et-Moselle le Conseil général fit deux emprunts se montant à un total de 190 millions, et les sinistrés isolés, groupés par M. Brun, président de la Société Industrielle de l'Est, obtinrent une convention d'annuités de 11 millions. Pour les Vosges, deux emprunts départementaux s'élevèrent à la somme de 8.400.000 francs.

L'art dans la reconstruction. - En imposant un plan d'alignement et d'aménagement pour la reconstruction des localités détruites, le législateur entendait que le relèvement des propriétés bâties fût soumis aux règles du confort et du progrès modernes. Mais avant tout il fallait aller vite, et les problèmes à résoudre étaient tellement vastes et nombreux que l'autorisation des projets ne fut la plupart du temps qu'une formalité, du moins pour les propriétés privées.
Le résultat le plus considérable a été obtenu dans les bâtiments d'exploitation rurale. Tout en restant bien lorrain, c'est-à-dire attaché à ses usages et à ses traditions, le cultivateur n'a pas repoussé de propos délibéré les suggestions marquées au coin de l'expérience pratique et technique qu'il reçut des ingénieurs du Génie rural. La plupart des fermes de la grande et de la moyenne cul ture sont bien adaptées à la motorisation et au machinisme moderne; trop souvent cependant l'habitation répondrait mieux aux habitudes d'un bourgeois qu'aux besoins de la famille et du personnel d'un cultivateur. Dans certains villages, heureusement très rares, l'architecte a donné aux façades un ton aussi prétentieux que déplacé.

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L'église d'Étain (Meuse), avant la guerre. (Collection Bichaton).

La reconstruction des édifices publics (églises, écoles, mairies-écoles) a été mieux contrôlée. Elle a du reste fait l'objet d'un article spécial de la loi du 17 avril 1919. Tandis que pour les propriétés privées, l'indemnité était fixée uniquement sur la valeur de construction de l'édifice détruit diminuée de la vétusté, et augmentée des frais supplémentaires (coefficient de reconstruction), pour les édifices civils et cultuels elle consistait dans les sommes nécessaires à la reconstruction d'un édifice présentant le même caractère, ayant la même importance, la même destination et offrant les mêmes garanties de durée que l'immeuble détruit. Les propriétaires, c'est-à-dire les communes dans presque tous les cas, pouvaient faire déterminer cette importance et ces garanties par une Commission Spéciale instituée au Ministère des Beaux-Arts. Autrement c'était la Commission des bâtiments civils de chaque département qui statuait. La procédure fut spécialement rapide en Meurthe-et-Moselle, grâce à l'initiative et l'activité de l'architecte départemental de la reconstruction. Les architectes furent sélectionnés, et les communes. ne pouvaient choisir que dans la liste spéciale agréée par le préfet. On organisa une commission officieuse, comprenant l'architecte départemental, l'expert spécialisé pour chaque arrondissement, un représentant de la Coopérative des églises ou des écoles, et l'architecte choisi par le conseil municipal et la Coopérative. Cette commission visita toutes les communes, étudia la reconstruction des édifices publics détruits et particulièrement leur emplacement. Grâce à elle d'heureux déplacements furent proposés et adoptés, et l'aménagement de la partie centrale des communes est en amélioration notable. Si la reconstruction n'était pas autorisée sur l'emplacement des ruines, l'indemnité comprenait les sommes nécessaires à l'acquisition du nouveau terrain.
Il est délicat de juger les résultats en fonction avec l'art; ils sont très inégaux.
Du reste les oeuvres sont là, et les historiens de l'avenir auront tous les éléments d'appréciation. Ce qu'on peut affirmer dès maintenant, c'est la façon élevée et très souvent désintéressée, allant dans certains cas jusqu'au sacrifice, dont les entrepreneurs ont envisagé et réalisé la construction des églises qui pour eux était le couronnement de la reconstruction du village. Nous tenons cependant à noter le soin et

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Étain (Meuse). Ruines de l'église (Collection de la Préfecture de la Meuse).

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L'église et le groupe scolaire d'Emberménil, Deville, architecte (Collection Bichaton).

l'art avec lesquels l'Administration des Beaux-Arts a reconstitué les édifices classés; certains méritent une mention spéciale : Nomeny, belle église gothique, Longwy-Haut dans son style Vauban, harmonisé avec la place forte; Badonviller, presque unique en son genre, construite à la veille de la Révolution de 1789; Etain, beau gothique du XVe siècle; Verdun, joyau de l'art roman.

Reconstitution immobilière non bâtie. - Pendant quatre années toutes les puissances de destruction conjuguées s'appliquèrent à tout anéantir, et, sous l'effort de la science moderne, le sol lui-même fut saccagé par les obus et les travaux souterrains. Le problème de la reconstruction des maisons apparaissait relativement simple à côté de la remise en état d'immenses plaines chaotiques et de forêts bouleversées. Je me souviens qu'au printemps de 1919, reprenant une promenade familière de mon enfance et de mes vacances de séminariste, je comptais arriver à l'ouest du territoire de Montreux, tandis que, après avoir erré pendant trois heures dans les premières lignes françaises et prussiennes, je me trouvai avec mes vêtements en lambeaux au sud de Halloville. Et encore, j'étais dans un des secteurs où l'action militaire fut relativement calme. Il n'y a donc aucune raison de s'étonner que les services de la reconstitution aient envisagé une zone rouge, c'est-à-dire impossible à reconstituer, beaucoup plus étendue qu'elle le fut en réalité. Sous la ténacité et l'énergie des habitants la surface délimitée par l'Etat s'est peu à peu résorbée, si bien que, dans la Meuse, elle est réduite à I9.000 hectares répartis en deux grosses masses situées de part et d'autre de la Meuse et dans quatre zones moins importantes, en Argonne, à Vauquois, aux Éparges et en forêt d'Apremont; en Meurthe-et-Moselle, elle est de 1.286 hectares (Remenauville, Regniéville, Leintrey); dans les Vosges elle ne comprend que I5 hectares dans la région du Ban-de-Sapt.
Sous l'empire des mêmes préoccupations, l'Etat interdit la reconstitution de certaines communes; là encore l'Administration dut céder dans bien des cas devant l'obstination des habitants voulant reconstituer leur village; l'exemple de Malancourt, un des lieux les plus tragiques de la bataille de Verdun, mérite d'être cité. Huit communes dans la Meuse, (Beaumont, Bezonvaux, Cumières, Douaumont, Fleury-devant-Douaumont, Haumont-les-Samogneux, Louvemont et Ornes), et deux en Meurthe-et-Moselle (Regniéville et Remenauville) vont ainsi disparaître de la carte de la Lorraine.
Leur souvenir sera du moins gardé par des monuments commémoratifs. A Regniéville et à Remenauville, des chapelles ont été érigées par la Coopérative de reconstruction des églises du diocèse de Nancy, à l'emplacement des églises de ces deux villages. Dans la Meuse, une chapelle-abri a été édifiée sur l'emplacement de chacune des communes de Beaumont, Douaumont, Haumont, Louvemont et Ornes; à Bezonvaux, à Cumières et à Fleury on a construit des chapelles commémoratives.
La surface des terres bouleversées était dans la Meuse de 287.154 hectares sur un total de 623.261; en Meurthe-et-Moselle de 336.000 sur 525.298; dans les Vosges de 132.297 sur 586.684. Le désobusage, l'enlèvement des barbelés, la destruction des travaux d'art, le déblaiement et le nivellement du sol furent exécutés directement par l'État, en 1919

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Eton (Meuse). Église reconstruite en 1924 (Collection Bichaton).

par des prisonniers de guerre et dans la suite par des équipes travaillant en régie.
Restait la remise en état de productivité pour laquelle une indemnité fut accordée au propriétaire: elle comprenait la somme nécessaire pour la reconstitution physique et chimique du sol. Il n'en fallait pas moins pour permettre au courage des cultivateurs de rendre leur fertilité aux plaines dévastées.
La forêt est un élément important de la propriété foncière en Lorraine. C'est peut-être le sinistré forestier qui a le plus pâti de la guerre. Il était impossible de lui reconstituer des arbres adultes, et l'indemnité qui fut accordée pour les sujets morts ou blessés ne tint aucun compte de la majoration des cours dans la période qui suivit immédiatement la guerre. On consentit cependant à fixer une valeur d'avenir pour les arbres coupés en pleine croissance. Mais les estimations souvent contradictoires des experts déconcertèrent parfois les forestiers compétents. De ce fait les communes de l'ancien front, dont pour la plupart la forêt était le principal revenu, se trouvent dans une situation financière très amoindrie.
Les sommes allouées pour le repeuplement de la forêt furent en rapport avec les indemnités accordées pour les sujets prélevés ou mutilés, toujours insuffisantes, parfois même franchement dérisoires. Le service de la reconstitution forestière a utilisé au mieux les maigres crédits que les titres de créance mettaient à sa disposition. Pour le reste, c'est-à-dire la partie la plus importante, les communes attendront que la nature fournisse aux générations futures les réparations que les tribunaux ont refusées à la nôtre.

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Vitrail de l'église d'Ancerviller, par J. Grüber (saint Martin)

La reconstitution industrielle. - Il n'est pas douteux que l'armée allemande, se conformant aux directives de ses théoriciens et de ses doctrinaires militaires, détruisait systématiquement toutes les ressources économiques de richesse des pays occupés. L'industrie allemande, ainsi que l'a déclaré cyniquement Stresemann alors député au Reichstag, se félicitait ainsi «  d'être débarrassée d'un adversaire redoutable ». Les autorités allemandes avaient créé le «  Zivilverwaltung für das Gebiet von Briey und Longwy » dont le véritable but fut de piller et de briser ce qui, dans les usines de la région, ne pouvait être emporté en Allemagne. Cette oeuvre de destruction fit l'objet de rapports qui se trouvent en possession du Comité des Forges.
L'activité et la rapidité de notre reconstitution industrielle firent l'étonnement et l'admiration du monde entier. Le gouvernement fit appel au concours de l'Office de Reconstitution industrielle créé par la loi du 6 août 1917. La Meurthe-et-Moselle, la Meuse et les Vosges firent partie du même secteur. Il examina 1.415 dossiers pour une déclaration de dommages de 716 millions.
L'industrie métallurgique est une de celles qui ont le plus souffert des dévastations de l'ennemi; sur 170 hauts-fourneaux qui fonctionnaient en France en 1914, 85, les plus importants, se sont trouvés en région envahie (bassin de Longwy et bassin de l'Orne), et 10 dans la zone de bombardement (bassin de Nancy). Malgré ces désastres, dès 1925, le tonnage d'extraction du minerai fut au niveau de celui de 1913 (19 millions de tonnes), et, en 1926, il le dépassa.
La reconstitution du groupe textile n'a pas été moins active; le nombre des métiers (5.000) et des broches sinistrées (130.000), du département des Vosges fut reconstitué et au delà avant 1925. On peut en dire autant des papeteries, des verreries, des brasseries, des minoteries, des scieries.

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L'église de Cutry reconstruite en style roman par Lebourgeois.

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Auboué (Meurthe-et-Moselle). Haut fourneau saccagé. (Cliché des Fonderies de Pont-à-Mousson.)

Reconstitution mobilière. - Les dommages mobiliers, soit qu'ils s'appliquent uniquement à l'habitation, soit qu'ils comprennent les immeubles par destination (matériel d'exploitation et cheptel) furent évalués sur la même base que les immeubles : perte subie, frais supplémentaires, payables par acomptes sur justification de remploi. Pour l'évaluation de ces dommages le travail des experts des commissions cantonales fut particulièrement laborieux, et on est en droit de se demander si les parlementaires qui avaient proposé l'affichage dans les mairies du montant des déclarations des dommages mobiliers ne firent pas preuve d'une profonde psychologie.

Paiement des dommages. - Il importait que la reconstitution des régions dévastées commençât aussitôt après l'armistice, sous peine d'exposer les évacués à se fixer définitivement dans leurs résidences de refuge. C'est pourquoi, outre les secours en nature et la création d'abris provisoires, l'Etat institua un régime d'avances sur dommages de guerre. Le principe en avait été établi dès le vote de la loi du 26 décembre 1914, mais il n'eut sa véritable extension qu'après la promulgation de la loi du 17 avril 1919. Il s'appliqua à toutes les catégories de dommages: mobilier familial, mobilier professionnel, fonds de roulement aux agriculteurs, aux commerçants, aux artisans, aux communes et surtout aux Coopératives de reconstruction; pour ces dernières sociétés les avances remboursables sur les titres délégués par les adhérents ont été une source de grande activité en permettant de payer les entrepreneurs au fur et à mesure de l'avancement des travaux. Dès la fin de 1920 le paiement des avances en espèces, d'abord assuré par les trésoreries, fut confié au Crédit National, l'organisme créé pour le règlement des dommages de guerre. Les avances en nature furent délivrées par les services de la reconstitution. Ces avances étaient retenues sur le titre de créance délivré par le Crédit National d'après les éléments fournis par le Ministère des Régions libérées. Dès la délivrance du titre, les acomptes: étaient payés sur justifications de remploi. Outre les paiements en espèces, il y eut des règlements par bons de cession et par des prestations en nature.

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Auboué. Un haut fourneau. (Cliché des Fonderies de Pont-à-Mousson.)

Le chiffre total des indemnités accordées par les commissions cantonales d'évaluation ou les tribunaux de dommages de guerre se répartit de la façon suivante:
Meurthe-et-Moselle.. 4.656.569.839
Meuse... 3.924.000.000
Vosges... 584.000.000

La reconstitution en Moselle. - Aux dommages causés par les nécessités de l'attaque et de la défense il faut ajouter, comme dans les trois autres départements, ceux qui relèvent directement du crime : l'incendie volontaire d'agglomérations entières. Comme Badonviller, Domêvre-sur-Vesouze, Raon-l'Etape, Gerbéviller, Nomeny, Chesnières, Rouvres, Etain, etc ..., les villages de Dalhain, Burlioncourt, Bellange, etc ..., furent le théâtre d'atrocités qui ont soulevé l'indignation et la réprobation du monde entier. Bien que cette étude se limite au relèvement des ruines matérielles, qu'on nous permette de saluer les martyrs et les héros, qui soit au poteau d'exécution, soit dans les geôles allemandes, ont été sacrifiés ou torturés sur l'unique accusation d'aimer la France et de lui être restés fidèles.
Si l'on excepte les régions de Sarrebourg et Morhange, théâtre de notre glorieuse et malheureuse offensive d'août 1914, la zone de combat fut relativement étroite, et les villages les plus endommagés se trouvent dans la vallée de la Seille. Le bilan des ruines totales et partielles n'en restait pas moins très impressionnant:
6.536 immeubles à usage domestique ou agricole; 28 usines; 48 mairies-écoles; 14 mairies; 29 écoles; 85 églises; 52 presbytères; 4 hôpitaux.
Le sol n'avait pas moins souffert, et 60.000 hectares étaient impropres à la culture. Un dispositif de défense organisé entre Nouvel-Avricourt et Gorze, avait

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Ruines des Halles de Raon-l'Etape (Vosges).

bouleversé le terrain sur une longueur de 65 kilomètres, et plus de 3.500 abris bétonnés, pratiquement indestructibles, formaient une enceinte complémentaire autour des places fortes de Metz et de Thionville. Les tranchées représentaient plus de trois millions de mètres cubes de fouilles à combler; les fils de fer barbelés couvraient une superficie de 6.900 hectares.
L'importance des dégâts était moindre que dans les deux départements voisins, mais la tâche n'en était pas moins grande du fait de deux législations, l'une de droit local d' «  Empire », l'autre de droit français, qui, sans divergences bien apparentes, se sont souvent heurtées dans la pratique. Il existe cependant un curieux contraste entre les deux législations : le législateur français a proclamé le droit à réparation de tous les Français victimes de la guerre dans leurs biens, tandis que le législateur allemand n'a ordonné que le constat et l'évaluation du dommage, laissant à l'administration préfectorale le soin de reconnaître les créances aux sinistrés et d'en ordonner les paiements: la loi d'Empire avait donc une énorme portée politique.
Le montant total des dommages de la Moselle à la charge de l'État est de 400 millions. Par l'effort intensif et la collaboration étroite des sinistrés, des municipalités et des représentants de l'Administration, la reconstitution, comme dans les autres départements, est maintenant terminée, et dès 1922, du haut de la côte de Delme, incomparable observatoire naturel, d'où le Kaiser, en août 1914, suivait la bataille du Grand-Couronné et préparait son entrée à Nancy, on pouvait voir les toits rouges des maisons et des fermes reconstruites, et la terre lorraine avait repris sa fécondité.
Il est difficile de juger si la Lorraine eut plus à souffrir, dans sa terre, dans ses biens et dans sa chair, au cours des incursions des reîtres ou durant la guerre de Trente ans, que pendant la tourmente de 1914-1918. Ce qu'on peut affirmer à coup sûr, c'est que la génération actuelle fut digue de celles qui l'ont précédée, tant sur le plan de la reconstitution que sur les champs de bataille. Sentinelle avancée aux marches de l'Est, la Lorraine mutilée avait fait, pendant quarante-quatre ans, une garde vigilante, silencieuse et digne, autour de l'impitoyable poteau-frontière. Avec la même intrépidité que nos aïeux avaient mise au service de nos ducs dans les batailles pour leur indépendance, le Lorrain, qui a puisé l'amour de la grande patrie dans le culte de la petite, lutta d'héroïsme avec ses frères des autres provinces, quand il fut appelé au secours de la France injustement attaquée. Après les joies de la victoire et l'enivrement du baiser à ses frères retrouvés, il se pencha aussitôt sur ses

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Une forêt à Montreux (Meurthe-et-Moselle). (Collection Vaillant.)

ruines. Par leur courage et leur confiance, par le génie du grand reconstructeur, à la mémoire duquel je dédie filialement ce tableau d'ensemble, les descendants des soldats des ducs de Lorraine furent encore à l'avant-garde de la reconstitution de leur sol meurtri, du relèvement de leurs usines, de leurs foyers et de leurs autels.
Je ne sais rien de plus symbolique de ces grandes qualités de notre race que le cortège à la fois douloureux et triomphal dont furent témoins, le 29 novembre 1934, les rues de Sainte-Geneviève. Sur cette hauteur dont, pendant quelques heures mortellement angoissantes, il fut l'unique gardien, le 7 septembre 1914, sur ce champ d'expérience de la plupart de ses belles créations sociales et charitables, sur cet observatoire incomparable d'où le regard plonge à la fois sur la riante vallée de la Moselle et dans la plaine opulente de la Seille, face à la forêt de Facq, comme dans une suprême visite de ces habitations dont il avait pansé les brèches sous le feu des canons ennemis, Mgr Thouvenin parcourut encore ces lieux qui lui furent si chers. Comme aux mémorables journées des visites officielles, il était accompagné de personnalités attentives et d'une foule émue, mais cette fois ses lèvres étaient doses, ses yeux fermés, et la pompe funèbre, simple et grave comme il l'aurait aimée, se termina au son des cloches de sa première messe, dans l'église de son baptême et de sa première communion, au pied de l'autel de sainte Geneviève, tout près du vitrail où il a fait représenter par Grüber la Vierge de Nanterre repoussant les Prussiens vers la Seille. L'épigraphiste au talent duquel nous ferons appel pour rappeler sur sa tombe que Mgr Thouvenin fut l'honneur de la Lorraine et un grand bienfaiteur de ses semblables, aura trouvé rarement sujet plus vaste et plus beau.

P. FIEL.
 

 

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