Dans son ouvrage « Histoire du Blâmontois dans les temps modernes » édité en 1931,
l'abbé A. Dededon présente diverses photographies du château de Lannoy à
Herbéviller.
Ces photographies, de mauvaises qualité, proviennent d'un article d'Emile Ambroise paru en 1909 dans la « Revue lorraine illustrée » (article reproduit
ci-dessous).
L'Abbé Dedenon ne disposait en effet que de cette vue de la chapelle gothique du château,
car elle était exposée depuis 1927 aux Etats-Unis, au « Detroit Institute of Arts ».
De 4,8 mètres de hauteur et 3 m de largeur, la chapelle avait en effet été négociée dès 1922 par William R. Valentiner (directeur du musée de Détroit de 1924 à 1945), en vue de servir de support authentique à des vitraux médiévaux.
La collection de vitraux allemands de la fin du XVème siècle, a été regroupée au fil des ans, soit par diverses donations, soit par acquisitions, financées par la Société de Fondateurs du musée, auprès de marchands
d'art, et la série des « Prophètes et Psalmistes d'après la 'Biblia pauperum' »
qui orne l'ancienne chapelle d'Herbéviller-Lannoy, a été enchâssée par les studios Willet en 1947.
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En complément : voir l'article
Herbéviller - La Chapelle du château de Lannoy (2)
Revue lorraine illustrée
- 1909
LE CHATEAU DE LANNOY A HERBÉVILLER
Le Château de Lannoy (1) à Herbéviller est peu connu. Il est loin des gares, et les automobiles qui courent vers l'Alsace,
buvant la plaine monotone entre Lunéville et Blâmont, passent devant lui sans le voir. Une frondaison de noyers le cache aux regards.
Il y a là cependant un vieux manoir qui mériterait une visite, soit pour lui-même, soit pour les souvenirs lorrains qu'il évoque.
Nos plus vieilles annales font mention de la maison forte d'Herbéviller-Lannoy, vassale de Blâmont, où elle doit quinze semaines de garde.
Lorsque, au treizième siècle, un cadet de Salm, à force de vaillance et de diplomatie sans scrupule, se tailla, sur la Vezouse, le petit État féodal qui devint le comté de
Blâmont, il attira à lui, par des traités et des alliances de famille, les hobereaux du voisinage. Il avait fait du seigneur de Lannoy le
bailli de sa ville de Blâmont, lui avait donné sa fille Clémence, puis avait acheté de l'évêque de Metz la suzeraineté de son château.
Mais il y avait un autre château dans le même village. C'était
La Tour, que possédait une autre famille, vassale elle aussi et alliée de Blâmont, celle des sires de Barbas. Cette seigneurie voisine, tantôt alliée, tantôt rivale de Launoy, n'était déjà plus au quinzième siècle que « la tour ruinée », et si elle s'est relevée depuis, ce qu'on ignore, ce ne fut que pour disparaître totalement de nos jours. Il y a trente ans, on en voyait encore un pan de mur garni d'une échauguette. Lannoy, moins éphémère, appartint toujours à des familles lorraines; au quinzième siècle, à Marguerite de Chambley, dame de Parroy; au seizième, au moins pour une part, a la famille de Créhange, qui exigeait de ses sujets qu'ils fissent « le guet au château, avec corvées de bras et hommes de course ».
C'est à cette époque que s'est élevée la construction actuelle, dont le bâtiment central reste à peu intact. Au rez de chaussée, les vastes cuisines avec· leur large cheminée aux lourdes et robustes moulures; à l'étage, une salle vraiment superbe, autant par ses proportions grandioses que par les sculptures de ses trumeaux, Malheureusement c'est sous les panneaux disjoints d'une boiserie moderne qu'il faut en deviner la finesse et déchiffrer une date qui parait être 1554.
Ce qui fait l'originalité de cette belle salle, c'est qu'elle est à la fois galerie et chapelle. La chapelle, logée dans la tourelle hexagonale qui s'élève au centre de la façade postérieure, et dont nous donnons ici une vue inédite, s'ouvre par une baie ogivale au milieu de l'un des grands côtés de la galerie. Elle contient l'autel adossé la l'une des cinq fenêtres gothiques. Des vitraux peints y jetaient jadis une chaude lumière, et des nervures de ses ogives prolongées et curieusement entrecroisées, s'élance l'armature d'une voûte élégante et compliquée.
Après les Barbas et les Créhange, ce sont les Bannerot, anoblis de 1524, et qui portaient « d'argent à trois troncs étoqués de sable, allumés de gueule » que l'on voit fixés à Herbeviller. Didier Bannerot de Ville, déjà père de deux enfants, en donna dix autres a sa seconde femme Henriette de Chauvirey, tous nés dans ce château au cours des années les plus critiques des guerres de Charles IV, et alors que Lannoy, occupé militairement pendant dix-huit mois, était finalement ruiné par une compagnie de Croates. En 1664, Nicolas de Banneret de la Tour est seigneur d'Herbéviller et voué de Baccarat, Les noms de Cliquoy, de Créhange, de Guise, qu'ont signés sur les registres de la paroisse les parrains et marraines de cette belle lignée, attestent ses hautes parentés.
A la fin du dix-septième siècle, l'un des fils de Didier Bannerot, général au service de l'Empereur, porte avec un certain éclat le nom d'Herbéviller, où sa mère habitait encore en 1697.
René de Bouchard, époux d'Anne Fériet de Lannoy, de la noblesse messine, leur succède au dix-huitième siècle. Il est chevalier du Saint-Empire, prête l'hommage au duc Léopold pour ses terres de Manonviller, et devient plus tard colonel à la suite des troupes du roi de Pologne, dont la faveur ménage à sa fille une illustre alliance.
Le 14 septembre 1758, se déroule en effet du Château de Lannoy à l'église du village le cortège nuptial de Sophie de Bouchard de Lannoy avec Jean-Pierre, comte de Lignéville et du Saint-Empire, capitaine aux gardes lorraines, fils de Jean-Jacques, marquis de Lignéville, chambellan du feu duc Léopold, lieutenant-colonel à son service, chevalier de l'ordre du roi de Sardaigne, etc,
Ce mariage ouvre au village d'Herbéviller une ère inattendue d'animation et de prospérité. Les Lignéville avaient été, au cours des grandes guerres, les fidèles serviteurs du duc Charles et de leur pays. C'est un Lignéville qui, maître de camp d'un régiment de dix compagnies, tenait garnison à Nancy, lors de l'investissement de la place par Louis XIII. Un autre s'était jeté dans Lunéville et y avait tenu bon jusqu'à rentrée des Français par
la brèche. Ils étaient pendant la Fronde du parti de Turenne contre la Cour et Mazarin, et aux côtés du duc Charles lors de son arrestation à Bruxelles par les Espagnols. Cette fidélité à la cause lorraine ne les avait pas enrichis, et les trois branches de la
famille, à la fin du dix-septième siècle, étaient, au dire des agents du roi de France, « toutes peu accommodées ».
Mais depuis lors les faveurs particulières dont le duc Léopold avait honoré la « ravissante » Anne Marguerite de Lignéville, princesse de Beauvau-Craon, avaient porté au comble la fortune de cette famille. En dépit des douleurs dont cette liaison avait abreuvé l'existence de la duchesse Elisabeth-Charlotte, les enfants de Léopold, même après sa mort, n'avaient point tenu rigueur à la maîtresse de leur père.
A défaut de documents plus connus, les registres de la paroisse d'Herbéviller feraient foi de ce fait historique.
Pierre de Lignéville s'était fixé à Herbéviller, Un de ses enfants qui naquit au château de Lannoy, eut pour parrain et marraine le prince Charles-Alexandre, fils de Léopold, devenu gouverneur des Pays-Bas, et la princesse Anne-Charlotte sa soeur, abbesse de Remiremont. Celle-ci ne put « à cause de l'éloignement » se rendre en personne à Herbéviller, mais elle n'hésita pas à s'y faire représenter par madame la princesse de Craon, devenue douairière et qui n'avait pas moins de quatre-vingts ans. Mère de vingt enfants, aïeule de beaucoup d'autres et notamment du Chevalier de Boufflers, elle ne ressemblait sans doute que de loin à ce portrait amer qu'avait tracé jadis la princesse Palatine, mère de la malheureuse duchesse. Sa bouche avait été « enchanteresse » et ses dents « admirables », mais la « guenipe » avait abusé de ses charmes pour « donner un philtre »au duc, et se rendre tellement indispensable que lorsqu'il ne la voyait pas il était « trempé d'une sueur froide » (2). La princesse Anne-Charlotte ne s'inspirait plus des sévérités de son aïeule, et avait pardonné à la rivale' de sa mère.
Me permettra-t-on de risquer à propos des actes de la paroisse d'Herbeviller une autre remarque ? Les fervents du culte de la terre lorraine me la pardonneront tout au moins. Tous les personnages de qualité qui-assistent aux baptêmes des enfants de Pierre de Lignéville y sont indistinctement qualifiés « hauts et puissants seigneurs ». Exception est faite une seule fois, et en 1766 seulement, pour la princesse Anne-Charlotte de Lorraine « très haute, très puissante, très excellente et très auguste ».
Lorsque vingt-neuf ans auparavant, la princesse et sa mère, tout en larmes, avaient quitté leur château de Lunéville, le peuple avait voulu dételer leur carrosse. Depuis lors la duchesse était morte, ses fils dispersés ; seule la princesse Anne-Charlotte, dans son abbaye de Remiremont, demeurait fidèle au sol natal, au moment où la mort de Stanislas en consommait l'annexion à la France. L'effusion naïve qui s'exhale sous le plume de l'humble curé d'Herbeviller, à l'heure même où s'évanouissent les dernières illusions de l'indépendance, n'est-elle pas comme le suprême écho des regrets du menu peuple s'élevant plus poignants que jamais vers celle qu'il vénère comme le pieux et dernier symbole du passé !
M. de Lignéville voulut donner du relief à sa terre d'Herbéviller. Son maire y prend le titre de juge, haut-officier, chef de police et gruyer. Sa famille se rend populaire. Ses enfants « accompagnés de madame leur mère » tiennent sur les fonts baptismaux l'enfant d'un aubergiste. Enfin l'acquisition, en 1765, de la seigneurie de la Tour devient l'occasion d'une fête populaire célébrée « avec une pompe royale » et qui a marqué dans les fastes du village, puisqu'il en conserve la relation.
Ce beau jour fut annoncé la veille par les cloches et continué le lendemain en carillon, Il y eut messe haute d'actions de grâces, défilé des sieurs et dames et de tous leurs vassaux avec offrande ; cortège avec drapeaux, tambours et fusiliers ; décharges de canonnades pendant le jour, char de triomphe orné et chargé des principales filles du lieu, harangues, festins, basles (sic), réjouissances ; et le soir illumination de chandelles sur les fenêtres du, village ; enfin feu de joie allumé « au moyen d'une torche portée par le maire et le fiscal, et présentée au seigneur après une nouvelle harangue ».
Il s'est trouvé une muse rustique pour célébrer cette fête en neuf couplets, ou les Lignéville, « petits-fils du tonère (sic), sang des Pallas et de ses filles » sont suivis du choeur des grâces dont les bassons secondent les voeux que le poète forme pour leurs neveux.
Toutes les strophes ne sont pas aussi mythologiques. Il en est une qui parle de l'événement du jour, une autre qui peint la soumission et la déférence des sujets:
La Tourre et la Nois partagez,
Nous vivions trës-souvent brouillés
Aimons donc sous une seule dépendance
Un bon maître rempli de prudence.
Nous répugnons les révoltés,
Nous sommes pleins de bonnes volontés ;
Il est écrit au haut des cieux.
Qu'il faut être humble pour être heureux.
Le compliment final est le plus touchant ;
Vos vertus excellent en justice,
Le pauvre vous est égal au riche.
Le Comte de Lignéville signe encore à Herbéviller l'acte de décès de son beau-père qui y meurt en 1779, à soixante-dix-neuf ans « et quelques mois ». Mais il est le dernier des grands noms lorrains qu'évoque le château d'Herbéviller, Après lui la seigneurie appartient à M. de la Garde de Fache, anobli de Stanislas, qui prend part aux assemblées de la noblesse messine pour la convocation des Etats généraux.
Puis la tradition locale veut que le château, assez maltraité à l'époque révolutionnaire, soit devenu au dix-neuvième siècle, la demeure de plusieurs familles bourgeoises. Son aspect actuel ne dément pas la tradition. Le grand cartouche sculpté où le blason seigneurial s'étalait sous un casque empanaché, a été relégué, mutilé et presque méconnaissable, au dessus d'une porte d'écurie, et les fines ogives e, accolades du portail principal protestent contre les lourdes colonnes à feuilles d'acanthe qui les supportent aujourd'hui.
Comme le manoir d'Haussonville, avec lequel elle offre plus d'une analogie, la demeure de Pierre de Lignéville est devenue une maison de ferme. Les rames d'oignons et de blé de Rome qui sèchent en guirlande dans la grande salle d'honneur ne réveillent pas le fumet des agapes « royales » qu'y présida jadis la douairière de Beauvau.
Emile AMBROISE
(1) Herbéviller, commune du canton de Blâmont. On trouve écrit :
Lannois, Launy, Launoy. On prononce dans le pays Lannoy.
(2) Extrait des mémoires de la princesse Palatine Beaumont, Etudes sur le règne de Léopold, p. 265 et 316
Le Pays Lorrain
1923
L'exil de nos oeuvres d'art
La grande presse parisienne et
principalement le journal Le Matin a entrepris une vigoureuse
campagne contre certains spéculateurs qui ont pu faire entrer
des sculptures habilement truquées dans nos musées nationaux,
des bas-reliefs informes provenant de Mognéviile, achetées à
Contrisson, dans la Meuse, ont été dit-on entièrement sculptés à
nouveau et ont été achetés par le Louvre. L'antiquaire Demotte,
compromis dans cette affaire, a fait passer en Amérique un grand
nombre de nos joyaux artistiques. La Revue Lorraine illustrée a
autrefois publiée, sous la signature de M. Emile Ambroise, une
étude sur le château d Herbéviller avec de nombreuses
reproductions de sculptures de la fin du moyen âge qui ornaient
cet édifice. Signalons que ces vieilles pierres encadrements de
portes/cheminées, etc., ont été acquises, il y a dix ans
environ, par M. Demotte Elles ornent, sans doute aujourd'hui,
quelque demeure d'un milliardaire transatlantique. Hélas les
maigres budgets de nos musées ne leur permettent pas de lutter
contre les spéculateurs et en doit assister avec résignation
l'enlèvement des vieux souvenirs artistiques de notre région.
Le directeur-gérant : Charles SADOUL
Rédaction :
Thierry Meurant |
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