De la nécessité de
recourir promptement à la cautérisation dans le traitement de la
pustule maligne
Toussaint Lesaing (1805?-1848)
Éd. impr. de G. Silbermann (Strasbourg), 1846
DE LA NECESSITE DE RECOURIR PROMPTEMENT A LA
CAUTÉRISATION DANS LE TRAITEMENT DE LA PUSTULE MALIGNE, PAR
LESAING, DOCTEUR EN MEDECINE,
Médecin de l'hôpital de Blâmont,- Membre correspondant de la
Société royale des sciences ; lettres et arts de Nancy, de la
Société d'émulation des Vosges ; des Sociétés de médecine de
Strasbourg et de Nancy, associé libre de la Société centrale
d'agriculture de la Meurthe, correspondant de l'Académie de
l'industrie agricole. ; manufacturière et commerciale.
Principiis obsta.
Un des plus habiles médecins de l'Italie, le
célèbre BAGLIVI, a dit avec une haute raison que l'art de la
médecine repose sur des observations intelligentes : Ars medica
est tota in observationibus. C'était aussi l'opinion du père de
la médecine, le fameux HIPPOCRATE, qui nous a. laissé à cet
égard des exemples et des préceptes immortels.
On conçoit, en effet, que l'expérience est le meilleur des
maîtres, et que, dans la pratique de l'art de guérir,' on
regarde toujours comme un vrai trésor les observations qui sont
décrites avec soin, avec talent et conscience.
Les hommes éclairés forment ainsi la base d'un enseignement à
l'abri du moindre doute; et, en consignant chaque jour des faits
nouveaux ou plus nombreux, on enrichit la science médicale, on
agrandit son domaine, on facilite ses progrès, et on rend un
service incontestable à l'humanité.
Ces documents, ces mémoires, ces rapports et ces heureux essais
qui sont recueillis dans les annales de la science, forment un
répertoire d'une immense utilité; ils deviennent comme la mine
inépuisable où des praticiens habiles vont puiser de sages
conseils, quand ils continuent à s'inspirer dans l'étude et
qu'ils ont la noble et heureuse pensée de corroborer ou de
réformer les principes suivis par leurs prédécesseurs. C'est
ainsi qu'à côté des soulagements partiels qu'on procure à
l'humanité souffrante, on peut encore laisser après soi quelques
travaux qui ne seront pas sans fruits pour le bien de nos
semblables.
La maladie qui a provoqué de ma part les observations suivantes
est tellement funeste aux ouvriers de plusieurs classes de la
société, qu'on ne saurait trop les prémunir contre le danger
qu'elle présente et contre l'incurie qu'ils montrent souvent à
s'en préserver.
Il arrive quelquefois que la pustule maligne se développe
spontanément, comme le rapporte BAYLE, qui a vu cette affection
régner épidémiquement dans plusieurs villages, sans qu'aucune
épizootie s'y fût manifestée et sans qu'on ait vu mourir aucun
animal du charbon. On remarque cependant que dans le plus grand
nombre de cas, elle est transmise à l'homme, soit par le contact
des animaux malades, soit par le fluide septique pris sur ces
animaux et déposé sur l'épiderme par des insectes (1).
Pendant les mois brûlants de juillet et d'août de l'année 1842,
on remarquait une grande quantité de mouchés (2) dont la piqûre,
lors même qu'elle ne contenait pas de venin, était toujours
suivie d'une petite tumeur de couleur blanche, accompagnée d'un
violent prurit qui persistait plusieurs jours et engendrait
quelquefois une phlyctène dont la guérison se faisait attendre
une huitaine de jours.
Les causes qui ont donné lieu au développement de cette
affection ont toujours été externes. Elle a été engendrée par le
contact d'animaux atteints ou morts de maladies charbonneuses,
et par celui de leurs cuirs qui avaient conservé encore la
faculté de transmettre le principe contagieux dont ils étaient
imprégnés, dans le cas même où ils étaient complètement
desséchés; enfin, elle s'est communiquée au moyen de
l'inoculation du poison parles insectes qui avaient reposé sur
le corps ou sur les dépouilles fraîches des animaux infectés du
charbon.
C'est à cette dernière cause que j'attribue la maladie dont je
vais décrire les symptômes et les caractères. Ces observations
me paraissent très-intéressantes, et, pour ne rien omettre, je
dois parler aussi d'une chèvre sur la dépouille de laquelle il
est probable que les mouches ont puisé le venin qui a causé des
accidents si graves; cette chèvre avait été atteinte d'un typhus
contagieux dont il faut également apprécier l'origine et la
nature.
On se rappelle que durant l'année 1842, la température de
l'atmosphère fut excessivement chaude et se maintint au même
degré pendant quatre mois.. Cet état de sécheresse et de chaleur
intense pouvait renfermer, sans doute, les conditions
nécessaires pour produire le germe des nombreuses affections
charbonneuses qui ont dévoré les troupeaux, et pour en favoriser
le développement. BROUSSAIS prétend « que les animaux surexcités
par les fatigues et par la chaleur y sont très-sujets; les
liquides, ajoute-t-il, se suranimalisent, le sang et les humeurs
acquièrent un haut degré de virulence et donnent lieu à des
anthrax set à des charbons. »
Ce typhus à affecté principalement les moutons, les chevaux, les
porcs et les chèvres. Il s'est transmis des animaux malades aux
animaux sains de même espèce et d'espèces différentes; il s'est
communiqué à l'homme, soit directement, en dépouillant les
cadavres, ou indirectement, par la piqûre de certains insectes.
Au début de la maladie, les animaux avaient de la peine à se
mouvoir; les yeux paraissaient abattus; -la bouche était sèche,
la soif intense, la respiration accélérée, et la lièvre avait
une grande intensité ; symptômes qui accompagnaient l'apparition
de tumeurs circonscrites, emphysémateuses et qui se
développaient sur les différentes parties du corps : sur la
tête,, le poitrail et principalement sur les parties latérales
de l'abdomen. C'est alors que l'oppression devenait plus grande
et faisait périr l'animal. Il est quelquefois arrivé qu'il
succombait avant que les tumeurs fussent, développées.
L'autopsie laissait voir une infiltration de sérosité dans le
tissu cellulaire, des portions de muscle noircies, une
inflammation du tube digestif, la séparation de l'épiderme du
derme, et des phlyctènes remplies d'un liquide trouble et
fétide. Ce sont là, dans leurs généralités, les caractères que
nous avons remarqués dans la maladie contagieuse qui a frappé
certains animaux en 1842. J'arrive maintenant aux accidents
qu'elle a provoqués chez quelques habitants de nos campagnes.
Obs. I. Une jeune femme du village de Frémonville
étant allée, un matin, donner à manger à sa chèvre, la trouva
malade et triste ; elle avait une soif très-grande et elle
refusait la nourriture ; elle tournait la tête à droite et à
gauche ; elle se couchait et se relevait aussitôt. Dans la
pensée que cette chèvre était atteinte du charbon, elle la fit
abattre et dépouiller, puis elle étendit la peau sur la porte de
sa chambre pour la faire sécher. Quelle pouvait être la cause
qui avait engendré cette affection ? Les émanations contagieuses
du typhus qui existait dans le village, ou plutôt la
communication du virus par des mouches qui l'auraient recueilli
sur des chairs d'animaux morts, peut-être du typhus, ou sur les
dépouilles d'animaux en décomposition que le pâtre conservait
dans des eu veaux pour alimenter ses chiens? Cette dernière
supposition nous paraît pins probable.
Cette malheureuse femme fut bientôt victime de l'inconséquence
qu'elle avait commise. Car le lendemain elle fut piquée sur la
partie moyenne de la face externe du bras où il survint une
tumeur rouge qui fut bientôt surmontée d'une phlyctène avec
chaleur brûlante, fièvre, inappétence, insomnie, vertiges
augmentant pendant la journée. Le lendemain, les accidents
avaient redoublé d'intensité, les jambes manquaient de force,
les défaillances étaient fréquentes, le pouls intermittent;
enfin cette femme, soupçonnant qu'un simple furoncle
n'engendrerait pas des accidents aussi formidables, n'écouta
plus les conseils de quelques personnes qui riaient de sa
frayeur, ainsi que de la résolution qu'elle avait prise de
consulter un médecin; elle me pria d'examiner son bras et de lui
indiquer le traitement à suivre pour obtenir la guérison.
J'appliquai sur-le-champ la pâte caustique de Vienne, que je
laissai agir pendant dix minutes; j'enlevai ensuite l'appareil
pour panser avec des compresses imbibées d'eau chlorurée.
L'escharre avait le diamètre d'une pièce de deux francs; elle
était d'un gris foncé et comprenait, toute la phlyctène.
Le lendemain, presque tous les accidents avaient cessé ; la
céphalalgie existait encore, mais les angoisses et les vertiges
avaient disparu ; en un mot, le venin n'agissait plus.
Les jours suivants, le mieux continua ; l'escharre fut pansée
avec l'onguent styrax et le bras couvert de fomentations
chlorurées, de manière que dans l'espace de quinze jours la
cicatrice fut à peu prés complète.
Il est à présumer que la cause qui donna lieu au développement
de la maladie de cette femme, agit également sur son voisin qui,
forcé de rester en plein air à cause de sa profession de
cordier, y fut facilement exposé.
Obs. II Friche, de Frémonville, âgé dé trente-six
ans, d'un tempérament bilieux, sanguin, et d'une trés-forte
constitution, comme le prouvent les divers accidents dont sa vie
est parsemée. A l'âge de seize ans il reçut à la tête un coup de
corne de vache qui nécessita l'opération du trépan. L'année
suivante, il tomba du haut d'un grenier et perdit connaissance
pendant un temps considérable. Dans un âge plus avancé il reçut
à la poitrine un coup de timon de voiture qui le renversa et le
priva de sentiment pendant trois heures; à la suite de quoi il
éprouva une céphalalgie assez intense, accompagnée
d'obscurcissement de la vue et d'un effet d'optique assez
singulier : les objets lui paraissaient très-petits et les
hommes se présentaient à lui ayant tout-au plus le tiers de leur
grandeur et de leur grosseur. Cet état dura pendant quelque
temps et disparut ensuite complètement.
Le 15 août de l'année 1842, Friche ressentit une légère
démangeaison avec un picotement assez vif à la joue; il ne-fil
pas attention à ce qu'il éprouvait; le 16, les démangeaisons
persistant, il découvrit sur la joue une petite tumeur dure,
circonscrite, surmontée d'une vésicule qu'il prit pour un clou.
Il y avait inappétence et insomnie. Le 17, devant voyager, il se
rasa et coupa le bouton sans en ressentir de douleur. De retour;
il se plaignit de fatigue et de maux de tête accompagnés de
quelques étourdissements; la tumeur avait augmenté de volume,
ainsi que la phlyctène.
Le 19, la nuit fut très-mauvaise ; la fièvre devint forte, la
soif intense, la joue, les paupières et le cou s'engorgèrent;;
la tumeur devint livide, la vésicule s'élargit et il se
développa plusieurs autres petites phlyctènes isolées tendant à
se réunir.
Quelques j ours s'écoulèrent dans des douleurs et des angoisses
que le malade attribuait toujours au furoncle, dont.il attendait
la suppuration.
Le 29,les symptômes de la maladie s'aggravent et décèlent une
affection générale, profonde; le pouls est très-petit, inégal,
intermittent; la langue est brune et sèche; la soif ne peut être
étanchée; l'accablement et les anxiétés continuent; la
respiration est courte, suspirieuse ; les vertiges accompagnent
des chaleurs internes entremêlées de frissons; l'engorgement de
la face est considérable, remarquable par la dureté et par la
tension à laquelle se joint une ardeur brûlante. Les téguments
et la membrane muqueuse participent à l'inflammation et sont
colorés en rouge livide. La sérosité des phlyctènes coule en
abondance et laisse voir la tumeur passée à l'état gangreneux,
menaçant d'étendre considérablement ses ravages et de détruire
une grande partie de la joue. Une salivation très-abondante
s'écoule continuellement de la bouche.
Les souffrances sont intolérables, la respiration devient
toujours plus pénible ; la fièvre est des plus violentes ; les
vertiges et les anxiétés redoublent d'intensité ; les urines
sont noires et rares, le malade est menacé de syncope.
La maladie faisait des progrès si rapides, que la cautérisation
avec les caustiques devenait impossible.
Je pratiquai d'abord deux incisions sur la membrane muqueuse en
suivant la direction horizontale de l'arcade dentaire; cette
membrane était dure, sèche et criait comme du cuir sous l'action
du bistouri qui ne détermina aucun épanchement de sang et ne
provoqua pas de douleur. Le mal était profond et réclamait de
prompts secours; je fis chauffer à blanc un fer à gauffrer et je
cautérisai toute la membrane muqueuse qui tapissait la joue,
sans que le patient accusât de souffrance. De l'eau chlorurée
servit à faire des lotions à l'extérieur et à gargariser la
bouche.
Le lendemain, il n'y a plus de vertiges ni d'anxiétés ; le pouls
est moins concentré, plus régulier; là face est toujours énorme;
les phlyctènes s'étendent jusqu'à l'oeil.
Le 29, presque tous les accidents ont disparu ; le pouls
commence à-se relever; l'amélioration est notable. Des
plumasseaux de charpie couverts de styrax sont appliqués sur la
plaie ; la salivation continue à fatiguer le malade.
Enfin, l'escharre se détache insensiblement. Au bout de quinze
jours, un énorme lambeau de membrane muqueuse, entraînant les
muscles et une partie de la peau, tombe complètement et laisse
apercevoir une large plaie à la joue; elle s'étendait depuis la
commissure des lèvres jusqu'à la pommette; en décrivant un arc
de la longueur de 85 millimètres, redescendait
perpendiculairement pour former un angle dont un côté se
dirigeait vers la bouche, longeait la base de la mâchoire
inférieure et remontait au-dessus de l'éminence du menton pour
aller se terminer à la partie moyenne de la lèvre inférieure.
Les bords de la plaie étaient durs et frangés.
Cette ouverture immense, à travers laquelle on apercevait les
arcades dentaires, laissait échapper continuellement une grande
quantité de salive.
La plaie se cicatrisa en peu de temps, et la réunion réclamée
par Friche fut arrêtée ; mais je ne la pratiquai que six mois
après, voulant donner le temps à l'inflammation de disparaître
entièrement, aux téguments de se ramollir, de se fortifier, et à
la plaie de diminuer de grandeur.
Le 10 juillet fut le jour choisi pour opérer cette greffe.
Le malade étant assis en face d'une fenêtre bien éclairée, je
fis appuyer la tête contre la poitrine d'un aide, et au moyen de
ciseaux courbes sur le plat, j'avivai la cicatrice sur toute la
longueur du bord, dans une ligne séparant la partie rouge qui
était revêtue d'une mince pellicule, delà partie couverte par la
peau; cette incision partait de la commissure des lèvres,
traçait un angle qui remontait jusqu'à la pommette, puis
redescendait perpendiculairement jusqu'à la base de la mâchoire
inférieure où elle formait de nouveau un angle, se prolongeait
ensuite le long de la branche de cette mâchoire jusqu'à la
partie moyenne de la lèvre inférieure.
Je détachai ensuite avec un bistouri la portion du bord de la
cicatrice qui adhérait fortement à toute la longueur de la base
de l'arcade dentaire et qui ne pouvait s'étendre pour aller à la
rencontre du lambeau supérieur.
Cette excision, qui avait à peu près seize centimètres de
longueur, étant faite, je procédai immédiatement à la réunion
des bords avivés, en pratiquant la suture entortillée. Je fixai
trois aiguilles depuis la pommette jusqu'à l'angle inférieur de
la plaie, puis je maintins, par trois autres aiguilles, les
téguments que je fis remonter depuis le cou, pour les affronter
avec le lambeau supérieur; enfin, j'amenai la lèvre inférieure
à la rencontre de ce lambeau, et je les réunis au moyen de deux
aiguilles, ayant soin de donnera la bouche une ouverture
suffisante.
La suture pratiquée, je la couvris d'une compresse maintenue par
une mentonnière, et je recommandai à l'opéré le silence et
l'éloignement de tout ce qui pourrait le faire tousser. Il fut
mis à la diète et à l'eau sucrée.
Le troisième jour, j'enlevai une aiguille supérieure, le
quatrième, j'en détachai deux autres sans détortiller le fil, et
le cinquième jour, je fis disparaître les aiguilles qui
restaient. La réunion et la cicatrisation étaient complètes,
ainsi que le représente la figure ci-jointe.
On ne saurait se figurer le bonheur qu'éprouva ce malheureux,
lorsqu'il se vit débarrassé pour toujours de cette dégoûtante
infirmité qui était une source de chagrin et de répugnance
continuelle pour lui et pour sa famille.
On voit, par cet exposé, que les malades ne peuvent pas mettre
trop d'attention à rechercher la cause et le genre de maladie
qui les affectent, afin d'y porter promptement remède. Friche
avait pris une pustule maligne pour un furoncle; se reposant
dans cette croyance, il ne cherchait aucun moyen de guérison et
marchait à grands pas vers sa destruction, lorsque, par hasard,
je lui donnai des soins. Mais que de souffrances il se serait
épargnées, que de dangers il aurait pu éviter, s'il avait
réclamé plus tôt les secours de l'art !
Obs. III. Mme F., âgée de vingt-cinq ans, d'une
forte constitution, d'un tempérament sanguin, se trouvait
enceinte de sept mois, sans avoir souffert la plus légère
indisposition, lorsque, étant à la campagne, elle se sentit
piquer sur la paupière supérieure, où, dés le lendemain, elle
ressentit de la démangeaison. Le surlendemain, la chaleur et le
prurit augmentèrent; la paupière se gonfla et se couvrit d'une
phlyctène qui produisit un sentiment de chaleur et de tension ;
la tête devint lourde et embarrassée. Le troisième jour, les
vertiges, les angoisses et une forte fièvre se développèrent. La
pustule s'élargit, se déchira et laissa écouler un liquide
roussâtre, sous lequel apparut un point noir entouré d'une
aréole rouge dont le pourtour était brûlant.
Le quatrième jour, la gangrène, s'étendant à toute la paupière,
détermina la patiente à venir me trouver. L'escharre était
circonscrite par un cercle rouge qui indiquait sa prochaine
séparation des parties vivantes.
Abandonnant ce travail à la nature, je fis laver la plaie avec
la liqueur de LABARRAQUE et panser avec un plumasseau couvert
d'onguent digestif. Une saignée, nécessaire pour faire
disparaître la céphalalgie et les accidents inflammatoires, fut
pratiquée. Quelques jours après ce traitement, un grand mieux se
déclara. Le gonflement de la paupière diminua, ainsi que la
rougeur; l'escharre continua à se détacher; enfin, le neuvième
jour, elle tomba et la guérison fut prompte. Le muscle releveur
de la paupière et le derme furent détruits ; il ne resta que la
membrane muqueuse. Le voile palpébral perdit sa mobilité et se
rétracta. Un traitement prompt et actif aurait pu certainement
détruire cette pustule et empêcher, cette malheureuse de perdre
l'usage de la paupière.
Obs. IV. Bourdon, âgé de trente-cinq ans, d'une
forte constitution, conducteur d'une scierie située au milieu
des montagnes, éprouva subitement sur le dos de la main une
douleur lancinante avec une vive démangeaison qu'il pensa être
le résultat de la piqûre d'un insecte. Il se contenta de laver
la main avec de l'eau de source et de couvrir l'endroit
douloureux d'une compresse imbibée de vinaigre dé bois.
Le lendemain, le membre était gonflé, la peau rouge et
très-brûlante; la piqûre proéminente laissait voir une
petite-pustule jaunâtre, de la grosseur d'une lentille; la nuit
fut agitée; la fièvre se déclara et fut accompagnée de vertiges.
Pour calmer ces accidents, on lui conseilla de couvrir le membre
malade de cataplasmes de fiente de vache, et de boire du vin, ce
qu'il essaya en vain pendant plusieurs jours, après lesquels il
me fit appeler. Les accidents généraux s'étaient accrus au point
que ce malheureux avait des angoisses affreuses, du délire, des
vertiges et une fièvre très-violente. La pustule s'était
développée et propagée à toute l'extrémité du membre; les
phlyctènes couvraient le bras, la main et les doigts ;
l'auriculaire et l'annulaire étaient complètement desséchés,
noirs, et sur le point de se détacher.
Les renseignements que je pus recueillir sur cet affreux
désordre me firent penser qu'en effet la piqûre d'un insecte
pouvait l'avoir provoqué.
L'inflammation phlegmoneuse du bras qui se développait avec
violence, le délire, l'intensité de la fièvre, m'obligèrent à
pratiquer une saignée, à faire plusieurs incisions sur la face
externe du bras, et à couvrir toutes ces parties de cataplasmes
forniques, arrosés de la liqueur de LABARRAQUE.
Le lendemain, la rougeur et l'engorgement considérable de cette
extrémité, survenus pendant la nuit, s'étendaient depuis la main
jusqu'à l'épaule et se propageaient jusqu'à la poitrine. Je me
vis forcé encore, malgré les moyens employés la veille, de
provoquer une seconde émission sanguine et de cautériser les
incisions avec le beurre d'antimoine. Ces moyens opérèrent un
soulagement marqué, le délire céda, les angoisses disparurent,
et insensiblement la rougeur du bras pâlit.
Le lendemain, le malade reprit connaissance ; de larges plaques
gangreneuses couvraient la main et l'avant-bras; la fièvre était
encore violente. Des indices de suppuration existant à la main
et à l'avant-bras, me décidèrent à appliquer des cataplasmes
camphrés et à donner pour boisson du petit-lait nitré.
Le 15, même état, même pansement et même régime ; le doigt
auriculaire et l'index commencent à se détacher.
Le 16, une incision pratiquée sur les escharres laisse échapper
une grande quantité de pus; l'usage des cataplasmes est
continué.
Le 17, les deux doigts sont détachés, les plaies sont pansées
avec de la charpie enduite de cérat. Un second abcès, formé prés
de l'articulation huméro-cubitale, est ouvert.
Le 20, la peau et le tissu cellulaire mortifiés tombent, sans
que les muscles mis à découvert paraissent lésés. Je donne issue
à une troisième collection purulente développée dans la paume de
la main.
Enfin, malgré toutes les précautions, le pus fuse entre les
muscles du bras et de la main. J'établis deux sétons au bras ;
un sur l'éminence hypothénar, un autre sur l'éminence thénar, un
troisième sur la première phalange du médius qu'il traverse
entièrement.
Pour provoquer la chute des escharres, j'avais employé te styrax
et l'onguent digestif étendus sur de la charpie que j'avais
recouverte de compresses imbibées d'une décoction de quinquina.
Une suppuration abondante et louable s'établit; chaque jour je
remarquai du mieux. Les sétons, devenant inutiles, furent
supprimés, et la cicatrisation complète s'opéra en peu de temps.
Les fonctions digestives n'étant plus dérangées, une purgation,
du vin de Bordeaux et un régime analeptique furent conseillés
pour ramener les forces.
Quoique la cicatrisation fût complète, les mouvements du bras et
des doigts étaient encore impossibles; des lotions avec le vin
aromatique, des bains gélatineux, les ramenèrent insensiblement.
Quelques mois après, ce malheureux reprit ses travaux habituels,
s'estimant bien heureux d'avoir non-seulement la vie sauve, mais
encore d'avoir conservé le bras.
Obs. V. Trente, âgé de trente ans, d'une
constitution faible, ouvrier tanneur, éprouva, six heures après
avoir mis des peaux en fosse, une douleur très-vive à la main et
au bras gauche, avec chaleur brûlante qui se porta à la tête et
causa des étourdissements. Pendant la nuit, il y eut insomnie,
palpitations et faiblesse.
Le lendemain, une grande quantité de petits boutons, ayant la
grosseur d'une tête d'épingle, remplis de sérosité jaunâtre, se
montrèrent sur le membre; ils se développèrent insensiblement et
s'étendirent de plus en plus. Le prurit augmenta, les accidents
généraux s'aggravèrent et le forcèrent à réclamer mes soins.
Déjà un petit tubercule, dur, rénitent, avait remplacé la
rougeur; la peau était tendue; les vésicules laissaient échapper
quelques gouttes de sérosité roussâtre, sous laquelle le derme
avait un aspect brunâtre. Les phlyctènes étaient plus ou moins
grandes, irrégulières.
Le malade me dit que sa vue s'obscurcissait, que les objets
vacillaient et tournaient au tour de lui; que les jambes étaient
faibles, que la soif était ardente, que des envies de vomir le
tourmentaient fréquemment et qu'il ne pouvait s'imaginer ce qui
le faisait souffrir ainsi, ne se doutant pas du mal qui le
menaçait.
Après l'avoir instruit du danger qu'il courait, je lui proposai
de détruire toutes les pustules au moyen du fer rouge (leur
grand nombre s'opposant à ce que je misse en usage d'autres
moyens).
Je lui fis comprendre combien il était urgent d'agir
sur-le-champ, afin d'enrayer la marche de la maladie, en
concentrant le poison dans la partie lésée.
Un cautère en roseau, du diamètre d'une ligne, fut chauffé à
blanc et servit à cautériser treize pustules, tant sur la partie
externe des doigts de la main que du bras, sans produire une
trop vive douleur. La main et le bras furent enveloppés d'une
compresse imbibée d'huile camphrée, et une infusion amère fut
administrée pour boisson.
Le lendemain, les accidents généraux étaient disparus; il n'y
avait plus d'angoisse, de vertige, ni de faiblesse de membre ;
la fièvre seule persistait. Le gonflement du bras était
considérable; les pustules étaient noires, charbonnées.
Quelques jours après, la suppuration commença, et les plaies
furent couvertes de plumasseaux enduits d'onguent styrax.
Bientôt les escharres se détachèrent, le gonflement du membre
disparut et la cicatrisation s'opéra, sans laisser d'autres
traces que les cicatrices.
Pour combattre le grand nombre de pustules qui s'étaient
développées, et dans l'intention d'exciter l'action vitale dans
la partie, d'y déterminer une inflammation qui changeât la
nature de l'irritation septique et bornât la gangrène, j'avais
cru devoir employer le cautère actuel, comme le moyen le plus
prompt et le plus sûr.
Si ce malheureux avait habité la campagne, et qu'au' lieu de
réclamer de prompts secours, il se fût abandonné aux remèdes
vulgaires, il est probable qu'il aurait été victime de son
incurie. Dans ce cas, la cautérisation, employée à temps, a
enrayé la maladie et arrêté les accidents.
Le grand nombre de pustules qui se sont développées partout avec
la même intensité, démontrent suffisamment quelle étrange erreur
on a commise en soutenant que les pustules ne se manifestent
qu'au nombre d'une ou deux sur chaque individu.
Obs. VI. Friant, tanneur, âgé de trente-six ans,
après avoir mis des cuirs en fosse, vit paraître sur la partie
interne de la première phalange du doigt auriculaire de la main
gauche, une légère tache avec prurit et picotement ; le
lendemain, il se forma un petit tubercule surmonté d'une pustule
vésiculaire qui était accompagnée de douleur vive, de fièvre
violente, de chaleur à la peau et de céphalalgie.
Craignant qu'en abandonnant cette maladie à elle-même, elle ne
se bornât pas, je crus devoir pratiquer une saignée, appliquer
des sangsues au pourtour de la tumeur et même à l'épigastre,
pour conjurer une gastro-entérite, mais, ayant remarqué que les
accidents persistaient et que l'affection faisait de rapides
progrès, je me décidai à abandonner cette voie, pour recourir à
la cautérisation par la potasse caustique, qui, en vingt-quatre
heures, arrêta la marche de la maladie et donna lieu à une
guérison prompte.
A l'époque où Friant fut pris de cette pustule, BROUSSAIS et
plusieurs de ses élèves les plus distingués avaient avancé que
dans la pustule maligne, la fièvre se développait plus
particulièrement dans le cas où les viscères s'irritaient et
lorsque l'irritation prenait le caractère de gastro-entérite;
que la pustule maligne devenait ordinairement grave, lorsque les
antiphlogistiques n'étaient pas employés à temps. J'avais mis en
usage la saignée, les applications de sangsues à l'épigastre et
au pourtour de la pustule, sans obtenir aucune amélioration, ce
qui me décida à ne plus temporiser et à recourir à la
cautérisation.
La prompte guérison qui suivit cette opération me prouva son
efficacité et sa supériorité sur le traitement antiphlogistique.
Obs. VIL Martin, âgé de soixante-huit ans, perdit
sa vache, atteinte du charbon, et la dépouilla; le surlendemain,
il vit paraître sur l'avant-bras trois pustules qu'il négligea
de soigner, huit jours après, tous les accidents étaient arrivés
au plus haut degré d'intensité. Il réclama mes soins, que je lui
prodiguai, malgré le peu d'espoir que j'avais de le guérir. Une
application de potasse caustique fut faite sur chaque pustule;
un traitement tonique fut prescrit, et un topique camphré
enveloppa tout le membre malade. Toutes ces précautions furent
inutiles; deux jours après, Martin n'existait plus.
Obs. VIII. La femme du pâtre de R... prit
l'affection charbonneuse en soignant des moulons atteints de
cette cruelle maladie.
Bientôt les pustules apparurent avec tous les symptômes de
l'infection. Je fis l'excision du bouton, en ayant soin
d'enlever même le cercle inflammatoire, et j'eus la douleur de
voir persister les accidents, que je m'empressai d'arrêter au
moyen de la cautérisation faite avec la pâte caustique de
Vienne, moins heureux que le docteur WENDROTH, qui, en enlevant
les tissus malades avec l'instrument tranchant, parvint à
triompher de la maladie
Obs. IX. François, de F..., âgé de trente ans,
ayant un cheval atteint d'une affection putride, crut devoir lui
faire prendre des bains prolongés. La chaleur de l'atmosphère
étant très-intense, il se débarrassa de ses vêtements et monta
son cheval pour le maintenir dans l'eau. Le lendemain, il sentit
des démangeaisons et de fortes chaleurs au scrotum, accident
auquel il ne fit l'abord pas attention. Le scrotum se tuméfia,
devint douloureux et se couvrit de plusieurs vésicules dont le
pourtour était d'un rouge livide. La fièvre était forte, la
bouche sèche, la soif intense et la tête douloureuse.
Quelques jours après, les symptômes s'aggravèrent, le scrotum,
très-gonflé, révélait la couleur ronge foncée; le ventre et les
jambes étaient oedématiés, tendus. Le malade était tourmenté
d'une somnolence continuelle. Six jours après l'invasion, je vis
ce malheureux dont je trouvai le scrotum gangrené. Il souffrait
d'intolérables maux de tête ; il avait des angoisses et
paraissait être dans un anéantissement complet.
Il me raconta que, ressentant de grandes souffrances dont il ne
prévoyait pas la véritable cause, il avait fait usage d'un
cataplasme, qui, par sa chaleur, avait sans doute provoqué les
accidents que je remarquais.
Ne pouvant méconnaître l'affection charbonneuse, je pressai le
malade de questions pour en découvrir la cause. Aussitôt que je
la connus, je pratiquai une saignée; je fis des scarifications
sur la peau du scrotum qui était sphacelée ; je saupoudrai les
incisions de poudre de camphre, que je recouvris de plumasseaux
trempés dans de l'eau chlorurée, et je prescrivis une potion
tonique.
Le surlendemain, la céphalalgie et les anxiétés avaient disparu;
les ardeurs de la peau étaient calmées; l'abdomen elles jambes
dégonflés; enfin, une ligne de démarcation commençait à
s'établir entre le mort et le vif. Je couvris le scrotum de
plumasseaux enduits d'onguent styrax et je continuai les lotions
chlorurées, Le ventre fut relâché avec l'eau de Sedlitz, et la
diète la plus rigoureuse fut prescrite.
Quelques jours après, le scrotum sphacelé tomba complètement et
laissa les deux testicules entièrement disséqués. La
suppuration, d'abord épaisse et louable, devint séreuse; les
testicules se couvrirent insensiblement de chairs grenues et
vermeilles ; chaque jour amenait une amélioration qui bientôt
donna lieu à la cautérisation complète, facilitée par un
traitement simple qui consistait à envelopper les organes
souffrants de compresses imbibées d'huile.
Ce malheureux guérit avec un scrotum formé aux dépens des
téguments de l'abdomen et des jambes qui se rapprochèrent
insensiblement pour former la cicatrice. Les testicules enfermés
dans cette enveloppe et y adhérant, étaient appliqués contre les
os pubis, ce qui ne l'empêcha pas de devenir père plusieurs fois
et de vaquer à ses occupations habituelles.
Je ferai remarquer que les sujets des quatre premières
observations ont été victimes de l'inoculation du fluide
septique par des insectes, le premier sur le bras, le second sur
la joué, le troisième sur la paupière, et le quatrième sur la
main. Trente et Friant, exerçant la profession de tanneur, ont
contracté la maladie en touchant des peaux d'animaux morts du
charbon et imprégnées de virus charbonneux. Dans les
observations 7, 8 et 9., les malades ont également puisé le
venin par la voie de l'absorption cutanée; Martin, en
dépouillant sa vache; la femme du pâtre, en soignant des moutons
malades; et François, de F...,.en montant un cheval affecté du
typhus contagieux.
Quelle est la nature de ce venin terrible-, dans lequel réside
le principe de tant de maux, se demande RICHERAND ? « Agit-il
comme corrupteur des parties sur lesquelles il se développe? »
Il serait possible, car il produit l'extinction des propriétés
vitales, l'abolition des mouvements organiques, la mort locale
dès parties qui en éprouvent l'action.
Mais c'est en vain que l'on a cherché son essence, elle nous,
est et nous sera longtemps inconnue. Les faits prouvent, qu'on
ne peut nier son existence, ni attribuer ses effets à une simple
inflammation. BOUILLAUD dit, avec les anciens, que « c'est un
principe contagieux, tantôt fixe et tantôt volatil, qui transmet
et perpétue une affection dont les caractères sont invariables.
» En résumé, il est impossible de dire quelle est la nature de
ce fluide dans l'état actuel de la science. Il serait donc
urgent d'écarter complètement de l'homme sain la cause palpable
qui donne lieu à ces maladies contagieuses, ou de chercher à les
neutraliser, lorsqu'elles se sont développées (3).
Les tanneurs,-les bouchers, les palefreniers et les bergers, si
exposés par leur profession à contracter la pustule maligne,
pourraient peut-être se préserver de ce fléau en se graissant
les mains avec du suif ou en les lavant avec de l'eau chlorurée,
lorsqu'ils dépècent des animaux morts d'affection contagieuse ou
qu'ils soignent des bestiaux malades.
Il devrait aussi être défendu de les dépouiller, car, malgré
toutes les précautions possibles,. il paraît que le virus est
tellement identifié avec les chairs et avec les peaux, que
pendant bien des années ces dépouilles conservent la faculté de
le transmettre sans qu'aucun moyen connu de l'art puisse le
neutraliser.
« Auditu mirabile, dit CAPURON, contagium pellibus pilisque sic
adhoeret ut nulla ferè arte deleri possit, atque plures per
annos nocendi facultatem servet.»
Le diagnostic de cette maladie est très-essentiel à connaître et
facile à saisir; le peu d'élévation delà tumeur, la chaleur
brûlante, la rougeur qui ne disparaît point par la pression du
doigt, les vésicules qui paraissent lorsque la tumeur est plus
avancée, la couleur noire de la peau qui se montre lorsque les
pustules sont ouvertes et qu'elles ont laissé échapper la
sérosité qu'elles contenaient, la faiblesse, les vertiges, les
anxiétés, sont autant de symptômes au moyen desquels on
distingue cette maladie. On ne peut pas la confondre avec le
phlegmon, dont la terminaison n'est pas essentiellement
gangreneuse, ni la douleur aussi brûlante. La rougeur de la
partie tuméfiée n'est pas aussi livide. La petitesse du pouls,
les vertiges, le hoquet et les syncopes ne l'accompagnent pas
non plus.
Elle diffère du furoncle en ce que le sommet de la pustule
maligne est terminé par un point noir qui ne se trouve dans le
furoncle que lorsqu'il tient de l'anthrax. Cette couleur noire
ne se montre alors, que vers la fin de la maladie. La tumeur est
beaucoup plus proéminente, sans être accompagnée de symptômes
généraux aussi graves que ceux de la pustule maligne.
Cette maladie a été d'autant plus dangereuse que les infortunés
qui en ont été atteints ont négligé de prendre les précautions
nécessaires à en arrêter les progrès, croyant que la tumeur qui
se développait avec rougeur et tumeur n'était rien autre qu'un
furoncle dont les suites ne présenteraient aucun danger; aussi
plusieurs des individus qui font le sujet de ces observations,
furent victimes de leur incurie, tandis qu'au début de la
maladie, ceux qui soupçonnèrent son intensité ou qui reconnurent
le danger auquel ils étaient exposés, purent y apporter des
remèdes efficaces. Ils guérirent en très-peu de temps, sans être
affligés de cicatrices désagréables.
Loin donc d'abandonner aux seules forces de la nature le soin de
rétablir l'harmonie, comme l'indiquent quelques médecins, entre
autres M. WAGNER, qui, après une longue expérience s'appuyant
sur des faits, conseilla de tout abandonner aux ressources de la
nature et de se réduire au simple rôle d'observateur, le
praticien doit, au contraire, employer tous les moyens de son
art pour conjurer le danger qui menace les jours du malade. Car
si, dans certains cas heureux, tels que ceux des observations 5
et 9, la terminaison s'est bornée à quelques escharres dont la
chute a été promptement suivie de la cicatrisation, il est
arrivé aussi dans l'observation 7 que la terminaison a été
funeste, parce que les secours avaient été trop tardifs.
Concentrer le plus promptement possible le poison par la
cautérisation, exciter l'action vitale des parties
circonvoisinés, déterminer une inflammation vraie qui borne la
gangrène et qui sépare l'escharre, tels sont les moyens qui me
paraissent les plus rationnels.
Un morceau de potasse caustique, ou la pâte caustique de Vienne,
appliquée à temps sur le centre de la tumeur, m'ont toujours
parfaitement réussi. Le cautère actuel que j'ai mis en usage
plusieurs fois avec succès, serait souvent préférable au cautère
potentiel, si les malades en étaient, moins intimidés. Il est
circonscrit dans son application, il sépare et détruit plus
promptement les substances morbifiques, et atteint le venin,
pour ainsi dire, dans ses retranchements.
Les caustiques occasionnent peut-être une douleur plus légère
que le cautère actuel, mais elle est d'une durée beaucoup plus
longue. Le fer rouge chauffé à blanc ne produit pas une douleur
aussi atroce qu'on pourrait le croire. « Il fait beaucoup plus
de peur que de mal, » dit DE LA VRILLIÈRE.
Friant et Trente, dont les pustules ont été cautérisées au fer
rouge, n'ont pas accusé une douleur plus vive que ceux chez
lesquels j'avais mis en usage les caustiques.
Quelquefois, reconnaissant la nécessité de dégorger les parties,
je faisais précéder la cautérisation par des scarifications,
dont je saupoudrai ensuite les incisions avec la poudre de
camphre.
Après la destruction des parties gangreneuses par le caustique,
je faisais faire des fomentations avec l'eau chlorurée, la
décoction d'écorce de saule et, quelquefois,-lorsque
l'inflammation était trop violente, je prescrivais l'application
de cataplasmes émollients. Je donnais à l'intérieur les toniques
et les antiseptiques, lorsque les malades étaient faibles, afin
de soutenir leurs forces et de déterminer la séparation de la
partie gangrenée.
Un grand nombre de traitements ont été préconisés et comptent
des succès.
Les anciens disaient qu'il ne fallait pas négliger les remèdes
intérieurs et que les sudorifiques, les diaphoniques et les
médicaments sulfureux devaient être administrés avec profusion.
CELSE recommande la cautérisation lorsque le mal n'a pas cédé
aux premiers remèdes. (Si medicamentum malo vincitur, utique ad
ustionem properandum est.) CHAUSSIER lui accorde beaucoup de
confiance, il lui trouve le double avantage déformer une
escharre dure et de réveiller en même temps la vie dans les
parties environnantes.
M. LISFRANC considère la cautérisation comme la méthode la plus
efficace; il rejette les caustiques et ne se sert que du fer
rougi au feu.
L'extirpation de la pustule, employée par quelques médecins, a
été essayée sur la femme qui fait le sujet de l'observation 8;
elle n'a pas arrêté les progrès du mal et m'a contraint à
recourir à la cautérisation qui a eu le plus heureux résultat.
THOMASSIN assure qu'il a suivi longtemps cette pratique, et
qu'il a fini par l'abandonner, après en avoir constaté les
mauvais effets.
Je suis loin de contester les succès obtenus par les saignées
générales et locales vantées par MM. BROUSSAIS, BAYLE et
RÉGNIER, qui ont cherché à prouver dans leurs mémoires que la
pustule maligne ne devient grave que parce que les
antiphlogistiques ne sont pas employés à temps, mais je dois à
la vérité de dire que le traitement antiphlogistique mis en
usage avec vigueur chez Friant (obs. 8), n'a point répondu à mon
attente et m'a forcé de recourir à la cautérisation qui a
neutralisé les effets du virus en très-peu de temps.
Quoique les médicaments propres à détruire la pustule maligne
varient considérablement, beaucoup cependant comptent des
succès. Mais il est essentiel que cette maladie grave et
promptement destructive soit reconnue à son début, afin qu'on
puisse lui opposer à temps les moyens curatifs reconnus les plus
efficaces. Il est donc du devoir du praticien d'attaquer le mal
aussitôt qu'il se développe, et surtout de négliger les remèdes
douteux, lors même qu'ils sont plus doux, pour employer ceux qui
anéantissent instantanément le germe de la maladie.
Mon but, en faisant connaître ces observations choisies parmi un
grand nombre d'autres, a été de prémunir mes confrères contre le
traitement expectant préconisé par quelques auteurs anciens, et
de démontrer l'efficacité de la cautérisation. J'ai voulu faire
comprendre que la pustule maligne est d'autant plus redoutable,
qu'à son début la victime qu'elle frappe se trouve dans la plus
complète sécurité; afin d'épargner à mes semblables le danger
d'une affection d'autant plus cruelle que, dans le cas même où
elle ne détermine pas la mort, elle laisse des cicatrices
indélébiles plus ou moins difformes ; enfin, mon plus grand
désir a été de prouver combien les ressources de l'art et de la
nature sont immenses dans le soulagement de l'humanité.
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