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				Les Mémoires du Duc de Saint Simon, contiennent ce 
				curieux passage. 
				«  1718 - Audacieuse conduite du duc de Lorraine, 
				qui ne voit point le roi. 
				Il ne laissa pas d'être bien singulièrement étrange que le 
				duc de Lorraine, sous le ridicule incognito de comte de Blamont, 
				soit venu à Paris, y soit demeuré près de deux mois, logé et 
				défrayé de tout au Palais-Royal, y ait paru aux spectacles, au 
				Cours, dans tous les lieux publics, ait été voir Versailles et 
				Marly, ait visité la reine d'Angleterre à Saint-Germain, ait 
				paru publiquement partout, ait reçu plusieurs fêtes, et que le 
				roi étant dans les Tuileries pendant ces deux mois, ce beau 
				comte de Blamont ne l'ait pas vu une seule fois, ni pas un 
				prince, ni une princesse du sang; que cette audace ait été 
				soufferte, dont l'insolence s'est fait d'autant plus remarquer, 
				que Mme la duchesse de Lorraine a rempli et reçu tous les 
				devoirs de son rang, parce qu'il était tout certain, comme 
				petite-fille de France; il ne le fut pas moins qu'il n'y ait pas 
				été seulement question de son hommage de Bar au roi, qui de son 
				règne ne l'avait pas encore reçu. Mais il sembla être arrêté que 
				tout ce voyage serait uniquement consacré à la honte et au grand 
				dommage du roi et du royaume. » 
				 
				Cependant, le manuscrit porte une note : «  Le duc 
				de Saint-Simon se trompe. Le duc de Lorraine, le lendemain de 
				son arrivée, 19 février, vit le roi. Ce fait est peu important ; 
				mais il y a de l'affectation à dire le contraire. » Cette 
				note marginale est probablement de M. Le Dran, qui était 
				principal commis des affaires étrangères en 1761, lorsque les 
				manuscrits de Saint-Simon y furent déposés. 
				 
				Il apparait que l'aversion du duc de Saint-Simon pour le duc de 
				Lorraine Léopold, l'a conduit à écrire ce paragraphe inexact, 
				et qui, nous allons le voir, n'est pas «  peu important ». 
				 
				Car on retrouve un tel fait dans «  L'Introduction à la 
				description de la Lorraine et du Barrois » de Nicolas 
				Durival (1774), concernant Francois III en 1730 : 
				«  Gardant l'incognito sous le nom de Comte de 
				Blâmont, François partit de Lunéville le 26 janvier & coucha 
				à S. Mihiel : le 29 il arriya à Paris. Le Duc d'Orléans vint au 
				devant jusqu'au Bourget & le conduisit au Palais-royal, où le 
				Comte de Blâmont logea avec les Seigneurs de fa fuite. Le 30 le 
				duc d'Orléans le conduisit à Versailles, & il f ut annoncé au 
				Roi par le cardinal de Fleuty, ensuite à la Reine & au Dauphin. 
				Il revint le même jour à Paris, le lendemain il vit l'hôtel des 
				Invalides. Le 1er février se fit à Versailles la cérémonie des 
				foys & hommages. Louis XV & le comte de Blâmont s'entretinrent 
				ensuite de choses indifférentes. Le comte de Blâmont resta trois 
				quarts d'heures chez la Reine. Il eut des conversations 
				fréquentes avec le Cardinal-ministre, le Chancelier & le Garde 
				des sceaux. [...] » 
				 
				Dom Calmet donne une description plus détaillée sur le 
				déroulement de la cérémonie dans l'«  Histoire de Lorraine » 
				: 
				«  Le Duc François revint à Lunéville le 6. & le 
				27. [janvier 1730] il en partit pour aller à Paris rendre ses 
				hommages au Roi Louis XV. pour le Barrois. Il arriva à Paris le 
				29. & se rendit le soir au Palais Royal dans les Carosses du Duc 
				d'Orléans qui etoit allé au devant de lui jusqu'à Claye. II 
				demeura incognito jusqu'au premier Février, sous le nom de Comte 
				de Blamont. 
				Il partit de Paris le premier de Février & arriva à Versailles à 
				trois heures après midi, le même jour il prêta ses fois & 
				hommages, en la manière suivante : le Roi étoit dans sa Chambre 
				assis dans un fauteuil & couvert. Le Duc de Lorraine y étant 
				introduit fit trois révérences en s'approchant de S. M. qui ne 
				se leva & ne se découvrit point. Le Duc de Lorraine ayant quitté 
				son épée, son chapeau & fes gants, qui furent reçus par le 
				premier Gentilhomme de la Chambre, il se mit à genoux sur un 
				quarreau qui étoit au pied du Roi, & Sa Majesté lui tint les 
				mains jointes entre les siennes, pendant que le Chancelier de 
				France lut le serment à haute voix. M. Chauvclin, Garde des 
				Sceaux, Ministre & Secrétaire d'Etat & le Comte de Maurepas 
				étant presens : & le Duc promit de l'observer, ensuite le Roi se 
				leva, se découvrit, puis se couvrit aussi-tôt; & fit couvrir le 
				Duc de Lorraine. Le Duc d'Orléans, le Duc de Bourbon, le Comte 
				de Charolois, le Comte de Clermont, le Prince de Conti, le 
				Prince de Dombes, le Comte d'Eu & le Comte de Toulouse qui 
				étoient auprès du Roi, se couvrirent aussi. Un moment après le 
				Duc de Lorraine s'étant retiré, S. M. rentra dans son cabinet. 
				Les Ducs & Pairs n'assistèrent pas à cette cérémonie, pour 
				n'être pas obligés d'y demeurer debout & découverts, quand le 
				Roi, le Duc de Lorraine & les Princes seroient couverts après 
				l'hommage prêté; le Duc de Mortemart, qui ne fait les fonctions 
				de premier Gentilhomme de la Chambre, qu'en la place de son 
				fils, qui n'est pas encore Duc, il fut réglé que ce jour-là le 
				jeune de Mortemart feroit les fonctions de sa charge & recevroit 
				l'épée, le chapeau & les gants du Duc pendant l'hommage. » 
				 
				On trouve aussi dans «  Vie de la reine de France: Marie 
				Lecksinska, princesse de Polongne » de l'abbé Proyart (1794) 
				ce curieux passage : 
				«  C'étoit encore une vraie satisfaction pour 
				elle, quand elle avoir pu épargner à quelqu'un la plus légère 
				indiscrétion de la langue; & sa présence d'esprit servoit en 
				cela merveilleusement son coeur. Le Duc de Lorraine, obligé à 
				faire hommage au Roi de France du Duché de Bar, vint a 
				Versailles pour cette cérémonie, gardant le plus profond 
				incognito, sous le nom de Comte de Blamont. Un jour qu'il se 
				trouvoit au dîner de la Reine, il entreprit un récit qui le 
				conduisoit, sans qu'il y songeât, à trahir son secret, en 
				nommant la ville de Nancy sa Capitale. Il avoit déjà dit: «  
				Quand je sus arrivé à...» lorsque la réflexion lui vint & 
				l'obligea de s'arrêter. La Reine, ne lui laissant que le temps 
				de tousser, ajouta : «  a Blamont, sans doute » ; «  Oui, Madame,» 
				reprit le Prince, en continuant son récit. » 
				 
				Il apparaît donc très clairement que l'utilisation du pseudonyme 
				«  Comte de Blamont » par les ducs de Lorraine, n'est pas issu 
				comme le dit Saint-Simon d'une «  audacieuse conduite », mais est 
				une manière de couper court à des difficultés de cérémonial avec 
				l'assentiment de tous. La Gazette de Paris de 1719 s'efforce de 
				respecter cet anonymat, même si on perçoit bien la malignité des 
				deux extraits ci-dessous, où par un curieux hasard, chaque 
				mouvement de la Duchesse de Lorraine s'accompagne simultanément 
				d'un mouvement du Comte de Blâmont. 
				«  Le 18 de ce mois [février 1718], Madame la 
				Duchesse de Lorraine arriva en cette Ville. Madame accompagnée 
				de Monsieur le Duc d'Orleans, de Madame la Duchesse d'Orléans, 
				du Duc de Chartres, & de Mademoiselle, alla jusqu'auprès de 
				Bondy,où elle trouva Son Altesse Royale, & elle l'amena dans son 
				carosse. 
				Le mesme jour, le Comte de Blamont arriva icy, & eut le 
				lendemain matin l'honneur de saluer Sa Majesté, à laquelle il 
				fut présenté, par Monsieur le Duc d'Orléans. » 
				«  De Paris, le 16 Avril 1718. 
				Le 8 de ce mois, Madame la Duchesse de Lorraine qui a receu 
				pendant le sejour qu'elle a fait dans cette Cour, tous les 
				honneurs deus à son rang de petite fille de France, partit d'icy, 
				pour retourner en Lorraine. Son Altesse Royale coucha ce jour là 
				à Villiers Cotretz, où elle fut traitée, par les Officiers de 
				Monsieur le Duc d'Orléans, Elle devoit arriver le 9 à Reims, le 
				10 à Châlons, & se rendre le 14, à Luneville. 
				Le mesme jour, le Comte de Blamont qui la veille ayoit pris 
				congé de Sa Majesté, partit de cette Ville. » 
				 
				La note de Christian Pfister 
				sur François III, 
				dans l'article «  Description de 
				Lunéville, de Nancy et de la cour de lorraine en 1731 » 
				(Bulletin de la Société philomatique vosgienne - 1910) 
				est donc des plus pertinente :  
				«  on eut, en 1730, à Paris, beaucoup d'égards 
				pour le duc de Lorraine, qui était fiancé à Marie-Thérèse. Il 
				logea au Palais royal chez le duc d'Orléans, son cousin-germain, 
				et on lui permit pendant son voyage de garder l'incognito, comme 
				il avait été fait, en 1699, pour Léopold. » 
				 
				Car si égards ont été pris pour Léopold en 1718, il semble qu'à 
				l'inverse, il y ait eu à son égard volonté d'humiliation en 1699 ; Auguste Digot écrit dans son «  Histoire de Lorraine » : 
				«  ...le patriotisme des Lorrains. Ce dernier 
				sentiment fut soumis, vers la fin de l'année 1699, à une épreuve 
				bien pénible. Comme souverain du Barrois, Léopold devait faire 
				hommage au roi pour la partie du duché qui s'étend à l'ouest de 
				la Meuse, et différentes circonstances n'avaient pas d'abord 
				permis au duc de remplir cette obligation. La cérémonie eut lieu 
				seulement le 25 novembre 1699, et quoique Léopold fût devenu, 
				par son mariage, neveu de Louis XIV, le monarque voulut que l'on 
				n'omît aucun des détails humiliants qui accompagnaient la 
				prestation de l'hommage. Probablement pour oublier la dépendance 
				dans laquelle il se trouvait, le duc s'avisa, comme roi de 
				Jérusalem in partibus Infidelium, de porter une couronne 
				fermée et de prendre le titre d'altesse royale, que l'empire et 
				la France finirent par lui reconnaître ». 
				Et il est vrai qu'à cette occasion, Louis XIV fit frapper une 
				médaille où  
				«  On voit le Roi couvert & assis dans un 
				fauteuil. II tient entre ses mains les mains jointes du Duc de 
				Lorraine qui est à genoux nue tête & sans épée. Leg. 
				Ex.HOMAGIUM-LIGIUM LEOPOLDI LOTHARINGIAE DUCIS OB DUCATUM 
				BARENSEM. Hommage-lige de Leopold Duc de Lorraine pour le Duché 
				de Bar 1699 » 
				(«  Abrégé 
				chronologique... par les médailles » dans «  Histoire 
				littéraire du règne de Louis XIV » - Claude-François Lambert 
				- 1751). 
				Une telle situation 
				s'explique par le long conflit qui opposa la Lorraine et la 
				France concernant le duché de Bar, notamment au XVIIème siècle : 
				«  En 1431, à la mort de Charles II, les deux 
				duchés de Bar et de Lorraine furent réunis. Le Barrois royal 
				continua d'être soumis à la suzeraineté des rois de France: 
				Louis XI en fit la conquête et le garda jusqu'à sa mort. En 
				1571, Henri III, malgré l'opposition du parlement, accorda au 
				duc de Lorraine des droits de régale pour le duché de Bar, à la 
				réserve du fief et du ressort. En 1633, Charles IV, duc de 
				Lorraine, fut ajourné au parlement de Paris, pour voir réunir ce 
				duché à la couronne, faute d'hommage rendu. Il ne comparut pas, 
				et le 30 juillet le parlement donna commission au procureur 
				général pour faire saisir le duché, jusqu'à ce que le duc eût 
				satisfait à ses devoirs de vassal. Le roi fit encore donner une 
				commission du grand sceau, non-seulement pour exécuter l'arrêt, 
				mais encore pour réunir à sa couronne les droits royaux sur le 
				Barrois; ce qui fut exécuté. Quelque temps après, le duc de 
				Lorraine fit avec le roi un traité, qui mit fin à cette 
				procédure. Enfin, après diverses révolutions, le 
				soixante-troisième article de la paix des Pyrénées, en 1659, 
				réunit le duché de Bar à la couronne de France, et Charles IV, 
				par un traité particulier qu'il fit avec Louis XIV, le 6 février 
				1662, céda à ce monarque tous ses États, après sa mort. La 
				France les conserva jusqu'au traité de Ryswick en 1697. D'après 
				les articles de ce traité, la maison de Lorraine rentra en 
				possession des duchés de Bar et de Lorraine, sous la réserve de 
				l'hommage. En novembre 1699, Leopold vint à Versailles prêter 
				hommage pour le duché de Bar. Ce pays a été définitivement réuni 
				à la France, après la mort de Stanislas Leckzinski. Le duché de 
				Bar était l'apanage des aînés de la maison de Lorraine. » 
				(article sur les Ducs de Bar dans «  L'Univers: histoire et 
				description de tous les peuple » - Ph. Le Bas - 1840). 
				 
				En comparant les modalités d'hommage de 
				1699 et 1730, et en constatant la complicité de la Reine, il 
				apparait que le 
				pseudonyme «  comte de Blâmont » utilisé en 1718 et 1730 par les 
				ducs de Lorraine, relève d'une volonté affirmée d'apaisement des 
				relations franco-lorraine concernant le duché de Bar. 
				Sans cet 
				égard consenti par le roi de France (néanmoins attaché à 
				l'hommage pour le duché de Bar) pour diminuer l'aspect humiliant 
				du cérémonial par un incognito diplomatique de pure forme, sans 
				doute les tractations des Préliminaires de Vienne (1735) 
				auraient-elle été plus ardues, retardant, voire rendant 
				impossible, la prise de possession par Stanislas sur les duchés 
				de Bar et de Lorraine. 
				Il semble d'ailleurs que le pseudonyme «  comte de Blâmont » dans 
				les situations difficiles, soit devenu un usage du temps 
				 
				- Nicolas Durival ajoute pour 1731, une information qui montre 
				que le duc François III fait usage du même pseudonyme lorsqu'il quitte 
				discrètement la Lorraine après sa nomination 
				de Vice-roi de Hongrie par l'Empereur : 
				«  Le 15 du même mois d'avril ce Prince partit sous l'incognito 
				de comte de Blâmont, & ne revit plus ses États ; laissant à 
				Madame la Régente une administration qui devint très-laborieuse. 
				Il vit successivement le Luxembourg, la Flandre, la Hollande, 
				l'Angleterre, le Hanovre, la Prusse ». 
				Il aurait ainsi utilisé ce nom durant tous ses voyages, 
				puisque les Memoirs of the life and administration of Sir 
				Robert Walpole (ed. 1798) citent une lettre de Delafaye au 
				comte de Waldegrave (Hampton Court, 15 octobre 1731) : 
				«  The duke of Lorrain is come at last, under the 
				travelling name of count Blamont. ». 
				Ce que confirme Rapin Thoyras dans son Histoire 
				d'Angleterre (ed. 1749) : 
				«  Le Duc de Lorraine arriva dans la Tamise, le 23 
				[octobre 1731], à bord d'un Yacht des Etats-Généraux sur lequel 
				il passa la nuit. [...] ll devoit aussi garder l'incognito sous 
				le nom de Comte de Blamont. Il prit congé du Roi, de la Reine & 
				de Famille Roïale, au Palais de Saint-James, le 18 décembre. ». 
				On peut s'interroger cependant sur l'intérêt d'un tel 
				incognito, puisque la Gazette de Paris en 1731 avait très 
				clairement dévoilé l'information, comme on le voit dans ces deux 
				extraits : 
				«  De Bruxelles, le 20 Avril 1731. 
				L'Archiduchesse Gouvernante ayant eu avis que le Duc de Lorraine 
				devoir venir passer quelques jours icy avec le Prince Charles 
				son frere pour se rendre ensuite en Hollande, & à ce qu'on croit 
				en Angleterre, cette Princesse vient de donner ses ordres pour 
				luy faire meubler un Hôtel. Ce Prince gardera icy l'incognito 
				sous le nom de Comte de Blamont. » 
				«  De Londres, le 15 Octobre 1731. 
				Le Yacht du Roy la Caroline, est parti pour aller en Hollande 
				prendre le Duc de Lorraine & le conduire en Angleterre ou il 
				gardera l'incognito sous le nom du Comte de Blamont. Ce Prince 
				logera chez le Comte de Kinski, Envoyé Extraordinaire de 
				l'Empereur qui luy a fait meubler des appartemens d'une 
				magnificence extraordinaire. Sa suite sera de trente-huit 
				personnes. »  
				 
				- On relève aussi ce curieux passage d'une biographie de 
				Fréderic le Grand de Prusse (Frederick the Great and his 
				times vol II,1842, Thomas Campbell), concernant un voyage du 
				déchu roi Stanislas Leszczynski à Berlin fin 1735, sans doute 
				pour la négociation des Préliminaires de Vienne : 
				«  Stanislaus soon afterwards went to Berlin, and 
				to none of his illustrious visiters did the Prussian monarch 
				manifest such cordial attachment as to this unfortunate prince, 
				whom, though travelling incognito as Count Blamont, he treated 
				with royal distinction. He made him a present of a carriage and 
				a team of very fine horses. Stanislaus was an inveterate smoker, 
				and passed every evening of his stay in Berlin with Frederick 
				William's smoking party, where the two kings puffed one against 
				the other, their usual stint being from thirty to thirty-two 
				pipes a-piece. [...] ». 
				1718, 1730, 1731 et 1735: Que de Comtes de 
				Blâmont !   
					
						| 
						 Rédaction : 
						Thierry Meurant  | 
					 
				 
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