La voix du
combattant - 10 septembre 1922
Les « Morts pour la France
»
Et tous les autres, avant la loi du 28 janvier
1922, semblaient être morts... pour rien
De l'excellente revue Les Invalides organe. du
Comité Permanent Interallié pour l'étude des
questions concernant les invalides de guerre et
du travail dont nous sommés heureux de
reproduire de ces bonnes parties parues sous la
signature de notre camarade Chenot, dont La Voix
du Combattant du 16 juillet, a déjà publié un
article intitulé « Le Droit des Vivants sur les
restes sacrés des morts ».
La loi française du 28 février 1922, dont
ci-après le texte, a déterminé pour quelles
personnes les actes de décès devraient porter la
mention « Mort pour la France ».
LOI DU 28 FEVRIER 1822
Article premier. - L'acte de décès d'un
militaire des armées de terre ou de. mer tué à
l'ennemi, mort de blessures ou de maladie
contractées en service commandé, ou encore des
suites d'accidents survenus en service ou à
l'occasion du service, en temps de guerre, de
tout médecin, ministre du culte, infirmier,
infirmière des hôpitaux militaires et formations
sanitaires, ainsi que de toute personne ayant
succombé à des maladies- contractées au cours de
soins donnés aux malades ou blessés de l'armée,
de tout civil ayant succombé à la suite d'actes
de violences commis par l'ennemi devra, sur
l'avis favorable de l'autorité militaire
contenir la mention « Mort pour la France ».
Art. 2. - En ce qui concerne les militaires où
civils tués ou morts dans les circonstances
prévues par l'article 1er, depuis le 2 août 1914
et dont l'acte de décès ne contiendrait pas, par
erreur, omission ou toute autre cause, la
susdite mention, l'officier de l'état civil
devra, sur l'avis favorable de l'autorité
militaire inscrire en marge des actes de décès
ces mots « Mort pour la France ».
Il en sera de même pour les actes qui, par
erreur ou omission ne contiendraient pas cette
mention.
Art. 3. - Les dispositions ci-dessus
s'appliqueront à tout otage, à tout prisonnier
de guerre, militaire ou civil, mort en pays
ennemi ou neutre, des suites de ses blessures, de mauvais-traitements, de maladies contractées
où aggravées en captivité, d'un accident du
travail ou fusillé par l'ennemi.
Art. 4. - La présente loi est applicable aux
actes de décès des indigènes de l'Algérie, des
colonies ou pays de protectorat et des engagés
au titre étranger, tués ou morts dans les mêmes
circonstances.
La compréhension du terme « Mutilé » a été
considérablement élargie par l'interprétation
tant de l'administration que de la jurisprudence
des tribunaux de pensions.
Ici, c'est la compréhension du terme « Mort pour
là France »qui se- trouve- élargie. et cela, par
l'effet d'une loi dont la genèse que nous allons
rapidement étudier, démontre toute l'importance.
C'est la loi du 2 juillet 1915 qui a, la
première, réglé dans quelles conditions la
mention « Mort pour la France » pouvait être
portée sur les actes de décès.
L'article premier de cette loi disposait en ces
termes :
« L'acte de décès d'un militaire des armées de
terre ou de mer tué à l'ennemi ou mort des
suites de ses blessures ou d'une maladie
contractée sur le champ de bataille, de tout
médecin, ministre du culte, infirmier,
infirmière des hôpitaux militaires et formations
sanitaires, ainsi que de toute personne ayant
succombé à des maladies contractées au cours des
soins donnés aux malades ou blessés de l'armée ;
de tout civil tué par l'ennemi, soit comme
otage, soit dans l'exercice de fonctions
publiques électives, administratives ou
judiciaires ou à leur occasion, devra, sur avis
de l'autorité militaire, contenir la mention «
Mort pour la France ».
C'est seulement à la fin de la guerre, dans le
mois qui a précédé la signature de là paix,
qu'une première proposition de loi fut présentée
au Sénat français par M. Simonet, en vue
d'élargir le domaine d'application de la loi de
1915 qui était loin de comprendre - nous allons
le voir - tous ceux dont on pouvait dire en
vérité qu'ils étaient « Morts pour la France ».
A cette époque était en discussion au Sénat le
projet de loi - depuis devenu la
loi du 25 octobre 1919 - relatif à la
commémoration des morts pour la France au cours
de la grande guerre.
En vertu de cette loi, seront inscrits sur des
registres déposés au Panthéon « les noms des
combattants des armées de terre et de mer ayant
servi sous les plis du drapeau français et morts
pour la France au cours de la guerre de
1914-1919 et, en outre, les noms des non
combattants qui auront succombé à la suite
d'actes de violences commis par l'ennemi, soit
dans l'exercice de fonctions publiques, soit
dans l'accomplissement- de leur devoir de
citoyens.
Cette loi, on le voit, n'apporte pas à la
compréhension des mots « Morts pour la France »
la restriction apportée par la loi de 1915, pour
laquelle il n'y a de morts pour la France que
ceux qui-ont succombé aux suites de blessures ou
de maladies contractées sur les champs de
bataille.
« En conséquence, écrivait M. le sénateur
Simonet dans l'exposé des motifs de sa
proposition de loi, ni le militaire mort de
maladie contractée au service, mais en dehors
du- champ de bataille, ni celui qui est mort en
captivité, ou en cours d'évasion, ni celui qui,
quittant momentanément le front, par exemple,
pour faire le court apprentissage des armes
spéciales, particulièrement meurtrières, comme
l'aviation, les tanks, l'artillerie d'assaut,
etc. etc..., a succombé en service commandé, ne
peuvent, en application de la loi du 2 juillet
1915, recevoir le suprême témoignage de
reconnaissance que constitue la mention, dans
leur acte de décès ou en marge de cet acte,
qu'ils sont « Mort pour la France ».
« En sorte que, actuellement, deux lois dont le
but est le même, et consiste à honorer et à
commémorer tous nos héros, se trouvent ne point
avoir le même champ d'application : celui de la
loi du 2 Juillet 1915 est plus restreint que
celui de la nouvelle loi, et la même expression
: « Mort pour la France » n'a point- le même
sens, suivant qu'il s'agit de l'inscrire, soit
sur les registres déposés au Panthéon, sur le
Livrr d'Or de chaque commune de France, sur le
monument national qui doit être élevé à Paris,
sur les plaques de marbre ou de bronze, les
stèles, monuments et édifices, soit sur. les
actes de décès de ces mêmes glorieuses victimes
de la grande guerre».
Quelques députés, de leur côté, se placent à un
point de vue moins général que M. le sénateur
Simonet et envisagent la situation des
prisonniers morts en captivité. Ces prisonniers,
ces otages ne sont-ils donc pas morts pour là
France ? Oui, assurément, et une proposition de
loi déposée le 12 février 1920 par les députés
Léon Pasqual, Adolphe Chéron, Maurice Marchais,
Henri Coûtant et le colonel Girod, le dit, dans
son exposé dés motifs, en termes éloquents :
« Ils sont bien morts pour la France, ces
soldats, ces officiers tombés blessés sur le
champ de bataille, emmenés en Allemagne, décédés
dans un lazaret quelconque ; abandonnés de tous,
sans même entendre, dans leur agonie, la parole
aimée qui réconforte.
« Ils sont bien morts pour la France, tous ces
malheureux qui ont contracté la tuberculose dans
les camps d'Allemagne, soumis malgré leur état
de santé, aux corvées les plus pénibles, aux
mauvais traitements, à toutes les intempéries.
« Ils sont pourtant bien morts pour la France,
ces prisonniers civils, jeunes gens de dix-sept
ans, étudiants, commerçants, industriels,
professeurs, surpris en Allemagne après la
déclaration de guerre, ces otages admirables de
toutes conditions sociales, ces ouvriers
(arrachés aux régions envahies en plein travail
et internés dans des camps d Allemagne où ils
sont tombés du typhus exanthématique ; morts
pour la France, ces évadés qui furent frappés
d'un coup de feu à l'heure même où ils tentaient
de venir remettre leur énergie indomptable au
service de la Patrie ; morts pour la France, ces
prisonniers appartenant tous à des positions
libérales qui partirent en représailles en
Russie occupée ou sur le front français et n'en
revinrent jamais ; morts enfin pour la France,
ces prisonniers transportés mourants en Suisse
et qui ne purent, malgré la liberté presque
reconquise, vaincre le mal contracté en
Allemagne.
« Leur mort à tous fut plus atroce que celle de
leurs camarades tombés au champ d'honneur dans
l'apothéose du combat ou morts de leurs
blessures entourés de soins et d'affection. Au
moment où ils s'éteignaient loin de la Patrie
ils n'eurent même pas la consolation de penser
qu'après la victoire, des êtres chers
viendraient s'incliner sur leurs tombes. La
terre allemande les garde pour toujours »
Les deux propositions ci-dessus ont donné
naissance à la loi du 28 février 1922. Dans son
article premier, cette loi parle des militaires
et des civils tués à l'ennemi ou morts de suites
de blessures ou maladies reçues ou contractées
au service de la France, fut-ce en en dehors des
champs de bataille.
Dans son article 3, la loi vise « tout otage,
tout prisonnier de guerre, militaire ou civil,
mort en pays ennemi ou neutre, des suites de ses
blessures, de mauvais traitements, de maladies
contractées ou aggravées en captivité, d'un
accident du travail ou fusillé par l'ennemi ».
La loi française du 28 février 1922 s'harmonise
avec les dispositions législatives et
réglementaires ainsi qu'avec les décisions de
jurisprudence par application desquelles le
nombre des bénéficiaires des mesures prises en
faveur de ceux qui ont été les victimes de la
guerre, a été considérablement accru.
Aux morts de la guerre, aux invalides, aux
veuves de guerre, aux pupilles de la nation. les
nations qui ont souffert de la guerre, ne
doivent pas marchander les réparations ni les
honneurs. A ce point de vue la loi du 28 février
1922 mérite de retenir l'attention de tous les
pays qui ont été atteints par la grande guerre.
A. CHENOT,
Avocat à la Cour d'Appel de Paris,
Chef du Service, juridique de l'Union Nationale
des Mutilés et Réformés. |