La photographie après l'armistice
d'un « camp chinois » à Gogney soulève bien des
interrogations, auxquelles les documents consultés
n'apportent aucune réponse.
Car, comme Blâmont, Gogney est situé durant toute la
guerre en zone d'occupation allemande, et toute
installation d'éléments militaires ou civils français,
britanniques ou américains sur cette zone, ne peut être
intervenue qu'après le 17
novembre 1918. |
Vue prise au lendemain de l'armistice - Camp chinois |
Autant l'annoncer immédiatement au lecteur
: nous n'avons pas été en mesure de répondre à la question, et
l'énigme du « camp chinois » reste entière.
Mais voici les pistes suivies : |
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En effet, en 1916, la France est impliquée dans une guerre
qu'elle sait encore longue, et cherche de nouvelles
forces, tant pour renforcer le front que pour faire tourner les
usines d'armements, ou même renforcer la production agricole de
l'arrière :
- Elle se tourne donc vers son empire colonial, et en Asie vers
l'Union Indochinoise constituée de différentes conquêtes : la
Cochinchine (1859), le Cambodge (1863), l'Annam et le Tonkin
(1883), et le Laos (1893). On verra ainsi arriver en
France en 1916 des combattants indochinois et des travailleurs
(travailleurs coloniaux).
- Ces conquêtes avaient aussi entrainé la guerre franco-chinoise
de 1881 à 1885, mais après la révolution chinoise de 1911, la
toute jeune République Chinoise passe des accords en 1916 pour
l'envoi de contingents de travailleurs chinois vers la France
(travailleurs volontaires sous contrat).
Pour le camp de Gogney, s'agit-il de ces travailleurs chinois ?
Ou s'agit-il de travailleurs indochinois, encadrés ou non par
des tirailleurs ?
Nous ne disposons d'aucune information sur l'hypothèse, très peu
probable, de travailleurs indochinois (48 991 travailleurs) sur
le Blâmontois, principalement affectés aux usines d'armement.
Au début de l'année 1916, divers bataillons de tirailleurs
Indochinois vont rejoindre la France (pour un total de 43430
tirailleurs). A l'aide des Journaux de marches et opérations,
nous avons recherché la présence éventuelle de ces unités
militaires sur le Blâmontois, notamment après l'armistice.
On peut ainsi signaler la présence
- du 7ème bataillon à Lunéville le 10 novembre 1918,
- du 11ème bataillon du 20 août au 15 octobre
1917 sur les positions Herbéviller, Saint-Martin, Bois Banal.
- du 21ème bataillon sur Ancerviller en septembre
1918.
Subsiste donc uniquement l'hypothèse de
travailleurs chinois...
- 1er bataillon de
tirailleurs indochinois
Ce bataillon intervient dans les Balkans,
de son débarquement à Salonique le 10 mai 1916 et son
réembarquement au même port le 31 janvier 1919.
- 2ème bataillon de
tirailleurs indochinois
Arrivé à Salonique le 17 mai 1916, le
bataillon est encore dans la Balkans en mai 1919.
Arrivé à Marseille le 20 juin
1916, le bataillon y rembarque le 11 février 1919, sans jamais
avoir été affecté en Lorraine.
En Rethel lors de
l'armistice, n'a jamais mis pied en Lorraine jusqu'à sa
dissolution le 26 janvier 1919.
Débarqué à Marseille le 5
octobre 1916, le bataillon rejoint le front des Vosges le 15
juin 1917. Après une activité principalement dans le secteur de
La Chapelotte, Moyenmoutier, Pierre-Percée, le bataillon gagne
la Marne en janvier 1918. Le 26 août il est de retour à
Remiremont.. A Baccarat le 13 septembre, le bataillon se déploie
dans le secteur Vacqueville-Badonviller. Le 10 novembre, il
reçoit l'ordre de rejoindre Lunéville en prévision d'une attaque
possible dans la forêt de Parroy en cas de refus de l'armistice.
Le 12, il retourne à Fontenoy la Joute, puis Nompatelize le 17,
et gagne l'Alsace par le vallée de le Bruche et Rothau. Après un
retour par les Vosges en janvier 1919, le bataillon repart vers
Marseille le 17 février, où il s'embarque le 15 mars.
Le 7 juin 1917, le 11eme
bataillon (9 officiers, 44 soldats européens et 1309 indigènes,
partis de Haïphong le 21 avril 1916) arrive à Baccarat, et est
mis sous les ordres du Chef du service télégraphique de 1re
ligne de la VIIIème armée, où 800
tirailleurs exécutent le creusage des tranchées et la pose de
fils télégraphique et téléphonique souterrains. Les
cantonnements seront Brouville, Bertichamps, Vacqueville,
Reherrey, jusqu'au 19 août, où le bataillon reçoit ses
affectations : Bois-Banal, Saint-Martin (Notre Dame de Lorette),
Herbéviller, Ancerviller. Après divers mouvements entre ces différentes
positions, le bataillon est regroupé à Baccarat et part le 15
octobre 1917 pour effectuer des travaux à Affracourt, Toul,
Lunéville Portieux...
Ce bataillon semble n'avoir
jamais opéré dans le Blâmontois.
Note : le JMO du 12ème bataillon contient de
curieux « certificats de bien-vivre » délivrés par les maires
des communes pour attester du bon comportement des tirailleurs :
Compertrix (15 octobre-13 novembre 1916), Souilly (mai 1919),
Autrécourt (su 22 septembre 1918 au 6 mai 1919), Fleury sur Ain
(6 avril 1919), Nicey (30 avril au 1er octobre 1918), Veuhaulles
(11 août au 29 septembre 1918), Daucourt (19 juin 1917 au 13
juillet 1917), Saponay (25 avril au 18 juin 1917), Vaires sur
marne (6 novembre 1916 au 24 avril 1917), Autrécourt (10 juillet
au 22 septembre 1916).
Le bataillon serra affecté
dans le pas de Calais et dans la Somme en septembre 1916 pour
divers travaux.
Il n'apparaît pas jusqu'à sa dissolution le 5 juin 1919, que le
bataillon ait mis pied en Lorraine.
Note : Le JMO du 13ème bataillon, nous raconte
l'effarant voyage vers la France de son effectif de 1023 hommes,
embarqué à Haïphong le 29 mars 1916. Le 30 mars, un tirailleur
décède à bord du Choléra. Le 3 avril, le bataillon débarque à
Saïgon : deux tirailleurs décèdent le 5, l'un du tétanos,
l'autre du choléra, et le 15, nouveau décès par tétanos.
Le 19 avril, après 15 jours d'isolation, « l'état sanitaire est
devenu passable », et le bataillon s'embarque en laissant à
l'hôpital de Saïgon « 1 européen, 33 indigènes ». Le 20 avril,
embarquent sur le même navire 1268 ouvriers indigènes, et le JMO
contient cet extrait du rapport du Capitaine Berger du 2 juin
1916 :
« Dès les 1er jours du voyage, il a été manifeste que l'effectif
était beaucoup trop considérable. Les tirailleurs logés dans les
faux ponts 1 et 2 à l'avant étaient assez bien, mais les faux
ponts 3 et 4 et le spardeck arrière occupés par les ouvriers
sont beaucoup moins habitables. La température à proximité de la
chambre des machines est de 40° au moins ; le spardeck est
obscur, ce qui rend la surveillance très difficile pour ne pas
dire impossible. Enfin, le pont arrière déjà exigu, est encombré
d'une part par le bétail sur pied, de l'autres par les cuisines
et les latrines ce qui empêche les ouvriers de monter sur le
faux pont pour respirer ; 200 hommes environ sur 1200 pouvaient
trouver place successivement sur la dunette arrière et sur les
panneaux.
Cuisines - Sont placées sur le pont arrière à bâbord ; elles
occupent la plus grande partie de l'espace libre et sont malgré
cela, beaucoup trop petites. La distribution des aliments est
longue et difficile, ne permettent pas de faire cuire en une
seule fois la quantité de riz nécessaire, ce riz est le plus
souvent mal cuit, tantôt brûlé tantôt insuffisamment cuit. De
plus, les marmites en fonte sont fragiles ; au bout de 3 ou 4
jours, 2 étaient cassées et inutilisables, on a du les remplacer
à Colombo. Entre Colombo et Suez, 3 autres se sont cassées.
Pendant la majeure partie du voyage, il a fallu assurer la
cuisine avec 3 ou même 2 marmites seulement, aussi la
distribution n'était terminée le plus souvent qu'à 14 h pour le
repas du matin et quelquefois à 22 h le soir.
Latrine - Nombre de places tout à fait insuffisant pour
l'effectif. Pendant les 1res heures de la journée, les hommes se
pressaient aux abords et plusieurs ne pouvant pénétrer faisaient
leurs ordures à l'extérieur ou dans les faux ponts. D'autres se
postaient sur le bordage arrière malgré la défense et quelques
chutes à la mer peuvent être attribuées à cette insuffisance de
place. »
30 avril : 1 décès par choléra. Arrivée à Colombo.
1er mai : 1 décès par dysenterie.
3 mai : le navire repart de Colombo
Le choléra commence ses ravages : 1 décès le 4 mai, 1 le 5, 2 le
6, 1 le 8, 1 le 13, 1 le 14, 1 le 16.
Après deux jours de grosse chaleur en mer rouge, 4 décès le 17
mai.
Le 18 mai le navire arrive à Suez : 4 décès le 18, 4 le 19, et 6
cadavres impossible à immerger dans la rade restent 24 heures à
bord. Deux cholériques se jettent à la mer...
Le navire appareille Pour le lazaret de Tor, dans le golfe de
Suez ; durant le trajet, 3 nouveaux décès.
Le 25 mai au soir, le décompte depuis Saïgon indique 9
tirailleurs décédés (dont 7 de choléra) et 90 travailleurs (dont
73 par choléra).
Au 12 juin 1916, le décompte est de 12 tirailleurs et 104
ouvriers décédés, et de 226 cas en traitement.
Le 18 juin, l'effectif qui réembarque n'es plus que de 61
européens, 957 soldats indigènes et 1044 ouvriers. Le 29 juin le
navire accoste en rade de Bizerte : durant cette traversé, 1
tirailleur et 9 ouvriers sont décédés dont 7 du béri-béri.
Du 30 juin au 6 juillet, on débarque 165 malades atteints
d'oreillons ou de béri-béri.
Le décompte des décès depuis Saigon s'établit ainsi : 1
européens 13 tirailleurs, 115 ouvriers.
Le 6 juillet, départ de Bizerte et arrivée à Marseille le 9
juillet.
En Artois et Champagne, iIl
n'apparaît pas que jusqu'à sa dissolution le 5 juin 1919, le
bataillon ait mis pied en Lorraine.
Le 25 février 1917, un
détachement de 250 hommes avec 6 sergents indigènes et 9
caporaux part pour Nancy pour être employé au service
automobile. Hormis ce détachement, il n'apparaît pas jusqu'à sa
dissolution le 6 juin 1919, que le bataillon ait mis pied en
Lorraine.
Note : Le JMO comprend l'information suivante :
« Note relative à la formation du 16è Btn de Tirailleurs
indochinois
Les caractéristiques de ce Btn de volontaires est qu'il fut le
premier en date fourni par l'Annam (recrutement commencé en
1916) et que la cour d'Annam, en raison des événements
politiques qui ont mené la destitution - pour trahison - du
jeune empereur Duy-Than, a cherché à rendre le recrutement du
Btn aussi facile et sérieux que possible, en faisant engager
pour l'exemple des membres de la famille royale et des parents
de hauts fonctionnaires de la Cour ; on s'efforça aussi à y
faire entrer le plus possible d'élèves des écoles. Ces indigènes
(pièce n° 2 jointe) presque tous déjà gradés, jouissent sur
leurs compatriotes d'une autorité incontestée.
Malgré les offres qui leur avaient été faites par les
révolutionnaires les recrues ne livrèrent pas leurs armes
distribuées quelques jours avant les évènements en question, et
sauf quelques cas isolés qui ont été réprimés, le tirailleurs ne
prirent pas part à cette tentative de mouvement anti-dynastique
et anti-français. On se rendra compte de l'esprit de ces
tirailleurs quand on saura qu'il n'u eut qu'une seule défection
au moment du départ pour la France en mai 1916 ; cependant ce
départ avait été annoncé plusieurs fois à l'avance puis retardé,
ce qui avait pour conséquence la distribution anticipée de la
2ème partie de la prime d'engagement. Des tirailleurs au moment
de toucher leur prime demandèrent à les verses pour les blessés.
Des tirailleurs de la famille royale et des familles lettrées
réunies dans la 1re compagnie sous les ordres du capitaine de
complément Délétie, chef du service de l'Enseignement en Annam,
sont la pépinière des gradés du bataillon. »
Il n'apparaît pas jusqu'à sa
dissolution le 5 juin 1919, que le bataillon ait mis pied en
Lorraine.
Dans les Vosges depuis 9
mois, le bataillon, à Fraize le 31 août, 1918, fait mouvement
par Etival, Raon-l'Etape, Baccarat, et atteint Glonville le 13
septembre. Le 15 septembre, il relève à Reherrey le 147ème
régiment d'infanterie US. Puis le 19 septembre le bataillon se
porte sur Montigny, Ancerviller où il subit un violent
bombardement le 28 septembre et engage un combat à la grenade.
Le 30 septembre, reconnaissance sur le hameau d'Ancerviller,
trouvé désert. Après relève, le bataillon est réparti le 1er
octobre entre Merviller, Reherrey, Baccarat et Glonville. Le 8
octobre, le bataillon remonte sur Montigny, et tentent diverses
embuscades (route de Jesain-Domèvre, hameau d'Ancerviller,
cimetière d'Ancerviller). Le 1er novembre, le bataillon est
relevé et part pour Nossoncourt. Le 10 novembre, il part pour
Moyen, par Baccarat, Xaféviller, St Pierremont, Magnières ; à
Moyen lors de l'armistice, le bataillon reçoit le 12 l'ordre de
retourner à Nossoncourt. Puis il est dirigé vers Jeanménil et
Housseras, et enfin vers l'Alsace, où il cantonne le 21 dans la
forteresse Mutzig-Molsheim (pillée auparavant par les habitants,
puis mise à sac par les prisonniers russes et roumains). Il ne
quitte l'Alsace que le 20 janvier 1919 pour rejoindre Epinal par
Sainte-Marguerite. Après avoir été employé à la remise en état
des sols et à la récupération, le bataillon part d'Epinal en
train le 18 février, et atteint Marseille le 20. Le 18 avril
1919, il embarque à destination de l'Indochine, et le bataillon
est dissous.
Le 11 novembre 1918, le 23ème
bataillon est en Flandres, jusqu'à sa dissolution le 20 janvier
1919.
Il n'apparaît pas jusqu'à sa
dissolution le 31 décembre 1918, que le bataillon ait mis pied
en Lorraine.
Cartes postales colonialistes
présentant les tirailleurs indochinois comme futiles |
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