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Déportation depuis Blâmont - 1914

On savait que durant la première invasion (8-14 août 1914), les Allemands avaient déporté en Allemagne des prisonniers civils et otages (voir à ce titre le témoignage d'A. Lahoussay). On constate dans les témoignages ci-dessous que dès leur retour le 22 août, les Allemands ont repris leurs déportations vers l'Allemagne, avec des transports en wagon à bestiaux depuis Blâmont, qui n'ont pu partir que par la ligne ABC, rue de la gare.


Documents relatifs à la guerre 1914-1915
Rapports et procès-verbaux d'enquête de la commission instituée en vue de la commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens. (Décret du 23 septembre 1914.) - T. II
Impr. nationale (Paris) - 1915

[...]
Rapport présenté par la Commission à M. le Président du Conseil (8 mars 1915)
[...]
Conformément aux instructions que vous avez bien voulu nous donner, nous nous sommes transportés dans les départements de l'Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie, à reflet d'y recueillir, auprès des prisonniers civils récemment rapatriés, des renseignements sur les circonstances qui ont précédé et accompagné leur arrestation, ainsi que sur le traitement auquel ils ont été soumis pendant leur séjour en Allemagne.
Dix mille environ de nos compatriotes, après avoir été emmenés sur le territoire ennemi pour y subir une captivité plus ou moins longue, ont été renvoyés en France antérieurement au 28 février. Ce sont des femmes, des enfants, des jeunes gens de moins de dix-sept ans et des vieillards de plus de soixante. Parmi eux se trouvent aussi quelques hommes de dix-sept à soixante ans, que l'autorité allemande, après les avoir soumis à un examen médical, a reconnus impropres à tout service militaire.
Arrivés chez nous par la Suisse et débarqués à Annemasse, ils ont été répartis dans la région du Sud-Est.
Nous en avons vu un grand nombre, et nous en avons interrogé près de trois cents, après leur avoir fait prêter serment de ne dire que la vérité. Leurs déclarations, dont la concordance nous a frappés, nous ont paru empreintes de la sincérité la plus complète et nous ont apporté une certitude d'autant plus grande que nous les avons reçues dans vingt-huit localités différentes, ce qui exclut toute idée d'une entente possible entre les témoins ou d'une suggestion mutuelle de leur part.
C'est dans ces conditions que nous avons pu nous rendre un compte suffisamment exact du régime qui a été imposé aux prisonniers civils français, notamment dans les camps de Holzminden, d'Altengrabow, d'Amberg, de Chemnitz, de Zossen, de Darmstadt, d'Edenberg près Landau, de Gardelegen, de Giessen, de Grafenwôhr, de Güstrow, d'Ingolstadt, de Limbourg, de Mersebourg, de Quedlinbourg, de Cassel, de Parchim, de Salzwedel, de Wahn, de Zerbst, de Zwickau, de Langensalza, d'Erfurt et d'Ulm, dans les locaux d'internement de Bayreuth et dans la forteresse de Rastadt.
Le seul fait d'avoir arraché à leurs foyers tant de paisibles habitants des régions envahies constitue incontestablement une violation du droit des gens. Cet acte est d'autant plus grave que les Allemands, non contents de mettre par une telle mesure des hommes mobilisables dans l'impossibilité de porter les armes contre eux, ont réduit en captivité un très grand nombre de vieillards, d'enfants et de femmes dont quelques-unes même étaient enceintes.
Certaines personnes ont été arrêtées sous le prétexte faux qu'un de leurs concitoyens avait tiré sur les troupes allemandes; d'autres ont été appréhendées sans explication, sur les routes, au milieu des champs ou dans leurs demeures. Beaucoup ont reçu l'ordre de se rassembler dans un lieu déterminé. A un grand nombre on a fait croire, au moment de les emmener, qu'on allait simplement les conduire dans une commune voisine pour les mettre à l'abri d'une bataille imminente.
Ce qu'il y a de particulièrement révoltant, c'est que l'autorité militaire allemande, en se saisissant au hasard des gens qui lui tombaient sous la main, ne se faisait aucun scrupule de séparer les membres d'une même famille et de les envoyer dans des camps différents. De jeunes enfants ont été compris dans d'autres convois que leurs mères, et des femmes ignorent encore ce que sont devenus leurs maris. Ainsi, à Lübeck, on a obligé un jour tous les hommes à descendre du train qui les avait amenés jusque-là avec leurs femmes, et on leur a fait prendre aux uns et aux autres des directions différentes. Ainsi encore, à Thiaucourt, le 3 septembre, des soldats qui étaient venus chercher chez elle la dame André, soi-disant pour qu'elle donnât à leur commandant un renseignement dont il avait besoin, l'empêchèrent de prendre avec elle ses enfants, en lui affirmant qu'elle allait revenir; mais aussitôt qu'elle comparut devant l'officier, celui-ci, sans articuler contre elle aucun grief, se borna à ordonner qu'elle fut expédiée en Allemagne.
Tous les prisonniers étaient d'abord astreints à effectuer à pied un trajet plus ou moins long et plus ou moins pénible, au cours duquel ils passaient les nuits dans un enclos, dans une gare ou dans une église; puis on les faisait monter dans des wagons à bestiaux pour les transférer en pays allemand. Pendant le voyage, ils ne recevaient généralement aucune nourriture. La plupart d'entre eux ont dû rester ainsi plusieurs jours sans boire ni manger, et beaucoup de ceux qui ont été enlevés dans le nord de la France auraient pu mourir de faim si, à leur passage en Belgique, des femmes charitables n'étaient parvenues à leur remettre quelques aliments.

[...]
N° 79.
L'an mil neuf cent quinze, le vingt-trois février, à LA BATHIE (Savoie), devant nous, etc.
HAINZELIN (Charles), âgé de 17 ans, verrier à Baccarat (Meurthe-et-Moselle), et MUNIER (Georges), âgé de 13 ans, garçon de culture à Domèvre-sur- V ezouze (Meurthe-et-Moselle) :
Nous jurons de dire la vérité.
Nous avons été pris tous deux, le 25 août, par les Allemands, Munier à Magnières et Hainzelin à Ménarmont. Nous avons été embarqués à Blamont dans un wagon à bestiaux et envoyés d'abord à Rastadt, puis à Ingolstadt (Bavière). Pendant le trajet qui a duré cinq jours, on ne nous a donné qu'une seule demi-boule de pain à chacun. A Ingolstadt, nous avons été logés dans un fort. Nous étions trois cents prisonniers civils, parmi lesquels se trouvaient en majorité des Belges. Nous étions dans des salles voûtées contenant de vingt à vingt-trois personnes. Pendant deux mois, nous y avons couché sur de la paille toute moulue et ensuite sur des paillasses. On nous a donné à chacun une couverture légère. Nous étions chauffés avec parcimonie. La nourriture était passable. Le matin, nous recevions de la tisane d'orge grillée, avec un peu de sucre; à midi, de la soupe avec du vermicelle et une petite portion de viande qui n'était pas mauvaise; le soir, de la soupe d'orge ou d'avoine. Le dimanche, nous mangions à midi du ragoût de mouton et, le soir; de la saucisse ou de la salade de museau de boeuf.
Le jour de Noël, on a été mieux nourri. Les soldats français ont été autorisés à nous faire un arbre auquel on a accroché des vêtements et du linge fourni par les Allemands.
Nous avons fait deux fois un séjour à Rastadt, en allant à Ingolstadt et en revenant. Là, nous avons été extrêmement mal. Nous étions dans de la vermine, et on lâchait des chiens pour nous obliger à nous rassembler.
Après lecture, les témoins ont signé avec nous.

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