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1916 - Hôpital
militaire de Domjevin - Début et fin
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Nous avons vu dans l'article « Notes
sur l'Hôpital de Domjevin », comment le projet d'hôpital
militaire souterrain lancé en 1916 va se développer dans l'année
1917, pour devenir une structure complexe, pourvue de multiples
équipements.
Mais sur les débuts de cette structure, nous n'avions que cette
information :
« 5 octobre 1916. Visite du poste chirurgical de Domjevin
dont les travaux sont repris. » [73e division
d'infanterie - Génie - 3 août 1914-11 décembre 1916]
Travaux « repris » ? Mais commencés quand et par qui ?
Si, sur l'année 1917, de nombreuses informations émanent du
service de santé de la 73ème division d'infanterie,
l'absence du journal des marches de ce service pour la période du
22 septembre au 31 décembre 1916 ne facilite pas la tâche.
Au niveau supérieur de la direction des services de santé de la
8ème armée, qui fait état de nombreux hôpitaux et
ambulances, on ne trouve qu'une unique indication (avec une
erreur de cote : 281 au lieu de 291) :
« 16 septembre 1916
Visite 1° du cantonnement de Domjevin dont la bonne tenue et la
propreté ne laissent rien à désirer. Le poste de recueil
desservi par une section du G.B.D 15 a encore été renforcé pour
assurer la sécurité des blessés, qui y séjournent en attendant
leur évacuation.
2° des travaux en cours pour constituer à la cote 281 un poste
chirurgical sous terre. Les fouilles et les terrassements sont
terminés. Il reste à place les moyens de protection, tôles et
rondins. » [Journal de marche de la Direction du
service de santé de la VIIIe armée 2e formation]
La présence de ce GBD 15 (groupe de brancardiers de la 15ème
division d'infanterie) conduit à s'interroger sur le chronologie
des relèves : ainsi, sur le front du groupe sud du D.A.L.
(Détachement d'armée Lorraine - 8ème armée) qui
inclut la zone de Domjevin, la 15ème division
d'infanterie a été relevée entre le 18 et 21 septembre 1916 par
la 73ème division d'infanterie.
Mais cette 15ème
division d'infanterie n'a occupé le secteur de Vého qu'à compter
du 20 août 1916, et le GBD 15 a pris en charge le poste de
secours de Domjevin le 22 août 1916 (avec envoi le 30 août d'un
médecin et 20 hommes). Les travaux n'ont certainement pas pu être entrepris
par cette division dans son seul mois d'occupation du secteur,
d'autant qu'on ne trouve aucune indication de l'hôpital de Domjevin dans ses
différents journaux.
Or, précédemment dans le secteur de Domjevin, la 15ème division
d'infanterie a relevé la 42ème division d'infanterie,
qui avait longuement occupé le secteur avant le 20 août 1916.
Dans le journal du service de santé de cette 42ème division, on trouve la
succession d'informations suivante :
« 23 juin : Le GBD est invité à prendre le personnel
nécessaire pour commencer à la côte 291 à l'ouest de Domjevin
les travaux de construction d'un poste de recueil pour blessés.
le plan soumis a été accepté par le DSS ; mais le service
C.A. réduit les travaux à la moitié de ceux qui sont projetés. »
« 6 août : pour la continuation de l'aménagement du poste
chirurgical en construction à l'ouest de Domjevin, des ouvriers
cimentiers sont demandés au génie. »
« 21 août : les brancardiers G.B.C/32 détachés au G.B.D/42 pour
les travaux à exécuter au Poste Chirurgical de Domjevin,
rejoindront à Laronxe, leur G.B.C, le 22 août. »
[42e division d'infanterie - Service de santé
divisionnaire]
Et on trouve aussi cette carte sur l'organisation sanitaire dans
le Secteur de
Saint-Clément du 8 juin au 22 juillet 1916, où apparait le logo
du GBD 42 à l'emplacement de l'hôpital :
42e division d'infanterie - Service de santé
divisionnaire
Secteur de Saint-Clément du 8 juin au 22 juillet
1916
Cliquez sur l'image pour accéder au document
complet
Et c'est bien journal des marches et opérations du
groupe de
brancardiers de la 42ème division d'infanterie qui nous confirme
:
« 1er juillet : un détachement de brancardiers renforcé par 30
brancardiers du GBC 32 est chargé de la construction d'un poste
chirurgical avancé sur un terrain près de Domjevin. »
« 23 juillet :Les travaux de construction du poste chirurgical
avancé et de l'abri pour blessés ont été poussés très activement.
»
[on peut supposer ici qu'il s'agit bien du poste de Domjevin,
même si le JMO ne le précise pas explicitement]
[42e division d'infanterie - Groupe de
brancardiers]
Concernant le GBC/32 on ne trouve que
cette information :
« 27 juin : 1 sergent, 2
caporaux et 20 soldats sont également détachés
au GBD 42 à Domjevin où il construisent un poste
de secours »
[Groupement de brancardiers du
32ème corps d'armée]
Mais c'est encore le journal des marches du
groupe de brancardiers de la
42ème division
d'infanterie qui
inclut au 1er juillet 1916 deux très
importants documents :
42ème division d'infanterie - Groupe de brancardiers - 1er juillet
1916
Cliquez sur l'image pour accéder au document
complet
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Le plan des trois galeries de l'hôpital tel qu'il est
encore visible aujourd'hui, avec l'emplacement des cloisons
intérieures : la plupart de ces cloisons sont aujourd'hui disparues, mais leurs traces sont
encore visibles. Seule la cloison la plus centrale n'a jamais
été réalisée, de même que la porte sur le flanc gauche de la
galerie.
(La cote indiquée est fausse : il s'agit
normalement de 291 et non de 181).
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42ème division d'infanterie - Groupe de brancardiers - 1er juillet
1916
Cliquez sur l'image
pour accéder au document complet
Hormis ces quelques détails,
le plan correspond exactement
au relevé actuel et démontre donc que la galerie
n'a pas été modifiée depuis 1916 : les extrémités
nord, qu'on pourrait croire rebouchées
ultérieurement, sont donc entièrement d'origine,
tout comme leur parement en béton sur la partie
basse.
Extrémité
de la galerie latérale gauche |
Photographie décembre 1916
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Photographie 2015
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Le nombre d'arceaux
métalliques est précisément respecté, chacun
d'eux mesurant 1 m de large, soit, avec les
recouvrements, une largeur effective de 90
centimètres chacun.
On peut donc dater du 1er juillet 1916 le début de la
construction de l'hôpital militaire de Domjevin, présenté à
l'époque comme simple une ambulance
chirurgicale, « poste de recueil pour blessé »,
avec ses galeries parallèles réunies sur leur
face postérieure par une galerie
perpendiculaire.
La succession rapide des divisions militaires en
charge du secteur entre juillet et septembre
1916 a sans doute contribué à ralentir la
construction. On a ainsi :
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1er juillet
1916 - 20 août 1916 : début des travaux par la 42ème
division d'infanterie (et le GBC/32) ;
-
20 août 1916 - 18
septembre 1916 : poursuite des travaux par la 15ème
division d'infanterie ;
-
18 septembre 1916 - 3
janvier 1918 : reprise et achèvement des travaux par la 73ème
division d'infanterie.
Mais très vite (dès octobre 1916) l'« ambulance » prend la dénomination d'« hôpital », et on a vu qu'avant même
l'achèvement complet des trois galeries, la structure a été
l'objet, dès janvier 1917, de compléments plus ambitieux, qui ne
seront terminés que le 3 janvier 1918. Impossible cependant de
savoir si ces compléments
faisaient déjà partie du plan initial soumis
en juin 1916 à la direction des services de
santé, mais réduit alors de moitié par les
services du corps d'armée, sans doute par manque
de moyens...
1918 et après ?
Nous avons vu aussi que l'hôpital n'a sans
doute jamais été utilisé, et qu'il était apparemment intact lors
de son classement en 1922. Intact, du moins sur la structure
des trois galeries encore en place à l'heure actuelle : car sur
les éléments complémentaires qui ont été ajoutés à droite de la
structure, il semble déjà qu'en 1919 (selon l'article du Matin
ci-dessous), leur état laissait à désirer, puisqu'un an seulement an
après la construction, l'hôpital « tombe en ruine faute de
quelques travaux de soutènement ». Ce soutènement n'a sans doute
jamais été effectué, et les galeries complémentaires, non
bétonnées, se sont lentement affaissées comme on peut encore le
constater de nos jours où elles sont totalement
inaccessibles.
Mais l'article ci-dessous confirme aussi notre hypothèse
« aurait-il
durant l'année 1918 servi de démonstration ? » (purement
théorique, puisque fonctionnel mais sans
activité),
puisque l'hôpital de Domjevin y est « considéré comme le modèle
des organisations chirurgicales souterraines ».
Le Matin
4 mars 1919
PARMI LES RUINES
Un peu partout, les souvenirs de guerre s'effritent et
disparaissent
Dès octobre 1916 on avait pensé qu'il serait salutaire pour les
générations futures de conserver à certaines zones de l'immense
champ de bataille français sa physionomie désolée par l'horreur
des combats et l'atrocité de la guerre.
L'Office national du tourisme se proposait de conduire en
pèlerinage sur les tombes des morts pour la patrie les jeunes
générations qui viendraient étudier l'histoire là même où les
héros l'écrivirent avec leur sang. à même le sol... Et puis,
l'étranger qui visiterait ces ruines n'apprendrait-il pas à
mieux aimer le peuple qui, stoïquement et la poitrine offerte,
les regarda s'accumuler plutôt que de céder encore un pouce de
France à envahisseur ?
Eh bien ces nobles pensées n'auront, dans le domaine positif de
la réalisation, peut-être pas de lendemain. Navrantes sont, en
effet, les nouvelles que nous recevons de l'ancienne zone des
armées. Un peu partout. les souvenirs de guerre s'effritent.
Certes les villages rasés ne sont pas reconstruits, les églises
anéanties ne tendent pas encore vers le ciel la prière du
clocher où chantait le coq gaulois mais, chaque jour, des
blockhaus de béton armé s'émiettent au hasard des prises
individuelles. L'Hartmannwillerskopf « en état de récupération »
est saccagé par ceux mêmes qui devraient avoir à coeur de
protéger un gîte dont le nom seul évoque dans l'univers la
bravoure de nos « diables bleus » déjà légendaire.
Ailleurs, c'est un fortin célèbre qui disparaît. A Dongevin,
c'est le poste de secours, considéré comme le modèle des
organisations chirurgicales souterraines, qui tombe en ruine
faute de quelques travaux de soutènement. Mais, bien plus, ce
que le lent travail des éléments respecte, les mains françaises
ne le respectent pas. Les entonnoirs de Pozières deviennent le
tombeau des vieux débris du « barbelé » et des autres détritus
du champ de bataille. Et, cependant l'Office national du
tourisme a depuis longtemps dressé l'inventaire des « souvenirs
de guerre », sur l'ensemble du front. Points célèbres de
friction tels que l'Hartmannwillerskopf, la cote 108 de
Berry-au-Bac, le labyrinthe de Souchez, forts tels que Douaumont
ou Vaux ; postes d'observation tels que le mont Sinaï dans la
montagne de Reims, entonnoirs, fortins de la ligne Hindenburg,
ont fait l'objet de rapports qui ont été depuis des mois déjà
transmis à une commission interministérielle créée en vue de la
conservation de ces « reliques ». L'administration des
beaux-arts, qui en assurera la garde - si toutefois elles n'ont
pas complètement disparu quand la paix sera signée - s'est
bornée, pour l'instant, à transmettre environ 200 dossiers avec
plans, photographies, dessins et autres graphiques au ministère
de la guerre. C'est pourquoi, selon cette belle expression
administrative, elle fait « gardienner par le génie les paysages
tragiques qui doivent illustrer une page sublime de notre
histoire. Et ce « gardiennage » n'est pas parfait. Oh non ! |
Pour conclure, citons un
passage de l'imposant ouvrage
« La Grande guerre à l'ombre du fort de Manonviller » de
Marc Gabriel (MMG editions, 2013 - page 247) :
« Lors de leur visite sur place, le 10 mars 1921, les
architectes des régions libérées et des monuments historiques
évaluent l'opportunité d'un classement du poste de secours. Le
10 février 1922, L. Bérard, Ministre de l'Instruction Publique
et des Beaux-Arts du second gouvernement R. Poincaré prend un
arrêté classant le poste de secours de Domjevin parmi les
monuments historiques. Une somme de 8 277 F sera affectée à des
travaux de « déblaiement, nettoiement, aménagement de caniveaux
et puisards pour l'écoulement des eaux, sortie de décombres et
régalage des déblais » le 26 octobre 1921. Ces travaux seront
réalisés par l'entreprise Hary, agréée Monuments Historiques,
après l'inscription du site »
Rédaction :
Thierry Meurant |
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