Nous avons déjà reproduit le
témoignage de
Paul Rimbault, lieutenant officier d'approvisionnement du 95ème RI
en août 1914, dans
L'Effort Algérien du
31 octobre 1931.
Voici des extraits de son journal de campagne, publié 17 ans
plus tôt : s'il y relatait déjà la mort de son ami Paul
Quinquet, on constate deux imprécisions :
-
concernant le lieutenant Paul Quinquet, il écrit en 1916
« S'il avait été saint-cyrien, il aurait chargé en gants
blancs et plumet de parade. »,
alors qu'il écrit en 1931 :
« Le lieutenant, qui mettait ses gants blancs, car il était
de la grande Ecole ».
Car ainsi que nous l'avons écrit dans l'article
15 août 1914, Paul Quinquet
était réellement officier de Saint-Cyr (promotion du Maroc)
et figure à ce titre dans l'annuaire de la Saint-Cyrienne
(parmi les 228 élèves de la 92ème promotion
1907-1909) ;
-
en 1931, Paul Rimbault réduit le combat de Blâmont à la mort
de Quinquet et de sa section :
« Ce fut tout... La compagnie fit demi-tour... Et voilà ce
que les historiens ont appelé le combat de Blamont ! ».
Si l'on ne connait pas les pertes exactes du 95ème
R.I. au combat de Blâmont, c'est faire peu de cas de celles
du seul 85éme R.I.
: 9 tués, 44 blessés, 8 disparus. Mais Rimbault écrit
cependant en 1916 :
« Il y a eu en effet un combat, cette nuit, sur les hauteurs
de Blâmont. Le régiment a trinqué. ».
Journal de campagne d'un
officier de ligne
Capitaine Marie Paul Charles Roger Rimbault
Ed. Berger Levrault - 1916
[...]
Les Allemands ont franchi la frontière, atteint la ville
française de Blâmont, et - paraît-il - y ont mis le feu.
Nous devons, par une marche forcée, nous porter au-devant d'eux
et les empêcher de franchir la Meurthe.
[...]
Hier donc, le jour déclinant, je m'achemine vers Domèvre. Les
routes sont obstruées par des fantassins, des artilleurs, des
cavaliers, qui passent sans discontinuer parallèlement et
transversalement. Je suis à l'arrière du convoi, lequel a
plusieurs kilomètres de long. Nous attendons plus d'une heure et
demie à l'entrée du village. Il est dix heures du soir quand j'y
entre. Là, on m'apprend que deux bataillons de mon régiment sont
aux avant-postes dans les bois et font le coup de feu avec les
Allemands. Les hommes ont faim... en route! Je traverse des
chemins impossibles, une roue d'une de mes voitures casse...
L'ennemi est tout près de nous, mon convoi grince sans pitié, et
la lune, qui brille de tous ses feux, semble se moquer de nous.
Enfin, j'arrive et déballe ma marchandise. Vers une heure du
matin, je rentre au village et m'étends enfin sur la paille. A
travers les vitres, je vois l'horizon s'illuminer; j'entends le
canon gronder et la fusillade faire rage...
A l'aube, il faut vite décamper vers la gare de ravitaillement.
Je laisse sur la place du bourg le trop-plein de mes voitures,
et chacun de venir grapillonner dans le tas. Le colonel passe et
je l'entends dire à l'aumônier : « Je dois un fameux cierge à la
Vierge! »... Il y a eu en effet un combat, cette nuit, sur les
hauteurs de Blâmont. Le régiment a trinqué.
15 août 1914 (soir).
Oui, il y a eu un combat cette nuit. Notre divisionnaire, le
général de Maud'huy, a donné l'ordre de s'emparer des crêtes sud
de Blâmont. C'était la fusillade que j'entendais au milieu de
mon sommeil. Il a été très chic, notre général. C'est un brave
qui fait la guerre à la zouave et sait donner le coup de feu
avec ses hommes. Au moment de charger, il s'est mis à la tête du
2e bataillon - bataillon d'attaque - et, prenant sous ses bras
deux soldats, il leur a crié : En avant, les enfants! Et les
enfants se sont engouffrés dans la fournaise. Nous avons perdu
plusieurs jeunes officiers, dont mon bon camarade, le lieutenant
Quinquet. C'était un brave, ayant, malheureusement pour lui, la
vue faible. Il était toujours tiré à quatre épingles, et, cette
nuit-là, ses manchettes étaient d'un blanc impeccable. S'il
avait été saint-cyrien, il aurait chargé en gants blancs et
plumet de parade. Il était de l'école du général de Lourmel, le
héros de Crimée, tué à Inkermann, qui, le matin de la bataille,
répondait à un camarade riant de ses bottes vernies, de sa
culotte blanche et de ses gants frais: « Tu veux, mon cher,
qu'on mette en terre de Lourmel à la façon d'un pauvre
diable!... »
Mon brillant camarade fut sublime dans l'assaut. Ayant perdu son
binocle, il tomba, sans le savoir, sur une mitrailleuse
allemande. Cette apparition inattendue n'arrêta ni son élan ni
ses cris de victoire; mais bientôt la machine infernale le
laboura...
Enfin le sacrifice n'a pas été inutile. Blâmont a été pris par
mon régiment, qui a franchi ce soir la frontière.
Pour moi, vilain embusqué de l'arrière, je viens d'arriver par
une pluie torrentielle à Tanconville, village frontière.
L'unique rue du bourg est encombrée de voitures de toutes
sortes. Le bruit court que cet après- midi nos troupes y ont été
reçues par des coups de fusil... Des espions, sans doute.
16 août 1914.
C'est l'hallali ! Les Bavarois fuient devant nous, et cette fuite
électrise nos hommes qui mettent les bouchées doubles. Tout est
à la joie et à l'enthousiasme. Un de nos écrivains n'a-t-il pas
dit que la Lorraine est plus grande dans notre coeur depuis
qu'elle est plus petite sur notre carte... ? Or, voici que nous
en élargissons les limites pour ainsi dire sans coup férir et
sans grandes pertes.
Serait-ce vrai ce qu'un de nos généraux nous a dit ce matin : «
Nous serons à Strasbourg dans huit jours »?...
Ce matin, j'ai franchi les limites du pays annexé avec nos
voitures. J'ai traversé tout d'abord le bois de Hattigny à
l'extrémité de laquelle se trouve la frontière. C'est une forêt
en pente, boueuse. Les chevaux ne peuvent plus avancer et mes
hommes doivent tirer les attelages à bras. En arrivant à la
limite de mon pays, je salue, un peu ému. Un des poteaux du
Kaiser gît à terre, l'aigle noir brisé en deux, tandis que, sur
celui qui lui fait face - et qui est celui de la République
Française - nos troupiers ont barré à la craie le mot frontière.
A nos pieds, s'étale le petit village d'Hattigny, premier bourg
de la Lorraine annexée. Les toits des maisons sont en tuiles et
le clocher de l'église est couvert de zinc. Il fait gris, et
tout doucement, sans bruit, le brouillard mouille toutes choses.
De me trouver en pays de conquête, je suis tout fier. La
campagne est morne et silencieuse; pour faciliter leur tir, les
Allemands ont coupé les arbres de la route; de-ci de-là, dans
les fossés remplis d'eau, gisent quelques fourgons que les
Bavarois ont abandonnés dans leur retraite précipitée.
En arrivant dans le bourg, je vois le régiment en entier dehors,
les faisceaux formés, l'air tout réjoui. Je fais ma distribution
et le dépeçage de ma viande en plein air, rapidement, car nos
troupiers ont grand'faim. Avant de repartir, je fais le tour du
village.
Devant le presbytère, il y a un rassemblement : c'est un
prisonnier allemand qui excite la curiosité des soldats. Il a le
visage tout brûlé et l'air penaud. Automobiliste de son emploi,
il a vu son moteur atteint par les balles, et l'explosion l'a
blessé.
Nos hommes ont brisé la poste impériale et le cor de chasse qui
l'agrémente. Dans le cadre réservé aux dépêches officielles, je
lis une proclamation de notre général de brigade à l'adresse des
Lorrains. Ceux d'Hattigny nous ont reçus avec beaucoup de
réserve; comme notre victoire n'est pas suffisamment établie,
ils ne veulent pas se compromettre dans la crainte d'un retour
possible des Allemands. Tous ils parlent le français nous
donnent ce qu'on leur demande, mais évitent soigneusement toute
appréciation sur la situation. Nos soldats sont corrects avec
eux, mais de part et d'autre nulle expansion, et, pour tout
dire, ni rieurs ni couronnes!... |