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12 août 1914 - Femmes assassinées à Badonviller ?



On trouve concernant prétendument Vaucourt l'extrait suivant :

Comment finiront Guillaume II et ses complices
Tancrède Martel
Ed. Paris 1917

«  Wenger, soldat d'un régiment d'infanterie prussien. S'est vanté (dans une lettre écrite à sa soeur et tombée entre nos mains) d'avoir tué en cinq minutes, à coups de baïonnette, sept femmes et quatre jeunes filles, à Vaucourt (Meurthe-et-Moselle), août 1914 (1)
(1) La justice française ne saurait admettre qu'un tel monstre demeure impuni. Elle doit parvenir, coûte que coûte, à retrouver cet homme et à le faire guillotiner à Vaucourt même. »


Mais cette lettre célèbre, adressée non à une soeur mais à une amie, ne concerne surtout pas Vaucourt mais Badonviller ; nous l'avons déjà citée dans
«  Histoire illustrée de la guerre de 14 » de Gabriel Hanotaux :

«  c'est une lettre du soldat allemand Wenger, appartenant à un des régiments d'infanterie de la garde bavaroise (Ire brigade du Ier corps bavarois, brigade qui occupait alors Badonviller), à son amie, Grete Mayer: «  Vous aurez ainsi un beau souvenir d'un guerrier allemand qui, depuis le commencement, a pris part à tout, et qui a tué tant de Français à coups de fusil et à coups de baïonnette et qui a tué aussi tant de femmes à coups de baïonnette. Chère Grete Mayer, en cinq minutes, j'ai transpercé avec ma baïonnette, 7 femmes et 4 jeunes filles au combat de Batowille (Badonviller). » Cet abominable coquin se vante, probablement pour plaire à la chère Grete Mayer !»

Le «  Bulletin des Français résidant à l'étranger » du 1er juillet 1915 publie concernant cette lettre, l'article suivant :

L'AVEU D'UN MONSTRE
LES CRIMES D'UN SOLDAT DE LA GARDE BAVAROISE

On trouvera, dans ce Bulletin, la reproduction photographique d'une lettre écrite par un soldat de la garde bavaroise.
L'Illustration, à laquelle nous empruntons cette reproduction, l'accompagne de l'émouvant article que voici :
AVEU CYNIQUE
Une lettre monstrueuse d'un soldat de la garde bavaroise.
Entre les preuves innombrables de la férocité allemande recueillies jusqu'ici, on n'en a peut-être pas une seule qui soit aussi frappante, aussi effroyable que la lettre dont nous donnons ici le fac-similé. L'infamie s'y étale avec un cynisme, une animalité qui confondent l'entendement des pauvres honnêtes gens.
Cette lettre a été trouvée, à la fin d'un des plus récents combats, sur un prisonnier du 86e régiment d'infanterie. On n'a pu parvenir à savoir comment elle était en sa possession.
Elle émane, en effet, d'un soldat d'infanterie de la garde bavaroise, Johann Wenger, et était adressée à une demoiselle - ou dame - Marguerite Mayer.
Demoiselle ou dame ? Wenger ne sait lui-même : il a reçu un cadeau d'une inconnue, et, comme cela est fréquent chez nous, elle a joint sa carte à son envoi. Il lui exprime sa reconnaissance. En quels termes ?. Un forçat même en frémirait.
Cette horrible correspondance est écrite sur un beau papier à en-tête, où la Croix de fer se balance à un ruban aux couleurs prussiennes, avec l'inscription qu'on trouvera traduite au-dessous du fac-similé.
Comment Johann Wenger s'est rendu digne des ancêtres et de la Croix de fer, il va nous le dire lui-même :

Mademoiselle ou Madame Grete Mayer,
J'ai reçu votre envoi et je vous remercie, je suis heureux d'avoir reçu une Liebesgabe (1) de Hambourg, d'autant que, en pays ennemi, les Liebesgaben sont toutes fort appréciées. Chère Grete Mayer, je vous enverrai une petite Liebesgabe quand je pourrai en trouver une, par exemple un bracelet provenant d'un des obus qui tombent devant nous. Chère Grete Mayer, je ferai arranger si bien ce bracelet que vous pourrez tout de suite le porter à votre bras. Vous aurez ainsi un beau souvenir d'un guerrier allemand qui, depuis le commencement, a pris part à tout, et qui a tué tant de Français à coups de fusil et à coups de baïonnette, et qui a tué aussi tant de femmes à coups de baïonnette. Chère Grete Mayer, en cinq minutes j'ai transpercé avec ma baïonnette 7 femmes et 4 jeunes filles, au combat de Batowille (sans doute Badonvillers). Nous nous battions là de maison à maison, et ces femmes ont tiré sur nous avec des revolvers; elles ont tiré également sur le capitaine. Celui-ci m'a dit de les fusiller toutes, mais c'est à coups de baïonnette et non de fusil que j'ai tué cette bande de truies, qui sont plus mauvaises que des hommes. Tous les jours nous avons des morts et des blessés. Chère Grete Mayer, je suis lanceur de grenades, et bien des fois je me suis avancé en rampant jusqu'à 10 mètres de l'ennemi pour lui lancer des grenades dans ses tranchées; puis, lorsque celui-ci éclairait les alentours en tirant des fusées lumineuses pour m'apercevoir, j'ai reçu des coups de feu qui ont porté très près, mais qui ne m'ont encore jamais touché, ce qui est ce qu'il y a de mieux.
Chère Grete Mayer, si je conserve la vie et si je reviens, je chercherai Grete Mayer et, si celle-ci n'est ni mariée ni fiancée, je me permettrai l'audace de vous demander de m'adresser votre photographie, que je sache du moins de qui j'ai reçu ma Liebesgabe.
Je termine ma lettre, mal écrite, et je vous envoie bien des amitiés et beaucoup de baisers, qui seront comme une sauvegarde du si lointain Johann Wenger.
Je vous en prie, écrivez-moi bientôt.

Suit l'adresse : Régiment d'infanterie de la garde, 1er corps bavarois, 1re division, 1re brigade, 3e bataillon, 10e compagnie.
Ainsi ce hurlement de fauve se termine en galanterie. La sauvagerie se fond en Gemûthlichkeit, en gentillesse. Le tigre s'apprivoise aux pieds de Gretchen.
On a publié, cet hiver, beaucoup de lettres attendries, où des soldats de chez nous remerciaient d'envois semblables à la Liebesgabe de Grete Mayer. C'est le moment, après cette vision monstrueuse, d'en relire quelques-unes.

(1) Expression intraduisible. Littéralement: «  don d'amour», mais le mot est féminin.

La lettre est datée du 16 mars 1915, expédié d'un lieu indéchiffrable (Béron ? Péronne ?), et sa publication suscitera un grand émoi puisqu'on la retrouve dans la presse française (Le Matin, 27 juin 1915 - La lanterne, 28 juin 1915 - La Croix, 29 juin 1915... etc), anglaise (The Times, 8 mars 1916...) ainsi que dans de très nombreux écrits condamnant les crimes allemands.

Mais comme nous l'avons déjà vu avec le carnet du soldat Spielmann (voir 1er septembre 1914 - Massacre d'un village près de Blâmont ?), les événements qui y sont relatés sont d'une abominable vantardise : car si la lettre porte bien sur Badonviller, une fois encore l'allégation des femmes tirant sur les soldats allemands est une pure invention, mais de plus la liste des victimes civiles de la fureur des bavarois en cette journée du 12 août 1914 comprend 12 noms ; elle est données par Louis Schaudel dans 12 août 1914 - Badonviller - L. Schaudel :
Madame Benoit Edmond, née Fort Marie-Louise, 41 ans.
Boulay Adelin Androme, 55 ans.
Boulay Adelin Paul André, 15 ans.
Georges François, 58 ans.
Madame Georges François, née Grilliet Marie Joséphine. 56 ans.
Gruber Pierre Nicolas, 29 ans.
Marchal Joseph Hippolyte, 78 ans.
Massel Georges André, 18 ans.
Odinot Georges, 16 ans.
Spatz Joseph, 81 ans.
Vozelle Joseph Édouard, 38 ans.

On y compte «  seulement » deux femmes assassinées (dont Madame Benoit, épouse du maire), et si la lettre du soldat Wenger n'est que pure imagination, elle montre cependant par quelle épouvantable disposition d'esprit ce soldat bavarois estime mériter le panthéon de la gloire militaire.


Lettre du soldat Wenger.
Copie publiée dans Bulletin des Français résidant à l'étranger » du 1er juillet 1915

Lettre du soldat Wenger
Copie publiée dans German atrocities; an official investigation, J.H. Morgan. (Ed. Londres) 1916

Rédaction : Thierry Meurant

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