On trouve concernant prétendument Vaucourt l'extrait suivant :
Comment finiront Guillaume II et ses complices
Tancrède Martel
Ed. Paris 1917
« Wenger, soldat d'un régiment d'infanterie prussien. S'est
vanté (dans une lettre écrite à sa soeur et tombée entre nos
mains) d'avoir tué en cinq minutes, à coups de baïonnette, sept
femmes et quatre jeunes filles, à Vaucourt (Meurthe-et-Moselle),
août 1914 (1)
(1) La justice française ne saurait admettre qu'un tel monstre
demeure impuni. Elle doit parvenir, coûte que coûte, à retrouver
cet homme et à le faire guillotiner à Vaucourt même. »
Mais cette lettre célèbre, adressée non à une soeur mais à une
amie, ne concerne surtout pas Vaucourt mais Badonviller ; nous
l'avons déjà citée dans
« Histoire illustrée de la guerre de 14 » de Gabriel Hanotaux
:
« c'est une lettre du soldat allemand Wenger, appartenant à un
des régiments d'infanterie de la garde bavaroise (Ire brigade du
Ier corps bavarois, brigade qui occupait alors Badonviller), à
son amie, Grete Mayer: « Vous aurez ainsi un beau souvenir d'un
guerrier allemand qui, depuis le commencement, a pris part à
tout, et qui a tué tant de Français à coups de fusil et à coups
de baïonnette et qui a tué aussi tant de femmes à coups de
baïonnette. Chère Grete Mayer, en cinq minutes, j'ai transpercé
avec ma baïonnette, 7 femmes et 4 jeunes filles au combat de
Batowille (Badonviller). » Cet abominable coquin se vante,
probablement pour plaire à la chère Grete Mayer !»
Le « Bulletin des Français résidant à l'étranger » du 1er
juillet 1915 publie concernant cette lettre, l'article suivant :
L'AVEU D'UN MONSTRE
LES CRIMES D'UN SOLDAT DE LA GARDE BAVAROISE
On trouvera, dans ce Bulletin, la reproduction photographique
d'une lettre écrite par un soldat de la garde bavaroise.
L'Illustration, à laquelle nous empruntons cette reproduction,
l'accompagne de l'émouvant article que voici :
AVEU CYNIQUE
Une lettre monstrueuse d'un soldat de la garde bavaroise.
Entre les preuves innombrables de la férocité allemande
recueillies jusqu'ici, on n'en a peut-être pas une seule qui
soit aussi frappante, aussi effroyable que la lettre dont nous
donnons ici le fac-similé. L'infamie s'y étale avec un cynisme,
une animalité qui confondent l'entendement des pauvres honnêtes
gens.
Cette lettre a été trouvée, à la fin d'un des plus récents
combats, sur un prisonnier du 86e régiment d'infanterie. On n'a
pu parvenir à savoir comment elle était en sa possession.
Elle émane, en effet, d'un soldat d'infanterie de la garde
bavaroise, Johann Wenger, et était adressée à une demoiselle -
ou dame - Marguerite Mayer.
Demoiselle ou dame ? Wenger ne sait lui-même : il a reçu un
cadeau d'une inconnue, et, comme cela est fréquent chez nous,
elle a joint sa carte à son envoi. Il lui exprime sa
reconnaissance. En quels termes ?. Un forçat même en frémirait.
Cette horrible correspondance est écrite sur un beau papier à
en-tête, où la Croix de fer se balance à un ruban aux couleurs
prussiennes, avec l'inscription qu'on trouvera traduite
au-dessous du fac-similé.
Comment Johann Wenger s'est rendu digne des ancêtres et de la
Croix de fer, il va nous le dire lui-même :
Mademoiselle ou Madame Grete Mayer,
J'ai reçu votre envoi et je vous remercie, je suis heureux
d'avoir reçu une Liebesgabe (1) de Hambourg, d'autant que, en
pays ennemi, les Liebesgaben sont toutes fort appréciées. Chère
Grete Mayer, je vous enverrai une petite Liebesgabe quand je
pourrai en trouver une, par exemple un bracelet provenant d'un
des obus qui tombent devant nous. Chère Grete Mayer, je ferai
arranger si bien ce bracelet que vous pourrez tout de suite le
porter à votre bras. Vous aurez ainsi un beau souvenir d'un
guerrier allemand qui, depuis le commencement, a pris part à
tout, et qui a tué tant de Français à coups de fusil et à coups
de baïonnette, et qui a tué aussi tant de femmes à coups de
baïonnette. Chère Grete Mayer, en cinq minutes j'ai transpercé
avec ma baïonnette 7 femmes et 4 jeunes filles, au combat de
Batowille (sans doute Badonvillers). Nous nous battions là de
maison à maison, et ces femmes ont tiré sur nous avec des
revolvers; elles ont tiré également sur le capitaine. Celui-ci
m'a dit de les fusiller toutes, mais c'est à coups de baïonnette
et non de fusil que j'ai tué cette bande de truies, qui sont
plus mauvaises que des hommes. Tous les jours nous avons des
morts et des blessés. Chère Grete Mayer, je suis lanceur de
grenades, et bien des fois je me suis avancé en rampant jusqu'à
10 mètres de l'ennemi pour lui lancer des grenades dans ses
tranchées; puis, lorsque celui-ci éclairait les alentours en
tirant des fusées lumineuses pour m'apercevoir, j'ai reçu des
coups de feu qui ont porté très près, mais qui ne m'ont encore
jamais touché, ce qui est ce qu'il y a de mieux.
Chère Grete Mayer, si je conserve la vie et si je reviens, je
chercherai Grete Mayer et, si celle-ci n'est ni mariée ni
fiancée, je me permettrai l'audace de vous demander de
m'adresser votre photographie, que je sache du moins de qui j'ai
reçu ma Liebesgabe.
Je termine ma lettre, mal écrite, et je vous envoie bien des
amitiés et beaucoup de baisers, qui seront comme une sauvegarde
du si lointain Johann Wenger.
Je vous en prie, écrivez-moi bientôt.
Suit l'adresse : Régiment d'infanterie de la garde, 1er corps
bavarois, 1re division, 1re brigade, 3e bataillon, 10e
compagnie.
Ainsi ce hurlement de fauve se termine en galanterie. La
sauvagerie se fond en Gemûthlichkeit, en gentillesse. Le tigre
s'apprivoise aux pieds de Gretchen.
On a publié, cet hiver, beaucoup de lettres attendries, où des
soldats de chez nous remerciaient d'envois semblables à la
Liebesgabe de Grete Mayer. C'est le moment, après cette vision
monstrueuse, d'en relire quelques-unes.
(1) Expression intraduisible. Littéralement: « don d'amour»,
mais le mot est féminin. |
La lettre est datée du 16 mars 1915, expédié d'un lieu
indéchiffrable (Béron ? Péronne ?), et sa publication suscitera
un grand émoi puisqu'on la retrouve dans la presse française (Le
Matin, 27 juin 1915 - La lanterne, 28 juin 1915 - La Croix, 29
juin 1915... etc), anglaise (The Times, 8 mars 1916...) ainsi
que dans de très nombreux écrits condamnant les crimes
allemands.
Mais comme nous l'avons déjà vu avec le carnet du soldat
Spielmann (voir 1er septembre 1914 - Massacre d'un village près
de Blâmont ?), les événements qui y sont
relatés sont d'une abominable vantardise : car si la lettre
porte bien sur Badonviller, une fois encore l'allégation des
femmes tirant sur les soldats allemands est une pure invention,
mais de plus la liste des victimes civiles de la fureur des
bavarois en cette journée du 12 août 1914 comprend 12 noms ;
elle est données par Louis Schaudel dans
12 août 1914 -
Badonviller - L. Schaudel :
Madame Benoit Edmond, née Fort Marie-Louise, 41 ans.
Boulay Adelin Androme, 55 ans.
Boulay Adelin Paul André, 15 ans.
Georges François, 58 ans.
Madame Georges François, née Grilliet Marie Joséphine. 56 ans.
Gruber Pierre Nicolas, 29 ans.
Marchal Joseph Hippolyte, 78 ans.
Massel Georges André, 18 ans.
Odinot Georges, 16 ans.
Spatz Joseph, 81 ans.
Vozelle Joseph Édouard, 38 ans.
On y compte « seulement » deux femmes assassinées (dont Madame
Benoit, épouse du maire), et si la lettre du soldat Wenger n'est
que pure imagination, elle montre cependant par quelle
épouvantable disposition d'esprit ce soldat bavarois estime
mériter le panthéon de la gloire militaire.
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Copie publiée dans Bulletin des Français résidant à l'étranger »
du 1er juillet 1915
Copie publiée dans German atrocities; an official investigation,
J.H. Morgan. (Ed. Londres) 1916 |