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Histoire du Blâmontois dans les temps modernes (II)

 

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Abbé Alphonse Dedenon (1865-1940)
Impr. Vagner, 3, rue du Manège (Nancy) - 1930

I. Le Comté de Blâmont, annexé au Duché de Lorraine.
II. La Prévôté et le Bailliage.
III. Le District et les Cantons.
IV. Le Canton actuel de Blâmont.

L'Histoire du Blâmontois dans les temps modernes est une source majeure d'information : tombée dans le domaine public en 2010, cette version numérique intégrale permet de faciliter les recherches, y compris dans l'édition papier publiée en 1994 par Office d'édition & de diffusion du livre d'histoire.
Le présent texte est issu d'une correction apportée après reconnaissance optique de caractères, et peut donc, malgré le soin apporté, contenir encore des erreurs.
Par ailleurs, les notes de bas de page ont été ici renumérotées et placées en fin de ce document.

NDLR :
L'abbé Dedenon a laissé dans ses carnets des notes manuscrites indiquant diverses corrections à apporter à ce texte.


DEUXIEME PARTIE
La Prévôté et le Bailliage


Dessin de Morey. Cliché de l'Imprimerie Berger-Levrault.
VUE DE REPAIX

I - La Prévôté de Blâmont

1° Ressort de la Prévôté

En inaugurant son règne, Léopold voulut pour ses Etats une organisation conforme aux idées nouvelles et il lança son Edit du 31 août 1698, qui divisait le territoire en bailliages, et les bailliages en prévôtés. Dans le bailliage de Lunéville furent formées les cinq prévôtés de Lunéville, Azerailles, Badonviller, Blâmont et Deneuvre. La prévôté de Blâmont engloba tout l'ancien comté et, en plus, Foulcrey, Gogney, Montreux, Raon-les-Leau, Saint-Sauveur et Herbéviller-Lannoy. A Lunéville furent rattachés : Avricourt, Emberménil, Ogéviller, Reclonville, Saint-Martin, Herbéviller-Saint-Germain, Hablainville, Pettonville, Domjevin en partie, Verdenal et la grande Domèvre.
La Cour prévôtale connaissait des causes ordinaires ; à la Cour bailliagère furent réservés les affaires importantes et les appels. On eut à Blâmont : un capitaine prévôt, chef de la police (95), qui fut Edmond Massu, fils aîné de l'ancien prévôt (96), remplacé à sa mort, en 1707, par Dominique Rognon; deux assesseurs ou conseillers, à savoir : Sébastien Frémion et Joseph Vaultrin ; un procureur : Dominique Rognon, puis son fils Jean-François ; un curateur en titres : César Laurent ; deux tabellions : Joseph Vaultrin et Charles Guise; deux huissiers.
Le Bureau des Finances, subordonné à la Recette générale de Lunéville, eut son receveur particulier : Jean-Claude Vaultrin. La maréchaussée, créée le 25 décembre 1699, eut seulement en 1720 son détachement de quatre hommes. Il n'y eut pas, à Blâmont, de buttiers ou cavaliers.
L'organisation municipale ne fut définitive qu'en 1707, après plusieurs tâtonnements. Les villages se donnaient un Conseil, local de dix membres, qui élisait maire, receveur, syndic, greffier et bangard. Les villes furent dotées d'un Hôtel de Ville, dont les conseillers, en nombre variable et toujours supérieur à dix, devaient être nommés par le Duc. Cette charge était vénale, conférait certains droits de noblesse et comportait des gages annuels, ce que soulignait la malice populaire, en disant que «  sans argent nul n'entrait ou ne sortait de l'hôtel de ville ». En 1708, les premiers conseillers de Blâmont furent : Joseph Vaultrin, substitut syndic; Antoine Pinon, receveur; Claude Vaultrin, secrétaire, qui versèrent au bureau des Parties casuelles, une provision de 1.500, 2.000 et 2.500 francs. En 1711, il y eut douze conseillers, qui furent, outre les précédents : Rognon, procureur; Maldidier, Jean Pierson, Jacques Vanier, Vincent, etc.. On remarquera que, parmi eux, ne figure aucun noble : les armes ou la terre avaient déjà toutes les préférences de cette classe quelque peu exclusive.
Le cadre administratif une fois dressé, il s'agissait d'établir clairement les droits des diverses communautés. Or, sur ce point, régnait une confusion extrême, par suite de la disparition des titres. Plusieurs ne savaient même plus les limites de leur ban, d'autres se permettaient des empiétements inouïs sur les domaines publics. Le seul remède fut de provoquer une déclaration franche et loyale des intéressés, pour en faire la base d'un code nouveau de la propriété. Les communes présentèrent ces déclarations, en 1700; la Cour les homologua, et on établit, d'après elles, les droits respectifs de chacun. II n'y avait plus qu'à entreprendre la description authentique des diverses parcelles composant les finages, avec leurs contenances exactes. C'est alors qu'une armée d'arpenteurs élabora les pieds-terriers si précieux de chaque localité.
Jean Pelletier, avocat résidant à Charmes, composa ceux de Blâmont et de Barbas, en 1703; Guyot, de Lunéville, celui d'Autrepierre, en-1717. Plusieurs de ces documents existaient naguère encore dans les familles; ils sont aujourd'hui très rares, mais la collection en est conservée aux Archives départementales.
La terre, inépuisable source de richesse, était alors singulièrement convoitée. De nombreux solliciteurs s'en vinrent presser le Duc d'aliéner à leur profit les breuils, les forêts et les étangs qui restaient encore dans son apanage. Léopold, plus encore que Charles IV, se laissa tenter et, pour alimenter sa cassette, consentit à appauvrir sa couronne (97). La prévôté de Blâmont se vit bientôt littéralement dépecée au profit de favoris empressés, et n'offrit plus au trésor que des revenus insignifiants.
C'est ainsi qu'en 1700, la métairie des Rappes, comprenant, sur le ban de Remoncourt, de vastes friches autrefois nommés Hermamagney, fut acensée à Didier Morlot, qui était déjà fermier de Jambrot. Transformée en un corps de ferme important et agrémentée d'une plaisante maison de campagne, elle prit ensuite le nom, de Fief de Belcourt, et servit à récompenser un dévoué chambellan du duc François, le seigneur Charles de Laugier.
Une métairie pareille, située sur le Haut de Sérolle (ban de Leintrey), non loin de là, fut également érigée en fief, le 25 juin 1720, pour le sieur Claude Lombard, lieutenant dans un régiment de Lorraine.
A Vaucourt, se trouvait une petite seigneurie, possédée, en 1702, par le sieur Maguin, conseiller au Parlement de Metz. Un accroissement de fief lui permit de devenir, vers 1720, le fief estimé de Vaucourt et Martincourt, entre les mains de Dominique Le Vasseur, trésorier des Généralités de Metz; et d'Alsace.
La Grande-Haye, près de Montreux, délaissée depuis longtemps, fut reprise par Etienne Masson, réunie à la Basse-Barux, et revendue à la famille Doridant, vers 1712.
Nicole de Mauljean, veuve du seigneur de Fontalard, dame de Montreux et Barbas, obtient, en 1721, d'adjoindre à son patrimoine la partie lorraine de Halloville (rue Haute) et la censé de Fléville, située près de Harbouey.
Nicolas Thomassin, de Lunéville, obtient également (1721) de réunir à son avoir de Bénaménil les terres et prés de Chazelles qui longent le ruisseau d'Albe.
Le seigneur de Narcy, installé aux Sallières, se fait octroyer, le 12 mars 1720, tous les droits de justice sur Gogney et Blâmont, un colombier pour sa maison de Blâmont, et la préséance sur tous les officiers de la prévôté, à l'église ou ailleurs.
Voici pour Harbouey et Grandseille des destinées plus inattendues. Les terres seigneuriales de Harbouey, antique héritage de la famille d'Haussonville et, plus récemment, de François de Vaudémont, sont, vers 1700, aux mains de Charles Canon de Ricarville; un modeste château y sert de résidence, au moins passagère à sa soeur Marguerite, qui est marraine de la grosse cloche, en 1705. Mais, à la suite d'un achat, daté de 1718, le prince Marc de Beauveau-Craon, favori de Léopold, est établi maître en ces lieux. Après d'autres achats, il possède pareillement dix-huit villages autour de Lorquin et de Turkestein. De tous, il fait une Prévôté, munie de tout l'appareil que comportent les Justices d'alors, et il répartit ses officiers dans ses deux chefs-lieux, Harbouey et Lorquin.
Grandseille, à son tour, inhabité depuis fort longtemps, se voit un beau jour métamorphosé en marquisat. On lit, en effet, dans des lettres patentes, datées de décembre 1723 : «  Voulant donner au seigneur François du Chastelet et à la dame Catherine de Flemming, son épouse (98), les marques de l'estime que nous faisons de leurs personnes... nous unissons et incorporons la terre de Grandseille, les justices d'Amienbois, les terres et droits appartenant audit marquis à Autrepierre, Gogney, Frémonville, l'ancien fief qu'il a à Blâmont, les étangs d'Albe, Vilvacourt, Cresson, Cambra et Rancogney, les censés et rentes qu'il a sur le prieuré de Manonviller et à Laneuveville-aux-Bois, la Neuve Grange, Couvay et Josain... le château, enclos et gagnage de Blâmont, les justices d'Autrepierre, Frémonville, Amenoncourt, Gondrexon, Remoncourt, le breuil de Jambrot, avec les scieries de la Boudouze, Maschet et Malvet, pour le tout ne faire et comporter qu'un seul et même corps de fief, lequel nous érigeons en Marquisat dont le chef-lieu sera le dit village de Grandseille... Permettons d'y établir une Prévôté, composée d'un prévôt, d'un procureur d'office, d'un greffier, de deux sergents et d'un tabellion, qui exerceront la justice, à la réserve des cas privilégiés » (99). En 1724, le nouveau marquis, ayant fait remarquer que le village de Verdenal était englobé dans son fief, reçut de Léopold l'autorisation «  de se subroger au lieu et place du Duc, pour faire dans ce lieu tel usage qu'il lui plairait de ses droits, sauf à réserver ceux de Saint-Dié ». En 1726, il obtint encore les étangs de Parux, laissés auparavant au sieur Masson. La famille du Chastelet, à la tête d'un si vaste apanage, aurait dû, ce semble, songer à construire, soit à Blâmont, soit


Cliché CUISSARD.
VIEUX CHÂTEAU DE CIREY bâti pour le Marquis du Chastele
t

à Grandseille, un château cligne de sa fortune, comme fit le prince de Beauveau, à Haroué. Faute d'un monument qui l'éternisé, son nom, comme son oeuvre, sont bientôt tombés dans l'oubli.

2° Signes d'opulence sous le duc Léopold

Les trente années du règne de Léopold comptent parmi les meilleures de notre histoire, grâce à la paix, qui est l'insigne bienfaitrice des peuples. Pendant que la France, l'Autriche et l'Angleterre continuaient leurs querelles, la Lorraine s'efforça de rester étrangère à la lutte. Elle dut cependant subir une troisième occupation française, qui dura douze ans, autant que la guerre de Succession d'Espagne (1702-1714), mais sans entraîner les vexations odieuses des temps précédents. Les passages de troupe, en particulier, ne furent plus une cause de ruine, car les armées prirent, dès lors, l'habitude de payer les denrées qu'elles consommaient.
Pour ne pas se trouver en face des Français, Léopold tint sa Cour à Lunéville, dont il voulut faire un autre Versailles. Sa passion de bâtir fut utile à toute la contrée. D'abord elle procura du travail (100);


Cliché du Pays Lorrain.
MAISON A DOMJEVIN (1707)

ensuite elle donna le goût des belles constructions et, certes, nos villages en avaient besoin. C'est ainsi que, dans la vallée de la Vezouze, on remarque encore un grand nombre de maisons coquettes, dont les portails ouvragés portent des dates voisines de 1710. Blâmont, plus que tout autre, suivit l'exemple de Lunéville, en échelonnant, des deux côtés de la route, les immeubles de sa grande rue. Le bel hôtel de M. du Chastelet (plus tard maison Brice, sur la petite place), le presbytère (1704), les trois fontaines (1720), l'hôpital (1726), sont de cette époque. Dans tous ces travaux, l'élégance et le confort vont de pair; les contours sont harmonieux, les courbes gracieuses, les lignes sans raideur. Ce genre d'architecture, le plus répandu dans la région, porte communément le nom du duc Léopold.
Au reste, la popularité de Léopold fut immense. Sa fête était l'occasion de réjouissances brillantes, avec feux d'artifices coûteux. La naissance de ses enfants fut célébrée avec éclat. On fit au Duc une réception solennelle, le 12 mars 1703, quand il vint installer une compagnie de ses. gardes, sous les ordres de Dutteler. Le livre des comptes nous apprend qu'à défaut des arquebusiers, non rétablis après 1636, les bourgeois défilèrent en armes, et que l'escorte des gardes suisses reçut 74 francs pour son kaslgeld (argent de buffet). La joie du peuple venait de ce qu'il se sentait revivre; celle des classes-supérieures était causée par le charme qui rayonnait à la Cour de Lunéville.
Alors que reprenait la vie intense, on a peine à voir la Collégiale de Blâmont mourir d'inanition, après trois siècles d'existence. Un rapport, adressé à la Cour, en 1698, par le curé Hocquard, exposa l'insuffisance de ses ressources et l'épuisement de son avoir, après des procès ruineux. On ne fit rien pour lui venir en aide et l'Evêque de Toul se crut obligé d'intervenir. Par une ordonnance de 1710, il unit dans une même mense, pour le chapitre de Deneuvre, les revenus de cinq établissements qui ne pouvaient plus se suffire séparément, à savoir : les collégiales de Deneuvre et de Blâmont, les chapelles Saint-Jean de Thélod, et Saint-Nicolas, d'Athienville, le prieuré de Marcy. Ainsi les neuf chanoines de Deneuvre eurent une prébende convenable. Disons tout de suite que ce ne fut pas pour longtemps, car, en 1761, un nouvel acte de l'autorité fit sombrer, à son tour, l'insigne collégiale de Deneuvre, pour en ajouter les revenus au chapitre de Saint-Dié. Tous les biens collégiaux de Blâmont passèrent à Deneuvre; l'église et les maisons canoniales furent achetées par les Religieuses de Notre-Dame, qui purent agrandir leur couvent. Des trois chanoines qui restaient, l'un, Duparc, devint curé de Couvay ; l'autre, Mougenot, curé de Gogney; le troisième, de Mortal, entra au chapitre de Deneuvre, où il mourut, en 1761, âgé de 78 ans.
Partout la population s'accroissait, comme la richesse. Les familles étaient nombreuses, et des recrues échappées aux armées, avaient fait souche dans les lieux où elles s'étaient fixées. Leur nom de Français, Picard, Bourguignon, Breton, Suisse, Lombard et d'autres, indique encore leur origine. Cependant le chiffre atteint par chaque village reste problématique, et les nombres donnés par les déclarations, autour de 1700, font l'impression d'être trop faibles. Comment croire, par exemple, que Blâmont n'avait que 185 habitants, en 1710, quand un document dé 1695 y mentionne 75 feux et 325 personnes ; ou qu'Autrepierre ne comptait, en 1710, que 19 habitants, dont 13 garçons, quand l'examen des actes paroissiaux révèle, entre 1710 et 1715, 14 familles où il y eut des naissances, ce qui en laisse supposer bien d'autres où il n'y en eut pas ? Il faut donc prendre, sous toutes réserves, les indications données par Lepage, dans ses Communes, telles que les suivantes : en 1712, Angomont, 5 habitants; Barbas, 28; Bréménil, 6 ou 7; Frémonville, 30;


Cliché du Pays Lorrain.
PORTE A MANONVILLER (1693)

Halloville, 10; Ogéviller, 25; - en 1718 - ; Reillon, 18 familles et 65 adultes; Vaucourt, 20 familles, 115 adultes; Vého, 90 adultes; Verdenal, 77 adultes.
Les déclarations, exigées par la France, vers 1768, 1782 et 1784, paraissent plus sincères, mais s'en tiennent au nombre des feux et des adultes ; il n'y aura de recensements complets que sous la Révolution. Citons les principales. En 1768, Fenneviller a 26 feux; Hablainville, 83 feux et 290 adultes; Herbéviller, 82 feux et 400 adultes; Nonhigny, 66 feux et 170 adultes. En 1782, Ogéviller a 70 feux et 260 adultes;

Plan de Blâmont en 1912 avec le Tracé des anciennes fortifications - Abbé A. Munier
PLAN DE BLAMONT EN 1912

Tanconville, 29 feux et 98 adultes; Autrepierre, 64 feux pour 58 communiants et 67 non communiants.
La preuve que l'accroissement, dû surtout à une natalité abondante, fut constant durant tout le siècle, c'est que partout on agrandit la nef des églises. Ce travail ne se fit pas sans chicanes ni sans procès, mais il aboutit toujours, parce qu'il s'imposait. Il nous donna, disons-le, des édifices d'un genre médiocre, car le style grange, partout adopté, n'a rien de décoratif; il répondait du moins aux besoins du temps.
Amenoncourt vint en tête (1724), en allongeant la nef de sa vieille église. L'abbaye de Domèvre s'exécuta d'assez bonne grâce pour Barbas et Harbouey (101), cures qui lui étaient unies. Il en fut autrement à l'égard de l'église, reconnue nécessaire à la Grande-Domèvre. L'Abbé Pîart ne pouvait se résoudre à laisser supplanter le sanctuaire abbatial, qui n'était plus un centre pour la paroisse; il ne voulait sur la route qu'une chapelle de secours. L'affaire, engagée dès 1723, resta vingt ans pendante; enfin l'édifice actuel fut achevé en 1746, mais l'auteur de tant de retards ne vit point sa bénédiction, puisqu'il mourut six mois avant. Blémerey redevint cure, en 1737, après un. procès de plus de vingt ans, intenté à l'Evêque de Metz; son église restaurée fut bénite par l'Abbé Pillerel, en 1763. A Reillon, pareil agrandissement fut achevé, en 1738. Leintrey, paroisse excellente sous la direction des deux saints curés Collignon et Gentil, voulut un monument non banal, avec portail imposant, orné de niches et de statues; le tout fut achevé en 1746. Vého, annexe de Leintrey, eut son vicaire résidant, en 1760, après avoir fait les frais d'un presbytère, d'une tour et d'une nef rajeunie.
Dès 1714, Domjevin comprit que sa nef était insuffisante, mais avant de l'agrandir, il fallut vaincre le mauvais vouloir du curé Pano et de l'Abbé de Chaumouzey, engagé tous deux dans cette grosse dépense. Dix ans se passèrent en, procès coûteux. Enfin les travaux furent mis à exécution par l'architecte Philibert et par les entrepreneurs Gay et Laurent Vanel. Le monument renouvelé fut bénit par l'archiprêtre de Marsal, le 25 mars 1733.
Gogney avait eu autrefois son église, mais elle était détruite depuis un siècle, et les offices se faisaient à quelque distance, dans l'ermitage Saint-Thiébaut. Pour remédier à cette lacune, le curé Aymond entreprit de bâtir, au centre du village, une église et un presbytère, qui furent inaugurés, le 30 juillet 1734.
Repaix renouvela, non sans peine, en 1736, un édifice, qui reste mal conçu et informe. Il fallut, dans la suite, exécuter des travaux semblables d'agrandissement à Herbéviller (en 1770), à Chazelles et à Gondrexon (en 1786), à Autrepierre (en 1789), à Nonhigny (en 1800), à Igney (en 1802), à Frémonville (en 1820), à Verdenal (en 1830).
Le style adopté partout est d'une rare simplicité, et son nom de style grange n'est pas fait pour en vanter le mérite. Blâmont comprit mieux les exigences de notre art religieux dans sa restauration de 1856, quand il érigea son église gothique, si majestueuse en sa silhouette, et si pittoresque, à l'opposé des ruines du vieux château.
On a fait au XVIIIe siècle le reproche d'aimer la chicane à outrance;


Clichés POUPIN-WERNERT.
BADONVILLER
Hôtel de ville construit sur l'emplacement de l'ancienne église - Eglise construite en 1786

point n'est besoin d'autres preuves que les affaires qui précèdent. La manie de la procédure hantait les hommes d'Eglise aussi bien que les gens de la noblesse ou de la roture. Il s'agissait pour tous de garder des droits ou des privilèges que l'on se jalousait, ou bien d'échapper à des charges parfois écrasantes. Si ce fait très humain et propre à tous les temps, s'est accentué davantage à cette époque, c'est que les institutions d'alors n'étaient plus suffisamment à jour. On devine, tout au moins, le profit qui en résulta pour les gens de loi ; ils se firent légion et prirent dans la société une place prépondérante.

3° Les derniers temps de l'Indépendance lorraine

Le milieu du XVIIIe siècle devait assister à l'agonie de la nationalité lorraine. Le duc Léopold eut une mort soudaine, le 17 mars 1729. Son glas funèbre retentit à Blâmont pendant quarante jours, et les services religieux furent célébrés aux frais du chapitre de Deneuvre. Son fils, François III, élevé à Vienne, Allemand de coeur, au dire même de sa mère, ne vint en Lorraine que pour régler une Régence qu'il confia à la duchesse Elisabeth-Charlotte. Pendant tout son séjour, il ne voulut prendre que le titre de comte de Blâmont, comme s'il dédaignait ses droits sur le duché. La déception et le blâme furent universels, quand on apprit que, par le traité de Vienne (1736), ce prince laissait à la France


Cliché du Pays Lorrain.
PORTE A BÉNAMÉNIL (1797)

tous ses droits sur l'héritage de ses ancêtres et acceptait en échange le duché de Toscane.
Par contre, on s'attacha beaucoup à la Régente, tout en regrettant certaines mesures, d'une fiscalité trop visible, comme la révision et la confirmation des titres de noblesse. Le dernier des fiefs de la contrée fut créé par elle, à Repaix, en 1736. Il porta le nom de Belmont et fut donné au sieur Poirot. Ce plaisant cottage, situé en face du village, comprenait trois maisons entourées de vignes; il avait un colombier et comportait droit de chasse pour le maître et un ami ou domestique.
Les années de la Régence furent bonnes, malgré la quatrième occupation française, qui dura de 1733 à 1738. On signale, en 1731, un hiver rigoureux et une maladie singulière du bétail, qui eut la langue rongée par un ulcère; en 1733, une invasion de souris, si funeste que les arbres en eurent l'écorce rongée jusqu'à trois pieds de hauteur et qu'en certaines paroisses on crut bon de recourir aux exorcismes; en 1734, des pluies et des orages qui causèrent de grands dégâts. En 1737, la France installa le roi Stanislas à Nancy. La Régente dut quitter Lunéville, pour se retirer à Commercy. Son départ causa une tristesse universelle, car on sentait qu'avec elle s'éloignait l'âme de la Lorraine.
Le roi Stanislas, n'ayant plus d'intérêt particulier dans le Blâmontois, ne s'en est pas occupé spécialement; il confirma ses coutumes, le 1er avril 1743; il l'honora d'une courte visite, en 1757, et c'est tout. Aussi son nom y fut peu populaire et sa fête n'y excitait qu'une joie restreinte. Prévôté, fiefs et communautés eurent surtout affaire à l'Intendant La Galaizière, qui ne se fit aimer nulle part.
On ne s'étonne pas, dès lors, que les nobles, si nombreux dans la région, aient gardé toute leur sympathie pour l'ancienne famille ducale et aient envoyé leurs fils au service de l'Autriche. René du Châtelet resta l'homme de confiance de François III et alla préparer son entrée en Toscane. Son frère, Pierre-Désiré, se couvrit de gloire dans le régiment de Tessé. D'autres, cadets, gentilshommes, gardes licenciés ou dispersés, s'enrôlèrent dans les armées de Sa Majesté Impériale et furent capitaines ou colonels sur plusieurs champs de bataille. Ainsi se distinguèrent : Bannerot, d'Herbéviller ; Nettancourt d'Igney; Martimprey, de Repaix; Barrail, Bussène, Laugier, Circourt, de Blâmont ou d'ailleurs. Il serait trop long de redire ici les hauts faits de ces personnages.
Cette fidélité lorraine donna lieu, à des contrastes étranges. Chez les Bannerot, par exemple, on put voir des fils guerroyer en Autriche et des filles donner leur main à des capitaines français, qui allaient les combattre. Chez d'autres, il y eut des festins de mariage, de baptême ou de fête, où se coudoyaient, à la même table, des officiers lorrains, français, autrichiens. La haute société d'alors ne s'en offusquait pas, pourvu que la vie fût bruyante, joyeuse et pleine d'entrain.
C'est de cet engouement de la noblesse pour le métier des armes que provint sans doute la faveur marquée que nous accordons encore à l'uniforme militaire. Blâmont ne dissimula pas sa joie de recevoir, vers 1740, une brigade de la maréchaussée. Ses édiles lui préparèrent une caserne convenable, dans des bâtiments contigus au couvent de Notre-Dame, à l'emplacement de la gendarmerie actuelle. Ses habitants entourèrent d'une vive sympathie les quatre policiers, habillés à la française, et parés des couleurs de la Pologne, jaune et noir. Quand les édits de 1740, 1743 et 1744. ordonnèrent la levée des Milices lorraines pour aller au secours de la France, le contingent demandé fut facilement atteint; Blâmont fournit, en 1741, sept volontaires et paya 189 livres pour leur équipement.
Au début de la guerre d'Autriche (1743), on craignit soudain l'invasion d'un certain Mentzel, que l'on disait arrivé en Alsace avec une armée de Suédois. L'alarme fut vive. On vit passer à Blâmont, le 20 septembre, pour se rendre à Saverne, Florent-Louis du Châtelet, à la tête d'un corps de cavalerie (102) ; il devait barrer la route à l'ennemi. Il vint alors à l'idée de quelques exaltés des montagnes de provoquer une révolte contre les Français. Tous les soirs, ils allumaient des feux sur


Cliché du Pays Lorrain.
PORTE A DOMJEVIN

les plus hauts sommets, même, sur le Donon, et leurs émissaires appelaient aux armes pour reconquérir l'indépendance lorraine.
Le bon sens des paysans laissa tomber ces provocations et les Français eurent l'habileté de ne pas s'en émouvoir. Mentzel ne parut pas et tout rentra dans l'ordre. L'année suivante, Louis XV conduisit en personne une armée à Saverne. Il passa à Blâmont, le 2 octobre, et y fut l'objet d'une ovation enthousiaste. On avait préparé des arcs de triomphe; on chanta le Te Deum et on alluma des feux de joie; les mousquetaires séjournèrent pendant dix-neuf jours. Quand le Roi fit son entrée à Strasbourg, il eut le plaisir d'apprendre que l'ennemi avait rebroussé chemin et il revint par Saales, Saint-Dié et Baccarat.
Le traité d'Aix-la-Chapelle (1748) mit fin à toutes les hostilités. Alors Blâmont vit repasser, par petits groupes, des milliers de soldats de tout pays. Son hôpital fut bientôt insuffisant à recueillir les malades et les traînards. Enfin, le flot écoulé, le calme revint.
Peu après (1751), un arrangement conclu entre le roi Stanislas et le comte de Salm eut pour résultat d'annexer la baronnie de Fénétrange à la Lorraine et de constituer la nouvelle principauté de Salm, pour le prince Nicolas de Salm-Salm. Ce petit Etat eut Senones pour capitale et comprit trente-deux villages aux environs. Il garda son autonomie jusqu'en 1793, époque où il réclama lui-même son annexion au territoire de la République.
La guerre de Sept-Ans (1755-1762) imposa de nouveaux sacrifices d'hommes et d'argent. Les deux régiments Royal-Barrois et Royal-Lorraine, recrutés dans le pays, furent très éprouvés dans le Nord; des bataillons de 650 hommes ne revinrent à Nancy qu'avec 50 ou 60 soldats, le 5 décembre 1763. Il fallut licencier ces troupes découragées.. Faute de reformer d'autres bataillons, les casernes de Nancy et d'Einville restèrent vides, et les marchands d'hommes durent suspendre leur singulier trafic. Du reste, le règne de Stanislas approchait de sa fin et, par la force des traités, le duché de Lorraine allait cesser, en 1766, quand le monarque exhala son dernier souffle.


ARMOIRIES DE CIREY
Armoiries du grand chapitre de la cathédrale de Metz concédées à quelques villes de la région, à la suite des décrets de la Chambre d'annexion (1683)

II - Le Bailliage

1° Son ressort

Le roi Stanislas garda longtemps les rouages administratifs imaginés par Léopold, et personne ne s'en plaignait, quand, en 1751, il promulgua un nouveau remembrement de la Lorraine. Le motif était évident : il fallait se rapprocher davantage de l'organisation française. Les changements visèrent surtout la justice et les finances. Les prévôtés changèrent leur nom pour celui de bailliage; les coutumes locales furent conservées. Le bailliage de Blâmont fut subordonné à celui de Lunéville; comme il était seulement de seconde classe, il n'eut pas de bailli résident. II eut à peu près la même étendue que la prévôté. Perdant Emberménil et Domjevin, qui furent rattachés à Lunéville, il obtint Avricourt, Barville, Saint-Martin, Verdenal et Xousse. Les villages ou portions de villages déjà déclarés français ressortirait au bailliage de Vic, ainsi : les deux châtellenies de Lagarde et de Baccarat, les villages de Vého, Herbéviller, Mignéville, Fréménil, Buriville et les portions françaises de Halloville, Harbouey, Couvay, Avricourt et Xousse. Les offices reçurent des noms différents et, chose plus grave, furent attribués à d'autres titulaires, ce qui provoqua des murmures.
La Cour bailliagère fut ainsi composée :
1° le chef de police, appelé lieutenant général civil et criminel, ou subdélégué de l'intendant. Ce fut Antoine Duban, seigneur de Parux et Frakelfing, auparavant procureur, mort en 1757 et remplacé par Jean-Baptiste Fromental (103);
2° Le lieutenant particulier assesseur;
3" Cinq conseillers assesseurs.
Près du tribunal furent le procureur et son substitut, deux greffiers, deux huissiers, deux notaires et plusieurs avocats (104). Les audiences avaient lieu le lundi.
Pour les finances, il y eut :
1° Le receveur, nommé capitaine général des fermes, ou entreposeur du bureau de Blâmont. On vit dans cette charge : Poirot, Maton, Piètre, Bour, Babillotte, qui passèrent vite;
2° Le contrôleur des actes : Michon, puis Leclerc ;
3° Le curateur en titres: Pierre Marotel ;
4° Le commissaire aux saisies réelles : Mathieu Hachon.
Ces derniers furent plus stables et acquirent quelque notoriété.
Il faut rapprocher de ces charges la poste aux chevaux et la poste aux lettres, qui eurent un bureau à Blâmont. Stanislas voulut des routes parfaites pour les avantager et Blâmont s'imposa, dans ce but, de lourds sacrifices. En 1743, on planta des arbres pour border la chaussée; en 1747, on adoucit la montée qui se trouve sous le bois de Trion. Le relais de Blâmont fut toujours des mieux achalandés et il enrichit l'un après l'autre les maîtres qui tinrent son hôtel : Chrétien, mort en 1694; Frémion (1708) ; Royer (1734) ; Michault (1760) ; Mayeur (1772) ; Jacques Klein (1787); Leclerc, Helluy, etc..
Les messageries ou poste aux lettres, fonctionnèrent, dès 1730, par les soins de Mathieu (1738); Huin (1753); Marmod (1763); Chanel (1772).
Ce régime déjà lointain a pu laisser des souvenirs amers. Les impôts furent très lourds et le mode de leur perception par les fermiers particulièrement odieux. On ajouta aux contributions en vigueur sous Léopold, la vente des sels et tabacs, le droit de contrôle, le timbre, le greffe, l'amortissement. On imagina le vingtième ou capitation, les ponts et chaussées pour payer les oeuvres d'art sur les routes; les impositions accessoires pour l'armée et les canaux; la foraine, sorte de douane poulies marchandises échangées entre la Lorraine et les Trois Evêchés ; enfin les impôts en nature, la milice, la corvée des chemins (105). Tant de charges appauvrirent la. région et ralentirent l'élan qui aurait dû lui faire accepter l'autorité française.
L'édit royal d'octobre 1771, qui modifiait le fonctionnement des cours bailliagères, ne fit à Blâmont que des changements peu importants. Les offices eurent des finances plus élevées et des titres plus sonores, mais les titulaires ne changèrent pas. A la lieutenance générale se succédèrent : Jean-Baptiste Fromental, de 1771 à 1784; Christophe Batelot (1788); Justin-Louis Fromental, le cadet, (1790) (106).
L'hôtel de ville, adoptant les manières françaises, s'entoura de majesté et tint ses séances le samedi. Ses douze conseillers furent nommés par le roi et eurent chacun un titre : maire royal, lieutenant de maire, échevin, procureur syndic, etc.. ; leur charge achetée conférait une sorte de noblesse (107). Cependant la prospérité de la ville cadrait peu avec le faste prétentieux de ses édiles. Son budget, satisfaisant avant 1766, baissa toujours depuis et finit par inquiéter par son déficit (108). La cause en fut la ferme appliquée aux octrois municipaux et diverses dépenses inattendues. Les bâtiments communaux se trouvèrent tellement délabrés, en 1756, qu'il fallut songer à les reconstruire. Après avoir acheté l'hôtel de Marinier pour une installation provisoire, on rebâtit sur place, d'après les plans de l'architecte Laine. L'ouvrage était à peine fini qu'il devint la proie des flammes (24 avril 1761). Cet accident entraîna l'achat de pompes, chez Lafont, chaudronnier à Lunéville. La dépense fut de 1.488 livres. Ces instruments étaient une nouveauté. Ils ne devaient se vulgariser et entrer dans la pratique de nos villages qu'un siècle plus tard.
Le nouvel hôtel rétabli ne satisfit personne : il était trop étroit, sans grâce, inférieur de toute façon à l'attente d'une ville qui atteignait 2.000 âmes et se payait le luxe d'un second sergent de police tout galonné d'argent. D'autres frais s'imposaient pour l'hospice, pour les classes de filles, pour les rues non pavées. L'église surtout criait misère; à force d'être retouchée, elle devenait informe; on l'aurait voulu placée plus au centre; tout au moins fallait-il l'agrandir comme dans les paroisses voisines ; mais l'Abbé de Haute-Seille et les curés se retranchaient dans une opposition irréductible; on se contenta des réparations les plus urgentes.
Les orgues qui, en plein Credo de Pâques, avaient refusé leur service, au grand effarement de l'organiste, furent restaurées, en 1762, par le facteur Dingler. Les cloches se trouvaient à l'atelier pour leur refonte, quand mourut Stanislas ; elles ne furent prêtes à sonner son glas funèbre que l'année suivante. Ainsi s'accentuait de jour en jour le malaise dans une ville qui avait tout pour être prospère.
Dans les villages, les affaires étaient plus simples. Le curé, le maire et les échevins s'occupaient également des intérêts religieux et civils : les délibérations se prenaient sous le porche, à la sortie des offices, et se promulguaient au prône : ainsi s'est formée la coutume, naguère encore en vigueur chez nos gens, de stationner, le dimanche, sur la place de l'église, pour un brin de causette, avant de rentrer au logis. Des améliorations importantes dans les habitations et les voies de communications furent le fruit d'un travail opiniâtre, favorisé par la paix. La population devint surabondante et connut l'aisance. Pourtant il y avait des abus partout, qui provoquèrent, plus tard, les nombreuses doléances consignées dans les Cahiers des Etats généraux.

2° Coup d'oeil général sur la Société blâmontaise

Ce n'est pas exagérer ni flatter que de reconnaître au milieu blâmontais une distinction plus qu'ordinaire. Les pratiques chrétiennes y étaient en grand honneur, sous l'impulsion quelque peu rigoriste d'un clergé de valeur. En 1729 et en 1745, les missions avaient fait grand bien. Il y avait, dans presque toutes les paroisses, des confréries du Saint-Sacrement et de la Sainte-Vierge. A Blâmont, florissaient en plus celle du Saint-Suffrage, pour les âmes du Purgatoire, et celle de l'Annonciation, réservée aux hommes (109). Le couvent des Capucins, les abbayes de Haute-Seille et de Domèvre étaient de précieux foyers d'édification. Douze cures unies étaient desservies par des chanoines réguliers et plusieurs d'entre elles eurent des curés modèles (110). Cependant, vers 1770, les idées philosophiques, venues de France, introduisirent dans cette Congrégation religieuse un relâchement fort regrettable. Les moines de Domèvre principalement en furent victimes.
L'abbé Chatrian, l'annaliste ecclésiastique bien connu, en a fait la remarque en 1781, quand il écrivit avec sa malice habituelle : «  Les religieux du vieux chrême se font rares... Le P. Saintignon, général et abbé de Domèvre, est allé à Belchamp, et y a vu le P. Petitjean, vieux et infirme, qui lui a articulé qu'avant de mourir il voudrait bien voir la Congrégation comme elle était auparavant, parce qu'on ne la reconnaissait plus; l'Abbé a tourné les talons et rangé sa frisure factice, mais s'est bien gardé de lui répondre » (111). Peu après la décadence fut telle que ces prêtres firent tous défection, quand la Révolution ouvrit les portes des couvents.
Les curés séculiers étaient devenus assez nombreux pour desservir les paroisses non unies aux monastères et ils égalaient les réguliers en science et en zèle. On en voit plusieurs qui étaient issus de familles nobles, tels que : de Cliquot, à Repaix; de Magnier, à Frémonville; de Circourt, à Reillon; le Faucheur, à Herbéviller; le Paige, à Xousse; le Duc, à Leintrey. D'autres étaient originaires de la région et même de Blâmont, que la classe de latinité avait transformé en une pépinière d'ecclésiastiques distingués, appelés ses enfants-prêtres (112). Quelques-uns furent célèbres. On n'a pas oublié, à Ogéviller, le court ministère des chapelains suivants : Chatrian (1770), devenu curé de Saint-Clément; Galland, devenu curé de Charmes ; Collet et Mangin, guillotinés à Mirecourt en 1794. Normand eut, à Blâmont, un rôle fécond, de 1715 à 1747. Son successeur, Lacour, fut très discuté. Après avoir réalisé des fondations utiles, comme la Fabrique paroissiale (1760) et l'école des garçons, confiée aux Frères des Ecoles chrétiennes (1755), il dut partir en disgrâce à Amenoncourt (113), d'où il revint quelques années après, pour mourir à Blâmont, en 1790.
Tout autre fut Rollin (1770-1780), docteur en théologie, qui, après Blâmont, administra la paroisse Saint-Nicolas de Nancy. La classe de latinité lui parut tellement importante qu'il n'hésita pas à demander le concours d'un second vicaire qui pût lui donner tout son temps. Le curé Toussaint (1780-1785) était d'une valeur moindre (114); il mourut au cours d'une épidémie.
Son vicaire, Desjardins (115), montra, durant cette épreuve, un dévouement intrépide et les paroissiens le demandèrent comme curé; mais la supplique manqua son but, pour un motif inconnu. Le vicaire dut se rendre à Pexonne, pour remplacer Guillot qui fut nommé à Blâmont (116).
Après une réception plutôt froide, ce pasteur finit par gagner l'estime de ses ouailles.
Pourquoi en faire mystère ? Certains reproches pèsent sur ce clergé du XVIIIe siècle. Dans l'ensemble, il a trop aimé les procès; mais il n'était pas seul à partager cette manie, et il faut convenir que les institutions de ce temps y prêtaient. La Révolution, en pratiquant des coupes sombres, a-t-elle trouvé le vrai remède ?
Certains prêtres, même dans le Blâmontois, ont aussi mérité l'épithète de mondains, à cause de leurs allures trop libres et de leurs opinions avancées. Les plus incriminés furent : Deveney, curé de Couvay, peu soucieux de sa paroisse et trop assidu à la Cour de Lunéville; Marotel, curé de Vacqueville, et Grégoire, curé d'Emberménil, qui donnèrent leur nom aux Loges philantropiques de la contrée. Ces exceptions furent rares et ne firent pas école. S'il faut regretter ces taches, on peut faire observer qu'il y eut ailleurs des désordres plus graves.
Un autre trait, propre à la société que nous étudions, fut son engouement pour l'instruction à tous les degrés. On était, ne l'oublions pas, au siècle de l'Encyclopédie. Notre milieu, épris de ce noble élan, trouvait de quoi le contenter. Sans aller jusqu'à prétendre que les écoles fussent assez fréquentées, nous pouvons affirmer qu'elles étaient en nombre suffisant.
Chacun de nos villages, même Gondrexon, avait son maître ou régent d'école, dûment engagé vis-à-vis de la communauté, sous l'oeil vigilant du curé. Nos archives communales possèdent plusieurs contrats de ce genre, dont les clauses sont connues; elles renferment aussi des conventions pareilles avec les sages-femmes et autres personnes qui s'astreignaient à un service public.
A Blâmont, ce fut un vrai luxe d'écoles très florissantes. Pour les garçons, il y eut : la classe de latinité, inaugurée par des maîtres laïcs, vers 1720, et continuée par les vicaires; l'école de la communauté, existant de temps immémorial pour les deux sexes, et confiée à des régents, toujours bien choisis, dont le type est resté légendaire, dans la personne de Chaudron ; l'école des Frères de la Doctrine chrétienne, dont la durée fut courte, de 1755 à 1790. Pour les filles, il y eut : le pensionnat des Religieuses de Notre-Dame (117), repris vers 1660, qui eut le grand mérite d'inculquer à la classe riche l'éducation et la tenue si élevéee qui la caractérisaient dans la petite ville; l'école des filles, inaugurée, en 1770, par trois soeurs Valelotines ou de la Doctrine chrétienne, qui continua ses services jusqu'à la fermeture des écoles congréganistes, vers 1905.
Il suffit d'ouvrir les registres paroissiaux de cette, époque pour constater les bons effets de tous ces établissements; très peu d'actes, à Blâmont, portent, comme signature, la croix, qui était l'indice des illettrés. Non seulement les connaissances essentielles, mais aussi les arts d'agrément pouvaient être appris, et nous trouvons, dans les comptes de la ville, des subventions accordées à l'organiste, au professeur de musique vocale et instrumentale, et même au maître de danse.
Ces goûts avaient été inspirés, jadis, par les familles nobles, autrefois nombreuses et influentes, mais alors remplacées par des bourgeois et des gens d'affaires. Ils se perpétuaient, s'accentuaient même dans la nouvelle élite où figuraient les Fromental, les Regneault, les Régnier, les Batelot, les Zimmermann, les Mayeur, les Lottinger, les Lafrogne, les Chazel et d'autres. Sur ce milieu quelque peu prétentieux, voici des anecdotes savoureuses que nous a laissées Chatrian, toujours malicieux : «  Les dames de ce grand monde se rendent à l'office en litière... - L'abbé Gantrelle (vicaire en 1785) a prêché à l'hôpital, en arrivant, et a dit que les gens de ce lieu avaient' tous les vices des grandes villes, sans en avoir les qualités. Ce propos peut être vrai, mais ne fit sûrement pas plaisir... - L'abbé Gantrelle jouit d'une vogue considérable, les dames et les demoiselles sont fréquemment chez lui pour jouer, pour déjeuner ou pour des fêtes brillantes... On dit aussi qu'il peint en noir, dans la chaire sacrée, les femmes qui ne sont pas de la coterie de celles qu'il voit. » Ces propos et ces actes exposèrent l'imprudent vicaire à plus d'une perfidie féminine et, au bout d'un an, force lui fut de se retirer, les ailes brûlées.
Les villages des alentours n'avaient pas si grand genre; plusieurs cependant possédaient des fiefs où résidaient des familles nobles, telles que celles de Martimprey, à Repaix; de Pindray, à Frémonville; de Bussène, à Igney; de Mirbeck, à Barbas. Leur présence faisait apprécier à leur entourage les charmes de la bonne société. Le plus favorisé de ces villages fut, sans contredit, Herbéviller. Là se déroulèrent des jours inoubliables, au temps du sieur de Bouchage et de Pierre de Ligniville, son gendre. Les fêtes de 1766, organisées pour la fusion des deux seigneuries du lieu, émerveillèrent toute la contrée (118). Ce ne fut, hélas ! qu'un feu de paille, que n'entretint pas le dernier seigneur, Nicolas de la Garde de Fage et qu'éteignit la Révolution, qui était imminente.
Parmi les préoccupations de cette époque, pour beaucoup entachées de vanité, triompha toujours le souci de la charité et cette note est à l'honneur du pays. L'hôpital Saint-Jean de Blâmont, en particulier, fut toujours l'objet de générosités remarquables. Les bâtiments avaient été améliorés; la dotation grandissait. Jusqu'en 1771, trois Soeurs Vatelotines en assuraient le fonctionnement. Sans qu'on puisse en découvrir le motif, ces trois religieuses durent laisser la place à des Soeurs de Saint-Charles et assumer la direction de l'école de filles, récemment fondée. Les nouvelles venues égalèrent les anciennes en dévouement. Ce furent : Soeur Marie Badel, économe, professe de 1758, dont la charité fut héroïque dans l'épidémie de typhus, en 1785. Chassée de Blâmont, avec ses compagnes, par l'application des lois, elle reprit aussitôt la direction du Coton, à Lunéville, y tint tête à l'orage révolutionnaire et y termina ses jours en 1812, vénérée de toute la population. Soeur Monique, professe de 1767, fut pharmacienne, et, au sortir de Blâmont, se rendit à


HÔPITAL DE BLÂMONT cliché PIERSON

Gondrecourt, où elle finit sa carrière comme supérieure. Soeur Agnès Grandmaire fit la classe aux orphelines de la maison; elle fut la seule à revenir, avec d'autres compagnes, quelque temps après son départ forcé.

3° Passage à Blâmont de Marie-Antoinette d'Autriche

Le ministre Choiseul ayant négocié le mariage du Dauphin avec Marie-Antoinette, archiduchesse d'Autriche, on fixa la date de la cérémonie au mois de mai 1770. La Cour de Vienne fut conviée à une bénédiction préparatoire, avant le départ de l'auguste fiancée. Joseph II, tenant la place du Dauphin, conduisit sa soeur à l'autel. Le lendemain commença le long voyage vers la France. Sitôt arrivée au pont de Kehl, sur le Rhin, l'Archiduchesse fut accueillie par la députation chargée de lui présenter les hommages du. roi Louis XV. Après les compliments, elle déposa ses habits pour revêtir le costume qui lui venait de France, et fit. connaissance avec les personnes de son nouvel entourage. En entrant à Strasbourg, elle fut arrêtée, sous la porte, par le maire et les échevins, et écouta leur harangue. Comme elle était en langage du pays, Marie-Antoinette interrompit dès les premiers mots, et dit au maire : «  Parlez français, Monsieur, je n'entends plus d'autre langue que la française ».
Paris attendait avec impatience l'arrivée du royal cortège : aussi les arrêts furent-ils partout très courts. A Blâmont, on avait préparé, pour fêter son passage, des décorations magnifiques, mais on ne peut dire si la Souveraine daigna descendre de son carrosse. Elle put constater, du moins, que pour les descendants des anciens ducs, les sentiments lorrains étaient toujours vivaces dans la petite cité. On sait par une lettre, conservée à Emberménil, dans laquelle il était enjoint d'envoyer à Bénaménil un postillon et douze chevaux pour le relais de la Dauphine, que le passage de cette dernière eut lieu le 8 mai. Le mariage princier fut célébré à Paris, le 10 mai ; quatre ans plus tard (10 mai 1774) s'éteignait Louis XV. Blâmont ne vit plus, dans la suite, que l'arrivée de l'archiduc Maximilien, le 2 mars 1775, et de l'empereur Joseph II, voyageant sous le nom de comte de Falkenstein, le 10 avril 1777. La paix régnait toujours, mais une paix pleine de malaises. Pour y remédier, il fallait des réformes sociales. On les attendit des prochains Etats généraux.

[NDLR : plusieurs erreurs de date dans ce passage. Marie-Antoinette entre en France le 8 mai 1770, et fait étape à Saverne. L'étape suivante la mène à Nancy le 9 mai (et non le 8) où elle se recueille dans l'église des Cordeliers. Le 10, elle atteint Bar-le-Duc, le 11, Châlons-sur-Marne, le 12, Soissons, dont elle ne repart que le 14. C'est le 16 mai 1770, que Marie-Antoinette épouse le dauphin à Versailles]

4° Préparation aux Etats généraux

Le mauvais état des finances publiques était le gros sujet d'alarme pour le pays. La convocation des Etats généraux parut être un moyen efficace pour faire renaître la richesse et pour procurer en même temps ce que prônaient toutes les bouches : la liberté, l'égalité, la fraternité. Le Blâmontois partagea l'illusion générale.
Comme les assises solennelles devaient s'ouvrir en mai, on fit, en février, les préparatifs exigés, à savoir : l'élection des délégués et la rédaction des cahiers de -doléances ou de voeux à présenter (119). Deux ordonnances royales avaient réglé l'ordre à suivre en Lorraine. Chaque bailliage dut choisir d'abord un représentant des trois ordres, et celui-ci dut aller voter à l'assemblée, dite de réduction, qui devait désigner les députés de la province.
L'assemblée préliminaire de Blâmont eut lieu le 16 mars. Les locaux de l'hôtel de ville, se trouvant trop petits, on se réunit dans la grande salle des Capucins; le bailli, M. de Lubert, ne se présenta pas; le président fut donc Louis Fromental, lieutenant général, et l'assesseur Charles Regneault, procureur du roi. Le Clergé fut placé à droite, la Noblesse à gauche et le Tiers au centre. L'appel nominal fit constater la présence de vingt-six ecclésiastiques, tous abbés, curés ou vicaires en exercice.
Firent défaut : M. de Cambis, abbé de Haute-Seille et le Chapitre de Saint-Dié, seigneur de Verdenal. La Noblesse fut représentée par MM. de Cheville (Montreux), de Laugier (Belcourt), Leclerc, receveur des domaines à Blâmont, le Paige, Mathieu de Sailly (Repaix), Antoine de Sailly (Frémonville), de Barrail, de Bussène (Igney), de Mitry (Repaix), Abram, Desbournot (Grande-Haye), Mme de Pindray. Firent défaut : de Marinier (Grandseille), le prince de Salm, le duc de Richelieu (Foulcrey). de Coussay (Barville) et Poirson (Sérolle). Le Tiers-Etat eut cinquante représentants, élus en assemblée paroissiale, entre le 10: et le 15 mars, à raison de deux par village.
On prêta le serment exigé, puis on procéda au choix des trois délégués. Pour laisser à chaque ordre plus de liberté, on forma le bureau dans trois chambres séparées. Le plus pressant était de désigner les délégués; la rédaction des cahiers se ferait plus à loisir et chacun pourrait s'en retourner le jour même. Il n'y eut pas de difficulté pour la Noblesse et le Tiers, le choix tomba sur M. de Bussène et sur MM. Fromental et Gérard de Barbas. Dans le Clergé, les compétitions furent vives. Les chanoines réguliers ambitionnaient l'honneur d'être élu pour leur général, M. de Saintignon ; ils avaient, dans ce but, mobilisé tous leurs hommes ; mais les curés séculiers ne l'entendaient pas ainsi et s'étaient coalisés en faveur de Mena, curé de Foulcrey. Au premier tour, le général eut 13 voix et Mena 14. Les forériens, écrit le malicieux Chatrian, se récrièrent et voulurent annuler le vote pour vice de forme. Un second, un troisième tour donna les mêmes résultats, et Mena fut élu. Cet incident, minime assurément, montre que réguliers et séculiers, tout en vivant côte à côte, différaient d'opinions sur plusieurs points; la suite le prouvera plus amplement.
Les cahiers primaires des paroisses furent remis aux commissions pour être fondus en un cahier général, et une nouvelle convocation fut lancée, pour le lundi 23 mars, afin de faire approuver ce cahier; mais très peu de membres se présentèrent. On n'y vit aucun chanoine régulier, pas même le président de la Chambre ecclésiastique. Les trois cahiers de chaque ordre étant arrêtés, on voulut les réunir en un seul, mais, faute d'accord, on décida que les «  trois fascicules resteraient suivant leur forme et leur teneur, cotés, paraphés et cachetés ». Les cahiers de la Noblesse et du Tiers ne sont pas parvenus jusqu'à nous, peut-être n'ont-ils pas été imprimés. Celui du Clergé, reproduit dans la brochure de Mgr Jérôme, est peu original et bien inférieur à celui que Grégoire fit admettre à Lunéville. La tâche du bailliage était finie. On sait que l'assemblée de réduction, tenue à Nancy, le 6 avril, désigna huit députés, dont trois étaient originaires du Blâmontois : l'abbé Grégoire, Regneault et Régnier.
Ne pouvant analyser les divers cahiers de la région (120), disons seulement que tous déplorent la mauvaise répartition des impôts depuis les quinze dernières années. Ils réclament l'abolition des lettres de cachet, des péages ou douanes intérieures, des charges vénales, des privilèges, colombiers, droit de chasse.
Ils demandent la diminution du sel, du tabac, l'unification des poids et mesures, l'arrêt des industries qui consomment trop de bois, comme les salines, les forges, les faïenceries, parce que les pauvres ne peuvent plus bâtir ou se chauffer.
Badonviller voudrait redevenir la cité importante qu'elle était jadis. Il faudrait achever la route qui s'embranche à Ogéviller sur la route nationale et qui se rend en Alsace par le Donon; la distance de Strasbourg serait ainsi abrégée de cinq lieues, et Badonviller, qui est sur ce parcours, en tirerait profit, Vaucourt a un préambule curieux, dicté sans doute par Grégoire, son curé : «  Le Roi se montre un père; montrons-lui qu'il a en chacun de ses sujets un enfant. Répondons à sa tendresse par les témoignages les plus grands d'une amitié sincère et d'un dévouement sans bornes. »
Herbéviller laisse percer de l'indépendance dans l'écrit de son maire, Vourion : «  Les habitants, pénétrés de la bonté paternelle du Roi, voudraient n'avoir à lui faire entendre que l'expression de leur bonheur... mais telle est l'étendue de leurs maux qu'ils ne peuvent que lui proposer leurs plaintes... Pour les impôts, le fardeau en est devenu accablant, et, comment ne pas gémir, quand on voit côte à côte tant de privilégiés exempts de ces impositions ? »
En somme, les désirs exprimés étaient légitimes et ils revêtaient une forme convenable, mais les appétits qu'ils déchaînèrent dépassèrent les bornes. Le mouvement, en devenant révolutionnaire, engendra des maux pires que ceux dont il cherchait la guérison.

5° Les Ferments révolutionnaires

Le Blâmontois évoluait, dans ses idées et dans son aspect, tout autant que les autres régions. Comme les légistes avaient remplacé la noblesse ancienne, ainsi les tendances françaises supplantèrent l'esprit lorrain. Le peuple accorda d'instinct sa confiance aux maîtres du jour. On saisira très bien l'état de l'opinion publique, en examinant la physionomie morale des trois personnages que l'Assemblée de Réduction tira de notre Blâmontois pour les envoyer siéger à la Constituante : j'ai nommé l'abbé Grégoire, Régnier et Regneault. Quoique d'esprit différent, ils furent tous trois des hommes de valeur et jouèrent un rôle fameux. Nous devons les faire connaître.
L'abbé Grégoire (121), né à Vého, en 1750, prêtre de Metz en 1775, fut curé d'Emberménil de 1782 à 1792. Une intelligence ouverte et un coeur ardent s'alliaient en lui à une élocution facile et enjouée ; son physique agréable rehaussait encore ces qualités; aussi ses confrères l'avaient-ils en grande considération. Pourtant on le savait plus mondain que pieux. Dès son temps de vicariat, il affectait d'être philanthrope; il avait donné son nom à une loge maçonnique de Nancy; certains sermons sur les images des Saints placées dans nos églises avaient paru tenir plutôt d'un protestant que d'un prêtre catholique. Mais sa tolérance en politique lui avait valu les bonnes grâces du monde cultivé et même l'Evêque de Nancy l'estimait assez pour désirer l'avoir comme collègue aux Etats généraux.
Grégoire, nommé député dans le rang du Clergé, se rendit à Versailles et rompit presque tous ses rapports avec sa paroisse. En quittant Emberménil, il terminait la première phase de sa vie, celle, disait-il, qui l'avait rendu le plus heureux. On le verra, dans la suite, mêlé aux débats les plus importants de la Révolution, et dépenser son activité tenace au service de causes parfois regrettables.
Claude-Antoine Régnier (122), né à Blâmont, le 5 novembre 1746, était fils d'Ambroise Régnier, originaire de Saint-Dié, et de Marie-Françoise Thiry, d'Herbéviller. Après de bonnes études à la Faculté de droit de Strasbourg, il se fit inscrire: comme avocat au barreau de Lunéville. Il s'y maria avec Charlotte Lejeune et en eut dix enfants, dont seuls survécurent un fils et une fille. Pour débuter, il s'était mis au service de Louis de Salm, comme procureur général de sa principauté. Mais il fallait à son talent un théâtre plus vaste, et il quitta Senones, en 1775, pour venir plaider au Parlement de Nancy. Son habileté professionnelle le mit fort en vue : aussi fut-il désigné pour l'Assemblée de Réduction comme député du Tiers aux Etats généraux. Il était sorti en tête de la liste. Il fut chargé de porter les Cahiers de son Ordre. II lui arriva une mésaventure. En ouvrant ses malles, à Paris, il eut la désagréable surprise de constater que ses papiers étaient disparus; il dut en demander à Nancy une autre expédition, et l'incident n'eut d'autre conséquence que de faire retarder le dépôt de ses pièces.
Régnier, comme ses confrères lorrains, soutenait la Monarchie, mais partageait les préventions courantes contre l'Ancien Régime. Il siégea toujours aux côtés de Mirabeau. Ecarté de la Législative, il revint à Nancy et donna son temps aux affaires municipales. Président du Directoire du District, il parut bientôt trop modéré et eut l'honneur d'être destitué. Retiré dans sa propriété de Maxéville, il était sur le point

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D'après une gravure appartenant à M. P. DELAVAL, arrière-petit-fils du Grand-Juge

d'émigrer, quand il apprit l'arrestation de son père, motivée par sa propre conduite. Aussitôt il courut à la police, pour le délivrer, et resta sous les verrous jusqu'à la chute de Robespierre.
Nous le retrouverons plus tard auprès de Bonaparte, qui l'appela à une brillante carrière, en lui confiant la réorganisation de la Justice, avec le titre de grand juge, et le fit duc de Massa di Carrara. Thiers l'a défini : «  Magistrat instruit et disert et, par dessus tout, honnête homme. » Thibeaudeau l'avait pareillement jugé, le jour de sa nomination, quand il disait à l'Empereur : «  C'est un honnête homme, vous ne pouvez faire un meilleur choix. »
Charles Regneault (123) vit aussi le jour à Blâmont, le 15 février 1755. Ses parents étaient originaires de Froville. Muni de ses grades, il vint se fixer à Lunéville comme avocat, puis comme conseiller au Tribunal. Il y épousa Charlotte Chipel, en 1785, et en eut quatre enfants. Cousin de Régnier, il partageait ses idées et se montra d'un caractère aussi noble, mais eut une fortune moins brillante. Habitant Nancy au temps de la Révolution, il se fit remarquer dans la journée du 31 août 1789, et faillit trouver la mort, en intervenant pour la conciliation, Blâmont le revit comme président du Tribunal de son district, mais pendant un an seulement (1791). Nancy le rappela pour lui confier une Justice de Paix. Souvent son équité le mit à deux doigts de sa perte, mais elle ne fléchit jamais. Les mauvais jours passés et l'ordre rétabli, le magistrat intègre s'en fut à Paris, pour collaborer à l'oeuvre de Régnier, jusqu'à ce que la mort l'enlevât, en 1811.
Des hommes ainsi doués auraient pu élaborer de sages réformes. Pourquoi faut-il que les passions de la multitude aient contrarié leurs projets pleins de promesses, en les faisant dévier vers le désordre ? Dans nos régions écartées de la capitale, les discussions de Paris et de Versailles passionnaient tous les esprits; le peuple s'arrachait les nouvelles à l'arrivée des voitures de poste, et l'effervescence se propageait jusqu'au sein des villages, avec la rapidité d'un incendie. On a peine à le croire : l'abbaye de Haute-Seille, en son isolement, fut, le 1er août 1789, le théâtre de l'échauffourée suivante (124). Les sujets de l'Abbé avaient de forts griefs contre lui et contre M. de Prémont, seigneur de Cirey, à l'occasion de leurs droits forestiers. A la suite des propos colportés dans le pays, ces paysans se figuraient que le Roi allait abolir toutes les servitudes; ils se mirent en tête d'exiger la livraison des titres qui les consacraient. Voilà donc les gens de Hesse, Biberskirch, Trois-Fontaines, Harzviller, Hermelange et Niederhoff qui se donnent rendez-vous à Tanconville, afin d'aller ensuite réclamer à l'Abbé les titres qui les concernent.
La foule arrive menaçante, vers midi, et sonne à la porte du monastère. L'Abbé, M. de Cambis, était absent; les moines, effrayés, se gardèrent bien d'ouvrir. La porte céda bientôt sous les coups de hache, et, en un clin d'oeil, la cour intérieure fut envahie. Les assaillants, rejoints bientôt par des gens de Cirey, de Bertrambois et Lafrimbole, sont au nombre de trois ou quatre cents; le tocsin sonne et le prieur se présente. Les habitants de Hesse, qui sont en tête, réclament les titres qui les concernent, disant qu'ils se retireront, quand ils les posséderont. Le prieur refuse naturellement de les livrer. Les cloîtres sont alors envahis


Cliché CUISSARD.
HÔTEL DE VILLE ACTUEL DE ClREY

et la salle des archives prise d'assaut. Sur les entrefaites arrive M. de Prémont, escorté de sept hommes armés. La vue des fusils met le comble à l'exaspération, les insurgés éventrent la salle voûtée, brisent les armoires, emportent ou déchirent les vieux parchemins et ne se retirent que le soir, après mille dégradations stupides, sans cependant verser. de sang.
Le prieur n'avait plus qu'à porter aussitôt sa plainte à Blâmont et à Lunéville, et à demander réparation pour les dégâts commis. C'est ce qu'il fit. On pourra dire que ces excès étaient le fait de montagnards à l'humeur brutale et trop prompte, c'est vrai ; mais c'était l'indice d'une nervosité qui devenait générale et aboutit trop souvent à d'horribles forfaits.
La ville de Blâmont n'eut point à déplorer des manifestations aussi violentes, mais il s'y révéla peu après des signes non équivoques d'agitation sourde et l'ébauche d'un club semblable à ceux de Paris. L'âme en fut un certain Claudon, que nous retrouverons plus tard, et le siège, sa propre auberge. Par ses menées, il s'attire un procès, en octobre, et se voit condamné, pour avoir sonné, sans permission, une cloche de l'église, dans le but d'indiquer l'heure d'une réunion démocratique.
Toute cette agitation porta les masses à s'inquiéter pour leur propre sécurité et leur fit accueillir avec joie l'institution de la Garde citoyenne. Le bataillon de Blâmont fut formé, en novembre 1789, et reçut comme chefs : Lafrogne et Thouvenin (125). La plupart des villages se donnèrent des milices semblables, entr'autres Nonhigny et Halloville. Chazelles assurait, à la date du 6 décembre, des patrouilles journalières; son contingent était divisé en quatre pelotons de six hommes chacun ; les rondes de nuit surtout se faisaient avec ponctualité. Ces initiatives étaient l'occasion de nombreuses parades et d'élections variées. Le peuple, en s'y délectant, croyait tenir la justice et la liberté que caressaient ses rêves. L'Ancien Régime, depuis la nuit du 4 août, recevait coups sur coups; il devait fatalement en mourir. Cependant les sacrifices offerts sur l'autel de la Patrie ne calmèrent pas la poussée de la Révolution ; au contraire, ils en exaltèrent les exigences.

(Suite)


(95) Par ordonnance de 1707, ce titre, de même que celui de lieutenant particulier du bailli, qui faisait double emploi, fut remplacé par celui de lieutenant général de police et gruyer, ou même, après la mort de Léopold, par celui de subdélégué de l'Intendant.
(96) Sa femme, Marguerite Bouchard, mourut à la Visitation, en 1720, près de sa fille, Angélique, religieuse. Un fils, Charles-Edmond, fut lieutenant au bailliage de Lunéville, et mourut en 1713.
(97) Un édit de 1700 fixa ainsi les droits du Sceau : pour changement de nom, réhabilitation, lettres de gentillesse, reprise d'un titre maternel, 140 francs; pour érection d'une baronnie, 280 francs; pour un titre de comte et de seigneur, 350 francs; pour un titre de marquis, 525 francs. Il fallait compter, en plus, diverses reconnaissances en espèces sonnantes, qui étaient partout bienvenues.
(98) René-Luc-François du Chastelet était fils cadet de Pierre-Antoine (branche de Cirey-Vôge) et d'Elisabeth Richard de Jaulny, morts tous deux à Blâmont, en 1712. Il épousa, en 1710, à Blâmont, Marie-Catherine de Flemming, Irlandaise, d'une grande beauté. Ils moururent à Blâmont, l'un en 1755, l'autre en 1756, mais furent inhumés à Cirey. Tous leurs fils moururent sans postérité ; Marie-Catherine, leur unique héritière, se maria, en 1748, à François-Philippe de Marinier. Ils vendirent leur héritage en divers lots.
(99) Le seigneur du Chastelet remplit lui-même les fonctions de prévôt; son procureur fiscal fut César Laurent, résidant à Blâmont, puis, après sa mort (1762), Didier Florentin; son notaire fut Nicolas Daiche, résidant à Frémonville, remplacé, vers 1775, par Didier Florentin; son avocat fut le sieur de Magnier, frère du curé de Frémonville.
(100) Les pierres étaient extraites des carrières de Merviller; les habitants de toute la contrée en faisaient le charroi. Blâmont en conduisit cinquante voitures en 1703.
(101) A Harbouey, l'église, construite grâce au curé Darancy, fut bénite, le 13 septembre 1731, par l'évêque de Toul, qui eut soin de souligner qu'elle échappait à la juridiction abbatiale de Domèvre. A Barbas, l'église, frappée d'interdit, parce qu'elle menaçait ruine, fut redressée sur un plan fourni par l'architecte Jennesson, et bénite par l'Abbé Piart, en 1734. Il fallut quinze ans de luttes pour qu'un vicaire résidant y fut installé ; ce fut Menoux ; la principale opposition venait du curé de Harbouey, parce qu'il, perdait une annexe.
(102) Il était neveu de René, marquis de Grandseille, et mari de la célèbre Emilie de Breteuil.
(103) Il naquit à Lunéville en 1729, vint à Blâmont vers 1752, comme gruyer et prévôt de Harbouey et Lorquin, fut conseiller de l'hôtel de ville et maire, de 1773 à 1785. Marié à Elisabeth Zimmermann, il eut plusieurs enfants, que nous rencontrerons dans la suite.
(104) Citons quelques noms : Procureurs : Voirin (1741-1761), Jacquot (1766), Gauthier (1777); substitut : Lallevée; greffier : Marcel, qui devint procureur en 1784, et secrétaire du district, de 1791 jusqu'à sa mort; notaires : Royer et Gauthier.
(105) Cette corvée, exigeant cinq jours de travail par homme, fut remplacée, en 1786, par une taxe en argent. Tous les paysans s'en plaignirent, en disant : «  On nous demande un argent que nous n'avons pas et on nous refuse les bras que nous offrons. »
(106) C'était le second fils de Jean-Baptiste, ci-dessus nommé; son frère aîné fut Jacques-Théodore.
(107) Il y eut seulement deux maires : Fromental père (1771 à 1777) ; Joseph Chazel (1777-1700).
(108) En 1740 : 6.909 livres; en 1745 : 10.292; en 1766 : 13.019; en 1775 : 5.161, avec 1.000 de déficit; en 1789 : 8.167, avec 1.800 de déficit.
(109) La Confrérie des hommes débuta en 1745, avec 153 membres; M. de Marmod en fut le premier préfet; elle se maintint jusqu'au milieu du XIXe siècle; M. Léon Cloud a remis récemment aux archives de la cure le registre de ses délibérations.
(110) On cite surtout : à Leintrey, les PP. Collignon et Gentil ; à Igney, le P. Gauthier, qui a laissé une curieuse Relation de la fête de la Rosière à Réchicourt, Quinze conférences sur les dons du Saint-Esprit, etc.. Il avait participé à la fondation de l'Académie Stanislas de Nancy. Il mourut à Igney, en 1788, après 28 ans de ministère en ce lieu.
(111) Voir Abbé Mathieu : L'Ancien Régime en Lorraine et Barrois.
(112) On compte, dix-neuf de ces prêtres, ordonnés entre 1760 et 1700, entr'autres : les deux Lacour, oncle et neveu ; Frémion ; Cambas ; les deux Colvis ; les deux Oury ; Garry ; Voinot ; Potier; Pierron ; Maurice; Lottinger ; Fromental. On cite aussi à Autrepierre, Dedenon, minime; à Herbéviller, Thiry, tiercelin, et Gley ; à Domèvre, Pélissier ; à Blémerey, Dumas; à Vého, Grégoire et Lhôte.
(113) Le trait suivant dépeint son caractère altier : voyant, à la Chandeleur de 1764, que les cierges du maire et des échevins étaient plus gros que le sien, il interrompit la cérémonie et couvrit d'invectives ces personnages. Leur plainte fut portée à l'intendant La Galaizière, qui en référa à l'Evêque. Après un blâme sévère, le curé n'eut plus qu'à disparaître.
(114) «  On se demande, écrit Chatrian, qui a pu faire nommer cet incapable, à qui il fallut tout de suite l'aide d'un administrateur. »
(115) Georges Desjardins, né à Rosières, prêtre à Toul (1762), professeur estimé chez les Jésuites d'Epinal, administrateur de Blâmont, en 1766, curé de Pexonne, en 1785, émigré, en 1792, à son retour nommé curé de Vigneulles (1S02), puis de Xermaménil, jusqu'à sa mort, en 1808.
(116) Guillot, né à Aingeville (Vosges), en 1739, professeur savant, mais d'humeur fruste, sur lequel Chatrian échappe cette réflexion, en apprenant son avancement : «  Comment eut-il pu faire pour prêcher, lui qui n'a jamais pu remplir que l'office de lecteur à Pexonne ? » Emigré en 1792, il comptait rentrer à Blâmont en 1802, mais la place étant prise, il lui fallut aller à Saulxures-lès-Bulgnéville, où il mourut en 1809.
(117) Un document de 1740 relate, dans cet établissement, la présence de treille religieuses et de douze filles fortunées de la région. Il y règne une distinction parfaite. On y verra se succéder trois directeurs, qui furent des prêtres accomplis : le P. d'Hangest, fils d'un noble polonais, chanoine régulier, auteur d'une vie de saint Pierre Fourier, qui prenait plaisir à être nommé le père Danger, mais qui était plutôt une bonne fortune pour sa communauté; Charles Mérat, qui fut victime du typhus en 1783; Charles de l'Etang, né à Charmes-sur-Moselle, directeur à Blâmont jusqu'en 1790, émigré, puis missionnaire zélé à Gripport et Ubexy, et enfin, mort à Charmes vers 1810; Chatrian l'appelle : missionnaire cosmopolite.
(118) On en trouve la description dans La Lorraine illustrée, juin 1909.
(119) Voir Abbé Jérôme ; Les Elections et les Cahiers du Clergé lorrain aux Etats généraux en 1789, et Procès verbal de l'Assemblée des trois Ordres au Bailliage de Blâmont. Arch. nat., B. III, 93, p. 370.
(120) On peut lire le cahier de Blâmont dans la brochure de M. l'abbé Jérôme; celui de Badonviller, dans l'Inventaire des Archives communales; de M. Duvernoy, t. VIII, p. 59 ; celui de Lunéville, de Vaucourt et Herbéviller, dans Annales de l'Est, t. I et III.
(121) Pour son histoire, voir : Ses mémoires. - H. Carnot : Notice historique sur Grégoire (1857). - Debidour : L'Abbé Grégoire (1881).
(122) Pour sa biographie, consulter : Michel, Biographies Lorraines; Duvernoy, J.S.A.L., 1898; Pfister, M.S.A.L., 1910, 1911, 1912; Alexandre, Discours de rentrée à la Cour d'appel de Nancy, 1853 ; P. Delaval, Pays Lorrain, 1909, 1927.
(123) Voir ; Michel, Biographies Lorraines; Pfister, M.S.A.L., 1910, 1911, 1912.
(124) Voir: de Martimprey, Notice sur Haute-Seille, M.S.A.L., 1887; Cuissard, Notes pour servir à l'Histoire de Cirey, Arch. dép., H., 563.
(125) Louis Lafrogne notaire de la prévoté de Harbouey, transféra son étude à Blâmont, en 1790. Il fut maire de celle ville, de 1816 à 1826, et, en même temps, député de la Meurthe. Jean-Claude Thouvenin fut, à Blâmont, président du District, puis juge de paix, de 1803 à 1813.

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