L'Alsace en 1814
Arthur Chuquet.
Ed. Paris, 1900
Les frères Brice, Joseph et
Nicolas, tous deux lieutenants dans les chasseurs à cheval de la
garde, étaient fils de l'instituteur ou « régent des écoles» de
Lorquin. L'aîné, le futur général, avait, lorsqu'il servait au
14e régiment de chasseurs, sauvé la vie sur le champ de bataille
d'Eylau à son colonel Dahlmann démonté et blessé. Ils se
rendirent au mois de mars dans le département de la Meurthe. Le
major général Berthier leur avait, au nom de l'Empereur, délivré
une commission qui les chargeait de former un corps de partisans
et de provoquer la levée en masse. On a très peu de
renseignements sur leurs faits et gestes (1). On sait qu'un de
leurs hommes, Boulanger, attaqua près de Blamont un major russe
et que le gouverneur de Lorraine, Alopéus, condamna les frères
Brice à payer en dédommagement à cet officier une somme de
vingt-trois mille deux cent trente-six francs qui fut avancée
par les communes de Lorquin et de Blamont, sauf à ces communes,
comme porte l'arrêté, d'avoir recours contre Boulanger et les
deux Brice (2).
On sait aussi que, le 8 avril, un détachement prussien, composé
d'un sous-officier et de treize soldats, escortait sept voitures
de vivres sur un chemin de traverse dans les bois, à trois
quarts de lieue en deçà de Blamont lorsque les partisans des
frères Brice l'assaillirent. Tous les Prussiens, excepté deux,
furent tués, et les charretiers - réquisitionnés dans les
communes de Pistorf, de Zollingen et de Zimsdorf - durent suivre
les vainqueurs à huit kilomètres de là en pleine forêt jusque
dans une vallée où ils trouvèrent Joseph Brice et une bande de
trois à quatre cents hommes. Brice leur dit qu'il était officier
des chasseurs à cheval de la garde impériale et que sa troupe
était une troupe régulière qui s'appelait le régiment des
éclaireurs de la Meurthe: sur quoi il les obligea de décharger
leurs voitures et de lui laisser six de leurs chevaux (3).
A cette nouvelle, Hochberg envoya sans retard à Sarrebourg le
capitaine de Blarer avec une compagnie d'infanterie badoise et
un peloton de dragons commandé par le lieutenant Hilbert. Le 9
avril, Blarer marchait sur Lorquin. Le maire lui apprit qu'une
bande de cent cinquante hommes avait quitté Lorquin le matin
même pour aller vers Val de Bon-Moutier. Le capitaine s'engagea
le lendemain, non, comme il dit, sans user de toutes les
précautions militaires, sur le chemin de ce village. A deux
kilomètres de l'endroit, il rencontra dix paysans, dont l'un
avait un fusil; le lieutenant Hilbert courut à eux avec les
dragons; mais ils se jetèrent dans la forêt où la cavalerie ne
put les poursuivre, et les fantassins qui fouillèrent le bois
revinrent sans les avoir vus. A Val-de-Bon-Moutier Blarer sut du
maire que les partisans ne s'étaient pas montrés depuis quatre
ou cinq jours et qu'ils campaient dans les environs de
Badonviller. Il se rendit aussitôt à Badonviller. Là, le maire
lui déclara que les insurgés avaient gagné la montagne. Il passa
la nuit à Badonvilleret le 11, lorsqu'un espion lui eut rapporté
que la bande de Brice était à Maison-Neuve, il se dirigea sur ce
point ; mais après avoir paru l'avant-veille à Saint-Quirin,
Brice, apprenant l'entrée des alliés à Paris et l'abdication de
Napoléon, avait licencié sa troupe (4).
(1) Le général Brice en a peu parlé. Il dit
simplement (dans une lettre du 5 octobre 1832 au ministre, A.
G.): « Déjà, vers la fin de la campagne de 1814, semblable
mission m'avait été confiée aussi d'après les intentions de
l'Empereur et je reçus à cet effet l'ordre de M. le major
général de me rendre dans les mêmes localités pour y provoquer
une levée en masse et y faire la petite guerre pendant que
devait encore durer la première invasion. » On reviendra plus
amplement, dans l'Alsace en 1815, sur les frères Brice ainsi que
sur Viriot et Wolff.
(2) Lettre des deux Brice à Carnot pour demander que les
communes de Lorquin et de Blamont soient remboursées (A. N. FI*
II 5).
(3) Kremp, maire de Saar-Union, à Ostermann, sous-préfet
provisoire de l'arrondissement de Saverne, 11 avril (A. G. ou
archives de Carlsruhe).
(4) Blarer à Hochberg;, 27 avril (A. C.). Cf. Mentzingen à
Hochberg. 11 avril; d'après une lettre de Mentzingen, du 10,
Brice aurait été un instant auprès de Phalsbourg, dans la région
du Buchelberg.
NDLR : l'historien Arthur Chuquet
(1853-1925) ne publiera jamais l'ouvrage "l'Alsace en 1815"
évoqué dans la note 1.
|