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Combat de Pierre Percée - 23 septembre 1870

Voir aussi 1870 - Mobiles de la Meurthe - Septembre 1870 - Mobiles de la Meurthe - Récit allemand


L'armée de l'est; relation anecdotique de la campagne de 1870-1871 - v.1.
Sergent, Eugène Désiré Edouard

LE BATAILLON DE LA MEURTHE. - Nous avons indiqué plus haut, parmi les troupes disponibles vers le 20 septembre [1870], dans les Vosges le 2e bataillon de mobiles de la Meurthe (commandant Brisac, ancien capitaine d'artillerie, envoyé de Langres pour faire sauter les tunnels de Saverne que le maréchal de Mac-Mahon avait malheureusement négligé de détruire, quand il avait battu en retraite après Froeschwiller.
Le bataillon est composé des 8 compagnies suivantes :
1re compagnie (Badonviller), capitaine Gœury.
2e compagnie (Baccarat), capitaine Gridel.
3e compagnie (Blamont), capitaine Mézière.
4e compagnie (Gerbéviller), capitaine Clément.
5e compagnie (Lunéville), capitaine Levasseur.
6e compagnie (Lunéville), capitaine Hypolite.
7e compagnie (Lunéville), capitaine Verdelet (Léon).
8e compagnie (Haroué), capitaine Welche.
Arrivé à Épinal le 17 septembre, avec son bataillon, le commandant Brisac s'est rendu à la préfecture. «  Là, nous dit le journal de marche du bataillon, le préfet, M. George, patriote énergique, recevait, quoique malade et alité, M. le capitaine du génie Varaigne, MM. les capitaines d'artillerie Perrin et Schœdlen, tous trois échappés de Sedan, divers membres du comité des Vosges, enfin M. Pignatel, avoué à Sarrebourg, dont le dévouement et la parfaite connaissance des lieux devaient fournir un concours précieux. Il fut décidé que, tandis que MM. Perrin et Schœdlen se chargeraient de fortifier les cols qui donnent accès de la Haute-Alsace dans les Vosges, le bataillon s'attaquerait au viaduc de Lutzelbourg... »
Afin d'accomplir sa mission, le commandant Brisac avait laissé son bataillon filer sur Saint-Dié, et, accompagné du capitaine Varaigne et de M. Pignatel, il était allé étudier sur place les moyens d'arriver à son but.
Cette inspection faite et l'affaire lui paraissant assez facile, le commandant Brisac se mit en devoir de revenir sur ses pas, suivi de ses deux compagnons; mais à ce moment, les conditions étaient bien changées, car à sa grande surprise, il trouvait maintenant occupés par les Allemands tous les villages qu'il avait vus libres à son premier passage.
C'est qu'en effet, une colonne de landwehriens de la garde, formée d'un bataillon, de deux pelotons de hussards de réserve et de deux pièces, ayant à sa tête le major Elern, avait occupé Badonviller le 21 et lancé sa cavalerie sur toutes les routes conduisant aux tunnels menacés.
C'est à grand'peine que nos deux officiers purent s'échapper et, s'ils y réussirent, ce fut grâce au dévouement d'un brave Lorrain, dont le nom mérite d'être cité ici : M. Marotel.
Il ne fallait plus songer à l'entreprise projetée, mais on allait payer autrement sa dette à la défense du pays. La poudre allait parler.

Combat de Pierre Percée.

Dans la soirée du 22, le commandant Brisac, qui a rejoint son bataillon à Saint-Dié, est avisé que les Prussiens s'avancent de Badonviller sur Raon-l'Ëtape.
Il marche aussitôt sur cette dernière ville et, apprenant là que l'ennemi est parvenu à Celles, à une douzaine de kilomètres de Raon, il se porte sur-le-champ au-devant de lui, après avoir rallié 4 compagnies de francs-tireurs (les 2 de Colmar, celle de Luxeuil et celle de Neuilly) qui ont demandé à marcher sous ses ordres.
Nous allons laisser le soin de raconter l'opération au Journal de marche du 2e bataillon de la Meurthe (1), rédigé en collaboration par cinq officiers du bataillon : MM. Verdelet (Léon), chef de bataillon; Antoine et Canas, capitaines; Verdelet (René) et Parmentier (Paul), sous-lieutenants.
Après une halte que la chaleur rend indispensable à Raon-l'Étape, et le café bu, on se remet en marche.
«  La chaleur est accablante dans cette vallée, les sacs sont lourds; mais tous savent que l'ennemi est proche, et la colonne n'a pas de traînards. On suit la rive gauche de la Plaine (2).
Les compagnies de francs-tireurs, dont nous avons parlé, se joignent au bataillon et, pendant que l'une d'elles éclaire la route, les 1re (Goeury) et 3e (Mézière) de la Meurthe traversent la rivière et appuient à gauche vers Pierre-Percée pour couper, si c'est possible, les Prussiens de Badonviller.
«  A Celles, on nous dit qu'une douzaine de Prussiens sont venus dans le village ce matin même, mais qu'ils se sont retirés à l'arrivée des gardes nationaux des communes voisines, avec lesquels ils ont échangé quelques coups de fusil.
«  Un exprès accourt à ce moment, il vient nous prévenir qu'on se bat à la scierie Lajux, située au point de croisement des vallées de Celles et de Pierre-Percée. Nous nous portons aussitôt sur ce dernier village, dans l'intention de prendre l'ennemi à revers. Mais il s était déjà replié, et nous n'atteignons que son arrière-garde, qui, après quelques coups de feu, s'échappe dans les bois, laissant plusieurs morts. »
Voici ce qui s'était passé à la scierie Lajux :
«  Le capitaine Mézière, précédé par la compagnie des francs-tireurs de Luxeuil, arrivait au croisement des deux vallées, lorsqu'il aperçut une colonne d'environ 500 hommes, commandée par 3 officiers montés.
«  Les éclaireurs des deux partis se rencontrèrent sous bois et engagèrent un combat corps à corps. Le feu devint bientôt très vif et dura depuis deux heures et demie jusqu'à quatre heures. M. le capitaine Mézière qui, malgré son infériorité numérique, n'avait cessé de défendre le terrain pied à pied, s'aperçut alors que les Prussiens abandonnaient la position en emportant leurs morts et leurs blessés. Nos pertes furent, au bataillon, de 4 hommes tués et 3 blessés grièvement. »
Voici les noms de ces premières victimes :
Tués. - Histre (Victor), garde, de Baccarat ; Mentrel, garde, de Baccarat; Boudot (Jean-Baptiste-Victor), garde, de Pierre- Percée ; Sauzer (Théophile), garde, de Peixonne.
Blessés. - Boudot (Joseph-Emile), garde, de Vaqueville; Enel (Hippolyte-Edmoed), garde, d'Ogéviller; Lion (Henri), caporal, de Blamont.
«  L'un des blessés, Enel, dit le Journal de marche, fut victime d'un odieux attentat : déjà atteint d'un coup de feu à la jambe, il avait été transporté sur un lit, à la scierie, lorsque les Prussiens, y pénétrant, l'en arrachent violemment, le jettent par la fenêtre la face dans la poussière et le fusillent à bout portant, en le frappant à coups de pied et à coups de crosse. Enel eut la présence d'esprit de simuler la mort, et il survécut à ses nombreuses blessures. »
La 2e compagnie (Gridel) et les francs-tireurs de Colmar se portent au village de Celles, et le reste des troupes rentre à Raon-l'Étape, «  non sans être fatigué de cette rude journée ».

TRAITRE PUNI. - Les francs-tireurs, dans leur marche pour aller à l'ennemi, «  avaient pris pour guide un paysan nommé Strarbach, qui était venu lui-même s'offrir à Raon ; il marchait en tète de la colonne et disparut au moment de la rencontre. Arrêté dans la soirée et traduit en cour martiale quelques jours après, par ordre du commandant Perrin, cet homme fut convaincu d'avoir vendu ses services aux Allemands au prix de 30 francs par jour, pour tracer leur chemin sous bois, au moyen d'entailles faites aux arbres, les renseigner sur les mouvements de nos troupes, etc. ; il fut condamné à mort et fusillé. » (Les Vosges en 1870.) Voici ce que dit sur cet incident le colonel Perrin :
«  ...Après vérification de la trahison d'un habitant qui avait marqué les arbres de la forêt de Donon pour guider l'ennemi, on dut le faire fusiller pour l'exemple. Les routes agressives étalent marquées par la lettre A sur l'écorce des sapins, et celles de retraite par la lettre R. »
Le commandant Wolowski d'une part, et de l'autre le comte de Belleval, vont compléter, pour nos lecteurs, le récit de cette première journée.

COMPAGNIE DE LUXEUIL. - La compagnie de Perpigna se trouve vers une heure et demie en position près de la scierie. Les deux compagnies du 2e bataillon de la Meurthe occupent le côté droit de la vallée, la compagnie de Luxeuil le côté gauche.
«  A deux heures, dit M. Wolowski, dans son ouvrage Le colonel Bourras et le corps franc des Vosges (3), des femmes, arrivant par la route de Pierre-Percée, annoncèrent à grands cris que les Prussiens arrivaient.
«  Aussitôt, une vingtaine d'hommes de la compagnie des francs-tireurs traversa la vallée au pas de course, pour aller prévenir la garde mobile de l'arrivée de l'ennemi... »
Les nôtres déploient des tirailleurs dans les broussailles entre la ferme et la scierie, et bientôt les francs-tireurs ouvrent le feu «  à 80 mètres environ ».
La fusillade dure plus d'une heure, mais les Prussiens vont nous tourner par le haut de la vallée ; il faut se replier, ce qu'on fait en tirant : on passe sur l'autre rive de la Plaine et l'on se poste dans un bois.
Le lieutenant Godard et 3 francs-tireurs n'ont pas suivi le mouvement et se trouvent en péril ; alors, le jeune Ménard (Louis), de Gouhenans, traverse la rivière sous le feu et vient les avertir du danger qu'ils courent. «  En revenant avec eux, toujours sous le feu de l'ennemi, il tua un officier monté, qui se trouvait arrêté auprès de la scierie, d'où il dirigeait le mouvement. » (Wolowski.)
Après un retour offensif des nôtres, l'ennemi, troublé sans doute par la mort du commandant prussien, se mit en retraite, en emportant ses morts et ses blessés.
Au dire des paysans requis pour creuser des fossés où furent enterrés les morts allemands du combat de Pierre-Percée, ceux-ci se seraient élevés au chiffre de 47, dont 2 officiers. Le corps du commandant aurait été expédié en Prusse, et le cadavre d'un 4e officier aurait été trouvé par un garde forestier.
Nous avons perdu 2 tués et 10 blessés.

COMPAGNIE DE NEUILLY. - La compagnie de Neuilly-sur-Seine a été recrutée à la fin d'août dans la banlieue de Paris. Elle compte 110 hommes.
«  Les sous-officiers sont tous d'anciens soldats. Leur uniforme, sévère et martial, consiste en une vareuse noire, pantalon noir, guêtres blanches, képi noir à filets rouges. Les officiers ne se distinguent des soldats que par les insignes de grade sur la manche et au képi, et des étoiles d'or au collet.
«  Tous les corps d'état, toutes les industries y sont représentés. Le capitaine S... (Sageret), le plus loyal et le plus honnête homme du monde est ingénieur civil (4). Le lieutenant, ancien sous-officier des chasseurs à pied, est loueur de voitures (5)...
Puisque l'occasion se présente de faire connaître en détail une compagnie de francs-tireurs parisiens, nos lecteurs nous permettront sans doute d'en profiter. Le récit de ce que ces braves volontaires ont fait devant l'ennemi n'en aura que plus d'intérêt. Suivons donc le comte de Belleval.
«  Il y a dans les rangs un voyageur de commerce, deux entrepreneurs, un agent voyer, un étudiant, quatre clercs de notaire, un photographe, neuf peintres en bâtiment, six coiffeurs, un tailleur de pierre, six horlogers, deux imprimeurs sur étoffe, deux ferblantiers, un jardinier, un charpentier, un menuisier, trois bouchers, deux plombiers, cinq blanchisseurs, un forgeron, un emballeur, un cocher d'omnibus, deux couvreurs, trois boulangers, deux charrons, un tisseur, un papetier, huit journaliers, cinq mécaniciens, un tanneur, un paveur, trois commis, un serrurier, un bijoutier, un cordonnier, un passementier, un marchand de porte-monnaie, et enfin un «  gymnasiarque », comme il s'intitule, c'est-à-dire un des clowns les plus adroits du cirque des Champs-Elysées, excellent clairon, d'une force et d'une agilité peu communes, brave et bon garçon.
«  Il y a un père et ses deux fils.
«  Le plus âgé de la compagnie a cinquante-trois ans, le plus jeune dix-sept ans. Tous ont quitté leurs familles, leurs femmes, leur commerce par dévouement, et témoignent du plus ardent désir de voir l'ennemi... »
De plus, ils sont rompus à la discipline, car ils sont restés un mois sous les murs de Belfort, à faire l'exercice, et plusieurs sont devenus d'excellents tireurs. Ils ont des fusils à tabatière.
«  Ce sont de vrais enfants de Paris, gais, insoucieux de la fatigue et chantant toujours. »
Le 23 septembre, ils partent de Saint-Dié à cinq heures du matin, font la grand'halte à Raon-l'Étape vers dix heures, et se dirigent sur Celles sous la conduite d'un garde forestier.
A quelque distance de ce bourg, on fait halte pour charger les fusils à tabatière. «  C'est un moment imposant. On se serre la main en silence. » Puis on se déploie en tirailleurs, et l'on s'avance dans le bois qui borde la route à droite. La Plaine protège le flanc gauche. Les mobiles de la Meurthe suivent la route, en arrière.
On marche sous les sapins, en escaladant les blocs de rochers, chacun ayant «  le fusil haut et le doigt sur la détente ». Mais des coups de feu retentissent et, malgré les obstacles, on se lance au pas de course et l'on débouche près du village de Celles que l'on traverse. Les habitants racontent que les Prussiens y ont paru la veille, que les gardes nationaux de Raon-l'Étape leur ont tué un homme et blessé deux autres qu'ils ont emportés, mais qu'en ripostant, les Badois ont atteint le capitaine des pompiers qui a eu la poitrine traversée, sur le seuil de sa porte, et que, de cette même balle, ils ont brisé le bras de sa femme qui se tenait près de lui.
On continue la marche.
«  Il est trois heures. - Rien n'arrête Sageret, ni l'heure avancée, ni la fatigue de nos hommes qui ont déjà parcouru 28 kilomètres... »
Deux chemins mènent à la scierie Lajux, où sont les Prussiens; les mobiles choisissent l'un, ceux de Neuilly l'autre, afin de prendre l'ennemi entre deux feux. Les mobiles tiennent la tête ; bientôt les balles ennemies leur ont tué trois hommes. Les Parisiens ont la chance de n'avoir personne de touché. L'ennemi, battant en retraite, on arrive bientôt à Pierre-Percée. Dans la première maison, 6 soldats prussiens sont étendus, morts. On les a déchaussés et ils n'ont plus d'armes. «  Un septième a été tué d'une balle au milieu du front par un paysan de Celles, adroit tireur, au moment où il sortait d'une maison où il venait de voler du sucre, et on l'a jeté dans le cimetière. »
A la nuit, la compagnie de Neuilly s'est réunie à la mobile dans le vieux château des princes de Salm-Salm, et l'on dit que le lieutenant prussien qui a été tué appartient précisément à cette famille.
De notre côté, un jeune homme de dix-huit ans, «  natif de Pierre-Percée, a été tué dans son propre village où il entrait le premier. La balle l'a frappé à la tempe gauche ». (De Belleval.)
En somme, dans ce premier combat, livré par les défenseurs des Vosges, francs-tireurs et mobiles se sont bien tenus ; aussi la confiance grandit-elle à vue d'œil.

LA TOMBE D'UN BRAVE. - Le jour du combat de Pierre-Percée, les Allemands s'emparèrent, à Bréménil, d'un courageux habitant de Celles qu'ils prirent les armes à la main. Ils le fusillèrent trois semaines après, à Raon-l'Étape. Un monument élevé en sa mémoire et consistant en une stèle dressée sur deux blocs de pierre superposés, se remarque sur le bord de la route de Lunéville, à environ 300 mètres des dernières maisons de Raon. On y lit l'inscription suivante :
A LA MÉMOIRE DE LÉON MERCIER
DE CELLES
FAIT PRISONNIER
A BRÉMÉNIL
EN COMBATTANT
LE 23 SEPTEMBRE 1870
ET FUSILLÉ PAR LES PRUSSIENS
A RAON-L'ÉTAPE LE 15 OCTOBRE 1870
EXPÉDITION MANQUÉE SUR AZERAILLES. - Ce fut sans doute, encouragé par cette bonne tenue de ses jeunes troupes, que le commandant Brisac crut devoir risquer, deux jours après, une attaque de nuit, mais elle échoua fort piteusement. Si nous la relatons ici, c'est d'abord pour ne rien omettre de ces premières expéditions, et ensuite pour faire voir l'inanité des opérations de nuit tentées avec des troupes sans expérience.
A la suite du petit combat du 23 septembre, l'ennemi a évacué Badonviller et s'est replié sur Azerailles et Montigny. Le commandant Brisac songe alors à enlever par surprise les 600 hommes qui occupent Azerailles, et il fixe l'attaque à la nuit du 25 au 26.
«  Une compagnie du 3e bataillon des Vosges était de grand'- garde à Bertrichamps. Il l'informe de son projet et lui donne rendez-vous au point du jour devant Azerailles. En attendant, le bataillon quitte Raon le 25 et va bivouaquer à Rouge-Vêtu, où, vers neuf heures du soir, l'ordre est donné aux officiers de se tenir prêts à décamper à une heure du matin.
«  A l'heure dite, nous rappelons les hommes sous leurs tentes ; notre effectif s'est grossi de la compagnie des francs-tireurs du Doubs (capitaine Schmidt) et de la 4e compagnie des Vosges (capitaine Ostertat) qui, sur la demande de ce dernier, est intercalée entre celles du bataillon.
«  Nous marchons sous bois dans cet ordre, un par un, et par une obscurité profonde. En débouchant dans la plaine, on s'aperçoit que la colonne s'est scindée par le milieu de la compagnie des Vosges. La première partie a disparu ; cependant la seconde poursuit son chemin et arrive au point du jour devant Azerailles.
«  Le commandant y attend le reste des troupes, mais vainement; la compagnie de Bertrichamps ne paraît pas davantage. Ne pouvant attaquer avec 300 hommes seulement, ni rester plus longtemps clans la position dangereuse que nous occupons entre Azerailles et Montigny, il nous faut revenir au camp du Rouge-Vêtu et de là à Raon.
«  Nous retrouvons dans cette ville la deuxième moitié de la colonne qui y est rentrée de son côté, après s'être égarée pendant la nuit. »
L'échec ne pouvait donc guère être plus complet ; mais nos soldats vont le faire oublier quelques heures après, en tenant tête à une colonne ennemie dans la petite ville de Raon.
Déjà, quelques jours avant, les Badois on fait mine de se porter dans la direction de ce point, mais ils n'ont pas dépassé Baccarat, où se sont produits quelques incidents qui méritent d'être rapportés.

LES ALLEMANDS A BACCARAT. - C'est le 15 septembre que les Allemands font leur première apparition à Baccarat. Pour effrayer les populations, ils saisissent le maire et sept conseillers municipaux, et les emmènent comme otages. Le maire, M. Godard, est un vieillard de soixante-quinze ans; parmi les conseillers municipaux se trouve M. Michaut, l'administrateur des célèbres cristalleries. Le 16 au matin, la colonne prussienne sort de la ville dans l'ordre suivant : en tête un groupe de cavaliers, puis les otages à pied, l'infanterie ensuite et derrière, de nombreux chariots portant des réquisitions de toute nature.
Il faut dire ici que la veille, quelques jeunes gens de Baccarat s'étaient enrôlés dans les francs-tireurs de Bruyères, et s'étaient mis en route pour rejoindre ceux-ci à Raon. Revenons maintenant aux Prussiens.
A peine leur colonne est-elle arrivée à un kilomètre de Baccarat, que «  d'un bouquet de bois situé à droite de la route, des balles pleuvent sur l'escorte : ce sont les francs-tireurs enrôlés la veille qui attaquent la tête du convoi.
«  Les Allemands ont un moment de confusion et d'effroi ; leurs cavaliers se replient en désordre et se jettent derrière un pli de terrain. Bientôt, la fumée se dissipant, l'ennemi peut compter ses adversaires et l'assurance lui revient: les francs-tireurs sont dix-sept.
«  Le commandant de la colonne donne l'ordre cruel de faire placer les prisonniers en avant de l'infanterie : abrités derrière eux, les soldats allemands ouvrent le feu contre les francs-tireurs.
«  Placés à 150 mètres de distance environ, et cachés dans un bois de pins, ceux-ci ripostent vivement et font plusieurs victimes. Le commandant prussien, exaspéré, menace les otages de les faire fusiller ; l'un d'eux s'offre alors pour aller parlementer; il représente aux francs-tireurs l'inutilité de leur attaque et les décide à s'éloigner. » Ces détails sont tirés de l'intéressante relation déjà citée, Les Vosges en 1870 et dans la prochaine campagne, par un ancien officier de chasseurs à pied (6). C'est le 27 septembre que l'on va voir reparaître nos ennemis.

(1) Paris, Dumaine.
(2) Voir notre carte, page 25.
(3) Paris, Chamuel, 1892.
(4) Ancien élève de l'École polytechnique.
(5) Comte de Belleval, Journal d'un capitaine de francs-tireurs - Paris. E. Lachaud, 1872.
(6) Rennes, Hthe Caillière, 1877

 

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