L'armée de l'est;
relation anecdotique de la campagne de 1870-1871 - v.1.
Sergent, Eugène Désiré Edouard
LE BATAILLON DE LA MEURTHE. -
Nous avons indiqué plus haut, parmi les troupes disponibles vers
le 20 septembre [1870], dans les Vosges le 2e bataillon de
mobiles de la Meurthe (commandant Brisac, ancien capitaine
d'artillerie, envoyé de Langres pour faire sauter les tunnels de
Saverne que le maréchal de Mac-Mahon avait malheureusement
négligé de détruire, quand il avait battu en retraite après
Froeschwiller.
Le bataillon est composé des 8 compagnies suivantes :
1re compagnie (Badonviller), capitaine Gœury.
2e compagnie (Baccarat), capitaine Gridel.
3e compagnie (Blamont), capitaine Mézière.
4e compagnie (Gerbéviller), capitaine Clément.
5e compagnie (Lunéville), capitaine Levasseur.
6e compagnie (Lunéville), capitaine Hypolite.
7e compagnie (Lunéville), capitaine Verdelet (Léon).
8e compagnie (Haroué), capitaine Welche.
Arrivé à Épinal le 17 septembre, avec son bataillon, le
commandant Brisac s'est rendu à la préfecture. « Là, nous dit le
journal de marche du bataillon, le préfet, M. George, patriote
énergique, recevait, quoique malade et alité, M. le capitaine du
génie Varaigne, MM. les capitaines d'artillerie Perrin et
Schœdlen, tous trois échappés de Sedan, divers membres du comité
des Vosges, enfin M. Pignatel, avoué à Sarrebourg, dont le
dévouement et la parfaite connaissance des lieux devaient
fournir un concours précieux. Il fut décidé que, tandis que MM.
Perrin et Schœdlen se chargeraient de fortifier les cols qui
donnent accès de la Haute-Alsace dans les Vosges, le bataillon
s'attaquerait au viaduc de Lutzelbourg... »
Afin d'accomplir sa mission, le commandant Brisac avait laissé
son bataillon filer sur Saint-Dié, et, accompagné du capitaine
Varaigne et de M. Pignatel, il était allé étudier sur place les
moyens d'arriver à son but.
Cette inspection faite et l'affaire lui paraissant assez facile,
le commandant Brisac se mit en devoir de revenir sur ses pas,
suivi de ses deux compagnons; mais à ce moment, les conditions
étaient bien changées, car à sa grande surprise, il trouvait
maintenant occupés par les Allemands tous les villages qu'il
avait vus libres à son premier passage.
C'est qu'en effet, une colonne de landwehriens de la garde,
formée d'un bataillon, de deux pelotons de hussards de réserve
et de deux pièces, ayant à sa tête le major Elern, avait occupé
Badonviller le 21 et lancé sa cavalerie sur toutes les routes
conduisant aux tunnels menacés.
C'est à grand'peine que nos deux officiers purent s'échapper et,
s'ils y réussirent, ce fut grâce au dévouement d'un brave
Lorrain, dont le nom mérite d'être cité ici : M. Marotel.
Il ne fallait plus songer à l'entreprise projetée, mais on
allait payer autrement sa dette à la défense du pays. La poudre
allait parler.
Combat de Pierre Percée.
Dans la soirée du 22, le commandant Brisac, qui a rejoint son
bataillon à Saint-Dié, est avisé que les Prussiens s'avancent de
Badonviller sur Raon-l'Ëtape.
Il marche aussitôt sur cette dernière ville et, apprenant là que
l'ennemi est parvenu à Celles, à une douzaine de kilomètres de
Raon, il se porte sur-le-champ au-devant de lui, après avoir
rallié 4 compagnies de francs-tireurs (les 2 de Colmar, celle de
Luxeuil et celle de Neuilly) qui ont demandé à marcher sous ses
ordres.
Nous allons laisser le soin de raconter l'opération au Journal
de marche du 2e bataillon de la Meurthe (1), rédigé en
collaboration par cinq officiers du bataillon : MM. Verdelet
(Léon), chef de bataillon; Antoine et Canas, capitaines;
Verdelet (René) et Parmentier (Paul), sous-lieutenants.
Après une halte que la chaleur rend indispensable à
Raon-l'Étape, et le café bu, on se remet en marche.
« La chaleur est accablante dans cette vallée, les sacs sont
lourds; mais tous savent que l'ennemi est proche, et la colonne
n'a pas de traînards. On suit la rive gauche de la Plaine (2).
Les compagnies de francs-tireurs, dont nous avons parlé, se
joignent au bataillon et, pendant que l'une d'elles éclaire la
route, les 1re (Goeury) et 3e (Mézière) de
la Meurthe traversent la rivière et appuient à gauche vers
Pierre-Percée pour couper, si c'est possible, les Prussiens de
Badonviller.
« A Celles, on nous dit qu'une douzaine de Prussiens sont venus
dans le village ce matin même, mais qu'ils se sont retirés à
l'arrivée des gardes nationaux des communes voisines, avec
lesquels ils ont échangé quelques coups de fusil.
« Un exprès accourt à ce moment, il vient nous prévenir qu'on se
bat à la scierie Lajux, située au point de croisement des
vallées de Celles et de Pierre-Percée. Nous nous portons
aussitôt sur ce dernier village, dans l'intention de prendre
l'ennemi à revers. Mais il s était déjà replié, et nous
n'atteignons que son arrière-garde, qui, après quelques coups de
feu, s'échappe dans les bois, laissant plusieurs morts. »
Voici ce qui s'était passé à la scierie Lajux :
« Le capitaine Mézière, précédé par la compagnie des
francs-tireurs de Luxeuil, arrivait au croisement des deux
vallées, lorsqu'il aperçut une colonne d'environ 500 hommes,
commandée par 3 officiers montés.
« Les éclaireurs des deux partis se rencontrèrent sous bois et
engagèrent un combat corps à corps. Le feu devint bientôt très
vif et dura depuis deux heures et demie jusqu'à quatre heures.
M. le capitaine Mézière qui, malgré son infériorité numérique,
n'avait cessé de défendre le terrain pied à pied, s'aperçut
alors que les Prussiens abandonnaient la position en emportant
leurs morts et leurs blessés. Nos pertes furent, au bataillon,
de 4 hommes tués et 3 blessés grièvement. »
Voici les noms de ces premières victimes :
Tués. - Histre (Victor), garde, de Baccarat ; Mentrel, garde, de
Baccarat; Boudot (Jean-Baptiste-Victor), garde, de Pierre-
Percée ; Sauzer (Théophile), garde, de Peixonne.
Blessés. - Boudot (Joseph-Emile), garde, de Vaqueville; Enel
(Hippolyte-Edmoed), garde, d'Ogéviller; Lion (Henri), caporal,
de Blamont.
« L'un des blessés, Enel, dit le Journal de marche, fut victime
d'un odieux attentat : déjà atteint d'un coup de feu à la jambe,
il avait été transporté sur un lit, à la scierie, lorsque les
Prussiens, y pénétrant, l'en arrachent violemment, le jettent
par la fenêtre la face dans la poussière et le fusillent à bout
portant, en le frappant à coups de pied et à coups de crosse.
Enel eut la présence d'esprit de simuler la mort, et il survécut
à ses nombreuses blessures. »
La 2e compagnie (Gridel) et les francs-tireurs de
Colmar se portent au village de Celles, et le reste des troupes
rentre à Raon-l'Étape, « non sans être fatigué de cette rude
journée ».
TRAITRE PUNI. - Les francs-tireurs, dans leur marche pour
aller à l'ennemi, « avaient pris pour guide un paysan nommé
Strarbach, qui était venu lui-même s'offrir à Raon ; il marchait
en tète de la colonne et disparut au moment de la rencontre.
Arrêté dans la soirée et traduit en cour martiale quelques jours
après, par ordre du commandant Perrin, cet homme fut convaincu
d'avoir vendu ses services aux Allemands au prix de 30 francs
par jour, pour tracer leur chemin sous bois, au moyen
d'entailles faites aux arbres, les renseigner sur les mouvements
de nos troupes, etc. ; il fut condamné à mort et fusillé. » (Les
Vosges en 1870.) Voici ce que dit sur cet incident le colonel
Perrin :
« ...Après vérification de la trahison d'un habitant qui avait
marqué les arbres de la forêt de Donon pour guider l'ennemi, on
dut le faire fusiller pour l'exemple. Les routes agressives
étalent marquées par la lettre A sur l'écorce des sapins, et
celles de retraite par la lettre R. »
Le commandant Wolowski d'une part, et de l'autre le comte de
Belleval, vont compléter, pour nos lecteurs, le récit de cette
première journée.
COMPAGNIE DE LUXEUIL. - La compagnie de Perpigna se
trouve vers une heure et demie en position près de la scierie.
Les deux compagnies du 2e bataillon de la Meurthe
occupent le côté droit de la vallée, la compagnie de Luxeuil le
côté gauche.
« A deux heures, dit M. Wolowski, dans son ouvrage Le colonel
Bourras et le corps franc des Vosges (3), des femmes, arrivant
par la route de Pierre-Percée, annoncèrent à grands cris que les
Prussiens arrivaient.
« Aussitôt, une vingtaine d'hommes de la compagnie des
francs-tireurs traversa la vallée au pas de course, pour aller
prévenir la garde mobile de l'arrivée de l'ennemi... »
Les nôtres déploient des tirailleurs dans les broussailles entre
la ferme et la scierie, et bientôt les francs-tireurs ouvrent le
feu « à 80 mètres environ ».
La fusillade dure plus d'une heure, mais les Prussiens vont nous
tourner par le haut de la vallée ; il faut se replier, ce qu'on
fait en tirant : on passe sur l'autre rive de la Plaine et l'on
se poste dans un bois.
Le lieutenant Godard et 3 francs-tireurs n'ont pas suivi le
mouvement et se trouvent en péril ; alors, le jeune Ménard
(Louis), de Gouhenans, traverse la rivière sous le feu et vient
les avertir du danger qu'ils courent. « En revenant avec eux,
toujours sous le feu de l'ennemi, il tua un officier monté, qui
se trouvait arrêté auprès de la scierie, d'où il dirigeait le
mouvement. » (Wolowski.)
Après un retour offensif des nôtres, l'ennemi, troublé sans
doute par la mort du commandant prussien, se mit en retraite, en
emportant ses morts et ses blessés.
Au dire des paysans requis pour creuser des fossés où furent
enterrés les morts allemands du combat de Pierre-Percée, ceux-ci
se seraient élevés au chiffre de 47, dont 2 officiers. Le corps
du commandant aurait été expédié en Prusse, et le cadavre d'un 4e
officier aurait été trouvé par un garde forestier.
Nous avons perdu 2 tués et 10 blessés.
COMPAGNIE DE NEUILLY. - La compagnie de Neuilly-sur-Seine
a été recrutée à la fin d'août dans la banlieue de Paris. Elle
compte 110 hommes.
« Les sous-officiers sont tous d'anciens soldats. Leur uniforme,
sévère et martial, consiste en une vareuse noire, pantalon noir,
guêtres blanches, képi noir à filets rouges. Les officiers ne se
distinguent des soldats que par les insignes de grade sur la
manche et au képi, et des étoiles d'or au collet.
« Tous les corps d'état, toutes les industries y sont
représentés. Le capitaine S... (Sageret), le plus loyal et le
plus honnête homme du monde est ingénieur civil (4). Le
lieutenant, ancien sous-officier des chasseurs à pied, est
loueur de voitures (5)...
Puisque l'occasion se présente de faire connaître en détail une
compagnie de francs-tireurs parisiens, nos lecteurs nous
permettront sans doute d'en profiter. Le récit de ce que ces
braves volontaires ont fait devant l'ennemi n'en aura que plus
d'intérêt. Suivons donc le comte de Belleval.
« Il y a dans les rangs un voyageur de commerce, deux
entrepreneurs, un agent voyer, un étudiant, quatre clercs de
notaire, un photographe, neuf peintres en bâtiment, six
coiffeurs, un tailleur de pierre, six horlogers, deux imprimeurs
sur étoffe, deux ferblantiers, un jardinier, un charpentier, un
menuisier, trois bouchers, deux plombiers, cinq blanchisseurs,
un forgeron, un emballeur, un cocher d'omnibus, deux couvreurs,
trois boulangers, deux charrons, un tisseur, un papetier, huit
journaliers, cinq mécaniciens, un tanneur, un paveur, trois
commis, un serrurier, un bijoutier, un cordonnier, un
passementier, un marchand de porte-monnaie, et enfin un «
gymnasiarque », comme il s'intitule, c'est-à-dire un des clowns
les plus adroits du cirque des Champs-Elysées, excellent
clairon, d'une force et d'une agilité peu communes, brave et bon
garçon.
« Il y a un père et ses deux fils.
« Le plus âgé de la compagnie a cinquante-trois ans, le plus
jeune dix-sept ans. Tous ont quitté leurs familles, leurs
femmes, leur commerce par dévouement, et témoignent du plus
ardent désir de voir l'ennemi... »
De plus, ils sont rompus à la discipline, car ils sont restés un
mois sous les murs de Belfort, à faire l'exercice, et plusieurs
sont devenus d'excellents tireurs. Ils ont des fusils à
tabatière.
« Ce sont de vrais enfants de Paris, gais, insoucieux de la
fatigue et chantant toujours. »
Le 23 septembre, ils partent de Saint-Dié à cinq heures du
matin, font la grand'halte à Raon-l'Étape vers dix heures, et se
dirigent sur Celles sous la conduite d'un garde forestier.
A quelque distance de ce bourg, on fait halte pour charger les
fusils à tabatière. « C'est un moment imposant. On se serre la
main en silence. » Puis on se déploie en tirailleurs, et l'on
s'avance dans le bois qui borde la route à droite. La Plaine
protège le flanc gauche. Les mobiles de la Meurthe suivent la
route, en arrière.
On marche sous les sapins, en escaladant les blocs de rochers,
chacun ayant « le fusil haut et le doigt sur la détente ». Mais
des coups de feu retentissent et, malgré les obstacles, on se
lance au pas de course et l'on débouche près du village de
Celles que l'on traverse. Les habitants racontent que les
Prussiens y ont paru la veille, que les gardes nationaux de
Raon-l'Étape leur ont tué un homme et blessé deux autres qu'ils
ont emportés, mais qu'en ripostant, les Badois ont atteint le
capitaine des pompiers qui a eu la poitrine traversée, sur le
seuil de sa porte, et que, de cette même balle, ils ont brisé le
bras de sa femme qui se tenait près de lui.
On continue la marche.
« Il est trois heures. - Rien n'arrête Sageret, ni l'heure
avancée, ni la fatigue de nos hommes qui ont déjà parcouru 28
kilomètres... »
Deux chemins mènent à la scierie Lajux, où sont les Prussiens;
les mobiles choisissent l'un, ceux de Neuilly l'autre, afin de
prendre l'ennemi entre deux feux. Les mobiles tiennent la tête ;
bientôt les balles ennemies leur ont tué trois hommes. Les
Parisiens ont la chance de n'avoir personne de touché. L'ennemi,
battant en retraite, on arrive bientôt à Pierre-Percée. Dans la
première maison, 6 soldats prussiens sont étendus, morts. On les
a déchaussés et ils n'ont plus d'armes. « Un septième a été tué
d'une balle au milieu du front par un paysan de Celles, adroit
tireur, au moment où il sortait d'une maison où il venait de
voler du sucre, et on l'a jeté dans le cimetière. »
A la nuit, la compagnie de Neuilly s'est réunie à la mobile dans
le vieux château des princes de Salm-Salm, et l'on dit que le
lieutenant prussien qui a été tué appartient précisément à cette
famille.
De notre côté, un jeune homme de dix-huit ans, « natif de
Pierre-Percée, a été tué dans son propre village où il entrait
le premier. La balle l'a frappé à la tempe gauche ». (De
Belleval.)
En somme, dans ce premier combat, livré par les défenseurs des
Vosges, francs-tireurs et mobiles se sont bien tenus ; aussi la
confiance grandit-elle à vue d'œil.
LA TOMBE D'UN BRAVE. - Le jour du combat de
Pierre-Percée, les Allemands s'emparèrent, à Bréménil, d'un
courageux habitant de Celles qu'ils prirent les armes à la main.
Ils le fusillèrent trois semaines après, à Raon-l'Étape. Un
monument élevé en sa mémoire et consistant en une stèle dressée
sur deux blocs de pierre superposés, se remarque sur le bord de
la route de Lunéville, à environ 300 mètres des dernières
maisons de Raon. On y lit l'inscription suivante :
A LA MÉMOIRE DE LÉON MERCIER
DE CELLES
FAIT PRISONNIER
A BRÉMÉNIL
EN COMBATTANT
LE 23 SEPTEMBRE 1870
ET FUSILLÉ PAR LES PRUSSIENS
A RAON-L'ÉTAPE LE 15 OCTOBRE 1870
EXPÉDITION MANQUÉE SUR AZERAILLES. - Ce fut sans doute,
encouragé par cette bonne tenue de ses jeunes troupes, que le
commandant Brisac crut devoir risquer, deux jours après, une
attaque de nuit, mais elle échoua fort piteusement. Si nous la
relatons ici, c'est d'abord pour ne rien omettre de ces
premières expéditions, et ensuite pour faire voir l'inanité des
opérations de nuit tentées avec des troupes sans expérience.
A la suite du petit combat du 23 septembre, l'ennemi a évacué
Badonviller et s'est replié sur Azerailles et Montigny. Le
commandant Brisac songe alors à enlever par surprise les 600
hommes qui occupent Azerailles, et il fixe l'attaque à la nuit
du 25 au 26.
« Une compagnie du 3e bataillon des Vosges était de
grand'- garde à Bertrichamps. Il l'informe de son projet et lui
donne rendez-vous au point du jour devant Azerailles. En
attendant, le bataillon quitte Raon le 25 et va bivouaquer à
Rouge-Vêtu, où, vers neuf heures du soir, l'ordre est donné aux
officiers de se tenir prêts à décamper à une heure du matin.
« A l'heure dite, nous rappelons les hommes sous leurs tentes ;
notre effectif s'est grossi de la compagnie des francs-tireurs
du Doubs (capitaine Schmidt) et de la 4e compagnie des Vosges
(capitaine Ostertat) qui, sur la demande de ce dernier, est
intercalée entre celles du bataillon.
« Nous marchons sous bois dans cet ordre, un par un, et par une
obscurité profonde. En débouchant dans la plaine, on s'aperçoit
que la colonne s'est scindée par le milieu de la compagnie des
Vosges. La première partie a disparu ; cependant la seconde
poursuit son chemin et arrive au point du jour devant Azerailles.
« Le commandant y attend le reste des troupes, mais vainement;
la compagnie de Bertrichamps ne paraît pas davantage. Ne pouvant
attaquer avec 300 hommes seulement, ni rester plus longtemps
clans la position dangereuse que nous occupons entre Azerailles
et Montigny, il nous faut revenir au camp du Rouge-Vêtu et de là
à Raon.
« Nous retrouvons dans cette ville la deuxième moitié de la
colonne qui y est rentrée de son côté, après s'être égarée
pendant la nuit. »
L'échec ne pouvait donc guère être plus complet ; mais nos
soldats vont le faire oublier quelques heures après, en tenant
tête à une colonne ennemie dans la petite ville de Raon.
Déjà, quelques jours avant, les Badois on fait mine de se porter
dans la direction de ce point, mais ils n'ont pas dépassé
Baccarat, où se sont produits quelques incidents qui méritent
d'être rapportés.
LES ALLEMANDS A BACCARAT. - C'est le 15 septembre que les
Allemands font leur première apparition à Baccarat. Pour
effrayer les populations, ils saisissent le maire et sept
conseillers municipaux, et les emmènent comme otages. Le maire,
M. Godard, est un vieillard de soixante-quinze ans; parmi les
conseillers municipaux se trouve M. Michaut, l'administrateur
des célèbres cristalleries. Le 16 au matin, la colonne
prussienne sort de la ville dans l'ordre suivant : en tête un
groupe de cavaliers, puis les otages à pied, l'infanterie
ensuite et derrière, de nombreux chariots portant des
réquisitions de toute nature.
Il faut dire ici que la veille, quelques jeunes gens de Baccarat
s'étaient enrôlés dans les francs-tireurs de Bruyères, et
s'étaient mis en route pour rejoindre ceux-ci à Raon. Revenons
maintenant aux Prussiens.
A peine leur colonne est-elle arrivée à un kilomètre de
Baccarat, que « d'un bouquet de bois situé à droite de la route,
des balles pleuvent sur l'escorte : ce sont les francs-tireurs
enrôlés la veille qui attaquent la tête du convoi.
« Les Allemands ont un moment de confusion et d'effroi ; leurs
cavaliers se replient en désordre et se jettent derrière un pli
de terrain. Bientôt, la fumée se dissipant, l'ennemi peut
compter ses adversaires et l'assurance lui revient: les
francs-tireurs sont dix-sept.
« Le commandant de la colonne donne l'ordre cruel de faire
placer les prisonniers en avant de l'infanterie : abrités
derrière eux, les soldats allemands ouvrent le feu contre les
francs-tireurs.
« Placés à 150 mètres de distance environ, et cachés dans un
bois de pins, ceux-ci ripostent vivement et font plusieurs
victimes. Le commandant prussien, exaspéré, menace les otages de
les faire fusiller ; l'un d'eux s'offre alors pour aller
parlementer; il représente aux francs-tireurs l'inutilité de
leur attaque et les décide à s'éloigner. » Ces détails sont
tirés de l'intéressante relation déjà citée, Les Vosges en 1870
et dans la prochaine campagne, par un ancien officier de
chasseurs à pied (6). C'est le 27 septembre que l'on va voir
reparaître nos ennemis.
(1) Paris, Dumaine.
(2) Voir notre carte, page 25.
(3) Paris, Chamuel, 1892.
(4) Ancien élève de l'École polytechnique.
(5) Comte de Belleval, Journal d'un capitaine de francs-tireurs
- Paris. E. Lachaud, 1872.
(6) Rennes, Hthe Caillière, 1877 |