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17 septembre 1944 - La mort du Lieutenant Maurice Rousseau


Hormis ce qui apparait de prime abord comme une étrange erreur de titre («  Philippe Rousseau ») cet article de presse canadien de 1946 apporte nombre de précisions sur la mort du lieutenant Maurice Rousseau à Igney, le 17 septembre 1944, dans le cadre de l’opération Loyton. On notera aussi parmi ceux qui apportèrent leur aide au lieutenant Rousseau, «  le brigadier de gendarmerie Coupaille » : voir l’article sur le maréchal des logis Jean Hubert Coupaye.

Mais en réalité cet article est un extrait de "La mort glorieuse des lieutenants Philippe ei Maurice Rousseau, parachutistes, de Montmagny", paru dans un autre journal canadien, L'Action catholique : organe de l'Action sociale catholique, le 29 décembre 1945. Le titre a donc été volontairement, mais mal, écourté dans sa reprise de janvier 1946. Le texte a été copié tel quel en ce qui concerne Maurice Rousseau d'où l'indication de note "(1)", dont le renvoi est oublié dans l'article de 1946, mais est dans l'article d'origine: "(1) Le Chevalier de l’air - Vie héroïque de Guynemer. par Henry Bordeaux, Librairie Plon, Pans, 1918. - p. 284.".

Les illustrations de L'Action catholique sont plus nombreuses, mais malheureusement de très mauvaise qualité. Nous les ajoutons cependant en bas de cette page.
 


Le peuple : organe du district de Montmagny
25 janvier 1946

La mort glorieuse du lieutenant Philippe Rousseau

Par G.-H, Dagneau

“Un jet d’eau qui montait n’est pas redescendu”, Ce simple vers, “image de la force ascensionnelle de cette claire jeunesse”, résume pleinement, au dire d’Henry Bordeaux, la vie de l’as des as, Guynemer, disparu à la suite d’un combat aérien le 11 septembre 1917" (1)
Que dirait, de nos jours, le grand écrivain français pour décrire la vertigineuse descente des parachutistes de la guerre qui vient de s'achever ? Car si la victoire ne se trouve plus au bout d’une éblouissante montée individuelle en plein ciel, elle est néanmoins acquise, tout comme jadis, par du sang, de la valeur, du courage et de la jeunesse, même s’il faut pour cela se précipiter du haut des airs contre le sol, dans un vol sans grâce et sans défense. Le Sacrifice y garde sa plénitude totale, son caractère désintéressé et volontaire, son mérite intrinsèque.
Ce sacrifice un jeune Canadien français de Montmagny, le lieutenant Maurice Rousseau, du Premier Bataillon Canadien de Parachutistes, l’a accompli dans des circonstances qu’on peut enfin révéler à l’enquête menée en France même par le frère de la victime, M. Claude Rousseau, industriel de Montmagny.
“Un jet d’eau qui montait n’est pas redescendu”.
L’image poétique ne contredit pas l’idée que l’on se fait de “cette claire jeunesse” dont le sacrifice est monté du sol français vers le Très-Haut, même après la descente en parachute.

LE LIEUTENANT MAURICE ROUSSEAU

Le lieutenant Maurice Rousseau vécut du 10 au 17 septembre, dans les parages d’Igney, petit village de le Meuthe-et-Moselle, en Lorraine, à 20 milles environ en arrière de la ligne de feu, du côté allemand, bien entendu. Il s’y conduisit en chef et les hommages qu’a recueillis son frère, M. Claude Rousseau, étaient décernés par toute la population formée de vrais maquisards à qui quatre ans d’occupation avaient appris à juger les hommes non sur les apparences !
C'était au moment de la grande poussée de l’armée américaine de Patton vers l’est, au delà de Paris. Le Grand Quartier Général allemand était alors à Nancy et une partie de la mission du lieutenant Maurice Rousseau, accompagné de neuf parachutistes - cinq Français, deux Espagnols, un Anglais et un Allemand - consistait à couper le chemin de fer et le canal qui passaient dans la région afin de retarder l'évacuation du GQG nazi. Le lieutenant Rousseau, sachant le français et l'anglais, était le seul qui pût parler avec tous ses hommes et se faire comprendre d’eux. Certains de ses neuf compagnons ne savaient que leur langue maternelle et le français ou l'anglais, mais aucun n’avait et l’anglais et le français en plus de leur propre langue.
Disons immédiatement que l’autre partie de la mission du lieutenant Rousseau n’a jamais été révélée, jusqu’ici du moins. Car, à plusieurs reprises, il lui fut offert de repasser les lignes allemandes et de retourner du côté allié, mais il refusa.
 


MISSION RECONSTITUEE

Le groupe n’avait aucune instruction sur la façon dont il devait revenir chez les Alliés, une fois sa mission accomplie. Les parachutistes, lorsqu’ils ont atterri, sont absolument libres... de se débrouiller à leur guise.
M. Claude Rousseau, à Igney et dans les villages de la région, a rencontré tous ceux qui entrèrent en contact avec le lieutenant Maurice Rousseau et participèrent avec lui aux épisodes tragiques, mais si importants de la mi-septembre 1944, alors que le front allemand craquait de partout et que la France était sur le point d’être entièrement et définitivement libérée. À l’aide de tous ces témoignages, il a pu reconstituer assez exactement la mission de son frère. Soumis au colonel Franks, commandant du 2e régiment du “Special Air Service”, unité de l’armée anglaise à laquelle le lieutenant Rouseau avait été prêté par le Premier Bataillon Canadien des Parachutistes, ce rapport a été approuvé comme ne comportant aucune erreur du point de vue de l’autorité militaire britannique.
Les sources d'informations de M. Rousseau sont les suivantes: M. l’abbé Alain Senger, curé de Repaix; M. l’abbé Robert Senger, frère du précédent, ecclésiastique ordonné prêtre depuis les tragiques événements de Septembre 1944; M. l’abbé Stützmann, curé de Domèvre et chef de la Résistance dans la région; le Dr Thomas de Blamont; M. et madame Just Verdenal, d’Igney;
M. Aimé Honoré, d’Igney; M. Jules Tribout, qui servait de guide au lieutenant Rousseau; M. Marcel Mazières et M. Paul Gallemard, deux survivants des neuf parachutistes qui accompagnaient le lieutenant Rousseau; et enfin, le charron de Foulcrey, qui se trouvait là au moment où le lieutenant Rousseau y fut transporté le 17 septembre 1944 et qui obtint des renseignements du sous-officier SS. allemand à qui on attribue le dernier coup porté au lieut. Rousseau
Voici le texte de ce rapport:

LE 10 SEPTEMBRE 1944

Le lieutenant Maurice Rousseau et ses neuf hommes furent parachutés le 10 septembre 1944, vers 1 heure du matin, à environ 800 mètres d’un chantier de construction de l’agence Todt, où des membres de la “Hitler Jugend” exécutaient des travaux nocturnes de défense. C’était à peu de distance de St-Georges, dans la région de Richicourt-le-Château. Une fois à terre, le lieutenant Rousseau n’avait plus que quatre hommes avec lui. Et par-dessus le marché, les cinq qui manquaient à l’appel étaient précisément ceux qui avaient l'appareil portatif de radio.
En se cachant le jour et en ne voyageant que la nuit, le lieutenant Rousseau et ses quatre hommes atteignirent, le 12 septembre, le bois l’Igney. Ils avaient parcouru 8 kilomètres, et se trouvaient alors à un kilomètre et demi d’Avricourt. Dans le bois, ils rencontrèrent M. Aimé Honoré qui leur amena un guide, M. Jules Tribout. Celui-ci les conduisit à Repaix, à 3 kilomètres et demi plus loin, et le groupe passa deux nuits dans la chambre du curé de l’endroit, l’abbé Senger. Mais comme la cachette n’était pas assez sûre, ils se dissimulèrent ensuite dans le clocher.
Mais, le lieutenant Rousseau ne restait cependant pas inactif. Par des moyens secrets, il entra en contact avec une organisation clandestine qui faisait passer les prisonniers alliés évadés. La frontière entre la France et l’Allemagne, à ce moment, passait à très peu de distance d’Avricourt et donc de Repaix. C’est ainsi que le lieutenant Rousseau connut l’abbé Stützmann, un Alsacien authentique qui, sous le pseudonyme de capitaine Laforge, dirigeait la Résistance de la région, et dont la soeur fut fusillée par les Allemands après avoir été torturée. Il se lia également avec le Dr Thomas, de Blamont. Celui-ci, grâce a sa profession, avait plus de facilité pour voyager d’un village à l’autre. Il assurait donc les communications entre les membres de la Résistance et les parachutistes. Enfin, le brigadier de gendarmerie Coupaille fut parmi ceux qui collaborèrent avec le lieutenant Rousseau. Ce brave policier devait, par la suite, être fusillé par l’ennemi.

REFUS DE PARTIR
Pendant ce temps, on offrit à plusieurs reprises au lieutenant Rousseau de le reconduire dans les lignes américaines, mais il refusait prétendant qu’il devait d’abord s’assurer des cinq hommes qui lui manquaient encore. Grâce au Dr Thomas il finit par les repérer. On décida que les deux groupes se rejoindraient à Repaix le dimanche, 17 septembre, Mais auparavant, le samedi, 16, le lieutenant Rousseau apprit que les Américains étaient rendus à Chazelles, à environ 6 kilomètres de là. Il partit donc avec trois hommes, ne laissant à Repaix que le caporal Pichon, avec mission d’attendre les cinq hommes qui devaient rejoindre leur chef le lendemain. Le caporal Pichon devait également surveiller les munitions du groupe et d’autres objets laissés en arrière.
L’abbé Stutzmann attendait le lieutenant Rousseau et ses trois hommes à la Croix-Blanche, à environ 2 kilomètres de Chazelles. Il devait conduire la petite troupe aux Américains. Le mot de passe était “La Madelon” dont Rousseau devait siffler l’air. Par malheur, Rousseau était meilleur soldat que musicien et, le moment venu d’exécuter son solo, il hésita, bafouilla et fut à deux cheveux de recevoir une balle de l’abbé Stutzmann. Par chance, le lieutenant réunissant toutes ses forces, son courage et ses souvenirs musicaux, réussit à moduler quelque chose qui apaisa le rude maquisard qu’était l’abbé Stutzmann. Les trois hommes restèrent dans le bois, l’abbé et le lieutenant Rousseau partirent rejoindre les Américains. Le lieutenant demeura avec leur chef jusqu’au matin, On décida alors d’effectuer un raid sur Igney le dimanche 17. Les Américains demandèrent au lieutenant Rousseau, qui connaissait maintenant la région, de les accompagner. Bien que sa mission fût terminée à ce moment, il accepta et partit avec la colonne américaine à bord d’un “jeep”. Mais parvenue à Autrepierre, la colonne américaine refusa d'avancer plus loin. Le lieutenant Rousseau décida alors de se rendre à pied à Igney, afin d’y rejoindre une autre colonne américaine qui devait y arriver par Repaix.

Première escarmouche
A Igney, il y eut escarmouches avec des Allemands. Plusieurs de ceux-ci furent tués et cinq furent faits prisonniers. Les Américains ramenèrent subséquemment ces captifs avec eux. Le lieutenant Rousseau et ses hommes déjeunèrent donc dans le village: Rousseau avec Centolle, un de ses hommes à la mairie; Mazières et Gallemard, deux autres de ses hommes, de l’autre côté de la rue chez Tribout, le guide. Deux Américains, dans un “jeep” montaient la garde à la porte. Le reste de la colonne américaine, composée d’un tank léger et d’autos-mitrailleuses se trouvait à quelque distance de là, près de l’église.
Vers 2 heures de l’après-midi, l’un des deux Américains entra dans la mairie pour avertir le lieutenant Rousseau qu’une auto allemande approchait, venant d’Amenoncourt. Immédiatement, le chef disposa ses hommes, laissa approcher l’auto à 200 mètres, puis donna l’ordre d’ouvrir le feu. Trois des quatre officiers S.S. nazis moururent sur le champ et le quatrième succomba à 300 mètres puis loin. Dans le véhicule, le lieutenant découvrit quatre serviettes de cuir bourrées de documents. On cacha le butin, et on fit disparaître l’auto dans un buisson.
On reprit le déjeuner interrompu en laissant les deux soldats américains de faction à la porte. Quelques minutes s’étaient à peine écoulées, qu’une des sentinelles américaines avertissait de nouveau le chef que, cette fois, une motocyclette avec un panier arrivait d’Amenoncourt. Mais, les Allemands eurent vent de quelque chose de louche, car la moto rebroussa chemin. Mais, peu après, trois fantassins venaient de la même direction. Rousseau ordonna de les laisser approcher afin de ne pas les manquer, mais les deux Américains ouvrirent le feu trop vite et les Allemands se cachèrent dans un verger. L’une des autos-mitrailleuses américaines s’approcha alors et ouvrit le feu, mais sans succès.

Départ des américains
A ce moment, une fusillade éclata dans la direction d’Avricourt, Rousseau décida d’aller voir ce qui se passait en se dirigeant vers l’arrière de la mairie. Il était alors avec ses hommes et son guide, M. Tribout. Ils aperçurent alors de nombreux Allemands qui débouchaient de la route d’Avricourt. Revenant à l’entrée de la mairie, les Canadiens découvrirent que le “jeep” américain était disparu. Poursuivant leur enquête jusqu’au centre du village, Ils constatèrent que le char d’assaut et les autos-mitrailleuses américaines étaient également disparus. Lorsque les Américains décampèrent, Mazières était à 10 mètres d’eux et ils ne l'avertirent même pas qu’ils partaient définitivement et ils ne lui offrirent même pas d'amener Rousseau et ses hommes.
Le lieutenant décida donc de regagner Repaix, à pied, à 3 kilomètres et demi de là. Tribout, le guide, suggéra de passer par le bois d’Igney et de suivre les haies jusqu’à Repaix près du ruisseau qui coule à l’est de la route.
Tribout marcha en tête avec, immédiatement derrière lui, mais un peu à sa gauche, le lieutenant Rousseau, Gallemard suivait et, à 4 mètres plus loin, venaient Centolle et Mazières. Il pleuvait et la visibilité était très mauvaise. Après avoir parcouru 200 mètres tout en zigzaguant pour éviter les clairières, le lieutenant cria: “Un boche: cachez-vous!” On entendit un coup de feu et Centolle reçut une balle en pleine poitrine. Mazières se porta à son secours, mais Centolle refusa disant: “Va t’en, je suis fini! Ils vont t'avoir, toi aussi, si tu restes ici !” Quelques minutes après, Rousseau ordonnait à Tribout d’aller voir à Centolle. Puis, il envoya Gallemard en reconnaissance dans les environs pendant que lui tenait les Allemands en respect à l’aide d’une mitrailleuse.

Derniers moments
Lorsque Gallemard revient, Rousseau était entouré d’environ 30 Allemands. Il avait épuisé ses munitions. Malgré qu’une balle lui eut traversé le cou, il se battait quand même. Au moment où il amorçait sa dernière grenade, il fut lui-même frappé par une grenade allemande.
Les nazis obligèrent des civils à transporter le blessé à Foulcrey, à environ 2 kilomètres et demi de là. Il mourut en arrivant au poste secours allemand de cet endroit.
Gallemard fut capturé, mais Centolle, Mazières et Tribout purent s’échapper. Ils passèrent par Repaix et y prirent les 4 serviettes de documents allemands qu’ils purent remettre à l’armée du général Leclerc. Par la suite, le quartier général de Leclerc reconnut que ces documents “étaient très importants”. Cela s’expliquerait par le fait qu’à ce moment les Nazis évacuaient leur GQG de Nancy. Or, la route d’évacuation passait par Igney. Vraisemblablement, les quatre officiers transportaient une partie des archives du grand état-major allemand.
C’est donc ainsi que le lieutenant Rousseau mourut, victime de son héroïsme et de son intrépidité.
Sa dépouille mortelle fut inhumée dans le cimetière militaire allemand d’Avricourt, mais la population d’Igney obtint des autorités le droit d’exhumer le corps et de l’enterrer dans le cimetière local. En dépit des difficultés des temps on lui fit un cercueil de chêne et depuis lors, sa tombe est sans cesse ornée de fleurs entretenues par les gens de l’endroit. Lors de la visite de M. Claude Rousseau, on refusa catégoriquement les dédommagements qu’il offrit pour les frais d’inhumation.
Comme nous le disions au début, ces Français à qui quatre ans d’occupation nazie avaient appris à juger les hommes à leur mérite, avaient trouvé dans le lieutenant Maurice Rousseau un véritable chef. Pour eux, il avait symbolisé la délivrance, la victoire. Dans la mort il restait ce qu’il avait été a leurs yeux pendant le court espace de sa vie passé avec eux: le type du Canadien français venu volontairement d’au delà des mers pour apporter la liberté à des Français. Ils se souviennent.


Illustrations du même article dans L'Action catholique : organe de l'Action sociale catholique du 29 décembre 1945 :

 


 

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