Histoire de la
Guerre de 1870
par V. D***, officier d'état-major
Paris, 1871
[...]
La défaite du maréchal Mac-Mahon à Woerth entraîna l'abandon de
l'Alsace et des Vosges, et cette évacuation se fit en désordre.
L'esprit des chefs semblait frappé comme celui des soldats. La
fermeté dans la défaite est certainement une qualité qui manque
souvent au caractère français; la prévoyance dans l'hypothèse
d'un semblable événement, lui fait aussi défaut. Et cependant,
il peut et il doit les acquérir. L'histoire abonde en leçons de
ce genre, et pour en profiter, il suffit de le vouloir, car
l'ordre dans les retraites n'est, après tout, qu'une question de
sang-froid dans le commandement, et de discipline dans la
troupe.
Le 7 août, le 1er et le 5e corps étaient déjà en pleine marche
rétrograde. Le 7e auquel il ne restait qu'une division, la 2e
(général Liébert), l'avait dirigée la veille sur Mulhouse par
suite d'un avis qui signalait une concentration ennemie à
Lorrach. Il n'y avait là, en réalité, que de faibles
détachements wurtembergeois chargés de faire des démonstrations
dans la Forêt-Noire, pour nous inquiéter. Le général Douay
(Félix) qui commandait le corps, frère du général tué à
Wissembourg, reçut le 7, de bonne heure, l'avis de la défaite de
Woerth, et l'ordre de l'Empereur de jeter une de ses divisions
dans Strasbourg et de couvrir Belfort avec les deux autres.
Quoique cet ordre soit resté sans effet, il est difficile à
expliquer ; car les situations et les rapports reçus le 6 au
soir au grand quartier général indiquaient que la division
Conseil-Dumesnil avait combattu à Woerth, et que la 3e division
(Dumont) du 7e corps était encore en formation à Lyon. En vertu
de ces indications, la 2e division partit de Mulhouse avec une
précipitation qui commença à ébranler le moral du soldat, et
regagna Belfort, où la 3e la rejoignit le 13. Ces troupes furent
activement employées à mettre en état de défense les forts
extérieurs, qui n'étaient qu'ébauchés.
La marche des 1er et 5e corps, de Bitche et Saverne jusqu'à
Châlons, s'effectua hâtivement et en désordre, sur les
directions suivantes :
DATES |
1er CORPS |
5e CORPS |
OBSERVATIONS |
7 août |
Saverne |
La Petite- Pierre. |
|
8 |
Sarrebourg |
Lixheim |
|
9 |
Blamont |
Sarrebourg |
|
10 |
Lunéville |
Avricourt |
|
11 |
Bayon |
Lunéville |
|
12 |
Haroué |
Bayon |
|
13 |
Vicherey |
Charmes |
|
14 |
Neufchâteau |
Mirecourt |
Le 1er corps s'embarque en chemin
de fer |
15 |
Neufchâteau |
Neufchâteau |
|
16 |
Châlons |
Rimaucourt |
|
17 |
|
Chaumont |
Le 5e corps s'embarque en chemin
de fer |
20 |
|
Châlons |
|
On est en droit de considérer
la retraite de ces deux corps sur Châlons comme une nouvelle
faute stratégique. Certes, quand une armée a subi une défaite
comme celle de Woerth, perdant ses bagages et ses munitions, il
lui faut, pour se réorganiser, un point d'appui solide et à
l'abri des coups de l'ennemi. Mais était-ce une raison pour
reculer pendant 70 lieues, laisser l'ennemi pénétrer au coeur du
pays, et gagner un point sans abri ni moyen de défense, après un
long circuit excentrique vers le sud, en abandonnant à la 3e
armée allemande la ligne directe de Nancy à Châlons ? Il ne
pouvait y avoir à cette marche sur Châlons qu'un motif
plausible, celui d'entraîner à sa suite l'armée ennemie,
peut-être une partie de la 2e armée qui aurait cherché à se
trouver en relation constante avec elle, et permettre ainsi à la
masse principale de troupes françaises rassemblée sous Metz de
battre près de cette ville la partie des masses ennemies
laissées en arrière.
Cette combinaison pouvait peut-être réussir; mais pour cela il
fallait compter sur l'imprudence des chefs prussiens et
s'inspirer d'une audace désespérée, deux sentiments qui
n'existaient pas. |