[p. 23]
L'ardeur fiévreuse de Wulliez [procureur-syndic de
Sarrebourg] et de ses collègues était encouragée par le général Schauenbourg,
commandant l'Armée de la Moselle : le 24 août, il leur promettait de leur
envoyer comme chefs « ...les lieutenants-colonels en second des ci-devant
bataillons de volontaires et d'autres officiers ». Elle ne se calma pas,
bien au contraire, lorsqu'arrivèrent, le 25 août, des renseignements
alarmants sur l'Armée du Rhin. Le Directoire local [de Sarrebourg] fit
aussitôt sonner le tocsin pour appeler tous les citoyens aux armes. Il
exhorta les autres districts à se porter avec lui « en avant du péril » et
Blâmont, au moins, lui donna son acquiescement. Le 26, cinq ou six mille
hommes partaient de Sarrebourg vers la gorge de Lorentz. Ils n'allèrent pas
loin : Schauenbourg lui-même suspendit leur manoeuvre.
[p. 26]
L'arrivée du décret du 23 [août 1793] obligea le
Conseil départemental à modifier, le 30 août, son arrêté primitif. Il
convoqua, cette fois, tous les citoyens de 18 à 40 ans, célibataires ou
veufs sans enfants, et, dans les villes et les bourgs, tous les citoyens de
18 à 35 ans, sans exception. C'était exiger illégalement des populations
meurthoises un sacrifice beaucoup plus considérable que le sacrifice demandé
par l'Assemblée et accroître une confusion déjà grande. En fin de compte,
les districts obéirent, les uns aux arrêtés départementaux du 25 et du 30,
d'autres au décret de la Convention du 23, d'autres encore - Blâmont et
Sarrebourg - à la réquisition plus ancienne des représentants Lacoste et
Guyardin.
[p. 28]
Touché directement, comme Sarrebourg, par l'arrêté
Lacoste et Guyardin, le District de Blâmont fit marcher d'abord, sans les
organiser en bataillons, tous les citoyens de 16 à 40 ans, célibataires ou
veufs sans enfants ; mais, le 4 septembre, à Hochfelden, non loin de
Saverne, un bataillon de 435 hommes se constitua, tandis que les
cultivateurs et les individus mariés étaient libérés. Seul, par conséquent,
le district de Sarrebourg exécuta fidèlement le levée en masse, sous la
forme définie par les représentants.
[p. 34]
Ceux qui restaient rendraient-ils à l'armée les
services qu'on attendait d'eux ? C'était peu probable, étant donné leur
origine surtout rurale, leur manque totale d'instruction militaire,
l'insuffisance de leur équipement, le peu d'homogénéité de leur armement (*)
et surtout la médiocrité de leur encadrement. Un avenir prochain devait
révéler la faible valeur des « bataillons agricoles » - comme on appelait
aussi les réquisitionnaires de la levée en masse.
(*) Tandis que les bataillons de Nancy, de Toul, de Vézelise, de Dieuze, de
Pont-à-Mousson étaient munis de fusils, ceux de Lunéville, de Blâmont et de
Château-Salins n'avaient guère que des piques (R. TOURNES, p. 223-224). Pour
la fourniture de piques, le Directoire départemental avait traité
directement avec trois fabricants d'armes de Saint-Etienne (ADM, L 79).
[p. 38]
Il y a toujours, certes, des dénonciateurs et des
dénoncés, mais en nombre plus restreint qu'auparavant. Nicolas Boren,
jardinier à Château-Voué, a dit au cabaret que s'il n'était pas libre de
boire à sa guise, ce n'était pas la peine de planter des arbres de la
liberté : ce propos d'ivrogne, répété par d'autres, lui vaut une peine de
prison. J.-B. Laurent, fabriquant de savon à Blâmont, a refusé le 10 août de
s'agenouiller pendant la messe de la Fédération, parce qu'il n'adorait pas
des « idoles » ; c'est une irrévérence envers le culte, une insulte à
l'autel de la Patrie : il est mis sous la surveillance directe de la
municipalité (*).
(*) ADM, L 3157.
[p. 39-40]
Le 13 août [1793], à la demande du Comité de
surveillance, le Directoire départemental ordonna la réintégration
immédiate, dans la maison de réunion, des ecclésiastiques provisoirement
élargis pour cause de maladie. Le 16, à la réception d'une circulaire du
ministre Garat sur la fréquence « effrayante » des évasions et la
promiscuité courante des prisonniers politiques avec des détenus de droit
commun, sans distinction de sexe ou d'âge, il écrivit aux Districts pour
leur prescrire une organisation rapide, définitive et rationnelle de leurs
maisons d'arrêt et de justice : sa lettre déclencha une révision et un
aménagement de toutes les geôles du département (*).
(*) [...] D'importants travaux de serrurerie furent entrepris dans plusieurs
prisons de Nancy (Annonciades, Cordeliers, Prêcheresses, Refuge) par
Jean-Baptiste-Sigisbert Limonier. A la Monnaie, la chapelle construite dans
le préau et appuyée contre le mur d'enceinte fut démolie, parce qu'elle
avait « déjà servi de moyen d'évasion pour les prisonniers » ; on parla
aussi d'élever le mur de la cour et de remplacer les planchers, pour éviter
le même inconvénient. Une reconnaissance effectuée aux Annonciades et aux
Carmélites par Sébastien-Nicolas Morin, administrateur du district de Nancy,
et par un entrepreneur, révéla que les soixante-douze chambres du premier de
ces couvents étaient en assez bon état, mais qu'il fallait envisager de
sérieux travaux pour rendre sûres et commodes les quarante-sept chambres ou
cellules des Carmélites. - A Lunéville, on élabora, le 26 août, un projet
d'organisation d'une maison d'arrêt pour ex-nobles au second étage du
bâtiment des chanoines réguliers. - Blâmont réitéra une demande d'octobre
1791 : l'Administration de ce district eût désiré installer aux Capucins -
qu'elle occupait déjà partiellement - le tribunal, la gendarmerie nationale
et des prisons « conformes aux loix ».
[p. 42-43]
Au total, le Directoire départemental étendait
sensiblement les pouvoirs des comités de surveillance. Plus encore, il
entourait les suspects et les tièdes d'un réseau de précautions aux mailles
plus serrées, qui annonçait singulièrement, près d'un mois à l'avance, la
loi des suspects du 17 septembre 1793. Mais l'exécution de ses volontés ne
dépendait pas de lui seul. Les Comités eux-mêmes, les Sociétés populaires,
et même les Districts et les municipalités y concourraient pour une large
part.
On pouvait certes compter sur la vigilance toujours en éveil du district de
Sarrebourg. Informé, le 18 août [1793], que les représentants à l'Armée du
Rhin venaient de signer un arrêté destiné à relever le crédit des assignats,
il leur en avait demandé le texte, avec la permission de l'appliquer
provisoirement dans la circonscription : « A défaut de guillotine pour
marcher à l'appuy de votre arrêté, nous mettrons en évidence les sabres de
quelques grenadiers ». Apprenant, le même jour, que l'ennemi était à
Sarreguemines et pouvait surgir d'un moment à l'autre, il s'était réuni au
Conseil général de la commune pour décider la fermeture des portes de la
ville, tous les jours, à 7 heures du soir, le renforcement de la garde
placée à chacune d'elles, la cuisson immédiate de pain pour six ou huit
jours, l'incarcération de cinq suspects, l'installation d'un factionnaire
dans chaque prison et devant le magasin de vivres et fourrages, l'expédition
immédiate à Nancy de 35.000 livres sur les 40.000 que contenait la caisse de
son receveur, l'interdiction à tous les habitants de s'absenter sans
permission spéciale. Le 22, une partie de ces mesures avaient été rapportées
à la nouvelle que les envahisseurs reculaient ; les cinq suspects avaient
obtenu la clef des champs, ainsi que l'ancien juge Lallemand, mais non sans
avoir essuyé une sévère et menaçante algarade. Le 26 encore, Wulliez
soumettait au département du Bas-Rhin un projet de battues simultanées dans
les forêts du comté de Dabo, des régions de Haguenau, de Wasselonne, de
Saint-Quirin, d'Abreschwiller, contre des « noyaux » contre-révolutionnaires
capables de fondre sur les propriétés des patriotes partis au feu. Et
pourtant, le Comité de surveillance de Sarrebourg, soit qu'il eût été
désorganisé ou absorbé par la levée en masse, soit qu'il eût estimé
suffisantes les arrestations antérieurement prononcées, et trop tardive
l'action du Directoire départemental, ne répondit pas alors aux décisions de
ce dernier.
Peu d'autres s'y astreignirent, du reste. Deux ou trois seulement réunirent
sur une liste, dans la dernière semaine d'août, les ex-nobles, les parents
ou agents d'émigrés passibles d'arrestation : sept à Marsal, quinze à
Lunéville, trois - des ex-nobles - à Badonviller (*), trois à Maxéville, un
seulement à Blâmont (**).
(*) ADM, L 544. Ils furent envoyés à la prison de Blâmont qui les refusa,
faute de place.
(**) Nicolas Masson, ex-capucin, résidant à Barbas chez le curé Nicolas
Thiriet et connu pour sa « lâche indifférence » à l'égard de la cause
républicaine et pour fréquenter des personnes « mal notées » (ADM, L 3156 et
L 3162).
[p. 52]
Le problème des subsistances en août 1793
[...] Les principales villes, Nancy et Lunéville en tête, souffraient toujours
de l'insuffisance des grains. Dans l'ancienne capitale de Stanislas, la
population se porta en murmurant, le 9 août [1793], vers l'Hôtel de Ville :
la municipalité dut aviser sur-le-champ à protéger les magasins militaires
menacés de pillage. Pour ravitailler Na ncy, le Directoire départemental
frappait les districts les plus proches de réquisitions qui demeuraient à
peu près complètement inexécutées. Même Blâmont se plaignait de la « disette
de vivres », en l'attribuant aux méfaits de l'accaparement.
[p. 59-60]
Si, malgré tous les obstacles, les armées -
grossies des hommes de la levée en masse - ne manquèrent pas de pain, elles
le durent autant à la sollicitude du Département qu'aux réquisitions
désordonnées des représentants et des agents des subsistances. Mais
l'élément civil de la population pâtit inévitablement du fait que le
ravitaillement des soldats prima le sien. A Nancy, dans les derniers jours
d'août [1793], régnait une véritable fièvre, qui n'était pas due uniquement
au départ prochain des réquisitionnaires. La municipalité n'avait plus de
farine ; le 27 août, le Département l'autorisa - car « la faim ne s'ajourne
pas » - à délivrer du blé aux citoyens porteurs de billets du bureau de
bienfaisance ; mais, faute d'orge, ce blé « pur » fut tarifé à 23 livres le
quintal à dater du 1er septembre. A Sarrebourg aussi, on appréhendait de se
trouver bientôt sans pain, d'autant plus que le district de Blâmont refusait
son aide (*). C'était le triomphe du « chacun pour soi » [...]
(*) ADM, L 79 (début de septembre)
[p. 62]
On entama enfin, mais d'abord sans particulière
énergie, la lutte contre les accapareurs. Le 19 août [1793], la municipalité
de Nancy distribua une instruction relative à la récente et terrible loi du
27 juillet sur l'accaparement des denrées et des matières de première
nécessité ; elle désigna aussi des commissaires pour vérifier les
déclarations obligatoires des commerçants et la vente « par petits lots et à
tout venant » des marchandises déclarées. A sa demande, la Société populaire
ouvrit, le 30, une enquête sur un accaparement de suif que lui avait dénoncé
le directoire du district mosellan de Thionville. Au cours d'une
perquisition organisée, le 20 août, par le Comité de surveillance de Blâmont
chez la veuve Ervette, de Barbas, dont on pensait que la maison recélait des
émigrés, on découvrit - derrière une porte masquée par un lit et dans un
grenier - vingt réseaux de blé en tas, trois en sacs, six sacs de farine et
deux bichets de pois : or, dans sa déclaration consécutive à la loi du 4
mai, elle n'avait porté que six réseaux de blé, nécessaires à son entretien
et à celui de ses ouvriers. Malgré ses explications, elle fut appréhendée
pour contravention au premier maximum (*), ses denrées saisies et
distribuées ou vendues au profit des indigents (**).
(*) Elle ne tombait pas sous le coup de la loi du 27 juillet, qui frappait
seulement les marchands.
(**) ADM, L 544, L 3157, L 3160 ; Procéd. Du tribunal du district de
Blâmont.
[p. 72-73]
Les officiers municipaux qui, après s'être
entourés des garanties indispensables, avaient consenti à accorder les
certificats [de civisme], devaient assumer la responsabilité de leur geste :
c'est pourquoi, le 16 septembre [1793], le Directoire départemental arrêta
que, pour être valable, tout certificat porterait obligatoirement les noms
des membres du Conseil général présent à la séance où il avait été octroyé
et le détail exact du vote.
La Convention intervint elle-même quatre jours plus tard (20 septembre), en
ordonnant que tous les certificats seraient révisés « à peine de nullité »
par les comités de surveillance et de salut public établis dans les
différentes villes de la République, ou à défaut, par un comité ad hoc,
composé de six membres pris dans les Sociétés populaires.
Tant de précautions purent rester impuissantes à empêcher la délivrance de
certificats immérités. La Société populaire de Lunéville prévoyait les
complaisances douteuses lorsqu'elle écrivit au Comité de surveillance de
Blâmont : « Défiez-vous surtout des certificats que les aristocrates
extorquent à la sensibilité des faibles pour échapper à la punition qui les
attend ».
[p. 81-82]
Alors que le Comité [de surveillance] de Vézelise
paraît avoir limité son activité à l'incarcération d'un ex-noble de Haroué,
celui de Blâmont prononça trois arrestations [en septembre 1793] : celle de
Joseph Jeanclaude, de Gogney qui, écroué une première fois pour résistance
tenace à la loi du 4 mai, puis relaxé en juin, n'avait pas été guéri de son
incivisme ; celle d'un auteur de propos extravagants qui, pour comble,
n'avait pas déposé sa croix de Saint-Louis ; celle enfin de la veuve Ervette,
accapareuse : mais Jeanclaude, grossier et frustre, partant peu responsable,
fut derechef élargi sous surveillance (*).
(*) ADM, L 3157, L 3160.
[p. 100-101]
La dictature de Marat-Mauger.
[Auguste Mauger, revenu dans la Meurthe en octobre 1793, voulait] « propager
l'esprit public, le soutenir et l'élever à la hauteur républicaine ». Pour
ce faire, le club nancéien et le comité de surveillance devaient lui être
d'un précieux concours.
La Société populaire de Nancy, replacée depuis le 20 septembre sous
l'influence des éléments les plus avancés et catéchisée tour à tour par
Brisse et par Philip, semblait d'avance toute dévouée aux projets de Mauger.
Une adresse qu'elle avait votée, le 10 octobre, pour féliciter la Convention
« des mesures grandes et salutaires » prises par elle « pour se purger des
traîtres » était révélatrice de son état d'esprit. Sans trêve, elle
continuait à vitupérer les ennemis avérés ou sournois du régime montagnard.
Et même, depuis peu, elle englobait parmi eux les Juifs, en dépit de leur
soumission aux lois et des « nombreux actes de civisme » auxquels se
livraient, par précaution, certains d'entre eux. Tant à Nancy qu'à Dieuze, à
Sarrebourg et à Blâmont (*), on prétendait que les Juifs avaient agioté sur
les assignats, spéculé sur la vente des biens nationaux, pris en tutelle
l'administration des subsistances militaires : les plus « purs » des
Montagnards, interprétant ici le sentiment profond du petit peuple,
répugnaient à les traiter en bons citoyens. Dans le courant de septembre et
sur la proposition de Febvé (**), la Société populaire nancéienne avait
demandé à la Convention leur « exportation » comme « un moyen d'extirper
l'agiotage ». Ces Juifs, disait-elle, ont été « toujours agioteurs, toujours
accapareurs, toujours isolés du reste de la République. Ils semblent ne
devoir pas de longtemps sentir le prix du bien que leur a fait notre
Révolution ». Philip s'est même écrié : « Ces êtres que la philosophie et la
justice ont rendu à l'état d'hommes et de citoyens, ingrats envers la
patrie, conservant les moeurs et l'habitude des vices qui les ont rendus si
odieux à toutes les nations, loin de se montrer dignes des bienfaits de la
Révolution, semblent toujours n'exister que pour l'agiotage, l'usure et
l'accaparement, et sont ainsi les complices des émigrés dont ils favorisent
le luxe ». Bien qu'appuyée par une requête identique du club toulois, la
motion antijuive des sans-culottes nancéiens devait sans doute, finalement,
être repoussée par les Jacobins de Paris et par la Convention, mais, en
attendant, elle suffit à réveiller les haines et les préjugés qu'on pouvait
croire périmés et à attirer sur « les enfants d'Israël » la suspicion des
autorités.
(*) Affaire des Juifs Samuel Weil et Jacob Salomon et de Nicolas Comte, de
Neuviller (accaparement d'avoine) : ADM, L 545.
(**) AN, WI A17-756 bis
[p. 120-121]
Quant aux opérations des comités de surveillance
autres que celui de Nancy, elles échappaient encore complètement à
l'influence de Marat-Mauger. Ces comités continuaient sans éclat leur
existence des mois antérieurs, visant des certificats de civisme, dressant
des listes de suspects, recevant des dénonciations, accordant des
autorisations de résidence à des officiers suspendus, décernant quelques
mandats d'arrêt, prononçant quelques élargissements ou des sorties
provisoires pour les détenus âgés, malades ou assagis, atténuant quelques
sanctions au bénéfice des cultivateurs ou des repentants, examinant les
correspondances de la poste (*), organisant parfois des perquisitions,
infligeant parfois aussi aux suspects et aux indifférents des taxes
destinées à secourir les soldats pauvres.
(*) ADM, L 3157 : affaire du citoyen Crolbois, ancien officier au service du
prince de Nassau, commandant le bataillon des troupes agricoles du district
de Blâmont, auteur de lettres hostiles à la République.
|p. 131-133]
Le 3 [novembre 1793, face à l'approche des ennemis
qu'on disait maîtres de Saverne], les Conseil généraux du département, du
district et de la commune [de Nancy], les juges des tribunaux (criminel, de
district, de commerce, de paix), le Comité de surveillance décidèrent de
former un comité central de seize membres qui dresseraient la liste des
détenus à « refouler » (d'aucuns disaient sur Paris, d'autres sur Châlons)
et ceux des détenus à élargir avec ou sans surveillance [...]
Ce comité commença à examiner les détenus des Prêcheresses, qui étaient
environ deux cents [...] Il va sans dire qu'il n'interrompit en aucune manière
les arrestations. On avait lancé quatre-vingt-six mandats d'arrêt le 26
octobre, quatorze le 29, onze le 31, trois le 2 novembre ; on en décerna six
le 4, sept le 5, vingt-cinq le 6, vingt le 7, sept le 8, douze le 9, etc.
Bien peu ne furent suivis d'aucun effet. Toutes les victimes, saisies et
écrouées, astreintes en principe par le Département, depuis le 9 brumaire, à
la même nourriture et au même mode de couchage, n'étaient pas nancéiennes :
sur les quatorze arrêtés du 29 octobre, on notait treize habitants de
Favières, dont le procureur Rémy Carel et dix femmes ; sur les onze du 31,
six habitants d'Haraucourt, et parmi les vingt-cinq du 6 novembre,
figuraient plusieurs Lunévillois, sans compter Catoire-Bioncourt et Quintard,
alors à Paris. Les élargissements étaient beaucoup plus rares que les
emprisonnements : une cinquantaine seulement entre le 26 octobre et le 8
novembre. Une vingtaine de détenus furent transférés à Paris (*). Un instant
même, il fut question de jeter en prison les parents et les domestiques des
suspects absents ; puis, finalement, le 9 novembre, le Comité de
surveillance renonça à cette pratique, en admettant que le caractère
personnel des fautes ne permettait pas sans iniquité « d'en faire subir la
peine à un autre ».
(*) Ainsi : Pellet-Bonneville,
ex-officier, Mullet (de) la Gironzière, Crolbois, ancien commandant du
bataillon des troupes agricoles de Blâmont, etc. ADM, L 3284.
[p.130-131]
Le Comité [de surveillance] de Marsal ajouta, le
10 novembre [1793], trois suspects aux huit femmes, filles ou soeurs
d'émigrés, qu'il avait incarcérées à la fin d'octobre : un ancien noble qui
avait gardé constamment son colombier, s'était toujours opposé à
l'enlèvement des bancs de l'église de Saint-Médard dont il était collateur
et conservait des accointances avec les ennemis du régime ; un ouvrier des
magasins à fourrages qui avait tenté d'arracher le cordon tricolore du
citoyen Sirgent, censeur de la Société populaire ; un ancien officier,
garde-magasin des fourrages, dont les fréquentations, les propos et les
menées contre le club étaient suspects au plus haut point. Avec un peu de
retard sur les autres, mais vraisemblablement mû par une émulation analogue,
le Comité de Munster porta sur le tableau des citoyens suspects, le 17
novembre, vingt-quatre citoyens et citoyennes, qui avaient injurié « la
représentation populaire », annoncé comme imminente une invasion
autrichienne, engagé les jeunes gens à ne pas tirer au sort, maltraité le
maire, attaqué le curé constitutionnel jusque dans la sacristie de l'église
ou criblé de brocards orduriers le culte schismatique.
Si le Comité [de surveillance] de Bayon hésita, le 24 octobre, à faire de
même pour le chirurgien Petitjean, père d'un émigré, celui de Blâmont, le 10
novembre [1793], enferma sept suspects dans la maison d'arrêt de la bourgade
(*) et celui de Niedersteinzel procéda, le 23 octobre, à l'incarcération de
la veuve Marie Weber pour avoir entretenu des correspondances avec des
émigrés, dont l'ex-curé Bexon, et accompli des déplacements suspects. Le
Comité de Gerbéviller organisa une perquisition, du reste infructueuse, sur
le bruit que l'ancien curé Dominique Bessat était rentré en secret. A
Dieuze, le 11 brumaire(1er novembre), le Société populaire nomma dans son
propre sein un Comité de sans-culottes de cinq membres -quatre titulaires et
un adjoint - pour dépister et signaler au Comité de surveillance local, déjà
excité par Richaud et Ehrmann, tous les abus possibles : ce Comité, en
apparence réalisé sur le modèle du Comité Mauger, employa sa brève
existence, sous la présidence de Boucard, à relever des délits forestiers ou
des contraventions au maximum, à signaler un ancien clubiste comme ami de
Foblant, enfin à empêcher les bouchers de saisir, pour les abattre, des
vaches ou des génisses prêtes à vêler.
(*) ADM, L 3162
[p. 142]
Le 31 octobre [1793], le Conseil du district de
Pont-à-Mousson envoya des commissaires dans les villages pour engager les
citoyens « robustes et de bonne volonté » et pour lever des contributions
sur les riches ; le surlendemain, celui de Blâmont exhorta les officiers
municipaux de Badonviller à « exciter » leurs « frères » contre les ennemis
à l'affût des défilés de Saverne (*) ; le 4 novembre, celui de Dieuze,
trouvant insuffisant le nombre des volontaires de Fénétrange (quatre
seulement), décida, pour secouer l'apathie des habitants, la création dans
cette commune d'un Comité révolutionnaire composé du citoyen Mathieu et des
quatre enrôlés, et il enjoignit à la municipalité d'opérer une ponction sur
les grosses fortunes. Mais, au total, les gardes nationales des campagnes ne
fournirent qu'un nombre infime de volontaires.
(*) ADM, L 589
[p.146-147]
Mais la dernière levée d'hommes, qui dépeuplait
subitement les campagnes, la multiplicité des convois qui astreignait
cultivateurs et voituriers à de longues absences, les labours et les
semailles d'automne, impossibles à reculer, la lenteur des boeufs souvent
employés - faute de chevaux - pour les transports, tout avait contribué à
retarder le versement du contingent [de blé, d'avoine et de foin] exigé pour
l'Armée du Rhin. Entre temps, l'administration des subsistances militaires,
d'accord avec les représentants accrédités auprès des deux armées, avait,
pour mettre un terme à des chevauchements maintes fois incriminés, réglé que
les districts de Sarrebourg et de Blâmont seraient désormais seuls « annexés
à la division du Rhin », et que sept autres verseraient exclusivement aux
magasins de l'Armée de la Moselle : or, il n'était pas possible d'exiger des
deux premiers (celui de Sarrebourg étant même le moins « agricole » du
département) ce qui avait d'abord été demandé à l'ensemble des neuf.
Saint-Just et Lebas n'en avaient pas moins décidé, le 3 brumaire (24 octobre
[1793]), d'accorder un ultime délai de douze jours aux administrateurs
meurthois pour fournir le restant des denrées qui leur avaient été demandées
: s'il n'obtempéraient pas, ils seraient traduits au Tribunal
Révolutionnaire « comme coupables d'attentat contre la liberté et le salut
de la Patrie ». Ceux-ci, à leur tour, avaient pris, le 5, un arrêté à
caractère révolutionnaire : il réduisait ce délai à huit jours pour les
producteurs meurthois, menaçait du même tribunal les cultivateurs
désobéissants, les officiers municipaux négligents ou apathiques, les
ouvriers réquisitionnés qui se refusaient au battage des grains et au
bottelage du foin, envoyait dans chaque district, pour assurer l'exécution
de ces dispositions, une force armée révolutionnaire de cinquante hommes
d'infanterie et de douze hommes de cavalerie (*) et un commissaire
départemental doté de pouvoirs extraordinaires (**).
(*) Prise à Nancy pour Blâmont, Vézelise et Dieuze ; dans leurs propres
garnisons pour les autres districts.
(**) ADM, L 70, 5 brumaire. Ce commissaire, investi des mêmes pouvoirs que
le conseil départemental lui-même et payé à raison de 10 livres par jour
(aux frais des officiers municipaux en retard, qui pourraient se retourner
contre les propriétaires et les cultivateurs fautifs), avait le commandement
de la force armée, ainsi que la faculté de requérir la gendarmerie et la
garde nationale. Furent nommés : Chatriant (district de Nancy), Mourer
(Vézelise), Sonnini (Lunéville), Saulnier (Blâmont), Wulliez (Sarrebourg),
Chamot (Dieuze), Pierson (Pont-à-Mousson), Morel (Toul) et Poirson
(Château-Salins).
[p.171-175]
La brouille irrémédiable survenue entre Faure et
Mauger n'avait pu retarder l'exécution des volontés de Saint-Just et de
Lebas [...] C'est l'arrêté relatif à la destitution et au remplacement de
l'administration départementale qui fut appliqué en premier. Renkin,
accompagné de Faure, l'apporta le 25 brumaire (15 novembre [1793]), à quatre
heures de l'après-midi, au Comité de surveillance, qui n'eut qu'à s'incliner
: il lança un mandat d'arrêt contre Mourer, procureur-général-syndic, et son
suppléant Rollin le jeune, contre Harlaut, vice-président, Billecard,
Cabocel, Sonnini, Rollin l'aîné et Grandjean.
[...] Faure avait une fois de plus bouleversé l'administration départementale.
Trouvant qu'on l'avait formée avec trop de précipitation, sans consulter les
administrés « autant que les mesures révolutionnaires peuvent le permettre »
et sans y appeler des citoyens des différents districts, voulant peut-être
aussi la débarrasser d'éléments compromis avec Mauger, il avait, le 14
frimaire, remercié Thouvenin-Fafet, Gillet et Munier, et prié les
Directoires des districts de Blâmont, Sarrebourg, Lunéville, Vézelise et
Château-Salins de proposer chacun, dans un délai de huit jours, le citoyen «
le plus propre et le plus digne par son patriotisme prononcé dès en juillet
1789, son zèle révolutionnaire et ses connaissances » de les remplacer
éventuellement : parmi les cinq candidats ainsi présentés, l'administration
provisoire choisirait les trois citoyens dignes de participer à ses travaux.
Si Faure avait écarté de la compétition les districts de Toul, de
Pont-à-Mousson, de Dieuze et de Nancy, c'est que ceux-ci venaient de «
fournir des citoyens », soit au Département, soit au Tribunal criminel.
En conséquence de cet arrêté, Lunéville mit sur les rangs Joseph Laroche,
juge à son tribunal ; Vézelise, Dumont, procureur de la commune ;
Château-Salins, Sauveur, de Vic ; Sarrebourg, Anselme Jordy, de Saint-Quirin
; et Blâmont, Vieujot-Descolin, secrétaire de la Société populaire. Le 4
nivôse (24 décembre [1793]), l'administration provisoire choisit, parmi eux,
Laroche, Dumont et Sauveur, qui se présentèrent le 8 ou le 9.
Ainsi l'arrêté Saint-Just-Lebas sur la destitution et le remplacement de
l'administration départementale avait bien été exécuté, tout d'abord, dans
sa lettre et dans son esprit ; mais Faure, un instant relégué par lui au
second rang, n'avait pas tardé à ressaisir ses prérogatives et, sous couleur
de revenir à la légalité, il en avait sensiblement modifié les dispositions
relatives à la commission de remplacement.
[p. 191-193]
Compte tenu des arrestations nouvelles et des
élargissements, le nombre des détenus ne varia donc guère en frimaire, sauf
à Nancy. Leur situation matérielle tendit vers l'égalisation : le 1er
frimaire (21 novembre [1793]), le Conseil général revint sur la question des
« repas somptueux et lascifs » que se permettaient certains prisonniers
aisés malgré la défense récente qui fut renouvelée. Quelques jours plus
tard, Faure chargea deux commissaires du Conseil, Jacques Darly et Jean
Hasselot, de se rendre dans les maisons de détention nancéiennes pour «
dresser une liste de démarcation des individus détenus comme étrangers,
parents d'émigrés et de ceux détenus pour cause d'incivisme, et du sujet de
leur détention » [...]
A la suite de cette visite, des précautions furent envisagées par le Conseil
général pour empêcher les évasions, plus fréquentes à l'époque qu'on ne le
croit généralement, en même temps que des mesures étaient étudiées pour la
réparation des latrines des Prêcheresses, pour la guérison des détenus
atteints de gale ou d'ulcères et pour la délivrance de vêtements et de
linges, inutilisables ailleurs, à ceux qui n'avaient « qu'un morceau de
toile » pour se couvrir. La consigne imposée par Mauger aux visiteurs des
maisons de détention fut levée le 2 décembre [1793] et, le 18, l'officier de
semaine au bureau de police reçut la mission de délivrer les billets de
visite ; du reste, la surveillance des maisons de détention incomba
désormais à ce bureau de police, à la place du procureur de la commune trop
occupé par son service (*).
(*) Des prisons autres que celles de Nancy, il y a peu à dire pour ces
semaines. Les travaux exécutés à la maison d'arrêt de Pont-à-Mousson pour le
« local individuel » des détenus furent mis à la charge de ceux-ci, et le
vétéran Pierre Remy fut nommé concierge, avec une rétribution de 3 livres
par jour. La prison de Blâmont fut améliorée conformément aux directives
ministérielles d'août (ADM, L 590). Celle de Vézelise fut dénoncée comme
trop étroite, bâtie au dessus d'une ancienne porte, humide, incommode et
particulièrement malsaine : on l'abandonnera bientôt pour la maison de cure
désaffectée.
[p. 198-199]
En frimaire et en nivôse, le Tribunal
Révolutionnaire [de la Meurthe, institué par Faure le 18 novembre 1793]
reçut les dossiers de 44 affaires, déjà pendantes devant le Tribunal
criminel de la Meurthe, qui s'en dessaisit, ou portées devant lui par les
Comités de surveillance de Nancy, de Pont-à-Mousson, de Sarrebourg, par la
Commission provisoire du Département, ou nées de dénonciations récentes [...]
[Conséquence de sa durée éphémère, le Tribunal Révolutionnaire] ne liquida
finalement que quatre affaires.
La première et la plus grave fut celle de ce Louis Laugier, baron blâmontais,
presque septuagénaire, que des lettres interceptées en avril 1793 par le
Comité de surveillance de Sarrebourg avait convaincu de « correspondance
criminelle avec les ennemis de la République ». Son grand âge ne lui évita
pas la peine capitale qu'il subit dans l'après-midi du 19 frimaire (9
décembre [1793]).
Le 23 (13 décembre [1793]), furent examinées deux affaires d'infraction à la
loi du maximum. Charles Deschiens, marchand de bois à Nancy, fut condamné à
500 livres d'amende (ainsi qu'aux frais d'impression et d'affichage du
jugement dans tout le département) pour avoir vendu 90 planches de sapin à
un prix supérieur presque du quadruple au taux fixé par la loi du 19
septembre. Jean-Claude Claudon, aubergiste à l'enseigne du Grand Cerf à
Blâmont et ancien maire de la ville, qui comparut le même jour, avait exigé
le 15 novembre une somme de 652 livres pour un repas d'une valeur maxima de
100 livres fourni à 17 habitants de Saverne, arrêtés en novembre 1793 pour «
démonstrations aristocratiques » sur l'ordre d'une commission
révolutionnaire établie par Saint-Just et Lebas, et qu'on transférait dans
la prison de Mirecourt ; le tribunal de police municipale de Blâmont,
estimant que rien n'autorisait à « écraser en frais » même des détenus, et
que les exigences de Claudon décelaient ou un vol manifeste de sa part ou
une atteinte au crédit des assignats, l'avait déjà condamné le 14 frimaire
(4 décembre [1793]) à 1304 livres d'amende au profit de ses victimes (*) et
à l'inscription sur la liste des suspects ; le Tribunal Révolutionnaire,
saisi par le Comité de surveillance (**), lui infligea en sus 3000 livres
d'amende « envers la République » (***), deux mois de détention et les frais
d'affichage dans tout le département de cette sentence sévère (****).
Enfin, le 26 frimaire (16 décembre), un membre du Comité de surveillance de
Nancy, Martin, inculpé d'incivisme, bénéficia d'un acquittement.
Après la publication à Nancy de la loi du 14 frimaire sur le gouvernement
révolutionnaire, l'accusateur public et les juges estimèrent que le Tribunal
n'avait plus qu'à disparaître.
(*) Somme double de la valeur de « l'objet vendu » (article 7 de la loi du
maximum)
(**) Qui n'était sans doute pas fâché de se venger de Claudon, avec lequel
plusieurs de ses membres avaient eu naguère des démêlés.
(***) Cette somme devait être versée dans une décade à la caisse du
tribunal, établie chez Germain Mengin, rue Franklin, « sinon et à faute de
ce », Claudon serait déporté et ses biens, confisqués.
(****) ADM, aux archives du TRM, non classées ; A. TROUX, p. 122.
[p. 204]
GUERRE AUX ENNEMIS DU PEUPLE
LIBERTE - EGALITE
JUGEMENT
DU
TRIBUNAL REVOLUTIONNAIRE
ETABLI A NANCY, PAR LE REPRESENTANT DU PEUPLE |
|
VU par le Tribunal révolutionnaire du Département de la Meurthe, la
procédure instruite par le citoyen Thomas, Juge de Paix & Officier de Police
& de sûreté de la ville de Sarrebourg, & renvoyée au Tribunal par celui
criminel du Département, le 17 de ce mois, contre LOUIS LAUGIER ci-devant
Baron, demeurant ordinairement à Bellecourt, District de Blâmont, Canton de
Lintrey, accusé d'avoir entretenu une correspondance criminelle avec les
ennemis de la République, & d'avoir fait passer des fonds aux émigrés. Les
témoins indiqués par l'Accusateur public, ayant été entendus devant le
Tribunal, en présence du public & de l'accusé. Ouï Gérard, Accusateur
public, qui a requis que LOUIS LAUGIER, ci-devant Baron, convaincu d'avoir
entretenu une correspondance criminelle avec les ennemis de la République, &
de leur avoir fait passer des secours pécuniaires, fût condamné à la peine
de mort ; que ses biens fussent déclarés acquis & confisqués au profit de la
République, & que le jugement à intervenir fût imprimé & affiché dans tout
le Département. Après que Aubertin, défenseur de l'accusé, a été entendu
dans sa défense,
LE TRIBUNAL, considérant que LOUIS LAUGIER, ci-devant Baron, accusé, est
convaincu d'avoir entretenu une correspondance criminelle avec les ennemis
de la République, & d'avoir fait passer des fonds aux émigrés, condamne
ledit LOUIS LAUGIER à la peine de mort. Déclare ses biens acquis et
confisqués au profit de la République. Ordonne que le présent jugement sera
exécuté à la diligence de l'Accusateur public, imprimé & affiché dans tout
le Département.
Fait & jugé, audience publique tenante, dans l'Auditoire du Tribunal
révolutionnaire du Département de la Meurthe, à onze heures du matin, le 19
frimaire, an second de la République française, une & indivisible, siégeant
Tricolor Marque, Président, Dominique Dommary, François Geoffroy,
Laurent-Léopold Thouvenin, & Joseph Cropsal, Juges, qui ont signé la minute.
Signé, TRICOLOR MARQUE, Président.
Pour expédition délivrée par le Greffier du Tribunal révolutionnaire.
DEMANGE.
A NANCY, chez PIERRE BARBIER, Imprimeur du Tribunal révolutionnaire.
[p. 227]
La confiscation progressive des objets du culte,
l'interdiction des manifestations extérieures, l'abdication des ministres
laissaient présager une étape dernière dans la déchristianisation : la
fermeture des églises. On a vu que dans le district de Blâmont, un émissaire
du Département, Louis Saulnier, y avait déjà procédé en novembre de son
propre chef.
[p. 234]
Les prêtres rétifs ou repentants trouvaient
souvent dans leurs paroissiens des auxiliaires tenaces, voire exigeants. Les
« fêtes de calotin » célébrées à Nancy au début de nivôse avaient fait le
vide dans les marchés, tandis qu'il y avait foule, si les cérémonies de la
Raison tombaient un mardi, un jeudi ou un samedi, c'est-à-dire un jour de
marché ; les bouchers de Nancy s'obstinaient à tuer leurs bêtes le vendredi,
même s'il coincidait avec le décadi, et ce malgré une interdiction
promulguée le 2 frimaire par le Département. Brisson, commissaire
départemental à Blâmont, y constatait le 18 frimaire (8 décembre [1793]) la
survivance des « préjugés », de la célébration des dimanches, des sonneries,
etc. Les Sarrebourgeois boudaient de décadi : partout on travaillait
ostensiblement ; les femmes lavaient leur lessive ; beaucoup de boutiques
restaient ouvertes ; le peuple montrait « un air morne » ; la municipalité
devait rappeler ses administrés à l'observation du repos décadaire.
[p. 246-247]
Le décret-loi du 14 frimaire [1793 sur le mode de
gouvernement provisoire et révolutionnaire] ne parvint dans la Meurthe que
le 29. (19 décembre [1793]). Le District de Nancy le fit immédiatement
réimprimer en placards et porter aux communes. Son Procureur-Syndic, promu
agent national, écrivit au comité de salut public, en lui annonçant cette
diffusion : « ...Sans doute la carrière que je parcoure devient par cette loi
infiniment plus épineuse par cela même qu'elle est plus essentielle :
quoiqu'il en soit, je m'y élancerai avec le courage et l'énergie que mes
facultés physiques et morales me le permettent jusqu'à ce que plus de talens
réunis à l'amour ardent de la Révolution Républicaine qui m'anime, m'auront
désigné un successeur ». Le District de Blâmont crut devoir informer le même
comité [de salut public] qu'il approuvait entièrement l'adresse aux
Districts qui accompagnait le décret, qu'il se pénétrait de plus en plus de
ses devoirs contre les ennemis de la Révolution et qu'il donnerait un
dévouement total à la République.
[p. 263]
Mais confinée par la loi du 14 frimaire dans ses «
fonctions d'édilité et d' administration toute paternelle » - ainsi que
s'exprimait une circulaire du Comité de Salut Public - l'Administration
départementale s'effaçait devant les Administrations des districts.
Celles-ci, dans la Meurthe, avaient depuis peu subi quelques changements.
D'abord, et comme le voulait la loi, les procureurs-syndics s'étaient mués
en agents nationaux depuis les derniers jours de frimaire ou, plus souvent,
depuis les premiers jours de nivôse. C'étaient Fromental l'aîné à Blâmont,
Noël à Château-Salins, Briquel à Lunéville, Jeandel à Nancy, Picquant à
Pont-à-Mousson, Wulliez à Vézelise.
[p.264]
[...] Pour les districts dont les procès-verbaux
nous ont été partiellement conservés (*) [...]
(*) Blâmont (ADM, L 637, L 662).
[p.265]
Nicolas Cambas, à Autrepierre, François Thiéry à
Richardménil, Henri Laurin à Bouxières-au-Mont se jugèrent trop illétrés
pour occuper une charge [d'agent national] qui leur semblait beaucoup plus
lourde que celle de procureur [de leur commune]. Ceux de Saint-Clément et de
Fraimbois démissionnèrent, parce que trop âgés ; celui de Bremoncourt, en
nivôse seulement, parce que presque aveugle. D'autres avaient été appelés à
de nouvelles fonctions (*).
(*) Peu d'incidents : une vingtaine de citoyens d'Ogéviller protestèrent
bien contre la réélection du procureur Jean-François Cuny, due, selon eux, à
des irrégularités, mais l'intimé se défendit avec fougue (ses ennemis,
disait-il, étaient les aristocrates et les égoïstes de l'endroit :
laboureurs qui lui imputaient la fréquence des convois ou lui en voulaient
de les avoir forcés à vendre leurs grains à des manoeuvres ;
maréchaux-ferrants excités par les laboureurs ; marchands de vin dénoncés
pour infractions à la loi du maximum ; riches « compris dans la taxe
révolutionnaire » de 2000 livres, sans compter deux femmes inciviques qu'il
avait contraintes à « baiser l'arbre sacré de la Liberté »), et le
directoire du district de Blâmont ne put faire recommencer l'élection.
[p. 267]
Dans le district de Blâmont, on comptait 2 comités [de surveillance] : un à
Blâmont, un à Badonviller, établis par Anthoine et Levasseur.
[p. 270]
Même la surveillance des maisons d'arrêt et la
libération des détenus échappaient maintenant à la compétence des comités :
la première incombait aux Administrations des districts depuis la loi du 2
nivôse ; la seconde était formellement interdite aux « autorités
intermédiaires » par celle du 14 frimaire. Et, de fait, Nancy restant le
centre principal des prisons (*), c'est le conseil général du district qui y
organisa, le 13 nivôse (2 janvier 1794), des visites sanitaires pour
dépister les maladies contagieuses, et ordonna, le 15 (4 janvier), en
prévision d'une vente prochaine des Annonciades, l'évacuation de leurs
détenus au Refuge.
(*) Il n'y avait qu'un prisonnier à Blâmont, bien que le comité de
surveillance local eût, en Brumaire, prononcé plusieurs arrestations :
François Paquet, propriétaire de la manufacture de faïence de Pexonne,
incarcéré le 9 frimaire (ADM, L 594) ; les corps administratifs et
judiciaires avaient traduit les autres à Nancy au début de frimaire (ADM, L
3160, L 3162).
[p. 273]
L'élan des volontaires pour courir aux gorges de
Saverne et l'abondance renouvelée des dons aux armées constituaient un
témoignage irrécusable de patriotisme, quand bien même l'on admettait que
certains engagés ou certains donateurs avaient agi par calcul plus que par
conviction révolutionnaire. La reconquête des lignes de Wissembourg avait
suscité une joie générale d'autant plus sincère qu'elle écartait pour des
mois toute crainte d'un forcement de la frontière. La nouvelle de la reprise
de Toulon sur les Anglo-royalistes, claironnée dans tout le département par
les soins du directoire central, avait été célebrée, dans la première décade
de Nivôse, à Lunéville, à Blâmont, à Château-Salins, à Sarrebourg, à Dieuze,
à Nancy, à Toul, par des fêtes « triomphales », où figuraient jusqu'à des
soldats blessés appuyés sur des sans-culottes valides, jusqu'à des jeunes
chanteuses vêtues de blanc « et coïffées à la grec », où des cortèges
alternaient (à Nancy, tout au moins) avec des chants, avec des
représentations de « scènes patriotiques en vaudeville », des danses et de
joyeuses rondes. [p.
276-277]
Le conseil général nancéien, qui avait beaucoup de
mal [...] à recevoir de certains districts, comme ceux de Vézelise, de
Lunéville et de Blâmont, ou du département de la Meuse, les grains que soit
les administrateurs départementaux, soit la commission des subsistances
avaient requis de lui verser, ne tolérait le pain blanc, préparé par deux
boulangers désignés, que pour les malades dûment reconnus, remettait en
vigueur les visites domiciliaires destinées à découvrir les détenteurs de
grains, sollicitait de la Convention la permission d'abattre les chiens,
consommateurs inutiles, et lui dénonçait telle ville qui avait intercepté
des vivres destinés au chef-lieu. Des envoyés des sociétés populaires ou des
districts s'efforçaient de presser, dans les campagnes, les recensements et
les versements de grains réquisitionnés, de traquer aussi l'accaparement,
mais ils se heurtaient souvent au « moi meurtrier », c'est-à-dire à une
inertie tenace, à de farouches résistances ou à des ruses adroites (*).
(*) Les paysans de la région de Phalsbourg, qui allaient chercher du vin en
Alsace, dissimulaient des grains dans leurs tonneaux, préférant les échanger
contre le vin plutôt que de les vendre (ADM, L 2109). Deux cultivateurs de
Neufmaisons se refusèrent à laisser visiter leurs greniers à céréales ; le
District de Blâmont ordonna de faire venir un serrurier, de laisser aux deux
égoïstes une certaine quantité de blé (3 quintaux pour chacun de leurs
commensaux de plus de 12 ans ; 2 pour les plus jeunes), de céder le surplus
aux indigents au tarif du maximum, et de dénoncer les faits au Comité de
surveillance de Badonviller (ADM, L 545).
[p.278]
Avec plus ou moins de conviction, les districts
réitéraient auprès des municipalités de campagne et des agents nationaux
leurs pathétiques et vains appels au secours, à la fois sentimentaux et
chargés de menaces. Ils s'adressaient, entre temps, à la Convention ou à la
commission des subsistances : Blâmont, au 5 pluviôse (24 janvier [1794]),
demandait, pour tenir jusqu'à la moisson prochaine, 6000 quintaux en
remplacement de ses fournitures à Nancy, à Raon-l'Etape, à Senones [...]
[p. 286-288]
De toute façon, en attendant leur retour dans la
Meurthe et la réception de renseignements copieux et « plus sûrs » promis
par Lacoste et Baudot, Bar [député de la Moselle, émissaire montagnard de la
Convention chargé de l'épuration des Girondins] jugea opportun de suspendre
ses opérations dans le chef-lieu du département et de se rendre dans les
districts « en commençant par celui de Vézelise et suivant circulairement
ceux de Lunéville, Blâmont, Sarrebourg, Dieuze, Château-Salins,
Pont-à-Mousson et Toul » [...]
Le 20 pluviôse (8 février [1794]), les autorités de Lunéville ; le 23,
celles de Blâmont subirent l'épreuve à leur tour (*) ; les changements, là
encore, furent rares (**) et la plupart des fonctionnaires sortirent
indemnes et « sans aucun reproche ». Dans aucun des trois districts, les
agents nationaux n'avaient été remerciés (***).
(*) A Lunéville, l'épuration, faite au Temple de la Raison, date du 17 ou du
18 pluviôse ; l'arrêté de Bar est du 20 [...] A Blâmont, où Bar était arrivé
le 20 et avait assisté quelques temps incognito à la séance de la Société
populaire des Sans-culottes, l'épuration eut lieu le 21, mais l'arrêté ne
fut pris que le 23 (ADM, L 546, L 630, L 3156).
(**) Chatton devint président de l'Administration du district de Lunéville
et Catabel resta président de celle de Blâmont
(***) Fromental, celui de Blâmont, était l'aîné de 8 frères et le père de 8
enfants.
[p. 293]
Le jour même où les trois représentants [Lacoste,
Baudot et Bar] « sans-culottisaient » les autorités nancéiennes, ils
décrétèrent la formation immédiate d'une Société populaire réintégrée, dont
ils fixèrent eux-mêmes le « noyau ». Febvé, « persécuté par le modérantisme
et l'aristocratie », mais « accueilli par les Jacobins et les Cordeliers
comme un frère de vieille date », était nommé président provisoire ; 44
autres citoyens - des concierges, des cordonniers, des tanneurs, des
fondeurs, des menuisiers, des musiciens, des commis du Département, des
artisans divers, et aussi l'ex-prêtre Guerre, maire de Château-Bréhain,
Cayon, Lapleigné, Arsant l'aîné, l'instituteur Aubert, « Glaudont » [Claudon],
l'ancien maire de Blâmont, le condamné du tribunal révolutionnaire de Faure -
étaient désignés comme « premiers membres » et chargés de rédiger les
règlements nécessaires pour l'admission des citoyens désireux de concourir
par la suite à leurs travaux.
[p. 314]
Quand Glasson-Brisse fut redevenu maire de Nancy,
il intervint en faveur d'anciens codétenus : à la femme Clément-Toussaint,
qui l'avait imploré de la faire sortir du refuge - « je connais ton coeur qui
est bon », lui disait-elle - il envoya la note suivante : « Elle a le
malheur d'être noble, mais elle n'est point aristocrate. C'est une camarade
de prison » - et il n'en fallut pas davantage à Lacoste et à Baudot pour lui
rendre la liberté, ainsi qu'à son mari. La femme Febvrel, de Blâmont, autre
prisonnière du Refuge, fut délivrée dans les mêmes conditions.
[p. 323]
Avant ou après son renouvellement par Bar, le
Comité [de surveillance] de Blâmont enferme provisoirement dans la maison
d'arrêt du district Nicolas Job, cultivateur à Sainte-Pole, « citoyen
rebelle et égoïste, dont l'exemple pourrait nuire à la chose publique »,
Dominique Dufour, dénonciateur calomnieux, Claude-Antoine Duban, ex-noble,
Jean-François Moitrier, dit l'Embarras, d'Ogéviller, qui a traité les
Conventionnels de gueux, de voleurs, d'égorgeurs du peuple - quitte à
relâcher bientôt les détenus qu'il juge moins coupables en réalité qu'en
apparence. Le maintien des sonneries pour le « culte papiste » l'indispose
et, le 18 pluviôse (6 février [1794]), il obtient de la municipalité un
arrêté interdisant d'utiliser l'unique cloche de la ville autrement que pour
annoncer l'aube - par un coup en volée, sans tintement - ou l'ouverture des
écoles publiques.
[p. 332]
Exemples de ventes de meubles et d'effets ayant
appartenus à des déportés : ADM, L 546 et Q 713 : biens de Joseph Guillot,
curé de Blâmont, de François Lutz, curé de Dabo (estimation : 41 l. 6 s.) ;
de J.-F. Pierron, prêtre de Sarrebourg (estimation : 341 l.) ; de
Pierre-Michel Georgel, curé de Sarrebourg (estimation : 1414 l. 5 s.) ; de
Charles Soleil, curé de Sarraltroff), de Pierre-Antoine Lacombe, curé de
Hoff (estimation : 999 l. 10 s.)
[p. 333]
Le maire de Blâmont, J.-C.-M.-N. Vautrin, disparu
pendant plusieurs semaines et dont on retrouva le cadavre, en novembre, dans
une forêt proche de Schirmeck, ne fut pas inscrit sur la liste des émigrés (ADM,
L 545, L 3162)
[p. 353]
Il a déjà été mentionné sommairement que l'arrêté
pris le 2 pluviôse par Lacoste et Baudot pour interdire aux autorités
départementales de faire exécuter les ordres de Faure tant que ceux-ci
n'auraient pas reçu leur approbation parvint à plusieurs districts le même
jour que l'arrêté rendu par Faure, le 27 nivôse, pour combattre le
fanatisme. On a relevé aussi que l'embarras fut extrême dans plusieurs
administrations de district, sinon dans toutes, mais il n'est pas superflu
d'y revenir et d'y insister.
Que faire ? s'exclamait l'agent national du district de Dieuze. Pris « entre
deux feux », le District de Blâmont en appelait à l'arbitrage du Comité de
Salut Public, « comme à la boussole indiquée pour arriver sans danger au
port pour nous garantir de tous les écueils et éviter Caribde sans tomber
dans Siylla ». Le district d Lunéville se tourna de même vers Paris.
[p.361-363]
C'est le district de Blâmont, surtout, qui donnait
des inquiétudes à [l'agent national du district de Sarrebourg] Wulliez
[alors engagé en faveur de la déchristianisation]. En pluviôse, Bar avait
jugé nécessaire d'éloigner à 20 lieues de Blâmont même les deux prêtres
catholiques, dont le curé Voinot, qui y résidaient encore et y entravaient
la marche triomphale de la philosophie. Trois autres avaient renoncé à leurs
fonctions en ventôse ; d'autres devaient les imiter en germinal [1794] (*).
Mais, de l'aveu même de l'agent national, les campagnards s'obstinaient à
regretter la religion catholique ; les cloches sonnaient pour les offices ;
les croix et les fleurs de lys restaient arborées. Cette fidélité des
paysans au « papisme » se mariait fort bien avec leur attachement à la
Révolution : l'agent l'affirmait du moins et s'efforçait, dès le 20 février
[1794], de l'expliquer en ces termes au Comité de Salut Public :
« ... La contrée accablée de droits féodaux, de gabelles, de péages, courbée
sous le poids de la puissance tyrannique des petits et grands cidevant
seigneurs, peut-elle n'être pas fortement attachée à une révolution qui la
délivré de toutes ces inventions despotiques : aussi nous pouvons assurer
que les Citöyens du District sont de vrais et bons républicains, qu'une
seulle passion les anime, le salut et le maintien de la République une et
indivisible, les dons patriotiques qu'ils ont faits, le sacrifice de leurs
subsistances pour les armées, des rideaux de leurs lits pour faire des
gargousses, de leurs bestiaux pour faire des convois, sont les preuves les
plus certaines de leur patriotisme et de leur énergie républicaine. Nous ne
pouvons cependant dissimuler que de vieilles habitudes religieuses les
attachent encore au culte catholique, et que quande les citoyens éclairés
cherchent à les dissuader de tous ces préjugés insensés et déraisonnables,
ils s'accrochent à la déclaration des droits et s'appuient de la liberté des
cultes ; nous pouvons attendre cependant de l'établissement de l'instruction
publique, surveillée par les autorités constituées et les sociétés
populaires, la propagation des lumières de la saine philosophie et de la
raison, et le mépris de tous ces ridicules hochets enfantés par le fanatisme
et ses suppôts pour leur soutient et l'asservissement de leur ambition... »
En attendant, les « suppôts du fanatisme » restaient sournoisement actifs
dans la circonscription ; de plus en plus inquiet, Wulliez finit, en
germinal, par dénoncer à Lacoste la « nouvelle Vendée » qui se préparait :
chaque jour, plus de 500 personnes de son district se transportaient dans
celui de Blâmont ; chaque jour, les curés de huit communes - Hattigny,
Bertrambois, Ibigny, Gondrexange, Saint-Georges, Tanconville, Cirey et
Domèvre - leur inculquaient la haine de la Révolution et les poussaient à la
révolte. Le 23 germinal (12 avril [1794]), Lacoste ordonna leur éloignement
dans un délai de huit jours, leur envoi à Dijon sous la surveillance des
autorités de cette ville avec obligation d'adresser chaque mois un
certificat de résidence à l'Administration du district de Blâmont (**).
Mais, par erreur, l'arrêté de Lacoste porta Frémonville au lieu de
Tanconville. D'autre part, le curé de Gondrexange fournit la preuve de ses «
bons sentiments » et six municipalités sur huit accordèrent des certificats
élogieux à leurs anciens desservants. Malgré tout, 6 des curés visés durent
prendre la route de la Côte d'Or.
(*) ADM, L 608, L 609, L 623. - Au 30 germinal, on comptait dans le district
25 prêtres abdicataires sur 48.
(**) Celle-ci se montra, en la circonstance, doublement mécontente :
d'abord, parce que les municipalités ne l'avaient pas prévenue des
tentatives de ces curés ; ensuite, parce que la dénonciation « inconsidérée
d'un fonctionnaire public d'un district voisin », vraisemblablement fondée
sur des rapports erronés et malveillants, nuisait à sa réputation.
[p. 372]
Départements et districts eussent aussi voulu «
activer l'organisation de l'instruction publique ». Le 12 ventôse (2 mars
[1794]), Sonnini et Febvé le jeune furent nommés commissaires à l'examen des
livres classiques. L'agent national du district de Blâmont exhorta, vers la
même époque, les agents des communes à s'occuper sérieusement de
l'enseignement des enfants qui « doit élever l'esprit de tous les
républicains » et « les mettre à même de sentir combien est précieuse la
liberté ».
[p.411]
La rareté ou la brièveté des documents ne
permettent de dire que peu de choses des épurations dans les autres
districts. Elles s'effectuèrent comme à Lunéville, ce qui n'empêcha pas, en
quelques circonstances, les Administrations des districts à destituer, pour
fautes graves, des fonctionnaires publics déjà épurés. Dans le district de
Blâmont, le comité de surveillance de Badonviller fut débarrassé de ceux de
ses membres qui appartenaient déjà à la municipalité (*). L'épuration du
conseil d'Ancerviller ne satisfit pas plusieurs habitants de la commune ;
ils réclamèrent une deuxième assemblée qui leur fut refusée.
(*) Cf. ADM, L 547, L 548, L 662 : épurations à Badonviller, à Ogéviller, à
Repaix, à Igney, à Avricourt, à Moussey, à Ancerviller...
[p.421]
L 593 : Lettre du District de Blâmont sur «
l'égoïsme trop malheureusement pratiqué dans les campagnes ».
[p. 422]
Avec prairial [1794], la détresse se maintint à
Pont-à-Mousson, à Nancy, à Lunéville, à Sarrebourg et dans les autres
districts. Un seul peut-être fut relativement épargné : Salins-libre, qui
n'en appela pas moins à l'aide. S'il n'y eut pas aggravation, c'est sans
doute que les réquisitions en blé pour les armées - sinon en fourrages,
paille et avoine - avaient alors, du consentement de Lacoste, momentanément
cessé. Trois commissaires envoyés par le Département auprès de la Commission
des Subsistances et arrivés à Paris le 5 prairial (24 mai [1794]), y
tracèrent un sombre tableau, exagérément poussé au noir, du reste, de la «
triste situation » de leurs administrés :
« ... Ils ont annoncé que dans le département, notamment dans les districts de
Nancy, Sarrebourg, Dieuze, Pont-à-Mousson et Blâmont, la disette était telle
que les hommes fauchaient les herbes pour s'en alimenter, qu'ils arrachaient
des pommes de terre qui sont déjà levées, qu'ils abandonnaient leurs
enfants, leurs femmes pour s'enfoncer dans l'intérieur de la république et y
prendre des aliments qu'ils ne trouvaient plus chez eux, que des mères au
désespoir de ne pouvoir plus allaiter leurs enfants les jetaient par terre,
que quelques-uns même étaient déjà péris... ».
[p. 426]
A Blâmont, il y eut sans doute aussi quelques
résistances à l'observation du décret du 11 prairial [1794 qui règlementait
la réquisition et les salaires des moissonneurs], puisque l'agent national
du district dut menacer de ses foudres ceux qui, « devant s'occuper de la
récolte », ne le faisaient pas, ou les producteurs qui se refusaient à
battre.
[p.427]
D'autre part, une loi du 8 messidor (24 juin
[1794]), qui organisait le recensement général et la réquisition en bloc des
grains et fourrages, obligea les cultivateurs à faire battre une partie de
leurs grains pendant la récolte pour l'approvisionnement des marchés : on
verrait ainsi, disait l'agent national du district de Blâmont, si, parmi les
cultivateurs, il y avait encore des égoïstes et des aristocrates (*).
(*) En thermidor, à Verdenal, on trouva du blé caché et à demi pourri dans «
un murot » en pleins champs. Les deux cultivateurs coupables eurent à
répondre de leur acte devant le jury d'accusation du district de Blâmont (ADM,
L 3159).
[p.433]
[L'école] s'organisait lentement et difficilement,
depuis que la loi du 29 frimaire an II (19 décembre 1793) avait établi les
écoles primaires, sous la surveillance des municipalités et des citoyens,
décidé de salarier les « instituteurs » et les « institutrices » selon le
nombre de leurs élèves et imposé aux parents ou aux tuteurs de faire donner
à leurs enfants ou à leurs pupilles l'instruction du « premier degré ». S'il
existait près de 60 écoles en floréal dans le district de Blâmont, il n'y en
avait encore qu'à Dieuze et à Fénétrange pour tout le district de Dieuze, et
c'étaient les anciens régents qui exerçaient provisoirement les fonctions
d'instituteurs.
[p. 436-437]
La destruction progressive, dans leurs symboles,
du passé religieux et du passé politique, si étroitement mêlés jadis,
semblait donc se poursuivre à un rythme régulier et avec un succès
croissant. Mais en réalité, l'étendue de la déchristianisation, à quoi
tendait pour une part cette oeuvre destructrice, variait d'un district à
l'autre. Après comme avant germinal [1794], c'est par district qu'il faut en
mesurer l'ampleur.
Dans celui de Blâmont, où le nombre des prêtres abdicataires finit par
atteindre 49 en thermidor, l'agent national prétendait que la religion
s'oubliait, que les « préjugés » se perdaient dans les campagnes : pourtant,
la Société populaire et le Comité de surveillance de Blâmont constataient
encore en floréal que beaucoup de citoyens affectaient de porter leurs
habits les plus beaux les « ci-devant dimanches » et de se couvrir de «
haillons » les décadis (*). Au vrai, tout semblait favoriser la
déchristianisation. Outre 7 religieux sans emploi ni pension (**), 27
ex-religieuses ou converses, 6 anciens lais ou ermites et un organiste -
tous tranquilles ou âgés et pauvres -, il ne restait que 5 ecclésiastiques
non démissionnaires, sur lesquels 3 avaient cessé toutes fonctions et un
s'était marié à Thionville ; le cinquième (***), personnage d'une conduite
privée et publique immorale, avait été incarcéré pour propagande fanatique
et exercice illégal du culte. Des 49 abdicataires, 6 (****) avaient été «
exilés » à Dijon par le représentant Lacoste, sur une plainte de l'agent
national de Sarrebourg, Anselme Jordy (*****) ; pour un septième, Uriot, de
Frémonville, inscrit par suite d'un lapsus, l'Administration du district
avait sursis au transfert ; un huitième, Verniory, de Gondrexange - si aimé
de tous ses paroissiens qu'ils menaçaient de noyer son confrère Demange, de
Herzing, en qui ils soupçonnaient à tort son dénonciateur - s'était mis à la
recherche de Lacoste, à Metz et à Strasbourg, et échappait momentanément à
la relégation. Fort mécontente de l'intempestive intervention de Jordy qui
laissait planer un doute sur sa vigilance, plus occupée -disait-elle - des
intérêts généraux de la République et de l'exécution des réquisitions que de
misérables querelles théologiques, convaincue de l'innocence et du
patriotisme des six exilés, l'Administration du district prit vigoureusement
leur défense auprès de Lacoste. Eux-mêmes, par la plume de l'un d'eux,
Kippeurt, envoyèrent de Dijon protestations sur protestations, réclamèrent
justice et firent certifier leur bonne conduite par la municipalité de leur
nouvelle résidence.
(*) ADM, L 3158, L 3162. A Ogéviller, l'agent J.-F. Cuny avait du mal à
détruire les objets « ennétophe et enferre » de la « superstissions » (ADM,
L 604)
(**) Dont Saintignon, général des chanoines réguliers, paralysé.
(***) Sans doute Hubert Grody, de Reclonville.
(****) Jean-Antoine Kippeurt, François-Alexis David, Nicolas Cristallin,
J.-B. Gabriel, Charles-Gaspard Laurent et François Claudon (ADM, L 744)
(*****) [...] ADM, L 611, L 621, L 623. L'agent national de Blâmont adressa de
vifs reproches à son « frère et collègue » de Sarrebourg, qui aurait dû
l'informer avant de porter ses accusations au représentant du peuple. Il «
paraît avoir du temps de reste pour s'occuper de théologie », écrivait-il
encore à Lacoste lui-même le 26 avril [1794]. Jordy répliqua bientôt qu'il
pensait son collègue informé de la conduite de ces prêtres et qu'il avait
cru prévenir son intention en les signalant à Lacoste dès qu'il avait vu
celui-ci. La conduite de Jordy n'était pas très franche, quoi qu'il en dit :
aux 8 curés exilés par Lacoste, il en avait ajouté 2 autres, de sa propre
main, sur le texte de l'arrêté (ADM, L 547).
[p. 453]
[Concernant les fêtes de l'Etre Suprême], sur
Blâmont, ADM, L 610 et L 624, 29 prairial. Dans cette dernière ville,
Descolin, juge au tribunal de district, composa une « Prière à l'Etre
Suprême » (ADM, L 622).
(A suivre)
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