| MÉNAUT ET GRATIEN D'AGUERREVersailles - Imp. Aubert 1867
 Ménaut et Gratien d'Aguerre 
				ne se seraient illustrés que par la défense de Nancy contre 
				Charles le Téméraire, que ce titre suffirait à leur gloire. Mais 
				ils se sont distingués par bien d'autres exploits, ces hardis 
				soldats, toujours pleins d'une indomptable énergie, toujours 
				avides de fatigues et de dangers. Leur nom nous a donc semblé 
				mériter un souvenir ; leur histoire fait d'ailleurs passer en 
				revue, sous une forme plus restreinte et pourtant non moins 
				animée, tous les principaux faits contemporains auxquels ils ont 
				pris une part si considérable, et dont plusieurs ont une 
				incontestablegrandeur.
 Mais, à côté de leur nom et de leur famille, il est un autre nom 
				et une autre famille, celle des Bidos de Saint-Vincent, dont 
				l'histoire n'en peut être détachée. Une union constante et 
				peut-être sans exemple a comme identifié ces deux familles 
				pendant près de deux siècles; plusieurs alliances ont rendu leur 
				descendance commune, et font que, depuis l'extinction de la 
				branche masculine des d'Aguerre, ceux-ci n'ont plus d'autres 
				descendants que les Bidos de Saint-Vincent, à l'exception de 
				ceux qui, par les Lorraine-Elbeuf, et après plusieurs 
				changements de noms, les représentent avec beaucoup d'éclat à 
				l'étranger. Aussi, partout où nous rencontrerons les d'Aguerre, 
				au Béarn. en Espagne, en Lorraine, en Provence, à Rumigny et à 
				Reims, partout nous retrouverons avec eux les fils de Bidos 
				partageant leurs fatigues et leurs périls. Et c'est même une 
				singularité assez rare et curieuse à observer que ces Béarnais, 
				transplantés dans des pays étrangers et lointains, y conservant 
				cette union particulière, souvenir des moeurs simples et 
				patriarcales de leurs montagnes, et cela en tous temps, en tous 
				lieux, et malgré la succession des générations et des individus.
 Maintenant, nous avons à dire les causes qui amenèrent ces 
				soldats béarnais à s'attacher à la Lorraine pour s'y faire une 
				nouvelle patrie si éloignée de leur propre pays.
 En 1467, Jean, duc de Lorraine, entreprit une expédition en 
				Espagne pour faire valoir ses droits de succession au trône 
				d'Aragon. De son côté, le Béarn avait de nombreux griefs contre 
				le roi Jean II, alors en possession de l'Aragon, car Jean II 
				avait fait mourir le prince de Viane, son propre fils du premier 
				lit, et frère de la comtesse de Béarn; il avait, de plus, enlevé 
				à tous deux la Navarre qui leur appartenait du chef de leur mère 
				; aussi des troupes béarnaises se joignirent avec empressement à 
				l'armée lorraine pour attaquer le roi Jean.
 Les principaux chefs de ces Béarnais étaient les deux frères 
				Ménaut et Gratien d'Aguerre; ils étaient du pays de Soule et des 
				environs de Mauléon (Basses-Pyrénées).
 A eux se joignit Joannot, des seigneurs d'Agnos et de Bidos; il 
				portait le nom de Bidos du lieu de sa naissance, de même que son 
				fils Joannot de Saint-Vincent prit ce nom du lieu de sa 
				naissance et de leur seigneurie.
 Bidos est situé à l'entrée de la charmante vallée d'Aspe, à une 
				demi-lieue d'Oloron et à six de Mauléon (Basses-Pyrénées). 
				Joannot avait les armes d'Oloron qui n'ont point cessé d'être 
				portées dans sa descendance, et qui sont «  d'or à une vache de 
				gueules, accollée et clarinée de sable, au canton senestre 
				d'azur chargé d'une croix potencée d'or, écartelé d'or, à une 
				cloche de gueules.» Armes significatives, car la vache de 
				gueules désigne la ville du Béarn, comme la cloche et la croix 
				la ville épiscopale.
 Mais les seigneurs d'Agnos n'avaient aucune prétention sur 
				Oloron, et ces armes viennent sans doute de ce que Joannot 
				conduisait sa bande sous la bannière de cette ville (1).
 Revenons maintenant à l'expédition des Lorrains en Espagne, pour 
				laquelle nous consulterons Ferreras et Mariana (2) qui donnent 
				des détails beaucoup plus précis et circonstanciés que les 
				récits très incomplets de la Chronique de Lorraine et de Dom 
				Calmet. Ce dernier historien s'appuie d'ailleurs beaucoup trop 
				sur la chronique scandaleuse dont l'auteur, aussi étranger à la 
				Lorraine qu'à l'Espagne commet souvent d'incroyables erreurs.
 
 (1) Une branche puînée des Saint-Vincent a, pendant longtemps, 
				substitué à ces armes celles des Vaillant, par suite d'une 
				alliance avec l'héritière du nom et des biens de cette famille.
 (2) Ferreras. - Mariana. - Coutumes de Soule. Archives des 
				Basses-Pyrénées, B. 82lt, 876, 877. Recherches sur la noblesse 
				de Champagne en 1668.
 CHAPITRE I.Guerre d'Espagne.
 1467 à 1472.
 L'armée lorraine, entrée en 
				Espagne en 1467 pour marcher à la conquête de l'Aragon, y fit de 
				rapides progrès et s'empara de la Catalogne et de Barcelone, sa 
				capitale. Dès le 12 janvier 1468, le duc Jean délivrait à 
				Barcelone des lettres portant donation à Jean d'Anjou, de 
				Conflans-en-Jarnisy, ville par la défense de laquelle Gratien d'Aguerre 
				allait bientôt s'illustrer.Les Lorrains conquirent ensuite la plus grande partie de 
				l'Aragon, et ils touchaient au but de leurs efforts lorsque le 
				cours de ces triomphes fut interrompu par la mort soudaine du 
				duc Jean, arrivée le 13 décembre 1470, à Barcelone. Ce fut Jean 
				de Calabre, frère naturel du duc, qui commanda à sa place, mais 
				il eut peu de crédit sur l'armée lorraine, dont la plus grande 
				partie revint en France en 1471. Les d'Aguerre furent de ceux 
				qui restèrent fidèles à Jean de Calabre qui, abandonné par la 
				plus grande partie des siens, se vit enlever toutes ses places, 
				à l'exception de la ville de Barcelone, dans laquelle il fut 
				bientôt assiégé. Le 5 novembre 1471, Galeotto, l'un de ses 
				capitaines, ayant fait une sortie, fut mis en déroute, fait 
				prisonnier, et avec lui fut pris l'étendard de la ville de 
				Barcelone; malgré ce revers, Jean de Calabre se défendit encore 
				avec une rare constance pendant une année, et ne se rendit que 
				le 17 octobre 1472. Ainsi l'armée lorraine avait su se maintenir 
				à Barcelone pendant l'espace de cinq années.
 Le courage et les services des d'Aguerre dans cette longue et 
				difficile expédition sont attestés par les lettres patentes du 
				duc René II, en date du 10 avril 1477 : «  Ayant regart aux grans, 
				notables et laborieux services que notre trèscher et féal 
				chevaillier messire Gratien de Aguerre a fait à nostre. grant 
				père le roy de Jhérusalem et de Siciles, et à feu nostre oncle 
				le duc Jehan, duc de Calabre et de Lorraine, en leurs guerres et 
				emprinses de Cathelongne;. ..» Les lettres du 23 décembre 1489 
				citent aussi : «  Les grans, continuelz, laborieulx, très 
				aggréables et recommandables services que ledit messire Gratien 
				et les siens nous ont faitz par cy-devant, tant en nostre pays 
				de Cathelongne, avecques et en la compagnie de nostre... oncle 
				le duc Jehan de Calabre, et à nostre... grant père le roy de 
				Sicille. » D'autres lettres des 14 août 1477 et 18 mai 1485 font 
				aussi connaître que Ménaut avait, dans le cours de cette même 
				campagne, avancé au duc Jean et à son frère Jean de Calabre une 
				somme de sept mille écus d'or, qu'il ne parvint à se faire 
				rembourser que bien des années après.
 
 Ferreras. imariana. - Dom Calmet, Histoire de Lorraine, tome V, 
				page 169. Idem, Notice de la Lorraine, tome II, page 276. 
				Archives de Lorraine.
 CHAPITRE II.Guerre contre Charles le Téméraire.- Siège de Conflans. - 
				Premier siège de Nancy.
 1475.
 Après cette issue 
				désastreuse de l'expédition d'Espagne, Ménaut vint en Lorraine 
				en 1473 avec les siens. Il ne s'y attacha point au service du 
				duc Nicolas qui régnait alors, mais à celui de la tante du duc, 
				Yolande, comtesse de Vaudémont, qui résidait à Joinville avec 
				son fils René II. «  Lui et ses gens sont venus au service de 
				notre très redoubtée dame et mère et au notre. » (Lettres 
				patentes du 1er mars 1480.) Du reste, Ménaut n'arrivait pas à 
				Joinville entièrement en étranger, car, indépendamment des 
				services qu'il venait de rendre au duc Jean, frère de la 
				comtesse Yolande, celle-ci avait tout récemment perdu son mari, 
				qui avait fait avec Ménaut la campagne d'Espagne, et l'un des 
				principaux hôtes de Joinville, Jean de Brou, plus connu sous le 
				nom de Petit-Jean de Vaudémont, revenait aussi de cette 
				expédition. Mais Ménaut ne séjourna que peu de mois à Joinville, 
				et il en fut bientôt tiré par un événement qui donna un bien 
				plus vaste essor aux services de lui et des siens.Le 27 juillet 1473, le duc de Lorraine, Nicolas, était enlevé 
				après trois jours de maladie, sans avoir été marié. Le jeune 
				comte de Vaudémont, René II, lui succéda et alla s'établir à 
				Nancy où se fixèrent également, comme attachés à son service, 
				Ménaut et Gratien d'Aguerre, ainsi que ceux qui les 
				accompagnaient. Les premiers temps du règne de René furent 
				tranquilles; aussi ne fut-il guère question ni des braves 
				compagnons béarnais, ni de leurs services et bien moins encore 
				du remboursement de l'argent qui leur était si légitimement du. 
				Mais, plus tard, de graves difficultés étant survenues avec le 
				duc de Bourgogne, pour lequel nombre de seigneurs lorrains 
				avaient pris parti, les d'Aguerre, trop oubliés jusqu'alors, 
				revinrent enfin en mémoire. Le 8 avril 1475, Ménaut fut nommé 
				conseiller et chambellan du duc, et, le 1er mai suivant, Gracian 
				était fait écuyer d'écurie. Le temps ne devait pas tarder ou les 
				d'Aguerre justifieraient amplement ces modestes faveurs. En 
				effet, René ayant commencé, le mois suivant, les hostilités 
				contre les Bourguignons, Gracian d'Aguerre, que nous appellerons 
				désormais Gratien pour nous conformer à l'orthographe lorraine, 
				fut chargé de la défense de Conflans, que vinrent bientôt 
				assiéger le comte de Campobasso et le maréchal de Luxembourg 
				avec une armée de six mille hommes munis d'artillerie.
 Par un singulier hasard, la fortune mettait ainsi en présence 
				deux hommes qui s'étaient déjà vus et qui devaient se revoir 
				encore plus d'une fois sur le champ de bataille, mais dont le 
				caractère et la fortune étaient également dissemblables. Ces 
				deux hommes étaient Gratien d'Aguerre et Nicolas de Montfort, 
				connu sous le nom de Campobasso, qui tous deux avaient combattu 
				en Espagne sous le même drapeau, dans l'armée lorraine.
 Campobasso, que René venait de récompenser richement par le don 
				de Commercy, avait, un instant après, trahi la Lorraine dont il 
				s'était fait un des plus dangereux ennemis; pendant ce temps, 
				Gratien, le simple écuyer d'écurie, était resté fidèle, comme il 
				ne cessa jamais de l'être, et l'un des meilleurs soutiens de la 
				cause des Lorrains.
 Malgré la grande supériorité du nombre des assiégeants, 
				Campobasso ne put s'emparer de Conflans, et, craignant d'être 
				lui-même attaqué, il leva le siège.
 «  Gracian Daguerre, lequel estait dedans, quand il se veit 
				assiéger, moult bien se sceut déffendre. De nuict et de jour 
				faisaient leurs efforts pour la cuyder prendre. » (Chronique de 
				Lorraine, n° 125.) Gratien, devenu ainsi libre par la retraite 
				des assiégeants, alla à Pont-à-Mousson joindre l'armée du duc 
				René ; il s'y retrouva avec son frère Ménaut et avec son 
				compatriote Joannot, que nous appellerons, comme l'Histoire de 
				Lorraine, Jeannot de Bidos. La Chronique de Lorraine défigure 
				ainsi leurs noms à cet endroit : Menat de Guerre et Gracien son 
				frère, Jennoy de BidoL
 Peu après, René fut averti que le duc de Bourgogne accourait 
				avec de grandes forces contre lesquelles il ne pourrait tenir; 
				il résolut alors d'aller chercher du secours en France et en 
				Allemagne. En se retirant, il confia aux chefs de son armée la 
				défense de ses places les plus importantes. Gratien d'Aguerre 
				fut placé au château de Prény, et Jean de Calabre reçut le 
				commandement de Nancy. Ce dernier, ayant pu mieux que personne 
				apprécier en Espagne la bravoure et la fidélité de Ménaut d'Aguerre, 
				le prit avec lui dans Nancy, et, par une singulière fortune, les 
				d'Aguerre devaient ainsi figurer avec honneur aux trois sièges 
				successifs de cette ville dans le cours d'une année.
 Le duc de Bourgogne arriva de Luxembourg en Lorraine au 
				commencement du mois de septembre, et s'empara rapidement de 
				toutes les places sur son passage. Seul Gratien d'Aguerre sut se 
				maintenir à Prény comme il venait de le faire à Conflans. «  
				Tentost après, dit Jehan Aubrion, ceulx de Ciercque 
				s'accordèrent à luy et toutes les altres chastel et bonnes 
				villes de Lorraine, réservé Prény, que ung appelé Gracia de 
				Guerre tenait et ne la volt point rendre. »
 Cependant il s'agissait pour le duc de Bourgogne d'une 
				entreprise beaucoup plus importante, de s'emparer de la capitale 
				de la Lorraine.
 Le siège de la place commença le 20 octobre 1475; ce fut ce 
				jour-là que Campobasso, auquel le sort réservait de se trouver 
				toujours personnellement en lutte avec les d'Aguerre, ses 
				anciens compagnons d'armes, enleva les troupeaux de la ville de 
				Nancy, qu'on avait eu l'imprudence de laisser paître sans 
				défense dans la prairie de Tomblaine ; c'était là un très grand 
				revers pour la garnison qui voyait ainsi disparaître les moyens 
				de subsistance indispensables pour pouvoir prolonger la 
				résistance. Néanmoins elle se défendit vaillamment; mais René, 
				sachant qu'elle manquait trop de vivres pour pouvoir tenir 
				longtemps, écrivit aux assiégés de capituler, et, conformément à 
				ses lettres qui arrivèrent le 25 novembre, la place se rendit 
				après cinq semaines de siège, obtenant toute sûreté pour les 
				habitants, et pour la garnison l'autorisation de se retirer 
				libre avec les honneurs de la guerre. Le 27 novembre, Ménaut 
				sortit donc de Nancy, ainsi que toute la garnison, et trois 
				jours après Campobasso y entrait solennellement à la suite du 
				duc de Bourgogne. Mais une année ne devait pas s'écouler avant 
				que Ménaut, commandant cette fois en personne, ne prît par une 
				nouvelle et plus heureuse défense de Nancy contre Charles le 
				Téméraire et contre Campobasso une éclatante revanche. Du reste, 
				les services de Ménaut durant ce siège sont honorablement 
				reconnus par les lettres patentes du duc René, du 16 février 
				1476, dans lesquelles, en rappelant que Ménaut a été deux fois 
				au nombre des assiégés dans la ville de Nancy, ce prince 
				constate qu'il s'y est chaque fois «  si vaillamment et 
				courageusement porté que possible était à supporter à corps 
				humain. »
 
 Archives de Lorraine. Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. V, p. 
				158, 178, 319. Chronique de Lorraine, n° 125 à 137. - Journal de 
				Jehan Aubrion, bourgeois de Metz, p. 80.
 CHAPITRE III.La Lorraine reconquise sur les Bourguignons.
 1476.
 Après la prise de Nancy, 
				Ménaut se rendit auprès du duc René, alors absent de la 
				Lorraine, et nous ne le voyons reparaître qu'avec ce prince 
				lorsqu'il revint un an après à la tête d'une armée ; il en fut 
				de même de Bidos qui était retenu par un service dans la maison 
				du duc. Nous devons, du reste, remarquer que Ménaut d'Aguerre et 
				Bidos restaient tous deux généralement attachés à la personne et 
				à la maison du prince, tandis que Gratien d'Aguerre, plus 
				impétueux, aimait à se séparer pour commander des troupes et à 
				entreprendre des expéditions seul et pour son propre compte.Toutefois, comme la Lorraine se trouvait alors au pouvoir des 
				Bourguignons, et qu'on était réduit à une inaction forcée, 
				Gratien se retira dans l'asile qui avait été le premier séjour 
				des d'Aguerre à leur arrivée dans nos contrées. Il se rendit 
				auprès de la comtesse Yolande, au château de Joinville, où se 
				trouvaient réunis quelques-uns des plus braves Lorrains qui sont 
				cités par la Chronique de Lorraine. «  Ains premier parlerons du 
				bastard de Valdemont, de Gracian de Guerre, de Henry et Ferry, 
				enfants de Tantonville, de l'escuyer Gérard, de Jehan d'Aigremont, 
				assy de Petit Jehan de Valdemont. » Gérard est mis ici par 
				abréviation de Gérard d'Avillers; les enfants de Tantonville, ce 
				sont les deux Ligniville, et Petit Jehan de Valdemont n'est 
				autre que Jean de Bron, appelé aussi M. de Pierrefort. Notons 
				avec soin les noms de ces sept braves guerriers, noms qui se 
				retrouveront si souvent et presque toujours ensemble dans 
				l'histoire de cette guerre. Ces hommes, déterminés et 
				entreprenants, attendaient avec impatience dans leur retraite de 
				Joinville une occasion qui ne tarda pas à se présenter.
 Le 3 mars 1476, Charles le Téméraire perdit la bataille de 
				Morat. Dès lors, les capitaines retirés à Joinville pensèrent 
				que le moment était arrivé de reprendre l'offensive à eux seuls 
				et malgré l'absence du duc René. En effet, dans la nuit du 13 au 
				14 avril, ils s'emparèrent du château de Vaudémont par escalade, 
				au moyen d'une intelligence avec le châtelain, et mirent bientôt 
				la main sur plusieurs autres places. Gratien d'Aguerre devint 
				capitaine de Foug; de là, il se joignit à la garnison de 
				Fontenoy, et harcela tellement Gondreville, que les 
				Bourguignons, qui l'occupaient, furent forcés de l'abandonner.
 Ces premiers succès, suivis de plusieurs autres, firent 
				comprendre aux chefs lorrains la nécessité d'agir de concert 
				pour frapper un plus grand coup. En conséquence, Gratien se 
				réunit aux deux Vaudémont, ainsi qu'aux autres capitaines, et 
				tous ensemble vinrent, le 12 août, assiéger Bayon, qu'ils 
				prirent par escalade. Le surlendemain, ils allèrent mettre le 
				siège devant Lunéville, dont ils parvinrent à s'emparer au bout 
				de quelques jours, malgré un assaut resté infructueux. Dès lors, 
				ils crurent que rien ne pourrait leur résister et s'en vinrent, 
				à la fin du mois d'août, mettre le siège devant la ville de 
				Nancy. La Chronique de Lorraine relate ainsi les dispositions 
				prises par les assiégeants : «  Dès Virlay jusque à Sainct-Jehan 
				ont faict un grand biez, dedans se sont lousgiés. Valthier de 
				Panne à Virlay son losgis estait; Monsr de Pierrefort on moulin 
				estait (Petit-Jean de Vaudémont). Monsr le bastard de Vaudemont, 
				Gracien [d'Aguerre], l'escuyer Gérard, les enfants de 
				Tantonville et ceulx d'Aigremont estaient tous entour de Sainct-Jehan. 
				»
 On voit que les sept de Joinville se retrouvaient encore là au 
				complet comme dans les sièges précédents.
 Depuis peu de jours cette entreprise était commencée, lorsque 
				Jean de Vaudémont reçut des lettres de René qui le forçaient de 
				s'éloigner; le duc l'informait de son projet d'aller lui-même 
				s'emparer d'Épinal, et il lui donnait l'ordre de prendre cent ou 
				cent vingt de ses hommes les mieux montés et de se rendre en 
				toute hâte avec eux, pour le 8 septembre, en vue d'Épinal, afin 
				d'y opérer sa jonction avec lui. Vaudémont s'empressa d'exécuter 
				ces ordres; il alla à la rencontre de René qui, de son côté, 
				arrivait au rendez-vous avec une armée de trois à quatre mille 
				hommes. Ces forces étant trop supérieures pour que la garnison 
				d'Épinal tentât de résister, la place se rendit sans coup férir, 
				et René y fit son entrée.
 «  Il mit son féable serviteur Ménault Daguerre por bien ouadier 
				ledit chastel, avecque luy y avoit xxx Gascons, tous gens de 
				guerre et de bonne façon. » (Chronique de Lorraine, n° 163.)
 Peu de jours après la prise d'Épinal, le duc René arriva devant 
				Nancy avec Jean de Vaudémont, et poussa si vigoureusement le 
				siège que la ville fut forcée de se rendre le 5 octobre. Ce fut 
				un grand bonheur pour les Lorrains que Nancy n'eût pas tenu 
				quelques jours de plus ; car, deux jours après le départ de la 
				garnison, le duc de Bourgogne, qui arrivait en toute hâte avec 
				une armée de secours, se présentait devant Toul. En apprenant la 
				prise de Nancy, qui avait si malheureusement déjoué ses calculs, 
				ce prince ne put retenir sa colère, «  jura sainct Georges que 
				devant que il fust les Roys, de toute la duchiéseigneur en 
				serait, luy et ses gens li duc René hors chasserait, ou tous 
				mors ils demoureraient. » (Chronique de Lorraine, n° 170.) 
				Serment de funeste présage, et dont la dernière partie seulement 
				devait se trouver, jour pour jour,. si funestement réalisée par 
				le propre trépas du duc de Bourgogne.
 
 Chronique de Lorraine, n°s 143 à 170. - Histoire de Lorraine, t. 
				V, p. 347 à 353.
 CHAPITRE IVLe grand siège de Nancy.
 1476
 Après la prise de Nancy par 
				les Lorrains, les deux armées passèrent quinze jours à se 
				surveiller mutuellement sans en venir aux mains. Mais, le 21 
				octobre, les Allemands qui composaient une très grande partie de 
				l'armée lorraine s'étant mutinés, René fut forcé de battre en 
				retraite ; il quitta donc Pont-à-Mousson à l'heure même où le 
				duc de Bourgogne y entrait de son côté, et il alla coucher à 
				Saint-Nicolas. En même temps, René commit Ménaut et Gratien d'Aguerre 
				à la défense de Nancy; cette mission de veiller à la défense de 
				la capitale de la Lorraine contre un ennemi aussi formidable 
				était sans doute d'une extrême importance, mais elle était en 
				même temps entourée de difficultés presque insurmontables, car 
				la place manquait de vivres et de munitions de guerre.Le duc de Bourgogne commença aussitôt le siège de Nancy, qui fut 
				investi le 25 octobre. Dès les premiers temps, on éprouva une 
				disette que l'armée et les habitants supportèrent avec courage; 
				toutefois, la place ne pouvait absolument tenir si elle n'était 
				promptement secourue par le duc de Lorraine, ainsi qu'il en 
				avait donné la promesse formelle en s'éloignant pour aller 
				solliciter l'appui de ses alliés.
 En effet, quelques semaines après l'ouverture du siège, René, 
				qui était allé à Zurich, reçut des Suisses l'assurance qu'on lui 
				donnerait une dizaine de mille hommes qui seraient entièrement 
				prêts pour la fin de décembre. Aussitôt, Syffred de Baschi, 
				maître d'hôtel du duc, que l'Histoire de Lorraine appelle 
				simplement Chiffron, s'offrit pour aller porter aux assiégés 
				cette bonne nouvelle. Arrivé à Vaudémont, il s'y aboucha avec 
				les d'Aigremont (Choiseul), les Tantonville (Ligniville) et 
				Gérard d'Aviller; tous conçurent alors le projet assez hardi de 
				ne point se borner à faire tenir des nouvelles aux assiégés, 
				mais de profiter de l'occasion pour ravitailler la place en 
				hommes et en provisions ; ils résolurent donc de se jeter dans 
				Nancy, et de charger leur bande de poudre et de viandes salées. 
				Arrivés à Clairlieu, ils y attendirent la nuit; à l'heure de 
				minuit, ils se glissèrent par derrière Laxou, parvinrent au 
				sommet de la côte de Toul, et y firent une halte pour observer 
				les lieux. N'ayant aperçu personne de garde, ils recommandèrent 
				leur âme à Dieu, et, l'épée à la main, marchèrent sur les murs 
				de la place. Arrivés aux fossés, ils s'y élancent en criant : 
				Lorraine ! Ce bruit donne l'alarme des deux côtés : ceux de 
				Nancy allument des torches, et les Bourguignons se jettent dans 
				les fossés pour arrêter le convoi. Cette tentative ne réussit 
				qu'en partie, car le gros de la bande fut forcé de battre en 
				retraite et de retourner en toute hâte à Vaudémont; les chefs 
				seuls qui étaient en avant purent pénétrer, à l'exception 
				toutefois de Baschi. Ceux de Nancy accueillirent ces nouveaux 
				arrivés avec une grande joie et se félicitèrent de l'assurance 
				d'être bientôt secourus.
 Cependant, Syffred de Baschi, n'ayant pu franchir une tranchée, 
				avait été fait prisonnier. «  Le bon maistre d'hostel Chiffron à 
				duc de Bourgoigne fut mené, tous les seigneurs après de lui 
				estaient. Quand il le veit, jura sainct Georges que incontinent 
				pendu serait. » (Chronique de Lorraine, n° 183.) Toute la 
				noblesse insistait pour obtenir la grâce de Syffred, «  le comte 
				de Nassol, le comte de Simay (Chimay), M. de Bièvre (Jean de 
				Rubempré), le grand Bastard (le propre frère du duc), tous 
				prièrent pour lui. » Mais le duc. résistait à tous avec colère, 
				et cette scène nocturne avait sa sauvage et farouche grandeur. 
				Cependant le comte de Campobasso, qui avait servi dans l'armée 
				lorraine avec Baschi, insistait plus que tout autre, remontrant 
				au duc les représailles, que ces actes de violence pourraient 
				attirer sur ses propres serviteurs. «  Le duc, quand il veit que 
				le comte assy fièrement parlait, le duc airmé estait, en ses 
				mains ses gantelets avait, haussy la main, à comte donna un 
				revers ; le comte plus ne dit mot, ne tous les altres assy. Li 
				duc le délivra à dict prévost. Va faire ton debvoir. » 
				(Chronique, n° 183.) Incontinent Syffred fut conduit au 
				supplice, au lieu où est maintenant l'église Saint-Nicolas. «  
				Ledit prévost sus l'abre le feit monter; en disant son In manus 
				tuas, etc..., en bas fut rué, le paure homme morut : Dieu luy 
				veuille pardonner. » (Chronique, n° 183.) La nuit n'était donc 
				point encore passée que déjà Syffred avait cessé de vivre. Au 
				point du jour, Gérard d'Aviller et les Tantonville s'abouchèrent 
				avec les Bourguignons pour recommander que le prisonnier fût 
				traité avec humanité. Ayant appris, en réponse, sa mort funeste, 
				ils demandèrent son corps qui leur fut délivré. Le grand bâtard 
				le fit mettre dans un drap de soie et porter à ceux de Nancy par 
				quatre gentilshommes. Toute l'armée et toute la population 
				suivirent son corps, et on l'enterra avec la plus grande pompe à 
				Saint-Georges, auprès du grand autel.
 Tel fut ce célèbre acte de violence de Charles le Téméraire, 
				acte dont les conséquences furent fatales; car, outre les 
				représailles beaucoup trop sanglantes que René en fit tirer 
				sur-le-champ, le silence de Campobasso, après l'outrage qu'il 
				avait reçu du duc, pouvait laisser à penser de la part de cet 
				Italien qui savait attendre et choisir son moment. En effet, la 
				fortune allait bientôt solder tous ces comptes de sang. 
				Campobasso sut se procurer une insigne vengeance à la bataille 
				de Nancy, et deux mois ne devaient pas se passer avant que 
				Charles le Téméraire allât, lui aussi, reposer sous les dalles 
				de Saint-Georges, auprès du bon maistre d'hostel Chiffron. Et, 
				par un singulier hasard, Ménaut d'Aguerre, qui venait d'ordonner 
				la pompe solennelle de Syffred, devait être celui que, par une 
				commission spéciale, «  René choisit pour présider aux 
				funérailles de Charles le Téméraire. » (Lepage, Commentaires sur 
				la Chronique de Lorraine, p. 90.) Il lui fut ainsi donné de 
				réunir ces deux ennemis au pied du même autel et dans la paix du 
				même tombeau.
 Au milieu du deuil de la mort de Chiffron, Gratien d'Aguerre et 
				Petit-Jean de Vaudémont, qui était aussi renfermé dans Nancy, 
				avaient pourtant à se réjouir d'avoir vu pénétrer dans la place 
				les Ligniville, les d'Aigremont et Gérard d'Aviller, car ainsi 
				se trouvaient, sauf un seul, réunis dans ce moment critique les 
				sept seigneurs qui, partis de Joinville trois mois auparavant, 
				avaient commencé à reconquérir la Lorraine. Quant à Jean de 
				Vaudémont, qui manquait à cette réunion de chefs éprouvés et si 
				habitués à se retrouver ensemble à la peine, il n'était point 
				resté indifférent aux embarras des assiégés, et avait su leur 
				donner de ses nouvelles. Il commandait-à Gondreville, et, le 
				jour de la Toussaint, il était parvenu à se glisser secrètement, 
				à la tête de trois cents soldats, par la forêt de Haie, auprès 
				de Laxou; avec cette poignée d'homme, il se jeta la nuit sur les 
				assiégeants qui occupaient Laxou, et cette surprise eut tout le 
				succès qu'on pouvait en espérer avec le peu de soldats dont 
				Vaudémont disposait.
 Cependant les privations extrêmes des assiégés augmentaient 
				chaque jour, et le secours impatiemment attendu n'arrivait pas. 
				Pied-de-Fer, qui était sorti de Nancy pour aller chercher et 
				rapporter des nouvelles de René, n'osa pas à son retour rentrer 
				dans la place, et s'arrêta à Rosières. Il fallait donc trouver 
				un homme de coeur qui voulût bien se hasarder à entreprendre avec 
				plus de succès cette périlleuse mission. «  Les capitaines Ména 
				et Gratien et tous les altres cherchaient por en treuver ung. Un 
				nommé Thierry, drapier que de Mirecourt estait, lequel dict : 
				Messeigneurs, à l'ayde de Dieu, se vous voliez, je iray et 
				dedans huit jours, à plus tard, je vous jure que céans 
				retorneray. » (Chronique, n° 188.) Thierry remplit sa mission 
				avec autant de courage que d'habileté, et il rentra à Nancy, 
				annonçant qu'il avait vu plus de dix mille Suisses rassemblés 
				auprès de René qui, dans huit jours, viendrait les secourir. 
				Toutefois, la disette, qui était extrême, n'était pourtant pas 
				le seul mal dont les assiégés eurent à souffrir, car le manque 
				de poudre était tel que l'artillerie ne pouvait plus faire aucun 
				service. On éprouva pourtant une légère amélioration à cet 
				égard. «  Messire Michel Glory, que gouverneur de l'artyllerie 
				estait, dict à tous les capitaines Ména et Gratien que encore 
				deux tonnes de pouldre avait, lesquelles coichiez les avait du 
				temp des Bourguignons ; nuls ne les scavaient, fors que lui. » 
				(Chronique, n° 189.) Pierre le Bombardier fit mener une pièce à 
				la porte La Craffe et tira avec un grand succès sur l'ennemi.
 Peu de jours après, le duc de Bourgogne reçut à son camp la 
				visite d'un souverain. Son cousin germain, Alphonse, roi de 
				Portugal, se trouvant en France, voulut faire une tentative pour 
				amener la paix entre la France et les Bourguignons. Il se rendit 
				d'abord à Toul, et Charles le Téméraire alla au-devant de lui 
				jusqu'auprès de cette ville. Le roi de Portugal arriva devant 
				Nancy le 29 décembre, et alla loger à trois lieues de cette 
				ville, au château d'Amance. Mais, ses efforts en faveur de la 
				paix ayant été inutiles, il repartit deux jours après.
 A Nancy, la famine augmentait chaque jour, on était arrivé à la 
				dernière extrémité. Le terme de Noël, annoncé plusieurs fois 
				comme celui de la venue de l'armée de secours, était passé 
				depuis dix jours; l'anxiété était des plus grande, et la 
				situation désespérée. Malgré cet état de désolation et 
				d'épuisement, les assiégés firent le dimanche 5 janvier, 
				longtemps avant le jour, une sortie qui ne fut pas sans quelque 
				utilité, suivant le témoignage du duc René lui-même; en parlant 
				du duc de Bourgogne, il dit : «  Mais là, Dieu merci, il eut deux 
				empêchements, l'un que ceux de la ville, qui ne pensaient point 
				que je fusse si près d'eux, saillirent par une poterne, et, du 
				côté là, ils brûlèrent toutes les tentes et tuèrent ce qu'ils 
				trouvèrent, puis se retirèrent dans la ville. » Leur retour eut 
				lieu à sept heures du matin. «  Les assiégés étaient à peine 
				rentrés dans la ville, lors qu'un soldat bourguignon se jeta 
				dans le fossé, près du palais, en criant : Vive Lorraine ! jour 
				Dieu, sauvez-moi la vie, car des nouvelles vous apporte. On le 
				conduisit devant les capitaines Ménaut et Gratien d'Aguerre, 
				auxquels il raconta en détail tout ce qui venait de se passer. 
				On annonça aux habitants l'arrivée des secours. » (Digot, p. 
				339.)
 Le sort des assiégés allait ainsi être bientôt décidé par la 
				bataille. Or, voici comment se passa ce grand et mémorable 
				événement.
 
 Chronique de Lorraine, p. 239 à 290. - Dom Calmet, p. 351, 379. 
				Digot, Histoire de lorraine, t. III.
 CHAPITRE V.La bataille de Nancy.
 5 janvier 1477.
 René étant enfin arrivé à 
				Saint-Nicolas, les deux armées se préparèrent pour la bataille 
				dès le matin du 5 janvier 1477. Pendant ce mouvement, Campobasso 
				avait déserté avec les siens pour passer à l'ennemi, et il se 
				retrouvait pour la seconde fois au service de la Lorraine.L'armée du duc de Bourgogne était ainsi disposée : elle avait 
				devant elle son artillerie, en arrière le ruisseau de Jarville, 
				à sa gauche elle s'appuyait sur la Meurthe, et à sa droite sur 
				le bois de Saulrupt. Charles le Téméraire était placé au centre, 
				le bailli de Flandre à l'aile droite, et Galéotto à la gauche, 
				le même Galéotto qui avait combattu pour les Lorrains à 
				Barcelonne. L'arrière-garde était commandée par le grand bâtard 
				Antoine de Bourgogne.
 L'armée de René commença l'attaque en tournant, à la faveur d'un 
				bois, la droite de l'ennemi dont elle dépassa le corps d'armée, 
				rendant l'artillerie des Bourguignons sans effet, puis elle 
				tomba à l'improviste sur l'arrière-garde; celle-ci ayant été 
				surprise et culbutée, sa déroute amena celle de toute l'armée de 
				Charles le Téméraire.
 La garnison de Nancy ne crut pas devoir rester inactive. «  Ména 
				Daguerre et Gratien son frère et tous les altres en airmes 
				estaient, saillirent dehors tous embastonnés, frappaient et 
				chargeoient sus ceulx que demeuré avaient. » (Chronique, n° 
				203.) Le duc de Bourgogne se trouva enveloppé de tous côtés; son 
				artillerie, qui avait été tournée, ne put tirer qu'un seul coup 
				qui tua deux hommes. Cependant, et bien que dès le début la 
				situation semblât désespérée, les Bourguignons se défendirent 
				longtemps et vaillamment; la bataille paraît en effet avoir duré 
				six heures, puisque le duc René, qui poursuivit aussitôt les 
				fuyards, ne franchit le pont de Bouxières qu'à cinq heures du 
				soir.
 Charles le Téméraire battit en retraite accompagné de son frère 
				Antoine, et arriva près de l'étang Saint-Jean, entouré par 
				l'élite de la noblesse ; là, plus de cinq cents des siens se 
				firent tuer auprès de lui pour le défendre ; mais à la fin son 
				cheval s'étant embourbé dans la vase, il fut frappé de plusieurs 
				coups de lance et tué par Claude de Beaumont à l'endroit où se 
				voit encore la croix érigée en mémoire de ce funèbre événement. 
				«  Quand la note blesse veirent que leur seigneur mort estait, 
				tous le habandonnirent : les uns s'enfuyaient de çà et de là, le 
				grand bastard Anthoine print la fuycte vers Laixou. »
 Après la mort du duc. le grand bâtard Antoine de Bourgogne se 
				trouvait l'homme le plus considérable de toute l'armée, et 
				c'était à lui à en rallier les débris, s'il était encore 
				possible. Jeannot de Bidos, qui combattait avec distinction dans 
				l'armée lorraine, s'élança à la poursuite de ce personnage 
				important et le fit prisonnier. «  Quand il vient à la chenevière 
				de Jeannot le Gascon, il fut prins. » (Chronique de Lorraine, n° 
				203.) Jeannot s'empara aussi d'un des principaux seigneurs 
				bourguignons, Philippe de Neufchastel. Henri de Neufchastel, 
				seigneur de Chastel, fut fait également prisonnier. Ils étaient 
				l'un fils, l'autre neveu du maréchal de Bourgogne; la Chronique 
				de Lorraine appelle le premier M. de Fontenoy, et le second M. 
				d'Arricourt, seigneur de Chastel. Tous deux furent conduits au 
				château de Foug, et le grand bâtard Antoine de Bourgogne fut 
				mené à Pulligny. La prise si importante que Bidos venait de 
				faire semblait être pour lui un événement des plus heureux, et 
				pourtant nous verrons bientôt combien d'ennuis et de traverses 
				il en résulta non-seulement pour lui, mais encore pour le duc de 
				Lorraine.
 Par suite de cette victoire signalée, René reprit enfin 
				possession de sa capitale, mais il la trouva bien dévastée. «  
				Les murailles étaient battues et comme arrasées par force de 
				l'artillerie. » (Lettres patentes du 14 février 1476.) Il ne put 
				se loger dans son palais, car on en avait été réduit à brûler 
				une partie des matériaux pour empêcher la garnison de mourir de 
				froid. Pourtant il fit son entrée sous le plus bel 
				arc-de-triomphe où prince eût jamais passé : sous un arceau 
				composé des os de tous les animaux immondes dont avaient mieux 
				aimé se nourrir les habitants de Nancy, que de ne pas pousser 
				jusqu'au bout leur sublime défense. » (Dumast, Nancy. Histoire, 
				etc., p. 9.)
 Les d'Aguerre avaient ainsi rendu un service signalé à la 
				Lorraine en sauvegardant Nancy. Ils surent, malgré la famine et 
				l'entier épuisement des munitions de guerre, prolonger, assez 
				pour que René pût arriver à temps, cette résistance héroïque, 
				juste sujet d'une gloire impérissable pour leur nom.
 
 Chronique de Lorraine, nos 196 à 209. - Dom Calmet, Histoire de 
				Lorraine, t. V, p. 388.
 CHAPITRE VI.Pompe funèbre de Charles le Téméraire.
 1477
 Le corps du duc de 
				Bourgogne ne put être retrouvé et reconnu parmi tous les morts 
				que le lendemain de la bataille. Nous avons dit qu'au 
				commencement du siège de Nancy Charles le Téméraire «  jura saint 
				Georges que devant que il fust les Roys de toute la duchié 
				seigneur en serait ou tous morts ils demoureraient. » 
				(Chronique, n° 170.) Et le lundi, jour des Rois, lendemain de la 
				bataille de Nancy, la porte de Saint-Nicolas, qui conduisait à 
				la collégiale de Saint-Georges, s'ouvrait de nouveau comme elle 
				s'était ouverte six semaines auparavant pour le corps du bon 
				maître d'hôtel Chiffron, et donnait passage à un aussi 
				lamentable convoi.Quatre gentilshommes se présentaient encore portant dans de 
				riches draperies un corps inanimé ; mais, cette fois, c'était 
				celui du dernier duc de Bourgogne, et dans ce drap funèbre 
				gisaient avec lui le nom, la fortune et les destinées d'une 
				vaste et puissante souveraineté. Cette journée était doublement 
				douloureuse pour Ménaut d'Aguerre au milieu de son triomphe. Il 
				était chargé par le prince de présider aux funérailles du brave 
				soldat, du souverain malheureux contre lequel il avait souvent 
				combattu avec des fortunes diverses; et, au même moment, il 
				revoyait dans l'armée lorraine le comte de Campobasso par lequel 
				il avait été assiégé deux fois dans Nancy, Campobasso qui avait 
				comme lui combattu en Espagne sous le drapeau lorrain, et qui, 
				après avoir trahi la Lorraine pour la Bourgogne, et ensuite la 
				Bourgogne pour la Lorraine, venait d'être ce jour même rétabli 
				par René dans sa seigneurie de Commercy.
 Cependant, bien que le corps du duc de Bourgogne eut été reconnu 
				par un de ses pages, on jugea prudent de ne pas procéder à son 
				inhumation avant que cette reconnaissance n'eût été confirmée 
				par ceux des prisonniers que leur rang rendait les plus 
				familiers avec le prince. René manda donc aussitôt les deux 
				Neufchatels, et par suite Bidos alla chercher et amena Philippe 
				de Neufchastel, son prisonnier. Le duc René «  en la chambre 
				entra le premier. La teste desfula (découvrit). Quand lesdits 
				seigneurs le veirent, à genouils se mirent. Hélas! vecy nostre 
				bon maistre et seigneur. » (Chronique de Lorraine, n° 210.) Le 
				grand bâtard, aussi amené, reconnut pareillement son frère; tous 
				les doutes étant ainsi dispersés, on s'occupa de procéder à la 
				pompe funèbre.
 Le dimanche 12 janvier, le corps de cet infortuné prince entrait 
				dans l'église Saint-Georges, porté par quatre comtes et six 
				autres seigneurs. Le cortège était triste et solennel entre 
				tous, car, lorsque tous les honneurs eurent été déposés sur le 
				corps dans la tombe, on ne vit pas cette fois les grands 
				officiers venir faire leur debvoir selon l'usage, descendre dans 
				la fosse, en rapporter l'épée et la grande enseigne, et en 
				l'agitant crier par trois fois : Vive le duc. En effet, avec ce 
				prince avaient péri, son nom, sa race et sa souveraineté ; avec 
				lui la Bourgogne était ensevelie dans cette tombe, et la pierre 
				funèbre se refermait pour toujours sur tous deux.
 
 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. V, p. 384 et 386. - 
				Chronique de Lorraine, n° 209, 210. - Bulletin de la Société 
				d'archéologie, Nancy, 1851, p. 182, 183.
 CHAPITRE VII.Guerre du Luxembourg.
 1477 à 1478.
 René s'occupa, le même jour 
				16 février 1477, de régler le sort de ses deux fidèles 
				serviteurs Bidos et Ménaut d'Aguerre, qui, comme de coutume, 
				étaient restés près du prince, tandis que Gratien était allé au 
				loin recommencer la guerre. Le prince accorda à Bidos qui avait 
				consenti à lui remettre ses deux prisonniers, Antoine de 
				Bourgogne et Philippe de Neufchastel, non pas dix mille écus 
				pour l'un d'eux seulement comme le dit Dom Calmet, mais cinq 
				cents livres de rente sur les salines pour la remise de tous les 
				deux ; «  à laquelle a esté prins, disent les lettres patentes de 
				René du 16 février 1476 (1477), messire Anthoine, bastart de 
				Bourgongne, par nostre tréschier et bien amé pennetier, Jannot 
				l'aubellestrier, lequel depuis, à nostre requeste, à iceluy 
				messire Anthoine quiété de sa foy et le rendu et délivré en nos 
				mains. et aussi que semblablement il nous a mis entre mains 
				messire Phellipe du Nuefchastel. » Bientôt après, Louis XI 
				pressa avec insistance le duc René de lui remettre Antoine de 
				Bourgogne qu'il redoutait beaucoup, et le duc de Lorraine, après 
				de grandes hésitations, n'osa refuser ; il conduisit lui-même 
				Antoine à Arras, après avoir stipulé les assurances les plus 
				formelles pour la sécurité du prisonnier qui, du reste, fut 
				traité avec beaucoup de faveur à la cour de France. Nous verrons 
				bientôt la suite de cette affaire et nous raconterons les 
				persécutions dont elle fut l'origine pour Bidos.L'année suivante, René fit encore don à Jeannot de Bidos des 
				maison, place, terre et seigneurie de Rémicourt, près de Nancy. 
				Les lettres patentes délivrées à cette occasion, le 8 avril 
				1478, font une mention encore plus formelle des services de 
				Bidos, «  en considération des grans, fructueux et aggréables 
				services que nostre très cher et féal Jehannot de Bidou, nostre 
				pannetier, nous a par cy devant faiz, résident continuellement 
				en nostre service, mesmes au recouvrement de nostre duché, où il 
				s'est vaillamment employé et exposé sa personne en plusieurs 
				grans périlz et dangiers, sans nous habandonner. »
 Peu après, Bidos obtint une charge qui témoigne de la confiance 
				que le prince avait en lui; il fut nommé capitaine des 
				cranequiniers ou arbalétriers à cheval de la garde. Nous avons 
				vu qu'il était pannetier de Lorraine, charge qu'il conserva 
				pendant plus de trente ans, car son épitaphe lui donne encore le 
				titre de pannetier du roi de Sicile.
 Ainsi que nous l'avons dit, le même jour 16 février, René fit 
				une autre disposition en faveur de Ménaut d'Aguerre, et lui 
				concéda des biens qui avaient fait retour au domaine. Ménaut 
				était à cette époque conseiller, chambellan du duc et capitaine 
				d'Épinal; il commandait, en outre, une compagnie d'hommes 
				d'armes au service du duc de Lorraine.
 Quant à Gratien d'Aguerre, incapable de rester inactif, il 
				s'était, aussitôt après la bataille de Nancy, offert pour aller 
				au pays de Luxembourg tenter des conquêtes sur les Bourguignons. 
				René convoqua les États, à Épinal, pour délibérer sur la 
				continuation de la guerre ; les États s'y opposèrent 
				formellement et le prince parut se ranger à leur avis. Mais 
				Gratien insista vivement, et, ayant fini par l'emporter, il 
				partit sur-le-champ pour le Luxembourg avec le titre de 
				lieutenant général du prince et de capitaine général. Il parvint 
				rapidement à s'emparer de Louppy, de Chauvency, ainsi que des 
				villes de Virton et de Damvillers. René engagea à Gratien Louppy 
				et Virton et toute sa prévôté, pour l'indemniser des dépenses 
				faites tant pour la prise de ces places que pour l'entretien des 
				fortifications. Il lui donna, en outre, la seigneurie de 
				Chauvency et celle de la ville de Damvillers. Dans les lettres 
				patentes de cette concession, en date du 10 avril 1477, le duc 
				rappelle de la manière la plus honorable pour Gratien les 
				services qu'il avait rendus en Espagne et en Lorraine : «  Ayant 
				regart aux grans, notables et laborieux services que nostre très 
				cher et féal chevaillier messire Gracien de Aguerre a fait à 
				nostre grant père le roi de Jhérusalem et de Siciles, et à feu 
				nostre oncle le duc Jehan, duc de Calabre et de Lorraine, en 
				leurs guerres et emprinses de Cathelongne; lequel depuis en 
				habandonnant et délaissant les propres pays et lieux de sa 
				nativité, s'en est venu par deçà pour continuer envers nous sa 
				bonne loyaulté, incontinent après nostre réception à cestui 
				nostre duché, où il s'a emploié songneusement, honorablement et 
				vaillamment, tant à la conduicte de ci noz gens d'armes en noz 
				guerres et affaires qu'avons eu à l'encontre de feu nostre 
				oncle, Charles, duc de Bourgogne, comme à la déffence de nostre 
				ville de Nancy, en laquelle il, avecques autres de nos bons 
				serviteurs, a esté assiégé par nostredit oncle et tenu ledit 
				siège en grande extrémité, tant en déffault de vivres comme de 
				baterie des murailles de nostredite ville, jusques à ce que, à 
				l'ayde de Dieu, de Nostre Dame et de monsieur sainct Nicolas, 
				nous avons, à puissance d'armes, levé ledit siège, » Après la 
				prise de ces différentes places, Gratien allait s'occuper du 
				siège de Montmédy et il rassemblait des provisions pour cet 
				objet, lorsqu'une trêve avec les Impériaux, suivie bientôt d'un 
				traité de paix, assura à la Lorraine les conquêtes qu'il venait 
				de faire, et mit fin aux hostilités. Il se trouvait ainsi jouir 
				d'un repos de quelques mois., chose assez rare dans son 
				existence, et il le mit à profit pour songer à un établissement. 
				II épousa Madelaine de Castres, fille de Nicolas de Castres et 
				de Madelaine, dame de Vienne-le-Chatel. René lui témoigna en 
				cette circonstance «  toute son affection en faisant célébrer au 
				palais ducal même ses noces avec Madelaine de Castres, et en 
				donnant à cette occasion des joûtes et des tournois. »
 Madelaine de Castres avait pour aïeul maternel Henry de Vienne, 
				fils de Bertrand et petit-fils de Hugues de Vienne, qui vivait 
				vers 1350. Hugues de Vienne eut pour second fils Jean de Vienne, 
				seigneur de Pont-Saint-Vincent, près Nancy, dont le fils Nicolas 
				et le petit-fils Jean Il furent aussi seigneurs de 
				Pont-Saint-Vincent; ce dernier, bien qu'il possédât cette 
				seigneurie lorraine, fut tué dans l'armée du duc de Bourgogne, 
				et Pont-Saint-Vincent, dont nous aurons à reparler, fit retour 
				au domaine ducal. Ce mariage donnait ainsi à Gratien des 
				prétentions sur les terres considérables de Vienne-le-Chatel et 
				de Pont-Saint-Vincent, prétentions dont nous verrons plus tard 
				les résultats.
 
 Archives de Lorraine. Dom Calmet, Histoire de Lorraine., t. V, 
				p. 142, 390. - Journal de la Société d'archéologie, Nancy, 1863, 
				p. 233. - Digot, Histoire de Lorraine, t. III, p. 364, 369. - 
				Lepage, Commentaires sur la Chronique de Lorraine, p. 85.- 
				Manuscrits de la Bibliothèque impériale. Recherches sur la 
				noblesse de Champagne en 1668, au mot Vienne.
 CHAPITRE VIII.Guerre de Gratien d'Aguerre contre la ville de Metz. - Voyage de 
				Ménaut en Provence et en Italie.
 1478 à 1180
 Gratien avait fixé sa 
				résidence et celle de ses troupes dans la ville de Damvillers, 
				où il se trouvait à même de surveiller ses seigneuries de 
				Damvillers et de Chauvency, ainsi que ses domaines de Virton et 
				de Louppy. Ce séjour lui donnait avec la ville de Metz, dont le 
				commerce s'étendait beaucoup dans le Luxembourg, des rapports 
				souvent délicats, par suite des plaintes dont l'occasion se 
				présentait fréquemment entre voisins dans ces temps de désordre. 
				Dans une affaire de cette nature, Gratien - adressa, le 20 
				octobre 1478, aux magistrats de la ville de Metz, une lettre qui 
				a quelque intérêt, parce qu'elle est la seule qu'on possède de 
				Gratien. Elle commence par ces mots : «  Très honorés seigneurs 
				et bons amis, je me recommande à vous tout ce que je puis ; » 
				elle finit ainsi : «  Et au surplus s'il est chose que pour vous 
				puisse volontiers et en mon petit pooir le ferai; c'en scet Dieu 
				notre Seigneur qui vous ait en sa sainte garde. Ecrit au chastel 
				de Damvillers le 20e jour d'octobre 1478. Gracian Daguerre, 
				seigneur de Damvillers et lieutenant et capitaine général pour 
				mon très redouté seigneur Monseigneur le duc de Lorraine es 
				marches par dessa. Tout votre... » Contresigné Guillaume Drouare, 
				avec paraphe.Peu après, il survint un plus grave sujet de querelle. Des 
				soldats de Gratien s'étaient emparés du château de Pontoy. Ils 
				étaient douze compagnons de guerre, selon la chronique en vers 
				des Messins; neuf, selon les lettres d'instruction données par 
				la cité à ses ambassadeurs près de Louis XI. Les Messins 
				envoyèrent contre ces soldats une troupe nombreuse qui, après un 
				premier assaut resté infructueux, fut plus heureuse au second, 
				tua deux des assiégés, et fit prisonniers les autres qui furent 
				amenés à Metz et mis à mort.
 La cité leur manda brièvement
 Qu'ils vuydassent paisiblement ;
 Ils répondirent au sergent :
 Vous n'êtes pas assez de gens.
 
 Les seigneurs prindrent une bande
 De gentils galants belle et grande,
 Très tous jeunes galans de prix,
 Furent au deuxième assaut prins.
 
 Deux furent tués en la place,
 Et les aultres amenés à Metz ;
 Si mal s'avaient deffendus,
 Que tous dix en furent pendus.
 (Chronique de la noble cité de Metz.)
 
 Une patience beaucoup plus grande que celle de Gratien eût été 
				cette fois mise à l'épreuve ; aussi il n'hésita point à déclarer 
				la guerre à la ville de Metz, dont la puissance était cependant 
				formidable. Il lui envoya ses lettres de défi le 24 mars 1479, 
				et commença aussitôt les hostilités en allant, à la tête de sept 
				à huit cents hommes, attaquer le val de Metz. Pour se venger de 
				ces entreprises, les Messins dirigèrent contre lui deux 
				expéditions dans lesquelles ils n'eurent aucun succès. Leur 
				récit n'en peut paraître suspect d'exagération en faveur de 
				Gratien, car elles ne nous sont connues que par les écrivains de 
				l'opulente cité, Gratien et ses hommes d'armes, qui étaient très 
				peu clercs, n'ayant pas eu d'historien.
 Voici comment le journal de Jehan Aubrion, bourgeois de Metz, 
				raconte la première de ces entreprises conduite par Philippe de 
				Raigecourt et Michiel le Gornais, à la tête de deux mille 
				piétons et deux cent quarante chevaux : «  Item, le premier jour 
				de may, vint le massaigier (de) Gratial de Guerre en la cité, 
				aporteit lectres aux srs; et demandait responce, et on le fit 
				hosteller en l'ostel d'un appelez Jehan Husson, en la rue de la 
				Haie. Et, le lendemain, Jehan Dex, qui estait clerc des septz de 
				la guerre, par l'ordonnance de ses maistres, comme il disait, 
				s'en allit vers le dit messagier en l'ostel du dit Jehan Husson 
				et paiait tout ce que le dit messaigiés avait despendus avec 
				iiij compaignons qui estoient avec lui de sa conguissance, et 
				donnait audit messaigiés un florin au chat. Et luy dit qu'il 
				s'en retournait vers son maistre, et qu'il n'averoit point de 
				responce par escript, mais qu'il ly dit de bouche qu'il faisint 
				bonne guerre à la cité, ét qu'il y vienit bien tost veoir, ou 
				senon, ons l'yrait bien tost veoir luy mesmes. Et tantost le 
				mercredy après, on mist gens emssamble bien environ ijer et XL 
				chevalx bien au point, tant des sodiours comme des varlets d'ostel, 
				et bien ij milles à piedz, tant de la cité comme du Vault, en là 
				conduite du sr Michel le Gornais et du sr Philippe de Raigecourt, 
				ambeduit tous deux chevaliers, et qui estoient septz de la 
				guerre. Et s'en allont sur la nuit et emmenont avec eux xviij 
				clerz chargiés d'artillerie, d'exuelle, de planches, de pain, de 
				vin, et d'avoinne ; et s'en allont de bonne tire jusques à 
				Billay. Et illec séjournont, et envoient ung sr appellé le Hurt 
				du Lucembourg et les gens le conte de Biche, qui alors estoient 
				aux gaiges de la cité; et les envoiont jusques devant Damvillers 
				pour veoir par quelle manière cons y macterait le siège. Et 
				quand ilz vinrent tous -devant la porte de Damviller, ils 
				trouvont ung des serviteurs du dit Gracian qui s'en allait à 
				provision, à tout ung mullet, pour ledit Gracial, et le prinrent 
				et l'emmenont à Billey, de coste nos srs et nos gens l'interroguairent 
				du fait de Gratia; lequel leur dit que le dit Gratia estoit fort 
				sur sa garde et qu'il savait bien leurs venue. Et leurs dit tel 
				chose que nos srs trouvont en conseille avec leurs gens de 
				retorner pour cette fois; et s'en revindrent, grace à Dieu! sain 
				et saulfz, et ramenont y celuy compaignon et le mulet, et encore 
				ij aultres compaignons qu'ils prinrent au chemin. »
 Cette première attaque ayant eu un succès assez médiocre, 
				puisqu'elle s'était bornée à la prise d'un mulet et de son 
				conducteur, que leur mauvaise fortune avait mis sur le chemin de 
				cette armée, les Messins saisirent une occasion plus opportune 
				peut-être que loyale de se venger de Gratien : «  Un des 
				officiers de l'armée de ce commandant vint secrettement à Metz, 
				et promit aux gouverneurs de cette ville de lui livrer Gratien. 
				Ils assemblèrent promptement quatre mille hommes, et se mirent 
				en campagne : mais quand ils arrivèrent près de Damviller, comme 
				ils faisaient repaitre leurs troupes, ils furent subitement 
				attaqués et mis en déroute. » (Dom Calmet, t. V, p. 395.)
 Voici comment les Messins racontent cet événement dans leur 
				Chronique de la noble cité de Metz (Dom Calmet, Preuves, t. III, 
				p. 317) :
 Un nommé Gratian de Gueldre
 Contre la cité feit la guerre,
 En despitant sans nul mercy,
 Vint brusler à Ars et Ancey.
 ...
 De ce seigneur un serviteur
 De son armée conducteur,
 Vint noncer aux seigneurs de Metz,
 Croyez-moi, je vous Je promets.
 
 Que si mon maistre voulez avoir,
 Je vous en ferai tel debvoir ;
 Venez un jour, au lendemain
 Le livrerai entre vos mains.
 
 Une armée hors de la ville
 Assemblarent de quatre mil,
 Artillerie et charroy devant,
 Estendars et bannières au vent.
 
 Quand vinrent près de Dainviller,
 Pour toute arrogance éviter,
 En faisans un petit repas,
 Fut rompu le tour du compas.
 
 Cette guerre se prolongeait ainsi sans résultats décisifs, 
				lorsqu'il survint entre la Lorraine et la France une 
				complication qui changea beaucoup la situation de d'Aguerre.
 Le duc René II se sentait à la veille de perdre son grand-père 
				René Ier, duc de Bar, comte de Provence et roi titulaire des 
				Deux-Siciles, royaume qu'il avait quelque temps occupé. Il 
				s'agissait pour le duc de s'assurer la succession de son 
				grand-père et de la défendre contre la cupidité de Louis XI, qui 
				obsédait de ses intrigues la faiblesse naturelle du vieux roi 
				René. Pour atteindre ce but, il résolut de partir avec son 
				fidèle Ménaut d'Aguerre pour la Provence, où il s'aboucherait 
				avec son aïeul; et, pour donner le change à Louis XI, il lui fit 
				connaître que son intention était d'aller faire valoir les 
				prétentions du roi René sur Naples et de reconquérir ce royaume. 
				Louis XI ne pouvait que gagner à une expédition aussi 
				aventureuse, et, comme si elle lui eût déjà semblé couronnée de 
				succès, il a soin, dans sa correspondance, quand il parle de 
				René, de l'appeler mon cousin le duc de Calabre. Pour lui 
				montrer sa bonne volonté, il se charge de solder et d'entretenir 
				une compagnie d'archers de sa garde; il veut qu'on se hâte de 
				payer une année de solde à l'avance, «  et gardez bien qu'il n'y 
				eût faute, car j'aimerais mieux qu'il demeurât de mes autres 
				affaires. » Mais, au même instant, et comme il était beaucoup 
				moins dupe du duc de Lorraine qu'il ne lui convenait de le 
				paraître, connaissant par expérience les moyens d'influence les 
				plus efficaces sur le vieux roi toujours besogneux, il 
				recommanda de lui verser une somme de vingt mille écus.
 La bienveillance de Louis XI s'étendit non-seulement sur le duc 
				de Lorraine, mais encore sur les d'Aguerre, qu'il savait en 
				crédit à la cour de Lorraine ; aussi, le gouvernement de la 
				ville de Mouzon étant venu à vaquer en ce moment, par suite du 
				décès de Louis de Joyeuse, il le donna à Gratien d'Aguerre; et, 
				en même temps, il s'entremettait entre les Messins et Gratien 
				pour négocier une trêve qui fut en effet conclue le 20 juillet 
				1479.
 Cependant le duc René était arrivé en Provence avec Ménaut; et, 
				comme il y prolongeait beaucoup son séjour, il excita 
				naturellement la défiance de Louis XI, qui parvint à découvrir 
				que le duc de Lorraine s'était fait remettre par son grand-père 
				des lettres pour la mise en possession du Barrois. Louis, qui 
				avait ses créatures à la cour de Provence où il distribuait 
				largement les pensions, contraignit le vieux roi à révoquer les 
				avantages qu'il avait faits à son petit-fils. Celui-ci, voyant 
				dès lors l'impossibilité de lutter contre un pareil adversaire, 
				résolut de quitter la Provence ; mais, comme il lui importait de 
				ne pas rentrer en Lorraine par la France et, de plus, d'aller en 
				Italie pour y nouer des relations qui pourraient être utiles à 
				ses prétentions sur le royaume de Naples, il s'embarqua à 
				Marseille, le 25 décembre, pour aller à Venise.
 Pendant que Ménaut d'Aguerre était ainsi embarqué avec le duc 
				René, son frère Gratien se rendait près de Louis XI à Tours, où 
				se trouvaient également les seigneurs Warry Roncel, Raigecourt 
				et Dex, ambassadeurs de la ville de Metz, envoyés pour le traité 
				de paix que les deux parties désiraient conclure sous les 
				auspices du roi de France. On a encore les instructions données 
				à cette occasion aux députés de la cité. Le traité fut signé à 
				Tours, le 26 janvier 1480; en voici le préambule : «  Nous les, 
				maistre échevin, treize jurés, et Conseil de la cité de Metz 
				d'une part, et je Gratian Daguerre, chevallier, seigneur de 
				Damvillers, gouverneur de Mouzon, faisons savoir à tous que 
				comme puis aucun temps en ça à l'occasion d'aucune poursuite ou 
				querelie que je Gratian Daguerre, dessus nommé, prétendais faire 
				à ladite cité pour certaines considérations ad ce me mouvant; 
				lors eusse meu guerre par mes lettres de déffiance entreprise 
				sur eux en leurs terres et pays, laquelle guerre fut continuée 
				par l'une partie contre l'autre en exploits en guerre 
				accoutumés... »
 On convint dans le traité de se tenir quitte de part et d'autre 
				de tous dommages et répétitions. Ainsi se termina, sans aucun 
				désavantage pour Gratien, cette guerre qui témoigne autant de sa 
				hardiesse que de sa puissance.
 Quant au voyage où son frère Ménaut se trouvait engagé à la 
				suite du duc René, il n'eut pas lieu sans de grands embarras. La 
				traversée fut des plus difficiles, et le prince, assailli par 
				des tempêtes successives, ne put arriver qu'au bout de trois 
				mois à Venise. Mais là, ses négociations réussirent 
				complètement. Le 16 avril, il fut déclaré lieutenant général de 
				la République vénitienne, et il conclut en même temps un traité 
				d'alliance, par lequel il s'engageait à venir au secours de la 
				République aussitôt qu'il en serait requis, traité qui amena par 
				la suite René en Italie. Après ces arrangements, le prince 
				reprit le chemin de la Lorraine avec Ménaut.
 
 Histoire de Metz, t. VI, p. 206, 228, 401. - Journal de Jehan 
				Aubrion, p. 95. - Chronique de la noble cité de Metz, t. V, 
				texte, p. 393. - Dom Calmet, t. III, Preuves, p. 316. - Digot, 
				Histoire de Lorraine, t. III, p. 365. - Archives de Lorraine.
 CHAPITRE IX.Assemblée des Etats généraux. - Les d'Aguerre quittent la 
				Lorraine.
 1481.
 Le duc de Lorraine était 
				depuis peu de temps de retour de Venise lorsqu'il apprit la mort 
				de son grand-père le roi René, comte de Provence. Désireux de 
				faire valoir ses droits sur la succession de son aïeul, et de 
				tenter une expédition dans ce but, le duc songea naturellement à 
				Ménaut d'Aguerre et à Jeannot de Bidos, car les seigneurs 
				lorrains étaient peu soucieux d'une entreprise aussi lointaine, 
				et d'ailleurs, Ménaut, qui venait de séjourner en Provence, 
				avait déjà été en relation avec les partisans des Lorrains. D'Aguerre 
				et Bidos partirent donc pour cette difficile et périlleuse 
				mission, dans laquelle on devait être aidé par les partisans que 
				René croyait s'être conciliés en Provence.Cependant le duc espérait obtenir de ses sujets, faute de 
				soldats, au moins quelques subsides pour l'aider dans une 
				entreprise aussi naturelle, car il eût été étrange d'abandonner 
				des droits si évidents ; il convoqua donc les Etats de Lorraine 
				pour le 8 août 1481. Mais il fut bientôt constant à l'avance 
				qu'un violent orage éclaterait contre Gratien, dont les 
				conquêtes dans le Luxembourg avaient excité la jalousie de la 
				noblesse. Piqué de voir ainsi reconnaître ses nombreux services, 
				Gratien abandonna Damvillers et la Lorraine pour aller fixer sa 
				résidence en France, et, le 6 août, avant-veille du jour de 
				l'ouverture des Etats, il remit au duc de Lorraine la seigneurie 
				de Damvillers, la prévôté de Virton ainsi que le château de 
				Louppy, dans lequel René devait plus tard passer ses dernières 
				années. En échange de ces terres, le duc de Lorraine concéda à 
				Gratien, à titre d'engagement, les baronnies, villes et 
				châtellenies de Rumigny, Aubenton, Watephall, etc., biens que ce 
				prince possédait en France.
 On pouvait espérer que la retraite des d'Aguerre adoucirait les 
				dispositions des Etats, mais il fut loin d'en être ainsi. Leur 
				longue réponse fut insolente pour le prince, auquel ils disaient 
				entr'autres : «  Car vous voiez que, parceque vostre revenu va la 
				pluspart au duire (plaisir), à boire et à manger, vous ne pouvez 
				trouver argent pour despescher ung ambassadeur pour vos 
				affaires. Aussy, tous vos conseillers, gentilshommes, officiers, 
				et bref tous ceulx de vostre maison braient et crient après 
				vous.... » D'ailleurs, Gratien était désigné aussi clairement 
				que possible, et la jalousie contre ces conquêtes perçait assez. 
				Les expéditions qui avaient suivi la bataille de Nancy avaient 
				été entreprises «  par la simulation d'aulcuns qui plus 
				désiroient leur bien particulier, et qui, par les guerres, se 
				vouloient faire grands, ainsy qu'ils ont faict..., Vous mistes 
				gens d'armes en Bourgogne et en Luxembourg... et par la prinse 
				du Luxembourg, le duçhé de Bar, ou vos gens d'armes vivoient, 
				fut mis à pauvreté et destruict. » Du reste, on doit peu 
				s'étonner de l'inimitié que montrait contre un soldat étranger 
				une noblesse qui respectait aussi peu son propre souverain. En 
				effet, ce n'était pas seulement Campobasso que les d'Aguerre 
				retrouvaient à la cour de Nancy, après l'avoir combattu dans les 
				rangs de l'armée de Charles le Téméraire, c'étaient encore les 
				Desarmoises (notamment Simonin, grand-maître de l'artillerie de 
				Lorraine), les d'Haraucourt, Lenoncourt, Dommartin, Toullon, d'Haussonville, 
				Lucy, Vaudoncourt, Raville et tant d'autres. Leur sympathie pour 
				Gratien était naturellement assez médiocre, et force était bien 
				à lui et à son frère de s'exiler de la Lorraine. Certes, il ne 
				dut pas quitter sans quelque émotion, pour ne plus les revoir, 
				et le souverain qu'il servait depuis dix ans avec une fidélité 
				rare en ces temps, et le palais où ce prince lui avait donné 
				l'hospitalité, comme à l'un de ses proches, pour la célébration 
				de son mariage, et la ville de Nancy où lui et son frère 
				s'étaient tant signalés durant les trois sièges, cette ville où, 
				suivant l'expression du duc René, Gratien avait «  supporté et 
				enduré innumérables misères et adversités pour l'amour de nous. 
				» (Lettres patentes du 23 décembre 1489.) Et peut-être le prince 
				lui-même ne se sépara-t-il pas sans quelque regret de cet utile 
				et fidèle serviteur, dans ce moment où ni l'un ni l'autre ne 
				pouvaient deviner que le fils de Gratien reviendrait près du 
				fils de René, lors d'une guerre formidable qui mettrait de 
				nouveau la Lorraine en péril, et qu'il séjournerait de longues 
				années dans cette même cour comme le principal ministre de son 
				souverain.
 
 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. V, p. 397.- Archives de 
				Lorraine. - Digot, Histoire de Lorraine, t. nf, p. 369.
 CHAPITRE X.Guerre de Provence.
 1481.
 On a vu que Ménaut avait 
				quitté la Lorraine, accompagné de Jeannot de Bidos, pour aller 
				faire la guerre en Provence; il s'agissait d'enlever ce pays à 
				Charles, comte du Maine, qui s'en était emparé à la mort du roi 
				René. Ménaut se rendit en Provence par le Rhône, il dépensa 
				trente livres tournois pour bateaux et batelliers qui le 
				menèrent de Chaalons en Bourgongne jusques en Avigon. A son 
				arrivée en Provence, il fit pour le duc de Lorraine une levée de 
				soldats à la tête desquels il plaça quatre connétables ; «  il 
				presta en outre à Jannot de Bidos neuf ducas d'or pour l'ayder à 
				fournir à la soulde des gens qu'il avoit soulz luy, » et avança 
				pour cette guerre des sommes nombreuses dont il ne put obtenir 
				le remboursement que quatre ans plus tard. (Lettres patentes du 
				18 mai 1485.) Il combattit à la prise des villes de Forcalquier 
				et de Boyon, se signalant comme toujours ainsi que le constatent 
				ces lettres qui rappellent que Ménaut a fait la guerre de 
				Prouvence, «  où il alla de nostre commandement et ordonnance 
				lorsque nostre dit sieur du Maine occupait nostredit conté de 
				Prouvence ; ouquel pays, ledit Ménault, pour la grande affection 
				et amour qu'il avoit à nous, s'est trouvé et mis plussieurs foiz 
				en grant péril et danger de sa personne. » L'entreprise 
				commençait à réussir, mais il survint un concurrent bien 
				autrement redoutable que Charles, comte du Maine. Ce dernier 
				était valétudinaire, sans enfant ; on attendait sa fin 
				prochaine, et Louis XI s'était fait instituer son héritier. 
				Aussi, après la prise de Forcalquier, Ménaut fut-il très 
				grandement contrarié de voir arriver Vermandoys, roy d'armes de 
				Monseigneur le Roy, accompagné de Prouvence, aussy roy d'armes, 
				intimant défense, au nom dudit seigneur roi, de plus amplement 
				persister sur cette entreprise au préjudice des droits du très 
				redouté seigneur et roi. Ménaut regretta peu les six écus d'or 
				qu'il remit par courtoisie et pour honorer la personne de leur 
				auguste souverain à chacun de ces deux dignitaires, lesquels 
				acceptèrent gracieusement et avec bénignité pour se conformer 
				aux usages et coutumes de leurs fonctions féciales ; mais il lui 
				était bien autrement pénible d'entrevoir, en présence d'une 
				intervention aussi formidable, la chute d'une entreprise dont on 
				avait espéré le succès. Toutefois, il fallut bien s'arrêter, et 
				ce ne fut pas le seul revers de Ménaut, car bientôt il essuya, 
				comme nous le voyons par les lettres de René, «  la perdition de 
				ses biens, meubles, artillerie, tapisserie et autres utencilles 
				d'ostel que nostre feu sieur Charles, à son vivant conte du 
				Maine, luy print et fist prendre audit pays de Prouvence. »La fortune était en ce moment bien contraire à Ménaut; il venait 
				d'éprouver tous ces désastres; d'un autre côté, après ce qui 
				venait de se passer aux Etats de Lorraine, et peut-être peu 
				satisfait du manque de fermeté du prince en faveur de ses plus 
				utiles serviteurs, il ne voulut jamais rentrer dans ce pays, 
				préférant y laisser en souffrance des intérêts considérables. Il 
				lui restait, en effet, à poursuivre le remboursement des avances 
				qu'il venait de faire pour l'expédition de Provence ; il avait 
				aussi à toucher l'arriéré d'une rente sur les salines de Dieuze, 
				et à obtenir le remboursement du capital de cette rente. Mais il 
				aima mieux attendre quatre années, jusqu'au moment où il trouva 
				l'occasion de joindre en Normandie le duc de Lorraine qui régla 
				les comptes des sommes dues à Ménaut, auquel il renouvela dans 
				ses lettres patentes toute la satisfaction de ses nombreux 
				services. Ménaut était encore à cette époque conseiller et 
				chambellan du prince; car, ainsi que son frère, même après avoir 
				abandonné la Lorraine, il conserva une dizaine d'années ce titre 
				honorifique, bien qu'ils se fussent tous deux défaits de toutes 
				leurs autres charges.
 Louis XI étant mort un an après l'expédition de Provence, Ménaut 
				entra alors au service de la régente de France, et fut nommé 
				châtelain, viguier et commandant de Sommières auprès de Nîmes. 
				Il conserva ces fonctions pendant plus de douze ans, ainsi que 
				le témoignent ses quittances conservées à la Bibliothèque 
				impériale, et l'année 1496, date de la dernière de ces 
				quittances, fut probablement voisine de sa mort. A cette époque, 
				il était depuis plusieurs années conseiller et chambellan du 
				roi.
 Ménaut d'Aguerre ne laissa qu'une fille, Louise d'Aguerre, qui 
				épousa Claude Strousse, plus connu sous le nom de Saint-Beaussant.
 
 Archives de Lorraine. - Manuscrits de la Bibliothèque impériale.
 CHAPITRE XI.Duel de Jeannot de Bidos.
 1482
 Après l'expédition de 
				Provence, Bidos n'abandonna pas la Lorraine comme les d'Aguerre, 
				et il cessa de s'associer, ainsi qu'il l'avait toujours fait, à 
				ses deux anciens compagnons d'armes, qui, du reste, se 
				trouvaient également séparés l'un de l'autre. Mais s'il fut 
				impossible à Bidos de prendre pour lui-même le parti 
				d'accompagner les d'Aguerre, il le prit du moins pour son fils, 
				qu'il envoya à Rumigny et loin de la Lorraine suivre la fortune 
				de Gratien. Quant à lui, il se trouva, après le départ des d'Aguerre, 
				figurer dans un duel que l'histoire de Lorraine a rendu célèbre.En 1482, Baptiste de Roquelaure, qui avait combattu à la 
				bataille de Nancy, et qui était passé ensuite au service de 
				Louis XI, arriva de France et porta plainte au duc de Lorraine, 
				«  demandant par sa requête que Jeannon (Jeannot de Bidos) lui 
				rendît sa part. et portion de tout ce qu'il avait gagné en cette 
				bataille (de Nancy), en vertu d'une convention qu'ils avaient 
				faite entre eux, de se partager par moitié tout le gain qu'ils y 
				pourraient faire, offrant ledit Roquelaure de prouver ce qu'il 
				avançait par un combat en champ clos. » Cette demande était 
				assurément fort étrange, et il était facile de deviner quel en 
				était le but et quelle en serait l'issue. Roquelaure, après la 
				bataille de Nancy, avait quitté la Lorraine sans faire aucune 
				réclamation, et c'était seulement près de six ans après qu'il se 
				ravisait et venait tout d'un coup faire apparaître, avec un 
				éclat affecté, une prétention que le bon sens indiquait assez 
				n'avoir rien de sérieux et n'être qu'une simple et méprisable 
				avanie; car le duel ne devait pas avoir lieu incontinent et 
				avant que Roquelaure ne pût se dérober.
 Cependant, la noblesse consultée accueillit la demande de 
				Roquelaure et l'autorisa à provoquer Bidos en duel. Le 10 
				septembre, en présence du duc, Roquelaure jeta son gant pour 
				gage de bataille. Alors Bidos se couvrit en face du prince d'un 
				sien bonnet, «  disant audit Roquelaure que faussement et comme 
				lâche gentilhomme il faisait icelle demande. prenant Dieu, 
				Notre-Dame et monseigneur saint Georges, avecque son bon droit, 
				à son aide. » La journée du combat fut assignée à six semaines 
				plus tard, au 22 octobre. Le but de Roquelaure étant dès lors 
				atteint, il s'en retourna paisiblement en France.
 Avant le jour du combat, le duc fit construire auprès de son 
				palais un champ à doubles lices avec une tourelle à chacun des 
				quatre coins pour les rois d'armes.
 Le mardi 22 octobre, jour désigné pour le combat, le duc arriva 
				sur le champ de bataille avec une cour très nombreuse. Puis on 
				mit au dedans du champ «  quatre notables chevaliers, Didier de 
				Landres, Joffroy de Bassompierre, Philippe de Ragecourt et Jean 
				de Baude, armez de toutes pièces et la tête couverte par 
				estoutez, qui firent les serments en tels cas accoutumés. » 
				Après quoi, Lorraine, héraut d'armes, fit les proclamations 
				ordonnées.
 Vers midi, «  Jeannon de Bidotz, monté sur un cheval bardé et 
				armé de toutes armes, tenant une lance en son poing et ayant 
				l'épée et la dague ceints et la masse à l'arçon de la selle, 
				s'en vint présenter à l'entrée des portes dudit champ de cousté 
				senestre, disant y avoir jour à l'encontre de Baptiste 
				deRoquelor. » A l'instant le duc René envoya vers lui Hardouin 
				de la Faille, chevalier, commis en la place du maréchal de 
				Lorraine, accompagné de deux chevaliers et de Lorraine, héraut 
				d'armes, ainsi que du secrétaire du duc. Hardouin demanda à 
				Jeannon «  ce qu'il quérait. Bidos requit que la porte du champ 
				luy fut ouverte et qu'il fut reparty de sa portion dudit champ, 
				du vent et du souleil, » protestant que si ledit Roquelor, son 
				ennemi, ne paraissait point, il fut déclaré déchu et exclu de 
				ses demandes ; «  que s'il avait des armes forgées par mauvais 
				arts, charmes ou invocations, qu'elles luy fussent ôtées. »
 Il demandait de plus qu'il pût faire entrer dans le champ avec 
				lui ses conseillers, son pleige ou garant, et son grand avocat 
				ou avoué. Hardouin de la Faille alla prendre et rapporter les 
				ordres du duc; il fit ouvrir le champ à Bidos, qui entra 
				accompagné de ses conseillers, de son pleige et de son grand 
				avocat.
 A la tête de ses conseillers marchait, témoignage honorable pour 
				Bidos, le premier personnage de toute la cour par son rang, sa 
				naissance et sa valeur, le maréchal de Lorraine, comte de Salm, 
				«  nostre cousin Jean, comte de Saulme; » les trois autres 
				étaient: le sieur de Citain, messire Achille de Beauveau, le 
				grand Bertrand ; puis messire Henri de Ligniville, sa seureté ou 
				pleige. Deux de ces conseillers, le maréchal de Lorraine et le 
				sieur de Citain, s'étaient signalés à la bataille de Nancy. 
				Pendant que Bidos faisait prisonnier le grand bâtard Antoine de 
				Bourgogne, le sieur de Citain avait pris, de son côté, Baudoin, 
				frère d'Antoine. Quant à son pleige ou garant, c'était, comme 
				nous l'avons vu, Henri de Ligniville, seigneur de Haroué, que la 
				Chronique cite souvent avec son frère, sous le nom des enfants 
				de Tantonville. Auquel des seigneurs de la cour Bidos aurait-il 
				pu mieux s'adresser, pour choisir son pleige, qu'à Ligniville, 
				le vieux compagnon d'armes de nos Béarnais, avec lesquels il 
				avait souvent marché à des combats plus sérieux ? Comme les d'Aguerre 
				et Bidos, Ligniville avait fait partie de l'expédition d'Espagne 
				; il avait été ensuite l'un des sept qui, partis de Vaudémont, 
				avaient reconquis tant de places après la prise de Nancy par 
				Charles le Téméraire. Enfin, avec les d'Aguerre, il avait 
				combattu à deux des sièges de Nancy, et notamment au dernier, où 
				nous avons vu qu'il s'était jeté dans la place lors de la 
				malheureuse affaire du bon maistre d'hostel Chiffron.
 Bidos se trouvait donc ainsi dans le champ de bataille avec ses 
				quatre conseillers et son pleige, et il déclara être venu pour 
				faire son devoir à l'encontre de Baptiste de Roquelor; mais il 
				n'y rencontra point son champion. «  Après lesquelles choses 
				ainsi faites et avenues, dit le duc René dans son jugement, en 
				attendant la venue et présentation dudit Roquelor, comme faire 
				se devait, attendimes et demeurames en notre siège environ 
				l'espace d'une heure. » Après quoi «  fut ledit Roquelor, cité et 
				proclamé pour la première fois, à haute voix, par ledit 
				Lorraine, notre héraut, en trois parties dudit champ ; scavoir 
				sur les deux portes d'icelui et au milieu, s'il était point 
				illec pour satisfaire à la journée à lui assignée. » Et comme 
				Roquelaure n'avait eu garde de se trouver ïllec, on attendit une 
				autre heure, puis le hérault proclama de nouveau Roquelaure par 
				trois fois. «  Lequel semblablement ne vint, ne comparut; et 
				derechef attendîmes icelui Roquelor par une autre heure, 
				espérant qu'il viendrait. » L'heure expirée, vinrent encore 
				comme ci-dessus de nouvelles criées et proclamations, mais 
				toujours Roquelaure ne vint ni ne comparut.
 Alors Bidos se présenta au duc avec ses conseillers, son pleige 
				et son grand avocat, et requit que défaut lui fut octroyé contre 
				Roquelor; or, le souleil était sur le point de se coucher, et il 
				y avait déjà huit heures que les membres de cette illustre 
				assemblée «  attendaient et demeuraient sur leurs sièges. » 
				Attendant derechef et toujours «  icelui Roquelor par une autre 
				heure, espérant qu'il viendrait. » Enfin, le duc René prononça 
				son jugement, déclarant Roquelaure « récréant et déchu de sa 
				demande,» et condamnant Thierry de Lenoncourt, son pleige, à 
				satisfaire Bidos, pour tous les dommages par lui encourus à 
				l'occasion de cette poursuite.
 Ainsi se termina cette insigne machination ourdie par Roquelaure 
				contre Bidos; ainsi se trouvèrent justifiées les paroles de 
				Bidos lorsque, se couvrant en face du prince et de sa cour, il 
				dit et déclara à Roquelaure qu'il avait agi «  faussement et 
				comme lâche gentilhomme. »
 La famille de Roquelaure était illustre et eut assez de titres 
				de gloire, puisque le petit neveu de Roquelaure fut maréchal de 
				France. Aussi, sommes-nous étonnés de voir leur généalogie 
				imprimée signaler Baptiste comme étant «  celui qui fit ce combat 
				fameux contre Janot de Budos. »
 
 Jugement du duc René, donné par dom Calmet, Histoire de 
				Lorraine, t. VI. Preuves, p. 280. Moreri, au mot Roquelaure.
 CHAPITRE XII.Dernières années de Jeannot de Bidos.
 1483 à 1508.
 Gratien d'Aguerre avait, 
				ainsi que nous l'avons dit, des droits du chef de sa femme, 
				Madelaine de Castres, dont la mère était dame de Vienne le 
				Chastel, tant sur la ville de ce nom que sur Pont-Saint-Vincent. 
				Vienne avait été concédé par le duc René à Ménaut d'Aguerre qui 
				le rétrocéda à Gratien. Quant à Pont-Saint-Vincent, cette 
				seigneurie ne se trouvait plus du tout à la convenance de 
				Gratien, désormais étranger à la Lorraine et fixé en Champagne; 
				aussi fut-elle concédée par le duc René, et sans nul doute, 
				grâce à l'intervention de Gratien, à Jeannot de Bidos qui 
				abandonna Remicourt et fut seigneur de Pont-Saint-Vincent et de 
				Lorey.Pont-Saint-Vincent, qui s'est aussi appelé Saint-Vincent, 
				Port-Saint-Vincent, Pont-à-Saint-Vincent, avait une assez grande 
				importance due à sa situation, à son commerce et à ses lombards. 
				A côté de la ville principale, celle de Saint-Vincent, Villa 
				Sancti Vincentii, ainsi nommée parce qu'elle appartenait à 
				l'abbaye de Saint-Vincent de Metz, s'élevait celle de Conflans, 
				au confluent du Madon et de la Moselle, appartenant au comte de 
				Vaudémont, Villa de Sancto Vincentio et de Conflans. Bien 
				qu'elle fût alors déchue de son importance commerciale, cette 
				ville restait toujours un lieu de passage très fréquenté, et 
				d'un grand intérêt stratégique, comme commandant au loin la 
				Moselle. Aussi, comme à Mousson, le pont finit par absorber le 
				nom de la ville qu'il desservait.
 Nous devons remarquer à cette occasion que l'historien 
				Symphorien Champier appelle fort à tort Jeannot de Bidos 
				monseigneur du Pont, nommé Scamot de Bides.
 Jeannot était bien seigneur du Pont-à-Saint-Vincent, comme on 
				disait alors; mais ni Jeannot, ni son fils ne se qualifièrent 
				jamais de seigneurs du Pont, appellation réservée au 
				Pont-à-Mousson, lieu beaucoup plus important. Le titre de 
				monseigneur du Pont ne se donnait jamais qu'aux princes de 
				Lorraine, marquis du Pont, qui étaient seigneurs de 
				Pont-à-Mousson. Aussi les Bidos, loin de porter le nom de sieurs 
				du Pont, ce qui eût pu faire croire qu'ils cherchaient à se 
				confondre avec les seigneurs connus sous ce nom, évitèrent au 
				contraire soigneusement cette appellation pour porter seulement 
				le nom de Saint-Vincent (1).
 Peu après avoir acquis cette seigneurie, Jeannot semble avoir 
				pris part aux guerres soutenues, en 1489, par Gratien d'Aguerre. 
				Les circonstances qui portent à le penser sont qu'en cette même 
				année, Bidos fit à Barbe de Fénétrange un emprunt pour lequel il 
				engagea Pont-Saint-Vincent, et nous voyons en même temps qu'il 
				était aussi à cette date remplacé par le comte de Blâmont dans 
				son office de pannetier au baptême du fils du duc René. Enfin, 
				on voit qu'en 1489 également, Ménaut, alors gouverneur d'une 
				place au fond de la Provence pour le roi de France, vint se 
				joindre à son frère qui paraît avoir eu besoin à cette occasion 
				de faire appel à tous les siens. Il serait étonnant que Bidos 
				n'ait point suivi cet exemple, lui qui avait si souvent combattu 
				avec les d'Aguerre, et dont son fils et ses petits-fils ne 
				devaient point se séparer. Toutefois, aucune preuve formelle et 
				directe ne confirme cette supposition, si vraisemblable qu'elle 
				soit.
 Quoi qu'il en soit à cette égard, nous retrouvons encore 
				aujourd'hui à Pont-Saint-Vincent des souvenirs des dernières 
				années de Bidos. En 1496, Bidos et sa première femme, Madeleine 
				de Parspagaire, construisirent dans l'église de 
				Pont-Saint-Vincent la chapelle de Notre-Dame-de-Pitié. Dans le 
				vitrail du milieu, on lit le millésime de 1496; à gauche est le 
				portrait fort bien conservé de Madeleine de Parspagaire et 
				au-dessous se trouvent ces mots : J'ay fait ceste chapelle. Dans 
				le vitrail de gauche, on voit le portrait de Jeannot avec celui 
				de sa seconde femme, Eusseline de Montjoie, qu'on croit de la 
				famille de Thuillères, car les Thuillères étaient les seuls en 
				Lorraine qui portassent le nom de Montjoie.
 C'est encore Jeannot qui construisit à la même époque un 
				ermitage qu'il appela l'ermitage Saint-Vincent ; cette chapelle 
				est située sur la montagne qui domine Pont-Saint-Vincent, point 
				duquel on jouit d'une vue aussi gracieuse qu'étendue. Cet 
				ermitage existe encore aujourd'hui, et il est connu sous le nom 
				de Sainte-Barbe.
 Sans doute que le vieux soldat vint souvent là rêver à sa belle 
				vallée d'Aspe, à ses montagnes des environs d'Agnos et de Bidos, 
				à ses souvenirs de guerre, à Ménaut et à Gratien, avec lesquels 
				il avait si souvent combattu en divers pays, et maintenant 
				séparés de lui pour toujours.
 Par lettres du 27 décembre 1498, Bidos et sa femme, Madelaine 
				de Parspagaire, fondèrent des offices journaliers et dotèrent 
				trois chapelains pour le service de la chapelle et de l'ermitage 
				qu'ils avaient construits.
 Jeannot mourut en 1508. On a retrouvé, en 1864, sa pierre 
				tumulaire brisée en trois fragments remaniés et encastrés dans 
				le pavé de l'église, à une certaine distance l'un de l'autre. 
				(Bulletin de la Société d'Archéologie, année 1864.) Ce n'est pas 
				sans une certaine émotion que l'on peut revoir encore ce 
				respectable débris d'un passé glorieux et lointain. En effet, le 
				tombeau du duc René dans l'église des Cordeliers, la pierre 
				tumulaire de Jeannot à Pont-Saint-Vincent, et dans le vitrail 
				au-dessus le portrait qui le représente priant à genoux ; tels 
				sont à peu près les seuls souvenirs qui restent aujourd'hui des 
				braves combattants de la bataille de Nancy.
 Jeannot ne laissa qu'un fils, Jeannot II, dit de Saint-Vincent, 
				que nous allons retrouver avec Gratien d'Aguerre.
 
 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, p. 390. - Notice de la 
				Lorraine, t. If, p. 182, 186, 234. - Lepage, Communes, t. 1, p. 
				613; t. II, p. 33. - Mémoires de la Société d'archéologie, 1861, 
				p. 196. Nancy.
 (1) C'est ainsi qu'on disait en 
				Lorraine Jacques de Saint-Oüen pour Jacques de Parey-Saint-Ouen, 
				Claude de la Tour pour Claude de Ménil-la-Tour. CHAPITRE XIII.Gratien d'Aguerre au siège d'Ivoi. - Seconde guerre de Gratien 
				contre la ville de Metz. - Campagnes d'Italie.
 1489 à 1507.
 Nous avons vu qu'en 1481, à 
				l'occasion de la tenue des Etats, Gratien d'Aguerre avait quitté 
				la Lorraine. Il vint fixer sa résidence à Rumigny, près de 
				Rocroi, et devint étranger aux affaires de notre province; aussi 
				son histoire nous est beaucoup moins connue à partir de cette 
				époque. Nous savons toutefois qu'en 1486 il assiégea la ville 
				d'Ivoi, aujourd'hui Carignan, de concert avec Robert de 
				Florenges (Robert de la Marck), duc de Bouillon et souverain de 
				Sedan. Leur armée se montait à cinq mille hommes ; Florenges fut 
				tué à ce siège, ce qui contraignit à abandonner l'entreprise. D'Aguerre 
				recueillit le corps de son compagnon d'armes et le fit inhumer à 
				Mouzon, dans l'église de l'abbaye.Quelques mois après, les Messins se crurent menacés d'une 
				nouvelle guerre avec Gratien, par suite d'un incident qui est 
				ainsi raconté par un historien de la cité. «  Item, dit le 
				journal de Jehan Aubrion, le xxer jour de novembre, advint que 
				sieur François le Gornais et a Jehan de Villers s'en allaient 
				aux champs ; et quand ils vinrent assis près de la Halte Belvoix, 
				vindrent gens à chevalx, qui estoient des gens Gracia de Guerre 
				et cuidait le dit sieur François que ce fuissent ennemis ; par 
				coy il approchont et se bontont tellement emssamble qu'il y olt 
				ung des hommes dudit Gracia qui fut tués, et le valet dudit 
				Jehan de Villers qui fut fort blessiez. Lequel homme mort fut 
				aportés à Metz, et le lendemain fut enssevelis bien 
				honnorablement aux Courdeliers sus les murs ; et y vinrent ses 
				compaignons ausquels on fit très bonne chère ; et s'en rallant 
				au chiefz de iij jours. Et incontinent après, vindrent nouvelles 
				que le dit Gracia faisait grant assemblée de gens, par quoi on 
				doubtoit fort, et fit on fuir lez gens du pays et les 
				embastonner pour eulx deffendre, se mestier estoit. » (Journal 
				de Jehan Aubrion.) Il paraît cependant qu'on parvint à arranger 
				cette affaire, car Gratien resta encore près de deux ans en paix 
				avec les Messins.
 Cependant, en 1489, le duc René ayant déclaré la guerre à la 
				ville de Metz, Gratien la lui déclara aussi de son côté ; mais 
				il tint à se conserver dans cette guerre une situation, 
				indépendante, et ses lettres de défi à la cité, du 16 mars 1489, 
				portent fièrement qu'il agit pour son fait en chef. Il est 
				plusieurs fois dénommé dans le traité qui eut lieu entre la 
				Lorraine et Metz, en 1490, traité dans lequel on lui réserve son 
				action séparée. Pour le récompenser des services considérables 
				rendus par lui dans cette guerre, René lui donna les seigneuries 
				de Valleroy, Moyenville et Bonvillez.
 En 1492, au mois de mai, Gratien alla à la tête de cinq cents 
				piétons et de trois cents cavaliers faire une expédition contre 
				les impériaux dans le duché de Luxembourg.
 En 1495, nous le trouvons conseiller et chambellan du roi de 
				France, commandant d'une de ses compagnies d'ordonnance.
 En 1497, il envoya en Sicile le capitaine Symon, chargé par lui 
				d'une mission pour le service du roi.
 En 1500, les officiers du roi de France, toujours en quête de 
				domaines à réunir à la Couronne, et dont on put disposer, 
				contestèrent au duc de Lorraine la propriété de 
				Vienne-le-Châtel. Mais Gratien, qui avait souvent affaire à 
				Reims, à cause de sa baronnie de Rumigny, vassale de l'église de 
				Reims, déterra dans cette ville un certain vieillard, âgé de 
				quatre-vingt-six ans, Aubert Drouyn, dont il fit recueillir la 
				déposition. «  Le pénultième d'avril 1500; » celui-ci déclara 
				que, né à Vienne et y ayant demeuré l'espace de soixante-quatre 
				ans, «  il a vu ladite seigneurie de Vienne appartenir au roi de 
				Sicile, nommé le bon roi René; » suit la nomenclature des 
				donataires successifs du bon roi René, à la fin desquels 
				figurent les d'Aguerre. Il est à présumer que si décisifs que 
				fussent les souvenirs de ce bon vieillard, Aubert Drouyn, 
				l'influence de Gratien à la cour de France n'aida pas moins à 
				assoupir ce différend, qui se termina à l'avantage de la 
				Lorraine et à celui de Gratien.
 En 1504, Gratien vit se tenir à Mouzon, dont il était 
				gouverneur, des conférences pour la paix entre les envoyés de la 
				France et ceux de l'empereur, sous la présidence du cardinal 
				d'Amboise, légat du pape, intermédiaire entre les parties. Ces 
				illustres personnages furent reçus et défrayés avec magnificence 
				pendant quatre mois dans l'abbaye de Mouzon.
 En 1506 et 1507, Gratien prit pour la dernière fois les armes et 
				fit les campagnes d'Italie au service de la France.
 
 Journal de Jehan Aubrion, bourgeois de Metz, p. 192, 298. - 
				Histoire de Metz, t. VI, p. 390. - Dom Calmet, Histoire de 
				Lorraine, t. VI. Preuves, p, 290. - Manuscrits de la 
				Bibliothèque impériale. - Annales d'Yvois-Carignan et de Mouzon, 
				par Delahout, 1489 à 1504.- Histoire de Gascogne, par l'abbé 
				Montlezun, t. VI, p. 148.
 CHAPITRE XIV.Dernières années de Gratien d'Aguerre.
 1508 à 1512.
 Après quarante ans de 
				combats, Gratien se décida enfin à goûter pendant le peu de 
				temps qui lui restait à vivre un repos si chèrement acheté. A la 
				fois plus habile et plus audacieux que son frère Ménaut et que 
				Jeannot de Bidos, seul de ces trois combattants partis ensemble 
				du Béarn, il s'était fait une position considérable. Il était 
				gouverneur de Mouzon, conseiller et chambellan du roi de France, 
				commandant d'une de ses compagnies d'ordonnance, baron de 
				Rumigny, seigneur d'Aubenton, etc. Sa principale résidence était 
				depuis longtemps à Rumigny, près de Rocroy.
 Cependant les fils de ces vieux soldats avaient grandi et 
				s'étaient mariés Louise d'Aguerre, fille unique de Ménaut, avait 
				épousé Claude Strousse, qui s'appelait aussi Saint-Beaussant, du 
				nom de cette seigneurie. Saint-Beaussant, trop éloigné de Ménaut 
				fixé en Provence, s'était rattaché à la fortune de Gratien. Le 
				fils de Jeannot de Bidos, qui était connu sous le nom de Jeannot 
				de Pont-Saint-Vincent ou de Saint-Vincent, avait fait de même, 
				et était allé se fixer à Rumigny. Ce fut là qu'il épousa Marie 
				d'Aguerre, fille de Gratien ; ce mariage consolida ainsi l'union 
				des deux familles, entre lesquelles existaient déjà depuis si 
				longtemps les liens les plus étroits.
 Mais il importait surtout à Gratien de trouver pour son fils 
				Jean un parti considérable, et mettant celui-ci à même de 
				continuer et d'augmenter la brillante fortune de son père. Nous 
				avons dit que, comme baron de Rumigny, Gratien était le vassal 
				de l'Eglise de Reims; or, Robert de Lenoncourt était abbé de 
				Saint-Remy, à Reims, et on n'ignorait point ses vues sur 
				l'archevêché. Cette perspective donna à Gratien l'idée d'une 
				alliance qui pouvait devenir avantageuse, et il parvint à marier 
				son fils à Jacquette de Lenoncourt, nièce de Robert.
 Après ce mariage, qui alliait son fils à une famille 
				considérable en Lorraine, Gratien songea un instant à le 
				rattacher aux affaires de ce pays, auxquelles lui-même tenait 
				encore par sa seigneurie de Vienne-le-Châtel. Il envoya donc 
				Jean d'Aguerre aux États de Lorraine du 3 février 1509 (1), qui 
				proclamèrent la majorité du duc Antoine.
 C'était pour la première fois que l'on voyait un d'Aguerre à 
				Nancy depuis que, trente ans auparavant, les mêmes États avaient 
				été l'occasion du départ des deux frères d'Aguerre.
 Jean est ainsi cité au procès-verbal de la séaace : «  Nobles 
				hommes, Jean de Haracourt, Hardy Tillon et Jean d'Aguerre, 
				escuyer avec plusieurs autres tant d'église comme séculiers. »
 Toutefois, ce ne fut qu'une simple apparition, car il se passa 
				aussitôt un événement qui changea les perspectives d'ambition de 
				Gratien, et qui déplaça le centre d'activité de sa maison.
 Peu après la tenue des États, Robert de Lenoncourt fut nommé 
				archevêque de Reims. Il fit son entrée dans cette ville le 21 
				juillet 1509, accompagné de Robert de la Mark, souverain de 
				Sedan, de Gratien d'Aguerre, de Jean d'Aguerre, son fils, et de 
				Henry de Lenoncourt, bailli de Vitry, beau-frère de Jean d'Aguerre.
 
 Gratien n'avait pas perdu de temps pour les agrandissements de 
				sa famille qu'il avait en vue ; car, lors de cette entrée, Jean 
				d'Aguerre se trouvait déjà capitaine de la ville de Fismes, 
				auprès de Reims ; bientôt il allait y amener les siens, comme 
				son oncle l'archevêque l'y avait amené lui-même, et donner ainsi 
				à l'Eglise de Reims les défenseurs braves et fidèles dont, à 
				cette époque de trouble et de désordres, elle avait grand 
				besoin.
 Claude de Saint-Beaussant, qui avait épousé Louise d'Aguerre, se 
				fixa à Berlize, non loin de Fismes. Jeannot de 
				Pont-Saint-Vincent, beau-frère de Jean d'Aguerre, se rapprocha 
				encore plus de lui, et fut baron de Monthassin. Monthassin est 
				situé entre Fismes et Reims, à une lieue et demie de chacune de 
				ces deux villes. Jeannot de Monthassin eut deux fils, Bernard et 
				François de Saint-Vincent, qui furent, le premier, baron de 
				Monthassin, et le second, seigneur du même lieu.
 Trois mois après l'entrée de l'archevêque à Reims, Gratien se 
				trouve à l'assemblée tenue à Vitry pour la rédaction de la 
				coutume. C'est le dernier acte connu de lui. Il vivait encore en 
				1512, mais il était mort en 1515, lorsque Claude de Lorraine 
				racheta à Jean d'Aguerre la baronnie de Rumigny. Gratien fut 
				inhumé à Vienne-leChâtel, dans la chapelle de Saint-Thiébault, 
				ainsi que sa femme Madelaine de Castres. Sur sa tombe, qui est 
				depuis longtemps détruite, se trouvait une inscription dont 
				l'histoire de Sainte-Menehould ne nous a conservé que ces mots 
				qui y étaient gravés : Le bon chevalier sans reproche.
 Ainsi s'éteignit Gratien d'Aguerre, qui avait pris ou défendu 
				tant de villes, livré tant de combats en Espagne, en Lorraine, 
				au Luxembourg et en Italie. Ambitieux, adroit, et en même temps 
				audacieux jusqu'à la témérité, toujours fidèle dans un temps où 
				un grand nombre changeaient aussi souvent que la fortune, il fut 
				presque toujours heureux, et, parmi tant de luttes souvent 
				beaucoup trop inégales qu'il entreprit, on ne lui connaît qu'un 
				seul revers, la levée du siège d'Ivoi. Il laissa après lui plus 
				d'un titre de gloire, dont -le moindre n'est pas d'avoir son nom 
				inscrit près de celui de son frère Ménaut pour la défense de 
				Nancy contre Charles le Téméraire.
 
 Manuscrits de la Bibliothèque impériale.- Dom Calmet, Histoire 
				de Lorraine, t, Iil, Préface, p. 63; t. V, p. 472; t. VI, 
				Preuves, p. 356. - Dom Calmet, Notice de la Lorraine, l. I, 
				supplément, p. 65. - Lepage, Commentaires de la Meurthe, t. II, 
				p. 447. - Recherches de la noblesse de Champagne en 1668, v. 
				Ambly et procès-verbal, p. 172. - Histoire de Reims, par Marlot, 
				t. IV, p. 246. - Procès-verbal de la coutume de Vitry. - Annales 
				d'Yvoi, par Dehahaut. - Histoire de Sainte-Ménehould, par 
				Burette, p. 90.
 (1) C'est à tort que dom Calmet 
				donne la date de 1508 au procès-verbal des Etats, t. VI, 
				Preuves, p. 356, et celle du 13 février au tome V, p. 472. CHAPITRE XV.Jean d'Aguerre sous le duc Antoine.
 1525 à 1544
 Les familles des d'Aguerre 
				et de Bidos, après être venues ensemble du Béarn en Lorraine, et 
				avoir quitté la Lorraine presque en même temps, semblaient être 
				de nouveau réunies et fixées pour toujours en Champagne, 
				lorsqu'un événement imprévu les rappela en Lorraine, où elles 
				jouèrent un rôle important.Le paysans luthériens arrivaient d'Alsace en Lorraine, ravageant 
				tout sur leur passage, et faisant dans tous les villages 
				allemands de l'Alsace et de la Lorraine de nouvelles recrues. Le 
				danger ne pouvait être ni plus grave ni plus pressant; le duc de 
				Lorraine, Antoine, écrivit, le 3 mai 1525, à son frère le duc de 
				Guise, gouverneur de la Champagne, le priant devenir en toute 
				hâte à son secours. Le duc de Guise déféra aussitôt à cette 
				demande et, le 12, il arriva à Dieuze avec urne armée de huit 
				mille hommes. Jean d'Aguerre s'y trouvait déjà avec son neveu, 
				alors très jeune, Bernard de Saint-Vincent, fils de Jeannot de 
				Monthassin et de Marie d'Aguerre. Jean d'Aguerre commandait une 
				partie des troupes de Lamark, souverain de Sedan.
 La guerre ayant été terminée en quinze jours par la défaite et 
				la fuite des paysans, Jean d'Aguerre entra au service du duc 
				Antoine, et il n'eut pas de peine à obtenir que son neveu 
				Bernard de Saint-Vincent entrât en qualité de page dans la 
				maison du prince.
 D'Aguerre ne tarda pas à jouir de la confiance entière du duc, 
				confiance qu'il conserva toujours et dont il reçut bientôt une 
				marque signalée.
 Vers 1532, Antoine, qui avait été lui-même élevé à la cour de 
				France, envoya son fils François, marquis du Pont, alors âgé de 
				quinze ans, pour plusieurs années, à la cour du roi François 
				Ier, proche parent et parrain du jeune prince, qui fut «  
				accompagné d'un bon nombre de gentilshommes et d'officiers pour 
				le servir. Il (Antoine) lui donna pour gouverneur et 
				surintendant de sa maison Jean Daguerre, baron de 
				Vienne-le-Château, fils de Gratien d'Aguerre. » (Dom Calmet, t. 
				V., p. 633.)
 L'élève fit honneur à celui qui était chargé de son éducation, 
				et François Ier aimait à dire «  que son filleul serait un jour 
				un des plus sages princes de son temps. » Le roi donna une 
				compagnie de cent hommes d'armes de ses ordonnances au jeune 
				prince et une autre de cinquante à son gouverneur. De retour en 
				Lorraine, Jean d'Aguerre fut représenté dans cette compagnie par 
				son neveu François de Saint-Vincent, qui était resté en 
				Champagne, et n'avait pas, comme son frère Bernard, suivi Jean 
				d'Aguerre lors de la guerre des paysans.
 François était seigneur de Monthassin, de Lestanne et de 
				plusieurs autres terres dans la baronnie de Rumigny.
 L'éducation du jeune prince étant terminée, il revint à Nancy 
				avec son gouverneur, en 1539, après avoir passé sept années à la 
				cour de France. Ce retour fut suivi de promptes faveurs pour d'Aguerre 
				et pour son neveu Bernard de Saint-Vincent; ils furent faits 
				tous deux grands officiers de la cour de Lorraine, d'Aguerre 
				devînt grand chambellan, et Bernard fut presque aussitôt nommé 
				grand fauconnier de Lorraine. «  Bernard de Saint-Vincent, baron 
				de Monthassin, était grand fauconnier en 1540 (1).» Cette charge 
				que Bernard remplit pendant trente années lui procurait un accès 
				facile près du duc Antoine, qui «  aimait la chasse et 
				entretenait une aussi belle vénerie et fauconnerie que prince de 
				son temps. » (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. V, p. 548.) 
				Jacques de Saint-Vincent, petit-fils de Bernard, semble avoir 
				hérité des goûts cynégétiques de son aïeul, car il devint, au 
				siècle suivant, grand veneur de l'empereur.
 Jean d'Aguerre ne cessa de jouir de la confiance du duc Antoine, 
				et il eut une influence considérable sur les affaires de la 
				Lorraine. En 1540, eut lieu le mariage d'Anne de Lorraine avec 
				le prince d'Orange ; «  le duc Antoine nomma pour commissaires à 
				la passation du contrat Jean, comte de Salm, sieur de Viviers, 
				maréchal du Barrois, Jean d'Aguerre, baron de Vienne, grand 
				chambellan, bailly et capitaine de Clermont, etc. » (Dom Calmet, 
				Histoire de Lorraine, t. V, p. 531.)
 Peu après ce mariage, Antoine conclut celui de son fils François 
				avec Christine de Danemark, nièce de l'empereur Charles-Quint. 
				Les pouvoirs donnés à ce sujet par le duc sont contresignés : «  
				Par monseigneur le duc, le baron de Vienne, son grand chambellan 
				et bailly de Clermont. » (Dom Calmet, Preuves, t. VI, p. 388.)
 Le roi François Ier fut mécontent de ce mariage et porta 
				aussitôt son attention sur un point de la Lorraine qui paraît, à 
				cette époque, avoir préoccupé beaucoup l'empereur Charles-Quint 
				et le roi de France, la ville de Stenay. La Lorraine possédait 
				Stenay, mais sous la mouvance et la suzeraineté de l'empereur; 
				comme duc de Luxembourg. François Ier, craignant qu'après une 
				alliance aussi intime du duc Antoine avec l'empereur, celui-ci 
				n'abusât contre la France de ses droits de suzeraineté sur 
				Stenay, exigea d'Antoine la cession de cette ville.
 Cette cession était pour la Lorraine un pénible sacrifice; d'Aguerre 
				y était, en outre, personnellement intéressé, puisque Stenay 
				était également à portée de son bailliage du Clermontois et de 
				son importante seigneurie de Vienne. Néanmoins, comme il n'y 
				avait aucun moyen de lutter contre un adversaire aussi 
				redoutable, force fut bien de se résigner; la cession exigée fut 
				donc consentie le 25 novembre 1541, et la France se hâta 
				d'augmenter les fortifications de la place. On fut cependant 
				heureux d'obtenir que François de Saint-Vincent, neveu de d'Aguerre, 
				fût nommé, par le roi, gouverneur de Stenay, car cette 
				nomination assurait le traitement le plus favorable aux 
				habitants d'une ville dont le duc de Lorraine ne cessa de 
				poursuivre la restitution qu'il obtint peu d'années après.
 Cependant l'influence de Jean d'Aguerre continuait à grandir à 
				la cour de Lorraine, et l'année 1543 fut l'époque de nouvelles 
				faveurs, tant pour lui que pour son autre neveu, Bernard de 
				Saint-Vincent. D'Aguerre devint grand-maître de l'hôtel et 
				gouverneur de Châtel+sur-Moselle.
 D'un autre côté, les domaines de tous deux, en Champagne, 
				n'étaient nullement à la convenance de leur résidence à la cour 
				de Nancy; ils songèrent donc à se former dans la même contrée 
				des domaines composés de terres limitrophes.
 Bernard était alors capitaine de Mandres; son mariage fut 
				convenu avec Marguerite de Saulxure, fille de Mengin de Saulxure 
				(Mengin Schouel). Peu de jours avant ce mariage, les biens du 
				sieur de Sampigny, qui avaient fait retour au domaine et qui 
				étaient situés auprès de Mandres, furent donnés par le duc, 
				savoir : Sampigny à d'Aguerre, et Jouy à Bernard. Il ne 
				s'agissait plus que de relier et d'agrandir ces possessions, 
				c'est ce qui fut fait rapidement. D'Aguerre et Bernard 
				achetèrent Boncourt et la Petite-Mandres, dont ils furent 
				coseigneurs; en outre, d'Aguerre acquit Pont-sur-Meuse, et 
				Bernard acheta de son côté Sorcy, Aulnoy, Vertusey, Fréméréville, 
				Pargny, Saint-Julien, Broussey, Raulecourt, Rambucourt et partie 
				d'Apremont, de sorte qu'ils possédaient ainsi entre eux deux une 
				grande partie du vaste comté d'Apremont.
 D'Aguerre occupait alors la première place à la cour : à la fois 
				grand maître, grand chambellan, bailli et capitaine de Clermont, 
				gouverneur de Châtel-sur-Moselle et de Hattonchatel, il est, en 
				outre, désigné dans les lettres du duc Antoine, du 28 novembre 
				1540, avec la qualité de président de Lorraine; il avait enfin 
				une compagnie d'ordonnances du roi de France. Il parvint à 
				établir solidement sa fortune et n'oublia point non plus celle 
				de ses neveux Bernard et François de Saint-Vincent. Bien 
				qu'ayant rendu à la Lorraine des services beaucoup moindres que 
				ceux de Gratien et de Ménaut, il en avait été cependant 
				récompensé par une bien autre reconnaissance, et se trouvait 
				depuis longues années dominer dans cette cour, d'où son père et 
				son oncle avaient dû se bannir. Cependant, le moment approchait 
				qui allait séparer le prince et celui qui l'avait utilement 
				servi pendant vingt années.
 Le 11 janvier i544, le duc Antoine, malade à Bar-le-Duc et 
				sentant sa fin prochaine, prit congé des siens et fit son 
				testament. Dans ce dernier acte, il n'oublia pas celui qu'il 
				avait toujours honoré de sa confiance. «  Nous eslisons et 
				nommons pour nos bons et loyaux exécuteurs de ce présent notre 
				testament nos très chers et très améz frères messieurs les 
				cardinal de Lorraine et duc de Guyse nosdicts enfans, et avec 
				eulx nos très chers et féaulx conseilliers messires Jehan 
				Daguerre chevalier baron de Vienne le Chastel, notre grand 
				maistre et chambellan. » (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. 
				VI ; Preuves, p. 387.) Ce fut avec ce prince, appelé à juste 
				titre le bon duc Antoine, que finirent les jours de paix et de 
				prospérité dont la Lorraine avait si longtemps joui sous son 
				règne.
 
 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. V, p. 500 à 548, 633. - 
				Recherches de la noblesse de Champagne, par Caumartin. - Digot, 
				Histoire de Lorraine, t. IV, p. 88.- Dom Calmet, Histoire de 
				Lorraine, t. V, Préface, p. 196; tome VI, Preuves, p. 388, 398; 
				tome VII, Preuves, p. 394. - Notice de la Lorraine, t. II, p. 
				210, et Supplément, p. 78, 180. - Dénombrement du 20 mai 1626. - 
				Lepage, Commentaires sur la chronique de la Lorraine, p. 87. - 
				Nobiliaire de Lorraine au mot Saulxures. - Décret du duc Léopold 
				du 14 août 1724.
 (1) Berman, Dissertation sur 
				l'ancienne chevalerie. Nancy, 1763. CHAPITRE XVI.Jean d'Aguerre sous les ducs François et Charles.
 1544 à 1549.
 Le nouveau règne s'ouvrait 
				sous de funèbres auspices. Un mois après la mort de son père, le 
				duc François perdait son beau-frère, le prince d'Orange, 
				commandant de l'armée de l'empereur; il fut tué au siège de 
				Saint-Dizier, sur la frontière même de la Lorraine. Divers 
				autres contre-temps avaient fait ajourner la pompe solennelle de 
				l'enterrement du duc Antoine, elle eut enfin lieu le 14 juin 
				1545, à Nancy.Lors de cette funèbre cérémonie, lorsque Lorraine, roi d'armes, 
				après avoir crié par trois fois le duc est mort, appela à haute 
				voix l'un après l'autre tous les grands officiers de Lorraine, à 
				commencer par le grand maître, en leur ordonnant de venir faire 
				leur debvoir, on ne vit point à leur tête s'avancer Jean d'Aguerre 
				pour «  descendre les degrés en grande révérence, et meltre son 
				bàton dedans la fosse. » Ce fut, au lieu de lui, «  Claude 
				deBeauvau, officiant pour le grand maître à cause que M. le 
				baron de Vienne, qui estait le grand maître, n'y peut être. »
 Ainsi, d'Aguerre avait déserté les restes mortels et la pompe de 
				son ancien souverain, de son ami non moins que son maître, le 
				bon duc Antoine, et celui-là seul manquait qui devait tenir la 
				première place.
 Mais, c'est que ce jour même et à cette même heure Jean d'Aguerre 
				était loin de là et près d'une autre tombe non moins douloureuse 
				pour lui. Deux jours avant cette cérémonie était mort, à 
				Remiremont, l'ancien élève de d'Aguerre et son nouveau 
				souverain, le duc François ; ainsi ce prince avait cessé de 
				régner et de vivre avant même que la tombe se fût refermée sur 
				son père.
 Et, de plus, le jour même de la mort du duc, il s'était passé 
				une scène qui dut impressionner d'Aguerre, et aussi avoir une 
				certaine influence tant sur sa position dans la nouvelle cour 
				que sur son désir d'y séjourner.
 Le 11 juin 1544 avait été fait le testament du duc Antoine, acte 
				contre-signé par d'Aguerre, nommé l'un des exécuteurs 
				testamentaires. Et un an après, jour pour jour, le 11 juin 1545, 
				avait lieu à Remiremont une sorte de testament du duc François, 
				acte auquel d'Aguerre resta cette fois complètement étranger.
 Ce jour-là, à dix heures du matin, alors que le duc, qui mourut 
				le lendemain, n'avait pas encore reçu l'extrême-onction, la 
				porte de la chambre, dans laquelle gisait le moribond, s'ouvrit, 
				et le prince Nicolas, son frère, alors évêque de Metz, entra 
				accompagné du comte de Salm, maréchal de Lorraine, d'un notaire 
				apostolique et d'un cortège d'une vingtaine de personnes. 
				Nicolas, prince qui fut toujours vigilant et avisé pour ses 
				intérêts, voyait que peu de temps restait à perdre, car il 
				s'agissait pour lui de s'assurer la régence de la Lorraine qui 
				revenait de droit à la duchesse, mère du jeune prince encore 
				enfant. Le maréchal de Lorraine adressa donc au souverain, ainsi 
				que le constate le procès-verbal du notaire apostolique, «  tels 
				et pareils propos : Monseigneur, s'il plaisait à Dieu vous 
				appeller, vous entendez que M. de Metz, votre frère, se mesle et 
				entremette des affaires de messieurs vos enfants et de vos pays 
				avec madame votre femme, en ratifiant ce que desja en avez dict 
				et passé en présence de madite dame. »
 Le moment n'était pas à de longues harangues entre les deux 
				frères, aussi la conférence fut courte et laconique : «  Sur quoy 
				ledit seigneur duc a répondu : Ouy ; présent mondit seigneur de 
				Metz qui a accepté la charge et promis s'en acquitter. » Tout 
				étant ainsi brièvement terminé par cette seule et unique 
				syllabe, le notaire continue : «  Dont et desquelles choses et 
				chacune d'icelles dessusdites et proférées respectivement, ledit 
				sieur comte en a requis et demandé à moi ledit notaire publique, 
				ung ou plusieurs instruments que lui ay ouctroyé en ceste forme. 
				»
 Peu d'heures après, à une heure de l'après-midi, cette illustre 
				assemblée, composée desdits prince, maréchal, notaire 
				apostolique, seigneurs et témoins, se transporta près de la 
				duchesse, et ce fut cette fois le notaire apostolique qui fut 
				chargé de la harangue : «  Je Nicolas Brisson le jeune, ay leu 
				intelligiblement de mot en mot l'instrument cy-dessus écrit, à 
				très haulte, très puissante princesse et dame Mme Chrestienne de 
				Danne march, et duchesse de Calabre, Lorraine, Bar, etc »
 La lecture de l'acte qui la dépouillait de la plus grande partie 
				de la régence, bien que faite intelligiblement de mot en mot par 
				ledict Nicolas Brisson le jeune, notaire juré, était une 
				médiocre consolation en un pareil moment pour cette malheureuse 
				princesse qui se trouvait perdre dans la même année son mari, 
				son beau-père et son beau-frère. Elle protesta vivement contre 
				ce testament assez particulier et qui fut l'occasion de grands 
				débats. L'envoyé de l'empereur, qui était alors à la cour de 
				Lorraine, s'explique ainsi sur cette pièce dans sa 
				correspondance : «  certains actes passés assez suspectement.» Il 
				recommande de faire entendre «  audit sieur roy très chrétien le 
				tort que l'on prétendait à ladite dame par moyens et façons 
				estranges. »
 Trois jours après ces testament, lecture et notification, toute 
				cette honorable assemblée avait délaissé à Remiremont le corps 
				du duc qui venait de rendre le dernier soupir, et se trouvait à 
				Nancy, officiant chacun selon son propre cérémonial à.la pompe 
				funèbre de l'avant-dernier prince, le duc Antoine. Mais d'Aguerre 
				ne comparut ni à l'acte testamentaire, ni à sa notification à la 
				duchesse, ni même, ainsi que nous l'avons déjà dit, à la pompe 
				funèbre du duc Antoine, car son devoir le retenait près d'une 
				douleur moins solennelle et pourtant plus profonde.
 Peu après cette cérémonie, il y eut nécessité de statuer sur la 
				régence, affaire qui souleva bien des difficultés. On crut 
				devoir consulter la noblesse, et la duchesse finit par céder.
 Il y eut donc à la fois une régente et un régent. En ce qui 
				concernait la personne du jeune duc, on s'en tira par un 
				compromis équivalent ; au lieu de nommer comme toujours un seul 
				gouverneur, on en nomma quatre, et d'Aguerre fut du nombre. Ce 
				fut là, sans doute, un simple témoignage d'estime et de respect 
				pour l'ancien gouverneur du père du jeune duc, car, depuis le 
				jour de la mort du duc François, d'Aguerre ne prit plus aucune 
				part aux affaires. On ne le voit pas même à la pompe funèbre du 
				duc François qui eut lieu un an après la mort du prince, et on 
				dut le remplacer dans ses offices à cette cérémonie. Mais on y 
				trouve son neveu, Bernard de Saint-Vincent, qu'on y reconnaît, 
				bien que déguisé sous ces appellations officielles : «  M. le 
				grand fauconnier, capitaine de Mandres. »
 Jean d'Aguerre mourut en 1549, après avoir constamment justifié, 
				dans les fonctions les plus importantes et les plus variées, la 
				haute confiance qui lui fut si longtemps accordée.
 Il avait eu deux fils : Bertrand d'Aguerre, mort avant son père, 
				ne laissant qu'une fille, Madeleine, laquelle épousa son cousin 
				Pierre de Saint-Vincent, à qui elle apporta en dot Grimansart, 
				acquis en 1486 par Gratien d'Aguerre. L'autre fils de Jean fut 
				Claude d'Aguerre, dont nous allons parler.
 
 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. III, p. 543, 639 à 646, et 
				t. VI, Preuves, p. 403 à 408. - Bulletin de la Société 
				d'archéologie. Nancy, 1851, p. 143 à 169. - Dénombrement du 11 
				juillet 1549. - Recherches de la noblesse de Champagne, 1668.
 CHAPITRE XVII.Claude d'Aguerre.
 1549 à 1559.
 Nous avons eu plaisir à 
				redire les actes mémorables de Gratien et de Jean d'Aguerre; 
				mais ici notre tâche devient différente en passant à Claude, 
				leur fils et petit- fils. On dirait qu'on pressent que ce nom 
				illustre va bientôt s'éteindre, et son éclat semble baissera 
				l'avance, peu à peu avant de disparaître en entier.Claude, gâté par la fortune et par la dissipation qui régnait à 
				la cour de France, ne fut point pareil à ceux qui l'avaient 
				précédé. Il venait à peine de perdre son père, qu'étant au 
				palais du Louvre, il se prit de querelle avec Fendille (Jacques 
				de Fontaines), d'où une provocation à un combat singulier. Nous 
				désirons peu nous étendre sur ce duel, et pourtant, cet 
				événement eut beaucoup trop d'éclat pour pouvoir être simplement 
				indiqué.
 Le roi Henry II «  renvoya le différend à Robert de la Marck, 
				maréchal de France et seigneur souverain de Sedan, qui était 
				alors à Paris; et le pria d'accorder à Daguerre et à Fendille un 
				champ de bataille sûr et libre, dans la ville de Sedan, où ils 
				pussent vuider leur différend par la voye des armes et par un 
				combat d'homme à homme. » (Don Calmet, t. V, p. 659.) Fendille 
				s'étant ensuite pourvu au conseil du roi, le jour du combat fut 
				fixé au 28 mars 1549, «  et cet arrêt du conseil privé du roi fut 
				signifié par un roi d'armes aux parrains des deux champions. » 
				(Id.) D'Aguerre avait choisi pour son parrain le duc de 
				Nivernois, et Fendille François de Vendôme, vidame de Chartres.
 C'était déjà beaucoup trop que deux souverains, ceux de France 
				et de Sedan, se trouvassent dans cette querelle, et pourtant un 
				troisième ne tarda pas à y venir aussi prendre sa part. La 
				duchesse Christine et le prince Nicolas, régents de Lorraine, 
				envoyèrent à Sedan une ambassade pour réclamer le jugement du 
				duel; «  le duc de Lorraine, en sa qualité de marchis qu'il a 
				reprise de l'empereur et de l'empire, ayant de tout tems ce 
				droit, que tous combats entre la Meuse et le Rhin se doivent 
				faire par devant lui, et non ailleurs. » (Id.)
 Le seigneur de Sedan répondit qu'il avait accepté cette 
				assignation du champ de bataille «  à la prière du roi, qui 
				depuis lui avait encore écrit une ou deux lettres à ce sujet 
				qu'il voulait bien leur montrer et non à d'autres ; qu'il était 
				résolu de soutenir les droits de sa souveraineté, comme avaient 
				fait ses prédécesseurs, » Sur cela, l'un des envoyés lorrains 
				protesta contre tout ce qui s'était passé et tout ce qui se 
				pourrait faire à l'avenir ; «  à quoy le seigneur de Sedan 
				répondit : A qui touche, ce fasse. » Heureusement la duchesse de 
				Lorraine n'insista pas, car il eût été assez étrange qu'une 
				guerre éclatât entre ces deux souverains pour savoir où et 
				comment se battraient d'Aguerre et Fendille.
 Le 28 août, au lever du soleil, Daguerre arriva, «  conduit par 
				son parrain et par plusieurs de ses parents et amis, au nombre 
				de plus de deux cens. Ses habits étaient de ses couleurs, blanc 
				et incarnat, et il était précédé de trompettes et de tambours 
				battans... Il envoya l'écusson de ses armes (d'or à trois pies 
				de sable), qui fut porté par ses gens autour du champ par 
				dehors, puis le héraut d'armes le planta à la droite de la tente 
				dudit sieur Daguerre. » Vers sept heures du matin, Fendille se 
				présenta; «  sa compagnie était d'environ trente personnes, et 
				lui et son parrain étaient vêtus des couleurs de Fendille, qui 
				était le blanc et le verd. »
 A l'extrémité du champ de bataille, on avait préparé un autel, «  
				couvert de velours violet, bordé de franges d'or, et pendant 
				jusqu'à terre, sur lequel était un carreau de velours où étaient 
				posés le livre des Evangiles et la vraie croix, sur lesquelles 
				les combattants devaient faire le serment. »
 Le duc de Nevers, tenant par la main Daguerre armé de toutes 
				pièces, le conduisit, au son des tambours et des trompettes, 
				dans le champ de bataille pour y faire son serment.
 Après les deux serments et les intimations du héraut d'armes aux 
				assistants sous la peine de la vie, «  le trompette commença à 
				sonner, et le héraut d'armes cria par trois fois : Laissez-les 
				aller, laissez-les aller, laissez-les aller les bons combatans. 
				En même temps les deux champions se levèrent, et, portant les 
				yeux au ciel, et faisant la révérence en s'inclinant, baisèrent 
				la croisée de leur épée, puis commencèrent à marcher à grands 
				pas l'un vers l'autre, portant leur épée de la main gauche. »
 Le combat commença aussitôt, et d'Aguerre fut vainqueur, bien 
				qu'il eût affaire à un adversaire aussi redouté et aussi brave 
				que lui; «  Daguerre lui cria plusieurs fois : Rends-moi mon 
				honneur, rends-moi mon honneur, Fendille répondit : Je te le 
				rends de bon coeur, et te tiens pour homme de bien, tel que tu 
				es. » (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. V, p, 658 à 664.) 
				Après ce duel, on n'entend plus parler de Claude, jusqu'au 25 
				novembre 1558; à cette date, il fut nommé maréchal de la 
				Lorraine et du Barrois. Il dut nécessairement prendre une part 
				active et signalée aux guerres nombreuses qui eurent lieu à 
				cette époque, pour avoir pu conquérir cette haute dignité, dont 
				l'honneur ne fut point réservé à son père et à son grand-père, 
				Jean et Gratien, lesquels. pourtant en semblaient plus dignes. 
				Toutefois les historiens ne nous ont conservé de Claude que le 
				récit de ses combats singuliers.
 Son histoire, ouverte par un duel, était malheureusement 
				destinée à finir de même.
 En 1559, au mois de juillet, le duc de Lorraine accompagnait 
				dans son voyage de Reims à Paris le roi François II, qui venait 
				de se faire sacrer. Le cortège traversait le bois de 
				Villers-Cotterets, lorsque «  deux gentilshommes de la cour 
				prirent querelle, et se battirent en duel. Ces gentilshommes 
				étaient Claude d'Aguerre, baron de Vienne et maréchal du 
				Barrois; l'autre était Antoine de Luzelbourg, gentilhomme de la 
				chambre du duc. Daguerre fut tué, et son corps était encore 
				étendu a le long du chemin, lorsque le roi passa. Le duc Charles 
				en demanda vengeance ; mais le roi intervint pour Luzelbourg et 
				lui accorda grâce. » (Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. V, p. 
				727.) Il est malheureux pour Claude d'Aguerre d'avoir ainsi deux 
				fois occupé de ses duels le roi de France et le duc de Lorraine, 
				et de n'avoir laissé que ces souvenirs dans l'histoire, tandis 
				que ses pères n'étaient connus de leurs souverains que par les 
				services qu'ils leur avaient rendus. Cependant, s'il est triste 
				de voir un maréchal de Lorraine périr sur un tel champ de 
				bataille, il est juste, néanmoins, de faire la part des temps ; 
				car nous voyons le comte de Salm, qui remplaça d'Aguerre comme 
				maréchal de la Lorraine et du Barrois, tuer quelques années 
				après, en duel, le chevalier des Salles. C'est ainsi qu'il était 
				dans la destinée de Jean, comte de Salm, et de Gratien d'Aguerre, 
				qui s'étaient signalés entre tous dans la guerre contre Charles 
				le Téméraire, que leurs petits-fils à tous deux seraient, l'un 
				après l'autre, maréchaux de Lorraine, et ne se distingueraient 
				en cette qualité que par des exploits si dissemblables de ceux 
				de leurs pères.
 
 Dom Calmet, Histoire de Lorraine, t. I. Préface, p. 267; t. V, 
				p. 658 à 664, 727 ; t. VII, Préface, p. 194.
 CHAPITRE XVIIICharles et Chrétienne d'Aguerre.
 1559 à 1590.
 De sa femme, Jeanne de 
				Hangest, Claude d'Aguerre laissa deux enfants, Charles et 
				Chrétienne.Gratien et Jean d'Aguerre avaient fondé l'établissement de leur 
				maison par les nombreux services qu'ils rendirent à leurs 
				princes. Mais Chrétienne, qui épousa, en 1572, Antoine de 
				Blanchefort, devait voir la fortune de son fils Charles 
				surpasser de beaucoup celle des d'Aguerre, par suite des 
				nombreux héritages que le hasard accumula sur sa tète.
 D'abord, Chrétienne hérita bientôt de son frère, qui mourut 
				jeune et sans avoir été marié. Ensuite le cardinal de Créquy, 
				après avoir lui-même recueilli la succession de ses deux frères, 
				légua tous ses biens à son neveu Antoine de Blanchefort, mari de 
				Chrétienne, à charge de porter le nom et les armes de Créquy. 
				Enfin, Chrétienne, après avoir perdu ce premier mari, se remaria 
				au comte de Sault, qu'elle perdit également, ainsi que le fils 
				qui était né de ce mariage ; celui-ci légua tous ses biens à sa 
				mère, et Chrétienne se trouva ainsi transmettre à Charles de 
				Créquy, son fils du premier lit, l'opulente succession de la 
				famille de Sault.
 Le fils de Chrétienne parvint, tant par suite de tous ces 
				héritages que par son mérite personnel, à occuper une position 
				considérable. Il était «  sire de Créqui, prince de Poix, duc de 
				Lesdiguières, pair et maréchal de France, comte de Sault, 
				lieutenant général des armées du roi et gouverneur du Dauphiné; 
				il a été l'un des plus célèbres capitaines de son temps. » (Moreri, 
				v° Gréqui.) De son côté, Chrétienne d'Aguerre conserva toute 
				l'énergie et toute l'activité de sa race. Elle fut l'un des 
				partisans les plus dévoués de la Ligue, et le duc de Mayenne lui 
				adressa plusieurs lettres pour s'entendre avec elle sur les 
				affaires politiques du temps. Nous lisons dans celle du 22 
				novembre 1590, à l'occasion de la convocation qu'il venait de 
				faire des États généraux : «  A madame la comtesse de Sault. - 
				Madame, je sais que vous pouvez et voulez tant pour le bien de 
				ceste saincte cause au lieu où vous estes. je n'ay vollu fallir 
				de vous en escrire particulièrement,... vous soyez moyen, comme 
				je vous en supplie bien humblement, de faire a en la plus grande 
				diligence qu'il se pourra, députer des personnages dignes et 
				capables de bonnes affaires pour assister en ceste assemblée et 
				en tirer moyennant la grace de Dieu, le fruict que nous en 
				désirons,... ne ferai ceste plus longue que pour vous asseurer 
				de plus en plus de ma dévotion à vous honorer et servir. Sur 
				ceste vérité, je vous baise bien humblement les mains, et prie 
				Dieu, etc. »
 Chrétienne continua «  à servir activement, en Provence, les 
				intérêts de la Ligue, et elle appela à son aide «  le duc de 
				Savoie; plus tard, elle se rapprocha de Henry IV. » Nous 
				ignorons la date de sa mort, car elle disparaît et se trouve 
				complètement éclipsée par la gloire de son fils Charles de 
				Créquy.
 Nous allons terminer dans les chapitres suivants ce qui concerne 
				les autres descendants de Gratien d'Aguerre.
 
 Dom Calmet, Notice de Lorraine, t. II, p. 849. - Correspondance 
				du duc de Mayenne, publiée par MM. Henry et Loriquet.
 CHAPITRE XIX.Descendants de Gratien d'Aguerre par Chrétienne et Madeleine d'Aguerre.
 Gratien d'Aguerre laissa 
				deux enfants : 1° Jean d'Aguerre; 2° Marie d'Aguerre, femme de 
				Jeannot de Pont-Saint-Vincent, baron de Monthassin.Nous nous occuperons, dans le présent chapitre, des descendants 
				de Jean d'Aguerre, et, dans le chapitre suivant, de ceux de sa 
				soeur Marie d'Aguerre, dame de Saint-Vincent.
 
                   Jean d'Aguerre ne laissa de ses 
				deux fils, Claude et Bertrand, que deux petites-filles, 
				Chrétienne d'Aguerre, dame de Blanchefort-Créquy, et Madeleine 
				d'Aguerre, dame de Saint-Vincent.Nous parlerons successivement de la descendance de chacune 
				d'elles.
 
 A. Descendants de Chrétienne d'Aguerre, épouse d'Antoine de 
				Blanchefort-Créquy.
 
 Nous avons parlé longuement de Chrétienne d'Aguerre; nous avons 
				vu à quel degré de splendeur fut portée la fortune de son fils, 
				Charles de Créquy, par suite des héritages inespérés de Charles 
				d'Aguerre, du cardinal de Créquy et du comte de Sault.
 En ce qui concerne la descendance de Chrétienne d'Aguerre, nous 
				nous bornerons à transcrire ce que dit à ce sujet M. Henri 
				Lepage, archiviste, etc. (Commentaires sur la Chronique de 
				Lorraine, p. 88.)
 «  Chrétienne épousa Antoine de Blanchefort, duc de Créquy, et, 
				par suite des alliances que leur fils et ses descendants 
				contractèrent, le roi actuel de Sardaigne, Victor Emmanuel, se 
				trouve rattaché à la famille du hardi capitaine de René II.
 «  Cette généalogie m'a semblé assez intéressante pour que j'aie 
				cru devoir la donner.
 «  1° Gratien d'Aguerre, marié à Madelaine de Castres; de ce 
				mariage :
 «  2° Jean d'Aguerre, baron de Vienne, marié à Jacqueline (ou 
				Jacquette) de Lénoncourt (Moreri, vis Brichanteau, Hangest); de 
				ce mariage :
 «  3° Claude d'Aguerre, baron de Vienne, marié à Jeanne de 
				Hangest, veuve de Philippe de Maillé- Bresé (Moreri, vis Hangest, 
				Maillé); de ce mariage :
 «  4° Chrétienne d'Aguerre, mariée en novembre 1572 à Antoine de 
				Blanchefort, sire de Créquy (Moreri, v° Créquy); de ce mariage :
 «  5° Charles de Créquy, prince de Poix, duc de Lesdiguières, 
				pair et maréchal de France, mort le 17 mars 1638, marié, en mars 
				1595, à Madelaine de Bonne (Moreri, v° Créquy); de ce mariage :
 «  6° Madelaine de Créquy, morte le 31 janvier 1675, mariée, en 
				juillet 1617, à Nicolas de Neufville, duc de Villeroi, pair et 
				maréchal de France (Moreri, vis Créquy, Neufville); de ce 
				mariage :
 «  7° Catherine de Neufville, mariée, le 7 octobre 1660, à Louis 
				de Lorraine, comte d'Armagnac, grand écuyer de France (Moreri, 
				vis Neufville, Lorraine et Atlas historique de Lascases, pl. 
				22); de ce mariage sont nés quatorze enfants, dont :
 «  8° Henri de Lorraine, comte de Brionne, né le 15 novembre 
				1661, mort le 3 avril 1712, marié, le 23 décembre 1689, à 
				Marie-Madeleine d'Espinay (Moreri, v° Lorraine, Atlas de 
				Lascases); de ce mariage :
 «  9° Louis de Lorraine, prince de Lambesc, né le 13 février 
				1692, marié, le 22 mai 1709. à Jeanne-Henriette-Marguerite de 
				Durfort (Moreri, v° Lorraine, Atlas de Lascases); de ce mariage 
				:
 «  10° Louis-Charles de Lorraine, comte de Brionne, né le 10 
				septembre 1725, marié à Louise de Rohan-Montauban, mort en 1761 
				(Atlas de Lascases).
 «  Il est à remarquer que les enfants de ce prince sont les 
				derniers princes de la maison de Guise, et les seuls qui aient 
				conservé le nom de princes de Lorraine, la branche aînée ne 
				comptant plus que des archiducs d'Autriche. Ces enfants ont été 
				au nombre de trois, savoir :
 «  11° Charles, prince de Lambesc, né en 1754, mort sans 
				postérité en 1825 (Dictionnaire de Bouillet); - Joseph, prince 
				de Vaudémont, né en 1759; - Anne de Lorraine-Brionne, mariée à 
				Victor-Amédée, prince de Savoie-Carignan, mort en 1780 (Atlas de 
				Lascases); de ce mariage :
 «  12° Charles Emmanuel, prince de Carignan, né en 1770, mort en 
				1800, marié à Marie de Saxe (Atlas de Lascases); de ce mariage :
 «  13° Charles-Albert, roi de Sardaigne, né en 1798, marié à 
				Marie-Thérèse d'Autriche, mort en 1849 (Atlas de Lascases, 
				Dictionnaire de Bouillet); de ce mariage :
 «  14° Victor-Emmanuel, roi de Sardaigne, né le 14 mars 1820. »
 Nous compléterons cette citation en ajoutant que cinq des 
				archiducs d'Autriche actuellement existants se trouvent 
				descendre également de Gratien d'A guerre par leur mère, 
				Marie-Elisabeth, soeur du roi Charles-Albert, cité ci-dessus au 
				n° 13, et femme de l'archiduc Rénier (Bouillet, Atlas d'histoire 
				et de géographie).
 
 B. Descendants de Madeleine d'Aguerre, épouse de Pierre de 
				Saint-Vincent.
 
 Madeleine d'Aguerre épousa son cousin Pierre de Saint-Vincent 
				(de la branche de Lestanne), déjà lui-même descendant de Gratien 
				par la fille de ce dernier, comme nous le verrons ci-dessous. 
				Elle lui apporta en dot la terre de Grimansart. Le 16 décembre 
				1486, Jean de Custines avait fait vente à «  honoré seigneur 
				messire Gratian Daguerre, chevalier, baron de Rumigny, seigneur 
				d'Aubenton et de Martigny, gouverneur de Mouzon, de la place 
				forte, maison, terre et seigneurie de Grimansart, ensemble les 
				bois, rivières, etc. »
 Pierre de Saint-Vincent était gouverneur du marquisat de 
				Montcornet, gruyer du duché de Rethel; seigneur de Bogny, 
				Rogissart, Grimansart et du Baila (Ardennes). Son fils François 
				et son petit-fil Louis lui succédèrent dans sa charge de 
				gouverneur de Montcornet et dans ses seigneuries. Son 
				arrière-petit-fils Ferdinand-Louis fut tué, en 1646, au siège de 
				Dunkerque.
 Avec Ferdinand-Louis finit ce rameau de la branche de Lestanne, 
				branche que nous donnerons plus bas et qui subsiste encore ; 
				avec lui sortit aussi de la famille la terre de Grimansart, qui 
				y était restée cent soixante ans.
 
 Recherches de la noblesse de Champagne par devant l'intendant 
				Callmartin, en 1668. - Titre de la collection Mecquemem.
 CHAPITRE XXDescendants de Gratien d'Aguerre par Marie d'Aguerre et Jeannot 
				de Saint-Vincent.
 Nous avons dit au chapitre 
				précédent que Jeannot II de Saint-Vincent ou Pont-Saint-Vincent, 
				fils de Jeannot Ier de Bidos, seigneur de Pont-Saint-Vincent, 
				épousa Marie d'Aguerre, fille de Gratien, et qu'il en eut deux 
				fils, Bernard, seigneur de Sorcy, et François, seigneur de 
				Lestanne. (V. le tableau page 77.) Ces derniers furent les chefs 
				de deux lignes perpétuées pendant plusieurs siècles.Nous nous occuperons, dans ce chapitre, d'abord des descendants 
				de Bernard, et nous parlerons ensuite de ceux de François.
 
 A. Descendants de Bernard de Saint-Vincent, seigneur de Sorcy, 
				grand fauconnier de Lorraine.
 
 Les descendants de Bernard se divisent en trois branches :
 1° Branche des barons de Narcy;
 2° Branche d'Allemagne ;
 3° Branche des barons d'Aulnois et de Jouy.
 Il est à remarquer que, lors des productions faites, en 1668, 
				par devant l'intendant de Champagne, Caumartin, la branche de 
				Narcy et celle d'Aulnois firent chacune leur production. Ces 
				pièces ne sont pas entièrement conformes et servent à se 
				compléter l'une l'autre. Cette explication est indispensable à 
				donner, chaque exemplaire de Caumartin ne donnant que l'une des 
				deux productions, parce qu'on a cru à tort qu'elles faisaient 
				double emploi comme entièrement identiques.
 
 I.- Branche de Saint-Vincent de Narcy.
 
 1° Jeannot Ier, des seigneurs d'Agnos et de Bidos, seigneur de 
				Pont-Saint-Vincent, épouse Madeleine de Parspagaire.
 2° Jeannot II de Saint-Vincent ou Pont-Saint-Vincent, baron de 
				Monthassin, épouse Marie d'Aguerre.
 3° Bernard de Saint-Vincent, grand fauconnier de Lorraine, 
				épouse, le 6 août 1543, Marguerite de Saulxures (Marguerite 
				Shouel) ; meurt en 1570.
 Seigneuries : Monthassin (Marne), Sorcy, Aulnois, Jouy, 
				Fréméréville, etc. (Meuse).
 Ces trois premiers degrés sont déjà connusparles détails que 
				nous en avons donnés dans les chapitres précédents.
 4° Claude de Saint-Vincent, mort à Sorcy, le 1er juillet 1609, 
				épouse, le 7 septembre 1577, Catherine de Toulongeon, morte à 
				Sorcy, le 13 décembre 1591.
 Seigneuries : Sorcy, Goussaincourt (Meuse).
 Claude fut gentilhomme de la chambre de Charles II, duc de 
				Lorraine. Son épitaphe et celle de sa femme se voient dans 
				l'église de Saint-Martin de Sorcy. Au-dessus de l'épitaphe se 
				trouvaient les armes des quatre quartiers de Claude, savoir :
 D'or, à une vache de gueules, accolée et clarinée de sable; au 
				canton senestre d'azur chargé d'une croix potencée d'or, 
				écartelé d'or, à une cloche de gueules, qui est de 
				Saint-Vincent;
 D'or, à trois pies de sable, qui est de d'Aguerre;
 Parti en barre, bandé, contrebandé d'or et de sable, de six 
				pièces, qui est de Saulxures ;
 D'azur, au chef de gueules, chargé d'une aigle d'or, qui est de 
				Clémery.
 L'inscription subsiste encore pour la plus grande partie, mais 
				les armoiries ont été mutilées pendant la Révolution. Elle est 
				transcrite dans le manuscrit Collot de Saulx telle qu'elle a été 
				recueillie dans son entier avant la Révolution; elle est aussi 
				visée dans Caumartin et dans le décret du duc Léopold de 1724.
 5° Philbert Ier épouse, le 20 juillet 1603, Claude de Clerget 
				dame de Narcy.
 Seigneuries : Sorcy (Meuse), Narcy (Haute-Marne).
 6° Maximilien épouse : 1°, le 15 mars 1626, Antoinette 
				d'Anglure; 2°, le 28 décembre 1628, Charlotte de Karendeffez. 
				Seigneuries : Narcy (Haute-Marne), Colombey et Arentières 
				(Aube).
 Cette branche cesse d'être lorraine, et Maximilien passe au 
				service de la France.
 «  Lettres patentes de l'année 1635, où le roi donne à Maximilien 
				le titre de baron de Narcy et le nomme capitaine d'une compagnie 
				de chevau-légers composée de 90 hommes. » (Décret du duc 
				Léopold, du 14 août 1724).
 «  Commission du 11 avril 1636, octroyée à Maximilien de 
				Saint-Vincent, escuyer, baron de Narcy, commandant une compagnie 
				de chevau-Iégers pour arrester des cavalliers de sa compagnie 
				qui l'avaient abandonné. »
 7° Philbert II, né de 1626 à 1628, épouse, le 2 juillet 1610, 
				Elisabeth de Pérignon.
 Seigneuries : Narcy, Seigneville (Haute-Marne).
 Un acte de tutelle de Charlotte de Saint-Vincent (branche d'Aulnois), 
				du 5 mars 1672, mentionne parmi les parents, et sans indiquer 
				les prénoms, «  le sieur de Saint-Vincent, baron de Narcy. » Cet 
				acte doit se référer à Philbert, et non à son fils François, qui 
				n'avait alors que 21 ans, ni à son père, qui était mort à cette 
				époque, car on lit dans des titres des 6 février 1657 et 6 juin 
				1660 : «  Défunt Maximilien de Saint-Vincent, baron de Narcy. »
 8° François, né en 1651, épouse, en 1696, Marguerite de Rang.
 Seigneuries : Narcy (Haute-Marne), Bisping et Gogney (Meurthe).
 François revint au service des ducs de Lorraine, que ses pères 
				avaient abandonné pour prendre celui du roi de France; car le 
				décret du duc Léopold, du 14 août 1724, le qualifie «  François 
				de Saint-Vincent, baron de Saint-Vincent, lieutenant-colonel au 
				régiment de Forsal et sous-lieutenant des chevau-Iégers de nos 
				gardes demeurant à Blâmont. »
 Il conservait encore ces dernières fonctions à l'âge de 70 ans, 
				comme on le voit par les lettres patentes du 12 mars 1720 : 
				« Léopold. veu par nostre chambre des comptes de Lorraine la 
				requeste à elle présentée par le sieur François de 
				Saint-Vincent, baron de Narcisse, sous-lieutenant des 
				chevau-légers de nostre garde. »
 9° Jacques-François, né le 27 août 1699, à Blâmont, épouse Barbe 
				de Beurges; il vivait encore en 1773, et mourut peu après à 
				Bar-le-Duc.
 Il ne laissa point de postérité.
 
 II. - Branche d'Allemagne.
 
 1° Jeannot Ier.
 2° Jeannot Il.
 3° Bernard.
 4° Claude.
 Ces quatre premiers degrés sont communs avec la branche de Narcy, 
				dont nous venons de parler, et ils y sont détaillés.
 5° Jacques épouse Marie-Barbe de Léonroden.
 Seigneurie : Sorcy (Meuse).
 Jacques prit du service en Allemagne, où il devint «  grand 
				veneur de l'Estat de S. M. Impérialle et de l'archiduc Léopold, 
				» ainsi que l'indique un dénombrement du 20 mai 1626, pour Sorcy 
				et Saint-Martin.
 6° François épouse Marie-Françoise de Remchingen.
 Seigneuries : Sorcy (Meuse), Pâlmershausen sur le Danube.
 Dénombre pour Sorcy en 1666.
 7° Charles Joseph, ainsi dénommé dans le décret du duc Léopold : 
				«  Léopold, duc de Lorraine, etc., savoir faisons que sur la 
				requeste présentée en notre Conseil par messire Joseph, baron de 
				Saint-Vincent, trésorier de l'Électeur Palatin, conseiller 
				d'État de l'Ordre teutonique et gouverneur de Thannbourg. »
 On n'a plus de documents authentiques sur cette branche qui 
				paraît s'être éteinte vers 1780.
 
 III. - Branche des barons d'Aulnoy et de Jouy.
 
 La production de 1668 de la branche de Narcy ne donne pas cette 
				branche, mais la production de la branche d'Aulnoy la détaille 
				sous cette rubrique : «  Barons d'Aunoy et de Jouy. »
 1° Jeannot Ier.
 2° Jeannot II.
 3° Bernard.
 Ces trois premiers degrés sont communs avec la branche de Narcy 
				et ils y ont été détaillés.
 4° René Ier épouse, en 1579, Madelène de Roucy.
 Seigneuries : Aulnoy, Vertusey, Jouy (Meuse)..
 5° Daniel épouse, en 1609, Anne de Ficquelmont.
 Seigneuries : Jouy (Meuse).
 Son frère, René II, seigneur d'Aulnoy, chambellan d'Henry, duc 
				de Lorraine, meurt sans enfant de Gabrielle de Stainville, son 
				épouse.
 6° Charles, lieutenant-colonel du régiment du Chastelet, marié, 
				en 1655, à Elisabeth de Cicon, ne laisse qu'une fille, Charlotte 
				de Saint-Vincent, dite Mlle de Jouy, comme seule héritière du 
				baron de Jouy.
 Seigneuries : Jouy (Meuse).
 Claude, son frère, épouse, en 1649, Catherine-Philiberte de 
				Joyeuse, et meurt, à Aulnoy, en août 1653.
 Seigneuries : Aulnoy, Vertusey (Meuse).
 Moreri et le père Anselme le mentionnent en ces termes : «  
				Catherine-Philiberte, alliée à Claude de Saint-Vincent, baron d'Aulnois. 
				» Et on y voit que Catherine était soeur du marquis de Joyeuse, 
				maréchal de France, gouverneur de Nancy et des trois évêchés. 
				Son cousin, Anne de Joyeuse, était beau-frère du roi de France 
				Henri III.
 Dans la généalogie de la famille de Joyeuse, on relate le titre 
				suivant : «  Partage du 14 avril 1655 entre haut et puissant 
				seigneur Charles-François de Joyeuse, chevalier, comte de 
				Grandpré, etc., et CatherinePhiliberte de Joyeuse, veuve de haut 
				et puissant sei neur Claude de Saint-Vincent, chevalier et baron 
				«  d'Aulnois, ses frère et soeur. »
 7° Charles II, fils de Claude et de Catherine de Joyeuse, 
				semblait appelé par le crédit de sa famille maternelle à un 
				brillant avenir, mais il mourut à Aulnoy, le 17 mai 1662, encore 
				jeune et non marié.
 Charles ne nous est connu que par son épitaphe que sa mère avait 
				fait faire au-dessous de celle de son mari, en ces termes : «  
				Mme Catherine de Joyeuse, sa veuve, lui a fait dresser cette 
				épitaphe : Pleurez, passants, et priez avec elle et ne vous fiez 
				pas à la mort, et le 17 mai de l'an 1662 est arrivé la mort à 
				Charles de Saint- Vincent, baron et seigneur desdits lieux, fils 
				audit défunt. Priez Dieu pour leurs âmes. »
 Avec Charles s'éteignit cette branche qui avait duré 
				quatre-vingt-douze ans, en quatre générations, depuis la mort de 
				Bernard, le grand fauconnier.
 
 B. Descendants de François de Saint-Vincent, seigneur de 
				Lestanne. (Voir le tableau, p. 77.)
 1° Jeannot Ier.
 2° Jeannot II.
 Ces deux premiers degrés antérieurs à François sont communs avec 
				les descendants de Bernard et ont été détaillés ci-dessus.
 3° François, dont nous avons parlé au chapitre XV, épouse 
				Jacquette de Vaillant.
 Seigneuries : Monthassin (Marne), Lestanne, Clavy, Watephall, 
				Baulgny et la Folye (Ardennes).
 Son fils puîné, Pierre de Saint-Vincent, gouverneur de 
				Montcornet, épousa sa cousine Madeleine d'Aguerre, et nous en 
				avons parlé au chapitre précédent par suite de cette alliance.
 L'aîné des fils de François de Saint-Vincent et de Jacquette de 
				Vaillant fut :
 4° Charles, marié à Nicole de La Fontaine.
 Seigneuries : Monthassin (Marne), Lestanne, Vincy, Neufvisy 
				(Ardennes).
 Neufvisy resta dans la famille pendant plusieurs générations. On 
				doit remarquer, comme singularité historique, que les seigneurs 
				de Neufvisy étaient au nombre des quatre barons de la 
				Sainte-Ampoule.
 5° Hubert, marié à Guillemette des Laires.
 Seigneuries : Lestanne, Vincy, Neufvisy (Ardennes).
 Son frère puîné, Jean Ier, alla en Allemagne et y devint colonel 
				au service de l'empereur; il fut tué dans une bataille contre 
				les Turcs. A la même époque, son proche parent, Jacques de 
				Saint-Vincent, de la branche de Sorcy, dont nous avons parlé 
				ci-dessus, était grand veneur de l'empereur.
 Robert, frère des deux précédents, fut tué au siège de 
				Montbelliard.
 6° Jean II, lieutenant-colonel du régiment de Hauregard, premier 
				capitaine et commandant dans Stenay, né à Lestanne, en 1594, fut 
				marié quatre fois : 1° à Jeanne de Vïllelongue, le 28 avril 
				1625; 2° à Antoinette de Mouzay; 3° à Marguerite d'Assy; 4° à 
				Marguerite de Bigony; il mourut à Lestanne, le 1er septembre 
				1664.
 Seigneuries : Lestanne, Vincy, Neufvisy (Ardennes).
 7° Jean III, issu du premier mariage de Jean Ier, épouse 
				Marguerite de Maucourt.
 Seigneuries : Lestanne, Vincy, Neufvisy (Ardennes) et Murvaux 
				(Meuse).
 8° Jean IV, né en 1651, épouse 7 le 23 mai 1684, à Stenay, 
				Jeanne-Marguerite de Tassigny; meurt à Murvaux, le 5 août 1735.
 Seigneurie : Murvaux (Meuse).
 9° Gabriel, né à Murvaux, en 1685, mort à Murvaux, le 7 décembre 
				1748; il épousa Geneviève Lefaucheux, morte à Murvaux, le 24 
				juin 1756.
 Seigneurie : Murvaux (Meuse).
 Il laissa deux fils, Antoine et Jacques-François, lesquels 
				forment deux branches.
 10° Branche aînée : Antoine-Charles, né à Murvaux, le 30 
				novembre 1731, épouse Anne-Catherine de Granfèvre, morte à 
				Luxembourg, le 7 juillet 1794.
 Il eut deux fils :
 11° Charles-Louis, né à Murvaux, mort à Lachalade.
 Le baron Charles-Louis de Saint-Vincent a été maire de Lachalade 
				; il y est mort sans postérité.
 Il eut pour frère :
 Jacques-François-Xavier, qui épousa la baronne de Beyerwelk. 
				Pendant l'émigration, il prit du service en Autriche, et il est 
				ainsi mentionné au Moniteur du 22 mars 1806 : «  M. le baron de 
				Saint-Vincent, général-major au service d'Autriche, a été 
				présenté à l'empereur et lui a remis une lettre de son 
				souverain, » Il avait été, en même temps que l'empereur 
				Napoléon, élève de l'école de Brienne ; c'est ce qui explique 
				cette mission, malgré sa qualité d'émigré. Aux offres 
				bienveillantes que lui fit Napoléon de prendre du service en 
				France, il témoigna son vif regret de ne pouvoir accepter, ne 
				voulant point abandonner le service d'un souverain qui l'avait 
				accueilli dans l'infortune.
 Il ne laissa que deux filles : 1° Marie-Joséphine, née à 
				Troeplitz, le 21 juillet 1805, d'abord chanoinesse titulaire de 
				Munich, puis mariée au comte de Mirbach; 2° Rose-Marie, née à 
				Troeplitz, le 18 mai 1808, d'abord chanoinesse titulaire de 
				Prague, qui épousa le général comte Kaminski, chambellan de 
				l'empereur.
 Cette branche n'a plus ainsi de représentant mâle.
 10° Branche puînée.
 Jacques-François, né à Murvaux, le 8 juillet 1740, mort à Nancy 
				en 1821, épouse, le 13 février 1770, à Aubreville, 
				Magdeleine-Jeanne de Lisle de Moncel, morte à Nancy, le 16 
				décembre 1815.
 Seigneuries : Courcelles, Moncel, Parois, Aubreville (Meuse), la 
				Caussade (Gironde).
 Nous nous étendrons quelque peu sur lui, parce qu'il fut le 
				dernier des siens qui mena cette existence simple et 
				patriarcale, laquelle avait été constamment celle de ses pères 
				pendant plusieurs siècles. Comme eux, entièrement étranger à la 
				cour et au séjour des villes, il se partageait entre la 
				profession des armes, qui fut la sienne comme celle de tous les 
				siens, et la culture de ses domaines, le commerce de sa famille 
				et les devoirs d'une vive et sincère piété.
 A la Révolution, il émigra, et toutes ses terres furent 
				confisquées. Le roi Louis XVIII lui accorda, pendant 
				l'émigration, plusieurs distinctions, et le nomma notamment 
				colonel à Mittau. Sous la Restauration, le roi n'oublia pas le 
				vieux serviteur qu'il avait distingué pendant l'exil et lui 
				donna, outre une pension de retraite et diverses grâces pour ses 
				proches, une pension sur la liste civile et une autre sur la 
				caisse des chevaliers de Saint-Louis.
 Ses fils, François et Philippe, périrent tous deux à l'âge de 
				vingt-cinq ans dans les guerres de l'Empire; François fut tué à 
				la bataille d'Austerlitz, et Philippe, dont nous allons parler, 
				en Italie.
 Au retour de l'émigration, le baron François de Saint-Vincent 
				vint demeurer à Nancy, et il supporta avec un rare courage les 
				afflictions profondes que la fortune accumula sur sa tête. Quant 
				à la perte de son ancienne opulence, soit fierté permise au 
				malheur, soit par l'effet d'une piété qui fut exemplaire dans 
				tout le cours de sa vie, ce désastre ne sembla point compter au 
				nombre de ses malheurs. Pendant de longues années, personne ne 
				surprit de lui, à ce sujet, une seule plainte, un seul regret. 
				Sa branche avait toujours habité Lestanne ou Murvaux, et, par un 
				jeu de la fortune, ce descendant de Gratien d'Aguerre et de 
				Bidos s'en revint, après la ruine de sa race, mourir pauvre et 
				ignoré à Nancy, dans la ville que les siens avaient sauvée.
 11° Philippe Ier, Marie-Louis, né à Parois, le 30 juin 1783, 
				mort le 11 octobre 1808, épousa Anne-Charlotte de Romécourt.
 Il était lieutenant au régiment d'Isembourg et fut tué, ainsi 
				que nous l'avons dit, à l'âge de vingt-cinq ans, à la prise 
				d'assaut du fort de Capri.
 Cette place passait pour imprenable, et ce hardi fait d'armes 
				fit le plus grand honneur au général Lamarque.
 L'île était défendue par sir Hudson Lowe, depuis si tristement 
				célèbre comme gouverneur de Sainte-Hélène pendant la captivité 
				de Napoléon.
 La mort de Marie-Philippe 1er de Saint-Vincent est citée au 
				Moniteur du 22 novembre 1808.
 Il eut pour fils :
 12° Philippe II, Hyacinthe, né à Bar-le-Duc, le 16 juin 1807, 
				marié à Anna de Villers.
 Et pour petit-fils :
 13° Philippe III, Eugène-Savina, né à Metz, le 1er octobre 1843.
 
 Caumartin, Recherches sur la noblesse de Champagne en 1668 (Vis 
				Ambly Joyeuse, Minette, etc.). - Manuscrit Collot de Sault. - 
				Décret du duc Léopold, du 14 août 1724. - Arrêt de la chambre 
				des comptes de Lorraine, du 12 mars 1720. - Actes de l'état 
				civil de : Blâmont, 1699; Lestanne, 1664; Murvaux, 1730 à 1756; 
				Aubreville, 1770; Parois, 1783; Bar-le-Duc, 1807; Nancy, 1815, 
				1821; Metz, 1843. - Archives de Lorraine, Moreri, t. III, p. 
				692. - Moniteur du 22 mars 1806 - Idem, année 1808, page 1237.
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