Nous avons déjà évoqué à
plusieurs reprises la destruction de la chocolaterie de Blâmont,
(La chocolaterie Burrus - 1913-1914)
et le témoignage de son propriétaire/exploitant Fernand Burrus
dans le Journal de Genève du 22 août
1914. Or il apparaît que son récit à son retour en Suisse
est bien plus étendu que ce dernier article ne laissait
paraître.
Voici ci dessous un extrait du journal suisse
« l' Impartial
» du 21 août 1914 qui donne des informations
complémentaires sur ce témoignage.
-
En premier lieu, une
estimation à 100 000 hommes des troupes du 1er
corps de la 6ème armée bavaroise qui aurait
pénétré dans Blâmont les 8 et 9 août 1914. Le chiffre parait
très
largement surévalué pour les capacités de la commune, et on
verra ci-dessous qu'il s'agit certainement d'une erreur du
journal.
-
L'explication sur la
première bataille de Lorraine est très douteuse, car Fernand
Burrus ne peut avoir connaissance des événements, étant
isolé dans Blâmont du 8 au 14 août (date de l'attaque
française sur Blâmont, et sans doute date de départ de
Fernand Burrus vers la Suisse).
-
Les blessures des soldats
allemands qu'il rapporte sont du même ordre, car on sait que
Fernand Burrus est parvenu à rentrer en Suisse dès
le 17 août. S'il n'était plus
présent lors de l'attaque de Blâmont dans la nuit du 14 au
15 août, il n'a pas assisté non plus à la montée de l'armée
française vers Sarrebourg et encore moins à la bataille.
S'il a pu constater l'effet des balles françaises, ce ne
peut être que lors de l'escarmouche
du 7 août 1914, avant même l'entrée de la 6ème
armée allemande dans Blâmont.
-
Quant à la victime
française croisée à Barbas, il s'agit sans doute de la femme
et de l'enfant de Nonhigny évoqués dans le
témoignage de Madame Freismuth,
que les Allemands ont transportée à Barbas, où l'amputation
semble donc avoir été faite très rapidement : « La femme
d'Ernest, pendant que nous étions sous notre sureau qui nous
cachait, était de la maison voisine : elle s'est sauvée avec
son petit garçon qui avait quatre mois, et les balles
sifflaient partout : une balle lui a traversé la bras, s'est
logée dans le ventre de l'enfant ; alors elle s'est
écroulée. Dans sa famille, quelqu'un est passé, lui a
ramassé l'enfant et puis les Allemands l'ont emmenée.
Finalement elle a eu le bras gangrené, en plein mois d'août
avec la chaleur. L'enfant n'est pas mort ».
Mais cet article de «
l'Impartial » apparaît étrangement incomplet puisqu'il finit
sur la phrase : « Les troupes allemandes sont d'une
méfiance épouvantable. »
Et effectivement, on trouve
dans « La Revue » de
Lausanne du 20 août 1914, une suite à cette
phrase, et des informations complémentaires, ainsi que le
chiffre de 10000 (et non 100000) pour l'estimation des troupes
allemandes entrées dans Blâmont les 8/9 août.
On peut aussi, grâce à sa première ligne, déterminer le
cheminement du témoignage de Fernand Burrus, repris de journaux
en journaux :
- le témoignage aurait été initialement publié dans « Le
Journal du Jura »,
- puis repris (intégralement ?) le 20 août dans «
La Revue » de Lausanne,
- par extraits le 21 août dans
« l' Impartial
»,
(avec 10000 transformé en 100000),
- et le 22 août dans Journal de
Genève.
L'impartial - 21
août 1914
Le sac de Blamont
M. Burrus, fabricant à
Blamont, petite ville en Lorraine, non loin de Lunéville, a fait
les déclarations suivantes:
Ces dépêches relatives à an succès. des troupes françaises en
Lorraine, à Blamont et dans ses environs immédiats, sont
réelles. Les troupes allemandes que l'on peut estimer à 100,000
hommes avaient fait occuper aussitôt après la déclaration de
guerre, Blamont, petite ville de 2000 habitants, située dans un
enfoncement et la contrée avoisinante. L'état-major allemand
avait alors occupé mon château qui fut fouillé de fond en comble
pour s'assurer qu'il ne renfermait aucun appareil de télégraphie
sans fil. Ce fut d'ailleurs peine perdue.
« Si l'état-major et les officiers se comportent certainement
avec dignité, a dit M. Burrus, il n'en est pas de même des
soldats qui pillent tout ce qu'ils rencontrent sur leur passage.
Dans mon habitation, ils ont enfoncé trois portes de chêne, au
moyen de haches de sapeurs et se sont régalés de champagne.
M. Burrus parle ensuite de sa fabrique qui fut mise à sac et
complètement brûlée par les troupes allemandes pour l'unique
plaisir de détruire. Des machines toutes neuves furent abîmées,
jusqu'à ne plus former qu'un immense amas de fer tordu.
D'ailleurs, ces actes de vandalisme ne s'accomplissent pas
seulement en France; en Lorraine déjà, les officiers ne peuvent
plus retenir les troupes se livrant au pillage. On dirait avoir
â faire à des brutes.
Les troupes allemandes ne restèrent pas longtemps à Blamont. Les
Français réussirent, à les attirer dans un piège et à les
battre, leur infligeant des pertes très sérieuses. Le combat fut
amorcé par la cavalerie française qui chargeant les lignes
ennemies se retirait en hâte pour attirer les troupes allemandes
dans les feux de leur artillerie et de leur infanterie. Les
Allemands, après plusieurs jours de tâtonnement, s'avancèrent
dans la direction de Lunéville, mais ils furent attaqués avec
vigueur et repoussés jusqu'à 15 km à l'intérieur de la Lorraine.
M. Burrus, parlant des blessures, dit qu'elles sont affreuses.
Les balles françaises principalement, font des ravages
épouvantables, déchiquetant littéralement les corps à la
distance où elles acquièrent un mouvement circulaire. Parfois,
on rencontre des soldats qui ont la tète vidée, le corps ouvert
de haut en bas, les doigts coupés, etc. A Barbas petit village
des environs de Blamont, notre compatriote a vu une pauvre femme
ayant le bras gauche coupé et portant sur son bras droit un
enfant atteint d'une balle en plein ventre. On peut s'imaginer
quels horribles moments vivent les populations habitant le
théâtre de la guerre. Les troupes allemandes sont d'une méfiance
épouvantable.
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