Charles Joseph Cuny nait à
Brémenil le 18 décembre 1863. Il exerce la profession de cocher
(à Nanteuil dans l'Oise) lorsqu'il épouse en 1888 Marie-Anne
Collignon (née à Angomont en 1863, fille du voiturier Auguste
Collignon). Après la naissance de leur premier enfant, Charles,
à Angomont en 1889, la famille déménage à Blâmont, où naissent
quatre nouveaux enfants : Aline Clotilde le 2 juin 1891, Henry
René, le 11 août 1894, Adrien le 5 mars 1896 (qui n'apparait
plus à compter du recensement de 1901), et Jeanne Marie le 22
juin 1897.
La famille habite au 56 Grande Rue à Blâmont : Charles est
hôtelier à l'Hôtel et Café de Paris (n° 50 de la rue du 18
novembre), et son épouse y est cuisinière. L'affaire emploie
deux domestiques : en 1911, Joseph Ferry (né en 1878 à
Badonviller) et Germaine Paradis (née en 1891, à Domèvre-sur-Vezouze).
Le fils aîné semble avoir quitté le foyer à cette date.
Dans la soirée du 8 août 1914, Charles Cuny moissonne dans la
montée de Barbas avec sa fille ainée :
« Les Allemands sont venus en patrouille à Blamont dès le
début de la guerre et y sont arrivés en force vers le 8 août. Ce
jour même, une jeune fille, Mlle Cuny, a été tuée par un de
leurs hommes. Elle était occupée à moissonner dans les champs
avec son père; ayant entendu une fusillade, elle courut se
cacher dans un fossé de bois. Comme un soldat s'avançait, elle
se releva en criant « Ne tirez pas.» Aussitôt l'Allemand lui
fracassa la poitrine d'un coup de fusil à bout portant.. »
(RAPPORT présenté à M. le président du conseil par là commission
instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en
violation du droit des gens. - Décembre 1915).
La version du vétérinaire Lahoussay est plus romancée : «
Une demi-heure après l'apparition de la première tête de
colonne, un groupe de cavaliers se précipite sur M. et Mlle
Cuny, qui moissonnaient à la montée de Barbas. Sans mot dire, le
sous-officier qui tenait la tête déchargea à bout portant sa
carabine dans la poitrine de la jeune fille qu'il étendit à ses
pieds : « un Français de moins ! » cria l'assassin en tournant
bride avec ses hommes. » (Est-Républicain - 31 janvier 1915
- De Blâmont à Holzminden.)
Mais l'événement prend très vite une ampleur nationale lors de
la visite du Préfet Mirman le 20 août 1914, durant la semaine ou
l'armée française réoccupe Blâmont ;
l'Est-Républicain du 21 août 1914 écrit :
« Ce pieux pèlerinage, auquel, en chaque commune, se
joignirent les autorités locales, eut lieu [...]
4° A Blâmont, sur la tombe de Mlle Cuny, tuée dans les champs
près du village et sur qui les Allemands tirèrent comme sur une
alouette. »
Et l'expression est reprise dans de nombreux articles
internationaux : « The Prefect reports that in Blamont there
were three victims, including a young girl “killed like a
partridge in the field“, ». (voir par exemple
Août 1914 - Dans la presse de Singapour
). Aline Cuny devient ainsi mondialement dès août 1914
emblématique de la barbarie bavaroise.
Après la guerre, la ville de Blamont fait don d'un monument
commémoratif, élevé à la lisière du bois de Trion, à l'endroit
où Aline Cuny avait été abattue à bout portant par le soldat
allemand, et le 2 novembre 1920, l'inauguration a lieu sous la
présidence de M. Caen, de la section de Blâmont de l'A.M.C., en
présence du maire, M. Bentz, et du conseil municipal.
L'imposant monument (voir photographie en bas de page) s'est
élevé à la lisière du bois de Trion pendant 80 ans mais à
disparu pour des raisons inconnues au début des années 2000,
certaines rumeurs attribuant sa destruction à des travaux
postérieurs à la tempête. Il aurait été situé à l'emplacement
marqué ci-dessous :
Après la disparition sur la mairie de la plaque au cafetier
Louis Foëll (voir Louis Foell,
cafetier victime des Allemands), inaugurée le même jour de
1920, c'est avec le monument à Aline Cuny un peu de la mémoire
de Blâmont qui a disparu...
Un « témoignage » inepte :
L'assassinat d'Aline Cuny va même susciter d'étonnant
article. Ainsi, pourquoi
l'Est-Républicain
a-t-il, le 27 novembre 1914, repris ce témoignage
ridicule, dont il aurait aisément pu se convaincre de
l'absurdité :
Les atrocités de Blâmont
Le « Petit Journal » a publié le carnet de route d'un
briscard, rengagé pour la durée de la guerre dans les
chasseurs à pied. Le 13 août, notre chasseur est à
Blâmont, où les Allemands l'ont, hélas ! précédé,
laissant partout les traces monstrueuses de leur
passage. Il écrit :
« Le soir de mon arrivée, je rencontre un des habitants
de Blâmont, M. Cuny, dont la fille, âgée de 17 ans, a
été fusillée par les uhlans, à la lisière d'un bois. Les
yeux embrumés de larmes, il nous raconte l'affaire.
« Voyez, mes enfants, ma pauvre Marguerite était là, en
face ; elle portait un corsage blanc. Les uhlans sont
venus sur la gauche ; ils l'ont prise, et, après l'avoir
attachée solidement à un arbre, ils l'ont tuée d'un coup
de revolver en pleine poitrine ! La tête de ma pauvre
petite s'est inclinée, très pâle ; une mousse sanglante
apparut à ses lèvres, et ce fut tout.
« Vos camarades du ...e chasseurs n'ont heureusement pas
tardé à la venger. Ils sont survenus sur ces
entrefaites, ils ont ouvert le feu et ont « zigouillé »
tous les « Alboches ».
Marguerite Cuny ne fut pas la seule victime des bandits,
qui fusillèrent encore un pauvre vieux de 70 ans, M.
Barthélémy, et emmenèrent comme otage le maire de
Blâmont, M. Bentz. »
Rien dans cet article ne résiste à l'examen le plus
élémentaires des faits
- Charles Joseph Cuny, ne sait-il pas que sa propre
fille ne se prénomme pas Marguerite, mais Aline ?
- Aline n'est pas âgée de 17 ans, mais de 23 ans.
- Charles Barthélémy n'est pas âgé de 70 ans, mais de 84
ans
- à la date du 13 août, Blâmont et sa région sont encore
sous l'intégrale domination allemande. Aucun chasseur
français ne peut y être présent.
- si le maire, Charles Bentz a été menacé d'exécution le
14 août, il parvient à quitter la ville le soir même, et
ne fait pas partie du groupe d'otages emmené jusqu'à
Repaix.
Après une recherche sommaire, nous n'avons pas trouvé
trace de cet article dans le Petit Journal du
mois de novembre : mais si toutes les « informations »
qu'il contient sont du même ordre que le récit
concernant Aline Cuny, il est peu important de le
retrouver... |
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