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Aline Cuny - 1891-1914


Charles Joseph Cuny nait à Brémenil le 18 décembre 1863. Il exerce la profession de cocher (à Nanteuil dans l'Oise) lorsqu'il épouse en 1888 Marie-Anne Collignon (née à Angomont en 1863, fille du voiturier Auguste Collignon). Après la naissance de leur premier enfant, Charles, à Angomont en 1889, la famille déménage à Blâmont, où naissent quatre nouveaux enfants : Aline Clotilde le 2 juin 1891, Henry René, le 11 août 1894, Adrien le 5 mars 1896 (qui n'apparait plus à compter du recensement de 1901), et Jeanne Marie le 22 juin 1897.

La famille habite au 56 Grande Rue à Blâmont : Charles est hôtelier à l'Hôtel et Café de Paris (n° 50 de la rue du 18 novembre), et son épouse y est cuisinière. L'affaire emploie deux domestiques : en 1911, Joseph Ferry (né en 1878 à Badonviller) et Germaine Paradis (née en 1891, à Domèvre-sur-Vezouze). Le fils aîné semble avoir quitté le foyer à cette date.

Dans la soirée du 8 août 1914, Charles Cuny moissonne dans la montée de Barbas avec sa fille ainée :
«  Les Allemands sont venus en patrouille à Blamont dès le début de la guerre et y sont arrivés en force vers le 8 août. Ce jour même, une jeune fille, Mlle Cuny, a été tuée par un de leurs hommes. Elle était occupée à moissonner dans les champs avec son père; ayant entendu une fusillade, elle courut se cacher dans un fossé de bois. Comme un soldat s'avançait, elle se releva en criant «  Ne tirez pas.» Aussitôt l'Allemand lui fracassa la poitrine d'un coup de fusil à bout portant.. » (RAPPORT présenté à M. le président du conseil par là commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens. - Décembre 1915).

La version du vétérinaire Lahoussay est plus romancée : «  Une demi-heure après l'apparition de la première tête de colonne, un groupe de cavaliers se précipite sur M. et Mlle Cuny, qui moissonnaient à la montée de Barbas. Sans mot dire, le sous-officier qui tenait la tête déchargea à bout portant sa carabine dans la poitrine de la jeune fille qu'il étendit à ses pieds : «  un Français de moins ! » cria l'assassin en tournant bride avec ses hommes. » (Est-Républicain - 31 janvier 1915 - De Blâmont à Holzminden.)

Mais l'événement prend très vite une ampleur nationale lors de la visite du Préfet Mirman le 20 août 1914, durant la semaine ou l'armée française réoccupe Blâmont ; l'Est-Républicain du 21 août 1914  écrit :
«  Ce pieux pèlerinage, auquel, en chaque commune, se joignirent les autorités locales, eut lieu [...]
4° A Blâmont, sur la tombe de Mlle Cuny, tuée dans les champs près du village et sur qui les Allemands tirèrent comme sur une alouette. »

Et l'expression est reprise dans de nombreux articles internationaux : «  The Prefect reports that in Blamont there were three victims, including a young girl “killed like a partridge in the field“, ». (voir par exemple Août 1914 - Dans la presse de Singapour ). Aline Cuny devient ainsi mondialement dès août 1914 emblématique de la barbarie bavaroise.

Après la guerre, la ville de Blamont fait don d'un monument commémoratif, élevé à la lisière du bois de Trion, à l'endroit où Aline Cuny avait été abattue à bout portant par le soldat allemand, et le 2 novembre 1920, l'inauguration a lieu sous la présidence de M. Caen, de la section de Blâmont de l'A.M.C., en présence du maire, M. Bentz, et du conseil municipal.

L'imposant monument (voir photographie en bas de page) s'est élevé à la lisière du bois de Trion pendant 80 ans mais à disparu pour des raisons inconnues au début des années 2000, certaines rumeurs attribuant sa destruction à des travaux postérieurs à la tempête. Il aurait été situé à l'emplacement marqué ci-dessous :



Après la disparition sur la mairie de la plaque au cafetier Louis Foëll (voir Louis Foell, cafetier victime des Allemands), inaugurée le même jour de 1920, c'est avec le monument à Aline Cuny un peu de la mémoire de Blâmont qui a disparu...

Un «  témoignage » inepte :
L'assassinat d'Aline Cuny va même susciter d'étonnant article. Ainsi, pourquoi l'Est-Républicain a-t-il, le 27 novembre 1914, repris ce témoignage ridicule, dont il aurait aisément pu se convaincre de l'absurdité :

Les atrocités de Blâmont
Le «  Petit Journal » a publié le carnet de route d'un briscard, rengagé pour la durée de la guerre dans les chasseurs à pied. Le 13 août, notre chasseur est à Blâmont, où les Allemands l'ont, hélas ! précédé, laissant partout les traces monstrueuses de leur passage. Il écrit :
«  Le soir de mon arrivée, je rencontre un des habitants de Blâmont, M. Cuny, dont la fille, âgée de 17 ans, a été fusillée par les uhlans, à la lisière d'un bois. Les yeux embrumés de larmes, il nous raconte l'affaire.
«  Voyez, mes enfants, ma pauvre Marguerite était là, en face ; elle portait un corsage blanc. Les uhlans sont venus sur la gauche ; ils l'ont prise, et, après l'avoir attachée solidement à un arbre, ils l'ont tuée d'un coup de revolver en pleine poitrine ! La tête de ma pauvre petite s'est inclinée, très pâle ; une mousse sanglante apparut à ses lèvres, et ce fut tout.
«  Vos camarades du ...e chasseurs n'ont heureusement pas tardé à la venger. Ils sont survenus sur ces entrefaites, ils ont ouvert le feu et ont «  zigouillé » tous les «  Alboches ».
Marguerite Cuny ne fut pas la seule victime des bandits, qui fusillèrent encore un pauvre vieux de 70 ans, M. Barthélémy, et emmenèrent comme otage le maire de Blâmont, M. Bentz. »

Rien dans cet article ne résiste à l'examen le plus élémentaires des faits
- Charles Joseph Cuny, ne sait-il pas que sa propre fille ne se prénomme pas Marguerite, mais Aline ?
- Aline n'est pas âgée de 17 ans, mais de 23 ans.
- Charles Barthélémy n'est pas âgé de 70 ans, mais de 84 ans
- à la date du 13 août, Blâmont et sa région sont encore sous l'intégrale domination allemande. Aucun chasseur français ne peut y être présent.
- si le maire, Charles Bentz a été menacé d'exécution le 14 août, il parvient à quitter la ville le soir même, et ne fait pas partie du groupe d'otages emmené jusqu'à Repaix.

Après une recherche sommaire, nous n'avons pas trouvé trace de cet article dans le Petit Journal du mois de novembre : mais si toutes les «  informations » qu'il contient sont du même ordre que le récit concernant Aline Cuny, il est peu important de le retrouver...

 


 

Rédaction : Thierry Meurant

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