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Mai-juin 1545 - Les derniers jours du duc François


Peu après son entrée solennelle à Nancy le 8 avril 1545 le duc François de Lorraine, âgé de 28 ans, tombe malade.

« Quelques jours après, se sentant plus mal, les médecins lui conseillèrent de changer d'air. Il alla dans sa ville de Blâmont vers la mi-avril et y demeura environ trois semaines. Sa santé, au lieu de se rétablir, s'affaiblissoit de jours en jours, malgré les soins et l'habileté de ses médecins, dont les noms & la capacité sont connus encore aujourd'hui, comme Symphorien Champier, & Antoine Le Poys dont nous avons les sçavant ouvrages, sans compter Bouquet, Geoffroy & Morlet qu'on fit venir exprès, pour les consulter sur sa maladie. On manda aussi des médecins de Strasbourg & de Fribourg. On consulta par lettres des médecins étrangers de Dijon, de Paris & de Louvain; et dans la diversité de leurs sentiments, on conclut qu'il falloit lui faire prendre les bains chauds de Plombières dans les montagnes de Vosge proche Remiremont. Il s'y fit transporter dans des chaises à bras (car il ne pouvoit souffrir la litiere) depuis Blamont jusqu'à Remiremont, où il arriva le 14e de May.
Aussitôt on envoya querir dans des tonneaux de l'eau chaude de Plombieres, qui n'est qu'à deux lieuës de là, & il continua tous les jours à en user. Il prit les bains chaque jour jusqu'à la Fête-Dieu, sans qu'il parût ni diminution ni augmentation dans son apopléxie. »
(Dom Calmet, Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine, Nancy, lre édition 1728, t. II).

Parmi les médecins consultés, on peut ajouter André de Laguna, médecin stipendié de la ville de Metz, : «  Sciendo yo médico asalariado de la ciudad de Metz, visité al Duque Francisco de Lorena, que estaba malo en Nancy, el ano 1545» (Dioscorides, Materia medica, Anvers 1555).
Néanmoins, il faut considérer les causes de la maladie du duc rapportées par ce médecin, comme une légende fabriquée a posteriori, puisque Laguna évoque la sorcellerie, dont il n'est nullement fait mention ailleurs. De même, la présence d'un médecin juif envoyé de Metz, exposé dans l'article Médecins juifs à la cour de Deneuvre - 1545, manque d'une quelconque référence permettant de conférer à cette histoire autre chose que l'appellation «  roman ».

Il en va différemment du témoignage direct et précis d'Edmond du Boullay, «  premier Herauld & Roy d'armes de Lorraine » :
«  Huit jours après avoir fait son entrée dans cette ville [Nancy], fut conseillé par les Docteurs Médicins qu'il avait très sçavants et experts, de changer d'air et se retirer en lieux chaultz et secz, ce qu'il fit; car à la my apvril du dit an mil cinq cents quarante cinq, il alla en sa ville de Blâmont au pied du mont de Vosge, ou il demoura environ trois semaines, toujours diminuant de santé et multipliant en la maladie de colique, entremellée de fiebvre et finalement d'apopléxie et perclusion de membres. Pour à quoy remédier, furent mandez tous les médicins de Lorraine et de Barroys qui avaient état de lui. Après toutes les contestations ne fut conclu meilleur remède que de le faire baigner aux bains de Plûmières [Plombières] et voulant adhérer (pour sa santé recouvrer) au conseil de tant médicins, se fit porter en une chaise à bras (à cause qu'il ne pouvait endurer la litière) depuis Blâmont jusqu'en sa ville de Remiremont » (Edmont du Boulay, Vie et trépas des deux princes de paix, le bon duc Antoine, et le sayge duc François)

«  On alla sans, peine de Blâmont à Deneuvre, puis à Epinal, puis à Remiremont ; mais il fallut s'arrêter là. On y transporta, par tonneaux, les eaux puisées aux sources bienfaisantes; mais tous ces soins furent inutiles, et le Duc expira le 5 juin. Son règne n'avait duré que 363 jours. Les funérailles furent grandioses; Edmond du Boulay en régla la pompe comme pour le duc Antoine. Le corps, embaumé, fut ramené à Deneuvre, du 2 au 4 août. Son transport à Nancy fut remis à plus tard, à cause de la peste.
La Duchesse, venue à Deneuvre malgré son état de grossesse, pleura son mari, puis profita de la présence des principaux représentants de la noblesse pour traiter les affaires de la Régence. En assemblée solennelle, tenue au château, le 6 août, il fut unanimement décidé que le duché serait gouverné conjointement par Christine et par Nicolas de Lorraine, frère du défunt. »
(Alphonse Dedenon - Histoire du Blâmontois dans les temps modernes)

Le paragraphe précédent contient une erreur qu'Alphonse Dedenon n'a pas corrigé dans ses erratas : car le duc François ne meurt pas le 5 juin, mais le 12 juin 1745.

«  mais le Mercredy dans l'Octave de la Fête-Dieu, aprés être sorti du bain, il se trouva beaucoup plus mal qu'à l'ordinaire ; en sorte qu'à une heure aprés midy, on crut qu'il alloit expirer. Il fut toutefois secouru si à propos, que le jour suivant il eut le loisir de faire son testament, & de recevoir les Sacremens de l'Eglise. Aprés quoi il recommanda la Duchesse Christine de Dannemarc son Epouse, au Prince Nicolas, Evêque de Metz son frere ; il lui recommanda aussi tres particulièrement les princes & Princesses ses enfans ; & enfin le lendemain vendredy 12e de Juin 1545, il mourut sur les quatre heures aprés midy [...]» (Dom Calmet, Histoire ecclésiastique et civile de Lorraine).

L'information dans ce milieu de XVIème siècle, manque pour déterminer les causes du décès de François Ier, mais l'affection cardiaque est fort probable :

L'hérédité dans la maison ducale de Lorraine-Vaudémont
Docteur Alphonse Donnadieu
Ed. Berger-Levrault, 1922

Le duc François Ier fut un type de goutteux héréditaire. Tous ses ancêtres étaient atteints de cette affection, et son père, le duc Antoine, en était mort; il était donc à peu près fatal qu'il fût frappé à son tour et d'autant plus gravement que, en raison des alliances consanguines goutteuses de son ascendance, sa prédisposition à la goutte était accrue et la gravité des attaques augmentée. Bégin fait mourir le duc François d' «  une irritation du bas-ventre avec réaction sur le cerveau » (1). Chevrier écrit qu' a une maladie le conduisit insensiblement au tombeau » (2).
En s'appuyant sur les relations de sa dernière maladie, il paraît possible de déterminer les causes exactes de sa mort. Le premier accès frappa le Duc au début de 1544, à Épernay, au cours de son voyage pour aller rejoindre le roi de France : il avait à ce moment vingt-sept ans, et l'on sait que la goutte débute le plus fréquemment entre vingt-cinq et quarante ans; le premier accès arrive d'ordinaire à la fin de l'hiver, c'était bien le cas pour le duc François. Il semble qu'à ce moment l'affection goutteuse était localisée sur l'appareil digestif; les auteurs parlent en effet de «  coliques ».
Un retour apparent à la santé permit sa rentrée à Nancy et l'usage du cheval, puisqu'il chassa les bandes espagnoles qui ravageait son duché après la paix de Crépy et qu'il put faire son entrée solennelle à Nancy; mais son état s'aggrava rapidement, semble-t-il; les médecins lui conseillèrent le changement d'air. Vers la mi-avril, «  il alla, dit Edmond du Boulay, en sa ville de Blamont au pied du môt de Vosges, où il demoura environ trois sepmaines tousiours diminuant de santé et multipliant en maladie de colicque entremêlée de fiebvre et finalement d'apoplexie et de perclusion de membres... » (3)
Sa santé, «  au lieu de se rétablir, s'affaiblissoit de jours en jours, malgré les soins et l'habileté de ses médecins dont les noms et la capacité sont connus encore aujourd'hui, comme Symphorien Champier et Antoine Le Pois dont nous avons sçavants ouvrages; sans compter Bouquet, Geoffroy et Morlet qu'on fit venir exprès pour les consulter sur sa maladie. On manda aussi des médecins de Strasbourg et de Fribourg. On consulta par lettres les médecins étrangers de Dijon, de Paris et de Louvain... » (4).
Les médecins, à cette époque, ignoraient les manifestations viscérales de la goutte; ils n'en connaissaient que les localisations extérieures. «  Dans la diversité de leurs sentiments on conclut qu'il falloit lui faire prendre les bains chauds de Plombières dans les montagnes de Vosge proches Remiremont (5). » La «  perclusion des membres » avait décidé sans doute de l'indication des bains chauds. Le Duc, «  voulant adhérer, pour sa santé recouvrée, au conseil de tant de médecins, se feit porter en une chaire à bras, à cause qu'il ne pouvoit endurer la littière depuis Blâmont jusqu'à Remiremont » (6)
Mais la maladie avait fait des progrès pendant son séjour à Blâmont, il ne lui était plus possible de rester allongé dans une litière et ne pouvait voyager qu'assis. Cette indication du chroniqueur est des plus précieuses pour le médecin. Elle indique, en effet, qu'après l'appareil digestif, le système nerveux et les membres, l'appareil circulatoire était atteint à son tour et notamment le cœur, dont l'oppression de plus en plus forte traduisait l'insuffisance; comme tous les cardiaques graves, le Duc ne pouvait rester couché, mais assis. Sa situation devenait bien grave et le pronostic s'assombrissait.
Son état était tel qu'il ne put arriver à Plombières et qu'il dut s'arrêter à Remiremont. «  Aussitôt on envoya quérir dans des tonneaux de l'eau chaude de Plombières, qui n'est qu'à deux lieues de là et il continua tous les jours à en user, il prit les bains chaque jour jusqu'à la Fête-Dieu, sans qu'il parut ni diminution ni augmentation dans son apoplexie : mais le mercredy dans l'Octave de la Fête-Dieu après être sorti du bain, il se trouva beaucoup plus mal qu'à l'ordinaire, en sorte que une heure après midy, on crut qu'il alloit expirer. Il fut toutefois secouru si à propos, que le jour suivant il eust le loisir de faire son testament (7) et enfin le lendemain vendredy, 12e de juin 1545, il mourut sur les 4 heures après midy en la vingt-huitième année de son âge (8). »
En résumé, le duc François Ier, atteint de cachexie goutteuse, paraît avoir succombé à une lésion cardiaque causée par cette affection; l'hérédité arthritique de son ascendance avait fait avalanche sur l'infortuné prince, dont la vitalité était amoindrie par suite du vieillissement du groupe familial Lorraine-Vaudémont.

(1) Histoire de Lorraine, page 41, Ile partie.
(2) Histoire de Lorraine et de Bar, tome IV, page 135.
(3) La Vie et le Trespas des deux princes de paix, le bon duc Antoine et saige duc Françoys, 1547.
(4) Don Calmet, op. cit., tome II, 2e édition, col. 1275
(5) Don CALMET, op. 617., tome II, col. 1275.
(6) Du Boulay, op. cit.
(7) Ce point est discuté, comme nous le verrons ultérieurement.
(8) Don CALMET, op. cit.. tome II, 2e édition, col. 1275-1276 »

Concernant le testament de François de Lorraine, le même auteur nous expose la controverse :

Psychologie de la duchesse Christine de Danemark.

L' «  âme » de la Princesse était Habsbourg, comme son visage. Sa constitution mentale, ses tendances, ses affinités étaient celles du groupe familial de cette Maison.
Après la mort du duc François en 1545, elle partagea la régence avec son beau-frère Nicolas de Vaudémont. «  La chose ne se passa pas sans difficulté, écrit Dom Calmet (1), car encore que le duc François eût déclaré, l'onzième de juin avant de recevoir l'Extrême-Onction, à la demande que lui fit Jean, comte de Salm, maréchal de Lorraine, s'il n'entendoit pas, au cas que Dieu disposât de lui, que le Seigneur Evêque de Metz et de Verdun, son frère, qui étoit présent, se mêlât du gouvernement de son pays, et de Messieurs ses enfants, avec Madame la Duchesse sa femme, en ratifiant ce qu'il avoit déjà dit et témoigné, en présence de ladite Dame; encore, dis-je, que le Duc eût répondu qu'oui, et que le même jour après-midy, les mêmes Notaires qui en avoient dressé l'acte en eussent fait la lecture à la Duchesse Christine, en présence de I'Evêque de Metz et des Seigneurs qui s'étoient trouvés présens à la déclaration du Duc; néanmoins Christine se plaignit de cette dernière disposition... »
On peut penser que la noblesse lorraine, qui connaissait le caractère autoritaire et despotique de la duchesse Christine et qui craignait l'amoindrissement de ses prérogatives, avait demandé au Duc mourant de désigner un tuteur, qui exercerait la régence du duché, conjointement avec la Duchesse. Déjà, en 1508, pour des raisons identiques, à la mort du duc René Il, les États avaient refusé la régence à Philippe de Gueldre. A Remiremont, à cause de la minorité de Charles III, ils ne pouvaient s'opposer à la régence de Christine, mais ils exigèrent cependant qu'elle partageât le pouvoir avec le frère du Duc. La colère de Christine et son dépit durent être fort grands et l'atmosphère était sans doute très orageuse autour du lit où agonisait le malheureux duc François Ier !
Ce serait mal connaître le caractère de Christine, son orgueil et son appétit de gouvernement, que de croire qu'elle accepta de bonne grâce le partage de la régence; «  elle soutint que la déclaration faite par le Duc lui avait été arrachée dans un instant où il ne jouissait plus de sa présence d'esprit et où il n'était pas en état de régler un point de cette importance » (2). Elle voulait exercer seule la tutelle de son fils et elle se plaignit amèrement à l'empereur Charles-Quint, son oncle, de la situation qui lui était faite et qui «  la dégradait » (3). Elle réclama l'autorité gouvernementale et administrative, se contentant de promettre que si «  le sieur de Metz se conduisait honorablement avec elle, il en devrait avoir bon contentement ».
L'Empereur fit faire des démarches auprès du roi de France Henri II, pour que le régent Nicolas abandonnât ses prétentions. Il agissait, disait-il, sur l'instigation du comte de Salm et quelques-uns de la noblesse (4).
L'assemblée tenue au château de Deneuvre, le 6 août 1545, et dans laquelle François Bonvalot, abbé de Luxeuil, envoyé par Charles-Quint, conseillait très habilement la duchesse Christine, définit en principe les attributions des deux régents; mais Nicolas de Vaudémont n'était pas, nous l'avons vu, de taille à lutter contre la Duchesse. «  Il n'eut que le droit de signer les dépêches et mandements après elle, de nommer à un sur trois offices vacants (la Duchesse gardait pour elle seule la collation des bénéfices ducaux), il obtint aussi une clef du Trésor des Chartes et une de la Chambre aux deniers (5). » Tout cela n'allait pas sans mécontenter à la fois la noblesse et aussi le peuple lorrain qui ne voyait dans la Duchesse qu'une étrangère.

(1) Histoire de Lorraine, 1re édition, tome II, page 1287.
(2) DIGOT, op. cit., 2° édition, tome IV, page 147.
(3) CHEVRIER, op. cit., tome IV, page 141.
(4) Lettre de Bonvalot, abbé de Luxeuil, a M. de Saint-Mauris, son beau-frère, ambassadeur de
France, citée par DOM CALMET, tome III, 2e édition, col. CCCXJ.
(5) PFISTER, op. cit., tome II, page 203.


Il est regrettable qu'il n'existe pas de relation plus détaillée du séjour de trois semaines de François de Lorraine à Blâmont en mai/juin 1545, alors même que le nouveau château (palais renaissance), n'a pas encore été construit par Christine de Danemark (il le sera de 1548 à 1552, années où Christine est seule régente de Lorraine) : résidait-il dans l'ancien château ou dans un hôtel particulier ? Qui l'accompagnait durant ce séjour ?

Toujours est-il que ce «  changement d'air et la retraite dans un lieu chaud et sec », n'est pas sans rappeler «  l'excellent air de Blâmont et la situation du château au milieu d'un parc » qui servira de publicité à la maison maternelle dès 1925, ce «  beaucoup d'air, de lumière, de soleil », mis en valeur par la cure d'air évoquée sur de nombreuses cartes postales.

 

Rédaction : Thierry Meurant

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