La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915
La Grande-Guerre
LA VIE EN LORRAINE AOUT 1914
L'Est Républicain
NANCY
Les
événements passent vue. Le souvenir s'efface, dans
le tumulte de la bataille, avec fulgurante rapidité.
En reprenant ici, heure par heure, les émotions et
les enthousiasmes par lesquels nous sommes passés,
j'ai essayé de fixer le présent pour l'avenir.
Ceci est de l'histoire sans littérature. Vous avez
déjà lu dans les journaux une grande partie de cette
épopée merveilleuse. Mais combien sont-ils, ceux qui
gardent et feuillettent les collections de journaux
?
D'autres diront comment on vivait chez eux pendant
la Grande guerre.
J'ai rassemblé ces documents qui racontent comment
on vivait chez nous..
C'est l'essence de la vie que distillent ces lignes
écrites au jour le jour.
A voir avec quelle sérénité la Lorraine envahie
travaille, produit et sourit pendant le combat, tout
Français se sent porté par une fierté nouvelle.
Lisez cela. Vivez, pour un mois, une heure avec
nous, vous serez réconfortés.
René MERCIER
UN TOUR
à la Frontière Lorraine
NANCY, 30 juillet. - Cet après-midi, j'ai eu la
curiosité d'aller voir ce qui se passait du côté de
la frontière. On raconte tant et tant de choses, et
si invraisemblables, que j'ai voulu me renseigner
par moi-même.
Et voici, comme dirait Arthur Meyer, « ce que mes
yeux ont vu ».
A bord d'une rapide Pic-Pic, avec des amis que les
événements ne troublaient guère, et dont l'humeur
railleuse résiste à tout, nous filons par un temps
admirable. Çà et là, des soldats qui font du service
en campagne, ou qui rentrent, sac au dos, à la
caserne.
Les paysans courbés sur le sol ne se redressent
point au passage de la trombe automobile. Voilà beau
temps qu'il en passe des voitures, et des voitures !
On s'arrête près de la gare de Moncel. L'ami Herment,
« le premier buffetier de France », s'approche.
- Dites-moi, est-ce qu'on laisse passer à la
frontière ?
- Oui, mais difficilement avec une auto. On prend
les noms, et on fouille la voiture.
- Bon. Et à pied ? On ne peut pas aller prendre un
bock à Pettoncourt ?
- Mais si. J'y vais avec vous, si vous voulez bien.
On s'entasse sur la Pic-Pic un peu haletante.
Sur le pont, un douanier nous arrête.
- Avez-vous des papiers ?
- Non. Il n'est donc pas permis de faire un tour
dans le village ?
- Oui bien. Mais fermez votre appareil
photographique. Et ramenez la voiture au delà du
poteau.
Très bien. On fait ce que dit le douanier allemand,
et on s'en va vers la café Sachat Et là, tout en
buvant un bock peu frais, nous apprenons :
Qu'à Moyenvic, en Lorraine annexée, à quelques
kilomètres de Vic, sur la route qui conduit à Marsal,
des chevau-léger, gardent un pont en travers duquel
ils ont mis des voitures ;
Que dans tous les villages annexés on fait des
provisions, et que les épiceries sont prises
d'assaut ;
Qu'à Metz le prix de la farine est aujourd'hui de 52
fr. 50, et qu'on paie le kilo de sucre deux mark au
lieu d'un mark dix.
Que près de Verny on a mis des cordes au travers de
la route.
Nous ne voyons pas très bien à quoi tendent des
précautions semblables qui n'ont aucune espèce
d'utilité.
Mais voilà que le brave douanier Oulmann arrive en
courant.
- Dépêchez-vous, dépêchez-vous, nous allons barrer
le pont.
On se hâte lentement vers la frontière. En effet,
Oulmann et un de ses compagnons, ayant réquisitionné
deux grandes voitures à fourrage, les conduisent
jusqu'au pont, les arrangent de façon à fermer tout
passage, et jettent dessus et dessous des fagots de
fortes branches.
- Pourquoi faites-vous cela ? leur demande-t-on.
- Ordre arrivé à l'instant. C'est parce que chez
vous on a dit que les routes étaient barrées. Nous
faisons comme vous.
Et c'est à la suite d'un racontar sans fondement ou
de quelque plaisanterie sans esprit que les
douaniers allemands de la frontière barraient, à 5
heures précises, ce soir, le pont de Moncel devant
le poteau de leur pays.
Nos gendarmes, nos douaniers et nos employés de
chemin de fer les regardaient avec le sourire.
Et nous sommes repartis à travers la campagne
française sur des routes que personne n'a encore
songé à barrer ni avec des cordes, ni avec des
voitures, ni avec des fagots.
J.B.
INCIDENT DE FRONTIERE
Lunéville, 30 juillet. -: Cet après-midi, vers 2
heures, deux sous-officiers allemands appartenant
aux chevau-légers de Dieuze, étant venus en
reconnaissance à la frontière, firent sauter le
fossé à leurs montures et galopèrent sur le
territoire français, à une distance de 250 mètres
environ du poteau.
Un marinier leur ayant fait des observations, ils se
mirent à rire bruyamment.
Peu après, M. Nicolas, préposé à la navigation, leur
fit remarquer combien leur attitude était
inconvenante.
- Tais ta g..., sale grosse tête de Français,
répondirent-ils, nous t'em... »
M. Nicolas souleva sa casquette et leur, cria : « Je
vous remercie. »
Peu après, les deux sous-officiers regagnèrent le
territoire annexé.
Cet incident fut connu vers 3 heures de l'après-midi
à Lunéville où il souleva une émotion bien
compréhensible.
Le capitaine de gendarmerie Tavernier s'est
immédiatement rendu à Xures où il a pu suivre dans
la prairie les traces des montures des cavaliers
allemands. Il a recueilli les témoignages de M.
Nicolas et du marinier. Un peloton du 178 chasseurs
à cheval s'est également rendu à Xures..
La Soirée de Jeudi
A NANCY
Jeudi soir, 30 juillet, une vive, animation régnait
dans Nancy. De nombreux habitants circulaient dans
les rues centrales, attendant des nouvelles. Dans
notre hall, une véritable foule attendait la sortie
de notre dernière édition. A onze heures,
l'animation est toujours aussi grande, puis on voit
des bicyclistes militaires circuler à toute vitesse
dans les rues. Des plantons, vêtus de là capote,
passent également dans la ville. On les interroge.
D'une phrase brève, ils indiquent qu'il y a alerte
dans les régiments.
Les groupes se forment, des conversations
s'échangent, les bruits les plus divers circulent,
mais il n'y a aucune émotion, car on s'attendait
même à une mobilisation.
Bientôt, les officiers en tenue de campagne sortent
de leurs demeures. Ils se dirigent à pied vers la
caserne. Les consommateurs sortent des cafés et tout
en causant on se rend rue Sainte-Catherine.
A la caserne Thiry, toutes les fenêtres sont
allumées. On a l'impression qu'une vive animation y
règne.
Au quartier sortent et entrent de nombreux
militaires chargés de missions à l'intérieur de la
ville.
Sur les trottoirs et sur la chaussée, la foule est
dense.
Des militaires, fusil à l'épaule, circulent d'un pas
rapide. D'un ton bref, ils commandent de « circuler
», afin de disperser les groupes qui stationnent.
Aucun murmure. Chacun obéit. On reprend la monotone
promenade de la porte à la rue Sainte Catherine.
Beaucoup de femmes sont venues accompagnées de leur
mari, d'un parent, pour voir un fils ou un frère qui
est au régiment.
Pas de pleurs, mais pas d'exubérance. Chacun
conserve son calme. On a la grande impression que
tous ceux qui sont présents sont prêts à faire leur
devoir. On S'encourage l'un l'autre. Chacun indique
son affectation en cas de mobilisation. Tous ont
relu leur livret militaire, afin d'être bien
certains de l'endroit où ils devront se rendre.
Minuit. Les hommes du 26e descendent peu à peu dans
la cour. Les compagnies se forment, les fusils sont
en faisceaux, les sacs à terre, tout cela se fait
dans le plus grand silence.
On s'approche de la grille pour apercevoir quelque
chose. L'obscurité ne permet de voir que des masses
confuses d'hommes.
Des officiers, commandants et capitaines portent à
cheval de la caserne. On les salue au passage, sans
aucune manifestation.
Il est plus d'une heure. La foule est toujours aussi
grande, mais la lassitude vient chez quelques-uns,
qui, comme à regret, quittent les abords de la
caserne pour regagner leur domicile. :
A une heure et demie, le 26e quittait la caserne, le
drapeau dans sa housse. Deux cents personnes étaient
encore présentes. Des cris de « Vive la France !
Vive l'armée ! » saluèrent nos soldats qui s'en
allaient aussi tranquilles que pour toutes les
autres alertes de nuit.
Ce n'était là, d'ailleurs, qu'une alerte, comme on
voit souvent dans l'Est, et les hommes rentreront à
Nancy ce matin.
LE STOCK DE FARINES
NANCY, 31 juillet. - Plusieurs personnes Se sont
étonnées de ce que ce matin les livraisons de
farines n'avaient pas été faites régulièrement.
Nous avons demandé aux Grands-Moulins ce qu'il y
avait de vrai dans cette information. Voici ce qui
nous a été répondu :
- Les chevaux et camions des Grands-Moulins ont été
ce matin réquisitionnés comme ceux des autres
industries. Nous n'avons donc pu livrer les farines
à temps. Nous sommes allés voir M. Laurent, maire de
Nancy, qui a mis immédiatement les camions
automobiles municipaux à notre disposition. Ce soir
et jours suivants les farines nécessaires seront
livrées régulièrement.
« Vous pouvez rassurer la population, et affirmer
que notre stock de farines suffit largement et pour
longtemps à l'alimentation de Nancy. »
Nous sommes heureux de porter ces nouvelles
rassurantes à la connaissance de nos concitoyens
A NANCY
AUTOUR DE LA CRISE
NANCY, 31 juillet. - Depuis 1870, a-t-on entendu de
fois accuser d'impéritie et d'imprévoyance les
pouvoirs publics et les divers services de l'armée
qui ont si mal fonctionné durant la campagne !
Nous ne croyons pas que pareil reproche puisse être
renouvelé dans un avenir prochain.
En effet cette période de tension prouve combien
chacun a conscience de son devoir et montre les
excellents effets d'une longue préparation.
En 1870, par exemple, le service des ambulances a
été complètement insuffisant.
Quantité d'existences ont été sacrifiées, faute de
soins.
Certes, les dévouements n'ont pas manqué, mais les
infirmières n'avaient, pour la plupart, aucune
instruction technique, et elles étaient souvent
plutôt une gêne pour les médecins.
Maintenant, au contraire, la Croix-Rouge a
d'incomparables infirmières.
Nous pouvons affirmer que le service éventuel des
hôpitaux est assuré, d'une façon parfaite, à Nancy,
tant par la Société de secours aux blessés que par
l'Union des Femmes de France Au Lycée, à l'Ecole
professionnelle, au Bon-Pasteur, à l'ancien couvent
des Dominicaines, des lits sont prêts à être
installés.
Le dispensaire de la rue Saint-Fiacre regorge de
vêtements et d'objets de pansement.
Les infirmières sont déjà venues y prendre le « mot
d'ordre »; elles ont entendu les excellents conseils
de M. le professeur Meyer, doyen de la Faculté de
Médecine.
On a repassé les blouses blanches qui seront
épinglées de la Croix-Rouge. Tous est prêt.
Nous avons le ferme espoir que nos mères nos soeurs
et nos femmes n'auront pas à se pencher sur les
souffrances des blessés. Mais enfin les précautions
nécessaires ont été prises. C'est là l'essentiel.
Nous avons été saisis d'une plainte d'habitants de
Boudonville. Il parait que la; soirée d'hier dans ce
quartier excentrique a été troublée par des appels
de clairons poussés par des jeunes gens.
On a cru à une alerte. Il y eut des réveils en
sursaut. Aussi les habitants de Boudonville
prient-ils les perturbateurs de s'abstenir désormais
de ces manifestations nocturnes.
Sur le marché, assisté à une scène pittoresque. Un
officier de réserve a eu l'idée de faire repasser
son grand sabre de cavalerie sur la meule d'un
remouleur ambulant qui n'avait jamais connu
jusqu'ici que les modestes couteaux de cuisine.
Bientôt un cercle de badauds s'est formé et s'est
livré à des commentaires amusés.
Il serait trop long de démentir tous les faux-bruits
qui courent.
On n'a nullement augmenté le prix du sel et alors
qu'en Alsace-Lorraine et en Allemagne la farine et
le pain ont augmenté de près du double, le pain chez
nous se vend toujours au même prix.
D'ailleurs le patriotisme de nos commerçants est
trop connu pour laisser supposer qu'ils tireraient
des bénéfices illicites d'une situation
exceptionnelle.
Des soldats du 20e corps ont fait, comme Ils en font
tous les ans, des exercices de mobilisation. Il n'y
a pas eu ordre de mobilisation du 20e corps d'armée.
Les exercices sont d'ailleurs plus fréquents que
d'habitude, et personne ne peut s'en étonner dans
l'état actuel des événements. Ce serait folie de
s'endormir et de ne point rassembler toutes les
chances de lutte et de paix.
L'émission de papier-monnaie ne doit troubler
personne. C'est au contraire une mesure rassurante.
Le papier-monnaie servira pour les usages courants
puisque les prévoyants excessifs accumulent l'or et
l'argent, et cet or et cet argent sortiraient tout
naturellement le jour où ils seraient indispensables
à la vie.
Le papier-monnaie procure une facilité de plus. On
ne peut que se féliciter d'en avoir.
Nous avons demandé à plusieurs personnes bien
informées si elles avaient pris toutes les mesures
pour approvisionner la population civile, en cas de
conflit aigu. On nous a pleinement rassurés à ce
sujet, et nous pouvons à notre tour rassurer la
population lorraine.
Les précautions les plus précises ont été prises sur
l'initiative de bons citoyens et avec le concours
des pouvoirs publics, pour que les vivres essentiels
ne manquent pas.
Il n'est pas mauvais que la population ait fait des
provisions. Il est inutile d'en faire pour un temps
très long.
Remercions ici ceux qui ont collaboré à cette oeuvre
de prévoyance nécessaire.
La hausse des farines en Prusse
BERLIN, 31 juillet- - Les farines de consommation ont
subi une hausse de 2 francs et s'élèvent à 65
francs.
L'escompte da la Banque d'Empire est porté à 5 % et
le taux des intérêts sur avances à 6 %.
LA PANIQUE A METZ
Nancy, 31 juillet.
Des nouvelles de Metz confirment qu'une véritable
panique règne dans cette ville.
Aussi, un grand nombre d'épiceries avaient fermé
leur magasin, ne pouvant résister à l'assaut du
public affolé qui entendait faire ses provisions.
Certains magasins ont complètement vendu leur stock,
et il en résulte que quelques articles de première
nécessité, tels que sucre, sel, farine, ont
considérablement haussé. A un certain moment, le sel
a même fait défaut.
Le maire de Metz publie un appel invitant la
population au calme. Il exhorte celle-ci à ne pas
faire de provisions inutiles, des mesures étant
prises pour assurer le ravitaillement de la
population civile. Différentes maisons ayant refusé
d'accepter le papier-monnaie, on rappelle que
celui-ci a cours forcé et que ceux qui le refusent
s'exposent à des pénalités. La banque d'empire
annonce également qu'en aucun cas et moment elle ne
fermera ses guichets.
A toutes les heures de la journée, une foule
inquiète et avide de nouvelles parcourt les rues. Le
commerce et l'industrie se ressentent vivement de
cette intolérable situation.
Il faut dire aussi que les nouvelles tendancieuses
affichées à certaines vitrines de journaux ne
contribuent pas peu à entretenir cet état de
nervosité. C'est ainsi qu'un journal de langue
allemande avait annoncé, hier, en édition spéciale
que les communications par voie ferrée avec la
France étaient interrompues, que tout le matériel de
la compagnie de l'Est était réquisitionné pour le
transport des troupes.
La Nuit de Vendredi
A NANCY
NANCY, 31 juillet et 1er août. - Dans la soirée de
vendredi, une extraordinaire animation régnait à
Nancy. Les rues Saint-Georges et Saint-Jean étaient
occupées par une foule compacte qui s'arrachait les
journaux pour avoir les dernières nouvelles,
passionnément commentées.
Il est dix heures du soir lorsqu'on placarde aux
poteaux du tramway et aux façades des maisons de
petites affiches portant l'ordre de réquisition.
A leur lecture, les commentaires vont leur train,
sans toutefois causer trop d'alarme, car cela
semblait prévu par tout le monde. Déjà les chevaux
réquisitionnés sont conduits par la bride dans les
casernes. La foule grossit sans cesse.
Un escadron du 12e dragons, avec ses chevaux
couverts de poussière, passe au Point-Central. Le
casque des cavaliers est recouvert de la housse en
toile bise. On les acclame par les cris de : « Vive
l'armée ! Vive la France ! »
Les facteurs des postes circulent rapidement dans
les groupes, sonnant aux portes des maisons. Ils
remettent des ordres de convocation pour les hommes
de la réserve.
Le public s'en inquiète, tout en continuant à
commenter les derniers télégrammes parus dans les
journaux.
A la gare, c'est une véritable cohue. Les trains
sont bondés de voyageurs qui descendent tous à
Nancy. Les colis encombrent la consigne et débordent
sur les quais pêle-mêle Des employés s'empressent à
déménager les archives des divers services qui vont
être transportés momentanément à Toul et à Epinal.
Ces deux gares seront continuellement en relations
avec celle de Nancy, afin d'assurer le départ des
convois. Employés des bureaux, chauffeurs,
mécaniciens, partent également pour Toul et Epinal,
où sera leur dépôt.
Les détachements de dragons et d'autres corps de
troupe se succèdent. Tous sont acclamés
vigoureusement. Les militaires répondent gaiement
aux souhaits qui leur sont adressés.
Déjà l'on voit les hommes de la réserve qui ont été
touchés par l'ordre de convocation circuler dans les
rues. Ils marchent par petits groupes, aisément
reconnaissables au léger ballot qu'ils portent sous
leur bras.
Instinctivement ils se sont groupés autour des
sous-officiers qui, à leur libération, sont partis
avec leur uniforme, aujourd'hui revêtu à nouveau.
Nous interrogeons des réservistes qui nous répondent
qu'ils sont partis de suite, et sans hésitation.
Devant notre salle, la foule apprécie de diverses
façons la fin tragique de Jaurès.
Toute la nuit, la foule fut très dense dans les
rues. C'est à peine si, vers l'aube elle diminue,
tandis que des groupes de réservistes continuent à
monter vers la gare.
Les hommes, s'ils avaient été un peu émus d'être
subitement réveillés en pleine nuit, et s'ils
avaient été profondément touchés par les baisers
plus tendres que d'habitude des mères, des femmes et
des soeurs, dès qu'ils avaient touché le pavé et
respiré un peu fort dans la nuit claire, avaient
reconquis leur calme gouailleur.
Non seulement ils acceptaient leur sort avec
résolution, mais encore ils se réjouissaient d'être
debout à une heure inaccoutumée, par un temps
admirable, avec les amis rencontrés par hasard.
Et puis tout le monde fraternisait, et la tutoiement
familier de la caserne fleurissait tout
naturellement aux lèvres de ces anciens soldats que
l'appel de la patrie rajeunissait jusqu'à les rendre
un peu gamins.
On eût dit vraiment d'un départ pour une partie de
campagne qui serait suivie d'une fête.
Cette foi tranquille en la destinée, cette sérénité
joyeuse, nous l'avons admirée dans les yeux de tous
ceux que nous avons rencontrés sous le ciel plein
d'étoiles, et nous avons échangé fraternellement les
« Bon voyage ! » et les « A revoir ! »
Pour la Tranquillité publique
M. Laurent, maire de Nancy, a pris l'arrêté suivant
:
Le maire de la ville de Nancy, Chevalier de la
Légion d'honneur, Vu l'article 97 de la loi du 5
avril 1884, et notamment le paragraphe 2 qui confie
au maire « le soin dé réprimer tous actes de nature
à compromettre la tranquillité publique » ;
Considérant que la situation internationale et la
perspective d'éventualités graves imposent à la
population une tension nerveuse qu'il importe de ne
pas exagérer ; que, dans ces conditions, la
publication de fausses nouvelles et leur annonce par
les moyens habituels sont de nature à provoquer des
faits dont les conséquences pourraient être très
regrettables ; Arrête :
Article premier. - Les pancartes indiquant le
contenu des journaux seront interdites lorsqu'elles
annonceront de fausses nouvelles politiques ou
militaires.
Art. 2. - Les numéros qui contiendront ces nouvelles
ne seront pas mis en vente ou seront détruits.
Art. 3. - Les cris des vendeurs de journaux sont
interdits à partir de 10 heures du soir.
Art. 4. - M. le commissaire central est chargé
d'assurer l'exécution du présent arrêté, dont
l'effet est strictement limité à la période de
tension actuelle.
Nancy, le 31 juillet 1914.
Le maire : JOSEPH LAURENT.
La Journée de Samedi
NANCY, 1ER août. - La journée est superbe, d'une
clarté toute printanière sous un beau ciel bleu, Et
l'exode des réservistes et des territoriaux vers les
casernes et vers la gare se poursuit. On continue à
amener des chevaux et des chevaux, modestes bêtes de
labour aux larges paturons comme fringants chevaux
de luxe.
A Blandan. à Landremont, à Thiry, on habille et on
habille sans cesse ; des autos arrivent et
repartent.
Tous les points stratégiques, tous les ponts sont
occupés. Au pont de Malzéville, un poste est
installé sous. les ordres d'un adjudant du 79e.
Près de la rivière, sur la prairie du « Jéricho »,
un fantassin monte la garde et contemple un pêcheur
à la ligne qui, malgré l'angoisse de l'heure, se
livre, avec sérénité, à son plaisir favori.
Ce matin, les facteurs ont distribué de nouveaux
appels pour la garde des voies de communication.
La plupart des territoriaux étaient convoqués à la
gare de Nancy. C'était plaisir de voir la gaieté et
la fermeté de ces braves gens.
Naturellement, ces appels, qui tiendront lieu - nous
l'espérons fermement encore - de période d'exercice,
ont provoqué une certaine perturbation dans la vie
nancéienne. Le service des tramways a du être
restreint, plusieurs banques et magasins ont été
fermés.
NANCY, 1ER août. - Sur la place du Marché, les
acheteurs étaient plus nombreux que d'habitude.
En peu d'instants toutes les denrées disponibles
furent achetées à des prix plus sensiblement élevés
que les samedis précédants. Les pommes de terre
étaient augmentées considérablement
Voici les prix communiqués par le service municipal
chargé de la mercuriale :
Boeuf, 1,40, 2 fr. ; veau, 1,80, 2,60 ; mouton, 1,60,
2,40 ; lard frais, 1,50, 2 fr. : lard sec, 1,40, 2
fr. ; grillade, 1,70, 2,60 ; oeufs, 1,10, 1,60 ;
beurre, 2,60, 3,60 ; pommes de terre, 20. 40 fr.
Sur le marché aux fourrages une seule voiture de
paille qui fut vendue 40 francs et deux voitures de
foin coté 45 francs. Il faut dire que la réquisition
des chevaux a empêché les cultivateurs de venir
approvisionner le marché de Nancy.
Pendant toute la matinée de samedi, la circulation
fut des plus denses dans Nancy. On ne voyait que
voitures de livraison, camions automobiles,
transporter des matériaux ou des denrées
alimentaires nécessaires aux réservistes rassemblés.
Chez divers négociants, bouchers, boulangers, des
achats ont été faits par des officiers chargés des
subsistances.
La compagnie permanente des sapeurs-pompiers a vu
ses cadres complètement dégarnis par l'appel de ses
hommes. Aussi samedi matin, on a fait appel aux
hommes de la compagnie sédentaire qui sont venus
combler les vides, afin d'organiser les services.
Des volontaires sont venus également se faire
inscrire. Ils ont de suite endossé l'uniforme de nos
braves sapeurs.
A la police, de nombreux agents ont été appelés sous
les drapeaux. Les services sont cependant encore
assurés par certains agents, qui sont classés dans
les indisponibles.
A la gendarmerie, de nombreux gendarmes faisant
partie de la réserve ont repris leur service. Il
fallait ce renfort, car depuis vendredi, le bureau
militaire a été véritablement assiégé par les
réservistes et territoriaux qui venaient demander
des renseignements.
L'après-midi, les réservistes et les territoriaux
n'ont cessé d'affluer.
La distribution des prix qui devait être faite
dimanche, après midi, à la Pépinière aux enfants des
écoles municipales, sous la présidence de M. le
maire, a été décommandée.
La distribution s'est faite samedi dans chaque
école.
Dans toute la vallée de la Haute-Moselle, les
réservistes et les territoriaux convoqués ont montré
beaucoup d'enthousiasme. Les premières convocations
avaient été remises par la poste, à dix heures du
soir. Toute la nuit des groupes n'ont cessé de
parcourir des rues en chantant la Marseillaise.
Il en a été de même à Neuves-Maisons.
A Benney. l'appariteur a annoncé, par erreur, la
mobilisation générale.
Tout le long de la voie ferrée de Nancy à Mirecourt
les gares sont occupées par des territoriaux
porteurs de brassards.
A la compagnie des tramways suburbains, le service
n'a pu être assuré.
D'anciens agents de police ont été rappelés.
LES COUPURES de 5 et de 20 fr.
sont mises en circulation
SAMEDI, à NANCY
On nous informe de source officielle que la Banque
de France, à Nancy, délivre, à partir de samedi 1er
août, les nouveaux billets de 5 et de 20 francs.
LA VENTE DU SEL
Nancy, 1er août.
Le directeur du Comptoir de sels de Nancy avant
appris que le sel était vendu par certains
commerçants à des prix supérieurs à 0 fr. 20 le
kilo, en détail, prévient les consommateurs qu'ils
peuvent s'approvisionner directement auprès de
toutes les salines des environs de Nancy, et, pour
plus de commodité, à celles de Tomblaine et de
Sainte-Valdrée, au prix de 0 fr. 20 le kilo, le sel
de cuisine, et 0 fr. 10 les 500 grammes.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
MAIRIE DE NANCY
AVIS IMPORTANT
Le Maire de la Ville de Nancy a l'honneur d'informer
ses concitoyens que des bureaux seront installés
dans les écoles municipales ci-après, pour
l'inscription des personnes qui sollicitent des
secours en raison de l'appel des soutiens de
famille..
Il fait appel à ceux de ses concitoyens dégagés de
toute obligation de service militaire, qui
voudraient bien prêter leur concours à
l'Administration dans les circonstances présentes.
Ecole de Boudonville..
Ecole Charlemagne.
Ecole Gebhart.
Ecole des Trois-Maisons.
Ecole des Grands-Moulins.
Ecole primaire supérieure de garçons.
Ecole Jules-Ferry.
Ecole Ory.
Ecole Saint-Pierre.
Ecole d'Alsace-Lorraine.
Ecole Didion.
Ecole Stanislas.
Nancy, le 1er août 1914.
Le Maire : J. LAURENT.
Armée dé terre et Armée de mer
ORDRE DE MOBILISATION GÉNÉRALE
Par décret du Président de la République la
mobilisation des armées de terre et de mer est
ordonnée, ainsi que la réquisition des animaux,
voitures et harnais nécessaires au complément de ces
armées.
Le premier jour de la mobilisation est le dimanche
deux août 1914.
Tout Français soumis aux obligations militaires
doit, sous peine d'être puni avec toute la rigueur
des lois, obéir aux prescriptions du FASCICULE DE
MOBILISATION (pages coloriées placées dans son
livret).
Sont visés par le présent ordre, tous les hommes non
présents sous les Drapeaux et appartenant :
1° A l'Armée de terre, y compris les Troupes
coloniales et les hommes des Services auxiliaires ;
2° A l'Armée de mer, y compris les Inscrits
maritimes et les Armuriers de la marine.
Les autorités civiles et militaires sont
responsables de l'exécution du présent décret.
Le Ministre de la Guerre.
Le Ministre de la Marine.
TABLEAU DE CONCORDANCE
des jours de la période de mobilisation avec les
dates du calendrier
Par décret du Président de la République la
mobilisation générale des armées de terre et de mer
est ordonnée.
Le jour de la mobilisation est le dimanche 2 août
1914.
Le 1er août de la mobilisation est le lundi 3 août
1914.
Le 3e jour de la mobilisation est le mardi 4 août
1914.
Le 4e jour de la mobilisation est le mercredi 5 août
1914
Le 5e jour de la mobilisation est le jeudi 6 août
1914.
Le 6e jour de la mobilisation est le vendredi, août
1914.
Le 7e jour de la mobilisation est le samedi 8 août
1914.
Le 8e jour de la mobilisation est le dimanche 9 août
1914.
Le 9e jour de la mobilisation est le lundi 10 août
1914.
Le 10e jour de la mobilisation est le mardi 11 août
1914.
Le 11e jour de la mobilisation est le mercredi 12
août 1914.
Le 12 jour de la mobilisation est le Jeudi 13 août
1914.
Le 13e jour de la mobilisation est le vendredi 14
août 1914.
Le 14e jour de la mobilisation est le samedi 15 août
1914.
Le 15e jour de la mobilisation est le dimanche 16
août 1914.
MESSAGE
DU
PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE
à tous les Français
Samedi soir, le ministère de l'Intérieur a
communiqué aux préfets de France et d'Algérie pour
être imprimé et affiché aussitôt dans toutes les
communes, le message présidentiel suivant :
A la Nation française !
Depuis quelques jours, l'état de l'Europe s'est
considérablement aggravé. En dépit des efforts de la
diplomatie, l'horizon s'est assombri.
A l'heure présente, la plupart des nations ont
mobilisé leurs forces. Même des pays protégés par la
neutralité ont cru devoir prendre cette mesure à
titre de précaution.
Des puissances, dont la législation
constitutionnelle ou militaire ne ressemble pas à la
nôtre, ont, sans avoir pris un décret de
mobilisation, commencé et poursuivi des préparatifs
qui équivalent, en réalité, à la mobilisation même,
et qui n'en sont que l'exécution anticipée.
La France qui a toujours affirmé ses volontés
pacifiques ; qui a, dans des jours tragiques, donné
à l'Europe des conseils de modération et un vivant
exemple de sagesse ; qui a multiplié ses efforts
pour maintenir la paix du monde, s'est elle-même
préparée à toutes les éventualités et a pris dès
maintenant les premières dispositions indispensables
à la sauvegarde de son territoire.
Mais notre législation ne permet pas de rendre
complets ces préparatifs, s'il n'intervient pas un
décret de mobilisation.
Soucieux de sa responsabilité ; sentant qu'il
manquerait à un devoir sacré s'il laissait les
choses en l'état, le Gouvernement de la République
vient de prendre le décret qu'impose la situation.
LA MOBILISATION n'est PAS LA GUERRE. Dans les
circonstances présentes, elle apparaît, au
contraire, comme le meilleur moyen d'assurer la paix
dans l'honneur.
Fort de son ardent désir d'aboutir à une solution
pacifique de la crise, le Gouvernement, à l'abri de
ces précautions nécessaires, continuera ses efforts
diplomatique ET IL ESPÈRE ENCORE RÉUSSIR.
Il compta sur le sang-froid de cette noble nation
pour qu'elle ne se laisse pas aller à une émotion
injustifiée. Il compte sur le patriotisme de tous
les Français et sait qu'il n'en est pas un seul qui
ne soit prêt à. faire « on devoir A cette heure, il
n'y a plus de partis : il y a la France immortelle,
la France pacifique et résolue. Il y a la Patrie du
droit et de la justice, tout entière unie dans le
calme, la vigilance et la dignité.
Le Président de la République française,
Signé : Raymond POINCARÉ.
Ce message, désormais historique et qui aura dans le
pays un immense retentissement et la plus haute
comme la plus réconfortante portée, est, ainsi que
le veut la Constitution, contresigné par tous les
ministres et sous-secrétaires d'Etat.
LES
CRAINTES DU LUXEMBOURG
VILLE DE LUXEMBOURG
Luxembourg, le 1er août 1914.
Concitoyens, Le gouvernement grand-ducal nous
informe que l'Allemagne a violé notre neutralité,
que des troupes allemandes sont entrées cette nuit
en territoire luxembourgeois et se dirigent vers la
capitale.
Il est à supposer que d'importants corps de troupes
suivront.
Nous recommandons à la population le calme le plus
absolu, et prions instamment tous les habitants de
la ville de s'abstenir de toute manifestation,
quelle qu'elle soit, pour ne pas soulever un conflit
qui pourrait devenir fatal pour nous et notre chère
Patrie.
Le Collège Echevinal,
Alphonse Munchen, bourgmestre.
Sturner et Murger, échevins.
LES BRAVES GENS !
Dimanche 2 août.
Quelle manifestation magnifique et que d'entrain
joyeux pour accomplis un devoir qui pourrait être
tragique, mais qui est seulement fatigant. Certes
les braves gens qui, à l'appel de la patrie,
quittaient mère, épouse, enfants, espèrent toujours
que la raison triomphera de l'affolement guerrier.
Mais ils savent aussi que dès maintenant ils sont au
service du pays. Nul n'a eu un moment de faiblesse.
Nous n'avons vu que des figures ardemment résolues,
avec cet éclair de malice qui est le charme de la
France.
La situation n'est pas telle que l'on doive
désespérer. Nous n'avons pas depuis longtemps été
aussi près du grand conflit. Pourtant les
conversations diplomatiques ne sont pas
interrompues,, et l'on peut avoir quelque confiance
dans la sagesse de la Russie, dans le poids de la
volonté anglaise, dans la souple énergie de notre
gouvernement et du président de la République.
A cette heure nous ne pouvons faire que des voeux en
faveur de la paix. Les événements se forment en
dehors de nous et au-dessus de nous.
Mis partout en France les coeurs sont fermes, les
esprits calmes, et les corps prêts. C'est avec
confiance que l'on doit envisager l'avenir, au delà
de l'ombre qui s'étend sur aujourd'hui.
Qui a vu cette nuit partir les Lorrains pour des
destinations diverses et parfois inconnues, qui a
entendu l'écho de leur mâle et élégant courage, a
pensé que les destinées de la patrie sont aux mains
de braves gens.
René MERCIER.
MAIRIE DE NANCY
Mes chers Concitoyens,
La mobilisation s'effectua à Nancy avec un sang-
froid, une résolution et un ordre qui vous font le
plus grand honneur. A votre exemple, vos conseillers
municipaux et vos employés font leur devoir, les uns
à l'armée, les autres à l'hôtel de ville. Nous
sommes tous unis dans le même esprit de patriotisme
et de sacrifice.
Voici le résultat actuel des dispositions prises :
Le prix du pain ne sera pas augmenté.
La viande manquera pendant quelque temps, parce que
l'armée, qui nous protège, a besoin de l'abattoir
tout entier.
Les autres denrées alimentaires sont en quantités
suffisantes dans les stocks. Des mesures seront
prises contre ceux qui en hausseraient abusivement
les prix. Quant à l'ordre dans la ville, il y a deux
moyens de le maintenir aussi bon qu'aujourd'hui ;
restez calmes et répondez en grand nombre à rappel
de la municipalité qui vous convie à faire partie de
la garde civile volontaire.
A cet effet un poste permanent est installé à
l'hôtel de Ville.
Vive la France !
Nancy, le 2 août 1914.
Le Maire, J. LAURENT.
PROCLAMATION
DU
MAIRE DE TOMBLAINE
Tomblaine, le 2 août 1914.
Le maire de Tomblaine informe la population que des
mesures vont être prises immédiatement pour assurer
l'alimentation des familles dont les hommes sont
pris par la mobilisation.
Il félicite les propriétaires qui sont venus lui
déclarer spontanément qu'ils ne percevraient aucune
location pendant la durée de la guerre.
Et-il témoigne à tous ses administrés son admiration
et sa reconnaissance pour le sang-froid de ceux qui
restent et l'entrain merveilleux de ceux qui sont
partis.
Le maire, LOUIS MICHEL.
Pas de changement de ministère
Nancy, 2 août.
Le bruit courait à Nancy toute la matinée que le
ministère avait été remanié d'une façon profonde. On
déclarait que M. Paul Deschanel remplaçait M.
Viviani à la présidence du Conseil, que M.
Clemenceau était nommé à l'Intérieur, M. Delcassé
aux affaires étrangères et le général Pau au
ministère de la guerre.
Cette transformation, ajoutait-on, avait été décidée
d'un commun accord entre les bons citoyens qui se
seraient noblement effacés devant ces compétences et
ces caractères que nul ne songe à discuter, et les
hommes de grande valeur qui acceptaient de
formidables responsabilités en cette période
critique. Le geste honorait également les uns et les
autres.
On donnait l'information comme presque officielle.
Nous avons cherché à savoir officiellement si cette
nouvelle était exacte.
Nous n'avons pas reçu confirmation. Il est certain
que jusqu'ici ce remaniement n'a pas été opéré. Il
est même possible qu'en haut lieu on n'y ait jamais
pensé, et que cette combinaison soit née
spontanément dans l'esprit public.
Quel qu'il soit, nous devons faire confiance au
gouvernement, qu'anime le patriotisme le plus
ardent.
Vive la France ! Vive la République !
RENÉ MERCIER.
Un peu partout
DANS LA RUE
NANCY. 2 août. - Tandis que, dimanche matin. les
compagnies de réservistes continuaient, aussitôt
formées, à gagner les avant-postes, le ciel a
manifesté un instant de mauvaise humeur. La pluie
s'est mise à tomber, simple averse d'orage
heureusement, et le soleil radieux n'a pas tardé à
accompagner de nouveau nos braves troupiers.
Et c'était de nouveau dans nos grandes artères le
passage en trombe des automobiles, des motocyclettes
militaires, des cyclistes, le pli engagé dans la
manche de la capote. C'était aussi le va-et-vient
incessant des mobilisés se rendant à la gare, avec
le petit baluchon ou la musette remplie de linge de
rechange et de victuailles.
Les sociétés de tir arrivaient de la campagne en un
attirail pittoresque. Sur un char à bancs conduit en
général par un vieux paysan, les fusils étaient
couchés, les baïonnettes au fourreau. Des sacs de
paille servaient de siège aux hommes qui
économisaient ainsi leurs jambes pour répondre à
l'appel.
Voici une auto réquisitionnée conduite par une
femme. Le papa, en tenue militaire, est évidemment
le véritable chauffeur. Il a cédé pour un moment le
volant à sa femme. Un gracieux bébé rit de toutes
ses dents, au milieu de ce couple peu banal.
Un moment après, c'est un territorial aux moustaches
argentées. Il a le fusil sur l'épaule et sac au dos,
ce qui est assez naturel, mais ce qui est plus
amusant, c'est qu'il a la main droite embarrassée
d'une énorme valise. Il court, bien sûr, à la
recherche d'un lieu convenable, où sa valise pourra
l'attendre.
Son passage promène une saine gaîté dans la rue
Saint-Jean, et lui-même finit par rire de bon coeur
de la situation.
- Deux sous les poires ! A deux sous la livre les
belles poires ! Ah ! quel bon dessert; mesdames !
C'est un vendeur du marché qui promène sa baladeuse
et qui lance son appel d'une voix de stentor.
Inutile d'ajouter que, malgré la modestie du prix,
il fait rapidement une belle recette.
Et cela prouve, tout au moins, que le Marché avait
été approvisionné de fruits en abondance.
L'ENTHOUSIASME DE PARIS
Un peu plus loin, rencontre d'un major de notre
connaissance. Il est en tenue et arrive tout droit
de Paris, où il était encore hier, à neuf heures 50
du soir. Superbe occasion d'interviewer, de savoir
ce qu'il y a de réel et de faux dans tous les bruits
qui circulent ici sur la capitale, depuis que nous
ne pouvons plus communiquer avec elle par télégraphe
et par téléphone.
Il nous assure d'abord qu'il n'y a pas eu de
changement dans le ministère, hier, avant neuf
heures du soir.
- Mais on parle de graves désordres, de révolution
même, provoqués soit par la menace de la guerre,
soit par l'assassinat de M. Jaurès ?
- Des désordres ? nous répond le major. Une
révolution à Paris ! Mais c'est faux, archifaux.
Paris est, au contraire, animé d'un enthousiasme
magnifique. Les réservistes partent au milieu des
ovations. Et je puis ajouter qu'il en a été de même
tout le long de la route. Mon képi d'officier ne
pouvait pas apparaître à la portière, aux arrêts,
sans m'attirer une manifestation de sympathie et les
cris de « Vive l'armée ! » Vraiment, l'élan est
partout admirable.
DEUX GENDARMES
Dans le groupe qui s'est fermé rapidement autour de
nous, sont deux sous-officiers de gendarmerie en
retraite. Ils sont dans une belle colère patriotique
parce qu'ils n'ont pas encore été mobilisés.
Et leur courroux est, au reste, fort justifié au
point de vue pratique, car, où trouver de meilleurs
auxiliaires pour les réquisitions ?
LES ÉTRANGERS
Il est dix heures. La place Stanislas est pleine
d'une animation extraordinaire. Il y a bien là, à ce
moment, près de 2.000 personnes, hommes ou femmes,
que maintient, d'ailleurs sans efforts, un cordon
d'agents.
Ce sont les étrangers, en résidence à Nancy et dont
on opère le recensement à la mairie.
Par groupes d'une dizaine, fis s'avancent vers
l'hôtel de ville et pénètrent dans le bureau des
immatriculations.
Qui aurait jamais cru à un contingent pareil
d'étrangers à Nancy ? Et ce sont presque tous de
jeunes hommes, soumis encore au service militaire,
déserteurs, espions peut-être. Il en est à qui cette
comparution inattendue et sans réplique devant dame
police ne semble pas sourire du tout...
Quant aux femmes, ce sont surtout des bonnes.
Espérons que parmi elles, il y a beaucoup
d'Alsaciennes, car si tontes ces cuisinières et ces
femmes de chambre-là étaient originaires de l'autre
côté du Rhin, en pourrait dire que l'Allemagne
pouvait avoir un service d'espionnage redoutable.
LES PLACES
Si la place Stanislas est extrêmement animée, la
Pépinière; est à peu près déserte. On en a oublié
aujourd'hui les ombrages pour courir vers le grand,
soleil et vers les nouvelles de la rue.
L'animation reprend sur la place de la Carrière.
La garde du palais du gouvernement est fournie par
une section du 41e territorial. Nous reconnaissons
parmi eux deux ou trois de nos plus sympathiques
concitoyens.
- Ça marche le métier ?
- Mon vieux ! Ils sont épatants, les « terribles ».
Aussi enthousiastes et aussi joyeux que des
conscrits de 20 ans. Ils n'ont qu'une peur, c'est
que maintenant tout s'arrange.
AUTOS
Une dizaine d'automobiles sont là, sous pression. A
chaque instant, l'une démarre. Une autre arrive dans
un fracas assourdissant de trompe. Un public assez
nombreux s'intéresse à ce va-et-vient et s'efforce
de savoir à une source, qu'il suppose sûre, si les
nouvelles qui se colportent dans la rue sont
exactes.
Mais il en est pour ses frais de curiosité. La
consigne n'est pas de ronfler. Elle est de se taire.
DES QUESTIONS
- Est-il vrai qu'une patrouille de uhlans a passé la
frontière à Moncel, et qu'une autre du 5e hussards,
de Nancy, lui est tombée sur « le poil » ? Le
capitaine qui commandait la patrouille a tué un des
uhlans d'un coup de pointe ?
Et les interrogations continuent sur ce thème, sans
obtenir la moindre confirmation, pas plus, au reste,
que le démenti.
On passe alors. en désespoir de cause, à une autre
question.
- Et cet Allemand qui a planté un coup de couteau
dans le dos d'une sentinelle ?
- ?: ?. ?.
- Voyons ? C'est un officier d'état-major qui l'a
dit. On a fusillé l'Allemand.
Comme le chauffeur reste muet, on est aussi peu
renseigné, ou plutôt aussi mal après qu'avant.
- On a bien fusillé aussi un espion prussien, un
officier, à Mazerulles ?
Aucune réponse encore, mais on peut tout au moins
dire que personne n'a été fusillé, ni à Seichamps,
ni à Mazerulles, pour l'excellente raison que la loi
martiale n'est pas proclamée, et qu'avant d'envoyer
ces gens-là au poteau, il eût fallu leur donner pour
le moins des juges.
INCIDENTS
L'affaire de Seichamps a pourtant un fond de vérité.
Un ivrogne a insulté un fonctionnaire. Il gémit, à
présent, sur la paille humide des cachots de Nancy.
ITALIENS AUTRICHIENS
Un patron recevait, hier, la visite de quelques
ouvriers italiens.
- Payez-nous, patron. Nous partons.
- Pourquoi donc ? Je vous ai assuré du travail
pendant tout le temps de la crise.!
- Ben oui. Mais nous voulons fiche une raclée aux
Autrichiens.
- Aux Autrichiens ? Mais ils ne sont pas en guerre
avec vous !
- Ah ! nous croyions qu'on partait contre eux ! Si
c'est comme ça, nous restons.:
Tant pis.
A PONT-A-MOUSSON
A Pont-à-Mousson, l'ordre de mobilisation fut connu
samedi, dès quatre heures du soir. Aussitôt tous les
hommes quittèrent leur travail pour se rendre à leur
destination Les hauts-fourneaux des fonder aies
furent éteints presque immédiatement. Les chevaux et
tous les animaux se trouvant dans la ville et les
communes environnantes furent réquisitionnés et
refoulés vers l'intérieur.
De nombreux étrangers manifestèrent le désir de
repasser la frontière. Les autorités civiles ne
pouvaient les en empêcher, mais les officiers
s'opposèrent à ce qu'ils franchissent les lignes de
défense, car ces étrangers auraient pu fournir des
renseignements précieux. On usa alors d'un
stratagème. On fit monter tous ces étrangers, au
nombre de près de trois cents, dans des péniches
vides se trouvant sur la Moselle, avec ordre absolu
de ne pas se hausser au dessus des plats-bords, afin
qu'ils ne puissent apercevoir la défense.
Les péniches furent ainsi conduites jusqu'à environ
deux cents mètres de l'extrême frontière, les
étrangers mirent pied à terre avec ordre de quitter
immédiatement la France. Des agents de police et des
gardes qui les avaient escortés les surveillèrent
jusqu'au moment où ils eurent entièrement disparu.
A Pont-à-Mousson, la plupart des magasins sont
fermés et la circulation est des plus restreintes.
DANS LE DÉPARTEMENT
NANCY, 2 août. - Des nouvelles reçues à la
préfecture de tous les points du département
indiquent que la mobilisation s'est effectuée
partout dans le plus grand calme et sans aucun
désordre.
Dans les bassins industriels de l'arrondissement de
Briey, on pouvait craindre des troubles en raison de
la présence des ouvriers italiens qui y résident.
L'annonce de la neutralité de l'Italie a calmé les
esprits. Aucun fait de violence n'est à signaler.
AUX ENVIRONS DE NANCY
Lundi 3 août.
Un de nos collaborateurs vient de parcourir à
motocyclette tous les environs de Nancy vers Toul et
retour par la vallée de la Moselle jusqu'à
Neuves-Maisons.
Partout la défense s'organise.
Partout règne le plus grand entrain.
Dans chaque poste, nous laissons quelques numéros de
l'« Est républicain » qui sont particulièrement les
bienvenus.
Depuis deux jours, en effet, tous ces braves
gens-sont privés de nouvelles : pas de lettres, pas
de journaux, impossible de faire parvenir leur
correspondance.
Aussi avons-nous accepté un certain nombre de
missives que nos « porteuses » remettront aux
intéressés. - Espérons que, vu les circonstances,
l'administration des Postes ne nous dressera pas de
contravention.
A Gondreville, à Maron, à Chaligny, à Messein, des
groupes nombreux composés de femmes et d'enfants -
presque tous les hommes ayant répondu à l'appel de
la patrie - discutent sur le pas des portes. Nous
leur jetons au passage notre édition de ce matin,
salué par les remerciements chaleureux de tous.
A Neuves-Maisons, nous affichons un numéro à la
devanture de notre dépositaire. Aussitôt une foule
énorme, avide de renseignements, se presse devant le
magasin. On acclame l'« Est républicain » et il ne
faut rien moins que la rapidité de notre moto pour
nous soustraire aux ovations.
Partout nous rencontrons des figures amies : aux
Cinq-Tranchées, c'est M. Heck, des Arts Graphiques,
qui rejoint à motocyclette.
Nos lecteurs comprendront qu'une grande réserve nous
est imposée sur les mesures militaires prises dans
le secteur que nous avons visité.
Qu'il leur suffise de savoir que nous remportons de
notre visite une impression des plus réconfortantes.
Au moment de quitter les siens, on a pu sentir une
larme perler au bord des cils, mais cela n'a pu
amollir les coeurs fortement trempés.
Chacun a conscience de la gravité de l'heure. Tous
ont la volonté de faire leur devoir, quel qu'il
soit. - H. F.
La Fermeture des Cafés
Nancy, 3 août
Dans la soirée le tambour de ville parcourait de
nouveau les rues pour y publier cet avis :
« Le maire de la ville de Nancy informe ses
administrés que les cafés seront fermés ce soir
(dimanche), à 10 heures. »
Par ordre, le commissaire central,
FAIVRE.
Cet arrêté municipal a été exécuté partout sans
aucun incident.
A MM. LES MAIRES
NANCY, 3 août.
Monsieur le Préfet vient d'adresser à MM. les Maires
du département la circulaire suivante :
Le Préfet aux Maires du département.
La gravité de l'heure présente vous impose des
devoirs auxquels vous saurez faire honneur.
Dans vos communes, d'importantes questions se posent
qui intéressent à la fois le bon fonctionnement de
la mobilisation, le ravitaillement de nos troupes et
la subsistance de vos administrés. Vous devrez faire
face le plus rapidement possible à ces différents
soins, pour lesquels mon conseil ne vous manquera
pas. Dans les circonstances difficiles que nous
traversons, j'ai à coeur de vous faciliter, avec la
concours de tous mes collaborateurs,
l'accomplissement de la lourde tâche qui vous
incombe.
Mais vous ne perdrez pas de vue le caractère
d'urgence que présentent les mesures que vous aurez
à prendre. Votre jugement, votre expérience et votre
esprit d'initiative vous permettront dans bien des
cas de trouver la meilleure solution, et je sais
pouvoir compter sur votre dévouement et votre
patriotisme..
Le Préfet
Georges REBOUL
Croix-Rouge Française
UNION DES FEMMES DE FRANCE
NANCY, 3 août.
L'Union des Femmes de France a mis sur pied complet
et prêts à être remplis de blessés ses deux grands
hôpitaux de Nancy (400 lits au Lycée Poincaré et 100
à Santifontaine) ; elle fait, en outre, fonctionner
son hôpital du Bas-Château (20 lits), ceux de
Saint-Nicolas et de Rosières (50 lits chacun), ceux
de Lunéville (150 lits), de Vittel (120), de
Mirecourt (40), soit plus de 900 lits, classés en
1re série dans la 20e région. En outre, elle dispose
dès à présent de plus de 500 lits qui seront
utilisés si les prévisions sont dépassées.
Enfin, dès le matin du premier jour de la
mobilisation, elle a, sur les ordres du service de
santé, ramené à l'hôpital militaire les malades,
d'ailleurs en très petit nombre, des cantonnements,
au moyen de deux convois automobiles et elle
continue à assurer ce service journalier. Elle tient
à remercier ici M. Thiry, président de
l'Automobile-Club, et tous ceux qui lui prêtent son
concours.
UN APPEL
Hier 2 août 1914, plusieurs individus ont été
frappés assez grièvement par la foule, qui s'en est
pris à leurs personnes ou à leurs établissements. Le
prétexte de ces violences est la nationalité
allemande réelle ou supposée des individus molestés.
Je demande à mes concitoyens de renoncer à se faire
justice eux-mêmes : ils doivent s'adresser à la
police ou à la gendarmerie. Et voici mes raisons :
D'abord la violence est aveugle et ingrate. C'est
ainsi que hier on a mis à mal un ancien soldat de la
légion étrangère. En second lieu, elle facilite
l'apparition du désordre, que tous les bons citoyens
doivent réprouver en ce moment plus que jamais
Enfin, nous ne devons pas supporter que des
brutalités viennent diminuer la beauté morale du
spectacle donné depuis deux jours par la fière et
digne attitude de notre ville.
Je prie instamment mes concitoyens de s'abstenir de
violences personnelles et directes contre les
suspects.
Je prie tous ceux qui verraient se produire quelques
désordres d'intervenir pour le faire cesser, en
attendant l'arrivée de l'autorité, seule compétente
pour agir.
En outre, les délinquants ne doivent pas ignorer
qu'ils s'exposent à des peines sévères.
Nancy, le 3 août 1914.
Le Maire :
J. LAURENT.
A LA MAIRIE DE NANCY
NANCY, 3 août.
L'organisation des bureaux de la mairie s'est faite
avec une rapidité, un ordre, une méthode parfaits.
L'administration municipale a envisagé immédiatement
la situation avec sang-froid. Les bureaux de la
mairie ont été complétés sans tarder. Les services
de la police ont été renforcés soit par d'anciens
agents, soit par des volontaires.
Les commissions chargées de distribuer des secours
aux familles des militaires partis au service ont
fonctionné toute la journée de dimanche, tandis qu'à
l'hôtel de ville, dans un ordre parfait,, les
bureaux recevaient les déclarations des étrangers.
Les bonnes volontés affluent à l'hôtel de ville. Les
citoyens qui n'ont plus d'obligations militaires,
ceux qui ne doivent rejoindre leurs corps ou leur
service qu'après un ordre individuel qui n'est pas
encore parvenu se sont fait inscrire en grand nombre
à la disposition du maire.
Enfin, une équipe de boy-scouts bicyclistes est en
permanence sous le péristyle de l'hôtel de ville et
porte en ville les communications municipales.
Bref, tous les dévouements s'affirment de tous,
côtés.
L'APPROVISIONNEMENT
DE NANCY
Dimanche 2 août, à six heures du soir, la
municipalité faisait publier à son de caisse l'avis
suivant :
« Demain matin, lundi, à partir de sept heures, la
municipalité fera mettre en vente par la criée
municipale, au marché de la place Mengin, des pommes
de terre, légumes divers, fruits, marée et
volailles. »
Ces denrées, qui étaient à destination de
l'Allemagne, ont été saisies en vertu du récent
décret interdisant l'exportation de diverses
marchandises.
Le Taux de l'Escompte et des Avances
Nancy, 3 août.
La. Banque de France nous communique l'avis suivant
:
« Nous avons l'honneur de vous informer que le taux
de l'escompte est porté à 6% et celui des avances à
7 %.
L'Après-midi de Dimanche
Nancy, 2 août
Contraste
Quel contraste; hier, avec les après-midi ordinaires
des dimanches d'été. L'animation se concentrait
uniquement aux endroits où l'on espérait avoir des
nouvelles. Les cafés n'avaient guère que des
terrasses vides, tant de jeunes hommes, clients
habituels, sont, là-bas, vers la frontière, l'oeil
aux aguets ! Et ceux qui restent ont assez à faire
de consoler leurs compagnes en se réconfortant
eux-mêmes !
Vive la Russie !
On doit dire cependant, une fois de plus, que si les
yeux étaient rouges encore des pleurs de la
séparation, il n y avait pas le moindre abattement
et lorsque, vers quatre heures, nous avons placardé
à l'intérieur de notre hall la nouvelle déclaration
de guerre par l'Allemagne à la Russie, ce furent de
longs cris de « Vive la France ! Vive la Russie ! »
Et après avoir uni les noms des deux nations,
alliées, on redevenait soldat, au moins par le
langage, et de vieux médaillés disaient :
- Quelle goutte ils vont prendre, les Alboches !
Nul ne doutait, en effet, et des obligations de la
France à l'égard de la Russie, et de l'issue de ce
gigantesque duel.
Un Fou
A ce moment, au débouché de la rue Mazagran, un fou
s'improvisa subitement général. Il commandait une
brigade d'artillerie et commandait le feu comme sur
un champ de manoeuvre :
- C'est trop bas Les obus tombent dans la Moselle.
Puis, le tir rectifié, il battait des mains, en
criant :
- Merveilleux ! Ce qu'on leur entre dans le « chou !
» Voyez comme Ils décampent.
Des soldats de garde intervinrent, car une foule
considérable s'était formée, et ils conduisirent le
pauvre insensé au poste de police.
A la Campagne
Beaucoup de familles, malgré l'averse de quatre
heures, avaient choisi Essey et la route de la
frontière pour but de promenade. Les rares tramways
qui se dirigeaient de ce côté étaient pleins jusque
sur les marchepieds.
Quant aux cyclistes et aux simples piétons, leur
défilé était ininterrompu. C'est qu'on espérait voir
un mari, un parent ou un ami. On lui apportait de
bonnes victuailles et l'on demandait, à tous les
postes du chemin où pouvait bien se trouver telle
compagnie de tel régiment.
Hélas ! le renseignement donné était bien vague II
consistait généralement en un geste large qui
englobait des kilomètres.
A Essey
Les rues d'Essey où, en cette saison, se succèdent
les charrettes et les chars, étaient vides de ces si
utiles embarras, réquisitionnés depuis la veille.
Et ce vide donnait un aspect étrange à cette longue
localité agricole.
De tout coeur
Comme on le voit, le moral ne faiblit point, à
mesure que le danger approche. On marchera avec
toute son énergie, avec tout son coeur.
Il a été pénible, sans doute, pour les parents, de
quitter ceux qu'ils aiment, mais ils peuvent être
sûrs du moins que leurs enfants sont des héros
Sambre-et-Meuse !.. C'est la musique du 26e qui,
accompagnée par les bravos d'une double et profonde
escorte de curieux, accompagne vers les lignes
avancées les dernières compagnies dé réservistes du
26e, arrivées au corps dans la journée.
Des Bruits
Naturellement, les bruits fantastiques signalés, le
matin, continuent à circuler, malgré les démentis.
On veut à toute force aussi que Berlin soit
ensanglanté, depuis vendredi soir, par la
révolution. L'un sait de bonne source qu'il y a eu
des tueries dans les rues ; l'autre a entendu dire
par un officier que le palais de Potsdam était en
feu.
Un télégraphiste raconte, tout émotionné, qu'il
vient d'apprendre la mort de Garros. Et quelle mort
bien digne d'un héros de l'air ! Il volait au dessus
de Moncel lorsqu'il aperçut un « Zeppelin ». Il
fonça sur le mastodonte et son hélice le troua.
Chute. Trente-sept officiers ou hommes d'équipage
sont morts. Garros, hélas ! avait payé de sa vie une
aussi glorieuse hécatombe.
L'étoile
La soirée fut marquée par toute une série d'orages.
Ciel en un mot méchant et portant à la tristesse. Il
fallait de temps en temps, pendant que grondait le
tonnerre et que claquait l'averse, faire des efforts
pour secouer ses pensées.
Mais voici soudain, dans la direction de l'Est, au
seuil d'un pan d'azur, la magnifique étoile, qui
intrigue si fort, depuis quelques jours, nos
concitoyens, par sa grosseur et son éclat :
- C'est le phare d'un « Zeppelin ». On dirait que la
lumière, bouge.
- Pas du tout, contredit une vieille grand'mère.
Cette étoile vient nous voir toutes les nuits. C'est
un « signe ».
- Le signe de la victoire, grand'mère.
Et chacun continue sa promenade, le coeur de nouveau
débordant d'espérance.
Des incidents
Voici, toutefois, deux incidents parfaitement
exacts..
Un marinier allemand allant sur Sarrebourg, avait
caché sous quelques rangées de briques, tout un
chargement de farine.
Le truc fut découvert, le bateau saisi et le
marinier arrêté.
Au boulevard de la Pépinière, un ivrogne se laissa
aller à des insultes à l'égard des Français et de la
France.
Un solide luron lui asséna entre les deux yeux un
coup de poing qui l'envoya rouler dans le caniveau,
où le poste voisin n'eut que la peine de le
cueillir, mais dut le protéger contre la colère des
curieux, sortis pour ainsi dire de terre.
Dimanche soir, vers 6 heures, un négociant de
nationalité étrangère, établi depuis plusieurs
années à Nancy, passait rue du Pont-Mouja.
Ayant été reconnu, il fut insulté et frappé. Des
gardes civils le protégèrent et purent le conduire
au bureau de police.
A peu près à la même heure, rue des Dominicains, un
individu criait : « Vive l'Allemagne ! » Il fut
aussitôt corrigé par les passants et conduit au
bureau de police.
A la caserne des pompiers
Un tour à la caserne des pompiers. Tout le monde est
là. Les hommes ne sortent pas. Nous voyons Me
Mengin, sapeur de première classe, qui cause avec le
lieutenant et le capitaine. On échange les
impressions, on se communique aussi les racontars.
Un piano égrène ses notes grêles Que faire en
attendant ? Il n'y a pas le moindre incendie.
La manille
Les esprits ne sont guère troublés. En passant
devant un café, je vois à l'intérieur quatre
officiers qui jouent à la manille, tranquillement,
posément, comme si tout à l'heure ils n'avaient qu'à
rentrer chez eux, comme si dans l'air aucun souci se
planait lourdement.
Qu'elle est jolie dans ces circonstances
l'insouciance du caractère français l
Un ancien légionnaire
Dimanche soir, vers 10 heures moins un quart, un
pénible incident s'est passé rue Sainte-Anne. Un
débitant du nom de Deisel, établi au n° 14, avait,
au cours d'une discussion, tiré un coup de revolver
sur un jeune homme, M. Marcel Gérard, âgé de 17 ans,
employé de bureau, qui fut blessé à la cheville. Les
témoins du fait voulurent assommer Deisel qui se
réfugia dans son établissement.
Peu après, des agents prévenus par des gardes civils
venaient chercher Deisel pour le conduire au bureau
central de police.
Une foule nombreuse suivit les agents, en proférant
des menaces contre Deisel. La foule s'excitant
toujours, cet homme fut frappé à coups de canne et
de poing, malgré les efforts de ceux qui
l'emmenaient. Voyant que ceux qui frappaient Deisel
allaient lui faire un mauvais parti, les gardiens de
la paix, sur l'ordre de M. Guichard, commissaire de
police, le conduisirent à l'hôtel de ville.
Sous le vestibule, on constatait que Deisel avait de
nombreuses plaies à la tête provenant des coups
reçus. M. le docteur Pierre Parisot, après l'avoir
pansé, le fit transporter à l'hôpital, dans une
automobile.
Deisel, d'origine étrangère, a fait son service à la
légion. Il est titulaire d'une médaille
commémorative.
Hors du nid
Ce matin de lundi, vers 4 heures, les avions partent
de Villers et prennent l'air au-dessus de Nancy. Au
petit jour, par un temps splendide, les bons oiseaux
de guerre sortent de leur nid et volètent dans le
ciel d'un exquise pureté Ils vont ensuite vers des
directions différentes, et disparaissent bientôt au
delà des horizons de forêts.
Le Départ des Étrangers
PAR LA GARE
Dimanche 2 août. - La gare de Nancy et ses abords
présentent un aspect on ne peut plus pittoresque.
C'est un va-et-vient incessant une véritable cohue,
de gens cherchant un ami, une parente, s'appelant,
se bousculant au milieu des coups de sifflets
stridents des machines et des cris des employés. Où
est-il le coup d'oeil qu'avait le voyageur en
arrivant dans la cour ?
Plus de ces fiacres aux chevaux paisibles et
fatigués, plus de ces groupes de cochers bruyants,
plus de ces rangées de taxis ronflants et
trépidants.
Les véhicules des hôtels de la ville ont également
disparu. Les tramways passent rarement, et leur
cloche ne jette plus dans l'air sa note monotone.
A la chaleur suffocante de la matinée l'orage a
succédé, transformant la cour en petits lacs remplis
d'une eau jaune et boueuse.
Les terrasses des cafés ne sont plus garnies de
cette foule d'habitués qui chaque soir viennent
taquiner la dame de pique ou s'entretenir des
affaires du jour.
Les garçons, vraiment peu, affairés, regardent d'un
oeil quelque peu mélancolique la foule qui passe,
l'air grave.
Les portes des grilles qui entourent la cour
extérieure de la gare sont closes, gardées chacune
par un territorial à la moustache tombante et à
l'oeil sévère.
Pourquoi a-t-on pris cette mesure ? Sans doute pour
parer à l'envahissement de la gare, ce qui serait on
ne peut plus ennuyeux à l'heure où la rapidité est
le principal facteur de la bonne marche de la
mobilisation.
Aux grilles se presse une foule hétéroclite. Des
enfants bruyants voisinent avec des femmes aux yeux
rouges... Le visage encastré entre les barreaux,
tous regardent avec une curiosité compréhensible
ceux qui crânement vont s'embarquer pour aller où la
Patrie les appelle.
Seules deux portes sont ouvertes pour permettre
d'entrer ou de sortir. Deux territoriaux, l'arme au
pied, le képi enfoncé sur la tête, veillent à ce
qu'on n'entre pas dans la cour sans montrer patte
blanche. Un lieutenant surveille de près cette
opération.
Mais où le spectacle passe du curieux au grand
pittoresque, c'est sans contredit dans la salle des
Pas-Perdus.
C'est un véritable campement. Les étrangers en effet
se hâtent de gagner, selon leur désir, leur pays ou
le lieu de concentration d'où ils seront dirigés
vers l'intérieur de la France.
Les Italiens forment la majorité du lot. Facilement
reconnaissables au chapeau de feutre à larges bords,
au maillot de couleurs vives et au large pantalon de
velours, ils ne se départissent pas d'un calme
quelque peu ahuri.
Les Allemands sont peu nombreux, car eux n'ont pas
attendu jusqu'aujourd'hui pour partir, et la plupart
ont déjà regagné leur sol natal. Ceux qui sont là se
tiennent coi, et c'est, je crois, une sage
détermination.
Dans ce mélange international, l'élément féminin est
dignement représenté par les épouses et parentes des
émigrants. Le costume qu'elles portent est un peu le
costume national.
Les Bohémiennes sont reconnaissables à leur teint
bronzé et aux grands anneaux qui pendent à leurs
oreilles. Un large foulard de couleur recouvre leurs
épaules et dans leurs bras elles tiennent la plupart
un bébé qui sommeille.
A la hâte ces émigrants ont rassemblé le plus
précieux d'un maigre mobilier, et d'énormes ballots
grimpent les uns sur les autres formant un vaste
cercle. Ils renferment le linge et les souvenirs
chers à la famille. Des miches de pain, - provision
pour le voyage - sont éparses pêle-mêle.
Les plus riches des voyageurs ont une malle ou une
valise qui, certainement, ont déjà dû voir du pays !
Du monceau de ballots émergent des outils :
truelles, pioches, pelles, marteaux, etc., fidèles
compagnons de travail de ceux qui s'en vont.
Mais voici l'heure du repas. Des profondeurs de
leurs bagages, les étrangers tirent du pain et
quelques maigres victuailles. Le chef de famille
procède à la distribution, et bientôt tous mangent
avec l'appétit que procurent le voyage et l'émotion
passée.
Le repas terminé, les hommes se lèvent et
s'assemblent pour commencer une discussion.
Les plus avisés interpellent les employés et leur
posent mille questions.
Mais les employés ont bien autre chose à faire que
de répondre à tout et à tous, et les émigrants
recommencent la discussion un moment interrompue.
Autour du campement, les voyageurs circulent,
indifférents. Les « mobilisés » arrivent sans cesse,
au bras d'une mère ou d'une épouse, portant une
lourde valise ou un petit paquet.
Les adieux sont toujours émouvants. Les yeux se
remplissent de larmes, les voix se font tendres,
douces, suppliantes ; mais la voix de la patrie est
plus forte. Après quelques baisers, quelques
poignées de main, le mobilisé gagne le quai, aussi
vaillant dans ces adieux qu'il le serait sur le
champ de bataille.
Un détachement de territoriaux est campé dans la
petite cour intérieure voisine du buffet. Assis sur
des bagages, nos vaillants troupiers de 40 ans,
mangent avec l'appétit de jeunes soldats. Leurs
longues moustaches gauloises leur donnent un air,
guerrier, et pour eux le maniement du fusil et
l'exercice n'ont plus de secrets.
Combien il est réconfortant, ce spectacle ! Pas une
plainte, pas un cri ; au contraire des rires d'une
franche gaieté et des plaisanteries. Et pourtant là
sont réunies des personnes dont les positions
sociales sont parfois bien différentes. !
Mais, sous l'uniforme, ils sont frères, et ils usent
du démocratique tutoiement comme si jamais ils ne
s'étaient quittés. Ils ont trouvé la véritable
fraternité.
La Neutralité du Luxembourg
VIOLEE PAR L'ALLEMAGNE
LONDRES, 3 août.
A propos de la, violation de la neutralité du
Luxembourg par l'Allemagne, il convient de ne pas
oublier que « l'Allemagne est une des puissances
signataires du traité de 1867, relatif à la
neutralité du Luxembourg. »
La protestation du Luxembourg
On sait que le traité de 1867 a établi la neutralité
perpétuelle du Grand-Duché, de Luxembourg. Le
principe de cette neutralité est placé, par
l'article 2 du traité, sous la garantie collective
de la France, de l'Autriche, de l'Angleterre, de
l'Italie, des Pays-Bas, de la Russie et de la Prusse
qui vient de violer le territoire luxembourgeois.
Ce cynique abus de la force et ce mépris des traités
ont provoqué la protestation de M. Eyschen, ministre
d'Etat du Luxembourg, qui adresse à M. Viviani,
président du Conseil et ministre des Affaires
étrangères, la note suivante :
J'ai l'honneur de porter à la connaissance de Votre
Excellence les faits suivants :
Dimanche 2 août de grand matin, les troupes
allemandes, d'après des informations qui sont
parvenues au gouvernement grand-ducal à l'heure
actuelle, ont pénétré sur le territoire
luxembourgeois par les ponts de Wesserbillig et de
Remich, se dirigeant spécialement vers le sud du
pays et vers la ville de Luxembourg, capitale du
Grand-Duché.
Un certain nombre de trains blindés avec des troupes
et des munitions ont été acheminés par la voie du
chemin de fer de Wasserbillig à Luxembourg, où l'on
attend de les voir arriver d'un instant à l'autre
Ces faits impliquent des actes manifestement
contraires à la neutralité du Grand Duché, garantie
par le traité de Londres de 1867.
Le gouvernement luxembourgeois n'a pas manqué de
protester énergiquement contre cette agression
auprès des représentants de S. M. l'Empereur
d'Allemagne à Luxembourg.
Une protestation identique va être transmise
télégraphiquement au secrétaire d'Etat pour les
Affaires étrangères à Berlin.
EYSCHEN, Ministre d'Etat, Président du Gouvernement.
Luxembourg, 2 août.
Violation de Frontière
L'Italie neutre
Le nouveau Ministère
Aujourd'hui 3 août :
1° Violation frontière avec réquisitions bestiaux
sur quelques points par détachements allemands
notamment environs de Belfort ;
2° Gouvernement italien a notifié officiellement
Gouvernement français déclaration neutralité Italie
;
3° Pour raisons santé, M. Gauthier, ministre Marine,
a offert démission et a été remplacé par M.
Augagneur ; M. Albert Sarraut, nommé Instruction
publique ; M. Viviani, désirant concentrer toute
action gouvernementale dans ses mains et se donner
tout entier à responsabilités, garde présidence
Conseil sans portefeuille ; M. Doumergue nommé
ministre des Affaires étrangères ;
4° MM. Abel Ferry et Jacquier, sous-secrétaires
d'Etat, ont spontanément offert démission pour
rejoindre postes mobilisation. Conseil ministres les
a félicités de ce patriotisme ; ils rejoindront
postes Verdun, Annecy, mais Conseil a refusé
démission.
Violation de Frontière
PARIS, 3 août. - La violation de la frontière avec
réquisitions des bestiaux a été effectuée sur
quelques points par des détachements allemands,
notamment aux environs de Belfort. (Officiel.)
La frontière a été violée plusieurs fois par des
patrouilles allemandes, volontairement ou
involontairement.
Nous nous sommes interdit, par esprit patriotique,
de publier les moindres renseignements sur les
opérations militaires. Mais il est bon de noter
exactement les faits quotidiens quand ils sont
précis et qu'ils ne comportent aucune indication
capable de servir des puissances ennemies, comme dit
la proclamation de l'état de siège.
Voici donc les deux faits :
A MONCEL
Un sac de dépêches enlevé. Les appareils de la poste
brisés
NANCY, 3 août. - Aujourd'hui lundi, vers 11 heures
et demie, un peloton de 24 uhlans ont fait une
apparition dans la prairie avoisinant Moncel.
Ils ont interrogé des gamins qui jouaient dans les
prairies et leur ont demandé s'il y avait beaucoup
de soldats français à Moncel et aux environs. Les
enfants répondirent qu'ils n'en avaient pas vu ou
qu'ils n'en savaient rien. Les uhlans fouillèrent
alors les gamins et emportèrent. leurs couteaux. Ils
repassèrent aussitôt la frontière.
Quelques instants après, un peloton de dix cyclistes
du 17e d'infanterie, en garnison à Morhange,
apparaissaient dans Moncel, revolver au poing et
criant : Post ! Post !
Un habitant leur indiqua la direction opposée, mais
ils trouvèrent quand même la poste où ils prirent un
sac de dépêches et brisèrent les appareils.
Ils allèrent ensuite à la gare, mais ne purent rien
saisir, tout étant déménagé.
Après quoi, toujours revolver au poing, ils
repassèrent le pont.
A RÉMÉRÉVILLE
Un officier de uhlans et un uhlan tués.
Deux dragons blessés.
NANCY, 3 août. - Ce soir, à six heures, un peloton
de uhlans, commandé par un lieutenant, dépassait la
frontière, du côté de Réméréville, et s'avançait à
deux ou trois kilomètres sur le territoire français.
Une quinzaine de dragons, les apercevant, se mirent
en chasse et foncèrent sur eux.
Le lieutenant français traversa d'un coup de sabre
la gorge de l'officier allemand, qui resta sur le
sol.
Un autre uhlan, blessé, tomba de cheval.
Le reste du peloton s'enfuit vers la frontière.
Les dragons laissèrent là le corps de l'officier
après lui avoir pris ses papiers, et ramenèrent à
Réméréville le uhlan, qui ne tarda pas à mourir des
suites de ses blessures.
Quelques instants après les uhlans revenaient
reprendre l'officier mort. On ne les inquiéta pas.
Dans l'engagement, deux dragons avaient été blessés.
L'un, qui avait le bras traversé par une balle, fut
ramené à l'hôpital militaire de Nancy en automobile
par M. Robert Stoffel, volontaire du service de
santé.
L'autre, plus légèrement atteint, fut apporté,
toujours en automobile, par M. Jules Majorelle.
M. Majorelle avait aussi dans sa voiture la lance du
uhlan mort.
A la Frontière Lorraine
NANCY, 4 août. - Lorsque des soldats en nombre sont
près de la frontière, il est évident que des
incidents surgissent assez fréquents. Il ne faut pas
que la population s'en exagère la gravité. Ce sont
des faits qu'on ne peut pas éviter.
A plusieurs reprises des patrouilles allemandes ont
dépassé la frontière. Elles sont vues par nos
soldats et vivement accompagnées comme dans
l'affaire de Réméréville, ou stationnent quelques
minutes sans être aperçues par nos troupes, comme à
Moncel, et ne sont pas inquiétées.
Ces incursions laissent généralement quelques
blessés. Ainsi ce matin on a conduit à l'hôpital des
soldats allemands qui avaient été reçus et un peu
secoués par nos avant-postes.
Les dépêches officielles résument parfaitement la
situation.
Nos concitoyens conservent d'ailleurs une sérénité
complète. Ils gardent leur sang-froid et ne se
laissent émouvoir par aucun des bruits fantastiques
qui font d'habitude frissonner les foules nerveuses.
A NOMENY
Mardi matin, une patrouille de cavalerie allemande a
pénétré dans la petite ville de Nomeny, placée à
l'extrême frontière. Les cavaliers allemands se sont
avancés jusqu'à la caserne de gendarmerie, où ils
sont entrés sans obstacles, car les gendarmes
français ne s'attendaient pas à cette brusque
attaque et se trouvaient tranquillement dans leur
bureau. Deux d'entre eux ont été faits prisonniers.
Le brigadier a pu s'enfuir en sautant par la
fenêtre. Un habitant de Nomeny a été également
emmené prisonnier par les Allemands, qui ont repassé
en toute hâte la frontière.
A BRIN
BRIN, 4 août. - Aujourd'hui, vers une heure de
l'après-midi, 20 à 25 cyclistes allemands,
accompagnés de 5 cavaliers, se sont approchés du
village de Brin et ont ouvert le feu, à la distance
d'environ 200 mètres, sur le poste des douanes
français.
Les douaniers n'ont pas riposté.
Peu après, les Allemands remontaient sur leurs
machines et disparaissaient.
Hussards et Uhlans
Nancy, 4 août.
Mardi, à onze heures du matin, une patrouille de
hussards a amené à Nancy un uhlan qui avait été
capturé du côté de la frontière. Les hussards
apportaient également une lance et un schako qu'un
lancier allemand avait abandonnés dans sa fuite.
Le prisonnier a été conduit à l'état-major du corps
d'armée, place de la Carrière. Son passage a
occasionné rapidement un nombreux rassemblement.
La première Soirée
DE
L'ÉTAT DE SIÈGE
Nancy, mardi 4 août.
Ce fut donc hier, à Nancy, la première soirée de
l'état de siège, où conformément aux prescriptions
de l'autorité militaire, cafés et magasins fermèrent
à 9 heures du soir.
On ne signale aucun incident à ce propos. On peut
même dire que les établissements visés avancèrent
l'heure officielle. Dès 8 heures et demie, les
garçons de café commencèrent déjà à ranger les
chaises sur les tables, comme ils le font chaque
soir et lorsque les neuf coups sonnèrent aux
horloges de la ville, les rideaux étaient déjà
baissés.
Au reste, ils tombèrent derrière une très rare
clientèle. Peu ou pas de consommateurs, même dans
nos principaux établissements. L'animation avait à
peu près cessé dans la rue vers 7 heures, moment où
l'on est rentré chez soi pour le dîner. Quelques
parlottes simplement au seuil des portes, entre
voisins. Naturellement, toutes les conversations
roulaient sur les graves événements de l'heure
présente.
Les dépêches officielles - les seules, désormais,
qu'on ait l'autorisation de publier - sont
malheureusement jusqu'ici rares et brèves, et l'on
supplée à leur concision en brodant dessus les
suppositions les plus singulières.
Et c'est ainsi que les incidents les plus anodins
sont déformés et qu'ils deviennent absolument
méconnaissables lorsqu'ils ont couru de bouche et
bouche.
On doit constater, en revanche, que l'on garde
intacte la plus grande confiance patriotique.
On a été, est-il besoin de le dire, heureux de la
réponse de nos voisins de Belgique à l'ultimatum
allemand, connu vers 8 heures du soir.
- Tant mieux, disait-on. L'Italie ne « marchant »
pas, les Allemands auront bientôt l'Europe entière
sur le dos.
Et un autre ajoutait avec une juste ironie :
- Et dire qu'ils n'auraient jamais cru ça. Ils se
figuraient si sympathiques !...
Quelques horions ont encore été distribués, ça et
là, à des individus à qui l'on attribuait, à tort ou
à raison, des origines allemandes.
Il faut s'efforcer de garder son sang-froid. En
courant ainsi le poing levé sur un individu
brusquement signalé comme ayant servi dans la garde
du kaiser ou les uhlans, on risque de commettre de
regrettables méprises et quelquefois même de servir
une méprisable rancune de voisins.
M. le maire vient de faire appel au calme à ce
sujet. Pourquoi n'écouterait-on point ses sages avis
? Si, réellement, on connaît des personnages assez
audacieux pour rester encore à Nancy alors que leur
place et leur coeur sent en Poméranie, pourquoi ne
pas se borner à les signaler à la police ? On peut
être sûr que le nécessaire sera fait.
Toute la nuit a été d'un calme parfait. Les rares
passants qu'un service quelconque appelait encore à
traverser les rues, s'en allaient bien placidement à
la tâche, et envoyaient un cordial bonjour aux
agents qu'ils rencontraient.
Mardi, vers 4 heures du matin, la pluie s'est mise
à. tomber de nouveau. Elle n'a pas tardé à se
transformer en averse, qui, espérons-le, comme
toutes les boutades de l'été, laissera place,
là-haut, dans la journée, au beau soleil.
Mardi est jour de marché. Il était intéressant de
faire un tour à la place Mangin, car on pouvait
craindre la pénurie des apports.
Or, si le marché n'était pas aussi bien
approvisionné qu'il l'est en temps ordinaire à
pareille saison, il était loin d'être dégarni. Ce
premier marché depuis l'état de siège, était - qui
l'aurait cru - un bon marché moyen.
Et encore, lorsque nous l'avons parcouru, vers 4
heures et demie du matin, la plupart des
épiciers-fruitiers de la ville avaient depuis
longtemps fait leurs provisions.
On trouvait facilement de gros choux, de très gros
choux du pays, pour quatre sous. Navets et carottes
n'avaient pas subi la moindre hausse : un sou le
paquet pour les premiers, ou deux beaux paquets pour
trois sous, alors qu'on en avait un de jolies
carottes pour deux sous.
Les salades étaient abondantes : un sou la pommée,
et deux têtes pour trois sous les autres espèces,
dont un seul pied suffit à garnir un saladier de
famille.
Rien de changé pour les poireaux ni les oignons.
Quelques prunes damas et deux ou trois « charpagnes
» de poires qui n'étaient pas du tout inabordables,
malgré leur nouveauté.
Mais ce qui était rare - introuvables à 5 heures -
c'étaient les pommes de terre.
Elles ont, en quelques minutes, été toutes enlevées
en gros par les restaurateurs, les revendeurs et les
fruitiers, au prix de 35 francs les 100 kilos,
c'est-à-dire, de sept sous le kilo.
Tout le long des rangées de « charpagnes », la
réponse était la même :
- Combien vos pommes de terre ?
- Monsieur, elles sont vendues.
- Mais comment se fait-il, demandons-nous à une
maraîchère, qu'il y ait si peu de pommes de terre,
alors que la récolte s'annonce relativement
abondante ?
- C'est parce qu'il n'y a personne pour les
arracher. »
Et la brave femme explique qu'étant seule à la ferme
avec son plus jeune fils, âgé de 17 ans, elle ne
peut pas suffire à tous les travaux et doit se
contenter d'arracher choux, carottes, navets,
poireaux et autres produits du jardinage.
Et puis, nous n'avons plus de chevaux, et c'est mon
fils et moi qui devons traîner la charrette. Vous
comprenez qu'on ne peut pas amener des quintaux et
des quintaux.
Mais, allez, on fait tout ce qu'on peut pour ne vous
laisser manquer de rien, et le maire nous a dit
qu'on prendrait des mesures pour nous aider à
arracher les pommes de terre. Alors, vous verrez, ça
ira.
Tout cela est dit avec une calme confiance, qui fait
tout de même plaisir.
Oui, nos maraîchères sont dignes de leurs hommes,
qui eux, ont dû abandonner la bêche et la pioche
pour prendre le fusil.
Ajoutons, puisque nous parlons d'approvisionnements,
que le pain est en abondance et que, cette nuit, à
la première heure, un troupeau de boeufs et vacher,
comprenant une centaine de têtes, est arrivé à
Nancy.
A l'aube, toutes les bêtes avaient été déjà
sacrifiées à l'abattoir.
Aux Agriculteurs
M. Louis Michel, président de la Société Centrale
d'Agriculture, adresse aux agriculteurs l'appel que
voici :
Nancy, 4 août.
Mes chers amis, La situation actuelle de la France
nous dicte notre devoir.
Pendant que nos soldats défendent, armés et
confiants, le sol sacré de la Patrie, Il faut que
nous songions à faire vivre les femmes et les
enfants qu'ils ont laissés au foyer.
Voici les mesures qu'il est nécessaire de prendre
tout d'abord pour assurer l'existence des nôtres :
La moisson n'est pas faite. Le stock de farines
n'est pas inépuisable. Il est indispensable que, par
tous les moyens, nous récoltions immédiatement le
blé, que nous le battions aussitôt, que nous
l'expédions aux moulins.
Que les femmes mobilisées se mettent dès maintenant
à la besogne, avec la faulx.
avec la faucille, quand on n'a pas de machine, que
l'on abatte le blé, qu'on transporte tout de suite
les gerbes sur les aires, dans les granges, dans les
maisons.
Que l'on batte avec les instruments que l'on a dans
le pays. Que chacun de ceux qui ont ici un peu de
vigueur saisisse la fléau.
Vous devez ensuite, avec les moyens de fortune,
apporter le blé dans les gares. La Compagnie des
chemins de fer s'est organisée pour le conduire aux
meuniers.
Mais qu'on se hâte. Il n'est pas une minute à
perdre. Toute heure retardée est une heure enlevée à
nos chances de vie.
A la moisson, mes amis !
Je n'ai pas besoin de vous demander de vendre les
blés au cours normal, de façon à ce que le prix du
pain, grâce au désintéressement des meuniers et au
sacrifice des municipalités, ne soit jamais
augmenté. C'est un devoir pour vous et je sais qu'il
est inutile de le rappeler à votre ardent
patriotisme, de maintenir le prix du blé au cours
qui permet à tous de manger du pain en France.
Amenez dans les champs les femmes, les enfants.
Moissonnez, mes chers amis, moissonnez tout de
suite.
Vous avez la charge admirable de nourrir les femmes
et les enfants de ceux qui se battent pour vous
garder cette terre où vous vivez, que vous aimez, où
poussent les belles moissons.
Coupez les blés tout de suite, pour faire tout de
suite du pain.
Vive la France !
Louis MICHEL,
Président de la Société Centrale d'Agriculture de
Meurthe-et-Moselle.
La Nouvelle de la Guerre
A NANCY
Nancy, 4 août.
C'est vers 5 heures et demie que la nouvelle de la
Déclaration officielle de la guerre a été connue à
Nancy.
On s'y attendait. Aussi n'a-t-elle été une surprise
pour personne. On se demandait, en effet, pourquoi
l'Allemagne ne nous avait pas compris dans son défi
lancé à la Russie, notre alliée, comme on se
demandait pourquoi nous ne répondions pas aux
violations répétées de notre territoire.
Ce sont là, évidemment, des dessous diplomatiques
dont l'Histoire fera connaître lui jour les raisons.
Quoi qu'il en soit, la nouvelle n'a pas plus effrayé
les Nancéiens qu'elle ne les a surpris. Lorsque nous
l'avons affichée à la devanture de notre hall, elle
a soulevé un véritable enthousiasme.
Les bravos ont retenti. On a agité les chapeaux, et
des groupes se sont formés aux accents de la «
Marseillaise »
Répandue comme une traînée de poudre d'un quartier
de la ville à l'autre, elle n'a trouvé partout que
des coeurs tout prêts au sacrifice.
- On va, confiants, à la bataille.
Sans doute, des larmes ont coulé en bien des logis
de Lorraine, comme elles ont coulé en bien des logis
de la France tout entière, - larmes, d'épouses,
larmes de mères, larmes d'enfants.
Ces larmes sont inévitables. Elles sont la rançon
des liens rompus et des affections brisées.
Mais cet hommage rendu à ceux qui nous sont chers et
que la Patrie vient d'appeler à la défendre, on
s'est souvenu des affronts répétés de l'orgueilleux
Germain, de ses bravades insolentes et c'est avec un
courage indomptable, un véritable soulagement, la
joie d'en finir et de tenir enfin la Revanche, que
l'on a accepté le défi.
L'animation s'est prolongée assez longuement, mais
sans explosion bruyantes de colère, sans incidents
tumultueux.
A présent, nous voilà prêts. Haut les coeurs ! Vive
la France !
Respect aux Prisonniers
Nancy. 4 août.
Mes chers concitoyens, Les hostilités sont
commencées ; des prisonniers ennemis arrivent et
peuvent encore arriver isolés ou en petits groupes
dans notre ville.
Il ne faut pas vous livrer contre eux à des
manifestations hostiles ou injurieuses.
Agir autrement, serait indigne de Français.
Le maire,
JOSEPH LAURENT.
De Metz à Lay-St-Christophe
LAY-SAINT-CHRISTOPHE, 4 août - M. Dujardin, le
talentueux sculpteur qui restaure la Cathédrale de
Metz, est arrivé de cette ville à
Lay-Saint-Christophe, chez un de ses parents.
Quoique septuagénaire, notre courageux compatriote a
fait le trajet à pied de Metz à
Lay-Saint-Christophe, où il a été félicité à
arrivée.
A LA NATION
Message adressé par le Président de la République au
Sénat et à la Chambre des députés.
MM. les Sénateurs,
MM. les Députés,
La France vient d'être l'objet d'une agression
brutale et préméditée qui est un insolent défi au
droit des gens.
Avant qu'une déclaration de guerre nous eût encore
été adressée, avant même que l'ambassadeur
d'Allemagne eût demandé ses passeports, notre
territoire a été violé.
L'Empire d'Allemagne n'a fait hier soir que donner
tardivement le nom véritable d'un état de fait qu'il
avait déjà créé.
Depuis plus de quarante ans, les Français, dans un
sincère amour de la paix, ont refoulé au fond de
leur coeur le désir des réparations légitimes, ils
ont donné au monde l'exemple d'une grande nation,
qui définitivement relevée de la défaite par la
volonté, la patience et le travail, n'a usé de sa
force renouvelée et rajeunie que dans l'intérêt du
progrès et pour le bien de l'humanité.
Depuis que l'ultimatum de l'Autriche a ouvert une
crise menaçante pour l'Europe entière, la France
s'est attachée à suivre et à recommander partout une
politique de prudence, de sagesse et de modération.
On ne peut lui imputer aucun acte, aucun geste,
aucun mot qui n'ait été pacifique et conciliant.
A l'heure des premiers combats, elle a le droit de
se rendre solennellement cette justice qu'elle a
fait jusqu'au dernier moment des efforts suprêmes
pour conjurer la guerre qui vient d'éclater et dont
l'Empire d'Allemagne supportera devant l'histoire
l'écrasante responsabilité.
Au lendemain même du jour où, nos alliés et nous,
nous exprimions l'espérance de voir se poursuivre
pacifiquement les négociations engagées, sous les
auspices du cabinet de Londres, l'Allemagne a
déclaré subitement la guerre à la Russie, elle a
envahi le territoire du Luxembourg, elle a outragé,
insulté la noble nation belge, notre voisine et
notre amie, et elle a essayé de nous surprendre
traîtreusement en pleine conversation diplomatique.
Mais la France veillait, aussi attentive que
pacifique, elle s'était préparée, et nos ennemis
vont rencontrer sur leur chemin nos vaillantes
troupes de couverture, qui sont à leur poste de
bataille, à l'abri desquelles s'achèvera
méthodiquement la mobilisation de toutes nos forces
nationales.
Notre belle et courageuse armée, que la France
accompagne aujourd'hui de sa pensée maternelle,
s'est donnée toute frémissante pour défendre
l'honneur du drapeau et le sol de la patrie.
Le Président de la République, interprète de
l'unanimité du pays, exprime à nos troupes de terre
et de mer l'admiration et la confiance de tous les
Français.
Etroitement unie en un même sentiment, la nation
persévérera dans le sang-froid dont elle a donné,
depuis l'ouverture de la crise, la preuve
quotidienne.
Elle saura, comme toujours, concilier les plus
généreux élans et les ardeurs les plus enthousiastes
avec cette maîtrise de soi qui est le signe des
énergies durables et la meilleure garantie de la
victoire.
Dans la guerre qui s'engage, la France aura pour
elle le droit, dont les peuples non plus que les
individus ne sauraient impunément méconnaître
l'éternelle puissance morale, elle sera héroïquement
défendue par tous ses fils dont rien ne brisera
devint l'ennemi l'union sacrée, et qui sont
aujourd'hui fraternellement assemblés dans une même
indignation contre l'agresseur et dans une même foi
patriotique.
Elle est fidèlement secondée par la Russie, son
alliée ; elle est soutenue par la loyale amitié de
l'Angleterre, et déjà, de tous les points du monde
civilisé, viennent à elle les sympathies et les
voeux, car elle représente aujourd'hui, une fois de
plus, devant l'univers, la liberté, la justice et la
raison. Haut les coeurs et vive la France !
Paris, le 4 août 1914.
Raymond POINCARÉ.
Pour le Président de la République :
Le Président du Conseil :
René VIVIANI.
A JoeUF-HOMECOURT
Paris, 5 août, 2 h. 40 Des reconnaissances de
cavalerie, des patrouilles d'infanterie ont pénétré
sur notre terrain et saccagé les bureaux des douanes
et le télégraphe à Joeuf-Homécourt.
Les chasseurs à pied ont fait prisonnier un
sous-officier de dragons allemand.
LA PENSÉE HUMAINE
triomphera
Nancy, 5 août.
L'Allemagne paraît atteinte de délire.
Elle voulait la guerre. Elle louvoyait cependant
pour que l'offensive ne vînt pas d'elle. Jusqu'à
l'extrême limite ses diplomates ont rusé lourdement.
L'Allemagne avait pris l'Autriche comme on prend l'a
poignée d'un sabre. Elle l'a lancée contre la Serbie
avec une brutalité dont il n'existe pas d'exemple
dans l'histoire du monde civilisé.
La Serbie a noblement reconnu ses torts, mais elle
n'a pas voulu se courber plus bas que sa dignité.
Toutes les nations demandaient à l'Allemagne de
décider la monarchie dualiste à entrer en
pourparlers. L'Allemagne a refusé de prendre part
aux essais de conciliation.
Par son attitude d'abord fermée et mystérieuse, puis
devenue subitement arrogante, elle a successivement
perdu toutes les sympathies qui lui restaient.
L'Italie, comprenant très clairement à la fois son
honneur et ses intérêts, s'est séparée d'elle. Et de
la Triplice il ne reste plus que l'Allemagne seule,
car l'Autriche n'est qu'un misérable instrument.
L'Allemagne orgueilleusement isolée dans l'Europe a
soulevé de nouvelles haines. Tous les peuples qui la
craignaient ne la craignent plus. Tous ont senti
qu'ils seraient la proie dès longtemps convoitée,
s'ils ne se défendaient pas.
Les Allemands ont violé toutes les lois humaines.
Ils ont envahi le Luxembourg, ce tranquille petit
pays qui a gardé à la France une si affectueuse
amitié.
Ils ont plané au-dessus de Bruxelles et ont dépassé
la frontière belge.
Ils sont entrés en Suisse, où les attendent avec une
résolution farouche les paysans qui préfèrent la
mort à l'asservissement.
Ils ont envoyé un ultimatum à la Russie, qui l'a
rejeté dédaigneusement, et qui a continué sa
mobilisation pour répondre à la mobilisation
germanique.
Au moment même où ils se massaient sur notre
frontière, ils nous demandaient insolemment de
désarmer. Le gouvernement français, sans abandonner
une seule des chances de paix, a assuré la défense
du pays.
Ils étaient à quelques mètres du poteau quand nous,
plus sages, pour éviter les incidents, en restions
éloignés de quelques kilomètres.
Ils ont envoyé leurs patrouilles chez nous quand pas
un de nos hommes n'a encore mis le pied chez eux.
Ils ont bombardé Bône et Philippeville, alors que
nos canons étaient muets..
Ils ont accumulé toutes les provocations. Nous
n'avons jamais répondu qu'avec la volonté bien
arrêtée de considérer les faits comme des événements
imprévus sur lesquels on pouvait toujours discuter
et s'entendre.
Enfin, énervés d'avoir devant eux un adversaire trop
loyal qui tendait la main lorsqu'ils tendaient le
poing, à bout de ruses, ils ont déclaré la guerre.
Maintenant c'est net.
Nous avons à défendre notre honneur, notre vie, nos
biens, la France.
A cette heure, et depuis quelques jours déjà, il
n'est plus de partis. Les Allemands n'ont pas devant
eux des républicains et des royalistes, des
révolutionnaires et des conservateurs. Ils ne
trouveront que des Français unis dans la même pensée
patriotique pour défendre leur pays et garder la
civilisation contre le dernier sursaut de la
barbarie.
Ils ont aussi devant eux la Russie et l'Angleterre,
maintenant révoltée par l'invasion de sa voisine et
amie belge, et ces petits pays, libres qui ne
veulent pas mourir, la Belgique, la Hollande, la
Suisse, le Danemark.
Ils ont devant eux la Serbie, le Monténégro, et sans
doute bientôt tous les pays balkaniques.
Toute la pensée humaine s'est dressée contre
l'Allemagne.
La barbarie sera refoulée.
La pensée humaine triomphera.
Finis Germaniae.
RENÉ MERCIER.
LES OBSÈQUES
du premier Soldat français tué par les Allemands
C'est le chasseur à cheval Pouget du 12e régiment
PONT-A-MOUSSON, 5 août. - Aujourd'hui; mercredi, à 2
heures, a eu lieu au milieu d'une affluence
considérable, l'enterrement du premier soldat tué à
l'ennemi.
Le cercueil était littéralement couvert de fleurs et
couronnes apportées par des mains patriotes.
Le deuil était conduit par MM. les Officiers du 12e
chasseurs à cheval, ayant à leur tête le capitaine
Quenel, commandant le 1er escadron, auquel
appartenait le défunt.
M. Thirion, ordonnateur de l'hôpital, représentait
la famille absente.
MM. Bonnette, conseiller général, et Bertrand,
premier adjoint, précédaient les autorités et les
sociétés locales. Une foule évaluée à plus de mille
personnes suivait le cortège conduit par M. l'abbé
Zinsmeiter., curé doyen de Saint-Martin. Des
chasseurs à pied rendaient les honneurs au passage.,
Après l'absoute, au cimetière, M. le capitaine
Quenel, dans une vibrante improvisation, flétrit
l'acte criminel qui a privé la France d'un de ses
vaillants défenseurs tué au signal de Vittonville,
en territoire français, avant la déclaration de
guerre.
Il lit l'ordre du jour du colonel commandant le
régiment qui demande à ses chasseurs de venger
l'assassinat de leur camarade.
M. Thirion, ensuite, prononça l'allocution suivante
:
« Mesdames, Messieurs,
« Avant de laisser fermer cette tombe si
prématurément ouverte, j'ai tenu, au nom de la
Commission administrative de l'hospice représentant
la famille, à adresser un dernier adieu à cette
malheureuse victime des balles ennemies.
« Chasseur Pouget, vous qui êtes tombé frappé à mort
d'une manière si inopinée, si inattendue, d'une
façon que je n'ose qualifier en ce moment critique,
craignant de dépasser les bornes, vous qui, comme
votre aîné de 1870, cavalier lui aussi au 12e
régiment de chasseurs, tombez le premier au champ
d'honneur, soyez assuré que vos camarades du 1er
escadron du 12e régiment de chasseurs vous vengeront
et que comme tous ceux qui ont l'honneur d'être sous
les plis du drapeau tricolore, ils feront leurs
devoirs aux cris de :
« Vive la France !
« Pour votre famille,
« Pour la France,
« Pour la cité mussipontaine,
« Adieu, chasseur Pouget ! Reposez en paix ! »
Le voeu du colonel du 12e régiment de chasseurs a été
vite exaucé, car le cortège rentrait à peine qu'un
peloton prenait quatre chevau-légers, faits
prisonniers près de Landremont.
DES DRAGONS ALLEMANDS
surpris à Norroy-le-Sec
Paris. 6 août, 1 h. 20.
A Norroy-le-Sec, des dragons allemands ont été
surpris par des cavaliers français.
Ils eurent cinq tués, deux blessés, un prisonnier.
Aucune perte, française.
Les Armes fleuries
Nancy, 6 août
Ce matin j'ai vu passer dans la rue Saint-Georges un
régiment en armes.
Les hommes marchaient au pas, avec cette souple
cadence qui mène vite et loin. Pas un cri, pas une
plaisanterie.
Des figures souriantes sous les poils pourtant un
peu longs que l'on n'a plus le temps de faire
tomber. Des yeux clairs, luisants d'espérance, et
malins aussi, des yeux qui se préparent à regarder
et à voir, pendant que les mains sont prêtes à
l'action.
Est-ce qu'il y a des pioupious de l'active, des
hommes de la réserve, des papas de la territoriale ?
Je ne sais. L'esprit des jeunes a mûri d'un coup.
Les autres plus âgés ont subitement rajeuni. le ont
le même âge, l'âge auquel on sert, la Patrie et la
Liberté.
Ils sont soldats.
Et l'on aurait pleuré à voir toutes ces faces
d'enthousiasme réfléchi si l'on n'avait besoin
aujourd'hui de toute sa force morale et de toute son
énergie physique.
Ils s'en allaient au pas vers la frontière.
Point farouches certes. Plutôt ironiques dans leur
discipline, héroïques avec cette pointe de
scepticisme fataliste qui fait dire : Bah ! on verra
bien !
Le régiment avait passé par les bois et par les
champs. Et tous, vous entendez bien, tous, tous les
soldats avaient glissé dans le canon du fusil une
fleur sauvage ou des branches vertes. L'instrument
de mort, ils l'avaient orné joyeusement, en gamins
joliment insolents qui bravent tout, et rient
toujours.
Ah ! les chers petits pioupious, comme on les
comprend davantage, comme on les aime mieux quand on
les voit ainsi passer gaiement, et quand leur
bravoure s'attarde aux coquetteries ! Il est
toujours le même, le Français.
Autrefois il faisait la guerre en dentelles.
Maintenant il va au combat avec des armes fleuries.
RENÉ MERCIER.
LES FRANÇAIS
ont franchi la Frontière
Paris; 7 août, 2 h 55.
Nos troupes qui, jusqu'au jour de la déclaration de
guerre avaient respecté la zone de huit kilomètres,
ont franchi la frontière.
Des chasseurs français ont, près de Belfort, fait
prisonniers deux officiers allemands en
reconnaissance.
LES FRANÇAIS
à Vic et à Moyenvic
Nos escadrons ont occupé Vic et Moyen-Vic.
(Communiqué officiel du vendredi 7 août.)
LES ALLEMANDS
ont assassiné
DEUX ENFANTS
Paris, 7 août.
Sur la frontière de l'Est, on ne signale Aucun
engagement sérieux.
A Morfontaine, près de Longwy, les Allemands ont
fusillé deux enfants de quinze ans qui avaient
prévenu les gendarmes de l'arrivée de l'ennemi.
A Blâmont, un sous-officier français a été achevé
par les Allemands, (Officiel).
L'oncle Hansi s'est enrôlé
Gérardmer, 7 août.
Le dessinateur alsacien Hansi a précédé dans le
chemin du devoir de nombreuses personnalités telles
que MM. Barrés et Lamy, académiciens, et le
lieutenant Millerand. Il y a déjà huit jours, le 1er
août, qu'il prit le train pour Epinal où il voulait
s'enrôler Nous le vîmes à Gérardmer l'avant-veille
de son départ. On parlait avec lui des manoeuvres des
troupes à Longemer et des possibilités de guerre
avec l'Allemagne. Nous pensions bien qu'il
s'enrôlerait, et, en effet, il répondit en souriant,
avec la bonhomie qui lui est coutumière :
- Je serai parmi les mille premiers qui passeront la
frontière. J'ai une facture à régler là-bas ! »
Un Tour de Ville
Nancy, 8 août.
La fièvre des premiers jours, l'anxiété de l'attente
maintenant peu à peu disparaissent. Les premières
nouvelles sont meilleures encore qu'on n'aurait pu
les espérer, et contribuent à affermir les courages
et à rendre à chacun tout son sang-froid.
Aussi les rues de Nancy n'ont plus rien de
l'animation des jours passés. Tout est calme, et le
va-et-vient, diminué par les absences, monte ou
descend absolument comme dans un temps normal, à ce
détail près que chacun s'aborde par une question
unique : celle des bonnes dépêches de la guerre.
Et certes, la joie est grande, mais elle n'est
aucunement bruyante. C'est un contentement tout
intime que l'on savoure délicieusement.
Quelques magasins, mais très peu, sont fermés. La
cause ? On la devine. En revanche, nous avons de
nouveaux établissements venus de loin ! Bien
entendu, ce n'est pas la concurrence, mais le bon
esprit gaulois, qui est en jeu. Ainsi, un de nos
amis, actuellement à Paris, a pu lire là-bas sur un
salon de coiffeur, faubourg Montmartre, une pancarte
avec ces mots : « La maison est transférée à Nancy,
au 79e d'infanterie ! »
Quel que soit le poste d'honneur où se trouve
actuellement le 79e, on peut supposer que les
camarades du coiffeur parisien ne se font pas, en sa
compagnie, beaucoup de cheveux.
Le bruit des voitures, le gémissement des trompes
d'autos, les pétarades des motos, le grincement
particulier des essieux de fourragères s'en sont
allés pour une bonne part vers d'autres lieux. On
aime à croire que l'espèce de surdité qui en
résultait pour les habitants n'aura été qu'un
accident éphémère. Ah ! on n'est pas près d'oublier
cette cacophonie énorme de sons rauques ou aigus,
glapissants ou chantants, de toutes les cornes, de
toutes les trompes, de toutes les ferrailles !
Nos territoriaux continuent à être d'une bonne
humeur bien française. Leurs enfants et leurs
femmes, qui vont, lorsqu'ils ne sont pas trop loin,
les embrasser et leur porter quelques douceurs, sont
avec raison fiers de leur mari, de leur papa.
Ils montent la garde avec la sévérité des anciens.
Ne sont-ils pas, d'ailleurs, les plus anciens parmi
les anciens ? On en voit qui, en temps ordinaire,
ont valet de chambre, chauffeur et cuisinier, et qui
passent aujourd'hui gravement dans les rues portant
les vastes gamelles aux camarades de garde ou bien
les boules de son qu'entoure et maintient une
courroie.
Tel négociant connu, la cruche en main, est chargé
de la corvée de café. Tel autre ne rougit point de
prendre le balai pour la toilette du corps de garde.
Et tout cela se fait simplement, sans fausse honte,
ni gloriole, ni murmures. Pouvait-on s'attendre à
mieux ?
Naturellement, aux grilles des casernes, c'est un
défilé continuel de marmots et de femmes, qui
cherchent à apercevoir ceux qui les ont quittés, ou
bien qui viennent là, simplement en curieux, dans
l'espoir d'assister à la descente de quelque uhlan
fait prisonnier.
On en montre à Thiry, qui passent leurs journées, de
l'aube au soir, et portent avec eux un bout de
fromage, de saucisse et de pain, afin de ne pas être
partis au moment escompté Ils sont, au reste, payés
de leur persévérance, car, chaque jour amène un
certain nombre d'Allemands prisonniers On ne
manifeste point. Ni cri de joie, ni injure. On les
regarde et l'on se borne à se rappeler qu'ils
n'étaient pas venus dans les mêmes conditions en 70.
1914 est la glorieuse revanche.
Le service des bons de pain, de viande et de lait
commence à fonctionner sans trop d'à-coups Tout le
monde, fournisseurs et clients, y mettent de la
bonne volonté.
Certains bouchers, devenus depuis déjà fort
longtemps bouchers honoraires grâce à une aisance
bien gagnée, ont remplacé à l'étal leurs jeunes
camarades partis au régiment Ils sont tout heureux
de pouvoir ainsi, à leur façon, servir aussi la
France. On ne peut qu'applaudir à ce geste
patriotique.
Enfin, on sera heureux d'apprendre que le Syndicat
de la boucherie, d'accord avec la municipalité,
vient de décider que les abats de la boucherie
militaire ne seront pas perdus.
On va les recueillir et les envoyer dans un certain
nombre de boucheries ou d'écoles de chaque quartier,
qui seront incessamment désignées, et où ils seront
distribués aux familles nécessiteuses, en commençant
par celles dont les chefs sont sous les drapeaux.
Ces familles recevront un bon qui indiquera la
quantité à délivrer, suivant le nombre de bouches à
nourrir. Les distributions se feront ensuite
conformément aux indications du bon. Ainsi une
famille de trois personnes, par exemple, recevra
trois tranches de foie ou de poumon, et une plus
nombreuse verra ce nombre de tranches augmenter au
fur et à mesure que le nombre des personnes restées
à la maison deviendra lui-même plus grand.
Comme on le voit; chacun s'ingénie, dans la mesure
de ses moyens, à rendre moins dure aux malheureux
une période oui aurait pu être pour eux pleine de
souffrances et de privations.
Tous les coeurs, en un mot, sont unis dans un même
élan de fraternité patriotique.
Les Français battent les Allemands
A ALTKIRCH et se dirigent vers Mulhouse
Les Alsaciens-Lorrains arrachent les poteaux-
frontière
Paris, 8 août, 16 h.
(Officiel) Les troupes françaises ont franchi la
frontière d'Alsace.
Elles ont livre un combat très violent à Altkirch et
ont poursuivi les Allemands en retraite.
Elles continuent le mouvement dans la direction de
Mulhouse.
Le succès de nos troupes est extrêmement brillant.
Les Alsaciens-Lorrains, joyeux de voir arriver les
troupes françaises, ont arraché les poteaux
frontière.
SUR LE MARCHÉ
Nancy, 8 août.
La place Mengin était encore assez bien
approvisionnée ce matin, samedi, mais les acheteurs
n'étaient pas très nombreux. Aussi la vente
était-elle relativement lente, avec une tendance à
la baisse, qui s'explique par l'absence de tant
d'hommes appelés sous les drapeaux.
La salade était surtout en abondance. On avait une
belle endive pour un sou. Les autres espèces étaient
à l'avenant.
Les carottes se vendaient 1 franc la douzaine, ou
plutôt les treize paquets ; les navets 40 centimes
la douzaine de bottes ; les oignons, de 8 à 10 sous,
toujours la douzaine de bottes, avec la treizième,
selon l'habitude, par-dessus le marché.
Un beau chou ne dépassait pas quatre sous. Les fèves
vertes se trouvaient facilement à trois sous la
livre et les jaunes à quatre sous. Quelques lots,
très jolis, se sont vendus cinq sous la livre ou
bien neuf sous le kilo.
Les pommes de terre sont toujours rares. Malgré
cela. elles n'ont pas augmenté.
On les vendait de 25 centimes le kilo les plus
petites à 30 centimes les plus grosses.
Les damas valaient trois sous la livre, et, malgré
ce prix peu élevé, leur écoulement n'était pas très
rapide. Ajoutons que le marché finit seulement à dix
heures.
On doit savoir gré à nos vaillantes maraîchères de
continuer ainsi à nous approvisionner à bon compte
en légumes, malgré, pour la plupart, l'absence de
leurs maris ou de leurs grands fils. Elles auront
bien mérité des habitants de Nancy.
MULHOUSE est à nous
Devant Altkirch - A la baïonnette. - Les Allemands
s'enfuient - Les dragons les poursuivent - Altkirch
fait aux soldats français un accueil enthousiaste. -
Les Français entrent à Mulhouse, salués par les
acclamations.- Les Allemands en déroute.- En avant !
Paris, 9 août, 2 h. 30.
(Officiel.)
C'est vendredi soir que la brigade française est
arrivée devant Altkirch, défendue par de très forts
ouvrages de campagne occupés par une brigade
allemande.
Les Français donnèrent l'assaut avec une magnifique
ardeur.
Un régiment d'infanterie notamment chargea
furieusement et enleva les retranchements.
Les Allemands s'enfuirent, abandonnèrent les
retranchements et évacuèrent la ville Un régiment de
dragons poursuivit vigoureusement les Allemands,
leur infligeant des pertes sérieuses.
Un colonel et sept officiers français ont été
blessés.
La nuit permit aux Allemands de se dérober.
Les Français entrèrent à Altkirch, accueillis avec
enthousiasme par les Alsaciens, qui arrachèrent les
poteaux-frontière, et portèrent les soldats en
triomphe.
A l'aube, l'avant-garde repartit sans rencontrer les
Allemands, qui avaient abandonné les ouvrages de
campagne qui défendaient Mulhouse.
Les Français pénétrèrent à Mulhouse à cinq heures du
soir, salués par des acclamations frénétiques.
La cavalerie française poursuivit l'arrière garde
allemande.
Les avant-postes français s'établirent au nord de
Mulhouse.
Durant les opérations, l'ardeur prodigieuse des
Français permit à notre brigade de mettre en
complète déroute la brigade allemande retranchée.
Les pertes françaises ne sont pas excessives.
Les pertes allemandes sont bien supérieures.
L'occupation de Mulhouse aura un important
retentissement en Alsace où elle aggravera la
situation allemande.
Les Allemands se sont retirés dans la direction de
Neuf-Brisach, toute l'Alsace soulevée contre eux va
aggraver les difficultés de leur situation.
Le général Joffre a adressé à l'Alsace une
proclamation qui a été aussitôt affichée et lue avec
passion par les Alsaciens. M. Messimy, ministre de
la guerre, a adressé au général en chef le
télégramme suivant :
« Mon général, l'entrée des troupes françaises à
Mulhouse, aux acclamations des Alsaciens, a fait
tressaillir d'enthousiasme toute la France. La suite
de la campagne nous apportera, j'en ai la ferme
conviction, des succès dont la portée militaire
dépassera celle de la journée d'aujourd'hui. Mais,
au début de la guerre, l'énergique et brillante
offensive que vous avez prise en Alsace nous met
dans une situation morale qui nous apporte un
précieux réconfort. Je suis grandement heureux, au
nom du Gouvernement, de vous exprimer toute ma
gratitude.
Signé : MESSIMY.”
Voici le texte de la proclamation du général Joffre
:
« Enfants de l'Alsace, après des années d'une
douloureuse attente des soldats français foulent à
nouveau le sol de votre noble pays. Ils sont les
premiers ouvriers de la grande oeuvre de la revanche.
Pour eux, quelle émotion et quelle fierté ! Pour
parfaire cette oeuvre ils ont fait le sacrifice de
leur vie. La Nation française unanimement les pousse
et dans les plis de leurs drapeaux sont inscrits les
noms magiques du droit et de la liberté
Vive l'Alsace ! Vive la France !
Le général en chef des armées françaises,
JOFFRE. »
Mulhouse était le siège de l'état-major de la 58e
brigade d'infanterie allemande et de la 29e brigade
de cavalerie, appartenant au XIVe corps d'armée.
La garnison se composait des trois bataillons du
112e d'infanterie et des 1er et 3e bataillons du
112e d'infanterie, et des cinq escadrons du 22e
régiment de dragons et du 5e régiment de chasseurs à
cheval.
(à suivre) |