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La Grande guerre du XXe siècle
Avril 1915
Les morts glorieuses
Le soldat
Maurice Bracquemond, du 17e chasseurs à pied
16 novembre 1914.
Le soldat Maurice Bracquemond, du 17e chasseurs à
pied, a été tué à l'ennemi, le 8 août dernier. Voici
la belle lettre que le lieutenant X. (aujourd'hui
capitaine) a adressée à la mère de ce brave :
1er novembre 1914.
Maurice Bracquemond est le premier chasseur sous mes
ordres qui ait été appelé par Dieu à donner sa vie
pour la patrie, et les conditions dans lesquelles le
sacrifice est survenu vous donnent le droit d'être
fière entre toutes les mères en deuil.
Il était parti avec moi, deux jours avant la
mobilisation de la couverture, quatre avant la
mobilisation générale, six avant la déclaration de
guerre. Appelé par la confiance de mon chef de
bataillon à partir avec quelques braves, j'avais
choisi Maurice en raison de sa résistance physique
(il s'agissait de faire de longues courses en
bicyclette), de son adresse au tir (on pouvait
tomber à chaque pas dans une embuscade), de son
grand calme (qui seul permet de sortir victorieux
des sérieuses difficultés), et de sa résolution à
faire tout son devoir.
Depuis plusieurs jours, nous manoeuvrions avec
conviction, avec enthousiasme, avec foi, lorsqu'il
réussit à faire prisonnier un uhlan, après avoir tué
la monture de ce dernier. Il le ramenait, en
compagnie du sergent, lorsque le sale Boche, indigne
de la grandeur d'âme de votre fils qui lui avait
conservé la vie, profitant d'une fusillade qui
rendait pour mes deux camarades la situation
difficile, s'empara de l'arme de l'un d'eux et
assassina le plus proche, Maurice, le brave.
Le sergent le vengea immédiatement en abattant
l'assassin, mais ne put malheureusement rien faire
pour le sauver : Maurice avait été tué sur le coup.
Il repose dans le cimetière de Blamont, dans la
fosse commune réservée aux braves Français qui sont
morts au champ d'honneur, à côté d'un pauvre
brigadier de chasseurs à cheval, blessé et achevé
par les Allemands, dans des conditions qui
émouvraient la famille de ce dernier, à côté d'un
pauvre dragon, à côté de nombreux camarades.
Il repose dans la paix du Seigneur, dans cette paix
réservée à ceux qui ont vécu sans reproche. Il y
reposera toujours, Madame, car vous le laisserez là
avec ceux qui ont consommé le même sacrifice, avec
ceux auxquels la ville de Blamont, reconnaissante,
élèvera un monument digne de leur dévouement, de
leur énergie à défendre les foyers, les femmes, les
fils des Vosges, avec ceux qui seront l'objet,
chaque année, de soins minutieux de la part de la
grande famille française, représentée à Blamont par
une population trop éprouvée au cours des siècles
pour ne pas traiter les tombes, de militaires avec
le plus profond respect, avec le plus beau
recueillement.
Et, le laissant là, vous l'irez saluer sur la tombe
militaire la plus proche de votre habitation, où
reposera peut-être le fils d'une mère de Blamont, en
tout cas le fils d'une femme française.
C'est le propre de la guerre de stimuler assez les
énergies, d'élever le moral, de vivifier assez la
foi pour permettre aux mères, aux veuves, aux
orphelins, de ne pleurer que sur les sacrifices
nationaux, et dans la mesure seulement où les
événements l'exigent, pour éprouver la joie calme de
la victoire finale.
Que cette énergie, ce moral, cette foi, Madame,
constituent le baume de votre douleur, que je
respecte et devant laquelle je m'incline.
[Eclair.]
La
Grande guerre du XXe siècle
Octobre 1916
Les « gosses » héroïques
Emile Bigarré
(15 ans 1/2).
Au cours du défilé des Sociétés de préparation
militaire dans la cour de l'hôtel des Invalides, le
général Galliéni remarqua un jeune homme, presque un
enfant, qui portait avec crânerie l'uniforme des
chasseurs à pied
- C'est un jeune héros, lui dit-on.
On l'amena au général, et, timidement, il conta son
histoire:
Emile Bigarré a quinze ans et demi. Il est né à
Blamont (Meurthe-et-Moselle) et a perdu ses parents,
réfugiés il ne sait où.
Ce petit gars s'est battu comme un lionceau. Blessé
à la jambe droite, au coude et à la main gauche, il
refusait de quitter les soldats du 7e bataillon, qui
l'avaient recueilli. Il fallut, à Rozières, où il
reçut sa dernière blessure, qu'on lui donnât l'ordre
formel de se retirer pour qu'il consentît à se
laisser panser.
- Mon enfant, lui dit le général Galliéni, tu as
porté avec honneur l'uniforme des chasseurs à pied.
Tu as fait dignement figure dans leurs rangs.
Donne-moi la main. Tu es un brave !
[Bulletin des Armées. 12-14 nov. 1914.]
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