Si l'abbé Dedenon donne, dans son Histoire
du Blâmontois dans les temps modernes, peu de renseignements sur
le siège de Blâmont en 1636, il est plus disert sur celui de 1638, avec
indications de nombreux détails ; mais ainsi qu'il l'indique dans ses
notes, il a relevé ses informations dans les « Campagnes de Charles
IV » de Ferdinand Des Robert (1836-1910). Voici donc ci-dessous les
extraits de cet ouvrage, le Tome I restant très bref sur la siège de
1636, mais effectivement plus précis dans le Tome II concernant 1638.
On notera d'ailleurs aussi que la version de la mort de Mathias Klopstein en 1636 donnée par Dedenon (« L'assaut fut
donné le 29, du côté du grand jardin; deux attaques furent repoussées,
mais, le lendemain, la place fut prise par escalade. Le massacre fut
horrible. Sous prétexte de venger un outrage fait à un prince du sang,
Bernard fit tuer tous les défenseurs. Mathias de Klopstein, trouvé mort,
fut pendu à une tour, en signe d'ignominie ») ne peut
provenir de Des Robert.
Il s'agit plutôt de la reprise de Dom Calmet « En 1636
Klopstein Gouverneur de Blamont mit le feu à la Ville à l'approche du
Général Bernard Duc de Saxe Veimar, & se retira dans le Château ; il s'y
défendit avec tant de vigueur, que les Assiégants irrités de sa
résistance, le firent pendre devant la Porte du Château, après avoir
passé la Garnison au fil de l'épée. » (Notice
de la Lorraine), avec ajouts de quelques détails non sourcés.
Henri Lepage reprend cette information sous la forme «
un Klopstein, qui en était gouverneur, y mit le feu et se retira dans le
château; il s'y défendit avec tant de vigueur que les ennemis, devenus
maîtres de la place, le firent pendre à la porte du château, et, non
contents de cette honteuse vengeance, passèrent la garnison au
filée l'épée. » (Le Département de la Meurthe).
Dans son tome II, Des Robert donne une piste complémentaire sur cette
exécution, en évoquant le cas du Gouverneur de Fontenay ayant résisté à
l'envahisseur :
« Amené devant Longueville, celui-ci lui demande s'il connait le
sort qui l'attend pour avoir résisté si longtemps dans une bicoque.
Le Lorrain répond au vainqueur qu'il sait ce qu'il l'attend [...].
Longueville fut touché par un si grand courage, mais le code
militaire de cette époque punissait de mort quiconque voulait défendre
une place trop faible pour résister longtemps. On pendit le
gouverneur lorrain aux fenêtres du château de Fontenay »
(voir à ce sujet
Peine de mort pour le défenseur de
Blâmont - 1636)
Campagnes de Charles IV
duc de Lorraine et de Bar, en Allemagne, en Lorraine et en
Franche-Comté, 1634-1638, d'après des documents inédits tirés des
archives du Ministère des affaires étrangères
par F. DES ROBERT
Tome I
1883
NDLR : notes renumérotées
[...]
Le 10 juin [1636], la Valette fut aux portes de Haguenau et ravitailla cette
ville, dont les Croates de Gallas, se retirant vers Saverne,
abandonnèrent le blocus immédiatement. Le cardinal de la Valette reçut
les félicitations de Richelieu.
Weimar avait été aussi heureux que la Valette. S'étant fait ouvrir les
portes de Sarrebourg- et de Phalsbourg, il s'était emparé de Sarrebrück
et avait réussi à se rendre maître d'un fort de Saverne (1). Le général
de l'armée suédoise était à court de munitions, mais les Impériaux, qui
avaient appris l'entrée du prince de Condé en Bourgogne, faisaient
marcher la cavalerie polonaise et croate du côté de Vesoul et de
Besançon pour s'unir aux Francs-Comtois et secourir Dole. Le 27 juin, on
signala 6,000 à 7,000 cavaliers de la Ligue catholique vers Épinal et
Remiremont. Il fallait empêcher Gallas d'envahir la Franche-Comté,
frapper un grand coup et s'emparer de Saverne, dont la position
stratégique était d'une grande importance.
Pendant que la Valette se postait à Hattmatt et à Steinbourg, Weimar
ordonna à de Guiche, qu'il avait laissé à Vergaville (Lorraine),
d'arriver en toute hâte pour commencer le siège de Saverne. Dès le soir
de l'arrivée de son lieutenant, le duc Bernard de Saxe fit ouvrir la
tranchée, et, le troisième jour, le canon ayant fait brèche à la
muraille, où l'on ne pouvait monter qu'à l'aide d'une échelle, il
résolut de faire donner l'assaut. De Guiche et beaucoup d'officiers,
entre autres Fabert, qui voulait qu'on fît un siège en règle, essayèrent
de s'opposer au dessein impraticable du général allemand; mais Weimar
persista dans ses résolutions.
De Guiche, accompagné de Fabert, monta à l'assaut, à la tête des
compagnies. Le choc fut terrible, et la défense des assiégés, fut
héroïque; on parvint à entrer dans une maison de la ville. Ce fut tout.
Une grêle de grenades et de balles pleuvait des murailles ; il fallut se
retirer. De Guiche eut tous ses gentilshommes tués à ses côtés et reçut
neuf coups de mousquet. Il resta longtemps dans le fossé et y fut
secouru par Fabert qui, quoique ayant reçu lui-même trois blessures,
emporta son ami qu'il trouva couché sur un monceau de cadavres (2).
C'est au siège de Saverne que mourut le colonel Hébron, dont la France
avait eu tant à se louer, et que Turenne fut légèrement blessé. Après
trois jours de combat, Saverne capitula. Weimar, à l'opiniâtreté duquel
était due la prise de la ville, voulut en devenir le maître. Richelieu
s'opposa à ses prétentions, craignant d'irriter la population catholique
de cette ville, où résidait l'évêque de Strasbourg. Tout en laissant
Saverne sous la suzeraineté de Weimar, usufruitier du domaine utile
d'Alsace, on y nomma un gouverneur, et le château de Haut-Barr dont la
Valette venait de s'emparer devint la propriété du chef suédois (3) (14
juillet). La Valette, profitant des succès de Weimar, marcha vers
Pfaffenhofen. Quant à Gallas, campé à Drusenheim, en revenant de
Nordlingen où il avait été chercher du blé d'Autriche, il n'osait
bouger, tenu en respect par la Valette et Weimar (août). Les Français
ravitaillèrent une troisième fois Haguenau et entrèrent à Oberhergheim
et à Ensisheim. Weimar s'empara de la Petite-Pierre (15 août). Les
généraux impériaux ne pouvaient plus s'entendre, et le fils de
l'Empereur fut obligé d'accourir à Drusenheim, afin de les réconcilier.
Colloredo, Jean de Werth et le duc de Lorraine avaient refusé, ainsi qu'Isolani,
général polonais, de reconnaître l'autorité de Gallas et de Piccolomini,
et cependant la situation était grave. Malgré la prise de la Capelle par
les Impériaux, le prince de Condé assiégeait Dole, l'Alsace échappait à
Gallas. Aussi le roi de Hongrie, fuyant le danger, retourna en
Allemagne, pendant que Gallas réussissait à passer le Rhin à Brisach et
à entrer en Franche-Comté (4).
Tandis que Weimar gardait les bords de la Sarre, la Valette s'achemina
vers Saverne, arriva le 17 août à Lixheim, près de Sarrebourg, de là à
Sarrebourg et le 18, arrivé à Fénétrange, il s'avança vers Marsal et y
laissa son canon.
Il partit le 22 pour Metz, et le même jour, l'armée du cardinal,
conduite par Turenne, se dirigea vers Lunéville. Weimar, après avoir
ravitaillé Saverne, où il envoya un régiment de cavalerie qui reçut
l'ordre de rallier d'Aiguebonne à Haguenau, quitta Marsal, le 26 août,
et se dirigea vers Lunéville avec une partie de son armée. Le reste,
conduit par le colonel Oëhem, marcha vers Blâmont. Le gouverneur de cette
ville, plutôt que de se rendre, fit brûler une belle église et la ville,
elle-même, qui était pleine de grains. Le 28, Weimar arriva aux portes
de Blâmont et somma inutilement le gouverneur de se rendre. Après lui
avoir refusé une capitulation honorable, il s'empara de la ville et son
héroïque défenseur fut pendu.
(1) C'était la citadelle, flanquée de quatre gros
bastions, revêtus de murailles de 18 pieds de haut. La terre qui les
recouvrait, présentait la même élévation. Les tours de la ville, étaient
moins hautes. Les 24 soldats qui défendaient la citadelle, se
précipitèrent dans les fossés, lorsqu'ils aperçurent deux weimariens
jeter des grenades dans un des corps de garde. Les quatre régiments
défaits naguère par le colonel Hébron firent mine de défendre Saverne;
mais on les mit en fuite jusqu'à Wissembourg. Deux petits canons braqués
par Weimar ruinèrent les deux tours qui flanquaient le mur opposé à la
citadelle.
(2) Mémoires de Gramont, ibidem. Mémoires de Richelieu, ibidem, p. 59.
Gazette du 20 juin 1636.
(3) Lettre du cardinal de Richelieu au cardinal de la Valette, 23 juin
1636. Trois jours avant la prise de Saverne, la garnison de Nancy, dont
le gouverneur, M. de Fossés, venait de mourir, se révolta faute de solde
et pilla la ville.
(4) Du côté de la Picardie, les nouvelles étaient mauvaises pour la
France: Guise, Reims et Soissons étaient menacés. Les Impériaux
comptaient 12,000 fantassins et 13,000 chevaux dans le nord de la
France. Le maréchal de Chaulnes, le maréchal de Brézé et le comte de
Soissons y commandaient 18,000 hommes de pied et 400 à 500 chevaux.
Soissons réclamait avec raison une partie de la cavalerie du prince de
Condé. Mais Gallas ne semblait pas à craindre en Alsace, car ses soldats
ne trouvaient plus de quoi vivre dans les plaines d'Alsace ; on leur
envoyait du pain moisi de Ratisbonne et ils se nourrissaient de chevaux
morts !
Campagnes de Charles IV
duc de Lorraine et de Bar, en Allemagne, en Lorraine et en
Franche-Comté, 1634-1638, d'après des documents inédits tirés des
archives du Ministère des affaires étrangères
par F. DES ROBERT
Tome II
1883
NDLR : notes renumérotées
Pendant que Longueville renonçait à
soumettre la Franche-Comté et à marcher au secours de Weimar dans la
Haute-Alsace, un antre général plus jeune, mais à qui son génie précoce
promettait une haute destinée, allait faire ses débuts et se signaler
sur les bords du Rhin.
Nous voulons parler du jeune maréchal-de-camp qui avait nom Turenne. Ce
fils cadet du duc de Bouillon, dont Rigaud nous a laissé les traits
expressifs, n'avait que vingt-sept ans en 1638.
Louis XIII lui avait donné en 1625 le commandement d'un régiment formé
des débris du régiment lorrain de Laimont.
De retour de Hollande où il avait combattu sous les ordres de Maurice de
Nassau, son oncle, Turenne mit son épée au service de la France en 1630.
Il assista au siège de Casal, en Piémont, et vint en Lorraine en 1631.
En 1633 il combattit dans l'Electorat de Trêves et assista à la prise de
Nancy. Sous les ordres du maréchal de la Force, huguenot comme lui, il
prit part au siège de La Mothe en 1634. Créé maréchal-de-camp, il
délivra Heidelberg, servit sous le cardinal de La Valette, assista au
siège de Spire et de Bingen, au ravitaillement de Mayence et de
Deux-Ponts et à la retraite sous Metz, où il se distingua par son
courage. En 1636, nous le voyons au siège de Saverne où, blessé au bras
droit, il fut sauvé par Fabert. Passé en Franche-Comté il contribua à la
défaite de Gallas, aux portes de Jussey, et le poussa, l'épée aux reins,
jusqu'en Alsace. En 1639, c'est au siège de Damvillers et d'Ivoy qu'il
se signala (1).
Pendant que le duc de Bouillon, son frère aîné, compromis dans le
complot tramé par le duc d'Orléans contre la vie du cardinal de
Richelieu, à la veille de la prise de Corbie, donne l'hospitalité au
comte de Soissons, dans sa principauté de Sedan, Turenne reste au
service de la France. En 1638, il prend part au siège de Saint-Omer.
Au mois de juin, le vicomte de Turenne, quittant le siège de Maëstricht,
traverse la Lorraine avec un corps assez considérable composé en partie
de Liégeois (2), pour rallier le duc Bernard de Saxe-Weimar en Alsace,
ce que Longueville n'avait pu faire, tenu en échec par le duc de
Lorraine qui avait envahi le Bassigny. Weimar avait entrepris le siège
de Brisach, seule ville par laquelle l'Empereur. pouvait faire passer
les troupes promises à la Franche-Comté, et s'était déjà emparé, comme
nous l'avons vu, des Villes forestières. Bâle était à sa dévotion.
Enfin, toutes les places fortes du Rhin, au-dessous de Brisach, étaient
entre les mains des Français ou des Suédois. Il était du devoir des
Lorrains de s'opposer à la marche en avant du vicomte de Turenne qui
amenait un second renfort à Weimar et à qui La Jonchette, gouverneur
français d'Epinal, avait conseillé d'assiéger Remiremont, d'où les
Lorrains, maîtres de cette ville, inquiétaient les convois français et
protégeaient les paysans des Vosges restés fidèles au duc Charles. Au
dire de La Jonchette, Remiremont devait être un lieu de repos et de
ravitaillement pour les soldats de Turenne et ne pouvait résister au
canon. En cas de défense, on pouvait l'emporter d'assaut.
Le frère du duc de Bouillon, après en avoir reçu l'ordre du roi, le 2
juillet, envoya La Jonchette assiéger cette place, siège d'une abbaye
célèbre dont Catherine de Lorraine, tante de Charles IV, était abbesse.
Elle s'y était enfermée avec 30 soldats et les bourgeois. Ces Vosgiens
intrépides ne s'effrayèrent pas en voyant les canons de Turenne braqués
contre eux et repoussèrent deux escalades. Des trois pièces mises en
batterie, l'une s'éventa après les premières salves; les autres ne
cessèrent leur tir qu'après avoir fait une brèche qui permit aux
Français de monter à l'assaut. Il devenait urgent de construire un
retranchement derrière la muraille abattue. Sans perdre de temps, la
princesse assemble les dames du Chapitre et vient, à leur tête, apporter
des fascines et de la terre. A leur exemple, toutes les femmes de la
ville se précipitent sur la brèche, malgré la mitraille, et élèvent une
barricade imprenable. En même temps on apprend que Philippe-Emmanuel de
Ligniville, qui levait un régiment en Lorraine, et le marquis de Ville,
qui s'était échappé, le 3 juillet, de Remiremont pour aller chercher des
renforts, s'approchent avec ce qu'ils ont pu réunir de troupes et de
volontaires, et, enfin, que le duc Charles envoie deux régiments au
secours de Remiremont. Le 5 juillet, une compagnie lorraine, venant de
la Franche-Comté, réussit à se jeter dans la ville assiégée et le
marquis de Ville parvient à y faire entrer 150 hommes d'infanterie.
Turenne, après avoir épuisé toutes ses munitions d'artillerie et ne
pouvant compter que sur 4.000 hommes, rencontra une résistance beaucoup
plus grande que celle sur laquelle il comptait. Il renonça à poursuivre
le siège de Remiremont, après avoir tenté une dernière escalade et avoir
perdu près de 800 hommes (3). S'acharner davantage, c'était perdre son
temps. Beaulieu et Cliquot, généraux lorrains, essayèrent de le
poursuivre et lui enlevèrent son parc d'artillerie, en lui tuant 150
soldats. Ceci se passait près de Gerbéviller. Cependant la cavalerie
française mit pied à terre et repoussa l'attaque des Lorrains. La
Gazette de France cite le sieur d'Embures, capitaine, comme s'étant
signalé par son courage dans cette escarmouche. Il eut son cornette tué
près de lui et fut, lui-même, blessé à la main. Le sieur Bayon,
mestre-de-camp d'infanterie, fut également blessé, ainsi que quelques
autres officiers. (2 juillet 1638.)
Marcillac, évêque de Mende et général des vivres en Lorraine, fit part
au cardinal de Richelieu de l'échec éprouvé par Turenne devant
Remiremont et Moyen. « Quant à la première, elle a failli, écrivit le
prélat au ministre, et contre le sentiment de tout le monde, car, au
jugement de tous ceux qui ont veu Remiremont, c'est une place à estre
prise ez deux fois vingt-quatre heures et, certainement, sans le
manquement qui s'est trouvé aux canons, M. le vicomte de Turenne
l'aurait emportée. » Fontenay-Mareuil, gouverneur de Nancy, avait envoyé
cependant à Turenne des secours abondants en hommes et en vivres.
Quant an siège de Moyen, pour lequel tout était prêt et auquel on avait
destiné les munitions et les officiers mis en réserve à Gerbéviller,
petite ville voisine, le fils du duc de Bouillon y renonça par suite de
l'ordre qu'il venait de recevoir de la cour de rejoindre Weimar. Ce
dernier venait de lui adresser deux dépêches pressantes, ce qui le
décida à partir le lendemain de sa présence sous les murs de Moyen, en
prenant le chemin de Saint-Dizier et de Sainte-Marie-aux-Mines.
Gerbéviller fut pris par les colonels lorrains à qui Baccarat avait déjà
ouvert ses portes au commencement du mois d'août. Le gouverneur de cette
ville, après avoir brûlé le château, sauf un petit donjon où il croyait
pouvoir résister, s'enfuit à Lunéville, mais Fontenay-Mareuil l'y fit
arrêter et enfermer dans la citadelle de Nancy, où Villarceaux,
intendant de justice, l'interrogea avant d'envoyer le résultat de son
enquête à Chavigny.
Les exemples de courage donnés par les Lorrains n'étaient pas rares
pendant l'invasion de leur malheureux duché. Un jour, l'armée française
arrive devant le château de Fontenay et somme le gouverneur de se
rendre. Acculé dans une espèce de basse-cour, il se réfugie dans le
château et ordonne à ses soldats de ne viser que les officiers français.
Ils en tuent cinq ou six. On le somme de nouveau de se rendre. Il
refuse. On fait alors jouer un fourneau de mine sous une tour où il
s'était retranché. Il tombe sous les ruines, enterré jusqu'à la moitié
du corps et, dans cet état, il a la force de tirer un coup de pistolet à
un soldat qui veut le faire prisonnier. Tout le monde admire son
courage. Amené devant Longueville, celui-ci lui demande s'il connait le
sort qui l'attend pour avoir résisté si longtemps dans une bicoque. Le
Lorrain répond au vainqueur qu'il sait ce qu'il l'attend, mais que,
quand on connaîtra la cause de sa résistance, on pourra lui faire grâce.
En effet il montra une lettre de Charles IV qui promettait de le
secourir, s'il pouvait tenir jusqu'à ce jour même où l'on s'empara de sa
personne. Longueville fut touché par un si grand courage, mais le code
militaire de cette époque punissait de mort quiconque voulait défendre
une place trop faible pour résister longtemps. On pendit le gouverneur
lorrain aux fenêtres du château de Fontenay. La corde se rompit et on
fut obligé de le tuer d'un coup de pistolet. Il mourut donc de la mort
des braves, admiré de ses ennemis (4).
Pendant que les généraux de Charles IV, qui avaient réussi à fouler de
nouveau le sol sacré de la patrie, croyaient Longueville en chemin vers
la Picardie, Charles IV, toujours à Salins, faisait achever ses
retranchements par les valets de sa cavalerie et leur faisait tracer des
lignes de circonvallation, reliant chaque fortin, ayant soin de laisser
entre chacun un interstice suffisant pour laisser passer la cavalerie.
Afin d'occuper le sommet de la montagne de Salins avec le petit nombre
de fantassins qui lui restaient, il avait été obligé d'espacer ses
bataillons; mais ses travaux auraient pris d'énormes proportions s'il
n'avait pas été préoccupé de la présence de ses généraux en Lorraine. Il
aurait désiré les y rejoindre ; mais ses devoirs de défenseur de la
Franche-Comté le retenaient à son poste. Aussi bien les Comtois lui
demandaient-ils de remettre tout en ordre et de se rendre digne de sa
réputation de stratégiste et de soldat courageux. Toujours humain, il
avait ordonné à ses soldats de ramasser sur les chemins les Français
qui, pendant la retraite de Longueville du côté de Chaussin,
Verdun-sur-le-Doubs et Chalon-sur-Saône, étaient tombés entre les mains
vengeresses des paysans comtois (16 août). Ces pauvres soldats étaient
atteints de la peste et cette maladie terrible envahit le camp des
Lorrains, victimes de leur magnanimité. Charles IV s'éloigna de Salins
et, soupçonnant quelque surprise de la part des Français, il campa ses
troupes sur les bords de l'Ognon. Quant à lui, il alla passer huit jours
en Lorraine, afin de ranimer le courage de ses généraux et leur donner
ses ordres.
Epinal, la place la plus importante des Vosges, grâce aux intelligences
que le marquis de Ville avait su se ménager, venait de capituler pendant
une absence momentanée de la garnison française.
Le gouverneur, La Jonchette, qui s'était réfugié en toute hâte dans le château, se constitua prisonnier. Le marquis de Ville était maitre du
cours de la Moselle. Il lui eût été facile de réduire
Châtel-sur-Moselle, mais Charles IV préféra que son armée s'avançât,
sans coup férir, vers Lunéville et essaya d'emporter cette ville située
entre la Vezouze et la Meurthe, à quatre lieues de Nancy.
Au mois de juillet, Turenne, ayant ôté averti que le régiment de
Lunéville, composé de 150 cavaliers, s'était séparé du gros de l'armée
lorraine et s'était campé autour de Baslemont d'où il incommodait toutes
les places environnantes, l'avait fait reconnaitre par 60 cavaliers.
Après avoir écouté le rapport de ses éclaireurs, il envoya le régiment
de Lénoncourt à la recherche des Lorrains qui furent défaits entièrement
après un combat d'une heure. Plus de la moitié des soldats du régiment
de Lunéville furent tués et le reste fut fait prisonnier. Une vingtaine,
ayant leur colonel à leur tête, se sauvèrent. Cela se passait avant le
siège de Remiremont.
Lunéville n'était pas dans un état de défense satisfaisant, car Brassac,
gouverneur de Nancy, en 1634, avait fait démolir une partie des
fortifications de cette place et, en 1635, le maréchal de la Force et le
duc d'Angoulême, qui s'y établirent, continuèrent le démantèlement
commencé.
Pédamont, nommé gouverneur de Lunéville par Louis XIII, au mois de
novembre 1637, en fit subsister longtemps la garnison « sans qu'il ait
rien du tout cousté au Roi. » Mais les vivres finirent par faire défaut
et on fut obligé de faire sortir quatre compagnies de la place. C'est en
vain que Pédamont, avec l'assentiment du roi, supplia le gouverneur de
la Lorraine de faire fortifier le château de Lunéville ; on resta sourd
à ses pressantes sollicitations et, lorsque Moyen, Baccarat, Blamont,
Rambervillers, Haroué et Epinal furent tombés aux mains des Lorrains, le
château de Lunéville fut en péril. Bellefonds, il est vrai, vint une
première fois au secours de Pédamont, mais il se retira bientôt à
Saint-Nicolas sans renforcer la garnison de Lunéville qu'il conseilla au
roi de démanteler. Il fut en cela d'accord avec Villarceaux, intendant
de l'armée française en Lorraine. C'est en vain que Pédamont s'aboucha,
le 26 septembre 1638, avec Bellefonds et le supplia avec énergie de
penser au salut de la place qui lui était confiée, le gouverneur de la
Lorraine lui intima l'ordre de brûler Lunéville, si l'ennemi s'en
approchait.
Cependant il y envoya une centaine de soldats de son propre régiment
commandés par le capitaine Aneville, et cent cavaliers sous les ordres
de M. de Sainte-Colombe, avec la mission de brûler la ville et le
château à l'approche des Lorrains, et promit à Pédamont de protéger sa
retraite. Le gouverneur de Lunéville devait, en se retirant, avertir le
gouverneur de la Lorraine par des feux, si c'était la nuit, et par un
drapeau blanc, si sa fuite avait lieu le jour. En exécution des ordres
de Bellefonds, le 30 septembre 1638, Aneville et Sainte-Colombe,
apercevant trois escadrons lorrains en vue de Lunéville, mirent le feu à
la place. Pédamont se démit de son gouvernement et supplia Bellefonds
d'arriver en toute hâte. Après une défense de cinq jours, la retraite de
la garnison s'effectua par Saint-Nicolas.
Bellefonds approuva la conduite de Pédamont, mais, ayant reçu depuis un
ordre de Louis XIII qui lui ordonnait de fortifier Lunéville, quitta
Bar-le-Duc, mais arriva trop tard en vue de la ville abandonnée. Le
marquis de Ville y entrait. Bellefonds rejeta sur Pédamont la faute
qu'il avait commise en livrant une place aussi importante sans faire
aucune résistance et en la faisant incendier. Il prétendit qu'il avait
changé d'avis et avait contremandé son premier ordre. Pédamont fut
condamné par contumace et à l'unanimité à être pendu à une potence et
dégradé de sa noblesse, dans un conseil de guerre présidé par Bellefonds,
à Saint-Nicolas-du-Port, le 20 octobre 1638 (5).
Au commencement du mois de novembre, Longueville s'avança vers le Rhin
par ordre de la cour (6). Il apprit que Savelli devait quitter les
Flandres et rallier Charles IV à Pont-Saint- Vincent. La Mothe-Houdancourt
et la Suze lui firent aussi savoir que Charles IV avait donné l'ordre de
cuire du pain pour ses soldats à Blamont et à Altroff. Aussi
s'achemina-t-il vers Lunéville encore aux mains des Lorrains.
Feuquières, quittant les environs de Montbéliard, s'avança au-devant de
Savelli avec 400 chevaux et arriva à Sarrebourg occupé depuis 1635 par
une garnison française. Là, il pouvait couper le chemin aux Impériaux,
de quelque côté qu'ils vinssent. Il envoya des éclaireurs jusqu'à
Saverne, Vaudrevange et Bouquenom, Sarrebruck, Fribourg et Altroff où
ses soldats firent prisonnier le commissaire général de Charles IV.
Le 6 novembre, Feuquières monta à cheval et s'embusqua, près de
Réchicourt-Ie-Château, d'où il vit sortir le bagage de Savelli, escorté
de 200 fantassins et de 200 escadrons de cavalerie. Il les attaqua.
L'infanterie de Savelli se forma en carré, s'abritant derrière des
chariots, tandis que sa cavalerie se dérobait dans un bois.
Quant au général impérial, il avait atteint Blamont, après avoir envoyé
quelques troupes chargées de soutenir son infanterie et de dégager son
bagage. Feuquières les fit attaquer avec les escadrons de Treillis et de
Marsin. Un combat de cavalerie s'engagea. Six escadrons français
luttèrent contre 8 escadrons impériaux qui tinrent ferme sur un mamelon
très élevé. Les Allemands développèrent leurs forces sur le même front,
de manière à prendre les Français en flanc. Feuquières, après s'être
renseigné, commanda à Marsin de marcher à l'ennemi, du côté de la
plaine, tandis que lui-même gagnerait l'éminence où les Impériaux
l'attendaient. Il ne tarda pas à les charger avec les escadrons de
Marsin et de Beauregard, restés à sa disposition. Les Impériaux, ne
pouvant résister au choc, plièrent et se réfugièrent dans le château de
Blamont. Feuquières en fit barricader la porte, chargea du Terrail d'en
défendre les avenues et retourna sur le champ de bataille pour
surveiller le blocus des Impériaux, toujours formés en carré derrière
leurs chariots et tenus eu respect par l'infanterie française.
Longueville n'était qu'à deux lieues de l'action. On l'avertit de ce qui
se passait. Il se dirigeait du côté de Blamont avec le vicomte
d'Arpajon, Bellefonds, la Mothe-Houdancourt, maréchal de camp, de
Chamboy et de la Faverie, ses aides de camp. Beauregard, qui commandait
l'artillerie, tâta Blamont avec deux escadrons ; mais Longueville, avant
de le rejoindre, envoya la plus grande partie de son bagage à
Rosières-les-Salines, prit la tête de son armée et laissa la Mothe-Houdancourt
à l'arrière-garde. Les Lorrains qui occupaient Lunéville chargèrent le
bagage de Longueville avec 200 mousquetaires et 40 cavaliers et
enlevèrent les canons français. La Mothe-Houdancourt, faisant
volte-face, essaya de leur couper le chemin de Lunéville. Les Lorrains
lâchèrent pied et se barricadèrent. La Mothe-Houdaucourt eut dans cette
action son cheval tué sous lui. Longueville apprit que Charles IV et
François de Mouy-Chaligny, évêque de Verdun, accouraient au secours de
l'armée lorraine. Alors, sans perdre de temps, il fit relayer sa
cavalerie par son infanterie et entra dans un bois près de Blamont, où
pouvait, pensait-il, passer le secours envoyé à ses soldats par le duc
de Lorraine. Quant à d'Arpajon et à Bellefonds, ils retournèrent au
siège de Lunéville. Le 7 novembre, la basse-cour du château de Blamont
fut emportée par les régiments de Picardie et de Normandie, commandés
par Langlade et d'Espanels, lieutenants-colonels, et par 400
mousquetaires des régiments de Navarre, Bussy et Kaëgroët, conduits par
Kaëgroët. De Brosses, lieutenant de l'artillerie, commandait les
batteries françaises qui, braquées contre le château de Blamont,
ruinèrent bientôt les deux tours. Le soir, les mineurs s'attaquèrent aux
grands corps de logis gardés à vue par le régiment de Normandie. Le 8
novembre, Blamont capitula. Longueville s'empara de 400 cavaliers, de 40
officiers, de 120 fantassins impériaux et de tout l'équipage de Savelli
qui s'enfuit dans le bois « lui septième », au lieu d'entrer dans le
château.
L'infanterie impériale, toujours bloquée dans la plaine, se rendit le 9
novembre. Miromenil, intendant de l'armée française, en vérifiant les
rôles de l'armée tombée au pouvoir de Longueville, s'aperçut qu'il n'y
manquait que 30 hommes.
Le château de Blamont capitula enfin, et la Mothe-Houdancourt, assisté
de Miromenil, put distribuer 900 chevaux lorrains et 1.700 pistolets à
la cavalerie et à l'infanterie françaises.
On trouva à Blamont 7 cornettes et une lettre adressée par Savelli au
marquis de Ville, dans laquelle le général de l'Empire écrivait au
général de Charles IV qu'il lui amenait 6.000 hommes, sans compter ceux
qui étaient sous le commandement direct du duc de Lorraine (7).
Le 11 novembre, le duc de Longueville envoyait à Richelieu M. du Terrail
(8) qui avait la cavalerie sous ses ordres au combat de Blamont et s'y
était distingué. Voici cette lettre:
« Monsieur,
« J'ay creu que personne ne vous pourrait rendre un conte plus exact de
la déffaite de Savelly que M. du Terrail quy commandoit en cette
occasion la cavalerie où il a servy avec grand honneur et fort
vaillament, ainsy qu'il a fait en sa charge toutte la campagne. M. de
Fequières (sic) a fait paroistre beaucoup de vigillance et de conduitte
en cette action et bien de la generosité à l'entreprendre avec quatre
cens chevaux, eux estans six cens et deux cens hommes de pic (sic) et
estans veus sellon tous les avis qu'on en avait avec des forces bien
plus grandes. Il y a eu de pris quatre cens cavalliers avec plus de
quarante officiers et six vingts hommes de pie (d.) Le reste a este
outre ou en telle déroute qu'il ne s'en pourra pas rassembler cinquante.
« Nous croyions Savelly dans Blamont; mais il s'était sauvé dans les
bois luy septième. M. du Terrail porte les cornettes et le nom des
officiers prisonniers, etc. (9). »
(1) Voir Campagnes de Charles IV (1684-1638), par F. des
Robert.
(2) 2.000 fantassins et 1.500 chevaux. (V. Lettre du Roi au comte de
Guébriant, 11 juillet 1638.)
Nous avons trouvé au dépôt des Archives de la guerre une lettre de Louis
XIII à M. de la Mothe-Houdancourt, ainsi conçue : « Monsieur de
Oudancourt, envoyant mon cousin, le vte de Turenne, en Lorraine pour
employer les forces que je lui ay données, lorsqu'il en pourra en estre
fourni en ces quartiers là, à prendre le chemin de Moyen, Darney et les
autres places occupées par les ennemis, etc... (Dépêche générale à
plusieurs gouverneurs des places de Lorraine pour accompagner M. le vte
de Turenne, 12 juin 1638. - Arch. de la guerre, 46, f° 315.)
(3) V. Lettres du vicomte de Turenne à sa mère, du 30 juillet et du 3
août 1638. Collection Michaud et Poujoulat, tome XXVII, p. 348.
(4) Mém. de M, l'abbé Arnault, Amsterdam, Leyde, Dresde, Leipsick, 1756,
tome 1, p. 105 et 106. Fontenay est situé dans le département des
Vosges, arrondissement d'Epinal, canton de Bruyères.
(5) L'arrêt de mort existe aux Archives du ministère des Affaires
étrangères. Pédamont qui réussit à s'enfuit et ne fut pendu qu'en
effigie, publia plus tard sa justification, (Recueil Caugé, tome XXIV.)
M. de Migène demanda les biens confisqués de Pédamont. (M. de Migène à
Bouthillier, de Toul, 20 oct. 1638. Aff. étr., passim, f° 187.)
(6) M. de Migène fut envoyé à Toul, à la fin d'octobre, « pour apprendre
plus facilement des nouvelles de M. de Longueville et pour recepvoir les
troupes que le roi envoye à son armée de Lorraine. » A cette époque
l'armée lorraine était prés de Vic, tandis que Charles VI s'approchait
de Brisach « avec ce qui Iuy en restait dans le Comté. » (M. de Migène à
Bouthillier, de Toul, 20 octobre 1638. Aff. étr., passim.)
(7) V. Gazette de France, p. 501 à 504.
(8) Jean de Combourcier, baron du Terrail, de la famille de Bayard. Son
régiment de cavalerie fut formé le 24 janvier 1638 et fut licencié en
1653 sous le nom de Guitaut.
(9) Aff. étr. passim, f° 23. Cette lettre est datée du camp de Lunéville
dont Longueville allait presser le siège. |