DES CHOSES MEMORABLES
ESCRITES PAR FRERE RICHER,
Moyne de Sennone.
PROLOGVE DE L'AVTEVR SUR LE PRESENT TRAITÉ.
Tout ce que par le saint Moïse, et ce que par Josué est escrit de la creation du monde, et de l'accroissement du genre humain, auec ce que nous a laissé par memoire cet insigne personnage Eusebe, euesque de Cesarée, comme la primitiue Eglise a pris son augmentation et auancement par le sang des glorieux Martyrs, et par la doctrine des Confesseurs, étant fondée par autres infinis personnages de sainte vie, s'exerçans à oeuures bonnes et pieuses, mais aussy saint Paul, Orose, que les guerres ciuiles des Romains et des Carthaginois, puis tant d'autres guerres, troubles, dissentions, famines, pestilences, et tout ce qui se trouue être auenu des choses mondaines, que veut signifier tout cela ? Sinon que (suiuant la doctrine et dire de St Paul) toutes choses qui sont été escrites ne sont que pour notre édification, érudition, et doctrine. Sçauoir d'une part pour nous émouuoir à craindre cest épouuentable et formidable iugement de Dieu. D'autre part pour nous nourrir en une ferme esperance d'obtenir et paruenir finablement à la iouïssance et fruition de la vie éternelle. Car qui lira comme Cayn forcené d'une enuie a tué et meurdri son frere Abel le iuste, et comme par le deluge uniuersel tout le genre humain a été mis à mort pour son peché, n'aura il pas iuste occasion de conceuoir une horreur de crainte de tomber en la main d'un si rigoureux et iuste iuge ? qu'est Dieu ? Qui sera pareillement celuy qui soudain ne conuertira son coeur tant soit dur et cruel, à vie douce et pieuse deuotion, ayant receu la connoissance, comme tant de mille Martyrs tant du robuste sexe masculin, que du fresle et délicat genre féminin, Vierges, Matrones, jeunes et vieux ont combattu d'un coeur genereux pour le soutien du nom de Nostre Sauueur Jesus Christ, à l'article et conflict de la mort. Mais si aucun, selon l'escrit dudit Orose, vient à exécuter sa conception et exactement considerer les misères des hommes, tant de meurtres, si grande effusion de sang humain, si execrables parricides, si frequentes oppressions, et spoliations des pauures innocens, et autres si grandes ruines tant d'hommes que des biens qui iournellement en ce miserable monde, par un secret iugement de Dieu, qui est celui qui ne craindra comment pour son propre peché il pourra éuader cest horrible iugement de Dieu. Quand il se recordera que l'age doré et florissant est passé, et maintenant celuy non de plomb et de fer, mais infiniment ord, sale et fangeux est en regne et vigueur, auquel les hommes se treuuent plus enclins à suiure leur vice et sensualité que non pas la vertu, et le mal que le bien. Et si nos ancestres se sont estudiés par si long trait et reuolution d'années à nous laisser par escrit les Gestes memorables de leurs antecesseurs, en partie pour rapporter choses admirables à la postérité, nous, où sommes nous arriués maintenant ? au temps que l'iniquité et malice des hommes excede de beaucoup celle de nos ayeux, et par ce deuons nous faire participans nostre posterité comme l'issue des choses est suruenue. Afin que par ce moyen (ainsi que par la relation de nos maieurs nous auons été appris) ils soient détournés de la voye de mal faire, et de bien à mieux viure, ils soient cy apres plus affectés et enclins. Pour exemple de ce, Je frere RICHER, Moyne en l'Eglise de Sennone, le plus infime et humble de tous, ne voulant que les Gestes et Actes de nostre temps, et ce qui s'en est ensuyui, soient cachez et enseuelis sous le tombeau de perpetuelle oubliance, combien qu'auec un stile assez rude et d'un langage impoli, afin d'en laisser la memoire à la postérité de ce que i'ay treuué inscrit et remarqué en aucuns vers, touchant la fondation de ceste Eglise de Sennone, du fondateur d'icelle, et de ses successeurs Abbés, obstant que ce ne soit chose de si grand poids et moins digne d'en transmettre la memoire iusques aux siecles futurs, mais c'est que i'ay veu et entendu aussy de la fondation des autres Eglises voisines et adjacentes, des fondateurs d'icelles, de leurs noms et dignités, de quelques certains miracles qu'ils ont faits, et sous le regne de quels Roys et Empereurs ils ont flori. Comme un enfant tendrelet encore begayant, ie me suis deliberé en dresser et digerer par ordre ce petit traité, pour plus l'élucider par un rural discours que pour l'obscurcir et rendre difficile par un stile haut et philosophique. Suppliant le Lecteur ou Auditeur, en l'honneur de Dieu, que s'il se treuue en ce present opuscule quelque chose mal appropriée, qu'il ne veuille l'imputer à aucune mienne presomption ou audace, mais ançois qu'il estime que ce qu'en a par moy été fait, n'a procedé que du fond d'une sincère intention.
(Suite)
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