 |
|
|
|
|
|
L'Intransigeant - 23 août
1914
Les Teutons ont passé par là...
Comment ils tuent, brûlent et pillent
Notre confrère, l'Est Républicain publie cette lettre, poignante
d'une jeune femme du village de Vaucourt qui fût la semaine
dernière envahi par les Allemands :
Je suis arrivée hier à Lunéville, à neuf heures du matin, avec
maman et nos deux enfants.
Ce n'est pas. aujourd'hui que je peux te raconter le mal que
nous avons enduré. Mon pauvre... Vaucourt est tout en cendres.
L'église aussi...
Les monstres dé Prussiens ! Ils nous ont pillé tout ! Ils nous
ont mis le revolver à la gorge.
Nous étions tous du Village à avoir les sueurs de la mort. On se
voyait mourir... Oh ! mon pauvre Vaucourt !
Les uhlans étaient arrivés mardi à neuf heures du matin, autant
qu'il y a de feuilles au bois. Il y avait à peu près, vingt
petits soldats en haut du village pour tous ces uhlans.
Nous étions aux champs. Quand nous sommes rentrés, les Prussiens
étaient là, au milieu du village.
Grande bataille, atroce !
Ils ont pris le pauvre père Boileau, et ils ont aussi emmené
notre père, comme prisonnier, à Sarreguemines.
Papa nous faisait pitié. Il ne pourra pas supporter cela: II
étouffera avant. Je ne puis t'en dire plus long aujourd'hui.
Les uhlans ont alors brûlé une partie du village, puis ils ont
attendu, que tout le monde soit couché pour revenir incendier le
reste.
Faute d'une minute, nous brûlions au lit. Heureusement, les
enfants n'étaient pas déshabillés.
Nous sommes partis, trente personnes du village.
Je me suis retournée pour regarder brûler ma pauvre maison.
Toutes nos pauvres bêtes brûlées vives !
Le Petit Troyen - 28 août 1914
M Brichon, ancien maire de Pagny-sur-Moselle, qui est arrivé
avec toute sa famille, hier soir, nous a donné quelques
renseignements [...].
M. Brichon nous raconte encore que le village d'Herbéviller a
été entièrement incendié. Les Allemands avaient promis de
respecter les propriétés si neuf notables de la localité
consentaient à leur verser chacun mille francs. La somme fut
remise... et aussitôt le feu éclata aux quatre coins de la
localité.
L'Ouest Eclair - 29 septembre 1914
Les Français ont repris Avricourt sans perdre un homme
Paris, 28 septembre. - Un officier d'artillerie français a fait
au Daily Mail le récit suivant de la reprise d'Avricourt, la
station de la frontière française du Chemin de fer de Nancy.
Dans la huit qui précéda l'attaque d'Avricourt, les positions
allemandes furent bombardées par les canons lourds du fort de
Manonvillers, éloigné d'environ 15 kilomètres. L'officier
commandant avait décidé de faire une attaque de flanc et ne
laissa au centre qu'un rideau de troupes avec quatre batteries
de canon.
Le gros de nos troupes s'avança dans la direction du canal de la
Marne au Rhin, sur le flanc gauche de l'ennemi. Les hommes
avaient reçu l'ordre formel de ne pas dire un mot et de ne pas
fumer, et s'avançaient en tenant avec leurs mains le fourreau de
leur baïonnette, de façon à ne pas faire de bruit.
Derrière nous, le fort de Manonvillers continuait à tonner.
L'opération était favorisée par une nuit noire. Une pluie légère
tombait, et une brume semblable à de l'ouate s'élevait du sol.
L'artillerie, la cavalerie et l'infanterie s'avançaient sans
bruit.
Enfin nous arrivâmes au canal. La pluie avait cessé, et nous
fîmes halte. Peu à peu le soleil se leva, et Avricourt surgit à
notre droite. Au loin, le fort de Manonvillers ne cessait pas de
tirer, faisant croire à l'ennemi que nous allions l'attaquer de
front.
Tout d'un coup, nous entendons au centre le son de notre
artillerie de campagne, ce qui est le signal convenu pour
commencer l'action. En moins de cinq minutes les canons sont mis
en position, et nous commençons à tirer, en surveillant l'effet
de notre feu avec nos jumelles: nous voyons les ennemis
abandonner l'une après l'autre leurs lignes de tranchées.
Pendant ce temps, notre infanterie s'était glissée en avant.
Nous apercevons alors au loin une colonne d'ennemis dans la
principale rue du village. Les Allemands se retiraient de
l'autre côté de la frontière. Nous avions repris Avricourt sans
perdre un seul soldat, et en quelques minutes notre infanterie
occupait de nouveau les postes de la frontière.
Le train des équipages de la landwehr bavaroise capturé
Cette brillante affaire d'Avricourt n'est pas la seule que nos
troupes de Lunéville aient à leur actif.
Dans la journée du 21, tandis que nos troupes fortifiaient la
position conquise, barricadant les rues du village et garnissant
d'artillerie les collines du Sanon, nos aéroplanes signalaient
un retour offensif des Allemands, à 15 kilomètres au sud, sur le
sentier de Richecourt à Blamont.
Par la ligne Richecourt-Blamont, impraticable à l'artillerie,
les Allemands ne pouvaient acheminer que de l'infanterie sans la
faire soutenir par le moindre canon. Il y avait certainement là
une feinte d'attaque plutôt qu'une attaque réelle. Néannoins
plusieurs colonnes ennemies franchissaient les crêtes, se
dirigeant vers les lignes de la Vesouze, privée de la division
qui l'occupait la veille et l'avait quittée pour réoccuper
Avricourt. Il semblait même que les Allemands, loin de
dissimuler leur mouvement, avaient à cœur de signaler leur
présence, car les colonnes suivaient bien ostensiblement les
crêtes au lieu de se dissimuler dans la vallée. Ces mouvements
étranges durèrent toute la journée du 21.
Notre état-major ne pouvait être dupe. L'ennemi cherchait à tout
prix à attirer notre attention dans la direction de la Vezouse
Mais dans le but de tenter quelle opération dans la région d'Avricourt
? En vain nos aviateurs avaient survolé la vallée du Sanon, ni
là ni sur la rive parallèle du canal nos aéros n'avaient
découvert rien d'insolite. On décida alors d'envoyer un peloton
de cavalerie explorer la forêt du Paroy, inaccessible par son
feuillage à l'oeil de nos observateur.
Cependant, au sud. l'infanterie allemande avançait toujours,
réoccupant sans peine Blamont d'abord, Domèvre ensuite, laissé
vides de troupes par notre avance d'Avricourt, nos canons
avaient bien tenter de saluer l'entrée de l'ennemi dans la
vallée la Vesouze, mais sans grand succès vu lu grande distance.
Restant donc dans une expectative prudente, notre état-major,
tout en faisant surveiller par quelques pelotons de dragons les
colonnes allemandes, décida de laisser avancer l'ennemi, sûrs
que nous étions, l'heure voulue, de repousser aisément une
division de fantassins que n'appuyait aucune artillerie et dont
la cavalerie était insuffisante. Il y avait, sans nul doute.
dans cette marche des Allemands au sud une feinte pour nous
obliger dégarnir les abords d'Avricourt.
TEL EST PRIS QUI CROYAIT PRENDRE
Notre état-major ne tarda pas à avoir l'explication de cette
tactique. Ce que n'avaient pu voir nos reconnaissances d'avions,
notre raid de cavalerie venait de l'accomplir. Une estafette
accourait en effet, au soir du 21, annoncer au quartier d'Avricourt
que nos cavaliers avaient découvert, caché dans la forêt de
Paroy, un train d'équipage ennemi considérable. L'estafette, vu
le nombre important de troupes ennemies accompagnant les
convois, demandait à toute vitesse du renfort pour l'attaque
prochaine.
Nous avions là l'explication de la feinte allemande vers le sud,
feinte qui ne tentait rien moins qu'à nous attirer sur la
Vesouze afin que, au nord d'Avricourt, les équipages ennemis
attardés pussent, durant la nuit, repasser sans encombre la
frontière.
Notre etat-major donna rapidement ses ordres. Dès l'aube, la
forêt de Parnay était cernée par un régiment de chasseurs
d'Afrique Sur la ligne de Manonvillier-Avricourt, quatre
batteries battaient la route. Les équipages ennemis étaient
pris. Un bref combat sous bois eut raison de leur résistance. A
11 heures du matin, l'ennemi se rendait.
La prise était d'importance. Tout le train de la Landwehr
bavaroise tomba entre nos mains avec son personnel, conducteurs,
boulangers, infirmiers. Un bataillon entier du 4e corps
complétait la prise. De plus, nous capturions vingt autos de
ravitaillement, y compris deux autos des postes appartenant aux
9e et 16e corps allemands.
La Croix - 6 janvier 1915
Héroïque dévouement d'une française
Entré dans Embermenil, un officier demanda à une femme de la
commune s'il ne restait pas de soldats français dons le
voisinage. Sur une réponse évasive plus que négative, le
lieutenant allemand fit avancer ses hommes, qui furent reçus par
une salve des nôtres - des alpins - lesquels entraient au même
moment de l'autre côté du village.
Le lendemain, le sort des armes fut favorable aux Allemands, qui
s'installèrent dans Emberménil. Aussitôt, l'officier - le même
que celui qui commandait la veille, - convoqua les 200 personnes
composant la population à l'église, et sur le ton d'aménité
qu'on devine, il posa cette simple question :
- Hier, une femme m'a induit en erreur ; si, avant cinq minutes,
elle ne s'est pas fait connaître, tous les gens de la commune
seront passés par les armes !!
Une femme sortit de la troupe : c'était Mme Masson :
- C'est moi, dit-elle, qui vous ai renseigné.
Cinq minutes après, la pauvre femme était fusillée en même temps
qu'un sieur Louis Dîme, dont le physique ne revenait pas sans
doute à l'officier sanguinaire. Et, par mesure de représailles,
leurs deux maisons furent incendiées.
Depuis, on dit à Embermenil que la victime n'était pas la
coupable, mais qu'elle préféra s'immoler pour épargner ses
compagnes !
L'Ouest-Eclair - 27
janvier 1915
Nous faisons sauter la gare d'Emberménil
EST DE LA France, 26 janvier. Des chasseurs ont fait sauter la
gare d'Emberménil, la station avant Avricourt. Les Allemands se
promettaient, parait-il, une nouvelle visite en train blindé.
Les détonations ont réveillé la paisible population de Lunéville
qui dort dans la nuit la plus noire. Aucune lumière n'est
tolérée et le silence le plus complet. Il était deux heures du
matin. Emberménil est cette localité où nous avons surpris un
détachement allemand.
Le Petit Troyen - 25 août
1915
NANCY
Ne touchez pas aux obus perdus
Des enfants de Frémonville, petite commune de l'arrondissement
de Lunéville, jouant dans un champ, découvrirent cinq obus
allemands de 77, non éclatés.
Le jeune Etienne Popart, 12 ans, muni d'un marteau et d'une
pointe, frappa sur l'obus. Le culot seul éclata, mais ses éclats
tuèrent Etienne Popart et blessèrent grièvement son frère ainsi
qu'un réfugié nommé Paul Humbert. Les autorités ont fait
ramasser les cinq engins.
L'Echo de Paris - 2 décembre
1916
CONTES & RÉCITS
L'AGENT N° 34
PAR MARC ELDER
Quand il sut qu'un mouvement offensif allait se dessiner à l'est
de la forêt de Parroy, dans la région d'Emberménil et de
Leintrey, l'agent n° 34 alla trouver son chef. Malheureusement
pour lui, monsieur l'officier de paix, philatéliste passionné,
venait de recevoir une série de timbres rares de la côte des
Somalis et le catalogue Maury l'intéressait pour l'instant bien
autrement que les réclamations de ses hommes. Néanmoins l'agent
n° 34 prit le garde à vous avec confiance et exposa sa requête :
il voulait s'engager.
- Et la police intérieure !... pas l'moment !... n'a besoin d'
vous !... rompez !
Une respectueuse insistance n'obtint rien de plus que quelques
grognements.
On le savait, à la brigade, qu'il ne fallait pas prendre
monsieur l'officier quand il était « dans ses timbres ». L'agent
n° 34 ne désespéra point, guetta une occasion favorable et
recruta des protecteurs. Vous pouvez toujours avoir besoin d'un
gardien de la paix, n'est-ce pas, soit que votre, chauffeur ait
la sportive manie de tamponner les passants, soit que vote chien
se plaise aux randonnées sans muselière, ou qu'il vous arrive de
rentrer tard en chantant des refrains patriotiques. Mais
monsieur l'officier de paix était incorruptible et toutes les
influences furent vaines.
C'est alors que l'agent n° 34 eut une inspiration heureuse et
quasi géniale. Déjà, dans l'espoir de partir, il avait re tiré
ses économies de la caisse d'épargne. Un beau matin il les
recompta, en fit deux parts, mit l'une dans sa poche et sortit.
Une heure plus tard il se trouvait en possession de deux timbres
singuliers de l'Afrique centrale, l'un hexagonal, à l'effigie du
roi pygmée Makoko, l'autre, triangulaire, représentant une ronde
de singes autour d'un palmier.
Quand il se présenta devant son chef, l'agent n° 34 se-sentit
vainqueur ; monsieur l'officier examinait à la loupe les
premières émissions des postes belges en terre française.
Simplement il mit ses deux spécimens sur le bureau et dit :
- Monsieur l'officier, j'ai cru vous faire plaisir en vous
apportant ces timbres que l'on dit rares...
Déjà le collectionneur les avait saisis, tournés, palpés,
flairés, évalués, classés. Son œil sautait d'une vignette à
l'autre et ses mains dansaient à l'entour. Il soupirait d'aise,
renversé dans son fauteuil, mais sans quitter le trésor des yeux
:
- Ah ! mon ami ! Ah ! mon ami...
- Monsieur l'officier, reprit l'agent 34, je me permets de vous
rappeler que je désirerais m'engager...
- Mais comment donc, mon ami, tout œ que vous voudrez ! Et nous
allons hâter les formalités, je vous en réponds ! Ah ! mon ami !
mon-ami !...
Les effusions durèrent quelques instants encore. Puis l'agent n°
34 put se retirer ; et d'un trait il gagna le bureau de
recrutement.
Il s'engagea dans les chasseurs et tout de suite reçut le
sobriquet, de L'Agent. C'était un grand gaillard, bien nourri,
fortement assemblé, peu pressé et d'humeur égale. Il n'avait de
passion que pour la pipe en terre qu'il culottait par principes
et tout à loisir, comme il convient dans un art si délicat. Il
n'eut de hâte que pour partir au front.
Quand il arriva dans la forêt de Parroy, il sembla rentrer chez
lui. En dépit, des bouleversements de cette guerre, qui s'en
prend au sol à coups de pelle et à coups de mitraille, il
reconnaissait chaque arbre, chaque sentier. Sachant les sources,
les ruisseaux, les ravins, et toutes les ressources du bois, il
fut précieux pour ses camarades dans cette vie de troglodyte que
l'industrie personnelle finit par rendre supportable. Mais son
affaire n'était pas de rester en arrière. Il attendait
l'attaque.
Elle vint enfin, après cinq jours de cette préparation tonnante
qui anéantit la vie terrestre et bouscule jusqu'aux nuages
là-haut, dans le ciel. Les hommes étaient serrés, coude à coude,
dans la tranchée, quand le lieutenant tira sa montre, geste bien
connu et le plus tragique peut-être de cette guerre. Alors on
n'est pas encore dans la tempête de la ruée qui fait perdre le
sang-froid de l'esprit, et, dans cette dernière minute de répit,
les souvenirs du cœur, parfois, vous montent à la gorge.
Au-dessus, les avalanches de fer roulent en grondant.
Furtivement, on se passe de l'un à l'autre des lettres, une
photo... Sait-on ce qui peut arriver !... L'Agent seul n'eut
même pas la petite sueur du front qui n'empêche pas d'être
brave. Il culottait une pipe qui tournait joliment à l'ébène.
- 8 heures 29, 30 ! En avant, les enfants !
L'Agent expédia sa pipe au loin, lui si respectueux de-ses
chefs-d'œuvre, et sauta par-dessus le parapet. Le champ semblait
libre, et la progression fut rapide. Sur la gauche, un bouquet
d'arbres hachés, puis la route d'Amenoncourt avec deux ou trois
maisons ruinées en bordure. L'Agent choisit la plus proche et
fonça dessus en entraînant ses camarades. Mais soudain le mur
cracha la mort dans le craquètement des mitrailleuses.
Des hommes culbutèrent. Les autres se couchèrent pour reprendre
le bond. On; voyait- distinctement le canon des armes ennemies
parmi l'amas des sacs de sable. Il suffisait d'un élan pour
toucher le fortin et faire place nette à l'arme blanche. Soudain
l'Agent bondit, et tous le suivirent sans réfléchir. Il y eut
une mêlée courte, sanglante, des, cris, des supplications, puis
le silence. Les prisonniers furent massés dans un coin, derrière
une table brisée. L'Agent repoussa son casque.
- Maintenant, les amis, dit-il, on va boire un coup !
Les camarades le regardèrent avec surprise. Il marcha dans les
ruines, plein d'assurance, déblaya une trappe et disparut. Au
loin, nos tirs de barrage écartaient les renforts et pilonnaient
les fuyards. Près d'eux, les hommes entendirent un jappement ;
puis l'Agent remonta, chargé d'un broc, et suivi, par un vieux
caniche, qui tremblait encore.
Il dit: - Les canailles ! Heureusement qu'ils n'ont pas tué
Négro !
Puis il ajouta, levant sa cruche :
- C'est du plant lorrain, les amis, et il est bon !
Le caniche, flairait les bottes, boueuses et frétillait de son
petit bout de queue. L'Agent lui jeta une croûte, qu'il dévora
d'un coup de dent. Les hommes, encore chauds de l'action,
humaient le « pinard » silencieusement, L'Agent regarda autour
de lui le toit effondré, les murs croulants ; puis il expliqua :
- Je l'avais juré que je la leur reprendrais, ma maison !
Et, s'adressant au chien :
- Allons, mon vieux Négro, fais : Portez arme !
Le caniche se leva sur les pattes de derrière. L'Agent l'arma
d'un éclat de bois. Et tous ces hommes, qui venaient de vaincre
se mirent à rire et portèrent ensemble la santé de Négro. MARC
ELDER. (Traduction et reproduction Interdites.)
Journal de Roanne - 3
décembre 1916
DEVANT L'ENNEMI
Trouvé dans la lettre d'un Artilleur.
Dans cette lettre d'un ami, à la fois artilleur volontaire et «
ancien bâtonnier », ce qui n'est point banal, je trouve ces
pages, ma foi rudement senties et rudement écrites. Tous mes
compliments !
J'insère avec empressement, en souhaitant vive ment d'autres
impressions du même. Mais on n'a pas souvent, même à la guerre,
de ces rencontres à faire frémir.
Rencontre, c'est nous qui mettons ce titre, l'auteur ayant
oublié d'en indiquer un. Il a oublié de même de nous recommander
de mettre le nom ; nous le mettons tout de même ; nous savons
quel plaisir on aura autour de nous à lire ici la signature du
distingué avocat.
RENCONTRE
Décembre 1915.
Le jour était froid ; le paysage uniformément gris et triste. A
la recherche de la batterie 21 et de la pièce de 155 long
baptisée « la Triomphante », je montais un chemin de verdure
longeant la forêt de Parroy. Inquiet, la tête haute, les
oreilles dressées, Bailey, mon bon cheval, allait de son pas
rapide et cadencé.
A chaque détonation je le sentais frémir. Une batterie basse de
95 dissimulée dans les grandes terres, tirait régulièrement.
Placée sur ma droite et un peu en arrière, elle répondait aux
batteries boches qui hurlaient au loin. Ses coups étaient
stridents et fiers.
Sans hâte je m'efforçais de découvrir le chemin de rondins que
de son doigt ganté le capitaine de l'A. D. m'avait désigné d'un
air distrait et, tout en respirant l'odeur humide du bois, les
beaux vers d'Henry de Régnier me venaient à la mémoire.
Chaque arbre a dans le veut sa voix humble ou hautaine
Comme l'eau différente est diverse aux fontaines,
Ecoute-les : chaque arbre a sa voix dans le vent,
Le tronc muet confie au feuillage vivant
Le secret souterrain de ses sourdes racines,
La forêt tout entière est une voix divine : Ecoute-la !
Et j'écoutais la voix divine quand j'aperçus une maison.
Les maisons isolées sont très rares en Lorraine. Commodités de
la vie, besoin de société ou crainte de l'invasion, les Lorrains
n'ont pas voulu être seuls. Toutes les habitations sont groupées
dans les villages rapprochés. Celle-ci, en cet endroit désert et
presqu'aux lignes avait quelque chose de mystérieux - la guerre
semblait l'avoir oubliée. - Emberménil, Reillon, Veho n'étaient
que ruines : elle seule n'avait rien souffert. Son corps était
intact et le vieux poirier qui s'étalait au long de sa façade
n'attendait que le printemps pour fleurir. Trapue, couverte de
vieilles tuiles grises, elle s'harmonisait admirablement dans ce
repli de bois. A l'en tour, d'un côté, un potager mal tenu avec
des plates-bandes de légumes et quelques rosiers ; de l'autre :
un pré fermé parsemé de troncs d'arbres.
La nuit venait : déjà les fusées montaient haut dans le ciel,
illuminant tout de leur splendeur, cependant qu'une lueur
perçait à travers les volets entr'ouverts.
Intrigué et laissant Bailey brouter à son aise, je regardai...
Les sensations sont plus fortes quand on est seul : à cette
heure et dans ce lieu celle que je ressentis fut intense.
Debout, la tête appuyée au carreau, le doigt contre ses lèvres
minces et serrées pour m'imposer le silence, une femme grande et
brune me regardait fixement. Je dus esquisser un mouvement de
retraite car ce fut elle qui m'ouvrit brusquement la porte en me
disant d'une voix blanche : « Ne fais pas de bruit, ils ne sont
pas loin. Je les ai vus. Je t'attendais, mon fils. » Elle
serrait mes mains et m'embrassait : « C'est bien toi. Tu n'as
pas froid. Je t'attendais. »
Je dus m'asseoir à côté d'elle. « Ils ont tout pris, tu sais :
encô les vaches, encô les poules. Ils voulaient aussi m'emmener.
J'ai eu peur. As-tu faim? » Je dus manger. Sans arrêt, elle
continuait: « Un soir, ils m'ont frappée. Ah ! les brutes. Mais
ils paieront. Ecoute mon coeur, il le dit. Ecoute mon cœur comme
il bat. Il le crie : « Ils paieront, ils paieront tout...
tout... jusqu'au sang. »
Son regard me faisait mal. Tout à coup, sur une détonation plus
violente, elle se leva. « Pars, pars vite. Je les entends, ils
te tueraient, mon fils ; ils te tueraient comme ils ont tué
Marcel, mon pauvre Marcel qui est là. Pars, tu reviendras.
Adieu... »
La porte fermée, je partis sans pensée. J'ai repris bien des
fois le chemin de Verdun et j'ai repassé devant la maison. Il
n'y avait que des ruines noircies et informes où couraient des
rats.
Avais-je donc rêvé !
Mais non. Depuis j'ai fait Verdun ; j'ai passé les pentes de
Souville ou de Froide-Terre, j'ai vu la dévastation et la mort,
mais j'entends toujours la voix de ma vieille Lorraine :
« Ils
paieront ! Ils paieront tout, jusqu'au sang ! »
Ce sont les pierres qui parlent.
C. Joseph-Jacques. |
|
|
|