Nous avons donné le récit de la journée du
22 août 1914, tiré de Les
régiments du Centre au feu - La campagne du 95ème.
Le même livre contient une relation détaillée du combat de
Blâmont, vu par le 95ème régiment d'infanterie ; ce
récit est suffisamment précis pour être considéré comme exact .
On y retrouve ainsi l'éclairage des fenêtres imposé aux
habitants par les Allemands dès le 8 août.
Mais si l'on savait le combat de Blâmont un peu confus, les
précisions apportées ici soulèvent bien des interrogations :
-
ce serait le
85ème
régiment d'infanterie qui aurait seul conquis Blâmont,
sans le soutien du 95ème, puisqu'on voit ce dernier régiment entrer
sans heurt dans la ville et se regrouper près de la mairie ;
-
où s'est déroulée
l'attaque de nuit à la baïonnette ? Au nord est de Blâmont
et non entre la ville et le bois de Trion (où deux lignes de
tranchées avaient pourtant été repérées par avions) ?
Relisons à ce titre le passage du 14 août dans
Quatre ans sous le joug allemand
Journal d'une religieuse de l'hôpital de Blâmont occupé par
l'Allemagne (Ed. Gérard louis, 2014)
« A six heures du soir, apparition d'une
avant-garde de chasseurs a pied, nos bleus, nos chers petits
bleus de France. La joie se change en délire, nous nous
croyons délivrés. Cependant la bataille de ce soir-là avait
été dure. Les brancardiers civils nous amenèrent beaucoup de
blessés, des Français cette fois. Pendant que mes chères
soeurs s'empressent autour de ceux qu'on dépose à l'hospice,
je pars au collège remplir le même office, car nous n'avions
pas de médecins. Vers minuit, je reviens. A chaque coin de
rue, des sentinelles. « Qui vive ? » me crie-t-on. « France
» sortit spontanément du fond de mon coeur.
Vers une heure du matin, nous faisions notre ronde de garde,
soeur Félicité et moi. Une compagnie de chasseurs passe
devant notre grille, se dirigeant vers la frontière. Ils
étaient pleins d'ardeur et d'entrain, nos chers petits. Nous
les regardons avec fierté en les encourageant de notre
mieux.
Vers deux heures, une terrible fusillade se fait entendre si
près de nous que nos vitres tremblent. Elle dura
trois-quarts d'heure qui nous parurent un siècle. Puis le
clairon retentit : le signal d'arrêt. Et après, ô nuit
fatale, la compagnie était presque entièrement anéantie par
des forces allemandes supérieures. Une quarantaine de
survivants nous arrivent exténués et découragés. Nos soeurs
s'empressent, on leur prépare un bon thé bien chaud, nous
procédons aux premiers pansements. »
La fusillade s'est déroulée sur la route de Richeval, dans
les vergers, après avoir franchi le passage à niveau
(probablement celui de la rue de la gare) et les
troupes montant vers la frontière le 15 août voient les
traces du combat (fait confirmé par le
JMO du 4ème régiment du
génie « A la sortie de Blamont le terrain est encore
couvert de cadavres de soldats et de chevaux allemands »).
Nous aurons l'occasion de préciser ultérieurement notre
hypothèse, mais il est fort probable que la fusillade se
soit déroulée aux Avettes, en avant de la tourelle Simonin.
-
il reste cependant une
autre interrogation dans ce passage : « Le repli commence
sur Blamont, par la route, par les vignes et les vergers.
Dans le village, les balles claquent de toutes parts sur les
murs et prennent les rues d'enfilade. »
Qui tire ? Reste-t-il des Bavarois dans la ville (alors
que le 95ème régiment est entrée sans difficulté,
et que Soeur Euphémie nous indique que la ville est tenue
par les Français) ? Ont-ils poursuivi le 95ème en
retraite ? Où est-ce ce que rapporte le commandant de la
section de projecteurs du 8ème corps d'armée dans son
journal de marches : « un bataillon du 85e d'inf. tire
sur le 95e et réciproquement » ?
-
et la
chocolaterie flambe encore
comme une torche alors qu'elle a été incendiée le 12 août ?
Ainsi, si ce texte nous
apporte de précieuses informations, il confirme la confusion
régnante, la situation étant d'ailleurs si peu claire que les
habitants n'ont pas encore jugé sans danger d'ôter les lumières aux fenêtres imposées par
les Allemands...
Les
régiments du Centre au feu - La campagne du 95ème
1920
4° Marche sur
Domèvre. - Première vision du champ de bataille. -
Premiers obus (14 Août).
Le 13 au soir, des
ordres prescrivent pour le lendemain la reprise de la
marche en avant.
Le 14, la 32e brigade (13e et 29e R.I.) franchit ln
ligne des avant- postes à 6 h. 30, et se porte à
l'attaque de Domèvre et des hauteurs au nord de la
Vezouze. Le 95e, réserve de division, se rassemble vers
le milieu de la journée, près d'Herbévillers, tandis que
la bataille fait rage à quelques kilomètres au Nord.
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Puis le régiment se
met en marche sur Domèvre, qui vient d'être enlevé à
l'ennemi. De la route, les hommes ont la première vision
d'un champ de bataille. Ils croisent des convois de
blessés, aux linges ensanglantés, emmenés sur des
brancards ou des charrettes. De chaque côté, ils
aperçoivent des morts et des blessés qui gisent entre
des tas de gerbes, ou dans les avoines piétinées. A
gauche, devant un bois que vient d'enlever à la
baïonnette le 29e R.I., les cadavres sont nombreux.
Plus loin, un caisson allemand est renversé dans un
fossé de la route. A Domèvre, où le régiment fait halte,
les murs des jardins sont crénelés, et les
amoncellements d'étuis de cartouches annoncent que la
résistance allemande a été vive.
Le 1er bataillon reçoit l'ordre de se porter en avant et
d'enlever le bois du Trion sur la croupe au sud de
Blamont. Il traverse Domèvre, se déploie à droite de la
route, franchit sous le bombardement un ruisseau ; l'eau
vient à la ceinture - contourne le bois de Trion, occupe
au-delà la crête qui domine Blamont et s'installe aux
avant-postes, pour passer la nuit, sans avoir tiré un
coup de fusil,
Pendant ce temps, le 3e bataillon va occuper les
Clairs-Bois, à l'est de Domèvre. Il y trouve des
tranchées ennemies abandonnées auprès desquelles gisent
encore des outils, indices d'une occupation récente. Le
2e bataillon prend position, avec trois compagnies aux
lisières nord et est de Domèvre, lesquelles sont
organisées définitivement. La 7e compagnie est détachée
plus au Nord en soutien d'Artillerie.
C'est dans cette journée du 14 que le régiment reçoit
les premiers obus, le 1er bataillon près de Mignéville,
le 2e aux abords de Domèvre, le 3e devant la lisière des
Clairs-Bois.
Les premiers obus qui arrivent produisent peu
d'impression, mais il n'en est pas de même pour les
premières rafales. Personne n'est encore familiarisé
avec les calibres des différentes obus, et pendant
longtemps on ne saura distinguer que les « gros noirs »
qui font d'énormes entonnoirs, en projetant une gerbe de
terre et de fumée noire, et les autres, sans nom
particulier, à fumées blanches, qui éclatent
généralement fusants, quelquefois très haut, et qui
semblent moins dangereux.
5° Attaque de nuit de Blamont. (nuit
du 14 au 15 août 1914).
Vers 10 heures du
soir, le 2e bataillon reçoit l'ordre d'attaquer dans la
nuit, les hauteurs tenues par l'arrière-garde bavaroise
à 1 kilomètre au nord de la gare de Blamont.
Les compagnies, alertées aussitôt, se rassemblent dans
la rue et le bataillon se forme sur la route de Blamont.
Le général de Maud'huy donne ses ordres pour l'attaque.
La consigne est de ne pas tirer un coup de feu et d'agir
uniquement à la baïonnette. Un homme, connaissant
l'allemand, s'approchera de la sentinelle ennemie et
cherchera à lui parler. Une patrouille suivra, se
précipitera sur la sentinelle, l'enlèvera en silence ;
et tout le bataillon se portant en avant prendra la
position par surprise. On demande un volontaire sachant
parler allemand; le caporal Gaël Fain, de la 7e
compagnie, se présente.
La colonne, précédée d'un petit groupe d'éclaireurs part
dans la nuit noire; le général de Maud'huy et le colonel
Tourret en tête. Mais la marche est lente et coupée
d'arrêts fréquents. Le bataillon entre dans Blamont,
occupé depuis quelques heures par le 85e. Le village
semble étrangement illuminé. Derrière chaque fenêtre
brille une petite lumière, lampe, veilleuse ou bougie,
posée sur le rebord intérieur. On distingue des traces
de combat récent ; cheval mort étendu dans la rue,
poutres calcinées encore fumantes, tuiles et pierres
tombées des maisons bombardées. La colonne s'arrête, la
compagnie de tête à hauteur de la Mairie. Les fourreaux
des baïonnettes sont enlevés de l'équipement et fixés
sur les sacs. Chacun met baïonnette au canon et
jugulaire au menton, les officiers sabre au clair et
revolver à la main. L'ordre est renouvelé de n'agir qu'à
l'arme blanche.
La colonne se remet en marche en silence. Une section de
la compagnie De la Source est détachée, en flanquement
sur la route d'Autrepierre, éclairée comme en plein
jour, par la chocolaterie qui, un peu plus loin, flambe
dans la nuit, telle une torche. Le bataillon franchit le
passage à niveau, s'engage sur la route de Richeval et,
à mi-côte, se forme en colonne double. Puis les
compagnies de tête (6e et 7e) se déploient en
tirailleurs, tandis que les 8e et 5e compagnies restent
sur les côtés de la route.
L'ennemi occupe un chemin creux, perpendiculaire à la
route de Richeval. Le commandant Bavet détache dans
cette direction le caporal Gaël Fain, suivi d'une
patrouille, pour agir selon le plan établi. Le bataillon
se tient prêt. Tout à coup, deux coups de feu
retentissent suivis bientôt de quelques autres... La
sentinelle ennemie a donné l'alarme.
Mais, les cris de « En avant ! A la baïonnette ! » sont
poussés par tout le bataillon. Les 6e et 7e compagnies
s'élancent à l'assaut droit devant elles.
L'ennemi déclenche aussitôt une fusillade terrible. Les
deux compagnies restées à la route se couchent dans les
fossés ou s'abritent derrière les murs des vergers. Les
mitrailleuses du bataillon, amenées en toute hâte, sont
mises en batterie, mais elles ont à peine tiré quelques
bandes que la violence du feu ennemi et les pertes
subies, les obligent à cesser le feu.
Les lignes de tirailleurs sont obligées de se coucher.
Cependant, avec une ardeur héroïque, la progression
continue à travers les champs de betteraves et de
céréales, par bonds courts, au commandement des chefs de
section. La fusillade est de plus en plus intense. Les
sections de tête s'approchent des tranchées allemandes
qu'elles ne voient pas dans la nuit, mais d'où elles
entendent, distinctement, les voix et les commandements
ennemis.
Déjà les éléments de la 7e compagnie sont à 20 m de
l'objectif. Le lieutenant Quinquet, devançant sa
section, bondit sur la tranchée allemande, mais vient
tomber sous le feu d'une mitrailleuse qui l'abat, à
quelques mètres du parapet ennemi. Le sous-lieutenant
Eucharis, de la 7e compagnie ; le sous-lieutenant
Algrini et l'adjudant Lartigot, de la 5e compagnie, en
avant de leurs sections qu'ils entrainent tombent
criblés de balles. Quelques hommes pourtant parviennent
à la tranchée ennemie où ils engagent un furieux corps à
corps. Mais, devant la violence des tirs ennemis, les
groupes avancés doivent se replier. Le clairon sonne : «
Cessez le feu » et « Rassemblement ». Bientôt, du côté
de l'ennemi, une sonnerie résonne, lugubrement, dans la
nuit. La fusillade dure encore longtemps de part et
d'autres. Les petits groupes et les isolés appellent «
Ici compagnie De la Source ! », « Ici, section Quinquet
! », et un peu plus haut, on distingue dans la nuit, des
silhouettes noires qui appellent, elles aussi, dans une
autre langue.
Le repli commence sur Blamont, par la route, par les
vignes et les vergers. Dans le village, les balles
claquent de toutes parts sur les murs et prennent les
rues d'enfilade.
Ce qui reste du bataillon se groupe à Blamont, puis
rentre à Domèvre.
Le lendemain, 15 août, les bataillons passant sur la
route d'où est partie l'attaque, regarderont avec
émotion le lieu de l'action. Ils salueront les corps des
nôtres, non encore relevés par les habitants, celui du
lieutenant Quinquet, ceux des sous-lieutenants Eucharis
et Allegrini, dans leurs uniformes de Saint-Cyriens. Ils
contempleront un instant les traces de lutte : cadavres
ennemis, baïonnettes tordues, crosses brisées, milliers
d'étuis de cartouches recouvrant le fond de la tranchée
allemande, et le 2e bataillon, qui passe le dernier,
rencontrant un blessé de la nuit, que les habitants de
Blamont ramènent sur un brancard, présentera les armes. |
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