La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915
La Grande-Guerre
LA VIE EN LORRAINE SEPTEMBRE 1914
L'Est Républicain
NANCY
Septembre 1914 fut pour la Lorraine l'époque à la
fois la plus critique et la plus magnifique. En
août, on avait vu la hardie équipée de Mulhouse. On
assista en septembre à l'héroïque défense du
Grand-Couronné de Nancy.
C'est ce mois-là qu'un Taube jeta, pour la première
fois, sur la capitale lorraine des bombes
meurtrières, et que Nancy fut bombardée.
C'est encore ce mois que les Allemands, rejetés sur
l'Aisne par nos armées, durent évacuer une grande
partie du territoire lorrain et quitter Lunéville.
Ces dangers et ces victoires, il est bon de les
revivre. Et si le récit des atrocités commises par
les Barbares serre le coeur douloureusement, le
souvenir de l'ardente bataille qui éloigna de nous
les hordes sauvages éveille le sentiment puissant
des plus nobles espérances.
René MERCIER.
LA SITUATION
Communiqué du ministère de la Guerre, le 30 août, à
23 heures.
L'ensemble de la situation est la même que dans la
matinée.
A L'EST
Après une accalmie, la bataille a repris dans les
Vosges et en Lorraine
SUR LA MEUSE
Sur la Meuse, à Sassey, près d'un régiment
d'infanterie ennemie, qui tentait de passer la
rivière, a été presque complètement anéanti.
AU NORD
A notre gauche, le progrès de l'aile marchante
allemande nous oblige à céder; du terrain.
LE RETOUR DES POSTES
Nancy, 31 août.
M. L. Mirman, préfet de Meurthe-et-Moselle, a reçu
ce matin le personnel des postes et télégraphes qui
lui a été présenté par M. Ravillon, directeur
intérimaire.
« Vous voici, leur a-t-il dit en substance, de
retour à Nancy. Votre départ a causé ici une grosse
émotion. De ce départ vous n'êtes en aucune façon
responsables. Vous êtes soumis à une rigoureuse
discipline. Vous avez reçu un ordre précis de
départ; quelle que fût votre tristesse vous ne
pouviez pas ne point l'exécuter, vous ne pouviez pas
le discuter; vous deviez obéir ; vous avez obéi.
Autant l'ordre de départ vous avait attristés,
autant l'ordre de retour vous a réjouis. Je ne peux
croire un instant qu'il se trouvera à Nancy une
seule personne assez ignorante de votre discipline
professionnelle pour ne pas comprendre cette
situation et faire peser sur vous, à l'occasion de
ce départ des postes, une responsabilité morale qui
ne vous appartient pas. Ce serait une véritable
injustice. Elle ne sera pas commise, je vous le
promets au nom de la population de Nancy, dont je
connais déjà le sentiment profond d'équité.
Mais aussi je promets en votre nom à cette
population nancéienne que tous les efforts
humainement possibles seront faits par vous tous
pour remettre dans le plus bref délai tous les
services dans leur état normal. La population a le
droit d'attendre de vous ces efforts ; vous y
consentirez allègrement, car je sais de quels
sentiments à la fois de loyalisme professionnel et
de patriotisme, vous êtes animés Ainsi sera vite
effacé le souvenir de ce grave et regrettable
incident, au sujet duquel le gouvernement recherche
et saura discerner les responsabilités, et dont la
population de Nancy et vous-mêmes avez été à des
titres divers les victimes. »
M. Ravillon, directeur intérimaire, et dont M. le
Préfet a ensuite affirmé les qualités de labeur,
d'initiative et de sang-froid, s'est fait
l'interprète du personnel tout entier pour remercier
M. le Préfet de cette réception et pour lui donner
l'assurance formelle du dévouement patriotique de
tous ses collaborateurs.
DANS LES HOPITAUX
Nancy, 31 août 1914.
M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle, accompagné de M.
le Maire de Nancy, a visité, dans l'après-midi de
dimanche, les établissements hospitaliers Marin et
du Séminaire, dépendant des hospices civils, et la
grande ambulance du Bon-Pasteur, organisée par la
Société de secours aux blessés.
L'établissement Marin est spécialement affectés aux
malades. M. le Préfet a constaté avec satisfaction
d'abord que le nombre de ceux-ci est beaucoup moins
considérable qu'on aurait pu le craindre, ce qui
montre que nos réservistes et territoriaux ont
supporté très allègrement les fatigues de cette
période de guerre ; en second lieu, que la plupart
de ces maladies étaient peu graves ; enfin que les
quelques typhiques étaient rigoureusement isolés.
Dans chaque salle où se trouvaient des soldats
récemment blessés, M. L. Mirman a prononcé des
paroles de fierté patriotique qui ont été au coeur de
tous ; quand il a annoncé que dans notre région
l'action de l'ennemi avait été arrêtée puis
nettement dominée et que de toutes les localités où
ces blessés étaient tombés, les Allemands venaient
d'être repoussés ; quand il leur apporta
l'expression de la gratitude de la ville de Nancy,
qui, grâce à leurs efforts, était débarrassée
aujourd'hui de l'angoisse qui pesait sur elle ;
quand il leur déclara qu'il venait non les plaindre,
mais les féliciter de leurs blessures et de leurs
souffrances, tous, les yeux joyeux et fiers,
applaudirent comme ils purent, et c'était un
spectacle touchant de voir de braves petits gars aux
deux mains entortillées rapprocher et tapoter l'un
contre l'autre leurs tampons d'ouate et de linge
pour exprimer leur satisfaction et leur orgueil.
LE FORMIDABLE ÉTAU
Nancy, 1er septembre.
Les deux grandes pensées de l'Allemagne guerrière :
« l'attaque brusquée » et « la France otage » sont
en faillite.
Pour la première, la résistance héroïque de la
Belgique l'a fait échouer, et dans des conditions
désastreuses pour le peuple agresseur.
Plus d'un mois après le début de la mobilisation,
près d'un mois après-la déclaration de guerre, les
Allemands sont retenus tout près de la frontière
française, et n'ont guère pu pénétrer qu'au prix
d'efforts énormes et qui les affaiblissent de jour
en jour.
Paris se garde. Et Nancy, que les Prussiens
comptaient bien occuper dès la troisième heure, n'a
pas vu le casque d'un uhlan, sauf aux mains des
Français.
Pour « la France otage » il s'en va de même. Grâce
aux Belges, grâce à nos loyaux et admirables alliés
les Anglais unis aux vaillantes armées françaises,
grâce aux Russes qui s'avancent en ouragan dans la
Prusse orientale et en Galicie, grâce à la
sympathique neutralité de l'Italie, la France est
toujours libre, et peut protester devant l'univers
contre la barbarie allemande.
Mieux encore. Ce n'est plus de « la France otage »
que l'on parle maintenant, c'est de « la Prusse
otage » que les Anglais ont commencé à s'entretenir.
Pendant que nos armées tiennent les envahisseurs en
respect et leur infligent des pertes considérables,
les Russes s'avancent vers Berlin, et font deux
trouées à la fois.
Les Allemands sont maintenant loin de leur centre de
ravitaillement. Ils ont perdu un grand nombre
d'hommes, et dépensé une grosse quantité de
munitions. Ce n'est point la dure contribution de
guerre qu'ils imposent aux villes belges qui leur
procurera des munitions ni leur rendra des hommes.
Ils sont bloqués de toutes parts, sur terre et sur
mer, et voués à la prochaine famine.
Que peuvent-ils faire ?
Pousser au Nord une tentative désespérée sur Paris
comme on se jette au plus profond de l'eau ?
Mais ils ont déjà vu que la marche n'était pas aussi
commode qu'ils le croyaient. Ils n'ont pas à
attendre de renforts. Nos armées alliées seront
augmentées au contraire progressivement et pour
ainsi dire indéfiniment.
Se retourner contre les Russes et aller au secours
de la Prusse envahie ? Mais ils n'iront que poussés
baïonnette au flanc, harcelés sans cesse par les
Français, les Anglais et les Belges qui attendent
sans doute impatiemment à Anvers la bonne occasion.
Et en quel état arriveraient-ils sous Berlin ?
Poursuivis dans leur retraite au devant des Cosaques
déjà victorieux.
L'armée allemande est prise dans les mâchoires d'un
formidable étau. L'une des mâchoires est fixe, la
France, qui ne se laisse point forcer. L'autre est
mobile, la Russie qui avance comme mécaniquement,
broyant toutes résistances.
Que les heures passent. Tenons toujours. Plus que
jamais ayons confiance.
Bientôt, bientôt, mes amis, le grand corps allemand
sera serré dans l'énorme pince de l'Europe.
Et les soubresauts furieux ne nous feront alors plus
de mal.
RENÉ MERCIER.
AVIS AUX MAIRES
pour les Laissez-Passer
Nancy, 1er septembre.
Monsieur le Préfet de Meurthe-et-Moselle vient
d'adresser aux maires du département le télégramme
suivant : « Vous fais connaître qu'autorité
militaire a décidé que les « laissez-passer »
délivrés par les maires ne sont valables que s'ils
ont été visés par l'autorité militaire.
« Les habitants qui sont sur la rive gauche de la
Meurthe ne doivent pas passer sur la rive droite, il
ne leur sera accordé aucun permis de circuler au
delà de la ligne : Dombasle, Buissoncourt, Cercueil,
Laneuvelotte, Bouxières-aux-Chênes, Montenoy, Bratte,
Sivry. Ville-au-Val, Bezaumont. »
LA SITUATION D'ENSEMBLE
31 août, soir.
1° Vosges et Lorraine
On se rappelle que nos, forces qui avaient pris
l'offensive dans les Vosges et en Lorraine, dès le
début des opérations, et repoussé l'ennemi au delà
de nos frontières ont ensuite subi des échecs
sérieux devant Sarrebourg et dans la région de
Morhange, où elles se sont heurtées à des
organisations défensives très solides.
Ces forces ont dû se replier pour se reconstituer,
les unes sur le Grand Couronné de Nancy, les autres
dans les Vosges françaises.
Les Allemands sont alors passés à l'offensive. mais
après avoir repoussé les attaques ennemies sur les
positions de repli qu'elles avaient organisées, nos
troupes ont repris l'attaque depuis deux jours.
Cette attaque n'a cessé de progresser, bien que
lentement. C'est une véritable guerre de siège qui
se livre dans cette région : toute position occupée
est immédiatement organisée de part et d'autre.
C'est ce qui explique la lenteur de notre avance,
qui n'en est pas moins caractérisée chaque jour par
de nouveaux succès locaux.
2° Région de Nancy et Woëvre méridionale
Depuis le début de la campagne, cette région
comprise entre la place de Metz, côté allemand, et
les places de Toul et de Verdun, côté français, n'a
été le théâtre d'aucune opération importante.
3° Direction de la Meuse entre Verdun et Mézières
On se rappelle que les forces françaises avaient
initialement pris l'offensive dans la direction de
Longwy-Neufchâteau (Belgique) et Paliseul.
Les troupes, opérant dans la région Spincourt et
Longuyon ont fait éprouver un échec à l'ennemi
(armée du prince royal).
Dans les régions de Neufchâteau et Paliseul, au
contraire, certaines de nos troupes ont subi des
échecs partiels, qui les ont contraintes à s'appuyer
sur la Meuse, sans toutefois être entamées dans leur
ensemble Ce mouvement de recul a obligé les forces
opérant dans la région de Spincourt à se replier
aussi vers la Meuse.
Au cours de ces dernières journées, l'ennemi a
cherché à déboucher de la Meuse avec des forces
considérables, mais une vigoureuse contre-offensive
de notre part l'a rejeté dans la rivière, après
avoir subi de très grosses pertes.
Cependant, des forces nouvelles allemandes se sont
avancées par la région de Rocroy, marchant dans la
direction de Rethel.
Actuellement, une action d'ensemble est engagée dans
la région comprise entre la Meuse et Rethel, sans
qu'il soit encore possible d'en prévoir l'issue,
définitive.
LE CANON
Nancy, 1er septembre
Le canon a tonné une grande partie de la nuit et le
matin encore. Mais on s'habitue à cette musique qui
n'émeut plus personne.
On se contente de se demander de quel côté vient le
bruit, et on fait des hypothèses. C'est tout ce
qu'on peut faire pour l'instant.
AUTOMOBILES ET BICYCLETTES
Nancy, 1er septembre.
Par ordre du général commandant la 2e armée, la
circulation des automobiles civiles dans le
Grand-Couronné est interdite.
La circulation des bicyclettes est également
interdite.
Les automobiles de la Croix-Rouge circulant seules
seront arrêtées et confisquées.
Seules, pourront circuler les automobiles de la
Croix-Rouge formant un convoi précédé d'un militaire
portant un pli rouge..
P 0. Le chef d'état-major.
Une Héroïne
LA TÉLÉPHONISTE D'ÊTAIN
La petite ville d'Etain a subi deux bombardements.
Le premier eut lieu lundi, de 11 heures du matin à
11 heures du soir. Il fit de nombreuses victimes. Le
second commença le mardi matin, à 11 heures. La
ville fut bientôt en flammes. De nombreuses
personnes périrent dans l'incendie.
Le bureau de poste était resté confié à la garde
d'une jeune employée. Loin de céder à une terreur
bien compréhensible, cette jeune femme ne quitta pas
son poste. Pendant que les obus pleuvaient sur la
ville, elle se tenait dans son bureau, téléphonant
de quart d'heure en quart d'heure à Verdun pour
rendre compte de ce qui se passait.
Le directeur des postes de Verdun était en train
d'écouter cette courageuse jeûne fille ; tout d'un
coup, celle-ci s'interrompit et cria : « Une bombe
vient de tomber dans le bureau »
Et tout rentra dans le silence.
Les employés des postes ont eu, en 1870, Mlle Dodu.
La téléphoniste d'Etain, en 1914, montre que le
courage de la célébra télégraphiste de Pithiviers
anime toujours celles qui l'ont suivie dans la
carrière.
A BELFORT
Le gouverneur de Belfort signale que des personnes
précédemment évacuées de cette place continuent à y
revenir en grand nombre.
Il a décidé, en conséquence, de refuser
rigoureusement l'entrée de Belfort à toute personne
non munie d'une autorisation signée à la fois du
maire de la commune et du préfet.
Les maires auront donc à présenter tous les
sauf-conduits à destination de Belfort au préfet du
département auquel il appartiendra de restreindre au
minimum possible les autorisations accordées.
A dater du dimanche 30 août, les trains réguliers
entre Belfort et Dijon ou vice-versa qui avaient été
supprimés précédemment, sont remis en marche entre
ces deux points.
Cette ligne sera, comme dès le deuxième jour de la
mobilisation, desservie par quatre trains circulant
dans chaque sens.
Les trains 203 et 207 sur Vesoul, 210 et 216 de
Vesoul sur Besançon, restent toujours supprimés
jusqu'à nouvel avis.
LES LUMIÈRES LA NUIT
Le Préfet de Meurthe-et-Moselle ; En vertu des
pouvoirs qui lui sont délégués par l'autorité
militaire ;
Sur la demande de M. le Général de division,
commandant d'armes ;
Considérant qu'il importe de mettre un terme aux
signaux lumineux qui, à diverses reprises, ont été
signalés, et que la seule mesure efficace pour
atteindre ce but paraît être l'interdiction absolue
d'éclairer les fenêtres ; qu'une telle mesure
constituera à n'en pas douter une gêne pour tous les
habitants, mais que cet inconvénient sera
allègrement supporté par la patriotique population
nancéienne, consciente de l'intérêt public qu'il
faut à tout prix sauvegarder ;
Arrête :
Article premier. - A partir du 2 septembre, et
jusqu'à nouvel ordre, dès la tombée de la nuit,
nulle fenêtre ne pourra être éclairée.
Article 2. - Tout agent ou représentant de la force
publique aura droit de perquisition chez l'habitant
qui enfreindrait cet ordre.
Fait à Nancy, le 1er septembre 1914.
Le Préfet :
Signé : L. MIRMAN.
Pour copie conforme : Le Secrétaire général Signé :
ABEILLE.
APPROVISIONNEMENT DE NANCY
Nancy, 1er septembre.
La municipalité de Nancy vient d'obtenir de
l'autorité militaire la mise en marche d'un train
hebdomadaire de marchandises de Chagny P.L.M. à
Nancy.
Ce train partira pour la première fois de Chagny le
8 septembre prochain.
Pour l'organisation de ce premier train, M. Antoine
se rendra dans la région lyonnaise d'ici quelques
jours. Il se met à la disposition des commerçants de
Nancy, jusqu'au 4 inclus, pour faciliter leur
réapprovisionnement.
Les commerçants qui désireraient profiter de ce
train peuvent faire leurs commandes et les envoyer
en gare Chagny à l'adresse : Ville de Nancy Ils sont
priés également de remettre à l'hôtel de ville le
double de leurs commandes.
ORDRE DE LA PLACE
Des sauf-conduits pourront être délivrés par les
maires exclusivement aux personnes chargées de
ravitailler la commune, ou à celles chargées
d'apporter à Nancy des produits alimentaires.
Ces voyages uniquement destinés au ravitaillement de
la ville auront lieu de 6 heures à 18 heures.
L'itinéraire suivi sera le même à l'aller qu'au
retour.
Les maires de Tomblaine, d'Essey, de Saint-Max et de
Malzéville, ont été prévenus de cette mesure.
Nancy, le 1er septembre 1914.
Ordre du général DURAND.
LES ESPIONS
Nancy, 2 septembre.
Plusieurs espions viennent d'être fusillés dans la
région de Nancy, entre autres un espion surpris en
train de couper des fils téléphoniques, un autre qui
faisait des signaux dans les clochers des églises et
un autre qui posait une antenne de télégraphie sans
fil.
LES SOUPES DE GUERRE
Le Poste Saint-Nicolas
Au Restaurant Marchal
Nancy, 2 septembre.
Depuis trois semaines, les « soupes de guerre »
fonctionnent. Elles donnent, tous les jours, entre
onze heures et midi, un repas aux foyers éprouvés
par la mobilisation du chef ou des soutiens de la
maison.
Des « postes » sont institués dans tous les
quartiers, particulièrement dans les édifices
scolaires. Des commerçants s'improvisent
administrateurs de ces établissements populaires, de
ces cantines qui ont déjà écarté dans maint quartier
les horreurs de la faim.
Sous la conduite de M. Ramel, le sympathique
entrepreneur de peinture, nous avons assisté, hier,
au fonctionnement du poste installé, en face, au
restaurant Marchal.
M. Marchal est parti, dès le début de la guerre. Il
a reçu le baptême du feu. Une blessure le retient à
l'hôpital d'Arcachon. Sa femme, en son absence,
exploite le fonds. Mais vous pensez bien que son
commerce lui laissait des loisirs : les usines
d'alentour sont fermées, la fabrication des chapeaux
de paille et de la chaussure a cessé. Chômage
complet. Alors plus d'ouvriers aux comptoirs des
buvettes ; plus de pensionnaires aux tables des
gargotes.
- Accompagnez-moi donc, nous dit M. Ramel... Vous
vous rendrez compte des services qu'on a obtenus par
l'indispensable association des efforts
administratifs et des concours particuliers.
Tout d'abord, le Bureau de bienfaisance avait
proposé d'ajouter à ses services l'organisation des
secours aux indigents ; mais un irrésistible élan de
philanthropie, discipliné par d'habiles initiatives
et d'infatigables dévouements, montra bientôt que,
pour réaliser entièrement son oeuvre sociale, M.
Antoine pouvait compter sur l'intelligence et le
zèle des citoyens. Les résultats ont justifié la
confiance de l'honorable conseiller :
- Tout marche à merveille, nous dit M. Ramel. Les
approvisionnements consistent en viande provenant de
la boucherie militaire. Les abattoirs livrent en
abondantes quantités la fressure, le coeur, ce que
les ménagères appellent communément les « intérieurs
» et cela fournit un excellent bouillon. C'est mon
camarade Wendler, le brave entrepreneur de
menuiserie, qui assure la marche régulière des
services. Tâche délicate et lourde. On ne lui
marchande pas trop les moyens ; mais il a été
souvent obligé de recourir à son ingéniosité
personnelle pour se les procurer. Songez qu'on fait
une cuisine dont le prix de revient est d'environ
six centimes par ration. Il me paraît difficile de
faire meilleure chère avec aussi peu d'argent.»
M Ramel me propose de goûter la soupe.
Au fond du restaurant Marchal, les fourneaux
rougeoient. Un feu ardent maintient en ébullition
les marmites d'où s'exhale une savoureuse odeur de
pot-au-feu. Le personnel s'empresse ; une jeune
femme prépare les morceaux de viande, une autre
épluche poireaux, choux et carottes ; l'attention du
cuisinier surveille le travail. Encore dix minutes -
et la distribution commencera
Le quartier de la Prairie, les habitants des rues
Sainte-Anne, Didion, Charles-III, Saint-Nicolas, de
la Salle, composent la principale clientèle.
Toutes les classes sont réunies dans une commune
détresse. Des barbes hirsutes, des garçons qui
traînent la savate et des fillettes qui vont
nu-pieds ; caracos rapiécés, blouses en lambeaux,
vieux vêtements que l'aîné trop grand abandonne aux
cadets. Ouvriers que les cheveux blancs, la maladie
ou quelque infirmité retiennent à Nancy ; ménagères
aux yeux rougis par la fatigue des veillées et les
tristesses des adieux ; gamins dont la tignasse
s'ébouriffe et nimbe d'or clair la candeur timide ou
inquiète du visage, toute la pauvreté des taudis
vides accourt vers la distribution des soupes de
guerre Nous allons jeter un coup d'oeil à la cuisine.
Tout heureux, avec un grain de fierté, le « chef »
en tablier a rempli deux bols que nous dégustons
avec plaisir.
- Votre soupe sera meilleure qu'hier, annonce M.
Ramel, aux braves gens dont le nombre grossit
d'instant en instant. Tenez prêts vos tickets... »
Personne ne se fait répéter la recommandation. Deux
petits chiffons de papier tremblent dans toutes les
mains. Un silence. On cesse de se raconter entre
voisins toutes les histoires exagérées ou fausses
qui circulent dans le quartier à travers les
inquiétudes d'une population dont le canon enfièvre
l'esprit.
Onze heures.
Une ruée se produit ; une bousculade où les gosses
essaient de se faufiler adroitement pour « gagner
une place » ; mais les vieux, sans indulgence,
interviennent. Chacun son tour, n'est-ce pas ? Rien
de plus juste. Les premiers arrivés doivent être les
premiers servis.
Il y a là une extraordinaire collection
d'ustensiles, les pots-de-camp en faïence bleue, les
boîtes-laitières en fer blanc, casseroles, brocs,
vases de toutes formes, seaux à confitures Faute de
récipient plus volumineux, un gosse en haillons tend
une espèce de terrine ordinairement employée pour
les rillettes de Tours, presque un coquetier :
« - J'ai pas autre chose... » Et son embarras trahit
moins l'ennui de rapporter à la maison si peu de
soupe que la confusion de paraître ridicule aux yeux
de tout ce monde.
Parfois des erreurs se produisent. Des familles
viennent « toucher » au restaurant Marchal, alors
que leurs bons sont valables pour l'école
Saint-Pierre ou pour la laiterie Saint-Hubert.
M. Ramel explique alors :
« - Tu vois, mon petit, nos bons sont marqués d'une
M. Le tien est marqué d'un C à l'encre rouge. Ça
signifie que c'est chez M. Couillard, rue Pichon,
qu'il faut aller. Dis-le à ta maman.. »
Si l'on acceptait, en effet, dans tel établissement
ceux qui sont inscrits ailleurs pour les secours, on
s'exposerait à manquer ici de rations, tandis
qu'ailleurs on perdrait au contraire une précieuse
quantité de viande et de bouillon :
« - Je distribue 350 soupes en moyenne, déclare M.
Ramel. Il y a trois jours, j'en ai distribué 530 ;
mais ce chiffre ne sera plus atteint. On comprenait
dans ce maximum plusieurs rues qui s'approvisionnent
maintenant à l'école Saint-Pierre. »
M. Ramel ajoute une intéressante constatation.
Chaque bon représente environ trois rations. Les
familles les plus nombreuses se composent de sept
personnes ; mais elles sont plutôt rares :
« - Notre installation est très modeste; nous avons
utilisé le matériel d'un restaurant dont la patronne
s'est mise sans hésiter à notre disposition. Mais à
l'Ecole supérieure de la Ville-Vieille, M. Antoine
et ses amis ont organisé de toutes pièces un poste
modèle où s'alimente le quartier des Trois-Maisons.
Nous serons en mesure d'atténuer les détresses, les
misères auxquelles le chômage des usines et toutes
les conséquences de la guerre réduiront la
population laborieuse de Nancy »
A tant de nobles efforts ne manqueront point de
s'associer tous ceux dont la sensibilité s'éveille
au douloureux spectacle de tant de pauvres gens qui
sont aujourd'hui presque sans pain et que la
prolongation des hostilités priverait de feu.
ACHILLE LIEGEOIS.
PRÉCAUTION NÉCESSAIRE
Nancy, 3 septembre.
Il ne faut point s'étonner du transfert du
gouvernement ailleurs qu'à Paris.
C'est une simple précaution, une précaution
nécessaire à tous les points de vue.
Le gouvernement a besoin, dans l'intérêt de la
défense nationale, de se tenir en communication
constante avec toute la France. Tous les services
administratifs sont solidaires, et tous sont
indispensables à la vie publique.
Sans cette collaboration intime, le désordre
régnerait. La meilleure volonté ne remplace en effet
ni l'information exacte, ni la documentation, ni la
science.
Le gouvernement se place hors des centres que l'on
menace d'isoler, comme l'état-major se garde un peu
éloigné de la ligne de feu.
Cela ne veut nullement dire que Paris risque d'être
pris. En 1870, il résista héroïquement pendant de
longs mois, et pourtant il n'était pas protégé par
la puissante couronne de forts que l'on a maintenant
élargie.
De plus, la France à cette époque était abandonnée
de tous. Aujourd'hui elle est admirablement aidée à
l'Est par les Russes, à l'Ouest et sur mer par les
Anglais, au Nord par les Belges retirés au camp
d'Anvers, et toujours prêts à l'offensive.
Enfin Paris n'est pas encore sur le point d'être
investi. En aucun cas il ne peut être entièrement
bloqué.
Mais le gouvernement a le devoir d'envisager toutes
les éventualités, même les plus invraisemblables.
Il a le devoir de conserver toute sa liberté, de
voir de loin et de haut, d'organiser la défense du
sol d'après les événements survenus chaque jour, et
d'après les plans anciens ou les desseins nouveaux.
Pour ces raisons seulement il a quitté Paris et
s'est rendu à Bordeaux.
A Bordeaux comme à Paris, il travaillera ardemment
au salut de la patrie et au triomphe de.la
civilisation.
RENÉ MERCIER.
ACADÉMIE DE NANCY
Félicitations ministérielle
Dans un rapport d'ensemble au ministre de
l'Instruction publique, le recteur de l'Académie de
Nancy a donné un aperçu sommaire des services que
rendent, dans les hôpitaux et les différentes oeuvres
municipales d'assistance, etc., avec la plus noble
émulation et un entier dévouement, les membres des
Facultés et Ecoles de l'Université de Nancy, les
chefs d'établissements dans les Lycées et Collèges
de garçons et de jeunes filles, avec une bonne
partie de leurs professeurs, les directeurs et
directrices des Ecoles normales et, en général, de
toutes les Ecoles publiques, bon nombre
d'instituteurs et d'institutrices, et même des
élèves-maîtres et élèves-maîtresses à peine sortis
des Ecoles normales, ou qui vont y entrer.
Le ministre a répondu au recteur, en date du 28
août, la lettre suivante, dont celui-ci s'empresse
de donner connaissance :
« Les membres du personnel enseignant de l'Académie
de Nancy sont à un poste d'honneur. Je savais que,
en temps de guerre comme en temps de paix, le
Gouvernement pouvait compter sur leur dévoûment au
bien public et leur ardent patriotisme.
« Je vous prie de les remercier de leur
collaboration si précieuse à l'oeuvre de la défense
nationale, et de leur transmettre l'expression de ma
vive sympathie et de ma profonde gratitude.
« Signé : Albert SARRAUT. »
Contre l'Espionnage
Nancy, 3 septembre.
Le préfet de Meurthe-et-Moselle porte à la
connaissance des populations du département les
ordres suivants du haut commandement : Le général
commandant la 2e armée, résolu de paralyser
l'espionnage par tous les moyens, prescrit les
mesures suivantes dans toute la partie du
département de Meurthe-et-Moselle située à l'est de
la Moselle :
1° La circulation des bicyclettes est formellement
interdite ;
2° Les personnes à pied ou en voiture à chevaux ne
pourront circuler en dehors des agglomérations que
munies d'un laissez-passer délivré par la
préfecture. Les laissez-passer seront valables
seulement de 6 heures du matin à 6 heures du soir ;
3° La circulation des automobiles est interdite.
Seul le commandant de l'armée se réserve le droit
d'accorder des sauf-conduits dans certains cas
strictement limités ;
4° Tous les contrevenants aux prescriptions
précédentes seront arrêtés, les bicyclettes et
automobiles confisquées.
Il est bien entendu que la décision du général
Durand relative au passage de la rive gauche de la
Meurthe sur la rive droite est maintenue.
Interdiction d'éclairer les Fenêtres
Le préfet de Meurthe-et-Moselle,
En vertu des pouvoirs qui lui sont délégués par
l'autorité militaire ;
Sur la demande de M. le général de Castelnau,
commandant la 2e armée ;
Considérant qu'il importe de mettre un terme aux
signaux lumineux, qui, à diverses reprises, ont été
signalés, et que la seule mesure efficace pour
atteindre ce but paraît être l'interdiction absolue
d'éclairer les fenêtres ;
Arrête :
Article 1er. - Il est interdit sur toute l'étendue
du département de Meurthe-et-Moselle de laisser,
pendant la nuit, des lumières apparentes aux
fenêtres des maisons.
Article 2. - Tout agent ou représentant de la force
publique aura droit de perquisition chez l'habitant
qui enfreindrait cet ordre.
Article 3. - Le présent arrêté sera mis
immédiatement en application.
Nancy, le 3 septembre 1914.
Le préfet : MIRMAN.
Pour copie conforme : Le secrétaire général :
ABEILLE.
NOS TROPHÉES
Nancy, 3 septembre.
Les sept canons et la mitrailleuse pris aux
Allemands et qui depuis plusieurs jours étaient
alignés place Stanislas, ont été emmenés, mercredi à
midi et demi, pour être conduits dans l'intérieur de
la France.
Il n'y a pas de pourtant
MONSIEUR
Nancy, 4 septembre.
J'ai assez souvent avec des amis visité des
établissements industriels, commerciaux, agricoles,
des usines qu'emplissait un tapage infernal, des
installations où régnait un silence religieux bien
que des tonnes de minerai fussent enlevées par
d'immenses bras de fer. Partout je regardais, et
cherchais à comprendre, mais sans me sentir une
suffisante autorité pour donner des conseils.
Cependant autour de moi j'entendais quelques-uns de
mes compagnons, fort intelligents, ma foi, émettre
des observations.
- Vous ne croyez pas, monsieur, qu'en tournant la
machine dans ce sens vous auriez un rendement bien
supérieur ?
L'ingénieur qui expliquait avec un orgueil justifié
la façon dont il avait organisé le travail des
hommes et des mécanismes, répondait doucement qu'il
avait pendant longtemps étudié ces choses, et qu'il
s'était décidé pour sa méthode parce qu'il l'avait
jugée la meilleure.
Mais les curieux ne s'en tenaient pas là.
- Pourtant, disaient-ils, il me semble...
Et ils découvraient subitement des modifications à
faire, des améliorations à apporter.
D'autres étaient plus affirmatifs, et émettaient des
critiques, et avançaient des recommandations.
- Pourquoi n'avez-vous pas fait comme ceci ?
- A votre place je ferais cela.
Et l'ingénieur, avec un doux entêtement, réfutait
les critiques et montrait l'absurdité des
recommandations.
Il avait passé des jours et des nuits à établir les
plans. Il avait spécialement dirigé son intelligence
vers cette industrie. Il avait vu et comparé tant et
tant de procédés. Il avait voué sa vie à cette
science.
Rien n'y faisait.
Le curieux en croyait savoir en une demi-heure de
promenade distraite beaucoup plus que l'ingénieur en
quarante ans de travail et d'expérimentations.
Assurément vous avez vu de ces omniscients, et
peut-être même avez-vous été en admiration devant
ceux-là qui, sachant beaucoup ou ne sachant rien, -
cela n'a pas d'importance, - veulent régler toutes
choses suivant leurs vues personnelles.
Il ne leur viendrait pas à l'idée de confier à un
ébéniste le soin de raccommoder leurs chaussures.
Ils trouvent cependant naturel de surprendre d'un
coup d'oeil le secret des défauts d'une immense
machine compliquée qu'ils voient pour la première
fois.
Aujourd'hui ces savants pullulent. Ils sont devant
la machine la plus compliquée, la plus souple, la
plus mystérieuse, la plus délicate, la plus
formidable qui soit : une guerre européenne.
Ou plutôt ils ne sont pas devant la machine. Ils
sont devant l'usine où se trouve cette machine. Ils
entendent des grondements de ci de là. Ils voient
parfois sortir de la fumée.
Cela leur suffit.
Ils raisonnent à l'infini, et estiment, suivant la
couleur de la fumée ou la nature du grondement que
la machine devrait être dirigée dans tel sens, qu'il
vaudrait mieux employer ce moteur que cet autre, que
l'installation manque par tel côté, que le détail
est mal compris, et l'ensemble défectueux.
Oui, la fumée et le bruit leur ont d'un seul coup
donné cette expérience militaire. Nous sommes
encombrés de Napoléons.
Heureuse époque !
Jamais je n'avais vu autant de stratèges par les
rues et sur les places. Les terrasses des cafés sont
des champs de bataille où les demis remplacent les
régiments.
A quoi sert de pâlir sur des cartes, de combiner des
plans, de rechercher quel effet produit une arme, de
recueillir les précieux renseignements, de
travailler toute une vie à organiser les services et
étudier les méthodes les meilleures pour rendre les
circonstances le plus favorables qu'il se peut ?
Pourquoi nos officiers s'exercent-ils, si
longtemps, si péniblement, alors qu'il leur suffit
d'écouter un consommateur qui, en deux minutes et en
trois bocks, leur dira tout ce qu'il faut faire, et
bien d'autres choses encore ?
Moi, je suis émerveillé de cette science qui
m'entoure et me presse. Et je ne peux pas m'empêcher
de fredonner ces deux vers, - si on peut dire, - que
j'ai entendu chanter autrefois :
Jamais j'ai vu tant de mouches !
Jamais j'ai vu si de mouches !
Je pense aussi au dessin qu'un de mes bons amis
publia lors des affaires de Madagascar :
Deux bons bourgeois sortent d'un urinoir. L'un tient
l'autre par un bouton de la veste, et lui crie :
- Il n'y a pas de pourtant, monsieur, et
rappelez-vous bien ceci : Moi gouvernement,
Tananarive était en mon pouvoir dans les
vingt-quatre heures.
Il n'est aujourd'hui presque pas de citoyens qui ne
se croient capables de réduire l'ennemi en une
demi-journée.
Heureusement le travail est bien distribué. Pendant
que les uns parlent, les autres agissent..
JEAN DURBAN.
LA CIRCULATION DES BICYCLETTES
Télégramme officiel.
Nancy, le 4 septembre 1914.
Je vous ai télégraphié ce matin que la circulation
des bicyclettes était désormais interdite sur toute
la rive droite de la Moselle.
Le général commandant la 2e armée vient d'étendre
cette interdiction à toute la partie du département
située sur la rive gauche, au sud de la route de
Pagny-sur-Meuse, à Foug, Ecrouves et Toul.
La circulation en bicyclette sera permise seulement
sur cette route jusqu'à Toul et au nord de cette
route sur la rive gauche de la Moselle seulement.
SURVEILLEZ !
Nancy, 4 septembre.
Les municipalités devront surveiller avec le plus
grand soin, sous leur responsabilité et sous peine
de sanctions sévères, les individus suspects, les
clochers d'où peuvent partir des signaux, les lignes
télégraphiques et téléphoniques.
(Ordres du haut commandement.)
CROIX-ROUGE
Les automobiles de la Croix-Rouge ne pourront
désormais circuler que si elles sont groupées en
convoi régulier, avec un chef de convoi militaire,
muni d'un laissez-passer rouge, délivré par le
commandant d'armes de Nancy, les commandants de
corps d'armée, le général directeur des étapes et
des services, et le commandant de l'armée.
(Ordres du haut commandement.)
L'AME DE LA FRANCE
Nancy, 4 septembre.
M. L. Mirman, préfet de Meurthe-et-Moselle, a
adressé au Président du Conseil le télégramme
suivant
« Les populations de Meurthe-et-Moselle loin d'être
émues par le repliement du Gouvernement à Bordeaux y
voient un acte de fermeté patriotique qui fortifie
leur confiance.
« Les Allemands se figuraient qu'en menaçant Paris
ils ébranleraient l'âme de la France.
« Vous leur faites connaître que Paris est une
admirable ville dont la ceinture est et sera
énergiquement défendue. Mais vous leur faites
connaître aussi par ce geste que l'âme même de la
France ne peut être atteinte en aucune de nos cités,
fût-ce la capitale, parce que cette âme est partout
présente, faite de la volonté unanime de la Nation
et de sa certitude de vaincre.
« Au nom des vaillantes populations de ce
département éprouvé mais indomptable, je vous prie
d'agréer l'assurance de notre patriotique
dévouement. »
LA SITUATION GÉNÉRALE
Paris, 5 septembre, 2 heures.
Un communiqué du ministère de la guerre au bureau de
la Presse, à Bordeaux, dit :
A notre aile gauche
A notre aile gauche, l'ennemi paraît négliger Paris
pour poursuivre sa tentative de mouvement débordant
Il a atteint La Ferté-sous-Jouarre, dépassé Reims et
descend le long et à l'ouest de l'Argonne.
Mais cette manoeuvre n'a pas plus atteint son but
aujourd'hui que les jours précédents.
En Lorraine et dans les Vosges
A notre droite, en Lorraine et dans les Vosges, le
combat continue, pied à pied, et avec des
alternatives diverses.
Maubeuge bombardé
Maubeuge, violemment bombardé, résiste
vigoureusement.
MISE EN DISPONIBILITÉ DU
Directeur des Postes de
Nancy
Le « Journal officiel » publie un décret aux termes
duquel M. Anne-Marie-Emile Stéphan Husson, directeur
des postes et des télégraphes, est mis en
disponibilité d'office.
Cette mesure, qui est la sanction officielle
d'incidents regrettables qui se sont produits dans
le service postal de Nancy vers le début de la
guerre, est précédée d'un décret daté du 31 août,
aux termes duquel : « les peines du troisième degré
prévues à l'article premier du décret du 9 juin 1906
: déchéance de grade, disponibilité d'office,
exclusion, révocation, sont, pendant la durée de la
mobilisation et jusqu'à la cessation des hostilités,
prononcées directement par le ministre, sur la
proposition des directions compétentes de
l'administration centrale et conformément aux
distinctions édictées par l'article 4 dudit décret».
Les sanctions prises en vertu de cet article peuvent
faire, de la part des ayants cause, l'objet d'un
recours en révision devant le conseil central de
discipline, lorsque le fonctionnement normal de ce
conseil aura pu être assuré à nouveau et dans un
délai de deux mois après son rétablissement.
La Circulation des Bicyclettes
DANS LA ZONE DES
ARMEES
Nancy, 5 septembre.
Le haut commandement a déjà interdit la circulation
des bicyclettes sur la rive droite de la Meurthe.
Cette interdiction vient d'être étendue à toute la
partie, du département située sur la rive gauche, au
sud de la route de Pagny-sur-Meuse à Foug, Ecrouves
et Toul.
Il est donc défendu désormais de circuler en
bicyclette entre la Moselle et la Meuse, dans la
zone limitée au nord par la route de Pagny-sur-Meuse
à Toul et au sud par la route de Neufchâteau à
Charmes, par Mirecourt et Châtenois.
La rive droite de la Moselle étant rigoureusement
interdite, la bicyclette n'est plus permise que dans
la partie du département située sur la rive gauche
de la Moselle, au nord de la route de
Pagny-sur-Moselle à Foug, Ecrouves et Toul.
La circulation en bicyclette est permise sur cette
route, mais seulement jusqu'à Toul qu'on ne peut
plus dépasser que dans les directions de Domèvre ou
de Liverdun.
UN AEROPLANE ALLEMAND
lance deux Bombes sur Nancy
Nancy, 5 septembre.
Les Allemands, après avoir tenté d'affoler Paris en
jetant du haut de leurs aéroplanes quelques bombes
dont les Parisiens, après le premier moment de
stupeur, semblèrent plutôt s'amuser, ont tenté un
nouvel essai d'intimidation. Cette fois c'est Nancy
que les Allemands choisirent somme but de leur
exploits.
Dans la journée de vendredi 4 septembre, vers midi,
un aéroplane allemand, volant prudemment à une telle
hauteur qu'il était presque invisible, a laissé
tomber deux bombes sur notre ville.
Rue du Maréchal-Exelmans
L'une vint tomber rue du Maréchal Exelmans, dans la
petite cour qui précède la maison portant le numéro
35.
L'engin produisit une forte détonation qui fit voler
en éclats les fenêtres de l'immeuble et des
habitations voisines.
Le soubassement de la maison subit quelques dommages
; la trappe de la cave fut brisée ; c'est là tout le
dégât qui, on peut le constater, est de peu
d'importance.
Aucune victime.
Place de la Cathédrale
La seconde bombe vint tomber sur la place de la
Cathédrale ; il allait être la demie de midi
lorsqu'elle fit explosion.
En touchant le sol, elle creusa un trou d'un
diamètre de vingt centimètres, de peu de profondeur.
Les vitres de la vespasienne voisine furent
entièrement brisées ; le garde-vue en tôle qui
l'encercle presque entièrement fut percé de
projectiles du côté où la bombe avait éclaté.
La mitraille que contenait l'engin allait frapper la
façade de la boucherie de la Seille, traversant les
volets de fer et la devanture, brisant la glace et
les carreaux d'une fenêtre voisine dont les volets
étaient fermés.
Au premier étage, les petits projectiles qui
semblent être des éclats de fonte, traversaient les
volets, brisant les vitres et causant des dégâts
dans tout l'appartement.
Par suite du déplacement de l'air, les meubles
légers furent renversés pêle-mêle au milieu des
chambres.
Quelques plâtras tombèrent du plafond couvrant le
tout d'une épaisse couche de poussière.
L'hôtel de la Poste, dont le rez-de-chaussée est
occupé par les bureaux de notre confrère
l'Impartial, reçut également quantité de projectiles
qui écornèrent les murs, brisèrent les vitres des
fenêtres.
De la lanterne de l'agence des automobiles Berliet,
placée au-dessus de l'entrée de la rue du Cloître,
il ne reste que la carcasse métallique.
La façade de la cathédrale fut également criblée de
mitraille qui ne fit que de légères éraflures aux
dures et solides tailles de l'église métropolitaine.
Les maisons se trouvant rue Saint-Georges, en face
de la place, ont reçu également quelques projectiles
qui ont détérioré les glaces des devantures, ainsi
que les vitres des étages.
Fusillade et poursuite
L'explosion venait à peine de se produire que
plusieurs coups de feu retentissaient sur la place
du Marché.
Des soldats s'étaient rendu compte en effet qu'un «
Taube » nous rendait visite ; ils l'aperçurent au
fond du ciel bleu et, malgré la distance qui les
séparait du but, ils déchargèrent leurs fusils dans
la direction de l'aéroplane.
Cinq minutes plus tard, deux de nos aviateurs
s'élançaient à la poursuite de l'engin allemand,
mais sans résultat.
Un public nombreux assistait avec intérêt à ces deux
scènes de guerre.
Les Victimes
Malheureusement, ce dernier engin a fait des
victimes. Un malheureux vendeur de journaux, M.
Michel Bordener, âgé de 40 ans, demeurant rue
Saint-Nicolas, 64, qui traversait la place, devant
la boucherie de la Seille, fut atteint. Le pauvre
homme alla s'abîmer sur le trottoir, le crâne
fracturé.
D'autres personnes, qui se trouvaient dans le
voisinage, furent également atteintes.
Ce sont :
M. Thomas Tabouret, âgé de 35 ans, manoeuvre,
demeurant rue Charles-III, 157, qui fut blessé par
la mitraille sur diverses parties du corps.
Le jeune Joseph Auberhauzer, âgé de 8 ans, demeurant
rue Dauphine, 3, fut légèrement touché à la jambe
droite. Mme Muller, âgée de 25 ans, demeurant rue
Carnot, 22, à Saint-Max, a été blessée peu
grièvement à l'épaule gauche, et la jeune Angèle
Roux, âgée de 13 ans, dont les parents habitent rue
du Tapis-Vert, 10, a été atteinte à la tempe droite.
Les voisins sortirent en hâte pour relever les
blessés.
Bientôt arrivait une voiture d'ambulance de la
Croix-Rouge. Les victimes y furent placées et
rapidement elles furent conduites à l'hôpital civil.
Les médecins s'empressaient autour des blessés. M.
Bordener, dont l'état ne laissait aucun espoir,
expirait vers 2 heures de l'après-midi.
La jeune Angèle Roux, qui avait été relevée sans
connaissance, rendait le dernier soupir à la même
heure.
Quant aux autres personnes atteintes, il a été
constaté que leurs blessures étaient peu graves.
Quelques-unes ont pu regagner leur domicile.
On continue
L'événement a défrayé toutes les conversations ;
mais la vérité nous oblige à dire qu'il n'a pas
soulevé plus d'émotion que la plupart des faits
divers de la vie ordinaire.
DÉCORÉS !
Nancy, 5 septembre.
- Vous savez ! Un avion allemand vient de lancer une
bombe ?
- Non !
- Si.
- Où ça ?
- Sur la place de la Cathédrale.
- Bon, j'y vais.
Et voilà la foule de courir. Non point de courir
pour fuir la bombe, mais bien de courir pour aller
en voir les effets.
Dans la journée, des milliers de Lorrains ont voulu
constater par eux-mêmes. Et les agents de la police
ne suffisaient pas à les faire circuler.
Toute la journée on a entendu des conversations
comme celle-ci :
- Vous n'êtes pas allé voir ?
- Non, je n'ai pas eu le temps. J'irai tout à
l'heure ou demain.
- Oh ! vous savez, ce n'est pas grand'chose. En
tombant, la bombe a fait un petit trou comme une
cuvette, elle a éraflé la charcuterie et la
vespasienne, et a légèrement écorché un pilier de
l'église.
- Ah ! et rue Exelmans ?
- Moins encore. Une corniche et un balcon à peine
grattés.
- Ce n'était pas la peine de faire tant de bruit.
Et les braves gens qui revenaient de là-bas avaient
un petit air glorieux, l'air de dire :
- Hein ! on fait attention à nous maintenant. Et
nous allons pouvoir conter des choses à nos parents
éloignés.
Nancy avait l'air vraiment non pas d'avoir reçu deux
bombes, mais plutôt une décoration de guerre.
Pour un peu on serait entré dans l'église chanter un
Te Deum et on aurait pavoisé.
Si les Allemands ont compté en tuant un marchand de
journaux et une fillette terroriser Nancy, ils se
sont étrangement trompés. Ce sont des victimes dé la
guerre comme le sont nos soldats morts au feu. Nous
les honorons. Nous ne pleurons pas.
Non. Ce qu'on a retenu de cette affaire, c'est que
pour produire un effet colossal, les avions
allemands détériorent la façade des charcuteries, et
ne réussissent qu'à transformer en monument presque
historique une vespasienne.
Ils appellent ça la guerre.
R. M.
PATIENCE
Nancy, 6 septembre.
Bien qu'on entende le canon tonner avec une violence
inouïe, la population lorraine ne donne aucun signe
d'énervement. Elle est entraînée à ce bruit qui lui
paraît maintenant familier, et qui accompagne son
travail ou ses promenades.
La concision extrême des communiqués officiels ne
lui apporte guère de renseignements. La sonorité de
nos pièces d'artillerie lui permet en revanche de
repérer ses innombrables hypothèses.
Nos compatriotes ont en outre la ressource
d'interroger ceux qui arrivent du front et qui
apportent les plus beaux espoirs, ou d'écouter les
réfugiés des villages dévastés qui indiquent avec
des exagérations compréhensibles les marches et
les contremarches, les incursions et les
refoulements.
Ces renseignements, réduits ou développés à l'excès
font prendre patience à tout le monde.
Et la patience est bien la qualité la plus utile à
l'heure présente.
Les chefs connaissent les forces qu'ils ont en
mains, et savent ce qu'ils veulent. Ils n'ont pas à
se laisser influencer par l'opinion publique. Ils
font marcher ou replier les troupes suivant les
besoins de la tactique qui nous délivrera à jamais
des Allemands.
Mais on entrevoit, à travers le laconisme mystérieux
des communiqués, une pensée extrêmement forte,
complètement maîtresse d'elle-même. Elle domine la
campagne, et ne s'émeut pas des plaintes excusables.
Elle met le salut de la France au-dessus de toutes
les douleurs locales ou régionales, et nous impose
des sacrifices cruels dont la nécessité apparaîtra
plus tard clairement.
Certes il eût été infiniment plus agréable d'entrer
en Allemagne comme au début de la campagne nous
sommes entrés en Alsace et en Lorraine. Mais la
guerre n'est pas un jeu où l'on gagne à tout coup.
Si quelqu'un l'a cru chez nous, c'est que l'on croit
trop aisément ce que l'on désire. Depuis lors il a
bien fallu réfléchir, et comprendre.
Plus la guerre devient dure, et plus sont augmentées
les raisons de garder confiance.
Voilà déjà plus d'un mois que nous nous battons.
L'ennemi a appuyé de tout son effort, et n'a obtenu
aucun avantage appréciable. Il a perdu tant d'hommes
qu'il évite soigneusement le siège des places
fortes. Il sent qu'il n'est pas le plus solide. Ses
troupes sont divisées.
Son ravitaillement en munitions devient de plus en
plus difficile.
Nous et nos alliés n'avons donné que partiellement.
Nos troupes sont intactes. On n'a presque pas touché
à nos réserves. Demain, aujourd'hui nous pouvons
mettre en ligne des armées qui ne demandent qu'à
marcher. Nos amis de Belgique et d'Angleterre sont
prêts. Les Russes marchent à grands pas dans la
Prusse orientale et en Galicie.
Nous durons enfin, nous durons infiniment plus
certes que ne l'auraient jamais pensé les Alemands.
Quelle crainte pourrions-nous donc avoir en des
circonstances pareilles ?
Les villages de la frontière lorraine ont été les
premiers à souffrir. Les villes du Nord de la France
ont été -éprouvées. Mais personne n'avait jamais
espéré que nous sortirions sans dommages de la
guerre la plus formidable qui ait bouleversé
l'Europe.
Que l'on compare notre situation et celle de la
Prusse, et l'on verra tout de suite qui a sujet
d'être effrayé.
De la persévérance entêtée, de la patience, de la
patience, et nous serons bientôt délivrés de
l'horreur allemande.
Nous ne travaillons pas pour nous seulement, nous
travaillons aussi, surtout pour nos enfants.
RENÉ MERCIER.
COMMENT FUT DESCENDU
le « Zeppelin » de Badonviller
Du « Petit Journal » :
Depuis le début de la guerre, chaque jour nous
apporte de glorieux faits d'armes accomplis par nos
vaillants soldats. Voici un nouvel exploit à ajouter
aux autres si nombreux. C'est la capture du «
Zeppelin » de Badonviller, descendu par un
détachement de territoriaux, commandés par le
sergent Fricandet. Le lieutenant-colonel commandant
le régiment signale en ces termes cette belle action
:
- Le lieutenant-colonel commandant le régiment, est
heureux de porter à la connaissance de celui-ci le
compte rendu du sergent Fricandet, de la 12e
compagnie, chef d'un détachement accompagnant un
train de ravitaillement à la frontière de l'Est.
« Le samedi 22 août, une patrouille envoyée aux
abords de la gare de Badonviller me signalait, vers
3 ou 4 heures, qu'un aérostat devait survoler la
gare.
« Les nuages ne permettaient pas de l'apercevoir : à
4 h. 30 environ, cet appareil se dégagea du
brouillard et il fut alors permis de se rendre
compte qu'il s'agissait d'un dirigeable allemand,
type Zeppelin.
Ce dirigeable, après avoir survolé le village de
Badonviller, vint se placer, à 4 heures 40, entre la
gare où stationnait le détachement et un chemin
distant d'environ 500 mètres, occupé par des
sections de munitions.
« Il était à ce moment à une hauteur de 600 à 800
mètres ; un feu nourri de 63 fusils fut ouvert ; les
passagers de leur côté lancèrent plusieurs bombes.
L'une d'elles tomba, à 300 mètres du détachement,
sur une maison précédemment incendiée par les
Allemands ; il n'y eut aucun dégât.
« Il est permis de croire que l'appareil a été
atteint dans un de ses organes par les balles de nos
fusils ; nous avons, en effet, constaté très
nettement, après notre tir, que le moteur de
l'appareil fonctionnait irrégulièrement et nous
vîmes le dirigeable descendre en s'éloignant
lentement. Il dut atterrir à quelques kilomètres de
Badonviller. Vers 7 heures, un automobiliste de la
place est venu à la gare nous informer de la part de
l'état-major de la capture du « Zeppelin » et des
officiers qui le montaient. » Et le
lieutenant-colonel termine en félicitant le sergent
Fricandet de son heureuse initiative, et les soldats
du détachement d'avoir fait preuve de sang-froid,
d'habileté et de discipline en restant, sur l'ordre
du chef de détachement, à leur poste, quoique très
désireux de courir sus à un ennemi, qu'ils voyaient
facile à atteindre.
La Situation de nos Armées
EST BONNE
Paris, 7 septembre, 0 h. 50.
Communiqué officiel, 23 h. 10.
1° A notre aile gauche, nos armées ont repris
contact, dans de bonnes conditions, avec l'aile
droite ennemie, sur les rives du Grand-Morin.
2° Sur notre centre et à droite, en Lorraine et dans
les Vosges, on continue à se battre, et aucun
changement n'est signalé.
3° A Paris, l'engagement qui se produisit, hier,
entre les éléments de la défense avancée et les
flancs-gardes de l'aile droite allemande, prit,
aujourd'hui, plus d'ampleur.
Nous avons avancé jusqu'à l'Ourcq, sans rencontrer
une grande résistance.
La situation des armées alliées parait bonne, dans
l'ensemble.
4° Maubeuge continue à résister héroïquement.
OBSÈQUES
Nancy, 7 septembre.
C'est dimanche, à une heure trois quarts, qu'ont eu
lieu, à la chapelle de l'hôpital civil, les obsèques
de M. Robert Bordener et de la jeune Angèle Roux,
les deux victimes de la bombe lancée par un aviateur
allemand Derrière le char funèbre, portant la
dépouille du malheureux Bordener, suivaient ses
parents et de nombreux amis.
Derrière celui de la fillette, marchaient en rangs
ses nombreuses camarades d'école qui portaient des
bouquets et que dirigeaient leurs maîtresses
dévouées. Puis venaient la mère et les soeurs de
l'innocente victime.
Dans le nombreux cortège, on remarquait M. Mirman,
préfet ; Mme Mirman, M. Simon, maire ; Jambois,
conseiller général ; Krug, président de la
commission des hospices ; le vicaire général
Barbier,, soeur Louise, supérieure de l'hôpital.
L'inhumation a eu lieu au cimetière du Sud. Devant
les tombes, M. Simon, au nom de la population
nancéienne, a dit un dernier adieu aux deux victimes
dont le souvenir douloureux restera longtemps grave
dans les coeurs.
M. Mirman a ensuite prononcé un patriotique discours
dans lequel, au nom de la nation toute entière, il a
apporté une protestation indignée contre l'attentat
qui a causé la mort de deux victimes dans une ville
ouverte.
En des phrases touchantes, il a montré le beau rôle
du soldat qui meurt en combattant pour la défense du
pays, de l'aéronaute qui, sur son fragile appareil,
survole à peu de hauteur les ennemis pour détruire
les ouvrages d'art.
Puis, en d'énergiques paroles, il flétrit
l'aéronaute qui, haut dans les nuages, sans courir
aucun risque, laisse tomber sur une ville ouverte un
engin qui fait d'innocentes victimes.
« Celui-là n'accomplit pas un acte de guerre, il
commet un assassinat. »
M. le préfet ayant encore témoigné son indignation,
a affirmé qu'une nation qui emploie de tels moyens
ne saurait vaincre. Il est certain que la ville de
Nancy n'oubliera jamais les victimes du lâche
attentat et que toutes les fillettes se rappelleront
toujours la mort de leur petite camarade.
Il a terminé en adressant des paroles de consolation
aux deux familles si durement éprouvées.
Il était trois heures quand les assistants,
profondément émus, quittèrent la vaste nécropole.
LENDEMAIN DE BOMBE
Le lancement de la bombe de vendredi dernier a fait
l'objet d'un procès-verbal où l'administration
consigne, à propos de la vespasienne endommagée par
l'explosion, sur la place de la Cathédrale.
« Que le présent procès-verbal est dressé contre
inconnu pour jets de corps durs ayant détérioré un
monument public. »
Se non e vero...
POUR CEUX QUI ONT MANQUÉ LE TRAIN
Nancy, 7 septembre.
Des imbéciles dont tout le courage est fait d'avoir
manqué un train, des semeurs de panique
glorieusement obligés à un héroïsme inconsolable
parce qu'ils n'ont pu obtenir un laissez-passer, ont
insinué d'abord que l' « Est républicain » n'allait
pas paraître, affirmé ensuite qu'il avait failli ne
pas paraître.
Le bruit a été facilement accueilli par certaines
crédulités promptes à s'émouvoir.
L' « Est » continue sans se troubler.
Il cesserait de paraître :
1° Si Nancy était jamais occupé par les Allemands ;
2° Si le papier ou l'encre venait à manquer.
Aucun de ces événements n'entre dans nos prévisions.
LA DIRECTION.
LA GRANDE BATAILLE
TÉLÉGRAMME OFFICIEL
Du Nord aux Vosges
Paris, 8 septembre, 0 h. 50 matin.
1° A notre aile gauche; les armées alliées ont
progressé sans que l'ennemi s'y soit énergiquement
opposé.
2° Sur le centre, dans la région de Verdun, on
signale des alternatives d'avance et de recul.
Situation inchangée.
3° A droite, dans les Vosges, nous enregistrons
quelques succès partiels.
4° Aux environs de Paris, les éléments de la défense
avancée ont livré, dans le voisinage de l'Ourcq, des
combats dont l'issue fut favorable aux troupes
françaises.
UN COUP DE SAC
Nancy, 8 septembre.
Quelque chose a transformé considérablement la
situation. Sinon un fait nouveau, du moins une
déclaration précise.
Les gouvernements anglais, français et russe ont
clairement exposé que la conclusion de la paix
serait faite en accord unanime entre les puissances
de la Triple-Entente.
Cela signifie que l'accord est aussi intime pour la
guerre qu'il le sera pour la paix.
Certes on n'avait pas à craindre que la Russie
renonçât brusquement à ses victoires, ni que
l'Angleterre abandonnât une partie dans laquelle est
en jeu tout son avenir.
Mais il est bon que les nations combattantes, en
cette période d'action, affirment leur union
complète, leur volonté de vaincre, et songent dès
maintenant aux conditions de paix qu'il conviendra
d'imposer à l'Allemagne définitivement abattue.
La situation ainsi envisagée est pleine d'espoirs,
quels que soient les sacrifices consentis dans
l'intérêt du salut commun et pour le triomphe final.
Contre une union pareille, alors que l'Italie
commence déjà à s'impatienter, des exigences
hautaines de l'Autriche, que peuvent faire les
Allemands ? Rien. Ils sont perdus.
Ils auront encore des sursauts terribles. Ils ne
sauraient échapper à un sort qu'ils ont de leurs
mains sanglantes rendu inévitable.
Les troupes allemandes ont pénétré en France. Elles
en sortiront accablées par notre artillerie,
poussées par nos baïonnettes. Et à notre tour nous
entrerons en Allemagne comme y sont entrés les
Russes.
La route est longue à la vérité. Allons, encore un
coup de sac, il faut marcher..
RENÉ MERCIER.
A L'ORDRE DU JOUR
M. le préfet a reçu du Quartier général l'ordre
suivant :
Ordre général n° 71
Le général commandant la 2e armée cite à l'ordre de
l'armée mesdames Rigarel, Collet, Rémy, Maillard,
Rickler et Gartener, religieuses de l'Ordre de
Saint-Charles de Nancy, qui ont depuis le 24 août,
sous un feu incessant et meurtrier, donné dans leur
établissement de Gerbéviller asile à environ 1.000
blessés en leur assurant la subsistance et les soins
les plus dévoués alors que la population civile
avait complètement abandonné le village. Ce
personnel a en outre accueilli chaque jour de très
nombreux soldats de passage auxquels il a servi tous
les aliments nécessaires.
Le général commandant la 2e armée :
DE CASTELNAU.
Par ordre : le général chef d'état-major :
ANTHOINE
LA GRANDE BATAILLE
nous est favorable
TÉLÉGRAMMES OFFICIELS
De Bordeaux, 17 h. 40, le 8 septembre.
Les Allemands se replient sur la Marne perdant des
prisonniers des caissons et des mitrailleuses.
Les armées alliées, y compris les éléments de la
défense avancée de Paris, sont en progression
continue depuis les rives de l'Ourq jusque dans la
région de Montmirail.
Les Allemands se replient dans la direction de la
Marne, entre Meaux et Sézanne.
Les troupes franco-anglaises ont fait de nombreux
prisonniers, dont un bataillon d'infanterie et une
compagnie de mitrailleuses. Elles ont pris aussi de
nombreux caissons.
Ils perdent aussi du terrain au centre
De violents combats se sont livrés entre La
Fère-Champenoise, Vitry-le-François et la pointe sud
de l'Argonne.
Nous n'avons été nulle part refoulés, et l'ennemi a
perdu du terrain aux abords de Vitry-le-François, où
un mouvement de repli de sa part a été nettement
constaté.
Ils sont également repoussés en Lorraine
Une division allemande a attaqué sur l'axe
Château-Salins-Nancy, mais elle a été repoussée au
nord de la forêt de Champenoux.
D'autre part, plus à l'est, nos troupes ont repris
la crête Saint-Mandray et le col des Journaux.
Mandray est une petite commune des Vosges au sud-est
de Saint-Dié et au nord de Fraize. La côte de
Mandray a 738 mètres d'altitude.
Halle des Journaux est un écart de Mandray à l'est
du bois de Mandray.
EN ALSACE
Pas de modification à la situation en Alsace.
De Bordeaux, 0 h. 50, le 9 septembre.
A L'AILE GAUCHE
Les Allemands ayant franchi, dans leur mouvement de
retraite le Petit-Morin, se sont livrés, en vue de
protéger leurs communications, à de violentes et
infructueuses attaques contre celles de nos forces
qui occupent la rive droite de l'Ourq.
Nos alliés les Anglais poursuivent leur offensive
dans la direction de la Marne.
Sur les plateaux du Nord de Sézanne. nos troupes
progressent, bien que péniblement.
A NOTRE CENTRE
Violents combats avec alternatives d'avance et de
recul partiels.
A NOTRE DROITE
Situation bonne en avant de Nancy et dans les
Vosges.
LE DÉPART DES AUTOS INUTILES
Nancy, 9 septembre.
Le Préfet de Meurthe-et-Moselle, informé que
quelques personnes, aux nerfs vraiment trop
sensibles, se sont émues hier en constatant ou en
apprenant qu'un certain nombre d'automobiles
quittaient Nancy, tient à prémunir une fois de plus
la population contre les fausses interprétations des
faits les plus simples auxquelles se livrent avec
complaisance les esprits timorés.
Le fait est ici d'une admirable simplicité : il a
été constaté que, en dépit de tous les ordres, les
autos étaient encore beaucoup trop nombreuses ; que
ces autos ne servant à rien ou à la simple
distraction des promeneurs, gênaient la circulation
des voitures réellement utiles, affectées à un
service d'intérêt général ; pour mettre un terme à
cette situation, l'autorité compétente a dit à ces
autos : « Je ne veux plus vous voir. Allez où vous
voudrez, allez au diable, mais ne restez pas ici. »
Et les autos sont parties.
Avouez qu'il n'est pas nécessaire d'être un héros
pour ne pas découvrir là un sujet d'inquiétude.
(Communiqué.)
ETEIGNEZ VOS LUMIÈRES
Nancy, 9 septembre.
Le Commissaire central rappelle que les
prescriptions de l'arrêté préfectoral du 1er
septembre 1914 sur l'extinction des lumières dans
les habitations sont très mal observées.
Il croit devoir informer le public qu'à la première
infraction des poursuites sévères seront exercées et
qu'à la seconde les contrevenants seront arrêtés et
déférés à l'autorité militaire sous prévention
d'espionnage.
Le Commissaire central compte sur les sentiments
patriotiques et le bon esprit de la population,
nancéienne pour obtenir la stricte observation des
prescriptions de l'arrêté de M. le Préfet.
LE COMMISSAIRE CENTRAL.
A GENTILLY
Une Visite aux Réfugiés
LE BUDGET DE LA COLONIE
NOTES ET INTERVIEWS
Nancy, 10 septembre.
C'est bien une colonie. Nul mot ne convient mieux.
On dirait vraiment qu'à Gentilly, dans les vastes
salles où le soleil verse la lumière à pleines
fenêtres, un naufrage réunit pêle-mêle les passagers
d'un navire échoué, brutalement brisé sur la côte
par les fureurs de la tempête.
Il y a là 657 malheureux. Peu d'hommes ; 124
seulement. Des vieillards, des infirmes, des jeunes
gens aussi, marcaires expulsés des fermes de la
frontière, gars qu'on s'étonne de retrouver si
robustes et qui, mal à l'aise dans leur oisiveté
trompent leur ennui avec une manille.
L'établissement a congédié les derniers élèves de
nos écoles le 26 juillet. Finies les vacances. Adieu
les parties de plaisir sous les ombrages où la
jeunesse nancéienne s'ébattait si joyeusement.
Qui donc eût osé prévoir l'affectation actuelle de
Gentilly ? Pas ses fondateurs à coup sûr. M. Antoine
pensait exclusivement aux petits Nancéiens privés
des vacances en plein air ; mais les atrocités de la
guerre ont donné, hélas ! à son oeuvre une autre
destination. Quand les habitants de Nomeny furent
expulsés de leur foyer, les portes de Gentilly
s'ouvrirent toutes grandes, le 24 août, devant les
réfugiés, les « rescapés ».
Leur nombre s'est accru sans cesse. Il a fallu
improviser l'organisation des premiers secours. Une
commission municipale s'est mise à la tâche. Elle a
réussi. Comme on ne pouvait assurer son traitement à
l'ancien personnel, cuisinières et blanchisseuses
ont été congédiées, mais le directeur de
l'établissement, M. Jalle, en homme d'initiative et
d'expérience, s'est entouré de zèles, de dévouements
qui ont fait complètement face aux besoins.
Nous avons trouvé, ce matin, M. Jalle dans le coup
de feu qui précède le repas de midi, les manches
retroussées jusqu'aux coudes, en tablier de toile
bleue, surveillant les préparations du déjeuner :
-- Excusez-moi de vous recevoir dans une tenue aussi
négligée, dit-il en plaisantant. C'est d'ailleurs
ainsi que je me suis présenté hier à M. le préfet,
accompagné de l'évêque et du maire de Nancy...
M. Jalle est plus fier, certainement, de ses talents
de cuisinier que de son titre de directeur. Il
expose son budget avec un brin d'orgueil :
- Voici le menu des deux repas quotidiens. A midi,
bouillon, viande (un excellent morceau de foie) et
un plat de légumes, pommes de terre, lentilles,
haricots verts. Parfois du macaroni. Toujours du
bouillon. Le soir, je fais des foies en ragoûts,
avec des pois. Chaque ration est de 600 grammes.
- Et les enfants ?
- Le lait abonde maintenant. Il a manqué pendant
trois jours. Situation pénible. M. Pérot, le fermier
de Jarville, est venu à notre aide : il a mis à
notre disposition deux vaches superbes qui paissent
dans notre pré Elles fournissent une quantité
suffisante de lait. Trente-cinq litres. Nous ne
sommes pas embarrassés pour traire, car tous nos
pensionnaires sont de la campagne. Les personnes
malades et les enfants au-dessous de deux ans ont
seuls droit à cette alimentation. Pour remédier à
quelques symptômes plutôt bénins de cholérine, l'eau
minérale de Vals et l'eau de riz ont remplacé le
lait.
De sa poche, M. Jalle extrait un petit carnet :
- Devinez combien je dépense par jour ?.. Peu de
chose, allez ! Avant hier, j'ai nourri 557 personnes
avec 165 francs... Merveilleux, n'est-ce pas ?
Seulement, pour obtenir ce résultat, je m'astreins
souvent à faire le marché moi-même. En bonne
ménagère, je guette les occasions, je les saisis au
vol. J'achète aux maraîchers, d'un seul coup, 700 ou
800 kilos de haricots, leur voiture entière, quoi !
On me fait les prix de gros. Et puis nous payons
comptant. Bref, je me débrouille du mieux possible.
»
Nous nous rappelons qu'avec le budget de la
colonie scolaire, malgré un personnel rétribué
d'environ vingt femmes, M. Jalle joignait aisément
les deux bouts : il nourrissait les maîtres et leurs
élèves moyennant vingt centimes par jour. De telles
qualités d'administration méritent bien quelques
félicitations :
- Pour le couchage, ajoute M. Jalle, tout le monde
s'étend sur des paillasses On m'a envoyé hier 200
couvertures et des oreillers ; mais les personnes
valides s'accommodent de la paillasse seulement. Les
hommes sont logés dans une partie du pavillon ;
l'autre partie est occupée par les enfants et par
les mères de famille. Suivez-moi. On visitera
ensemble le campement. »
Ah ! la tristesse morne de ce spectacle Les
désastres de la guerre ont amené à Gentilly, comme
des épaves, les débris d'une lamentable humanité.
Toute une partie de notre pays est représentée dans
ce lot de misères et de deuils.
Nous apprenons bientôt qu'environ trois cents
personnes, chassées par l'invasion, vont le jour
même grossir ce contingent Il faudra se serrer,
rapprocher les paillasses, ajouter des couvertes
pour ces nouveaux hôtes :
- J'aurai tout ce qu'il faut ici pour les recevoir,
constate M. Jalle. Tout, sauf le pain. On devrait
bien joindre à l'annonce de leur arrivée, quelques
miches de pain frais. Baste ! Cela s'arrangera Je me
tirerai d'affaire. Et puis mes pensionnaires sont
faciles à contenter. »
Pauvres gens ! Ils acceptent leur destin.
Quelque chose en eux s'est brisé au choc de la
catastrophe. Toutes leurs forces se sont épuisées.
Presque incapables de souffrir encore, ayant gravi
leur calvaire, ils se résignent, accroupis, l'oeil
fixe, baignés d'une atmosphère de mélancolie qui
réchauffe leur âme, qui verse l'illusion de la paix
à ces détresses sur lesquelles s'est abattue la
tourmente.
Les femmes du même village ont rapproché leurs bancs
comme pour les bavardages du couarail. La plupart
endorment un enfant au creux de leurs genoux
lentement balancés ; d'autres pressent contre leur
sein nu une tête blonde dont les paupières sont
closes ; d'autres exercent l'agilité de leurs doigts
aux travaux de couture ou de tricot, reprisent un
jupon, plient du linge, tout en causant à voix
basse.
Des fillettes poussent les voiturettes où reposent
les marmots qui rient aux anges, agitent leurs
petits bras, jouent avec un hochet ou leur biberon ;
des gosses portent une cuillerée de sable à la
bouche de leur poupée « qui réclame du gâteau » ;
ceux-ci se roulent sur les paillasses ; ceux-là
dessinent un « bonhomme » ou une « maison » en
traits d'une incohérente naïveté. Et tout cela
emplit l'immense préau d'un vacarme de nursery.
Nous rencontrons M. Colson, l'honorable maire de
Champenoux ; l'instituteur, M. Blaise l'accompagne.
Ils ont quitté leur commune depuis vendredi.
M. Colson a emporté les registres de l'état civil.
Il a dressé la liste des familles auxquelles sont
distribués les secours prévus par la loi du 4 août :
- Il est juste, en somme, déclare-t-il, qu'un
prélèvement soit fait sur ces secours par la
municipalité de Nancy qui vient si généreusement à
l'aide de nos infortunes. Certains foyers, en effet,
touchent une allocation totale de 100 francs et même
davantage. Champenoux compte huit familles
hospitalisées à Gentilly. Nous tâcherons de payer
pour elles. »
La charité lorraine videra demain dans les
souscriptions une obole que Nancy ne marchande
jamais à ceux qui sollicitent son coeur et sa bourse.
On donnera des vêtement, du linge, de la literie, de
l'argent ; on donnera pour les vieillards, pour les
mères, pour les bébés ; on donnera encore et
toujours pour réaliser le sauvetage de ces êtres
sans défense ; mais nous approuverons la sagesse des
administrateurs qui suivront l'exemple de M. Colson.
Pendant notre conversation, les préparatifs du
déjeuner animent la « chambre des hommes » vite
transformée en réfectoire.
Une appétissante odeur s'échappe des cuisines. Mme
Faverot, dont le fils fut tué devant Arracourt dès
les premiers jours de la guerre, surveille quatre
marmites dont les dimensions raviraient Gargantua.
Dans un ordre parfait, avec une discipline que font
sans peine respecter les délégués de la commission
municipale, cinq cents convives s'attablent devant
les assiettes propres, nettes et claires.
Nous prenons congé de M. Jalle, rendu cette fois à
ses fonctions de directeur, heureux plus qu'on ne
saurait le dire du spectacle offert par un banquet
qui fait oublier, dans un bruit de vaisselle remuée,
la canonnade dont l'obstination gronde au loin.
ACHILLE LIEGEOIS.
Nancy bombardé
Plus de 40 obus tombent sur notre ville. - La moitié
seulement éclatent.
Dégâts et victimes
Nancy, 10 septembre.
Il fallait s'y attendre. A la faveur d'une noire
nuit d'orage, les Allemands ont pu amener quelques
pièces - très probablement deux - assez près de
Nancy pour envoyer quelques boulets sur notre ville.
Il était environ 11 heures 20 quand le premier obus,
après le sifflement bien caractéristique, a éclaté
sur nous.
La plupart des gens dormaient et beaucoup, dans la
stupeur d'un subit éveil, ont cru simplement que la
foudre venait de tomber non loin d'eux. A ce moment
d'ailleurs l'orage battait son plein et une pluie
diluvienne tombait au milieu des éclairs et des
roulements de tonnerre.
Mais voici un nouveau sifflement et un second
éclatement. Plus de doute, il s'agissait bien d'un
bombardement.
On fit alors ce que la prudence commande en pareille
occurrence. On abandonna rapidement son lit et les
habitant, des étages supérieurs descendirent aux
rez-de-chaussée et surtout dans les caves.
Deux par deux
Une fois en sûreté, on laissa tranquillement passer
la tourmente, en essayant de repérer les endroits
sur lesquels la mitraille s'abattait.
Il y avait généralement deux coups très rapprochés,
on pourrait dire deux coups jumeaux. Mais si le
premier éclatait avec un vacarme assourdissant, le
second était beaucoup plus sourd, et l'on pouvait se
demander même si le dernier avait produit son effet.
De temps en temps l'éclatement était suivi du bruit
crépitant d'une toiture brisée.
On peut évaluer à une cinquantaine le nombre des
obus qui se sont abattus sur notre ville, entre 11
heures et minuit 45.
Dans l'intervalle, on avait pu entendre, à partir de
minuit, la réponse très nette de notre artillerie.
Puis tout s'était tu, en même temps que cessait
également l'orage.
Ce fut bientôt de toutes parts une ruée des
habitants dans les rues. Insoucieux du danger, nos
concitoyens étaient avides de se rendre compte des
dégâts.
Incendie
Des lueurs d'incendie guidaient les curiosités. Le
feu était, disait-on, dans une fabrique de brosses
de la rue Sainte-Anne. On voyait aussi des flammes
dans les parages du Marché, vers la rue de la Hache,
et rue Saint-Dizier.
Nos braves pompiers étaient d'ailleurs depuis
longtemps sur les lieux et tous les sinistres ont pu
être, grâce à leur activité, rapidement conjurés.
Les Dégâts et les Victimes
L'église Saint-Sébastien a été pour sa part honorée
de deux boulets. L'un d'eux a troué l'horloge en
plein centre. Un autre a frappé le côté gauche de
l'édifice, se bornant à enlever quelques plâtras.
Aux alentours, des fenêtres et des marquises en
verre ont eu leurs fenêtres brisées. Il en a été de
même de la vespasienne qui se trouve à l'angle de la
place, en face de la rue Saint-Thiébaut.
Le tir allemand semble s'être concentré sur un
espace assez restreint, allant de la rue Jeannot et
de la rue Sainte-Anne, à la rue Clodion, en passant
par la rue de la Faïencerie d'un côté, et ne
dépassant pas de l'autre côté, la rue de la Hache.
Rue Jeannot, 11, une bombe a enfoncé la toiture et
est allée ressortir par une fenêtre du second étage.
Une autre a démoli un pan de mur de l'école de
filles, dirigée par Mlle Belliéni. Les locataires de
l'immeuble, au nombre de 24, étaient heureusement
descendus dans les caves.
Rue Sainte-Anne, deux boulets sont également tombés.
L'un, comme on l'a vu, a mis le feu à la fabrique de
brosses, l'autre a enfoncé un mur. Il y aurait eu,
malheureusement, là des victimes. Une femme aurait
été tuée, ainsi que le bébé qu'elle portait sur les
bras Un autre enfant suivait, mais il n'a pas eu de
mal.
Au numéro 22 de la rue Saint-Nicolas, la charcuterie
Louis a beaucoup souffert. Une dizaine de personnes,
s'étaient réfugiées dans les caves. Soudain, un
nouvel obus éclate, défonce le trottoir et brise une
conduite d'eau. Un torrent s'échappe aussitôt de la
blessure et, par un soupirail, inonde la cave, que
tous les réfugiés doivent évacuer au plus vite, sous
peine d'être noyés.
Deux bombes aussi, rue de la Fayencerie, à l'angle
de la rue Saint-Nicolas. L'une a ébréché la
corniche: L'autre n'a pas éclaté. Elle est restée
dans le grenier.
Une corniche est aussi entamée au numéro 9 de la rue
Saint-Nicolas.
Dans la rue de la Hache, une bombe a allumé un
incendie, chez M. Fribourg, banquier. Le feu a été
éteint définitivement vers trois heures et demie. On
ne croit pas qu'il y ait là des victimes.
La rue Saint-Dizier n'a pas été plus épargnée que la
rue Saint-Nicolas, sa voisine.
Une bombe a éventré une fenêtre du premier étage de
la maison Henrion, tuant Mme Terlin, une
octogénaire, et sa bonne. Une seconde a fait de gros
dégâts à la pharmacie Camet ; une troisième a semé,
parmi les plâtras, les marchandises de la mercerie
Beffeyte.
Deux personnes auraient été tuées, ou grièvement
blessées, au numéro 57 de la rue Clodion. On parle
d'une femme qui a le ventre ouvert, et d'une jeune
fille qui a les jambes broyées, mais on n'a pas
encore de renseignements très précis à ce sujet.
Les autorités
M. Mirman, préfet, M. Simon, maire de Nancy, M.
Devit, adjoint, et M. Prouvé, conseiller municipal,
ont rendu visite aux blessés et porté le réconfort
de leurs paroles et leurs condoléances aux familles
éprouvées :Un cordon d'agents a été établi, à
hauteur du Marché, rue Saint-Dizier, pour empêcher
une foule de plus en plus nombreuse de contrarier le
travail des pompiers et des sauveteurs, et aussi de
marcher sur les fils électriques rompus.
La belle insouciance
Beaucoup de gens, avides de souvenirs, cherchaient
un peu partout, notamment devant Saint-Sébastien,
quelques débris d'obus.
Il était curieux, et surtout consolant, de constater
la belle insouciance du public nancéien, qui, le
premier émoi passé, courait de toutes parts aux
nouvelles. Si les Allemands ont cru nous terroriser,
ils se sont complètement trompés. Nous ne sommes
pas, ici, de la race des trembleurs.
D'où provenaient les boulets, et comment les
artilleurs allemands avaient-ils pu amener leurs
pièces à un endroit propice à ce bombardement. On
assure que leurs pièces étaient postées entre
Seichamp et Saulxures, et que c'est grâce à un
armistice obtenu pour enterrer leurs morts que,
violant la parole donnée, ils avaient pu préparer
dans l'obscurité de la nuit, leur bel exploit de
barbares.
Mais leurs artilleurs doivent à présent savoir le
prix de leur traîtrise. Nos pièces, en effet, ont eu
rapidement raison des leurs, et on nous assure que
notre infanterie a chassé tous ces criminels la
baïonnette dans les reins.
LA BATAILLE
Succès franco-anglais sur la Marne. - Les Allemands
reculent de 60 kilomètres.
Bien de changé sur l'Ornain et en Argonne. - Devant
Nancy
Paris, 11 septembre, 1 heure.
Communiqué officiel du 10 septembre, 23 h. 10 :
L'Aile gauche
1° Sur l'aile gauche, les troupes
franco-anglaises ont franchi la Marne entre La Ferté-sous-Jouarre - Charly et Château-Thierry.
poursuivant l'ennemi en retraite.
Au cours de cette progression, l'armée anglaisé a
fait de nombreux prisonniers et a pris des
mitrailleuses.
Depuis quatre jours que dure la bataille, les armées
alliées, sur cette partie du théâtre des opérations,
ont gagné plus de 60 kilomètres.
Entre Château-Thierry et Vitry-le-François, la garde
prussienne a été rejetée au nord des marais de
Saint-Gond.
L'action, continue, avec une grande violence, dans
la région comprise entre le camp de Mailly et
Vitry-le-François.
Au Centre et à l'Aile droite
2° Au centre et à l'aile droite, la situation est
stationnaire sur l'Ornain et sur l'Argonne, où les
deux adversaires main, tiennent leurs positions.
Du côté de Nancy
3° Du côté de Nancy, l'ennemi a progressé légèrement
sur la route de Château-Salins.
Par contre, nous avons gagné du terrain dans la
forêt de Champenoux.
Les pertes sont considérables des deux côtés.
L'état moral et sanitaire des troupes françaises
reste excellent.
Maubeuge tiendrait encore
4° Aucune confirmation n'est parvenue de la chute de
Maubeuge, annoncée par les journaux allemands.
LES BOMBES
Nancy, 11 septembre.
Aujourd'hui, les obus qui n'avaient pas fait
explosion au cours du bombardement de l'autre nuit
ont été transportés dans un terrain des environs de
Nancy où ils ont été détruits par les artilleurs, en
présence de M. le maire de Nancy et de M. Faivre,
commissaire central.
OBSÈQUES
Aujourd'hui, à dix heures et demie du matin, ont été
célébrées les obsèques de MMmes Henriette Wagner,
mère et fille, 91, rue Charles III, les premières
victimes du bombardement de l'autre nuit.
La cérémonie religieuse eut lieu au temple
protestant.
Une assistance nombreuse et émue accompagnait les
deux chars funèbres qui disparaissaient sous une
profusion de fleurs et de couronnes, dont une
offerte par la ville de Nancy.
La municipalité était représentée par MM. Peltiar,
adjoint, et Bussières, conseiller municipal.
La double inhumation a eu lieu au cimetière du Sud.
LA VICTOIRE
annoncée par M. le Préfet
Nous recevons de la préfecture cette note qui
confirme bien la victoire :
Je suis heureux de pouvoir apprendre fi la
population de Meurthe-et-Moselle que la grande
bataille que depuis cinq jours les armées françaises
livrent contre l'ennemi s'achève en une magnifique
victoire.
Français, prenez patience quelques heures en
attendant que la communication officielle et précise
de cette victoire nous vienne de ceux qui ont
autorité pour vous la faire et préparez vos coeurs à
une grande joie.
L. MIRMAN,
Préfet de Meurthe-et-Moselle.
GRANDE VICTOIRE
Battus sur la Marne et sur l'Ourcq, les Allemands se
replient sur l'Aisne et l'Oise. - L'ennemi recule
sur presque tous les points, après avoir subi des
pertes considérables.
COMMUNIQUÉ OFFICIEL
Paris, 11 septembre, 16 h. 5.
La bataille est engagée depuis le 6 septembre, sur
le front Paris-Verdun.
Au Nord de la Marne et sur l'Ourcq
Dès le début, l'aile droite allemande, sous le
commandement du général von Kluck, et qui avait
atteint, le 6 septembre, le nord de Provins, se
repliait devant notre menace d'enveloppement.
Elle parvint à s'échapper et elle se jeta contre
notre aile enveloppant le nord de la Marne et
l'ouest de l'Ourcq.
Mais les forces franco-anglaises lui infligèrent des
pertes considérables et résistèrent le temps
nécessaire à la progression de notre offensive.
Par ailleurs, l'ennemi est actuellement en retraite
vers l'Aisne et Oise. Il a reculé de soixante à
soixante-quinze kilomètres depuis quatre jours.
De Montmirail à Sézanne et à Vitry
Les forces franco-anglaises opérant au sud de la
Marne ont poursuivi l'offensive, engageant de
violents combats dans la région La Ferté-Gaucher,
Esternay-Montmirail.
La gauche des armées de von Kluck et de von Bulow se
replie devant nous.
Des combats particulièrement acharnés se sont livrés
entre les plateaux situés au nord de Sézanne et
Vitry-le-François contre notre gauche par l'armée de
Bulow, l'armée saxonne et une partie de l'armée du
prince de Wurtemberg.
Les Allemands ont échoué dans leurs tentatives
violentes et répétées de rompre notre centre.
Victorieux sur le plateau de Sézanne, nous pûmes
passer à l'offensive.
L'ennemi rompit le combat la nuit dernière, entre
les marais de Saint-Gond et la région de Sommesous,
se repliant vers l'ouest, dans les environs
immédiats de Vitry-le-François.
Dans la Meuse
Sur l'Ornain, comme dans l'Argonne et la Meuse, où
opèrent les armées du prince de Wurtemberg et du
kronprinz, le combat dure encore, avec des
alternatives d'avance et de recul qui ne modifient
pas la situation d'ensemble.
La droite et le centre allemands en retraite
Ainsi, la première phase de la bataille sur la Marne
se dessine en faveur des alliés, puisque la droite
et le centre allemands sont actuellement en
retraite.
Dans les Vosges et devant Nancy
La situation de notre droite n'est pas changée dans
les Vosges et devant Nancy,
- que quelques pièces à longue portée essayèrent de
bombarder.
L'Ensemble
La situation générale s'est donc complètement
transformée, depuis quelques jours, tant au point de
vue stratégique que tactique.
Non seulement nous avons arrêté la marche des
Allemands, que ceux-ci croyaient victorieuse, mais
l'ennemi recule devant nous, sur presque tous les
points.
LE BUTIN
fait par les Anglais
Paris, 11 septembre,
11 h. 40.
LONDRES, 10 septembre. - Le bureau de la Presse
communique le rapport suivant du général French : La
bataille a continué hier.
L'ennemi a été repoussé sur toute la ligne.
Notre 1er corps d'armée a enterré 200 cadavres
ennemis, a pris douze canons Maxim et fait de
nombreux prisonniers.
Notre 2e corps a fait 350 prisonniers.
Il a pris une batterie.
Les pertes allemandes sont importantes.
Les troupes allemandes sont, paraît-il, épuisées.
Les troupes anglaises ont traversé la Marne dans la
direction du nord.
NOTRE SUCCÈS S'ACCENTUE
Encore un drapeau enlevé
Paris, 12 septembre, 0 h. 48.
(Communiqué officiel du 11 septembre, 23 heures.)
1° A l'aile gauche, notre succès s'accentue.
Nos progrès ont continué au nord de la Marne et dans
la direction Soissons-Compiègne.
Les Allemands ont abandonné de nombreuses munitions,
du matériel, des blessés et des prisonniers.
Nous avons pris un nouveau drapeau. L'armée
britannique a pris 11 canons, un important matériel
et a fait 1.200 à 1.500 prisonniers.
2° Au centre l'ennemi a cédé sur tout le front entre
Sézanne et Revigny.
Dans l'Argonne, les Allemands n'ont pas reculé
encore.
Malgré les efforts fournis par les troupes
françaises au cours de ces cinq journées de
bataille, elles trouvent encore l'énergie de
poursuivre l'ennemi.
3° A l'aile droite, en Lorraine et en Vosges, rien
de nouveau.
LES PERTES ALLEMANDES
sont énormes
Paris, 12 septembre, 2 heures.
(Officiel.)
Seize fois ils lancèrent des ponts sur la Marne qui
seize fois furent démolis
MEAUX. - Les forces anglo-françaises qui refoulèrent
les Allemands sur les bords de la Marne leur
infligèrent des pertes énormes en hommes et en
matériel.
Autour de Vareddes notamment (Vareddes est dans la
boucle de la Marne, entre Triport et Changis, non
loin du confluent de l'Oucq, en Seine-et-Marne),
autour de Vareddes donc, les pertes de l'ennemi
furent cinq fois supérieures à celles des Français.
Les Allemands firent des efforts inouïs pour
franchir la Marne.
Les Français ayant détruit tous les ponts, les
Allemands tentèrent d'établir trois ponts de
bateaux.
Seize fois, ces ponts, presque achevés, furent
réduits en miettes par l'artillerie française.
Nos morts dorment sous un linceul tricolore
Le service sanitaire a fonctionné admirablement.
Tous les blessés ont été évacués et hospitalisés.
Nos morts sont enterrés.
Il ne reste plus, dans les immenses plaines où la
bataille a eu lieu avant+hier, que, de petits
monticules, tombes de soldats, surmontés de croix,
recouverts de fleurs et de drapeaux tricolores.
Les habitants des villages voisins, partis à la
dernière minute, sont revenus et vaquent à leurs
occupations habituelles avec une admirable
tranquillité.
GRIFFES COUPÉES DENTS LIMÉES
Nancy, 12 septembre.
Les impatients doivent être, à l'heure actuelle,
satisfaits. Ils ont la grande bataille qu'ils
demandaient avec une énergie doublée par leur
ignorance des faits de la guerre.
Pour ceux qui ont acquis à grands efforts cette
vertu magnifique, la patience, ils ont davantage le
droit de se réjouir. Ils ont le commencement d'une
belle victoire. Ils ont surtout la certitude que,
quoi qu'il arrive, le sang-froid de nos généraux,
leur calme, la clarté de leurs vues sont à l'épreuve
de tout événement. Avec cette assurance ils ont la
certitude du triomphe définitif.
Est-ce parce que cette idée s'est peu à peu fait
jour dans le cerveau du kaiser que les Etats-Unis
ont, à ce qu'on assure, parlé de la paix ? Ce n'est
pas impossible.
Au début de la guerre on disait assez communément
que Guillaume II offrait à la France la restitution
de l'Alsace et de la Lorraine si notre pays
consentait à le laisser seul en face de la Russie.
Cela paraissait une plaisanterie cruelle, surtout
quand on voyait l'armée allemande envahir Bruxelles
et dépasser notre frontière du Nord.
Mais aujourd'hui ? Aujourd'hui cette même armée
allemande est encore chez nous à la vérité.
Seulement elle y est un peu comme un soldat entouré
par de prisonniers armés.
Au centre on la refoule. A l'Ouest on l'attaque. Au
Nord-Ouest les Belges attendent à Anvers l'occasion,
qu'ils ne laisseront pas échapper, de bousculer sa
retraite fatale. En Lorraine elle ne peut pas
passer. Enfin là-bas les Russes foulent le sol de
la Prusse orientale et chassent devant eux les
Allemands affolés.
La source du ravitaillement commence à tarir. Les
mers sont fermées à tout espoir de secours.
De plus, les atrocités commises pendant l'invasion
ont soulevé contre l'Allemagne l'indignation de tous
les peuples civilisés.
Le grand empire militaire est vaincu par avance,
sans que l'esprit humain puisse concevoir d'autre
solution à ce tragique problème posé devant
l'univers.
Le kaiser, si mystique soit-il, n'est pas sans
comprendre qu'il est perdu.
Il n'est donc pas improbable qu'il ait essayé de
séparer la France de ses alliés par l'offre d'une
satisfaction immédiate.
Cette proposition serait d'ailleurs tout à fait dans
la direction amorale de l'esprit allemand.
Le gouvernement prussien avait bien proposé à la
Belgique neutre de favoriser les opérations
militaires de ses armées. On sait comment
répondirent les Belges.
Il avait bien proposé à l'Angleterre amie de ne pas
bouger pendant qu'il envahirait la Belgique. On sait
comment répondirent les Anglais.
Il serait bien capable de proposer à la France
d'abandonner la lutte et ses alliés moyennant
compensation déshonorante. Si cela était exact, on
sait comment répondrait la France.
Et au fait n'a-t-elle pas répondu soit en prévision
des offres de paix, soit parce que ces offres ont
été réellement faites ? La déclaration de la
Triple-Entente est-elle seulement éventuelle, ou
bien est-elle une réplique vigoureuse ?
« Les trois gouvernements de Grande-Bretagne, France
et Russie, conviennent que lorsqu'il y aura lieu de
discuter les termes de la paix, aucune des
puissances alliées ne pourra poser des conditions de
paix sans accord préalable avec chacun des alliés. »
Voilà ce que nous avons dit.
Les imaginations peuvent à ce sujet se donner libre
cours. Elles sont sur un terrain moins dangereux que
celui de la tactique.
Mais de tous les Français pas un, serait-il le
pacifiste le plus affolé et le plus impressionnable,
et le plus tendre, n'accepterait d'examiner des
propositions si étrangement cyniques.
Nous sommes trois et quatre peuples qui combattons
pour la libération de l'Europe. Ensemble nous
vaincrons, ensemble nous dicterons la paix, quand
l'Allemagne écrasée sous le poids des armes et de la
réprobation, ses griffes coupées et ses dents
limées, ne pourra plus enfin déchirer et dévorer
Inhumanité.
RENÉ MERCIER.
Retraite générale
DES ALLEMANDS
A l'Aile droite, à l'Aile gauche, au Centre et en
Lorraine, les Allemands ont entamé un mouvement de
retraite générale
AUTOUR DE NANCY
La victoire générale des armées alliées, que j'ai eu
l'immense joie de pouvoir annoncer ce matin à la
population de Meurthe-et-Moselle, a produit son
effet « autour de Nancy » avant même que la nouvelle
officielle ait été portée à notre connaissance par
le gouvernement.
Je puis donner aux Lorrains qui sont restés à Nancy,
marquant ainsi leur confiance inébranlable dans les
destinées immédiates de la Patrie, l'assurance que
l'ennemie est en retraite sur tout notre front.
Vive Nancy !
Vive la France !
L. MIRMAN, Préfet de Meurthe-et-Moselle.
Bordeaux, 12 septembre, 18 h. (officiel).
A NOTRE AILE GAUCHE
Les Allemands ont entamé un mouvement de retraite
général, entre l'Oise et la Marne.
Hier, leur front était jalonné par Soissons,
Braines, Fismes et la montagne de Reims.
Leur cavalerie semble épuisée.
Les forces anglo-françaises, qui les ont
poursuivies, n'ont rencontré devant elles, dans la
journée du 11, qu'une faible résistance.
AU CENTRE ET A NOTRE AILE DROITE
Les Allemands ont évacué Vitry-le-Framçois, où ils
s'étaient fortifiés, et le cours de la Saulx.
Attaqués à Sermaize et à Revigny, ils ont abandonné
un nombreux matériel.
Les forces allemandes occupant l'Argonne ont
commencé aussi à céder.
Elles battent en retraite vers le Nord, par la forêt
de Belnoue.
EN LORRAINE
Nous avons légèrement progressé.
Nous occupons la lisière Est de la forêt de
Champenoux, Rehainviller et Gerbéviller. Les
Allemands ont évacué Saint-Dié.
VERS LA GUÉRISON
Nancy, 12 septembre.
Des femmes au coeur tendre se massent volontiers sur
le passage des blessés, et s'apitoient un peu
bruyamment sur le sort de ces malheureux.
Certes on ne peut blâmer ces sentiments. Pourtant il
serait bon de les modérer.
Voici pourquoi : Les blessés que l'on voit passer,
étendus sur des civières, sont des blessés que l'on
évacue vers le Centre, l'Ouest ou le Midi, en des
villes où ils recevront, loin de la ligne de feu,
les soins nécessaires.
Ils ont été pansés aux postes où ils sont tombés.
Ils ont été conduits à Nancy où on a renouvelé les
pansements, où on les a laissé reposer quelques
jours, de façon à les mettre en état de supporter le
transport en chemin de fer.
Ceux que les médecins estiment immédiatement
transportables, on les place sur des civières, et on
les dirige vers la gare.
Ils laissent la place à ceux que l'ennemi atteindra
dans les combats futurs. Ils partent. Ils vont vers
la guérison.
Ils ne sont pas à plaindre. On doit au contraire les
féliciter de leur hardiesse, leur souhaiter un
prompt rétablissement, et se louer de ce que, à
l'abri de tous les périls, sous un ciel clément, ils
vont, leur devoir accompli, reprendre des forces.
Il ne faut pas dire, avec des larmes, sur leur
passage :
- Ah! les pauvres gens !
Mais bien :
- Ah ! les braves petits gars !
Ils ont versé leur sang pour la patrie.
Bravo ! On les emmène vers la guérison. Ils nous
reviendront bientôt solides et joyeux.
Voilà ce que je voudrais entendre au passage des
blessés. C'est ce qui est vrai, c'est ce qui est
juste, c'est ce qui réconforte.
Allons, femmes lorraines, illuminez ces départs de
vos sourires, et vous qui avez tous les courages,
ayez encore celui-là de crier aux blessés :
- Bravo les petits gars ! Allez vers la guérison. Et
revenez-nous bien vite.
RENÉ MERCIER.
(à
suivre) |