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Avril 1915 - La Vie en Lorraine (1/3)

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La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915

La Grande Guerre
LA VIE EN LORRAINE
AVRIL 1915
L'Est Républicain NANCY

LUTTE ARDENTE en ARGONNE
Au Bois Le Prêtre et vers Parroy

Paris, 31 mars, 15 heures.
Aucune modification n'a été signalée dans la situation depuis le communiqué de ce matin.

Paris, 1er avril, 0 h. 55.
Voici le communiqué officiel du 31 mars23 heures : En Champagne, actions d'artillerie dans la région de Beauséjour-Ville-sur-Tourbe.
En Argonne, activité incessante, particulièrement entre le Four-de-Paris et Bagatelle. Les combats se livrent parfois à une si courte distance qu'un lance-bombes, atteint par une de nos grosses bombes, a été projeté dans nos lignes.
Dans la nuit du 30 au 31 mars nous avons enlevé cent cinquante mètres de tranchées en faisant des prisonniers et en prenant deux lance-bombes.
Pendant la nuit du 30 au 31 également, l'ennemi a bombardé une tranchée qu'il avait perdue le 30 au Bois-le-Prêtre. Il a contre-attaqué au petit jour avec plusieurs bataillons et a réussi à reprendre pied dans la partie ouest de la position, mais dès 8 heures, il en était de nouveau délogé.
Le gain réalisé le 30 mars est donc intégralement maintenu. Nous avons fait des prisonniers, dont un officier.
Dans la région de Parroy, des combats d'avant-postes ont tourné à notre avantage.

LES MARRAINES DE LORRAINE

Nancy, 1er avril.
J'ai écrit dimanche que j'expliquerais comment on peut devenir marraine d'un soldat. Les lettres que j'ai reçues montrent que l'idée a été comprise avant même que d'être exprimée. Mieux. Sous une autre forme elle a été réalisée.
Une institutrice me fait passer ce mot :
«  Je voudrais que vous sachiez que nous n'avons pas attendu l'invitation de votre journal. Depuis le début de la guerre, à l'école d'Alsace-Lorraine, nous avons «  adopté » des soldats et nous leur envoyons lettres et paquets. Nous avons reçu et continuons à recevoir des lettres pleines de naïfs remerciements, des lettres plus touchantes dans leur tournure un peu maladroite que les plus savantes épitres.
«  Je suppose que dans bien des familles on a agi ainsi, mais il n'est pas besoin de publicité aux actes qu'on croit justes.
«  On ne pourra jamais mesurer toute l'étendue des sacrifices que les familles françaises font pour le soldat. J'ai été à même de m'en rendre compte. Toutes ces initiatives sont charmantes et poétiques.
«  Nous attendons nos «  filleuls soldats » et nous leur ferons le même accueil que nous avons fait à toutes les bonnes idées. »
Je n'ai pas besoin de remercier notre généreuse amie de ses sentiments délicats. Ils sont au coeur de toute Lorraine, de toute Française. Mais pas de publicité ? Non, si on entend par publicité la recherche d'une popularité de mauvais aloi. Au contraire, beaucoup, beaucoup de publicité pour les actes généreux. Jamais assez de publicité autour de la vaillance de nos soldats, autour du dévouement des femmes françaises. Il est bon que partout on sache avec quelle foi notre armée se bat, de quel souffle ardent est inspirée la France entière en ces jours de deuil et d'espérance. Et nous craignons au contraire de n'avoir pas assez fait de publicité, pour l'édification des neutres hésitants, quand les Allemands inondaient l'Europe et les autres parties du monde de papiers exaltant, la gloire, la vertu, la pitié germaniques.
Mais il faut revenir aux «  Marraines de Lorraine ».
On a lu hier des lettres que nos troupiers du 20e corps écrivent aux fillettes de l'école supérieure, aux apprenties de l'école ménagère de la rue Glodion, aux enfants de l'école Raugraff. Ce sont autant de filleuls, autant de marraines. Il est relativement facile à des organisations comme nos écoles d'instituer un mouvement aussi touchant. Les maîtresses ont vite fait d'y entraîner tous les petits coeurs, - si tendres.
Pourtant il reste dans les familles bien des âmes qui palpitent vers la bonté, et ne trouvent point la façon de réaliser leurs désirs.
C'est à celles-là que je veux m'adresser pour l'oeuvre des Marraines de Lorraine.
Des deux côtés même élan les uns vers les autres. Mais comment se rencontrer ? Comment les femmes et les jeunes filles lorraines, les petites ouvrières, les fillettes qui ne vont plus à l'école trouveront-elles le moyen de répandre les trésors de leur dévouement, de les distribuer d'une façon directe, qui laisse un souvenir ému et précis, de les donner enfin non point seulement à la foule glorieuse des combattants, mais, à quelqu'un, à l'un de ces combattants qu'on aura choisi parmi tous et auquel on apportera le réconfort moral et la douceur affectueuse des petits présents ?
Je reçois fréquemment, et je recevrai de plus en plus souvent des lettres de soldats sans famille ou dont la famille est pauvre, ou encore dont les parents sont aux pays annexés. Ceux-là, plus spécialement, ont besoin d'encouragement, et de savoir qu'ils ne sont pas abandonnés de tous, mais qu'ils peuvent avoir en France, des femmes, des enfants qui pensent à eux, et les consolent, et les aident, et leur font oublier les heures mauvaises.
Ces lettres, je les mets à la disposition des Marraines de Lorraine. Quand une marraine aura adopté son filleul, elle correspondra avec lui directement, et fera pour lui ce que sa générosité affectueuse lui ordonnera.
Nous nous contenterons de savoir que le soldat est sauvé de l'abandon, de la solitude, qu'il reçoit de jolies lettres, qu'il a une affection vers qui se pencher et qui le comprend.
Assurément nous aurons au début plus de marraines que de filleuls. Je n'en veux pour preuve que ce qui est advenu pour les trois Alsaciens dont l'aîné m'avait écrit. Ce n'est pas trois marraines qui m'ont demandé leur adresse, mais dix. Sept marraines doivent donc attendre. Je suis certain qu'elles n'attendront pas longtemps.
Nous recueillerons à l'Est le nom et l'adresse des marraines qui désireront un filleul, le nom et l'adresse des soldats qui désireront une marraine. Ces listes ne sortiront pas du journal. Elles ne seront communiquées à personne.
Notre rôle est seulement de mettre en relations le soldat sans famille et la Lorraine qui souhaite, en plus de ses oeuvres habituelles de bonté, accomplir - pendant la guerre un acte précis de tendre patriotisme.
Il faut qu'il n'y ait plus de soldat sans famille, puisqu'il n'y a pas de famille sans soldat.
Vivent les Marraines de Lorraine !
René MERCIER.

RETOUR D'EXIL
Le Maire de Val-et-Châtillon raconte sa captivité

Nancy, 1er avril.
Lundi, dans l'après-midi, les habitants des communes de Val-et-Châtillon et de Petitmont, réfugiés à la caserne Molitor, étaient réunis dans le bâtiment du gymnase, transformé en salle de conférences, -pour entendre le récit de la longue captivité en Allemagne de M. Veillon, maire de Val.
M. Mirman, préfet, assistait à cette réunion, ainsi que plusieurs membres du comité des réfugiés.
Après une courte allocution de M. Schmitt, directeur de la caserne, M. Veillon a pris la parole.
M. le maire de Val s'est adressé tout d'abord à ses compatriotes pour leur recommander de toujours bien observer le règlement de la caserne, afin de montrer leur reconnaissance envers le comité, et envers tous ceux qui s'efforcent, par leurs soins, de faire oublier le long exil auquel ils se sont astreints. Il a témoigné sa reconnaissance envers M. le préfet de Meurthe-et-Moselle, dont la paternelle vigilance s'augmente d'une façon si gracieuse des soins délicats de Madame et de Mesdemoiselles Mirman ; Mme Finance, directrice de l'infirmerie ; Mme Archimbaud ; M.
Schmitt, enfin envers tous ceux qui s'occupent des réfugiés.
M. Veillon a ensuite relaté comment il If ut fait prisonnier par les Allemands.

L'arrivée des Boches
C'était le 12 octobre. Les ennemis venaient de s'emparer du dévoué secrétaire de la mairie, M. Louis Cayet, auquel il adresse un souvenir ému, car il est toujours prisonnier. Les Allemands avaient trouvé sur lui un carnet de notes, dans lequel était une fiche où M. Veillon indiquait l'endroit où il avait caché le récit des événements depuis la guerre, notamment celui de la bataille de Val. Les Allemands voulurent voir là de l'espionnage.
Ils s'emparèrent de M. Veillon, en disant : «  Vous êtes un officier supérieur déguisé en maire. »

Sur la route de l'exil
M. le maire et son secrétaire furent conduits en voiture à Réchicourt, où ils furent enfermés dans la maison du notaire. Ils passèrent devant le conseil de guerre, qui les acquitta.
Mais les Allemands ne rendirent pas la liberté à M. le maire, sous le prétexte qu'ayant traversé les lignes allemandes, il ne pouvait rentrer en France avant quinze jours.
Au bout de quelque temps, M. Veillon est emmené à Sarrebourg, en même temps qu'un caporal français fait prisonnier près de Blâmont et qui était coiffé de la casquette qu'un officier allemand lui avait donnée en échange de son képi.
La qualité de maire de M. Veillon lui valut, à la prison militaire, une chambre de sous-officier qu'il partageait avec M. maire d'Arracourt. C'est dans cette prison qu'il vit arriver les habitants de Loupmont (Meuse), porteurs de hottes sur lesquelles ils avaient chargé ce qu'ils avaient de plus précieux.
Là encore il vit un habitant du Val, M. Scheffer, qui lui apprit le bombardement de la commune.
Le 2 novembre, les prisonniers français entendent le canon. Ils ont quelque espoir, mais Je jour même tous sont dirigés vers la gare et rapidement conduits à Saverne, où ils arrivent dans la soirée.

A Saverne
La petite ville alsacienne est éclairée. Les habitants sortent de leurs maisons pour voir le triste cortège, dont ils ont la plus grande pitié.
Les prisonniers sont enfermés à la prison avec les détenus de droit commun. La nourriture est des plus mauvaises. Mais la visite du procureur impérial fit améliorer le sort des prisonniers, qui eurent la permission de sortir en ville sous la garde de soldats.
Les Savernois, en voyant la grande misère dans laquelle nous nous trouvions, dit M. Veillon, nous distribuèrent des vêtements, du pain et autres aliments.
Un jour on annonçait que tous les prisonniers allaient être dirigés vers la Suisse, mais le lendemain cet espoir s'envolait, car on annonçait que le voyage était ajourné.

A Dieuze
Le 16 novembre, tous les Français étaient conduits à Dieuze, où ils étaient internés dans la caserne d'infanterie où se trouvaient déjà d'antres prisonniers de diverses communes de Meurthe-et-Moselle.
A Dieuze, les jeunes gens seuls travaillaient, notamment sur les chemins et à l'entretien des tombes dos soldats tués sur les champs de bataille. Les prisonniers étaient payés à raison de trois mark pour dix jours.
Le 28 novembre, cinq jeunes gens de Thiaucourt purent, s'évader, mais, repris à Avricourt, ils furent ramenés à Dieuze. L'opinion de tous les Français était qu'ils allaient être sévèrement punis. Le générai les fit appeler et après les avoir félicités de leur acte de courage, il ne leur octroya que quinze jours de cellule.
Le 6 décembre, un aéroplane français, survolant Dieuze, jeta deux bombes sur la caserne des chevau-légers, contiguë à celle de l'infanterie.

Dans les camps prussiens
Le 17 décembre, les prisonniers sont amenés à Rastadt. A leur arrivée, la population les accueillit par des cris de haine. Tout le monde lut interné avec les prisonniers de guerre, dont l'entrain et la bonne humeur étonnaient les soldats allemands qui les gardaient.
Enfin, le 23 décembre, les Allemands faisaient évacuer 1.500 prisonniers de Rastadt pour les conduire au camp de Holzminden. Le voyage dura deux jours, pendant lesquels on ne reçut comme nourriture qu'un morceau de pain et de saucisse.
Le camp, construit spécialement pour les prisonniers, se compose de quatre-vingt-quatre baraques en planches, recouvertes de carton-bitume. Comme literie, un simple cadre avec une paillasse remplie de laine de bois. Là se trouvaient déjà des soldats belges et des habitants de la Pologne.
La nourriture au camp était mauvaise. Le menu était invariable : soupe à midi et le soir. On obligea tous les prisonniers à déposer leur argent. Les couteaux dont ils étaient porteurs durent avoir la pointe brisée.
Les jours, s'écoulèrent lentement. Pour calmer leur ennui, les Français organisaient des concerts ou bien ils pratiquaient divers jeux, ou encore; profitant des rares beaux jours, faisaient les cent pas sur la seule chaussée pavée du camp et qu'ils avaient nommée «  Avenue Joffre », nom que les Allemands lui donnaient aussi.

La délivrance
Enfin le jour de la délivrance arrivait. M. Veillon était ramené à Rastadt. Après un court séjour dans ce camp, il faisait partie d'un (convoi qui le conduisait à Schaffouse, puis de là en France.
M. le maire de Val se hâtait de venir à Nancy, où il arrivait la semaine dernière. Il se mettait de suite en relations avec ses administrés, qui tous lui ont témoigné leurs sympathies, heureux de voir que son séjour en Allemagne n'avait pas altéré sa santé.
CH. LENOBLE.

BOMBARDEMENT INUTILE A BEAUZEMONT

Samedi et dimanche, plusieurs obus allemands sont tombés sur le village de Beauzemont.
Situé au sud d'Arracourt et à l'ouest de Parroy, Beauzemont n'est pas éloigné de la frontière de plus de sept kilomètres à vol d'oiseau.
Quelques maisons ont gravement souffert. L'utilité de cet exploit se chercherait en vain. Bauzemont n'est pas une position stratégique.
Une fois de plus, les Boches ont tenu à prouver leur sauvagerie et leur cruauté en canonnant d'inoffensifs cultivateurs.

NOS SUCCES
du Bois Le Prêtre et de Parroy
LA GUERRE DE MINES

Paris, 1er avril, 15 heures.
La lutte de mines se poursuit sur de nombreux points du front.
Devant Dompierre (sud-ouest de Péronne) nous avons fait exploser avec succès quatre fourneaux.
Près de la ferme du Choléra (nord de Berry-au-Bac) nous avons fait sauter un rameau de mines au moment où l'ennemi y travaillait et nous avons fait suivre l'explosion d'une rafale de 75. Un poste d'écoute allemand a disparu dans l'entonnoir.
Au bois Le-Prêtre, le nombre exact des prisonniers faits par nous est de 140, dont 3 officiers. Toutes les contre-attaques allemandes ont été repoussées.
L'attaque dirigée contre nos avant-postes dans la région de Parroy aurait été menée par un bataillon de landwehr. Elle a échoué avec de fortes pertes.
Les aviateurs belges, au cours de la nuit du 30 au 31, ont bombardé le camp d'aviation d'Handzaeme et le noeud de voies ferrées de Cortemark.

NOUS OCCUPONS FEY-EN-HAYE

Paris, 2 avril, 0 h. 30.
Voici le communiqué officiel du 1er avril, 23 heures:
Combats d'artillerie sur différents points du front.
En Woëvre, à l'ouest du bois Le-Prêtre,, nous avons occupé le village de Fey-en-Haye et nous nous y sommes maintenus malgré plusieurs contre-attaques.
En Lorraine et en Vosges, rien à signaler.
Fey-en-Haye (132 habitants) fait partie du canton de Thiaucourt, qui est à 8 kilomètres 800 au nord-ouest.

GARROS & NAVARRE
abattent chacun leur taube

Au sud de Dixmude, le lieutenant aviateur Garros a abattu un Aviatik à coups de mitrailleuse.
Dans la région de l'Aisne, un autre aviateur allemand a été abattu à coups de fusil par l'aviateur Navarre.

Nouvelles du Pays meusien

Fleury-sur-Aire. - Les Boches arrivèrent à Fleury-sur-Aire (commune de 260 hab., canton de Triaucourt), le 5 septembre, à 2 heures de l'après-midi, ce n'était qu'une patrouille ; à 5 heures du soir, ils vinrent au nombre de dix mille hommes. Leur première occupation fut de visiter à fond l'église, le clocher et jusqu'aux moindres coins de la sacristie.
Malgré cette minutieuse perquisition et bien qu'ils aient occupé tout le pays pendant la nuit suivante, le lendemain, à huit heures du matin, ils enfoncèrent à coups de hache la porte de l'église, à coups de crosse de fusil la porte de la sacristie, ainsi que la fenêtre ; ils firent main basse sur tout ce qui pouvait servir au culte, comme cierges, bougies, pétrole et vin de messe, déposé là par précaution pour le préserver du pillage.
Le lundi 7 septembre, ayant converti l'église en ambulance, ils brisèrent volontairement, à coups de hache, tous les bancs de l'église et de leurs débris firent un tas dans le cimetière voisin, tout prêt à être brûlé.
Ils brisèrent également, ou plutôt le capitaine de gendarmerie allemand en personne brisa quatre fenêtres de l'église, sous le fallacieux prétexte qu'il fallait de l'air aux blessés. Prétexte mensonger, une seule fenêtre aurait suffi. Quant à la flèche du clocher, ils la percèrent de trous, pour y installer des mitrailleuses qui, d'ailleurs, ne fonctionnèrent pas.
D'où il suit que, pour la malheureuse église de Fleury, le bilan du passage des barbares peut s'évaluer à sept ou huit mille francs en dégâts tout à fait volontaires et complètement inutiles. C'est un modeste spécimen de la fameuse kultur allemande et les hommages rituels que réclame le vieux Dieu de Guillaume.

Stenay. - Une dame de Stenay, rapatriée d'Allemagne, où elle était internée depuis le 28 septembre, a bien voulu communiquer les renseignements suivants :
«  Vers 4 heures du soir, le 27 août, un détachement ennemi, composé d'une quarantaine d'hommes, un capitaine et deux lieutenants, arriva à Stenay.
Furieux de ne trouver ni le maire, qui était parti, ni les adjoints, dont l'un était mobilisé, ils se saisirent du directeur de l'école M. Toussaint, de l'abbé Hazard et de M. Romagny, et les obligèrent à les conduire dans chaque maison pour s'assurer qu'il ne s'y cachait pas de francs-tireurs. Arrivés près de l'hôtel Martin, apercevant une patrouille française, ils placèrent les civils en avant et M. Toussaint reçut une balle dans l'aine. L'abbé Hazard fit le mort, espérant ainsi pouvoir porter secours à son compatriote. A ce moment l'officier allemand tira un coup de revolver à M. Toussaint et s'apercevant de la supercherie de l'abbé, le fit relever et attacher à la queue de son cheval ; il lui fit faire une randonnée dans les champs. Le malheureux, enfin libre, arriva exténué à la maison d'école. M. Toussaint ne fut relevé que plusieurs heures après par M. Gourdet. Transporté à l'hospice, il y mourut trois semaines après.
Contrairement à ce qui a été dit, Mgr Mangin n'est pas mort en Bavière, mais à Stenay, où il fut enterré par les soins de l'abbé Hazard, dans la première quinzaine de septembre.
Le lendemain, les troupes allemandes arrivèrent en grand nombre : Bavarois et Saxons, les chevaux et les hommes affamés. Les caves furent mises à sec et le pillage commença. Le kronprinz, logé au château du Verdier, donna l'exemple d'ailleurs en présidant à l'enlèvement des objets d'art.
Dès que la ligne de chemin de fer fut rétablie, le déménagement des pianos, coffre-fort, meubles, linge, vêtements, continua.
Un peu partout campèrent les soldats, notamment dans les chantiers Drapier et Guilmart, où les stocks de bois furent vite utilisés et emmenés.
Un hôpital est installé dans la maison Drapier ; les typhiques sont dans la maison Authenias. Pendant le bombardement, les habitants restes vécurent dans les caves de l'école. Un seul obus français éclata près de la maison Thomas, ne causant pas grands dégâts. Les maisons Goulet-Turpin-Collignon, Ragot, Thirion, Dubois sont incendiées, les soldats ayant voulu terroriser la population par la menace d'un incendie général.
Depuis on n'a pas d'autres renseignements sur le sort de cette ville. D'autres civils ont été emmenés fin octobre. L'un d'eux est rapatrié et fera connaître sans doute la vie de Stenay à cette date.
Ces renseignements seront publiés ultérieurement.

Etraye. - Les Allemands sont arrivés à Etraye le 27 août, ils ont commencé par occuper les maisons évacuées ; puis ils ont réquisitionné bétail, porcs, lapins, volailles, vin, etc. Ils ont transporté dans les bois des chariots de gerbes de blé pour établir des abris, arraché les poteaux des parcs qu'ils ont brûlés ; les fils de fer ont servi pour les défenses des tranchées.
Pas de nouvelles des femmes restées an village.

Loupmont.- On communique la lettre suivante :
«  J'ai recueilli de plusieurs blessés la certitude que notre joli petit Loupmont, si riant autrefois au pied de ce coteau si riche, n'est plus maintenant qu'un amas de ruines et de cendres. Un tétanique,
blessé à Loupmont fin octobre, et encore actuellement dans mon service, s'y est vaillamment battu ; il fait partie de la 6e coloniale. Par trois fois, dit-il, Loupmont a été pris et reperdu. Chaque soir, la horde barbare incendiait deux, trois maisons, et, m'a affirmé ce «  brave poilu », comme il aime à s'intituler, après le départ des malheureux habitants pour l'exil le village a été détruit de fond en comble. A l'heure actuelle, il n'en reste plus une seule maison. Avant que de le démolir et l'incendier, les pirates ont emporté meubles, literie, linge, etc., surtout l'excellent vin de ce riant coteau.
Saint-Agnan n'est que cendres. La redoute, détruite par les batteries boches, m'a déclaré un blessé à Saint-Agnan, est la sépulture de beaucoup des nôtres.
Marbotte, Mécrin ont été les théâtres de combats acharnés. Un bois situé au-dessus du cimetière a vu des luttes homériques et là Français et Boches, dorment côte à côte du sommeil éternel. »

Bonzée-en-Woëvre. - Au début de la guerre, Bonzée comptait 193 habitants ; aujourd'hui, elle est réduite à 94 personnes ; 27 ont été mobilisées, 64 évacuées et 8 sont décédées. Depuis le mois d'août, elle a été constamment occupée par nos troupes, sauf pendant une partie de septembre ; et encore pendant cette période une compagnie d'infanterie venait tous les jours d'Haudiomont en patrouille à Bonzée.
Le 8 septembre, quatre uhlans ont été aperçus, venant de Trésauvaux. La brigade de gendarmerie de Fresnes-en-Woëvre, qui se trouvait alors a Bonzée, et une vingtaine de fantassins de la compagnie en patrouille se sont dissimulés derrière le parapet du pont et ont salué l'entrée des uhlans dans le village par une fusillade nourrie : deux Boches ont été abattus avec leurs chevaux sur la place de l'église, les deux autres ont tourné bride et sont repartis au grand galop.
Huit jours après, sept Allemands, trois fantassins et quatre cavaliers sont entrés dans le village par la route de Fresnes ; ils ont parcouru les rues au pas, bien tranquillement, sont entrés dans la maison qu'on appelle le château, y ont pris une galette, cinq oeufs sur dix qu'ils avaient trouvés, une boîte d'allumettes et une bougie. Après ce pillage enfantin, ils sont repartis sans avoir fait de mal, sauf qu'ils ont blessé un de nos cavaliers aperçu dans les environs.
En revanche, Bonzée a été bombardé, presque tous les jours depuis le 15 septembre jusqu'au commencement de février. Un des premiers projectiles est tombé sur un pignon et a blessé mortellement un enfant de 14 ans, le jeune Delpierre. Cet enfant a été la seule victime humaine. Un cheval, deux bêtes à cornes et quatre porcs ont été tués par des éclats d'obus ; une vache a péri dans un incendie. Quatre maisons ont été incendiées, huit presque complètement détruites et quinze autres plus ou moins atteintes. Pendant les bombardements qui avaient lieu généralement les après-midi, les habitants effrayés se réfugiaient dans abris construits par la troupe. Tous les carreaux du village, y compris les vitraux de réalise, ont disparu. L'église n'a été atteinte que sur une faible partie du mur du choeur, bien que les maisons voisines aient été sérieusement endommagées.
Elle a servi d'ambulance temporaire du 25 au 30 août après les combats d'Etrain ; quatre soldats y ont succombé. Les blessés ont ensuite été évacués hâtivement par crainte de l'invasion.

Jonville. - Jonville-en-Woëvre, situé à 5 kilomètres de Woël et de Harville, est occupé par les Allemands depuis les premiers jours de septembre. Ils ont emmené principalement les jeunes hommes. Toutes les femmes et jeunes filles sont restées au pays, et peut-être aussi les hommes d'un certain âge. L'église, le presbytère et la mairie sont transformés en trois hôpitaux. Les femmes sont employées à laver le linge des malades et blessés. Quelques chevaux et un certain nombre de vaches ont été laissés aux habitants, probablement que le lait est donné aux malades.

AVIONS ET MINES

Paris. 2 avril, 15 heures.
Rien d'important à ajouter au communiqué de ce matin. Au sud de Péronne, près de Dompierre, nous avons détruit à la mine plusieurs tranchées allemandes.
En Argonne, à Bagatelle, une tentative d'attaque allemande a été arrêtée net.
Des avions français et belges ont jeté une trentaine d'obus sur le champ d'aviation de Handzaème.

LA GARE DE VIGNEULLES
bombardée par nos avions

Paris, 3 avril, 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 2 avril, 23 heures : Sur l'ensemble du front, rien d'important n'a été signalé.
A 7 heures du matin, à l'est de Soissons, un avion allemand a été abattu dans nos lignes. C'est le troisième en 24 heures.
Notre escadrille de bombardement a lancé 33 obus sur les baraquements, les hangars et la gare de Vigneulles-en-Woëvre, La plupart des projectiles sont tombés en plein sur leurs objectifs.
Nos avions ont été très violemment camionnés et de très près. Trois d'entre eux sent, rentrés, avec de grosses déchirures aux ailes. Les autres ont reçu des balles de shrapnells dans les toiles, mais aucun aviateur n'a été atteint et tous les appareils sont revenus dans nos lignes sans accident.

LA SAUVAGERIE TEUTONNE A REHAINVILLER

Au cours d'une visite à Rehainviller, un de nos, confrères a recueilli le récit de l'atrocité suivante :
«  Bien qu'or ne puisse guère savoir où ils se logent, quelques habitants sont rentrés, ayant la nostalgie de leur coin de terre. L'un d'eux s'approche de nous, dit son mot dans les propos que nous échangeons avec le cantonnier. Celui-ci nous parle du curé Barbeau, que fusillèrent les Allemands quand ils se crurent maîtres du village.
- Et Joseph ? ajoute le paysan.
- Joseph ?
- Mais oui, Joseph Noirclair.
- Monsieur, reprend-il en se tournant vers nous, celui-là, on ne saura, jamais pourquoi ils l'ont traité comme ils l'ont fait ! Il était bien inoffensif. Après l'avoir fusillé, ainsi que lé curé, quelle sauvagerie n'ont-ils pas inventée ? On l'a trouvé la tête coupée, et, sa tête, ils l'avaient mise sous son bras. C'est-il des choses croyables, ca ? »

LE FEU BRULE UN TAUBE
bombardeur de Reims.
NOS CAPTURES AU BOIS LE PRÊTRE

Paris, 3 avril, 15 h. 10.
Dans la région de la Somme, à La Boisselle et à Dompierre, la guerre de mines s'est poursuivie avec un avantage marqué pour nous.
Le nombre total des prisonniers faits au bois Le-Prêtre (nord-ouest de Pont-à-Mousson), du 30 mars au 1er avril, dépasse deux cents, dont six officiers.
L'avion allemand qui a été abattu hier-matin venait de jeter des bombes sur Reims. L'appareil a pris feu en atterrissant. Les deux aviateurs sains et saufs ont été faits prisonniers.

Attaques allemandes repoussées !

Paris, 4 avril, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 3 avril, 23 heures.
A Dompierre, au sud-ouest de Péronne, nos travaux de mines continuent à progresser.
Près de Lassigny, une attaque allemande qui essayait de, déboucher a été arrêtée par notre feu à la sortie de ses tranchées..
En Hautes-Alsace, dans la région de Burnhaupt-le-Haut, nous avons repoussé deux attaques allemandes.

RETOUR D'EXIL
Arrêtés comme francs-tireurs. - La navette de Delme à Dieuze, en passant par Morhange.
Francs-tireurs, capout ! - A Radstadt et Holzminden. - La délivrance. - Les jolis sabots suisses...
Récit d'un Otage d'Arraye-et-Han

M. Aimé. Godefroy, un honorable habitant d'Arraye-et-Han, dans le canton de Nomeny, vient de rentrer de captivité, après un séjour de près de six mois dans les prisons et dans les camps d'Allemagne, où, on peut le dire, il a enduré toutes les souffrances physiques et morales d'un patriote en exil.
Mais M. Godefroy, en vaillant Lorrain, ne s'est jamais laissé abattre, et la joie du retour illumine aujourd'hui sa face, jaunie par les privations, et qu'encadre une longue barbe noire, oubliée depuis longtemps par le rasoir.
C'est le 1er septembre qu'avec le maire, l'adjoint et le curé du village, M. Godefroy fut arrêté. Jusque-là, durant tout le mois d'août, Arraye-et-Han, occupé par les Français le matin et par les Allemands le soir, ou par les Boches le matin, et par nos fantassins à la tombée de la nuit, n'avait pas ou à subir de grandes vexations ni de bien grands dégâts.
Les Allemands avaient trop la frousse de nos baïonnettes pour s'attarder aux beuveries et au pillage, Les maisons n'avaient donc encore que peu souffert. Çà et là, un obus avait marqué sa trace dans les toitures ou les façades, détériorant parfois quelque mobilier, mais sans faire de victimes. L'église avait eu aussi sa part des projectiles teutons. On peut même dire qu'elle avait eu sa grosse part, bien qu'elle n'ait rien de la cathédrale de Reims, ni de cette de Soissons. «  Gott mit uns »

Mais, le 1er septembre, ce ne fut plus une simple patrouille qui arriva à Arraye-et-Han. Ce fut au moins un régiment, appuyé par des masses profondes, de l'autre côté de la Seille.
Et les habitants ont fait aussitôt connaissance avec la sauvagerie teutonne.
Le maire, son adjoint, ainsi que le curé et M. Godefroy sont immédiatement arrêtés. Les uns sont accusés d'avoir fait des signaux aux Français, les autres d'avoir tiré sur les troupes allemandes.
«  D'un interrogatoire sommaire, raconte M. Godefroy, il résulta pour mon compte que j'étais considéré comme un franc-tireur. N'est-ce point là, d'ailleurs, l'accusation qui a servi partout aux Allemands de prétexte aux fusillades, à la destruction et au pillage ? Il était parfaitement inutile de chercher des preuves de son innocence. Les explications n'étaient pas admises. J'étais prisonnier, avec les deux premiers citoyens de ma commune et notre curé. Qu'allait-il advenir de nous ?... »
Le sort des quatre otages devait être décidé ailleurs, devant, un conseil de guerre. On les escorta de gendarmes, et en route pour Delme.

Le départ d Arraye-et-Han fut inattendu, précipité. On ne laissa pas le temps aux prisonniers de dire un dernier adieu à leurs familles ou à leurs amis, ni de se munir même de l'indispensable, Delme ne fut qu'une courte halte. Quelques minutes de comparution devant un général, qui les expédia, sur Morhange, après les avoir traités de francs-tireurs.
Qu'allait-il advenir des prisonniers sous une semblable accusation ? Morhange, c'était sans doute le conseil de guerre, et le poteau d'exécution.
Mais le conseil de guerre ne se pressait pas de siéger. En attendant, M. Godefroy et M. l'adjoint étaient séparés de leurs deux compagnons et enfermés, dans une cellule, où on les laissa pendant cinquante-six jours.
A ce moment, on leur apprenait que M. le maire et M. le curé, contre qui des preuves faisaient défaut, étaient remis en liberté.
On conduisit les deux hommes à Morhange, puis à Dieuze. Naturellement, ces diverses étapes se faisaient à pied, avec, dans le, ventre un misérable café, ou plutôt un kafé avec un K, dans lequel il ne manquait que l'essentiel. L'escorte des gendarmes n'était pas trop féroce. Elle permettait aux braves Lorrains annexés, de s'apitoyer sur le sort de leurs frères prisonniers, et de leur donner du pain accompagné de fromage ou de fruits, quelquefois même de jambon. En revanche, les soldats boches faisaient de l'ironie à la mode barbare.
Et il y en avait partout, de ces Prussiens casqués ! Les routes en étaient encombrées. Les champs voisins en étaient, couverts.
Lorsqu'apparaissait la petite troupe, deux civils entre quatre gendarmes. - les soldats criaient :
- Francs-tireurs ! Francs-tireurs ! Capout.
Et tandis que les uns mettaient les deux Français en joue, les autres tiraient, leur couteau ou leur baïonnette et faisaient, le simulacre de leur scier le cou.
A Dieuze, on les logea, dans les casernes des chevau-légers. La nourriture n'était évidemment pas très bonne, mais l'espoir renaissait car il semblait que la menace du conseil de guerre s'éloignait chaque jour davantage.
Et puis, un peu de travail procurait une distraction. On s'occupait à la cuisine, ou bien on allait chercher du bois. Quelquefois, on les envoyait sur les routes casser des cailloux, ou, dans les champs, combler quelque tranchée. Enfin, les gardiens laissaient entrevoir l'approche de la liberté.

-- Ah ! cette fois, on va vous renvoyer en France ! lui dit certain matin un gendarme. Il faut vous préparer.
«  - Nous, préparer ! Mais nous sommes toujours prêts! Nous n'avons ni malle ni valise à faire. »
On partit donc de Dieuze d'un pied léger, comme de vrais poilus. Et, certes, l'étape Dieuze-Arraye n'était pas pour leur faire peur !
Mais voici qu'au lieu de prendre la route vers la Seille, on les conduisit à la gare, où on les fit monter dans un train avec un billet pour Rastadt !
Les plus douces illusions étaient tombées, et la conversation ne fut pas gaie durant cet interminable trajet.
On arriva là-bas le 23 décembre. Les deux malheureux otages grelottaient sous leurs minces vêtements d'été. Et le séjour dans ce camp maudit n'était pas fait pour retaper la santé.
On prouva là une soixantaine de compatriotes, la plupart venus des environs de Pont-à-Mousson.
On ne resta à Rastadt que cinq jours, au bout desquels on partit pour Holzminden, dans le grand-duché de Brunswick.

Le camp de Holzminden comprend deux parties, nettement séparées, quoique voisines, celle réservée aux prisonniers civils et celle réservée aux prisonniers militaires.
Il y avait là près de six mille otages, tant Français que Belges, alors que le camp militaire ne comprenait guère que de cinq à six cents prisonniers appartenant aux différentes armées alliées.
Les prisonniers civils avaient surtout affaire à des chefs de baraquements, pris parmi ceux d'entre eux qui connaissaient l'allemand, Les soldats - des vieux de la landsturm - se bornaient à faire mélancoliquement les cent pas font autour.

Les hommes âgés de plus de 45 ans étaient dispensés de tout travail. Les jeunes faisaient la toilette des routes, comme, d'ailleurs, les prisonniers militaires à qui il était sévèrement interdit de parler.
Et c'était vraiment pitié de voir nos pauvres soldats tirant le rouleau sur les routes avec des cordes !
La nourriture était celle de tous les camps prussiens : café sans café le matin, eau chaude en guise de soupe à midi, remplacée parfois par un hareng ou une potée de féveroles.
Quant au couchage, il était absolument ignoble, avec base de copeaux sur un peu de paille pourrie par l'humidité.
Et dire que, chez nous, les prisonniers boches... Qu'on les mette donc en subsistance chez eux ! Ils y trouveront du changement !

Malgré l'ennui, malgré la misère, malgré la mortelle incertitude sur le sort des siens et sur celui de la chère Patrie, le temps s'écoule. On est au 15 février.
15 février ! Date inoubliable, nous dit M. Godefroy. C'est enfin la délivrance !... Depuis quelque temps, malgré les sévérités de la consigne, on entendait dire que l'Allemagne commençait à sentir la faim et qu'on allait se débarrasser de nous, bouches coûteuses - oh ! combien ! - et, en tous cas, bouches inutiles!
En effet, le 15 au matin, on prévient les prisonniers civils que 252 d'entre eux, les plus âgés, vont prendre le chemin de la France. Nos deux captifs d'Arraye-et-Han sont du nombre. On juge de leur joie, qu'atténue, hélas ! la pensée de laisser dans cet enfer tant de malheureux compagnons.
On revient à Rastadt, où l'on fait encore un arrêt de douze jours.
Oh ! les douze interminables journées, dans les casemates, où l'on doit à peu près se passer de nourriture !
L'administration du camp n'a pas jugé utile, en effet, de donner à ces hôtes de passage, la gamelle et la cuillère réglementaires. On apporte la potée dans un grand baquet et l'on doit se servir avec les mains !
Et les brutes en uniforme qui gardent l'infortuné troupeau ne manquent jamais de s'assembler autour de lui à l'heure de la pitance, pour rire de son embarras, de sa colère, de sa honte.
Ce véritable martyre prend fin le 27 février. A l'aube, les 252 rapatriés sont embarqués pour Schaffouse, où nos bons amis les Suisses leur font oublier tous les maux qu'ils ont soufferts par la réception la plus cordiale, la plus généreuse qui se puisse imaginer.
«  - Ce fut vraiment la noce ! » s'écrie M. Godefroy, qui résume d'un mot ce chaleureux accueil.
Nourriture abondante et soignée. Gâteries. Cigarettes. Vêtements. Paroles de réconfort. Poignées de main. Cris de «  Vive la France, » Bien ne manquait à cette fête.

Quelques jours plus tard, M. Godefroy était dirigé sur Saint-André-de-Corcy, dans l'Ain, où les braves gens dont il était l'hôte le traitèrent comme un parent aimé, que l'on retrouverait après une longue absence.
Il est de retour aujourd'hui dans sa chère Lorraine, recueilli avec sa femme par des amis, à Faulx, tout près de son village natal, où il espère bien retourner sous peu, alors que les hordes teutonnes auront pour toujours quitté notre pays.
«  - Vous avez de bien jolis sabots, demandons-nous à M. Godefroy, qui, en effet, porte des chaussures en bois, pointues comme des aiguilles, tout sculptées et coloriées ? »
«  - Ces sabots-là sont un souvenir précieux de la Suisse. Je vous assure que je n'ai pas l'intention de les user. Ils méritent chez moi une place d'honneur. Ils l'auront. »
Et il ajoute, fièrement :
«  - Nos pères les ont immortalisés, les sabots, en 92. Pourquoi ne ferais-je pas de mes sabots d'exil, une relique sacrée ? »
J. MORY.

Nos progrès ont continué
EN WOËVRE
Prise du village de Regniéville

Paris, 4 avril, 15 heures.
Rien à signaler.

Paris, 5 avril, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 4 avril, 13 heures :
Journée calme sur l'ensemble du front, sauf en Woëvre, où nos progrès ont continué.
NOUS avons enlevé le village de Regniéville, à deux kilomètres et demi à l'ouest du village de Fey-en-Haye, que nous avons occupé le 1er avril.
Regniéville est une petite commune de 150 habitants du canton de Thiaucourt.
Elle est située à 8 kilomètres au sud-est de son chef-lieu de canton, sur la route départementale qui rejoint la route nationale de Metz à Saint-Dizier, route qui passe à Pont-à-Mousson et à Commercy.

Quatre bombes de Taube
SUR SAINT-DIÉ
Elles ratent un convoi funèbre

Paris, 4 avril. 15 h. 22.
SAINT-DIÉ. - Un avion allemand a bombardé, hier, pour la sixième fois, Saint-Dié.
Il a jeté quatre projectiles. L'un d'eux est tombé dans la cour d'un maréchal-ferrant, blessant légèrement le maréchal, son fils et un ouvrier, et atteignant mortellement un cheval.
Un autre est tombé dans le cimetière, sur la rive droite de la Meurthe, au moment ou entrait un convoi funèbre. Il n'y a eu aucune victime.
Les deux autres bombes sont tombées l'une dans une prairie, l'autre dans un jardin. Aucun dégât.

A FRESNES-EN-WOEVRE
Des semaines sous les obus

Nos premières épreuves ont commencé après l'évacuation, vers le 20 août. Des avis donnés discrètement décidèrent d'abord quelques familles : on délivrait sur la place les laissez-passer avec signalement.
Le mercredi 25, l'autorité municipale et les gendarmes conseillèrent fortement le départ ; ce fut dans, la nuit que la plus grande partie de la population quitta Fresnes, se dirigeant vers Haudiomont, et se dispersant sur Verdun, Haudainville, Sommeidieue, Dieue, Ancemont.
Pendant les premiers jours, les Allemands occupaient les environs, Ville-en-Woëvre, Champion, Marchéville, mais ne se montraient pas chez nous. Parmi ceux qui n'étaient pas partis et ceux qui étaient rentrés, quelques-uns se hasardaient à sortir dans les champs pour ramasser des légumes.
Le lundi 7, il y eut une rencontre de patrouilles française et allemande, du côté de Champion. Un vieillard, M. Ethel-Diviany, se trouvant dans cette région, fut atteint, par une balle allemande et revint chez lui, grièvement blessé ; il expira le lendemain. Il avait fait les campagnes du Mexique et de 1870 sans une seule blessure Il devait être enterré le jeudi 10 : hélas ! il fut enseveli sous les décombres de la maison L. Paquin, où il était en bière. C'est qu'en effet le sinistre dénouement approchait.
Nous étions encore défendus par les gendarmes. Mais les Allemands s'enhardissaient. Le mercredi, au matin, une auto allemande stationnait devant le café Vérant. Les gendarmes prévenus s'en emparèrent et la firent conduire à Haudiomont. Les officiers qui l'occupaient retournèrent peu fiers à leurs cantonnements. Dans l'après-midi, trois soldats pénétrèrent dans l'hôtel de ville et saccagèrent tout ce qu'ils trouvèrent. Un gendarme les ajusta à leur sortie et en tua un.
Dès lors, la destruction de Fresnes fut décidée par les Barbares. Beaucoup de personnes, prévenues, s'enfuirent à Bonzée.
Vers 5 heures du soir, les incendiaires commencèrent leur oeuvre de mort. Ils s'étaient réunis à l'extrémité est de la rue Sainte-Anne.
Tout d'abord ils assassinèrent devant sa porte un vieillard octogénaire, M. Basse-Petit, qui faisait fonctions de maire, et, cent mètres plus loin, son fils, M. Basse-Pierson, qui sans doute cherchait à fuir. Ils les dépouillèrent ensuite des valeurs qu'ils portaient, plusieurs milliers de francs chacun.
Mme Basse-Pierson et Mme Lévieux-Nicolas périrent dans la cave de leur maison incendiée.
Le feu fut allumé par quatre monstres, soldats de l'armée allemande, commandée par des chefs, et dressés à cette oeuvre de sauvage destruction.
Ayant à la main une lanterne spéciale bien allumée, ils pénétraient dans les maisons en faisant sauter les portes ; après avoir réuni dans les chambres du premier étage tous les objets inflammables, ils y mettaient le feu au plus vite pour continuer leur sinistre besogne.
C'est ainsi qu'ils ont opéré rue Sainte-Anne, chez Mlle Roussel, en face ; vue de Metz, côté nord, depuis la maison de M. Bohin jusqu'à l'église : côté sud, depuis la maison H. More jusqu'à la place Margueritte, y compris la boulangerie Renaudin, l'hôtel de ville, le magasin Pierson et l'école des filles.
Le vendredi matin, je me décidai à partir, si c'était possible. Je pris un sentier derrière les jardins, me tins caché deux heures dans une maison abandonnée, située au milieu des jardins ; j'entendais les premiers sifflements des obus envoyés d'Haudiomont pour chasser les Boches. Les projectiles passaient au-dessus de ma tête, l'un alla chez moi et fit une brèche à l'endroit même où je me tenais en observation quelques heures auparavant. Vers midi, croyant tout danger disparu, je me dirigeai, par les sentiers, vers Bonzée, où mon arrivée fut accueillie avec joie par mes concitoyens inquiets sur mon sort.
Le mardi 15, apprenant que les Allemands s'étaient retirés devant les patrouilles françaises, nous revînmes en assez grand nombre et pûmes constater les effets de l'incendie et même du pillage. Toutes les maisons restées debout avaient été ouvertes, les portes et les serrures brisées : les chambres, visitées avec soin, étaient dans un grand désordre, les armoires béantes et fouillées, les objets de valeur emportés ; les magasins avaient été spécialement dévalisés. Mais au moins, ce jour là, nous étions bien gardés : deux régiments de cavalerie logeaient dans le village. Aussi les Allemands se tenaient-ils à une distance respectueuse.
Malheureusement, nos troupes partirent Le samedi 19, à cinq heures du matin. Vers dix heures survint une patrouille de uhlans qui jeta l'épouvante.
Pour la troisième fois, nous nous retirâmes à Bonzée. Ce ne fut pas pour longtemps. Dès le lundi suivant, des forces considérables d'infanterie et d'artillerie arrivèrent occuper Fresnes et la défendre des attaques allemandes.
Nous rentrâmes le mardi 22. Mais déjà était commencé le duel d'artillerie entre Marchéville et Fresne, et les nôtres placés au haut du village, vers Manheulles et Bonzée.
Pendant quatre semaines, ne pouvant habiter ma maison, que les obus avaient ouverte à tous les vents, je trouvai un refuge dans le quartier relativement épargné alors, celui des cultivateurs. On s'y était groupé, et on se réunissait, soit dans les caves, soit sous les greniers à foin, pendant les bombardements qui, de jour en jour, devenaient plus terribles. Ils ont commencé vers le 21 septembre et ils se continuent encore aujourd'hui. La plupart des maisons ont été atteintes, quelques-unes sont absolument renversées.
L'église a beaucoup souffert : son beau plafond est anéanti, ses vitraux sont en miettes, ses statues jonchent le sol. Le maître-autel reste debout, mais la pierre formant le tabernacle est fendue en deux dans le sens de la hauteur. Une cloche est tombée sur le pavé où elle s'est brisée.
Inutile de dire en terminant ce long et triste récit, que notre pauvre Woëvre est complètement dévastée : le château d'Aulnois, entre Fresnes et Ville, Champion, Marchéville, Pintheville, Riaville, Saulx et Ville sont détruits par l'incendie et le bombardement. Il n'en reste presque plus rien.
(Croix Meusienne).

LES TAUBEN A ÉPINAL

Epinal, 6 avril.
Vendredi, vers une heure de l'après-midi, un Taube à lancé trois bombes sur Epinal.
L'une d'elles est tombée au Champ-du-Pin, dans les chantiers de construction de M. Thouvenin, entrepreneur ; les deux autres, dans le bois Saint-Antoine. Ces bombes n'ont causé ni accident ni dégât.
Un autre Taube a fait apparition, le soir, vers 5 heures, mais la réception qui lui a été faite par les artilleurs a été si brutale qu'il s'est empressé de battre en retraite, sans lancer de bombes.

LE RAID AÉRIEN DU 26 MARS

Paris, 5 avril, 15 h. 05.
Rien à signaler depuis le communiqué de ce malin.
L'autorité militaire française a reçu des renseignements précis sur les résultats du bombardement effectué en Belgique, le 26 mars, par des avions de l'armée britannique.
Ces résultats sont les suivants : Le hangar à dirigeables de Berghen Sainte-Agathe, gravement endommagé ainsi que le dirigeable qui était abrité. A Hoboken, les chantiers anversois de construction navale incendiés, deux sous-marins détruits et un troisième endommagé; quarante ouvriers tués et soixante-deux blessés.

Nos succès continuent en Woëvre

Paris, 6 avril, 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 5 avril, 23 heures :
Journée de pluie et de brouillard sur tout le front.
Au bois d'Ailly, au sud-est de Saint-Mihiel, nous avons enlevé trois lignes successives de tranchées.
Nous avons pris également pied dans une partie de l'organisation ennemie, au nord-est de Regniéville.

Une belle page de la guerre
RÉCIT OFFICIEL
de la prise de l'Hartmansviler

Les télégrammes Havas nous ont donné déjà un récit de la prie du sommet de l'Hartmansviler. Mais c'est là un fait d'armes qui mérite mieux qu'un compte rendu télégraphique. Voici l'admirable page que publie le «  Journal officiel », dans sa rubrique «  Nouvelles du front » :
On se souvient du dramatique incident de guerre dont fut le théâtre, en janvier, le sommet de l'Hartmansviler.
Une grand'garde française, établie dans un petit fortin à la cime, fut entourée par les Allemands. Plusieurs jours elle résista. Mais la faim eut raison d'elle.
Pendant qu'elle fournissait un suprême effort, ses camarades attaquaient sur les flancs du mont pour la dégager, attaques précipitées et improvisées, dictées par la volonté d'arriver vite et qui, vu la nature du terrain, n'avaient que peu de chances d'aboutir.
C'était une dette d'honneur et de solidarité que Les chasseurs entendaient payer. Un colonel, à qui l'on faisait remarquer l'importance des pertes, répondit : «  Moins non, avons réussi, plus nous devions nous sacrifier. Il eût été honteux de quitter la partie sans faire tout le possible, et plus que le possible. » Le commandant Barrié, commandant le bataillon, fut tué au cours de ces attaques, ainsi que plusieurs autres officiers et de nombreux chasseurs.
Après quatre jours d'efforts, on s'arrêta. Certaines compagnies ne comptaient plus que cent vingt fusils. On savait par les prisonniers allemands que la grand'garde du sommet avait capitulé. L'héroïque tentative des journées précédentes n'avait plus de raison d'être.

La forteresse invisible
Désormais, il fallait reprendre l'affaire à pied d'oeuvre, la préparer méthodiquement et démolir pierre à pierre la forteresse invisible d'où les Allemands, dominant les vallées, réglaient avec sûreté le tir de leur artillerie.
Forteresse invisible, telle était en effet la position ennemie de l'Hartmansviler.
La montagne domine la plaine de 600 mètres. Son versant Est est plus abrupt que les autres. Mais aucun n'est d'accès facile. Après nos efforts de janvier, nous restions accrochés, suivant l'expression d'un officier, à pente de toit. L'adversaire nous dominait, couvert par plusieurs lignes de défense, protégé plus encore par l'épaisse forêt de sapins qui ferme de toute part l'horizon et par l'escarpement des pentes couvertes de neige.
Un assaut de vive force ne pouvait, sur un tel terrain, rien produire. C'était un siège qu'il fallait faire en y employant, comme artillerie et comme matériel, tous les moyens appropriés.
Le brouillard, fréquent en hiver sur les sommets vosgiens, ajoutait une difficulté de plus à celles que le sol et, les bois opposaient à notre effort.

La préparation de l'attaque
Pour préparer l'attaque, il importait en premier lieu d'installer fortement nos troupes dans leurs positions. Création de tranchées, d'abris, de pistes, installation d'artillerie, cela prit un mois, jusqu'au 26 février. La volonté de la revanche était au coeur de tous, chefs et soldats. On brûlait d'agir et d'agir vite.
L'assaut fut donc donné le 26. Mais, terrés dans les bois, les Allemands invisibles ne perdirent qu'une centaine de mètres. Notre artillerie n'avait pas pu détruire assez complètement les défenses accessoires dissimulées. Beaucoup de tranchées étaient intactes.
La nécessité d'une préparation plus complète et, partant, plus lente, s'imposait L'assaut du 26 nous avait du moins permis de repérer avec exactitude la position de l'ennemi, que, jusqu'alors, nous ignorions.
De nouveau on travailla. Par des sapes on précisa le contour des blokhaus allemands. Avec une minutie admirable - dont on ne peut encore révéler les détails ingénieux et hardis - artilleurs et fantassins se mirent en mesure de faire produire à l'attaque suivante son maximum d'effet.
Il s'agissait d'exploiter et de compléter les premiers résultats obtenus le 26 février.

L'assaut du 5 mars
Le 5 mars le signal est donné. Les tranchées ennemies sont bouleversées par un tir intense, deux heures durant. Nos chasseurs sautent dedans et enlèvent le plus fort des blokhaus allemands. Cinquante prisonniers restent en leurs mains, ainsi que deux mitrailleuses. Une grande partie de la première ligne ennemie nous appartient.
Les Allemands sont exaspérés. Les deux régiments qu'ils ont là contre-attaquent bravement quatre fois dans la journée du 5, deux fois dans la matinée du 6. Le 7, ils essayent en masse de sortir de leurs tranchées. Nos feux les fauchent à un mètre de leurs propres parapets. Ils recommencent : même résultat
Cette fois, la situation morale des deux partis est intervertie. C'est nous qui avons l'ascendant. C'est nous qui dictons notre volonté, qui gardons ce que nous avons pris, qui sommes sûrs désormais de conquérir ce qui nous reste à prendre. Nos troupes sont fatiguées, mais confiantes. Le succès total est certain.

Fantassins et chasseurs
Ce succès, nous allons l'emporter de haute lutte, dans la dernière semaine de mars. Aux bataillons de chasseurs, qui se battent sur les pentes depuis deux mois, un régiment d'infanterie vient s'ajouter.
C'est un beau régiment de l'Est, qui depuis le début de la guerre, dans l'offensive d'août, aux combats de Steinbach, n'a connu que des succès. Il a foi dans sa force et il tient à montrer aux chasseurs ce qu'il sait faire, de même que les chasseurs sont jaloux d'affirmer une fois de plus leurs glorieuses traditions.
Une admirable émulation s'établit entre ces héros.
Après une courte action, le 17 mars, le gros effort est tenté le 23.

Un chef-d'oeuvre d'artillerie
Les artilleurs qui par leur audace et leur patience sont arrivés à voir clair dans ces bois et ont sillonné la montagne de plus de cinquante kilomètres de fils téléphoniques, ouvrent le feu.
Ce tir, qui dure quatre heures, il faut en avoir suivi la préparation et les effets pour savoir à quelle virtuosité sont arrivés nos «  bouchers noirs ».
Canons lourds et canons légers concentrés sur l'objectif, avec une précision paradoxale, des centaines de tonnes de mitraille. Les observateurs sont sur la première ligne, réglant le tir au fur et à mesure.
On voit sauter dans les arbres des morceaux d'Allemands, des armes, des sacs à terre.
Quand l'infanterie, d'un bond, jaillit de ses tranchées, précédée, à courte distance, par ce mur de feu, l'ennemi est terrassé et maté. Il se défend pourtant courageusement. Mais nos hommes attaquent avec furie.
Les fantassins enlèvent deux lignes de tranchées, un fortin, ramassent deux cent cinquante prisonniers. Les chasseurs débouchent sur leur flanc avec une ardeur pareille. Nous approchons du sommet.
Mais de nouvelles lignes apparaissent qu'il faudra conquérir elles aussi. A chaque jour suffit sa peine. Nous repoussons deux contre-attaques et nous organisons le terrain conquis. La patience est facile, quant la victoire est sûre.

Le silence des Allemands
Le lendemain 24, dans les tranchées que l'ennemi tient encore, un observateur voit remuer, à l'aube, des points sombres. Ce sont des casques qui s'entassent ; puis les baïonnettes apparaissent. Une grosse contre-attaque se prépare.
Notre artillerie, avec une effrayante rapidité, prend les boyaux sous son feu. Nous voyons, comme la veille, sauter en l'air hommes et équipements. Les pertes allemandes doivent être énormes, car c'est fini des contre-attaques.
Le canon ennemi se tait. La nuit du 25 au 26 se passe dans le silence. Rien ne trouble la paix de la montagne. Nous sommes pourtant à un contact étroit. Un de nos créneaux n'est distant de la tranchée allemande que d'un mètre 80.

L'enlèvement du sommet
Le jour se lève le 26, et avec joie on constate que le brouillard, qui tant de fois depuis deux mois est venu au secours des Allemands, cède aux premiers rayons. Belle occasion pour l'artillerie !
Tout est prêt, réglé, machiné comme une féerie. Un mot du commandant de l'attaque résume la situation : «  J'aurais pu disparaître, tout se serait passé de la même façon. »
Dès lors le drame va se dérouler avec une régularité automatique, fruit de longues semaines de travail. Infanterie et artillerie sont reliées par un réseau complet : 90 kilomètres en tout. Les abris, les tranchées sont garnies. C'est le suprême effort, qui doit nous rendre maîtres du, sommet.
Entre l'objectif et nous, il y a trois lignes au moins de tranchées, renforcées de blockhaus à mitrailleuses. Des arbres masquent encore les défenses ennemies. L'artillerie aura fort à faire.
A 10 heures 30 elle entre en action, et sans arrêt, jusqu'à 14 heures 30, elle inonde le front qu'il s'agit d'attaquer de projectiles de tous calibres.
Les grands sapins s'écroulent avec fracas, sciés à hauteur d'homme par les éclats, et tombent dans les larges cuvettes qu'ont creusées les obus. Le terrain est un chaos de trous, de branches et de tranchées. Des cris de douleur partent des abris ennemis, dont la résistance est brisée. Des dépôts de cartouches explosent.
Cette destruction continue, implacable, jusqu'à 14 heures 45 ; elle a duré quatre heures un quart. A ce moment l'infanterie sort.
A 14 heures 55, dans me ruée magnifique, elle est au sommet, et sur la crête découronnée de ses arbres, un fantassin, au mépris des balles allemandes, agite un grand fanion pour annoncer notre succès aux artilleurs, qui maintenant arrosent les pentes est. Les mitrailleuses allemandes détruites ou sans serveurs n'ont pas tiré.
A 15 heures, le régiment d'infanterie s'organise au haut de l'Hartmansviler. Des compagnies appartenant à deux bataillons de chasseurs enlèvent à coups de grenades les tranchées à droite. Deux compagnies d'un autre bataillon progressent à gauche et tout le flot se rejoignant dévalé sur le flanc est, poursuivant les Allemands.
Ceux-ci, dont le moral est en déroute, jettent leurs armes. Toute une compagnie - ou ce qui en peste, 80 hommes - lève les mains et se rend. Plusieurs officiers sont pris.

Plus de 400 prisonniers
Plus de 400 Allemands dans nos mains, tout l'Hartmansviler conquis, voilà le bilan des deux attaques du 24 et du 26.
Par les prisonniers interrogés, nous mesurons avec précision l'effet de notre action. Certains de ces hommes pourraient être justement fusillés, car ils se sont rendus coupables de lâches traîtrises ; feignant de se rendre, ils ont assassiné à bout portant nos soldats à coups de grenades.
On les pousse vers la vallée, encore anéantis par le feu infernal qu'ils ont subi. Tout à l'heure, sous l'oeil moqueur des gosses d'Alsace, tous coiffés de képis français, ils défileront en ordre devant le général de division, dont l'énergie méthodique a préparé notre triomphe.

Nos héros
Bien des braves ont succombé au cours de ces attaques, laissant à leurs camarades un magnifique exemple.
C'est le commandant Barrié, tué en janvier en parcourant les lignes.
C'est l'adjudant Jolivet, arrêtant avec sa mitrailleuse une violente contre-attaque et tombant sur sa pièce, victorieux.
Ce sont les lieutenants Routhier et Lecoeur, tués à l'assaut, à la tête de leurs hommes.
C'est le commandant Brun, chef d'état-major de la brigade. Comme on manquait de renseignements récents sur un des secteurs, il y est allé voir. Notre ligne fléchissait. Son képi à la main, il a sauté sur le parapet en criant : «  En avant ! » Cinq mètres plus loin, il est tombé.
Parmi les vivants, blessés ou non, combien seraient à citer !
Tel parmi beaucoup d'autres, le chasseur Dumoulin, qui seul dans une tranchée allemande dont la mitrailleuse fauche notre attaque, encloue le mitrailleur et arrête ainsi le feu ; ou encore le sergent Chevenard qui, tous les officiers étant tués ou grièvement blessés, prend le commandement de la compagnie et la maintient, décimée, sur le terrain conquis jusqu'à l'arrivée des renforts.

Notre position est inexpugnable
L'attaque du 26 ne visait que le sommet. Entraînés par leur élan, nos fantassins redescendent sur l'autre versant. C'est la qu'ils s'installent., dans une position formidable, à 300 mètres au-dessus des Allemands, qui se sont accroches plus bas.
Le soir, la neige tombe, couvrant d'un linceul momentané les morts du 23 et du 26. Le sommet du «  Vieil-Armand » - c'est ainsi que nos soldats prononcent Hartmansviler - offre au clair de lune un étrange spectacle.
C'est une série de cuvettes blanches, d'où surgissent des troncs d'arbres coupés, des mitrailleuses démolies, des monceaux de fils, de fer, et, de-ci, de-là, un pied ou un bras.
Les Allemands tirent encore, mais de moins en moins. Le lendemain, ils cessent presque complètement de réagir.
«  On les a eus », murmure un poilu en allumant sa pipe.

La victoire du «  Vieil-Armand »
Telle fut l'affaire du «  Vieil-Armand ».
Elle a privé l'ennemi d'un observatoire admirable, dont nous bénéficierons désormais. Toute la plaine à l'est est sous notre feu.
Elle a mis en nos mains plus de 400 prisonniers, dont plusieurs officiers, et, le 31 mars, malgré, la neige, nous avions compté déjà sur le terrain 700 morts allemands. Une grosse quantité de matériel a été abandonnée par l'ennemi.
Ce succès complet venge avec éclat les morts du 19 janvier, victimes d'une surprise et de la faim. Pour les venger, artilleurs, sapeurs, fantassins et chasseurs ont rivalisé d'audace, de patience et d'abnégation.
Nos dernières attaques ont été menées avec une perfection minutieuse, une coordination totale de tous les éléments. Elles ont été couronnées de succès qu'aucune restriction n'amoindrit.
La prise de l'Hartmansviler comptera parmi les plus belles passes de la guerre de montagne.

Nous complétons nos Succès
DANS LA WOËVRE ET EN ARGONNE

Paris, 6 avril, 15 heures.
Rien d'important a ajouter au communiqué de ce matin.
Au sud-ouest de Vauquois, nous ayons pris pied dans un ouvrage ennemi.
Notre succès du bois d'AilIy (sud-est de Saint-Mihiel) a fait tomber entre nos mains des prisonniers, une mitrailleuse et un lance-bombes.
Nous avons progressé au bois Brûlé (est du bois d'Ailly).
Le terrain conquis par nous au nord-est de Regniéville a été conservé.

Progrès à l'Est de Verdun
AU BOIS LE PRÊTRE ET EN ALSACE
Six bataillons allemands détruits

Paris, 7 avril, 0 h. 40.
Communiqué officiel du 6 avril, 23 heures :
Journée de pluie, marquée de progrès, appréciables de notre part.
A l'est de Verdun, nous avons occupé les villages de Gussain ville et les crêtes qui dominent le cours de l'Orne.
Plus au sud, nous avons progressé dans la direction de Maizeray.
Au bois d'Ailly et au bois Brûlé, nous avons maintenu nos gains et conquis de nouvelles tranchées.
Dans le bois Le-Prêtre, nous avons réalisé de nouveaux progrès. Il résulte du témoignage de prisonniers allemands, qu'au cours de nos rencontres et de nos attaques dans la Woëvre méridionale six bataillons allemands ont été successivement détruits.
Au sud-est de Hartmansviler, nous avons enlevé un piton qui servait de commandement au colonel qui commandait la brigade allemande au cours du combat du 26 mars. Nous avons progressé au delà du piton et avons fait des prisonniers.

POUR LES FEMMES
victimes des violences allemandes.

Nancy, 7 avril.
Parmi les crimes sans nombre commis par la «  bête allemande », les plus odieux sont ceux dont femmes et jeunes filles ont été victimes. Le gouvernement a arrêté tout un ensemble de mesures destinées à protéger ces pitoyables victimes devenues enceintes des oeuvres de l'ennemi détesté.
Il est inutile de donner ici le détail de ces dispositions. Qu'il me suffise de dire que tout a été prévu pour que les couches de la mère et l'abandon de l'enfant à l'Assistance publique loin de notre département, soient entourés de la plus absolue discrétion ; les frais de cette assistance spéciale sont à la charge de l'Etat.
Aux médecins, aux sages-femmes, aux maires qui connaîtront quelques cas de ce genre, aux intéressées elles-mêmes, je donnerai ou de vive voix ou par écrit tous renseignements utiles. Toute communication écrite sur ce sujet devra m'être adressée sous enveloppe portant la mention «  personnelle ». Je considérerai ces correspondance comme ayant un caractère non point administratif, mais strictement privé, et par conséquent rigoureusement confidentielles. Ces malheureuses femmes peuvent être assurées de trouver ici l'appui discret et l'affectueuse pitié auxquels elles ont droit.
L. MIRMAN,
Préfet de Meurthe-et-Moselle.

Nouvelles du Pays meusien

Beauzec. - De l'avis de tous ceux qui la connaissent et ainsi que l'indique son nom, un des plus beaux sites, de la Meuse, a terriblement souffert ; 80 maisons sur 120 ont été incendiées. L'église est percée de part en part. Malgré de grosses brèches, l'élégant clocher est reste debout au milieu du désastre.
Senon. - Mme Motie, rapatriée à Alais, puis à Paris (avec M. Didier Marcel, Zélie et Louise Muller, Marcel Christophe, sa femme, et leur fils Charles) écrit, se trouvant chez Otilia Casner, qui vient de perdre son mari tué à Steinbach :
«  Les Boches sont entrés à Senon, au matin du 25 août : ils ont mis le feu aux quatre coins du village, 90 maisons réduites en cendres ; c'est le chemin de Gouraincourt qui a le plus souffert. Il reste le chalet Hohweiller, une partie du chemin de Loison, les maisons de M. Didier, d'Auguste Nauroy, du père Collin, une partie du chemin d'Eton, le côté de M. Christophe, de M. Baltazard, la maison du cousin Alphonse, et la vôtre (Aimé Gambette). Ces monstres ont tout pillé, emmenant des voitures de meubles à la gare de Baroncourt. Ils ont mis le feu au clocher au moyen de fagots et de gerbes de blé imbibés de pétrole. Nos belles cloches sont fondues, l'église n'est pas trop détériorée. Le presbytère, la maison et les écoles sont encore debout.
«  Toujours rien de précis sur Billy. »
Montigny-devant-Dun. - Un habitant de cette commune a fait le récit des combats qui y furent livrés les 30 et 31 août 1914.
Le 30, à 5 heures du matin, arrivent 5 uhlans affamés ; ils se restaurent copieusement, puis d'autres détachements ennemis arrivent. Ils installent une cuisine roulante devant l'église. Le calme règne jusqu'à 17 heures. A ce moment, deux compagnies françaises viennent les surprendre. Panique et fuite de l'ennemi, poursuivi par nos troupes au nord et au nord-ouest du village. Pendant ce temps, les Français mettent rapidement le village en état de défense. Le même soir, plusieurs obus boches incendiaires sont lancés sur le village. La nuit arrête le combat.
Le 31, à l'aube, le bombardement reprend avec intensité. 600 obus tombent sur un village de 300 habitants ; puis on se bat dans les rues : 25 soldats, 1 capitaine, 2 lieutenants français sont tués en défendant une maison. Les officiers font le coup de feu comme les soldats.
Cette fois, les Allemands entrent définitivement dans Montigny et signalent leur entrée par leurs procédés habituels ; les maisons épargnées par les obus sont enfoncées à coups de crosse et incendiées à la main. Une bonne douzaine de civils sont fusillés a l'entrée du village, devant la maison H. Herbinet, y compris les hommes, dont trois de l'endroit. Je ne donne que les initiales pour ménager l'émotion de leurs familles : R. J., A. G., S. E. ; P. H. a été tué d'un éclat d'obus ; Billemont, Mme Pieg et d'autres, blessés, sont morts dix jours après.
Herméville. - Ce village, qui appartient au canton d'Etain, a été presque complètement évacué depuis le 24 août ; il a été bombardé une première fois en septembre. Depuis le 13 décembre, il est bombardé presque tous les jours. Parfois, une centaine d'obus tombent sur lui en l'espace de vingt-quatre heures.
Aussi, les ruines sont-elles nombreuses. L'église, fort endommagée, a perdu ses vitraux et sa toiture. Le clocher a été abattu par ordre de l'autorité militaire française les cloches sont tombées et fêlées.
Un projectile teuton a fait voler la sacristie en éclats.
Plusieurs maisons ont été complètement anéanties par le feu ; d'autres ont péri victimes des obus, principalement dans la rue de Grinaucourt. Partout, les maisons encore debout sont gravement endommagées.
Herméville n'a cependant pas vu les Allemands. Une seule fois, le 29 septembre, une patrouille allemande pénétra dans le village, s'empara de huit vieillards, six hommes et deux femmes restés chez eux, et s'en retourna avec eux. Depuis, on n'a jamais eu aucune nouvelle de ces malheureux otages, sans doute prisonniers quelque part en Allemagne.
Ville-en-Woëvre. - Evacué le 27 octobre, sur l'ordre du gouverneur militaire de Verdun, Ville a subi depuis ce jour de fréquents bombardements.
Les quelques personnes autorisées à y demeurer avec le maire, affirment que plus de la moitié des immeubles sont détruits, soit par le choc des obus, soit par le ravage des incendies. Les maisons encore debout sont plus ou moins endommagées, et c'est à peine si, dans la quantité, on en trouverait une seule qui n'ait subi aucune atteinte.

ATROCITÉ ALLEMANDES A LONGUYON

Un témoin rapporte qu'à leur arrivée à Longuyon, les Allemands rassemblèrent un grand nombre d'habitants dans la caserne des chasseurs à pied. Les 23, 24 et 25 août, 153 personnes, dont 12 enfants, furent fusillées.
M. Brossier, chef de train, fut fusillé. Des soldats lui ouvrirent ensuite le ventre sur l'ordre d'un officier. Cet acte de sauvagerie fut commis en présence de deux enfants qui furent ensuite mis à mort.
Des blessés français réfugiés dans une ferme furent mis en tas, recouverts de paille et brûlés par les Allemands. Ceux-ci incendièrent également une petite maison voisine de la ferme ; une vingtaine de blessés français s'y trouvaient ; ils périrent dans les flammes.
Tous ces actes d'atrocités ont été commis par des soldats portant le n° 102 et le n° 112.
Un capitaine français blessé a été achevé par les Allemands dans la maison où il s'était réfugié. La maison a été ensuite brûlée.
Ce fait s'est produit le 25 août 1914.

NOTRE HEUREUSE OFFENSIVE
sur l'Yser, en Woëvre vers Verdun et Pont-à-Mousson

Paris, 7 avril, 15 h. 15.
Un détachement allemand, avec trois mitrailleuses, avait réussi à passer sur la rive gauche de l'Yser, au sud de Driegrachten. Il a été hier attaqué et enlevé par les troupes belges.
A l'est de Verdun, une attaque dans la direction d'Etain nous a rendus maîtres des cotes, 219 et 221 des fermes du Haut-Bois et de l'Hôpital.
Aux Eparges, nous avons gagné du terrain, maintenu nos gains et fait une soixantaine de prisonniers, dont trois officiers.
Dans le bois d'Ailly et le bois Brûlé, nous avons repoussé toutes les contre-attaques et réalisé à nouveau quelques progrès.
Il en a été de même au bois Le Prêtre.
Dans le Ban-de-Sapt, à La Fontenelle, nous avons fait sauter à la mine un ouvrage ennemi.

LEURS ATTAQUES VAINES
entre Meuse et Moselle

Paris, 8 avril. 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 7 avril, 23 heures
Le temps continue à être très mauvais.
L'activité a été grande néanmoins entre la Meuse et la Moselle, où nous avons maintenu tous nos gains et réalisé de nouveaux progrès.
Près de Pareid, à l'est de Verdun, nous avons enlevé deux lignes de tranchées.
Aux Eparges, nous avons fait, dans h nuit de mardi à mercredi, un important bond en avant.
Toute la journée, les Allemands ont contre-attaqué violemment, mais ils n'ont rien regagné. Leur dernière attaque, d'une particulière violence, a été fauchée par notre feu.
Il en a été de même au bois d'Ailly. Après plusieurs contre-attaques, toutes repoussées, nous sommes restés maîtres des positions conquises hier.
Nous avens fait, sur cette partie du front, de nombreux prisonniers.
Parmi les prisonniers d'hier, dans la région de Hartmansviler, figurent des hommes de la garde amenés dans cette région par les Allemands, à la suite de leur échec du 26 mars.

LES YEUX SOURIANTS

Nancy, 8 avril.
Aux époques troublées par les phénomènes naturels ou par les événements issus de la volonté humaine, cataclysmes, révolutions ou guerres, on voit surgir parmi les peuples éprouvés un besoin de fraternité. Il semble que, en face des bouleversements devant lesquels l'individualisme se sent impuissant ou trop faible, les hommes ont l'impression qu'ils doivent rester unis pour lutter ensemble. Ils comprennent alors qu'ils sont véritablement frères, et le mot de fraternité, qui en temps normal paraît une redondante parole de rhéteur, prend un sens d'une profondeur infinie.
Ainsi contre le péril qui nous a menacés, nous avons tout naturellement comme par un réflexe, scellé l'union sacrée. Aujourd'hui paraîtrait criminel qui tenterait de la rompre, et pire qu'un ennemi déclaré.
Ce sentiment provient de l'instinct de conservation adapté par les doctrines civilisatrices.
Le peuple a ce sûr instinct, et ne se pique pas de considérations philosophiques. Lui qui peine dans les ateliers ou sur la glèbe, et pour qui demain est toujours un terrible problème est mieux préparé à la fraternité. Il la pratique chaque jour, et n'a point de peine à la réaliser lorsque passe le frisson de la mort sur les sociétés à grand effort constituées.
Le politicien remonte plus difficilement le courant qui l'entraînait aux petites inimitiés de clan. L'oisif est obligé de renoncer à ses habitudes d'égoïsme pour parvenir à un noble renoncement.
Tous cependant ont fait leur devoir, à quelque classe qu'ils appartiennent,, de quelque douceur, de quelque amertume que leur soit la vie. Il est donc bien inutile de reprocher aux uns ou aux autres ce qu'ils ont pensé ou fait avant la guerre.
«  Par le temps qui court, écrivait Eugène Rambert en 1871, il faut faire du bien pour avoir le droit de vivre. » Chacun en France faisant du bien à l'heure présente, chacun a conquis le droit de vivre, et même d'être honoré.
En même temps que se développe cet instinct de fraternité naît le goût mystique de la mortification. Chez les femmes surtout, plus sensibles à la pitié, on aperçoit le regret de trop de joie quand autour d'elles crient tant de douleurs. Les femmes voudraient pleurer avec ceux qui pleurent, souffrir avec ceux qui souffrent, avoir faim, avoir soif, subir les angoisses des périls mortels. Elles ne voudraient profiter d'aucune des satisfactions que leur procure la sécurité pour laquelle combattent nos troupiers.
Une des généreuses marraines qui ont tenu à honneur d'adopter les soldats sans famille, et que je rencontrai à «  l'Ami Fritz », se désolait d'être rencontrée au théâtre.
- Voyez, me disait-elle, j'ai honte d'être ici, à la salle Poirel, pendant que nos glorieux combattants sont dans les tranchées et dans la boue. Je me dis bien que ma maigre obole apportera quelques douceurs aux blessés. Mais j'entends aussi ma conscience qui proclame que je ne devrais prendre aucun plaisir, et que l'excuse des «  blessés » n'est qu'une excuse hypocrite ».
Eh ! non, Madame, il n'est pas juste de comprendre ainsi la vie. Chacun de nos actes dirige les actes communs et est dirigé par eux. Pour conserver la confiance aux troupiers, il faut le sourire des femmes. Il faut que nos camarades du front ne soient pas torturés par le souci de savoir que la tristesse est au foyer. Les soldats demandent toujours : «  Que pensent, que font les civils ? » Il est nécessaire que le civil entretienne la flamme de vie que nos ennemis essaient en vain d'éteindre.
Donnez-leur l'assurance que vous ne souffrez pas trop, et vous aurez enlevé de leur coeur un poids affreux. Il y a plus de noblesse dans la joie opposée au malheur que dans le renoncement attristé.
Voulez-vous offrir à ceux qui sont là, et qui reviennent du front, ou retourneront au feu demain, des figures affligées ? Que diront-ils à leurs frères? Que le pays s'abandonne ? Est-ce là ce que vous souhaitez ? Non, n'est-ce pas ?
Aimez nos soldats de toute votre âme tendre de soeur, donnez-leur tout ce qu'ils désirent. Mais avant tout, pardessus tout, donnez-leur cette merveilleuse douceur de vos yeux limpides et de votre sourire confiant. Ils vous seront, j'en suis sûr, encore plus reconnaissants de votre joyeux courage que de tous vos petits paquets. La vertu de ce que l'on envoie n'est pas dans la matière inerte, mais bien dans la lettre qui l'accompagne, et dans la pensée qui vous fait agir.
Les Allemands tirent grande gloire de l'activité actuelle de leurs cités.
La gloire des Françaises aux yeux du monde sera d'avoir gardé, pendant la guerre, dans le péril commun, un visage calme et des; yeux souriants...
René MERCIER.

AU CONSEIL MUNICIPAL DE NANCY

Nancy, 8 avril.
Mardi matin, le conseil municipal de Nancy s'est réuni a 9 heures et demie du matin, sous la présidence de M. Simon, maire, assisté de ses adjoints.
Le conseil a donné un avis favorable à une délibération de la commission administrative du bureau de bienfaisance tendrait à une majoration de 25 p. 100 des prix du tarif pharmaceutique, par suite de la hausse persistante des produits et à une délibération de la commission des hospices pour l'acceptation d'un marché destiné à l'installation de cuves à vin à l'hôpital civil et à l'hospice Saint-Julien.
Divers marchés de fournitures destinées aux services municipaux ont été adoptés.

Le budget des hospices
M. Vergne a donné lecture de son rapport sur le budget des hospices pour l'année 1915, qui est le même que pour 1914. Il se chiffre par un léger excédent de recettes.
Dans un clair et consciencieux rapport, M. Vergne constate que la commission a pu mettre constamment 1.850 lits à la disposition de l'autorité militaire pour y soigner des blessés ; que la moyenne des soldats hospitalisés a été de deux cents par jour depuis le début de la guerre, et que les hospices civils ont eu particulièrement à soigner les grands blessés.
M. Vergne termine en demandant au conseil d'adresser un témoignage de satisfaction à tout Le personnel civil et religieux des hospices, ainsi qu'aux médecins pour leur entier dévouement.
M. le Maire ajoute qu'à l'hôpital la proportion des blessés a été double que dans les autres établissements.
Le rapport de M. Viergne a été adopté.

Le conseil fixe ensuite à 684 fr. la pension de retraite de Mme Vallet, veuve d'un ancien receveur d'octroi, et à 250 fr. la pension de Mme Ochs, veuve d'un ancien inspecteur du service des eaux.
Est adopté Le solde de compte pour le paiement de la maison Grandjean, 13 rue, des Etats, destiné à l'agrandissement des bains publics.
Adoptés une demande de dégrèvement pour un canal et un rapport de M. Charly d'état de cotes irrécouvrables.

M. Antoine donne lecture du règlement intérieur de la caisse de chômage de la ville de Nancy qui est adopté.

Les dommages de guerre
M. Simon a donné ensuite lecture du voeu suivant :
«  Le conseil municipal de Nancy,
«  Au nom des habitants de la ville qui du fait de la guerre, ont subi de graves dommages matériels ;
«  Uni dans un sentiment de profonde sympathie pour les communes de la région lorraine si cruellement éprouvée par les rigueurs de l'invasion ;
«  Considérant qu'aux jours les plus critiques de la guerre actuelle, la ville de Nancy s'est dépensée sans compter, pour assurer un refuge aux habitants des villes et des villages lorrains qui fuyaient devant l'invasion ;
«  Considérant qu'actuellement encore plus de dix mille réfugiés sont hospitalisés à Nancy ; que, dès lors, le conseil municipal peut faire siennes les revendications des habitants des villes et communes dévastées, aussi bien que celles des Nancéiens victimes de la guerre ;
«  Considérant qu'il serait profondément injuste de laisser peser sur certaines régions de la France la plus grande part des charges et risques de guerre, tandis que d'autres pourraient s'en désintéresser dans une certaine mesure et jouiraient ainsi d'une situation privilégiée ;
«  Considérant que, si le principe de la réparation s'impose, il y a lieu d'envisager, comme conséquence et au préalable, les conditions dans lesquelles devront s'effectuer les réparations ;
«  Faisant avec la plus grande confiance appel au patriotisme de tous et aux sentiments de solidarité nationale qui se sont affirmés avec tant de force dans la France entière ;
Emet le voeu :
«  Que les dommages matériels de toute nature causés par la guerre, tant aux collectivités qu'aux particuliers, soient à la charge de la nation qui en assurera la réparation intégrale ;
«  Qu'ne loi consacre formellement et à brève échéance le principe de cette réparation ;
«  Que l'Etat prenne, au plus tôt, toutes mesures propres à rendre aux communes dévastées, leur vie, leur physionomie et leur activité normales, et qu'il se préoccupe, avant tout, d'assurer la reconstruction et le repeuplement des villages détruits ;
«  Que la plupart de ces communes n'étant plus qu'un monceau de ruines, il convient ou de mettre à l'étude leur reconstruction suivant un plan d'ensemble, qui, tout en respectant autant que possible, la direction générale des rues et places disparues et en conservant aux nouvelles habitations le caractère bien spécial de la maison lorraine, assure aux habitants des localités reconstruites des voies plus larges et plus commodes, des conditions d'hygiène meilleures ;
«  Que cette reconstitution, étudiée et faite par les soins de l'Etat, soit assimilés aux projets appelés à bénéficier des dispositions de la loi du 3 mai 1841 ;
«  Qu'en ce qui concerne l'évaluation des indemnités, il soit institué des commissions cantonales composées de notables de la région, ainsi que d'agents des contributions directes, commissions chargées d'évaluer l'importance des dommages subis par chaque habitant, aussi bien pour, pertes immobilières que pour celles mobilières ;
«  Et qu'enfin pour parer à la dépopulation des campagnes, l'indemnité en argent soit en principe général et sauf circonstances exceptionnelles réservée aux seuls dommages mobiliers, une maison détruite devant être remplacée par une autre maison. »
Adopté à l'unanimité.

Contre les Zeppelins
M. Simon donne lecture d'une lettre que lui a adressée M. Mirman, préfet, demandant s'il n'y aurait pas lieu d'informer la population de Nancy lorsqu'un zeppelin est signalé se dirigeant vers la ville.
Dans cette lettre. M. le Préfet constate que par suite de la situation de Nancy près des lignes allemandes, il ne croit pas utile de faire sonner le tocsin, parce que, quand un dirigeable ennemi serait signalé, celui-ci, à la vitesse de 80 kilomètres à l'heure, serait au-dessus de la ville avant que la population soit avertie.
De plus la sonnerie du tocsin guiderait sûrement l'ennemi dans la nuit.
M. le Maire est d'avis qu'il n'y a pas lieu de faire sonner le tocsin, car la population s'affolerait, ou bien sortirait dans les rues au lieu de se mettre à l'abri, comme on a pu le constater lorsqu'un zeppelin fut signalé il y a quelques jours.
M. Simon ajoute que plusieurs fois des zeppelins ont été signalés depuis le 26 décembre, mais qu'aucun n'est venu jusqu'à Nancy. Le tocsin n'aurait donc servi qu'à troubler inutilement le sommeil des habitants.
M. Najean. - «  Est-ce que nous avons toujours les mêmes postes d'observation ? »
M. le Maire répond affirmativement.
M. Barthélémy. - «  On entendra toujours le canon lorsqu'il tirera sur les dirigeables ennemis. C'est là le meilleur des avertisseurs. ».
Le conseil décide de rester dans le «  statu quo », c'est-à-dire qu'aucune sonnerie ne préviendra les habitants.

M. Simon, absent lors de la séance du 18 mars, donne des explications à M. Michaut, sur des observations que celui-ci avait présentées à l'occasion d'une dépense inscrite au budget supplémentaire.
M. Michaut. se déclare satisfait des explications de M. le maire et retire ses observations qui ne seront pas inscrites au procès-verbal de la séance

L'alimentation de Nancy
M. Barthélémy déclare avoir constaté le manque de poisson et de marée à la criée municipale, le jeudi et le vendredi saints, ce qui fait que les marchandises ont été vendues à des prix élevés.
M. Antoine, qui s'est chaîné de l'approvisionnement de Nancy, répond que l'administration de la criée a envoyé aux fournisseurs habituels plusieurs dépêches avant la semaine sainte pour recevoir de la marée Les expéditionnaires firent savoir que le lundi 29 mars, à Boulogne, - le lundi est le jour du grand marché aux poissons - un seul bateau est entré dans le port. La marée fut donc rare et les prix furent, en conséquence, très élevés.
Il faut ajouter à cela un trouble dans la circulation des chemins de fer, ce qui a fait que les quelques caisses arrivées à la criée furent vendues de suite aux détaillants.

L'accélération de la correspondance
M. Barthélémy demande si le conseil municipal ne pourrait adopter un voeu tendant à faire accélérer le service de la correspondance, car les lettres séjournent, encore plusieurs jours à Nancy, ce qui cause une certaine gêne dans les affaires.
M. Simon répond qu'à la suite d'une demande de la Fédération des commerçants proposant de créer un guichet spécial où les lettres commerciales seraient déposées ouvertes pourraient être expédiées de suite il en référa à l'autorité militaire. Celle-ci répondit qu'il était matériellement impossible de réduire le délai de quatre jours pendant lequel les lettres doivent séjourner à Nancy avant d'être expédiées.
Il n'y a donc rien à faire, dit M. le Maire, pour accélérer la correspondance.

(à suivre)

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