La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915
La Grande Guerre
LA VIE EN LORRAINE
AVRIL 1915
L'Est Républicain NANCY
|
LUTTE
ARDENTE en ARGONNE
Au Bois Le Prêtre et vers Parroy
Paris, 31 mars, 15 heures.
Aucune modification n'a été signalée dans la
situation depuis le communiqué de ce matin.
Paris, 1er avril, 0 h. 55.
Voici le communiqué officiel du 31 mars23 heures :
En Champagne, actions d'artillerie dans la région de
Beauséjour-Ville-sur-Tourbe.
En Argonne, activité incessante, particulièrement
entre le Four-de-Paris et Bagatelle. Les combats se
livrent parfois à une si courte distance qu'un
lance-bombes, atteint par une de nos grosses bombes,
a été projeté dans nos lignes.
Dans la nuit du 30 au 31 mars nous avons enlevé cent
cinquante mètres de tranchées en faisant des
prisonniers et en prenant deux lance-bombes.
Pendant la nuit du 30 au 31 également, l'ennemi a
bombardé une tranchée qu'il avait perdue le 30 au
Bois-le-Prêtre. Il a contre-attaqué au petit jour
avec plusieurs bataillons et a réussi à reprendre
pied dans la partie ouest de la position, mais dès 8
heures, il en était de nouveau délogé.
Le gain réalisé le 30 mars est donc intégralement
maintenu. Nous avons fait des prisonniers, dont un
officier.
Dans la région de Parroy, des combats d'avant-postes
ont tourné à notre avantage.
LES MARRAINES DE LORRAINE
Nancy, 1er avril.
J'ai écrit dimanche que j'expliquerais comment on
peut devenir marraine d'un soldat. Les lettres que
j'ai reçues montrent que l'idée a été comprise avant
même que d'être exprimée. Mieux. Sous une autre
forme elle a été réalisée.
Une institutrice me fait passer ce mot :
« Je voudrais que vous sachiez que nous n'avons pas
attendu l'invitation de votre journal. Depuis le
début de la guerre, à l'école d'Alsace-Lorraine,
nous avons « adopté » des soldats et nous leur
envoyons lettres et paquets. Nous avons reçu et
continuons à recevoir des lettres pleines de naïfs
remerciements, des lettres plus touchantes dans leur
tournure un peu maladroite que les plus savantes
épitres.
« Je suppose que dans bien des familles on a agi
ainsi, mais il n'est pas besoin de publicité aux
actes qu'on croit justes.
« On ne pourra jamais mesurer toute l'étendue des
sacrifices que les familles françaises font pour le
soldat. J'ai été à même de m'en rendre compte.
Toutes ces initiatives sont charmantes et poétiques.
« Nous attendons nos « filleuls soldats » et nous
leur ferons le même accueil que nous avons fait à
toutes les bonnes idées. »
Je n'ai pas besoin de remercier notre généreuse amie
de ses sentiments délicats. Ils sont au coeur de
toute Lorraine, de toute Française. Mais pas de
publicité ? Non, si on entend par publicité la
recherche d'une popularité de mauvais aloi. Au
contraire, beaucoup, beaucoup de publicité pour les
actes généreux. Jamais assez de publicité autour de
la vaillance de nos soldats, autour du dévouement
des femmes françaises. Il est bon que partout on
sache avec quelle foi notre armée se bat, de quel
souffle ardent est inspirée la France entière en ces
jours de deuil et d'espérance. Et nous craignons au
contraire de n'avoir pas assez fait de publicité,
pour l'édification des neutres hésitants, quand les
Allemands inondaient l'Europe et les autres parties
du monde de papiers exaltant, la gloire, la vertu,
la pitié germaniques.
Mais il faut revenir aux « Marraines de Lorraine ».
On a lu hier des lettres que nos troupiers du 20e
corps écrivent aux fillettes de l'école supérieure,
aux apprenties de l'école ménagère de la rue Glodion,
aux enfants de l'école Raugraff. Ce sont autant de
filleuls, autant de marraines. Il est relativement
facile à des organisations comme nos écoles
d'instituer un mouvement aussi touchant. Les
maîtresses ont vite fait d'y entraîner tous les
petits coeurs, - si tendres.
Pourtant il reste dans les familles bien des âmes
qui palpitent vers la bonté, et ne trouvent point la
façon de réaliser leurs désirs.
C'est à celles-là que je veux m'adresser pour
l'oeuvre des Marraines de Lorraine.
Des deux côtés même élan les uns vers les autres.
Mais comment se rencontrer ? Comment les femmes et
les jeunes filles lorraines, les petites ouvrières,
les fillettes qui ne vont plus à l'école
trouveront-elles le moyen de répandre les trésors de
leur dévouement, de les distribuer d'une façon
directe, qui laisse un souvenir ému et précis, de
les donner enfin non point seulement à la foule
glorieuse des combattants, mais, à quelqu'un, à l'un
de ces combattants qu'on aura choisi parmi tous et
auquel on apportera le réconfort moral et la douceur
affectueuse des petits présents ?
Je reçois fréquemment, et je recevrai de plus en
plus souvent des lettres de soldats sans famille ou
dont la famille est pauvre, ou encore dont les
parents sont aux pays annexés. Ceux-là, plus
spécialement, ont besoin d'encouragement, et de
savoir qu'ils ne sont pas abandonnés de tous, mais
qu'ils peuvent avoir en France, des femmes, des
enfants qui pensent à eux, et les consolent, et les
aident, et leur font oublier les heures mauvaises.
Ces lettres, je les mets à la disposition des
Marraines de Lorraine. Quand une marraine aura
adopté son filleul, elle correspondra avec lui
directement, et fera pour lui ce que sa générosité
affectueuse lui ordonnera.
Nous nous contenterons de savoir que le soldat est
sauvé de l'abandon, de la solitude, qu'il reçoit de
jolies lettres, qu'il a une affection vers qui se
pencher et qui le comprend.
Assurément nous aurons au début plus de marraines
que de filleuls. Je n'en veux pour preuve que ce qui
est advenu pour les trois Alsaciens dont l'aîné
m'avait écrit. Ce n'est pas trois marraines qui
m'ont demandé leur adresse, mais dix. Sept marraines
doivent donc attendre. Je suis certain qu'elles
n'attendront pas longtemps.
Nous recueillerons à l'Est le nom et l'adresse des
marraines qui désireront un filleul, le nom et
l'adresse des soldats qui désireront une marraine.
Ces listes ne sortiront pas du journal. Elles ne
seront communiquées à personne.
Notre rôle est seulement de mettre en relations le
soldat sans famille et la Lorraine qui souhaite, en
plus de ses oeuvres habituelles de bonté, accomplir -
pendant la guerre un acte précis de tendre
patriotisme.
Il faut qu'il n'y ait plus de soldat sans famille,
puisqu'il n'y a pas de famille sans soldat.
Vivent les Marraines de Lorraine !
René MERCIER.
RETOUR D'EXIL
Le Maire de Val-et-Châtillon raconte sa captivité
Nancy, 1er avril.
Lundi, dans l'après-midi, les habitants des communes
de Val-et-Châtillon et de Petitmont, réfugiés à la
caserne Molitor, étaient réunis dans le bâtiment du
gymnase, transformé en salle de conférences, -pour
entendre le récit de la longue captivité en
Allemagne de M. Veillon, maire de Val.
M. Mirman, préfet, assistait à cette réunion, ainsi
que plusieurs membres du comité des réfugiés.
Après une courte allocution de M. Schmitt, directeur
de la caserne, M. Veillon a pris la parole.
M. le maire de Val s'est adressé tout d'abord à ses
compatriotes pour leur recommander de toujours bien
observer le règlement de la caserne, afin de montrer
leur reconnaissance envers le comité, et envers tous
ceux qui s'efforcent, par leurs soins, de faire
oublier le long exil auquel ils se sont astreints.
Il a témoigné sa reconnaissance envers M. le préfet
de Meurthe-et-Moselle, dont la paternelle vigilance
s'augmente d'une façon si gracieuse des soins
délicats de Madame et de Mesdemoiselles Mirman ; Mme
Finance, directrice de l'infirmerie ; Mme Archimbaud
; M.
Schmitt, enfin envers tous ceux qui s'occupent des
réfugiés.
M. Veillon a ensuite relaté comment il If ut fait
prisonnier par les Allemands.
L'arrivée des Boches
C'était le 12 octobre. Les ennemis venaient de
s'emparer du dévoué secrétaire de la mairie, M.
Louis Cayet, auquel il adresse un souvenir ému, car
il est toujours prisonnier. Les Allemands avaient
trouvé sur lui un carnet de notes, dans lequel était
une fiche où M. Veillon indiquait l'endroit où il
avait caché le récit des événements depuis la
guerre, notamment celui de la bataille de Val. Les
Allemands voulurent voir là de l'espionnage.
Ils s'emparèrent de M. Veillon, en disant : « Vous
êtes un officier supérieur déguisé en maire. »
Sur la route de l'exil
M. le maire et son secrétaire furent conduits en
voiture à Réchicourt, où ils furent enfermés dans la
maison du notaire. Ils passèrent devant le conseil
de guerre, qui les acquitta.
Mais les Allemands ne rendirent pas la liberté à M.
le maire, sous le prétexte qu'ayant traversé les
lignes allemandes, il ne pouvait rentrer en France
avant quinze jours.
Au bout de quelque temps, M. Veillon est emmené à
Sarrebourg, en même temps qu'un caporal français
fait prisonnier près de Blâmont et qui était coiffé
de la casquette qu'un officier allemand lui avait
donnée en échange de son képi.
La qualité de maire de M. Veillon lui valut, à la
prison militaire, une chambre de sous-officier qu'il
partageait avec M. maire d'Arracourt. C'est dans
cette prison qu'il vit arriver les habitants de
Loupmont (Meuse), porteurs de hottes sur lesquelles
ils avaient chargé ce qu'ils avaient de plus
précieux.
Là encore il vit un habitant du Val, M. Scheffer,
qui lui apprit le bombardement de la commune.
Le 2 novembre, les prisonniers français entendent le
canon. Ils ont quelque espoir, mais Je jour même
tous sont dirigés vers la gare et rapidement
conduits à Saverne, où ils arrivent dans la soirée.
A Saverne
La petite ville alsacienne est éclairée. Les
habitants sortent de leurs maisons pour voir le
triste cortège, dont ils ont la plus grande pitié.
Les prisonniers sont enfermés à la prison avec les
détenus de droit commun. La nourriture est des plus
mauvaises. Mais la visite du procureur impérial fit
améliorer le sort des prisonniers, qui eurent la
permission de sortir en ville sous la garde de
soldats.
Les Savernois, en voyant la grande misère dans
laquelle nous nous trouvions, dit M. Veillon, nous
distribuèrent des vêtements, du pain et autres
aliments.
Un jour on annonçait que tous les prisonniers
allaient être dirigés vers la Suisse, mais le
lendemain cet espoir s'envolait, car on annonçait
que le voyage était ajourné.
A Dieuze
Le 16 novembre, tous les Français étaient conduits à
Dieuze, où ils étaient internés dans la caserne
d'infanterie où se trouvaient déjà d'antres
prisonniers de diverses communes de
Meurthe-et-Moselle.
A Dieuze, les jeunes gens seuls travaillaient,
notamment sur les chemins et à l'entretien des
tombes dos soldats tués sur les champs de bataille.
Les prisonniers étaient payés à raison de trois mark
pour dix jours.
Le 28 novembre, cinq jeunes gens de Thiaucourt
purent, s'évader, mais, repris à Avricourt, ils
furent ramenés à Dieuze. L'opinion de tous les
Français était qu'ils allaient être sévèrement
punis. Le générai les fit appeler et après les avoir
félicités de leur acte de courage, il ne leur
octroya que quinze jours de cellule.
Le 6 décembre, un aéroplane français, survolant
Dieuze, jeta deux bombes sur la caserne des
chevau-légers, contiguë à celle de l'infanterie.
Dans les camps prussiens
Le 17 décembre, les prisonniers sont amenés à
Rastadt. A leur arrivée, la population les
accueillit par des cris de haine. Tout le monde lut
interné avec les prisonniers de guerre, dont
l'entrain et la bonne humeur étonnaient les soldats
allemands qui les gardaient.
Enfin, le 23 décembre, les Allemands faisaient
évacuer 1.500 prisonniers de Rastadt pour les
conduire au camp de Holzminden. Le voyage dura deux
jours, pendant lesquels on ne reçut comme nourriture
qu'un morceau de pain et de saucisse.
Le camp, construit spécialement pour les
prisonniers, se compose de quatre-vingt-quatre
baraques en planches, recouvertes de carton-bitume.
Comme literie, un simple cadre avec une paillasse
remplie de laine de bois. Là se trouvaient déjà des
soldats belges et des habitants de la Pologne.
La nourriture au camp était mauvaise. Le menu était
invariable : soupe à midi et le soir. On obligea
tous les prisonniers à déposer leur argent. Les
couteaux dont ils étaient porteurs durent avoir la
pointe brisée.
Les jours, s'écoulèrent lentement. Pour calmer leur
ennui, les Français organisaient des concerts ou
bien ils pratiquaient divers jeux, ou encore;
profitant des rares beaux jours, faisaient les cent
pas sur la seule chaussée pavée du camp et qu'ils
avaient nommée « Avenue Joffre », nom que les
Allemands lui donnaient aussi.
La délivrance
Enfin le jour de la délivrance arrivait. M. Veillon
était ramené à Rastadt. Après un court séjour dans
ce camp, il faisait partie d'un (convoi qui le
conduisait à Schaffouse, puis de là en France.
M. le maire de Val se hâtait de venir à Nancy, où il
arrivait la semaine dernière. Il se mettait de suite
en relations avec ses administrés, qui tous lui ont
témoigné leurs sympathies, heureux de voir que son
séjour en Allemagne n'avait pas altéré sa santé.
CH. LENOBLE.
BOMBARDEMENT INUTILE A BEAUZEMONT
Samedi et dimanche, plusieurs obus allemands sont
tombés sur le village de Beauzemont.
Situé au sud d'Arracourt et à l'ouest de Parroy,
Beauzemont n'est pas éloigné de la frontière de plus
de sept kilomètres à vol d'oiseau.
Quelques maisons ont gravement souffert. L'utilité
de cet exploit se chercherait en vain. Bauzemont
n'est pas une position stratégique.
Une fois de plus, les Boches ont tenu à prouver leur
sauvagerie et leur cruauté en canonnant
d'inoffensifs cultivateurs.
NOS SUCCES
du Bois Le Prêtre et de Parroy
LA GUERRE DE MINES
Paris, 1er avril, 15 heures.
La lutte de mines se poursuit sur de nombreux points
du front.
Devant Dompierre (sud-ouest de Péronne) nous avons
fait exploser avec succès quatre fourneaux.
Près de la ferme du Choléra (nord de Berry-au-Bac)
nous avons fait sauter un rameau de mines au moment
où l'ennemi y travaillait et nous avons fait suivre
l'explosion d'une rafale de 75. Un poste d'écoute
allemand a disparu dans l'entonnoir.
Au bois Le-Prêtre, le nombre exact des prisonniers
faits par nous est de 140, dont 3 officiers. Toutes
les contre-attaques allemandes ont été repoussées.
L'attaque dirigée contre nos avant-postes dans la
région de Parroy aurait été menée par un bataillon
de landwehr. Elle a échoué avec de fortes pertes.
Les aviateurs belges, au cours de la nuit du 30 au
31, ont bombardé le camp d'aviation d'Handzaeme et
le noeud de voies ferrées de Cortemark.
NOUS OCCUPONS FEY-EN-HAYE
Paris, 2 avril, 0 h. 30.
Voici le communiqué officiel du 1er avril, 23
heures:
Combats d'artillerie sur différents points du front.
En Woëvre, à l'ouest du bois Le-Prêtre,, nous avons
occupé le village de Fey-en-Haye et nous nous y
sommes maintenus malgré plusieurs contre-attaques.
En Lorraine et en Vosges, rien à signaler.
Fey-en-Haye (132 habitants) fait partie du canton de
Thiaucourt, qui est à 8 kilomètres 800 au
nord-ouest.
GARROS & NAVARRE
abattent chacun leur taube
Au sud de Dixmude, le lieutenant aviateur Garros a
abattu un Aviatik à coups de mitrailleuse.
Dans la région de l'Aisne, un autre aviateur
allemand a été abattu à coups de fusil par
l'aviateur Navarre.
Nouvelles du Pays meusien
Fleury-sur-Aire. - Les Boches arrivèrent à
Fleury-sur-Aire (commune de 260 hab., canton de
Triaucourt), le 5 septembre, à 2 heures de
l'après-midi, ce n'était qu'une patrouille ; à 5
heures du soir, ils vinrent au nombre de dix mille
hommes. Leur première occupation fut de visiter à
fond l'église, le clocher et jusqu'aux moindres
coins de la sacristie.
Malgré cette minutieuse perquisition et bien qu'ils
aient occupé tout le pays pendant la nuit suivante,
le lendemain, à huit heures du matin, ils
enfoncèrent à coups de hache la porte de l'église, à
coups de crosse de fusil la porte de la sacristie,
ainsi que la fenêtre ; ils firent main basse sur
tout ce qui pouvait servir au culte, comme cierges,
bougies, pétrole et vin de messe, déposé là par
précaution pour le préserver du pillage.
Le lundi 7 septembre, ayant converti l'église en
ambulance, ils brisèrent volontairement, à coups de
hache, tous les bancs de l'église et de leurs débris
firent un tas dans le cimetière voisin, tout prêt à
être brûlé.
Ils brisèrent également, ou plutôt le capitaine de
gendarmerie allemand en personne brisa quatre
fenêtres de l'église, sous le fallacieux prétexte
qu'il fallait de l'air aux blessés. Prétexte
mensonger, une seule fenêtre aurait suffi. Quant à
la flèche du clocher, ils la percèrent de trous,
pour y installer des mitrailleuses qui, d'ailleurs,
ne fonctionnèrent pas.
D'où il suit que, pour la malheureuse église de
Fleury, le bilan du passage des barbares peut
s'évaluer à sept ou huit mille francs en dégâts tout
à fait volontaires et complètement inutiles. C'est
un modeste spécimen de la fameuse kultur allemande
et les hommages rituels que réclame le vieux Dieu de
Guillaume.
Stenay. - Une dame de Stenay, rapatriée d'Allemagne,
où elle était internée depuis le 28 septembre, a
bien voulu communiquer les renseignements suivants :
« Vers 4 heures du soir, le 27 août, un détachement
ennemi, composé d'une quarantaine d'hommes, un
capitaine et deux lieutenants, arriva à Stenay.
Furieux de ne trouver ni le maire, qui était parti,
ni les adjoints, dont l'un était mobilisé, ils se
saisirent du directeur de l'école M. Toussaint, de
l'abbé Hazard et de M. Romagny, et les obligèrent à
les conduire dans chaque maison pour s'assurer qu'il
ne s'y cachait pas de francs-tireurs. Arrivés près
de l'hôtel Martin, apercevant une patrouille
française, ils placèrent les civils en avant et M.
Toussaint reçut une balle dans l'aine. L'abbé Hazard
fit le mort, espérant ainsi pouvoir porter secours à
son compatriote. A ce moment l'officier allemand
tira un coup de revolver à M. Toussaint et
s'apercevant de la supercherie de l'abbé, le fit
relever et attacher à la queue de son cheval ; il
lui fit faire une randonnée dans les champs. Le
malheureux, enfin libre, arriva exténué à la maison
d'école. M. Toussaint ne fut relevé que plusieurs
heures après par M. Gourdet. Transporté à l'hospice,
il y mourut trois semaines après.
Contrairement à ce qui a été dit, Mgr Mangin n'est
pas mort en Bavière, mais à Stenay, où il fut
enterré par les soins de l'abbé Hazard, dans la
première quinzaine de septembre.
Le lendemain, les troupes allemandes arrivèrent en
grand nombre : Bavarois et Saxons, les chevaux et
les hommes affamés. Les caves furent mises à sec et
le pillage commença. Le kronprinz, logé au château
du Verdier, donna l'exemple d'ailleurs en présidant
à l'enlèvement des objets d'art.
Dès que la ligne de chemin de fer fut rétablie, le
déménagement des pianos, coffre-fort, meubles,
linge, vêtements, continua.
Un peu partout campèrent les soldats, notamment dans
les chantiers Drapier et Guilmart, où les stocks de
bois furent vite utilisés et emmenés.
Un hôpital est installé dans la maison Drapier ; les
typhiques sont dans la maison Authenias. Pendant le
bombardement, les habitants restes vécurent dans les
caves de l'école. Un seul obus français éclata près
de la maison Thomas, ne causant pas grands dégâts.
Les maisons Goulet-Turpin-Collignon, Ragot, Thirion,
Dubois sont incendiées, les soldats ayant voulu
terroriser la population par la menace d'un incendie
général.
Depuis on n'a pas d'autres renseignements sur le
sort de cette ville. D'autres civils ont été emmenés
fin octobre. L'un d'eux est rapatrié et fera
connaître sans doute la vie de Stenay à cette date.
Ces renseignements seront publiés ultérieurement.
Etraye. - Les Allemands sont arrivés à Etraye le 27
août, ils ont commencé par occuper les maisons
évacuées ; puis ils ont réquisitionné bétail, porcs,
lapins, volailles, vin, etc. Ils ont transporté dans
les bois des chariots de gerbes de blé pour établir
des abris, arraché les poteaux des parcs qu'ils ont
brûlés ; les fils de fer ont servi pour les défenses
des tranchées.
Pas de nouvelles des femmes restées an village.
Loupmont.- On communique la lettre suivante :
« J'ai recueilli de plusieurs blessés la certitude
que notre joli petit Loupmont, si riant autrefois au
pied de ce coteau si riche, n'est plus maintenant
qu'un amas de ruines et de cendres. Un tétanique,
blessé à Loupmont fin octobre, et encore
actuellement dans mon service, s'y est vaillamment
battu ; il fait partie de la 6e coloniale. Par trois
fois, dit-il, Loupmont a été pris et reperdu. Chaque
soir, la horde barbare incendiait deux, trois
maisons, et, m'a affirmé ce « brave poilu », comme
il aime à s'intituler, après le départ des
malheureux habitants pour l'exil le village a été
détruit de fond en comble. A l'heure actuelle, il
n'en reste plus une seule maison. Avant que de le
démolir et l'incendier, les pirates ont emporté
meubles, literie, linge, etc., surtout l'excellent
vin de ce riant coteau.
Saint-Agnan n'est que cendres. La redoute, détruite
par les batteries boches, m'a déclaré un blessé à
Saint-Agnan, est la sépulture de beaucoup des
nôtres.
Marbotte, Mécrin ont été les théâtres de combats
acharnés. Un bois situé au-dessus du cimetière a vu
des luttes homériques et là Français et Boches,
dorment côte à côte du sommeil éternel. »
Bonzée-en-Woëvre. - Au début de la guerre, Bonzée
comptait 193 habitants ; aujourd'hui, elle est
réduite à 94 personnes ; 27 ont été mobilisées, 64
évacuées et 8 sont décédées. Depuis le mois d'août,
elle a été constamment occupée par nos troupes, sauf
pendant une partie de septembre ; et encore pendant
cette période une compagnie d'infanterie venait tous
les jours d'Haudiomont en patrouille à Bonzée.
Le 8 septembre, quatre uhlans ont été aperçus,
venant de Trésauvaux. La brigade de gendarmerie de
Fresnes-en-Woëvre, qui se trouvait alors a Bonzée,
et une vingtaine de fantassins de la compagnie en
patrouille se sont dissimulés derrière le parapet du
pont et ont salué l'entrée des uhlans dans le
village par une fusillade nourrie : deux Boches ont
été abattus avec leurs chevaux sur la place de
l'église, les deux autres ont tourné bride et sont
repartis au grand galop.
Huit jours après, sept Allemands, trois fantassins
et quatre cavaliers sont entrés dans le village par
la route de Fresnes ; ils ont parcouru les rues au
pas, bien tranquillement, sont entrés dans la maison
qu'on appelle le château, y ont pris une galette,
cinq oeufs sur dix qu'ils avaient trouvés, une boîte
d'allumettes et une bougie. Après ce pillage
enfantin, ils sont repartis sans avoir fait de mal,
sauf qu'ils ont blessé un de nos cavaliers aperçu
dans les environs.
En revanche, Bonzée a été bombardé, presque tous les
jours depuis le 15 septembre jusqu'au commencement
de février. Un des premiers projectiles est tombé
sur un pignon et a blessé mortellement un enfant de
14 ans, le jeune Delpierre. Cet enfant a été la
seule victime humaine. Un cheval, deux bêtes à
cornes et quatre porcs ont été tués par des éclats
d'obus ; une vache a péri dans un incendie. Quatre
maisons ont été incendiées, huit presque
complètement détruites et quinze autres plus ou
moins atteintes. Pendant les bombardements qui
avaient lieu généralement les après-midi, les
habitants effrayés se réfugiaient dans abris
construits par la troupe. Tous les carreaux du
village, y compris les vitraux de réalise, ont
disparu. L'église n'a été atteinte que sur une
faible partie du mur du choeur, bien que les maisons
voisines aient été sérieusement endommagées.
Elle a servi d'ambulance temporaire du 25 au 30 août
après les combats d'Etrain ; quatre soldats y ont
succombé. Les blessés ont ensuite été évacués
hâtivement par crainte de l'invasion.
Jonville. - Jonville-en-Woëvre, situé à 5 kilomètres
de Woël et de Harville, est occupé par les Allemands
depuis les premiers jours de septembre. Ils ont
emmené principalement les jeunes hommes. Toutes les
femmes et jeunes filles sont restées au pays, et
peut-être aussi les hommes d'un certain âge.
L'église, le presbytère et la mairie sont
transformés en trois hôpitaux. Les femmes sont
employées à laver le linge des malades et blessés.
Quelques chevaux et un certain nombre de vaches ont
été laissés aux habitants, probablement que le lait
est donné aux malades.
AVIONS ET MINES
Paris. 2 avril, 15 heures.
Rien d'important à ajouter au communiqué de ce
matin. Au sud de Péronne, près de Dompierre, nous
avons détruit à la mine plusieurs tranchées
allemandes.
En Argonne, à Bagatelle, une tentative d'attaque
allemande a été arrêtée net.
Des avions français et belges ont jeté une trentaine
d'obus sur le champ d'aviation de Handzaème.
LA GARE DE VIGNEULLES
bombardée par nos avions
Paris, 3 avril, 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 2 avril, 23 heures :
Sur l'ensemble du front, rien d'important n'a été
signalé.
A 7 heures du matin, à l'est de Soissons, un avion
allemand a été abattu dans nos lignes. C'est le
troisième en 24 heures.
Notre escadrille de bombardement a lancé 33 obus sur
les baraquements, les hangars et la gare de
Vigneulles-en-Woëvre, La plupart des projectiles
sont tombés en plein sur leurs objectifs.
Nos avions ont été très violemment camionnés et de
très près. Trois d'entre eux sent, rentrés, avec de
grosses déchirures aux ailes. Les autres ont reçu
des balles de shrapnells dans les toiles, mais aucun
aviateur n'a été atteint et tous les appareils sont
revenus dans nos lignes sans accident.
LA SAUVAGERIE TEUTONNE A REHAINVILLER
Au cours d'une visite à Rehainviller, un de nos,
confrères a recueilli le récit de l'atrocité
suivante :
« Bien qu'or ne puisse guère savoir où ils se
logent, quelques habitants sont rentrés, ayant la
nostalgie de leur coin de terre. L'un d'eux
s'approche de nous, dit son mot dans les propos que
nous échangeons avec le cantonnier. Celui-ci nous
parle du curé Barbeau, que fusillèrent les Allemands
quand ils se crurent maîtres du village.
- Et Joseph ? ajoute le paysan.
- Joseph ?
- Mais oui, Joseph Noirclair.
- Monsieur, reprend-il en se tournant vers nous,
celui-là, on ne saura, jamais pourquoi ils l'ont
traité comme ils l'ont fait ! Il était bien
inoffensif. Après l'avoir fusillé, ainsi que lé
curé, quelle sauvagerie n'ont-ils pas inventée ? On
l'a trouvé la tête coupée, et, sa tête, ils
l'avaient mise sous son bras. C'est-il des choses
croyables, ca ? »
LE FEU BRULE UN TAUBE
bombardeur de Reims.
NOS CAPTURES AU BOIS LE PRÊTRE
Paris, 3 avril, 15 h. 10.
Dans la région de la Somme, à La Boisselle et à
Dompierre, la guerre de mines s'est poursuivie avec
un avantage marqué pour nous.
Le nombre total des prisonniers faits au bois
Le-Prêtre (nord-ouest de Pont-à-Mousson), du 30 mars
au 1er avril, dépasse deux cents, dont six
officiers.
L'avion allemand qui a été abattu hier-matin venait
de jeter des bombes sur Reims. L'appareil a pris feu
en atterrissant. Les deux aviateurs sains et saufs
ont été faits prisonniers.
Attaques allemandes repoussées !
Paris, 4 avril, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 3 avril, 23 heures.
A Dompierre, au sud-ouest de Péronne, nos travaux de
mines continuent à progresser.
Près de Lassigny, une attaque allemande qui essayait
de, déboucher a été arrêtée par notre feu à la
sortie de ses tranchées..
En Hautes-Alsace, dans la région de
Burnhaupt-le-Haut, nous avons repoussé deux attaques
allemandes.
RETOUR D'EXIL
Arrêtés comme francs-tireurs. - La navette de Delme
à Dieuze, en passant par Morhange.
Francs-tireurs, capout ! - A Radstadt et Holzminden.
- La délivrance. - Les jolis sabots suisses...
Récit d'un Otage d'Arraye-et-Han
M. Aimé. Godefroy, un honorable habitant
d'Arraye-et-Han, dans le canton de Nomeny, vient de
rentrer de captivité, après un séjour de près de six
mois dans les prisons et dans les camps d'Allemagne,
où, on peut le dire, il a enduré toutes les
souffrances physiques et morales d'un patriote en
exil.
Mais M. Godefroy, en vaillant Lorrain, ne s'est
jamais laissé abattre, et la joie du retour illumine
aujourd'hui sa face, jaunie par les privations, et
qu'encadre une longue barbe noire, oubliée depuis
longtemps par le rasoir.
C'est le 1er septembre qu'avec le maire, l'adjoint
et le curé du village, M. Godefroy fut arrêté.
Jusque-là, durant tout le mois d'août,
Arraye-et-Han, occupé par les Français le matin et
par les Allemands le soir, ou par les Boches le
matin, et par nos fantassins à la tombée de la nuit,
n'avait pas ou à subir de grandes vexations ni de
bien grands dégâts.
Les Allemands avaient trop la frousse de nos
baïonnettes pour s'attarder aux beuveries et au
pillage, Les maisons n'avaient donc encore que peu
souffert. Çà et là, un obus avait marqué sa trace
dans les toitures ou les façades, détériorant
parfois quelque mobilier, mais sans faire de
victimes. L'église avait eu aussi sa part des
projectiles teutons. On peut même dire qu'elle avait
eu sa grosse part, bien qu'elle n'ait rien de la
cathédrale de Reims, ni de cette de Soissons. « Gott
mit uns »
Mais, le 1er septembre, ce ne fut plus une simple
patrouille qui arriva à Arraye-et-Han. Ce fut au
moins un régiment, appuyé par des masses profondes,
de l'autre côté de la Seille.
Et les habitants ont fait aussitôt connaissance avec
la sauvagerie teutonne.
Le maire, son adjoint, ainsi que le curé et M.
Godefroy sont immédiatement arrêtés. Les uns sont
accusés d'avoir fait des signaux aux Français, les
autres d'avoir tiré sur les troupes allemandes.
« D'un interrogatoire sommaire, raconte M. Godefroy,
il résulta pour mon compte que j'étais considéré
comme un franc-tireur. N'est-ce point là,
d'ailleurs, l'accusation qui a servi partout aux
Allemands de prétexte aux fusillades, à la
destruction et au pillage ? Il était parfaitement
inutile de chercher des preuves de son innocence.
Les explications n'étaient pas admises. J'étais
prisonnier, avec les deux premiers citoyens de ma
commune et notre curé. Qu'allait-il advenir de nous
?... »
Le sort des quatre otages devait être décidé
ailleurs, devant, un conseil de guerre. On les
escorta de gendarmes, et en route pour Delme.
Le départ d Arraye-et-Han fut inattendu, précipité.
On ne laissa pas le temps aux prisonniers de dire un
dernier adieu à leurs familles ou à leurs amis, ni
de se munir même de l'indispensable, Delme ne fut
qu'une courte halte. Quelques minutes de comparution
devant un général, qui les expédia, sur Morhange,
après les avoir traités de francs-tireurs.
Qu'allait-il advenir des prisonniers sous une
semblable accusation ? Morhange, c'était sans doute
le conseil de guerre, et le poteau d'exécution.
Mais le conseil de guerre ne se pressait pas de
siéger. En attendant, M. Godefroy et M. l'adjoint
étaient séparés de leurs deux compagnons et
enfermés, dans une cellule, où on les laissa pendant
cinquante-six jours.
A ce moment, on leur apprenait que M. le maire et M.
le curé, contre qui des preuves faisaient défaut,
étaient remis en liberté.
On conduisit les deux hommes à Morhange, puis à
Dieuze. Naturellement, ces diverses étapes se
faisaient à pied, avec, dans le, ventre un misérable
café, ou plutôt un kafé avec un K, dans lequel il ne
manquait que l'essentiel. L'escorte des gendarmes
n'était pas trop féroce. Elle permettait aux braves
Lorrains annexés, de s'apitoyer sur le sort de leurs
frères prisonniers, et de leur donner du pain
accompagné de fromage ou de fruits, quelquefois même
de jambon. En revanche, les soldats boches faisaient
de l'ironie à la mode barbare.
Et il y en avait partout, de ces Prussiens casqués !
Les routes en étaient encombrées. Les champs voisins
en étaient, couverts.
Lorsqu'apparaissait la petite troupe, deux civils
entre quatre gendarmes. - les soldats criaient :
- Francs-tireurs ! Francs-tireurs ! Capout.
Et tandis que les uns mettaient les deux Français en
joue, les autres tiraient, leur couteau ou leur
baïonnette et faisaient, le simulacre de leur scier
le cou.
A Dieuze, on les logea, dans les casernes des
chevau-légers. La nourriture n'était évidemment pas
très bonne, mais l'espoir renaissait car il semblait
que la menace du conseil de guerre s'éloignait
chaque jour davantage.
Et puis, un peu de travail procurait une
distraction. On s'occupait à la cuisine, ou bien on
allait chercher du bois. Quelquefois, on les
envoyait sur les routes casser des cailloux, ou,
dans les champs, combler quelque tranchée. Enfin,
les gardiens laissaient entrevoir l'approche de la
liberté.
-- Ah ! cette fois, on va vous renvoyer en France !
lui dit certain matin un gendarme. Il faut vous
préparer.
« - Nous, préparer ! Mais nous sommes toujours
prêts! Nous n'avons ni malle ni valise à faire. »
On partit donc de Dieuze d'un pied léger, comme de
vrais poilus. Et, certes, l'étape Dieuze-Arraye
n'était pas pour leur faire peur !
Mais voici qu'au lieu de prendre la route vers la
Seille, on les conduisit à la gare, où on les fit
monter dans un train avec un billet pour Rastadt !
Les plus douces illusions étaient tombées, et la
conversation ne fut pas gaie durant cet interminable
trajet.
On arriva là-bas le 23 décembre. Les deux malheureux
otages grelottaient sous leurs minces vêtements
d'été. Et le séjour dans ce camp maudit n'était pas
fait pour retaper la santé.
On prouva là une soixantaine de compatriotes, la
plupart venus des environs de Pont-à-Mousson.
On ne resta à Rastadt que cinq jours, au bout
desquels on partit pour Holzminden, dans le
grand-duché de Brunswick.
Le camp de Holzminden comprend deux parties,
nettement séparées, quoique voisines, celle réservée
aux prisonniers civils et celle réservée aux
prisonniers militaires.
Il y avait là près de six mille otages, tant
Français que Belges, alors que le camp militaire ne
comprenait guère que de cinq à six cents prisonniers
appartenant aux différentes armées alliées.
Les prisonniers civils avaient surtout affaire à des
chefs de baraquements, pris parmi ceux d'entre eux
qui connaissaient l'allemand, Les soldats - des
vieux de la landsturm - se bornaient à faire
mélancoliquement les cent pas font autour.
Les hommes âgés de plus de 45 ans étaient dispensés
de tout travail. Les jeunes faisaient la toilette
des routes, comme, d'ailleurs, les prisonniers
militaires à qui il était sévèrement interdit de
parler.
Et c'était vraiment pitié de voir nos pauvres
soldats tirant le rouleau sur les routes avec des
cordes !
La nourriture était celle de tous les camps
prussiens : café sans café le matin, eau chaude en
guise de soupe à midi, remplacée parfois par un
hareng ou une potée de féveroles.
Quant au couchage, il était absolument ignoble, avec
base de copeaux sur un peu de paille pourrie par
l'humidité.
Et dire que, chez nous, les prisonniers boches...
Qu'on les mette donc en subsistance chez eux ! Ils y
trouveront du changement !
Malgré l'ennui, malgré la misère, malgré la mortelle
incertitude sur le sort des siens et sur celui de la
chère Patrie, le temps s'écoule. On est au 15
février.
15 février ! Date inoubliable, nous dit M. Godefroy.
C'est enfin la délivrance !... Depuis quelque temps,
malgré les sévérités de la consigne, on entendait
dire que l'Allemagne commençait à sentir la faim et
qu'on allait se débarrasser de nous, bouches
coûteuses - oh ! combien ! - et, en tous cas,
bouches inutiles!
En effet, le 15 au matin, on prévient les
prisonniers civils que 252 d'entre eux, les plus
âgés, vont prendre le chemin de la France. Nos deux
captifs d'Arraye-et-Han sont du nombre. On juge de
leur joie, qu'atténue, hélas ! la pensée de laisser
dans cet enfer tant de malheureux compagnons.
On revient à Rastadt, où l'on fait encore un arrêt
de douze jours.
Oh ! les douze interminables journées, dans les
casemates, où l'on doit à peu près se passer de
nourriture !
L'administration du camp n'a pas jugé utile, en
effet, de donner à ces hôtes de passage, la gamelle
et la cuillère réglementaires. On apporte la potée
dans un grand baquet et l'on doit se servir avec les
mains !
Et les brutes en uniforme qui gardent l'infortuné
troupeau ne manquent jamais de s'assembler autour de
lui à l'heure de la pitance, pour rire de son
embarras, de sa colère, de sa honte.
Ce véritable martyre prend fin le 27 février. A
l'aube, les 252 rapatriés sont embarqués pour
Schaffouse, où nos bons amis les Suisses leur font
oublier tous les maux qu'ils ont soufferts par la
réception la plus cordiale, la plus généreuse qui se
puisse imaginer.
« - Ce fut vraiment la noce ! » s'écrie M. Godefroy,
qui résume d'un mot ce chaleureux accueil.
Nourriture abondante et soignée. Gâteries.
Cigarettes. Vêtements. Paroles de réconfort.
Poignées de main. Cris de « Vive la France, » Bien
ne manquait à cette fête.
Quelques jours plus tard, M. Godefroy était dirigé
sur Saint-André-de-Corcy, dans l'Ain, où les braves
gens dont il était l'hôte le traitèrent comme un
parent aimé, que l'on retrouverait après une longue
absence.
Il est de retour aujourd'hui dans sa chère Lorraine,
recueilli avec sa femme par des amis, à Faulx, tout
près de son village natal, où il espère bien
retourner sous peu, alors que les hordes teutonnes
auront pour toujours quitté notre pays.
« - Vous avez de bien jolis sabots, demandons-nous à
M. Godefroy, qui, en effet, porte des chaussures en
bois, pointues comme des aiguilles, tout sculptées
et coloriées ? »
« - Ces sabots-là sont un souvenir précieux de la
Suisse. Je vous assure que je n'ai pas l'intention
de les user. Ils méritent chez moi une place
d'honneur. Ils l'auront. »
Et il ajoute, fièrement :
« - Nos pères les ont immortalisés, les sabots, en
92. Pourquoi ne ferais-je pas de mes sabots d'exil,
une relique sacrée ? »
J. MORY.
Nos progrès ont continué
EN WOËVRE
Prise du village de Regniéville
Paris, 4 avril, 15 heures.
Rien à signaler.
Paris, 5 avril, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 4 avril, 13 heures :
Journée calme sur l'ensemble du front, sauf en
Woëvre, où nos progrès ont continué.
NOUS avons enlevé le village de Regniéville, à deux
kilomètres et demi à l'ouest du village de
Fey-en-Haye, que nous avons occupé le 1er avril.
Regniéville est une petite commune de 150 habitants
du canton de Thiaucourt.
Elle est située à 8 kilomètres au sud-est de son
chef-lieu de canton, sur la route départementale qui
rejoint la route nationale de Metz à Saint-Dizier,
route qui passe à Pont-à-Mousson et à Commercy.
Quatre bombes de Taube
SUR SAINT-DIÉ
Elles ratent un convoi funèbre
Paris, 4 avril. 15 h. 22.
SAINT-DIÉ. - Un avion allemand a bombardé, hier,
pour la sixième fois, Saint-Dié.
Il a jeté quatre projectiles. L'un d'eux est tombé
dans la cour d'un maréchal-ferrant, blessant
légèrement le maréchal, son fils et un ouvrier, et
atteignant mortellement un cheval.
Un autre est tombé dans le cimetière, sur la rive
droite de la Meurthe, au moment ou entrait un convoi
funèbre. Il n'y a eu aucune victime.
Les deux autres bombes sont tombées l'une dans une
prairie, l'autre dans un jardin. Aucun dégât.
A FRESNES-EN-WOEVRE
Des semaines sous les obus
Nos premières épreuves ont commencé après
l'évacuation, vers le 20 août. Des avis donnés
discrètement décidèrent d'abord quelques familles :
on délivrait sur la place les laissez-passer avec
signalement.
Le mercredi 25, l'autorité municipale et les
gendarmes conseillèrent fortement le départ ; ce fut
dans, la nuit que la plus grande partie de la
population quitta Fresnes, se dirigeant vers
Haudiomont, et se dispersant sur Verdun,
Haudainville, Sommeidieue, Dieue, Ancemont.
Pendant les premiers jours, les Allemands occupaient
les environs, Ville-en-Woëvre, Champion,
Marchéville, mais ne se montraient pas chez nous.
Parmi ceux qui n'étaient pas partis et ceux qui
étaient rentrés, quelques-uns se hasardaient à
sortir dans les champs pour ramasser des légumes.
Le lundi 7, il y eut une rencontre de patrouilles
française et allemande, du côté de Champion. Un
vieillard, M. Ethel-Diviany, se trouvant dans cette
région, fut atteint, par une balle allemande et
revint chez lui, grièvement blessé ; il expira le
lendemain. Il avait fait les campagnes du Mexique et
de 1870 sans une seule blessure Il devait être
enterré le jeudi 10 : hélas ! il fut enseveli sous
les décombres de la maison L. Paquin, où il était en
bière. C'est qu'en effet le sinistre dénouement
approchait.
Nous étions encore défendus par les gendarmes. Mais
les Allemands s'enhardissaient. Le mercredi, au
matin, une auto allemande stationnait devant le café
Vérant. Les gendarmes prévenus s'en emparèrent et la
firent conduire à Haudiomont. Les officiers qui
l'occupaient retournèrent peu fiers à leurs
cantonnements. Dans l'après-midi, trois soldats
pénétrèrent dans l'hôtel de ville et saccagèrent
tout ce qu'ils trouvèrent. Un gendarme les ajusta à
leur sortie et en tua un.
Dès lors, la destruction de Fresnes fut décidée par
les Barbares. Beaucoup de personnes, prévenues,
s'enfuirent à Bonzée.
Vers 5 heures du soir, les incendiaires commencèrent
leur oeuvre de mort. Ils s'étaient réunis à
l'extrémité est de la rue Sainte-Anne.
Tout d'abord ils assassinèrent devant sa porte un
vieillard octogénaire, M. Basse-Petit, qui faisait
fonctions de maire, et, cent mètres plus loin, son
fils, M. Basse-Pierson, qui sans doute cherchait à
fuir. Ils les dépouillèrent ensuite des valeurs
qu'ils portaient, plusieurs milliers de francs
chacun.
Mme Basse-Pierson et Mme Lévieux-Nicolas périrent
dans la cave de leur maison incendiée.
Le feu fut allumé par quatre monstres, soldats de
l'armée allemande, commandée par des chefs, et
dressés à cette oeuvre de sauvage destruction.
Ayant à la main une lanterne spéciale bien allumée,
ils pénétraient dans les maisons en faisant sauter
les portes ; après avoir réuni dans les chambres du
premier étage tous les objets inflammables, ils y
mettaient le feu au plus vite pour continuer leur
sinistre besogne.
C'est ainsi qu'ils ont opéré rue Sainte-Anne, chez
Mlle Roussel, en face ; vue de Metz, côté nord,
depuis la maison de M. Bohin jusqu'à l'église : côté
sud, depuis la maison H. More jusqu'à la place
Margueritte, y compris la boulangerie Renaudin,
l'hôtel de ville, le magasin Pierson et l'école des
filles.
Le vendredi matin, je me décidai à partir, si
c'était possible. Je pris un sentier derrière les
jardins, me tins caché deux heures dans une maison
abandonnée, située au milieu des jardins ;
j'entendais les premiers sifflements des obus
envoyés d'Haudiomont pour chasser les Boches. Les
projectiles passaient au-dessus de ma tête, l'un
alla chez moi et fit une brèche à l'endroit même où
je me tenais en observation quelques heures
auparavant. Vers midi, croyant tout danger disparu,
je me dirigeai, par les sentiers, vers Bonzée, où
mon arrivée fut accueillie avec joie par mes
concitoyens inquiets sur mon sort.
Le mardi 15, apprenant que les Allemands s'étaient
retirés devant les patrouilles françaises, nous
revînmes en assez grand nombre et pûmes constater
les effets de l'incendie et même du pillage. Toutes
les maisons restées debout avaient été ouvertes, les
portes et les serrures brisées : les chambres,
visitées avec soin, étaient dans un grand désordre,
les armoires béantes et fouillées, les objets de
valeur emportés ; les magasins avaient été
spécialement dévalisés. Mais au moins, ce jour là,
nous étions bien gardés : deux régiments de
cavalerie logeaient dans le village. Aussi les
Allemands se tenaient-ils à une distance
respectueuse.
Malheureusement, nos troupes partirent Le samedi 19,
à cinq heures du matin. Vers dix heures survint une
patrouille de uhlans qui jeta l'épouvante.
Pour la troisième fois, nous nous retirâmes à
Bonzée. Ce ne fut pas pour longtemps. Dès le lundi
suivant, des forces considérables d'infanterie et
d'artillerie arrivèrent occuper Fresnes et la
défendre des attaques allemandes.
Nous rentrâmes le mardi 22. Mais déjà était commencé
le duel d'artillerie entre Marchéville et Fresne, et
les nôtres placés au haut du village, vers
Manheulles et Bonzée.
Pendant quatre semaines, ne pouvant habiter ma
maison, que les obus avaient ouverte à tous les
vents, je trouvai un refuge dans le quartier
relativement épargné alors, celui des cultivateurs.
On s'y était groupé, et on se réunissait, soit dans
les caves, soit sous les greniers à foin, pendant
les bombardements qui, de jour en jour, devenaient
plus terribles. Ils ont commencé vers le 21
septembre et ils se continuent encore aujourd'hui.
La plupart des maisons ont été atteintes,
quelques-unes sont absolument renversées.
L'église a beaucoup souffert : son beau plafond est
anéanti, ses vitraux sont en miettes, ses statues
jonchent le sol. Le maître-autel reste debout, mais
la pierre formant le tabernacle est fendue en deux
dans le sens de la hauteur. Une cloche est tombée
sur le pavé où elle s'est brisée.
Inutile de dire en terminant ce long et triste
récit, que notre pauvre Woëvre est complètement
dévastée : le château d'Aulnois, entre Fresnes et
Ville, Champion, Marchéville, Pintheville, Riaville,
Saulx et Ville sont détruits par l'incendie et le
bombardement. Il n'en reste presque plus rien.
(Croix Meusienne).
LES TAUBEN A ÉPINAL
Epinal, 6 avril.
Vendredi, vers une heure de l'après-midi, un Taube à
lancé trois bombes sur Epinal.
L'une d'elles est tombée au Champ-du-Pin, dans les
chantiers de construction de M. Thouvenin,
entrepreneur ; les deux autres, dans le bois
Saint-Antoine. Ces bombes n'ont causé ni accident ni
dégât.
Un autre Taube a fait apparition, le soir, vers 5
heures, mais la réception qui lui a été faite par
les artilleurs a été si brutale qu'il s'est empressé
de battre en retraite, sans lancer de bombes.
LE RAID AÉRIEN DU 26 MARS
Paris, 5 avril, 15 h. 05.
Rien à signaler depuis le communiqué de ce malin.
L'autorité militaire française a reçu des
renseignements précis sur les résultats du
bombardement effectué en Belgique, le 26 mars, par
des avions de l'armée britannique.
Ces résultats sont les suivants : Le hangar à
dirigeables de Berghen Sainte-Agathe, gravement
endommagé ainsi que le dirigeable qui était abrité.
A Hoboken, les chantiers anversois de construction
navale incendiés, deux sous-marins détruits et un
troisième endommagé; quarante ouvriers tués et
soixante-deux blessés.
Nos succès continuent en Woëvre
Paris, 6 avril, 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 5 avril, 23 heures :
Journée de pluie et de brouillard sur tout le front.
Au bois d'Ailly, au sud-est de Saint-Mihiel, nous
avons enlevé trois lignes successives de tranchées.
Nous avons pris également pied dans une partie de
l'organisation ennemie, au nord-est de Regniéville.
Une belle page de la guerre
RÉCIT OFFICIEL
de la prise de l'Hartmansviler
Les télégrammes Havas nous ont donné déjà un récit
de la prie du sommet de l'Hartmansviler. Mais c'est
là un fait d'armes qui mérite mieux qu'un compte
rendu télégraphique. Voici l'admirable page que
publie le « Journal officiel », dans sa rubrique «
Nouvelles du front » :
On se souvient du dramatique incident de guerre dont
fut le théâtre, en janvier, le sommet de
l'Hartmansviler.
Une grand'garde française, établie dans un petit
fortin à la cime, fut entourée par les Allemands.
Plusieurs jours elle résista. Mais la faim eut
raison d'elle.
Pendant qu'elle fournissait un suprême effort, ses
camarades attaquaient sur les flancs du mont pour la
dégager, attaques précipitées et improvisées,
dictées par la volonté d'arriver vite et qui, vu la
nature du terrain, n'avaient que peu de chances
d'aboutir.
C'était une dette d'honneur et de solidarité que Les
chasseurs entendaient payer. Un colonel, à qui l'on
faisait remarquer l'importance des pertes, répondit
: « Moins non, avons réussi, plus nous devions nous
sacrifier. Il eût été honteux de quitter la partie
sans faire tout le possible, et plus que le
possible. » Le commandant Barrié, commandant le
bataillon, fut tué au cours de ces attaques, ainsi
que plusieurs autres officiers et de nombreux
chasseurs.
Après quatre jours d'efforts, on s'arrêta. Certaines
compagnies ne comptaient plus que cent vingt fusils.
On savait par les prisonniers allemands que la
grand'garde du sommet avait capitulé. L'héroïque
tentative des journées précédentes n'avait plus de
raison d'être.
La forteresse invisible
Désormais, il fallait reprendre l'affaire à pied
d'oeuvre, la préparer méthodiquement et démolir
pierre à pierre la forteresse invisible d'où les
Allemands, dominant les vallées, réglaient avec
sûreté le tir de leur artillerie.
Forteresse invisible, telle était en effet la
position ennemie de l'Hartmansviler.
La montagne domine la plaine de 600 mètres. Son
versant Est est plus abrupt que les autres. Mais
aucun n'est d'accès facile. Après nos efforts de
janvier, nous restions accrochés, suivant
l'expression d'un officier, à pente de toit.
L'adversaire nous dominait, couvert par plusieurs
lignes de défense, protégé plus encore par l'épaisse
forêt de sapins qui ferme de toute part l'horizon et
par l'escarpement des pentes couvertes de neige.
Un assaut de vive force ne pouvait, sur un tel
terrain, rien produire. C'était un siège qu'il
fallait faire en y employant, comme artillerie et
comme matériel, tous les moyens appropriés.
Le brouillard, fréquent en hiver sur les sommets
vosgiens, ajoutait une difficulté de plus à celles
que le sol et, les bois opposaient à notre effort.
La préparation de l'attaque
Pour préparer l'attaque,
il importait en premier lieu d'installer fortement
nos troupes dans leurs positions. Création de
tranchées, d'abris, de pistes, installation
d'artillerie, cela prit un mois, jusqu'au 26
février. La volonté de la revanche était au coeur de
tous, chefs et soldats. On brûlait d'agir et d'agir
vite.
L'assaut fut donc donné le 26. Mais, terrés dans les
bois, les Allemands invisibles ne perdirent qu'une
centaine de mètres. Notre artillerie n'avait pas pu
détruire assez complètement les défenses accessoires
dissimulées. Beaucoup de tranchées étaient intactes.
La nécessité d'une préparation plus complète et,
partant, plus lente, s'imposait L'assaut du 26 nous
avait du moins permis de repérer avec exactitude la
position de l'ennemi, que, jusqu'alors, nous
ignorions.
De nouveau on travailla. Par des sapes on précisa le
contour des blokhaus allemands. Avec une minutie
admirable - dont on ne peut encore révéler les
détails ingénieux et hardis - artilleurs et
fantassins se mirent en mesure de faire produire à
l'attaque suivante son maximum d'effet.
Il s'agissait d'exploiter et de compléter les
premiers résultats obtenus le 26 février.
L'assaut du 5 mars
Le 5 mars le signal est donné. Les tranchées
ennemies sont bouleversées par un tir intense, deux
heures durant. Nos chasseurs sautent dedans et
enlèvent le plus fort des blokhaus allemands.
Cinquante prisonniers restent en leurs mains, ainsi
que deux mitrailleuses. Une grande partie de la
première ligne ennemie nous appartient.
Les Allemands sont exaspérés. Les deux régiments
qu'ils ont là contre-attaquent bravement quatre fois
dans la journée du 5, deux fois dans la matinée du
6. Le 7, ils essayent en masse de sortir de leurs
tranchées. Nos feux les fauchent à un mètre de leurs
propres parapets. Ils recommencent : même résultat
Cette fois, la situation morale des deux partis est
intervertie. C'est nous qui avons l'ascendant. C'est
nous qui dictons notre volonté, qui gardons ce que
nous avons pris, qui sommes sûrs désormais de
conquérir ce qui nous reste à prendre. Nos troupes
sont fatiguées, mais confiantes. Le succès total est
certain.
Fantassins et chasseurs
Ce succès, nous allons l'emporter de haute lutte,
dans la dernière semaine de mars. Aux bataillons de
chasseurs, qui se battent sur les pentes depuis deux
mois, un régiment d'infanterie vient s'ajouter.
C'est un beau régiment de l'Est, qui depuis le début
de la guerre, dans l'offensive d'août, aux combats
de Steinbach, n'a connu que des succès. Il a foi
dans sa force et il tient à montrer aux chasseurs ce
qu'il sait faire, de même que les chasseurs sont
jaloux d'affirmer une fois de plus leurs glorieuses
traditions.
Une admirable émulation s'établit entre ces héros.
Après une courte action, le 17 mars, le gros effort
est tenté le 23.
Un chef-d'oeuvre d'artillerie
Les artilleurs qui par leur audace et leur patience
sont arrivés à voir clair dans ces bois et ont
sillonné la montagne de plus de cinquante kilomètres
de fils téléphoniques, ouvrent le feu.
Ce tir, qui dure quatre heures, il faut en avoir
suivi la préparation et les effets pour savoir à
quelle virtuosité sont arrivés nos « bouchers noirs
».
Canons lourds et canons légers concentrés sur
l'objectif, avec une précision paradoxale, des
centaines de tonnes de mitraille. Les observateurs
sont sur la première ligne, réglant le tir au fur et
à mesure.
On voit sauter dans les arbres des morceaux
d'Allemands, des armes, des sacs à terre.
Quand l'infanterie, d'un bond, jaillit de ses
tranchées, précédée, à courte distance, par ce mur
de feu, l'ennemi est terrassé et maté. Il se défend
pourtant courageusement. Mais nos hommes attaquent
avec furie.
Les fantassins enlèvent deux lignes de tranchées, un
fortin, ramassent deux cent cinquante prisonniers.
Les chasseurs débouchent sur leur flanc avec une
ardeur pareille. Nous approchons du sommet.
Mais de nouvelles lignes apparaissent qu'il faudra
conquérir elles aussi. A chaque jour suffit sa
peine. Nous repoussons deux contre-attaques et nous
organisons le terrain conquis. La patience est
facile, quant la victoire est sûre.
Le silence des Allemands
Le lendemain 24, dans les tranchées que l'ennemi
tient encore, un observateur voit remuer, à l'aube,
des points sombres. Ce sont des casques qui
s'entassent ; puis les baïonnettes apparaissent. Une
grosse contre-attaque se prépare.
Notre artillerie, avec une effrayante rapidité,
prend les boyaux sous son feu. Nous voyons, comme la
veille, sauter en l'air hommes et équipements. Les
pertes allemandes doivent être énormes, car c'est
fini des contre-attaques.
Le canon ennemi se tait. La nuit du 25 au 26 se
passe dans le silence. Rien ne trouble la paix de la
montagne. Nous sommes pourtant à un contact étroit.
Un de nos créneaux n'est distant de la tranchée
allemande que d'un mètre 80.
L'enlèvement du sommet
Le jour se lève le 26, et avec joie on constate que
le brouillard, qui tant de fois depuis deux mois est
venu au secours des Allemands, cède aux premiers
rayons. Belle occasion pour l'artillerie !
Tout est prêt, réglé, machiné comme une féerie. Un
mot du commandant de l'attaque résume la situation :
« J'aurais pu disparaître, tout se serait passé de
la même façon. »
Dès lors le drame va se dérouler avec une régularité
automatique, fruit de longues semaines de travail.
Infanterie et artillerie sont reliées par un réseau
complet : 90 kilomètres en tout. Les abris, les
tranchées sont garnies. C'est le suprême effort, qui
doit nous rendre maîtres du, sommet.
Entre l'objectif et nous, il y a trois lignes au
moins de tranchées, renforcées de blockhaus à
mitrailleuses. Des arbres masquent encore les
défenses ennemies. L'artillerie aura fort à faire.
A 10 heures 30 elle entre en action, et sans arrêt,
jusqu'à 14 heures 30, elle inonde le front qu'il
s'agit d'attaquer de projectiles de tous calibres.
Les grands sapins s'écroulent avec fracas, sciés à
hauteur d'homme par les éclats, et tombent dans les
larges cuvettes qu'ont creusées les obus. Le terrain
est un chaos de trous, de branches et de tranchées.
Des cris de douleur partent des abris ennemis, dont
la résistance est brisée. Des dépôts de cartouches
explosent.
Cette destruction continue, implacable, jusqu'à 14
heures 45 ; elle a duré quatre heures un quart. A ce
moment l'infanterie sort.
A 14 heures 55, dans me ruée magnifique, elle est au
sommet, et sur la crête découronnée de ses arbres,
un fantassin, au mépris des balles allemandes, agite
un grand fanion pour annoncer notre succès aux
artilleurs, qui maintenant arrosent les pentes est.
Les mitrailleuses allemandes détruites ou sans
serveurs n'ont pas tiré.
A 15 heures, le régiment d'infanterie s'organise au
haut de l'Hartmansviler. Des compagnies appartenant
à deux bataillons de chasseurs enlèvent à coups de
grenades les tranchées à droite. Deux compagnies
d'un autre bataillon progressent à gauche et tout le
flot se rejoignant dévalé sur le flanc est,
poursuivant les Allemands.
Ceux-ci, dont le moral est en déroute, jettent leurs
armes. Toute une compagnie - ou ce qui en peste, 80
hommes - lève les mains et se rend. Plusieurs
officiers sont pris.
Plus de 400 prisonniers
Plus de 400 Allemands dans nos mains, tout
l'Hartmansviler conquis, voilà le bilan des deux
attaques du 24 et du 26.
Par les prisonniers interrogés, nous mesurons avec
précision l'effet de notre action. Certains de ces
hommes pourraient être justement fusillés, car ils
se sont rendus coupables de lâches traîtrises ;
feignant de se rendre, ils ont assassiné à bout
portant nos soldats à coups de grenades.
On les pousse vers la vallée, encore anéantis par le
feu infernal qu'ils ont subi. Tout à l'heure, sous
l'oeil moqueur des gosses d'Alsace, tous coiffés de
képis français, ils défileront en ordre devant le
général de division, dont l'énergie méthodique a
préparé notre triomphe.
Nos héros
Bien des braves ont succombé au cours de ces
attaques, laissant à leurs camarades un magnifique
exemple.
C'est le commandant Barrié, tué en janvier en
parcourant les lignes.
C'est l'adjudant Jolivet, arrêtant avec sa
mitrailleuse une violente contre-attaque et tombant
sur sa pièce, victorieux.
Ce sont les lieutenants Routhier et Lecoeur, tués à
l'assaut, à la tête de leurs hommes.
C'est le commandant Brun, chef d'état-major de la
brigade. Comme on manquait de renseignements récents
sur un des secteurs, il y est allé voir. Notre ligne
fléchissait. Son képi à la main, il a sauté sur le
parapet en criant : « En avant ! » Cinq mètres plus
loin, il est tombé.
Parmi les vivants, blessés ou non, combien seraient
à citer !
Tel parmi beaucoup d'autres, le chasseur Dumoulin,
qui seul dans une tranchée allemande dont la
mitrailleuse fauche notre attaque, encloue le
mitrailleur et arrête ainsi le feu ; ou encore le
sergent Chevenard qui, tous les officiers étant tués
ou grièvement blessés, prend le commandement de la
compagnie et la maintient, décimée, sur le terrain
conquis jusqu'à l'arrivée des renforts.
Notre position est inexpugnable
L'attaque du 26 ne visait que le sommet. Entraînés
par leur élan, nos fantassins redescendent sur
l'autre versant. C'est la qu'ils s'installent., dans
une position formidable, à 300 mètres au-dessus des
Allemands, qui se sont accroches plus bas.
Le soir, la neige tombe, couvrant d'un linceul
momentané les morts du 23 et du 26. Le sommet du «
Vieil-Armand » - c'est ainsi que nos soldats
prononcent Hartmansviler - offre au clair de lune un
étrange spectacle.
C'est une série de cuvettes blanches, d'où
surgissent des troncs d'arbres coupés, des
mitrailleuses démolies, des monceaux de fils, de
fer, et, de-ci, de-là, un pied ou un bras.
Les Allemands tirent encore, mais de moins en moins.
Le lendemain, ils cessent presque complètement de
réagir.
« On les a eus », murmure un poilu en allumant sa
pipe.
La victoire du « Vieil-Armand »
Telle fut l'affaire du « Vieil-Armand ».
Elle a privé l'ennemi d'un observatoire admirable,
dont nous bénéficierons désormais. Toute la plaine à
l'est est sous notre feu.
Elle a mis en nos mains plus de 400 prisonniers,
dont plusieurs officiers, et, le 31 mars, malgré, la
neige, nous avions compté déjà sur le terrain 700
morts allemands. Une grosse quantité de matériel a
été abandonnée par l'ennemi.
Ce succès complet venge avec éclat les morts du 19
janvier, victimes d'une surprise et de la faim. Pour
les venger, artilleurs, sapeurs, fantassins et
chasseurs ont rivalisé d'audace, de patience et
d'abnégation.
Nos dernières attaques ont été menées avec une
perfection minutieuse, une coordination totale de
tous les éléments. Elles ont été couronnées de
succès qu'aucune restriction n'amoindrit.
La prise de l'Hartmansviler comptera parmi les plus
belles passes de la guerre de montagne.
Nous complétons nos Succès
DANS LA WOËVRE ET EN ARGONNE
Paris, 6 avril, 15 heures.
Rien d'important a ajouter au communiqué de ce
matin.
Au sud-ouest de Vauquois, nous ayons pris pied dans
un ouvrage ennemi.
Notre succès du bois d'AilIy (sud-est de
Saint-Mihiel) a fait tomber entre nos mains des
prisonniers, une mitrailleuse et un lance-bombes.
Nous avons progressé au bois Brûlé (est du bois
d'Ailly).
Le terrain conquis par nous au nord-est de
Regniéville a été conservé.
Progrès à l'Est de Verdun
AU BOIS LE PRÊTRE ET EN ALSACE
Six bataillons allemands détruits
Paris, 7 avril, 0 h. 40.
Communiqué officiel du 6 avril, 23 heures :
Journée de pluie, marquée de progrès, appréciables
de notre part.
A l'est de Verdun, nous avons occupé les villages de
Gussain ville et les crêtes qui dominent le cours de
l'Orne.
Plus au sud, nous avons progressé dans la direction
de Maizeray.
Au bois d'Ailly et au bois Brûlé, nous avons
maintenu nos gains et conquis de nouvelles
tranchées.
Dans le bois Le-Prêtre, nous avons réalisé de
nouveaux progrès. Il résulte du témoignage de
prisonniers allemands, qu'au cours de nos rencontres
et de nos attaques dans la Woëvre méridionale six
bataillons allemands ont été successivement
détruits.
Au sud-est de Hartmansviler, nous avons enlevé un
piton qui servait de commandement au colonel qui
commandait la brigade allemande au cours du combat
du 26 mars. Nous avons progressé au delà du piton et
avons fait des prisonniers.
POUR LES FEMMES
victimes des violences allemandes.
Nancy, 7 avril.
Parmi les crimes sans nombre commis par la « bête
allemande », les plus odieux sont ceux dont femmes
et jeunes filles ont été victimes. Le gouvernement a
arrêté tout un ensemble de mesures destinées à
protéger ces pitoyables victimes devenues enceintes
des oeuvres de l'ennemi détesté.
Il est inutile de donner ici le détail de ces
dispositions. Qu'il me suffise de dire que tout a
été prévu pour que les couches de la mère et
l'abandon de l'enfant à l'Assistance publique loin
de notre département, soient entourés de la plus
absolue discrétion ; les frais de cette assistance
spéciale sont à la charge de l'Etat.
Aux médecins, aux sages-femmes, aux maires qui
connaîtront quelques cas de ce genre, aux
intéressées elles-mêmes, je donnerai ou de vive voix
ou par écrit tous renseignements utiles. Toute
communication écrite sur ce sujet devra m'être
adressée sous enveloppe portant la mention «
personnelle ». Je considérerai ces correspondance
comme ayant un caractère non point administratif,
mais strictement privé, et par conséquent
rigoureusement confidentielles. Ces malheureuses
femmes peuvent être assurées de trouver ici l'appui
discret et l'affectueuse pitié auxquels elles ont
droit.
L. MIRMAN,
Préfet de Meurthe-et-Moselle.
Nouvelles du Pays meusien
Beauzec. - De l'avis de tous ceux qui la connaissent
et ainsi que l'indique son nom, un des plus beaux
sites, de la Meuse, a terriblement souffert ; 80
maisons sur 120 ont été incendiées. L'église est
percée de part en part. Malgré de grosses brèches,
l'élégant clocher est reste debout au milieu du
désastre.
Senon. - Mme Motie, rapatriée à Alais, puis à Paris
(avec M. Didier Marcel, Zélie et Louise Muller,
Marcel Christophe, sa femme, et leur fils Charles)
écrit, se trouvant chez Otilia Casner, qui vient de
perdre son mari tué à Steinbach :
« Les Boches sont entrés à Senon, au matin du 25
août : ils ont mis le feu aux quatre coins du
village, 90 maisons réduites en cendres ; c'est le
chemin de Gouraincourt qui a le plus souffert. Il
reste le chalet Hohweiller, une partie du chemin de
Loison, les maisons de M. Didier, d'Auguste Nauroy,
du père Collin, une partie du chemin d'Eton, le côté
de M. Christophe, de M. Baltazard, la maison du
cousin Alphonse, et la vôtre (Aimé Gambette). Ces
monstres ont tout pillé, emmenant des voitures de
meubles à la gare de Baroncourt. Ils ont mis le feu
au clocher au moyen de fagots et de gerbes de blé
imbibés de pétrole. Nos belles cloches sont fondues,
l'église n'est pas trop détériorée. Le presbytère,
la maison et les écoles sont encore debout.
« Toujours rien de précis sur Billy. »
Montigny-devant-Dun. - Un habitant de cette commune
a fait le récit des combats qui y furent livrés les
30 et 31 août 1914.
Le 30, à 5 heures du matin, arrivent 5 uhlans
affamés ; ils se restaurent copieusement, puis
d'autres détachements ennemis arrivent. Ils
installent une cuisine roulante devant l'église. Le
calme règne jusqu'à 17 heures. A ce moment, deux
compagnies françaises viennent les surprendre.
Panique et fuite de l'ennemi, poursuivi par nos
troupes au nord et au nord-ouest du village. Pendant
ce temps, les Français mettent rapidement le village
en état de défense. Le même soir, plusieurs obus
boches incendiaires sont lancés sur le village. La
nuit arrête le combat.
Le 31, à l'aube, le bombardement reprend avec
intensité. 600 obus tombent sur un village de 300
habitants ; puis on se bat dans les rues : 25
soldats, 1 capitaine, 2 lieutenants français sont
tués en défendant une maison. Les officiers font le
coup de feu comme les soldats.
Cette fois, les Allemands entrent définitivement
dans Montigny et signalent leur entrée par leurs
procédés habituels ; les maisons épargnées par les
obus sont enfoncées à coups de crosse et incendiées
à la main. Une bonne douzaine de civils sont
fusillés a l'entrée du village, devant la maison H.
Herbinet, y compris les hommes, dont trois de
l'endroit. Je ne donne que les initiales pour
ménager l'émotion de leurs familles : R. J., A. G.,
S. E. ; P. H. a été tué d'un éclat d'obus ;
Billemont, Mme Pieg et d'autres, blessés, sont morts
dix jours après.
Herméville. - Ce village, qui appartient au canton
d'Etain, a été presque complètement évacué depuis le
24 août ; il a été bombardé une première fois en
septembre. Depuis le 13 décembre, il est bombardé
presque tous les jours. Parfois, une centaine d'obus
tombent sur lui en l'espace de vingt-quatre heures.
Aussi, les ruines sont-elles nombreuses. L'église,
fort endommagée, a perdu ses vitraux et sa toiture.
Le clocher a été abattu par ordre de l'autorité
militaire française les cloches sont tombées et
fêlées.
Un projectile teuton a fait voler la sacristie en
éclats.
Plusieurs maisons ont été complètement anéanties par
le feu ; d'autres ont péri victimes des obus,
principalement dans la rue de Grinaucourt. Partout,
les maisons encore debout sont gravement
endommagées.
Herméville n'a cependant pas vu les Allemands. Une
seule fois, le 29 septembre, une patrouille
allemande pénétra dans le village, s'empara de huit
vieillards, six hommes et deux femmes restés chez
eux, et s'en retourna avec eux. Depuis, on n'a
jamais eu aucune nouvelle de ces malheureux otages,
sans doute prisonniers quelque part en Allemagne.
Ville-en-Woëvre. - Evacué le 27 octobre, sur l'ordre
du gouverneur militaire de Verdun, Ville a subi
depuis ce jour de fréquents bombardements.
Les quelques personnes autorisées à y demeurer avec
le maire, affirment que plus de la moitié des
immeubles sont détruits, soit par le choc des obus,
soit par le ravage des incendies. Les maisons encore
debout sont plus ou moins endommagées, et c'est à
peine si, dans la quantité, on en trouverait une
seule qui n'ait subi aucune atteinte.
ATROCITÉ ALLEMANDES A LONGUYON
Un témoin rapporte qu'à leur arrivée à Longuyon, les
Allemands rassemblèrent un grand nombre d'habitants
dans la caserne des chasseurs à pied. Les 23, 24 et
25 août, 153 personnes, dont 12 enfants, furent
fusillées.
M. Brossier, chef de train, fut fusillé. Des soldats
lui ouvrirent ensuite le ventre sur l'ordre d'un
officier. Cet acte de sauvagerie fut commis en
présence de deux enfants qui furent ensuite mis à
mort.
Des blessés français réfugiés dans une ferme furent
mis en tas, recouverts de paille et brûlés par les
Allemands. Ceux-ci incendièrent également une petite
maison voisine de la ferme ; une vingtaine de
blessés français s'y trouvaient ; ils périrent dans
les flammes.
Tous ces actes d'atrocités ont été commis par des
soldats portant le n° 102 et le n° 112.
Un capitaine français blessé a été achevé par les
Allemands dans la maison où il s'était réfugié. La
maison a été ensuite brûlée.
Ce fait s'est produit le 25 août 1914.
NOTRE HEUREUSE OFFENSIVE
sur l'Yser, en Woëvre vers Verdun et Pont-à-Mousson
Paris, 7 avril, 15 h. 15.
Un détachement allemand, avec trois mitrailleuses,
avait réussi à passer sur la rive gauche de l'Yser,
au sud de Driegrachten. Il a été hier attaqué et
enlevé par les troupes belges.
A l'est de Verdun, une attaque dans la direction
d'Etain nous a rendus maîtres des cotes, 219 et 221
des fermes du Haut-Bois et de l'Hôpital.
Aux Eparges, nous avons gagné du terrain, maintenu
nos gains et fait une soixantaine de prisonniers,
dont trois officiers.
Dans le bois d'Ailly et le bois Brûlé, nous avons
repoussé toutes les contre-attaques et réalisé à
nouveau quelques progrès.
Il en a été de même au bois Le Prêtre.
Dans le Ban-de-Sapt, à La Fontenelle, nous avons
fait sauter à la mine un ouvrage ennemi.
LEURS ATTAQUES VAINES
entre Meuse et Moselle
Paris, 8 avril. 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 7 avril, 23 heures
Le temps continue à être très mauvais.
L'activité a été grande néanmoins entre la Meuse et
la Moselle, où nous avons maintenu tous nos gains et
réalisé de nouveaux progrès.
Près de Pareid, à l'est de Verdun, nous avons enlevé
deux lignes de tranchées.
Aux Eparges, nous avons fait, dans h nuit de mardi à
mercredi, un important bond en avant.
Toute la journée, les Allemands ont contre-attaqué
violemment, mais ils n'ont rien regagné. Leur
dernière attaque, d'une particulière violence, a été
fauchée par notre feu.
Il en a été de même au bois d'Ailly. Après plusieurs
contre-attaques, toutes repoussées, nous sommes
restés maîtres des positions conquises hier.
Nous avens fait, sur cette partie du front, de
nombreux prisonniers.
Parmi les prisonniers d'hier, dans la région de
Hartmansviler, figurent des hommes de la garde
amenés dans cette région par les Allemands, à la
suite de leur échec du 26 mars.
LES YEUX SOURIANTS
Nancy, 8 avril.
Aux époques troublées par les phénomènes naturels ou
par les événements issus de la volonté humaine,
cataclysmes, révolutions ou guerres, on voit surgir
parmi les peuples éprouvés un besoin de fraternité.
Il semble que, en face des bouleversements devant
lesquels l'individualisme se sent impuissant ou trop
faible, les hommes ont l'impression qu'ils doivent
rester unis pour lutter ensemble. Ils comprennent
alors qu'ils sont véritablement frères, et le mot de
fraternité, qui en temps normal paraît une
redondante parole de rhéteur, prend un sens d'une
profondeur infinie.
Ainsi contre le péril qui nous a menacés, nous avons
tout naturellement comme par un réflexe, scellé
l'union sacrée. Aujourd'hui paraîtrait criminel qui
tenterait de la rompre, et pire qu'un ennemi
déclaré.
Ce sentiment provient de l'instinct de conservation
adapté par les doctrines civilisatrices.
Le peuple a ce sûr instinct, et ne se pique pas de
considérations philosophiques. Lui qui peine dans
les ateliers ou sur la glèbe, et pour qui demain est
toujours un terrible problème est mieux préparé à la
fraternité. Il la pratique chaque jour, et n'a point
de peine à la réaliser lorsque passe le frisson de
la mort sur les sociétés à grand effort constituées.
Le politicien remonte plus difficilement le courant
qui l'entraînait aux petites inimitiés de clan.
L'oisif est obligé de renoncer à ses habitudes
d'égoïsme pour parvenir à un noble renoncement.
Tous cependant ont fait leur devoir, à quelque
classe qu'ils appartiennent,, de quelque douceur, de
quelque amertume que leur soit la vie. Il est donc
bien inutile de reprocher aux uns ou aux autres ce
qu'ils ont pensé ou fait avant la guerre.
« Par le temps qui court, écrivait Eugène Rambert en
1871, il faut faire du bien pour avoir le droit de
vivre. » Chacun en France faisant du bien à l'heure
présente, chacun a conquis le droit de vivre, et
même d'être honoré.
En même temps que se développe cet instinct de
fraternité naît le goût mystique de la
mortification. Chez les femmes surtout, plus
sensibles à la pitié, on aperçoit le regret de trop
de joie quand autour d'elles crient tant de
douleurs. Les femmes voudraient pleurer avec ceux
qui pleurent, souffrir avec ceux qui souffrent,
avoir faim, avoir soif, subir les angoisses des
périls mortels. Elles ne voudraient profiter
d'aucune des satisfactions que leur procure la
sécurité pour laquelle combattent nos troupiers.
Une des généreuses marraines qui ont tenu à honneur
d'adopter les soldats sans famille, et que je
rencontrai à « l'Ami Fritz », se désolait d'être
rencontrée au théâtre.
- Voyez, me disait-elle, j'ai honte d'être ici, à la
salle Poirel, pendant que nos glorieux combattants
sont dans les tranchées et dans la boue. Je me dis
bien que ma maigre obole apportera quelques douceurs
aux blessés. Mais j'entends aussi ma conscience qui
proclame que je ne devrais prendre aucun plaisir, et
que l'excuse des « blessés » n'est qu'une excuse
hypocrite ».
Eh ! non, Madame, il n'est pas juste de comprendre
ainsi la vie. Chacun de nos actes dirige les actes
communs et est dirigé par eux. Pour conserver la
confiance aux troupiers, il faut le sourire des
femmes. Il faut que nos camarades du front ne soient
pas torturés par le souci de savoir que la tristesse
est au foyer. Les soldats demandent toujours : « Que
pensent, que font les civils ? » Il est nécessaire
que le civil entretienne la flamme de vie que nos
ennemis essaient en vain d'éteindre.
Donnez-leur l'assurance que vous ne souffrez pas
trop, et vous aurez enlevé de leur coeur un poids
affreux. Il y a plus de noblesse dans la joie
opposée au malheur que dans le renoncement attristé.
Voulez-vous offrir à ceux qui sont là, et qui
reviennent du front, ou retourneront au feu demain,
des figures affligées ? Que diront-ils à leurs
frères? Que le pays s'abandonne ? Est-ce là ce que
vous souhaitez ? Non, n'est-ce pas ?
Aimez nos soldats de toute votre âme tendre de soeur,
donnez-leur tout ce qu'ils désirent. Mais avant
tout, pardessus tout, donnez-leur cette merveilleuse
douceur de vos yeux limpides et de votre sourire
confiant. Ils vous seront, j'en suis sûr, encore
plus reconnaissants de votre joyeux courage que de
tous vos petits paquets. La vertu de ce que l'on
envoie n'est pas dans la matière inerte, mais bien
dans la lettre qui l'accompagne, et dans la pensée
qui vous fait agir.
Les Allemands tirent grande gloire de l'activité
actuelle de leurs cités.
La gloire des Françaises aux yeux du monde sera
d'avoir gardé, pendant la guerre, dans le péril
commun, un visage calme et des; yeux souriants...
René MERCIER.
AU CONSEIL MUNICIPAL DE NANCY
Nancy, 8 avril.
Mardi matin, le conseil municipal de Nancy s'est
réuni a 9 heures et demie du matin, sous la
présidence de M. Simon, maire, assisté de ses
adjoints.
Le conseil a donné un avis favorable à une
délibération de la commission administrative du
bureau de bienfaisance tendrait à une majoration de
25 p. 100 des prix du tarif pharmaceutique, par
suite de la hausse persistante des produits et à une
délibération de la commission des hospices pour
l'acceptation d'un marché destiné à l'installation
de cuves à vin à l'hôpital civil et à l'hospice
Saint-Julien.
Divers marchés de fournitures destinées aux services
municipaux ont été adoptés.
Le budget des hospices
M. Vergne a donné lecture de son rapport sur le
budget des hospices pour l'année 1915, qui est le
même que pour 1914. Il se chiffre par un léger
excédent de recettes.
Dans un clair et consciencieux rapport, M. Vergne
constate que la commission a pu mettre constamment
1.850 lits à la disposition de l'autorité militaire
pour y soigner des blessés ; que la moyenne des
soldats hospitalisés a été de deux cents par jour
depuis le début de la guerre, et que les hospices
civils ont eu particulièrement à soigner les grands
blessés.
M. Vergne termine en demandant au conseil d'adresser
un témoignage de satisfaction à tout Le personnel
civil et religieux des hospices, ainsi qu'aux
médecins pour leur entier dévouement.
M. le Maire ajoute qu'à l'hôpital la proportion des
blessés a été double que dans les autres
établissements.
Le rapport de M. Viergne a été adopté.
Le conseil fixe ensuite à 684 fr. la pension de
retraite de Mme Vallet, veuve d'un ancien receveur
d'octroi, et à 250 fr. la pension de Mme Ochs, veuve
d'un ancien inspecteur du service des eaux.
Est adopté Le solde de compte pour le paiement de la
maison Grandjean, 13 rue, des Etats, destiné à
l'agrandissement des bains publics.
Adoptés une demande de dégrèvement pour un canal et
un rapport de M. Charly d'état de cotes
irrécouvrables.
M. Antoine donne lecture du règlement intérieur de
la caisse de chômage de la ville de Nancy qui est
adopté.
Les dommages de guerre
M. Simon a donné ensuite lecture du voeu suivant :
« Le conseil municipal de Nancy,
« Au nom des habitants de la ville qui du fait de la
guerre, ont subi de graves dommages matériels ;
« Uni dans un sentiment de profonde sympathie pour
les communes de la région lorraine si cruellement
éprouvée par les rigueurs de l'invasion ;
« Considérant qu'aux jours les plus critiques de la
guerre actuelle, la ville de Nancy s'est dépensée
sans compter, pour assurer un refuge aux habitants
des villes et des villages lorrains qui fuyaient
devant l'invasion ;
« Considérant qu'actuellement encore plus de dix
mille réfugiés sont hospitalisés à Nancy ; que, dès
lors, le conseil municipal peut faire siennes les
revendications des habitants des villes et communes
dévastées, aussi bien que celles des Nancéiens
victimes de la guerre ;
« Considérant qu'il serait profondément injuste de
laisser peser sur certaines régions de la France la
plus grande part des charges et risques de guerre,
tandis que d'autres pourraient s'en désintéresser
dans une certaine mesure et jouiraient ainsi d'une
situation privilégiée ;
« Considérant que, si le principe de la réparation
s'impose, il y a lieu d'envisager, comme conséquence
et au préalable, les conditions dans lesquelles
devront s'effectuer les réparations ;
« Faisant avec la plus grande confiance appel au
patriotisme de tous et aux sentiments de solidarité
nationale qui se sont affirmés avec tant de force
dans la France entière ;
Emet le voeu :
« Que les dommages matériels de toute nature causés
par la guerre, tant aux collectivités qu'aux
particuliers, soient à la charge de la nation qui en
assurera la réparation intégrale ;
« Qu'ne loi consacre formellement et à brève
échéance le principe de cette réparation ;
« Que l'Etat prenne, au plus tôt, toutes mesures
propres à rendre aux communes dévastées, leur vie,
leur physionomie et leur activité normales, et qu'il
se préoccupe, avant tout, d'assurer la
reconstruction et le repeuplement des villages
détruits ;
« Que la plupart de ces communes n'étant plus qu'un
monceau de ruines, il convient ou de mettre à
l'étude leur reconstruction suivant un plan
d'ensemble, qui, tout en respectant autant que
possible, la direction générale des rues et places
disparues et en conservant aux nouvelles habitations
le caractère bien spécial de la maison lorraine,
assure aux habitants des localités reconstruites des
voies plus larges et plus commodes, des conditions
d'hygiène meilleures ;
« Que cette reconstitution, étudiée et faite par les
soins de l'Etat, soit assimilés aux projets appelés
à bénéficier des dispositions de la loi du 3 mai
1841 ;
« Qu'en ce qui concerne l'évaluation des indemnités,
il soit institué des commissions cantonales
composées de notables de la région, ainsi que
d'agents des contributions directes, commissions
chargées d'évaluer l'importance des dommages subis
par chaque habitant, aussi bien pour, pertes
immobilières que pour celles mobilières ;
« Et qu'enfin pour parer à la dépopulation des
campagnes, l'indemnité en argent soit en principe
général et sauf circonstances exceptionnelles
réservée aux seuls dommages mobiliers, une maison
détruite devant être remplacée par une autre maison.
»
Adopté à l'unanimité.
Contre les Zeppelins
M. Simon donne lecture d'une lettre que lui a
adressée M. Mirman, préfet, demandant s'il n'y
aurait pas lieu d'informer la population de Nancy
lorsqu'un zeppelin est signalé se dirigeant vers la
ville.
Dans cette lettre. M. le Préfet constate que par
suite de la situation de Nancy près des lignes
allemandes, il ne croit pas utile de faire sonner le
tocsin, parce que, quand un dirigeable ennemi serait
signalé, celui-ci, à la vitesse de 80 kilomètres à
l'heure, serait au-dessus de la ville avant que la
population soit avertie.
De plus la sonnerie du tocsin guiderait sûrement
l'ennemi dans la nuit.
M. le Maire est d'avis qu'il n'y a pas lieu de faire
sonner le tocsin, car la population s'affolerait, ou
bien sortirait dans les rues au lieu de se mettre à
l'abri, comme on a pu le constater lorsqu'un
zeppelin fut signalé il y a quelques jours.
M. Simon ajoute que plusieurs fois des zeppelins ont
été signalés depuis le 26 décembre, mais qu'aucun
n'est venu jusqu'à Nancy. Le tocsin n'aurait donc
servi qu'à troubler inutilement le sommeil des
habitants.
M. Najean. - « Est-ce que nous avons toujours les
mêmes postes d'observation ? »
M. le Maire répond affirmativement.
M. Barthélémy. - « On entendra toujours le canon
lorsqu'il tirera sur les dirigeables ennemis. C'est
là le meilleur des avertisseurs. ».
Le conseil décide de rester dans le « statu quo »,
c'est-à-dire qu'aucune sonnerie ne préviendra les
habitants.
M. Simon, absent lors de la séance du 18 mars, donne
des explications à M. Michaut, sur des observations
que celui-ci avait présentées à l'occasion d'une
dépense inscrite au budget supplémentaire.
M. Michaut. se déclare satisfait des explications de
M. le maire et retire ses observations qui ne seront
pas inscrites au procès-verbal de la séance
L'alimentation de Nancy
M. Barthélémy déclare avoir constaté le manque de
poisson et de marée à la criée municipale, le jeudi
et le vendredi saints, ce qui fait que les
marchandises ont été vendues à des prix élevés.
M. Antoine, qui s'est chaîné de l'approvisionnement
de Nancy, répond que l'administration de la criée a
envoyé aux fournisseurs habituels plusieurs dépêches
avant la semaine sainte pour recevoir de la marée
Les expéditionnaires firent savoir que le lundi 29
mars, à Boulogne, - le lundi est le jour du grand
marché aux poissons - un seul bateau est entré dans
le port. La marée fut donc rare et les prix furent,
en conséquence, très élevés.
Il faut ajouter à cela un trouble dans la
circulation des chemins de fer, ce qui a fait que
les quelques caisses arrivées à la criée furent
vendues de suite aux détaillants.
L'accélération de la correspondance
M. Barthélémy demande si le conseil municipal ne
pourrait adopter un voeu tendant à faire accélérer le
service de la correspondance, car les lettres
séjournent, encore plusieurs jours à Nancy, ce qui
cause une certaine gêne dans les affaires.
M. Simon répond qu'à la suite d'une demande de la
Fédération des commerçants proposant de créer un
guichet spécial où les lettres commerciales seraient
déposées ouvertes pourraient être expédiées de suite
il en référa à l'autorité militaire. Celle-ci
répondit qu'il était matériellement impossible de
réduire le délai de quatre jours pendant lequel les
lettres doivent séjourner à Nancy avant d'être
expédiées.
Il n'y a donc rien à faire, dit M. le Maire, pour
accélérer la correspondance.
(à
suivre) |