La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915
La Grande Guerre
LA VIE EN LORRAINE
DECEMBRE 1914
L'Est Républicain NANCY
L'Allemand est toujours en Lorraine en cette fin
d'année. Les ruines fument encore, et déjà, -merveilleux signe d'énergie d'une race indomptable,
- on songe à la reconstruction des villages
bombardés, incendiés, détruits.
De toutes parts on demande la reprise du travail
dans la mesure où le permettent l'absence des hommes
valides et l'invasion.
Pendant ce temps les Taubes lancent des bombes un
peu partout. Le lendemain de Noël, un Zeppelin jette
dix-huit obus sur Nancy, tue un homme et une femme,
et détruit les vitraux de l'église Saint-Epvre.
Le gouvernement, revenu à Paris, lit, le 22
décembre, devant les Chambres une déclaration dans
laquelle il proclame la nécessité d'une politique de
combat sans merci jusqu'à la libération définitive
de l'Europe, et affirme la certitude de la victoire.
La France est plus que jamais résolue à mourir ou à
vaincre.
René MERCIER.
LA SITUATION DU
21 au 27 Novembre
UN RÉCONFORTANT TABLEAU
La situation du front ne s'est pas modifiée
sensiblement, entre le 21 et le 27 novembre inclus.
L'ennemi s'est usé en vaines attaques partielles.
Nous l'avons contre-attaqué, lui infligeant de
grosses pertes, et obtenant quelques gains.
De la mer à la Lys, notre situation matérielle et
morale est excellente.
Les gros efforts allemands ont porté sur la
destruction d'Ypres, pour laquelle, outre leurs
batteries, ils ont employé un train blindé sous la
direction d'un ballon captif.
De rares attaques de l'infanterie allemande ont été
menées par des unités très réduites, fortement
encadrées d'officiers.
Au contraire de la leur, notre infanterie est très
ardente, multiplie les exploits, accomplis soit en
détachement, soit individuellement.
La guerre de tranchées comporte, d'ailleurs; une
audace, un courage et un sang-froid qu'on ne
soupçonne pas.
Nos hommes ont transformé, du reste, leurs positions
en véritables forteresses.
Ils ont manifestement le goût du travail de défense.
Dans le secteur de l'Oise aux Vosges, contrairement
à leur communiqués, les Allemands n'ont montré guère
plus d'activité et ils n'ont obtenu aucun résultat.
Ils ne peuvent revendiquer légitimement que les
destructions systématiques de monuments sans
importance militaire, tandis que notre artillerie a
obtenu des succès substantiels en détruisant aux
Allemands des avions et des batteries, en fauchant
leurs attaques.
Pareillement, notre infanterie a montré dans cette
région les mêmes qualités que dans le nord.
En Haute-Alsace, dans les Vosges, l'ennemi ne quitte
plus ses tranchées devant nos Alpins, qui leur ont
pris toutes celles qui nous gênaient.
Là, comme dans la région de Saint-Mihiel, notre
artillerie lourde rend le ravitaillement ennemi
presque impossible.
L'USURE MORALE APRÈS L'USURE PHYSIQUE
Notre canon s'en charge pendant les accalmies
Bordeaux, 1er décembre, 15 h. 25.
En Belgique, canonnade assez vive pendant la journée
du 30 novembre. Aucune attaque de l'infanterie
allemande.
L'ennemi a continué à montrer une assez grande
activité au nord d'Arras.
Dans la région de l'Aisne, canonnade intermittente
sur tout le front.
En Argonne, les combats continuent sans modifier la
situation.
En Woëvre et dans. les. Vosges, rien à signaler.
LE GÉNÉRALISSIME A THANN
« Je vous apporte, dit-il, le baiser de la France »
Paris, 1err décembre, 18 h. 7.
Le « Bulletin des armées » raconte une récente
visite du général Joffre dans la région de Thann, où
il fut reçu par les notables alsaciens, qui assurent
l'administration municipale.
Le général leur dit :
« Notre retour est définitif. Vous êtes Français
pour toujours.
« La France vous apporte, avec les libertés qu'elle
représenta toujours, le respect de vos libertés
alsaciennes, de vos traditions, de vos convictions,
de vos moeurs.
« Je suis la France. Vous êtes l'Alsace. Je vous
apporte le baiser de la France. »
Ce fut alors une minute d'émotion poignante.
Les Alsaciens remercient d'une voix émue, disant : «
Vous pouvez compter sur nous. »
Le départ du général Joffre fut salué par les cris
des vieilles gens et des enfants accourus, cris de «
Vive la France ! Vive l'Alsace française ! »
LA GUERRE EN LORRAINE
Sur la Moselle et sur la Seille
UNE CONFÉRENCE MILITAIRE
A Sainte-Geneviève
Afin d'instruire le public de tout ce qui s'est fait
sur le front depuis l'ouverture des hostilités, le
gouvernement a résolu de former une sorte de
caravane, composée de journalistes qui a
successivement parcouru les régions où les forces
alliées sont aux prises avec l'armée allemande.
Après avoir visité les champs de bataille entre la
Somme et la Marne, cette mission guidée par
plusieurs officiers d'étatmajor, est arrivée
dimanche soir à Nancy.
Le programme de la journée comprenait, hier, une
excursion dans les ouvrages fortifiés qui soutinrent
victorieusement les assauts, les attaques et le
bombardement de l'ennemi.
A midi, huit automobiles quittaient Nancy, sous les
ordres du commandant T., juste au moment où l'on
signalait le vol de « Tauben », dont nos batteries
oevaient bientôt harceler la retraite sur Metz.
Le cortège s'éloignait dans la direction de
Sainte-Geneviève où une conférence sur le terrain
permit de noter les phases de la lutte ardente dont
la région mussipontaine fut le théâtre pendant la
deuxième quinzaine d'août.
M. le capitaine R..., qui représente au Palais-Bourbon
un département de l'Ouest, prit la parole et retraça
lumineusement les diverses phases de la bataille
livrée autour de Sainte-Geneviève.
Deux batteries d'artillerie étaient solidement
établies près du cimetière. Les Allemands
débouchèrent de la forêt de Facq en masses
compactes. Pas un coup de feu ne contraria ni
d'abord ne retint leur démonstration appuyée à
l'aile droite sur la Moselle et sur la gauche vers
le bois de Flamechamp. Leur artillerie soutint deux
attaques très violentes ayant pour but de conquérir
les crêtes de la cote 390 et de prendre à revers nos
positions.
Nous eûmes à déplorer dans cette double action huit
morts et six blessés.
Par contre, les Boches perdirent environ un millier
d'hommes et furent obligés d'évacuer en outre 800
blessés. La preuve que ar échec coûta cher aux
Boches réside dans cette constatation qu'au
cimetière d'Atton 603 sépultures allemandes
voisinent avec d'autres tombes conservant les restes
de 206 Allemands.
L'ennemi recourt à l'intervention de ses canons
abrités sur la rive gauche de la Moselle dans les
profondeurs du bois de Cuite ; mais cette artillerie
se trouve elle-même en présence d'un parti assez
puissamment installé pour lui opposer une résistance
efficace, de telle sorte que l'attaque des hauteurs
de Sainte-Geneviève se transforme en retraite par
suite de l'occupation du bois de Cuite, où les
Boches étaient exposés aux feux meurtriers de nos
troupes qui les prenaient de flanc et à revers.
La situation s'aggrave. Il faut céder le terrain.
Les Allemands s'y résignent. Ils se replient alors
sur les positions de seconde ligne qui dominent
l'étroite vallée de la Natagne et qui s'étendent de
la statue de la Vierge jusqu'au mont Toulon.
Ces mouvements durent une journée.
Ici l'officier d'état-major se livre à un
rapprochement entre les péripéties de ce f; combat
et l'une des phases importantes des batailles
engagées entre l'Oise et la Marne, dans la région de
Nanteuil-le-Haudouin.
- Les armées en présence, dit-il, eurent toutes deux
l'impression qu'elles se heurtaient à des forces
supérieures et qu'il valait mieux pour elles
attendre sur des emplacements nouveaux une occasion
plus favorable de reprendre énergiquement
l'offensive. Cette double erreur provoqua une
retraite simultanée en sens inverse des troupes
françaises et allemandes.»
L'ennemi renonce à son projet d'enlever par une
attaque de front les crêtes dont il espère se rendre
maître par une prudente conversion - et l'on vit ses
hommes s'égailler sur des pentes où ils ne tardèrent
point à se trouver aux prises avec des renforts
sérieux qui arrêtèrent l'action et infligèrent aux
Boches une terrible leçon.
On a vu précédemment quels furent les résultats de
ce combat : deux mille hommes tués ou blessés -
tandis que, de notre côté des pertes insignifiantes
nous valaient un sérieux avantage et le gain de
positions que nous n'avons cessé de fortifier.
Il convient de noter que nos troupes remportaient un
succès d'autant plus significatif qu'elles
opposaient simplement une partie du ...e d'infanterie
aux efforts opiniâtres d'une brigade fournie par la
garnison de Metz.
Au plateau d'Amance
C'est sur la plateau d'Amance que fut ensuite faite
une conférence sur la défense de Nancy et sur le
rôle exact joué du 26 août au 13 septembre par les
ouvrages du Grand-Couronné.
On a déjà écrit maintes études sur cette période
émouvante ; des témoignages ont été publiés ; des
récits plus ou moins précis ont accrédité dans
l'opinion des versions inexactes ou incomplètes ;
des correspondances étrangères ont présenté sous un
aspect brillant une page d'héroïsme dont
l'imagination pourrait s'abstenir d'accentuer le
relief.
Résumons la version officielle fournie hier aux
représentants de la presse, en nous fiant simplement
à la fidélité de notre mémoire et aux notes hâtives
prises au cours de la conférence.
Pour protéger notre frontière, au nord-est de Nancy,
il y avait trois divisions de réserve : la droite
s'appuyait sur Réméréville ; le centre allait de
Laneuvelotte à Erbéviller par Champenoux (village et
forêt) ; la gauchie s'infléchissait vers la Seille
en amont de Brin, passait par le Rond-des-Dames, la
ferme de Quercigny, pour tinir à La Rochette.
- Tout le plateau d'Amance est mis rapidement en
état de défense. Des batteries d'artillerie lourde
garnissent les tranchées. On attend de pied ferme
les attaques boches. Dès le 21 août, tout est prêt
pour soutenir le choc et pour endiguer une retraite
qui amène sur la Meurthe nos troupes éprouvées
devant Morhange. Des alternatives d'avance et de
recul marquent l'offensive de nos troupes qui se
heurtent constamment à l'offensive allemande sur la
lisière de la forêt de Champenoux, notamment aux
abords de La Bouzule.
Pendant huit jours, du 26 août au 3 septembre, des
masses énormes d'infanterie sont incessamment
précipitées contre nous.
Il ne s'agit plus d'attaques d'avant-postes.
Nous cédons légèrement vers Champenoux; nous
abandonnons la route de Château-Salins ; nous nous
réfugions sous la protection des canons d'Amance qui
couvre les fermes de la Fourrasse, de
Fleure-Fontaine et de Quercigny.
Les troupes qui ont pris une part superbe à toute
cette action étaient épuisées par tant d'efforts.
Elles avaient besoin de repos. On les transporte à
Seichamp et elles sont remplacées sur la ligne de
feu par des effectifs venus de Toul et qui, ayant
pris à leur tour position à l'orée des bois, se
proposent comme objectif la reprise du village de
Champenoux.
Les fermes de la Fourrasse et de Fleure-Fontaine sont
enlevées par les forces allemandes ; mais celles-ci
jouissent peu d'une victoire qu'elles ont pourtant
payée chèrement. Leurs attaques s'affaiblissent de
jour en jour ; elles deviennent rares ; un assaut
plus violent ordonné par le kaiser lui-même échoue
lamentablement et, le 12 septembre, les Français
parviennent enfin à réoccuper la première ligne sur
laquelle s'était dessinée notre offensive, après
avoir essuyé des pertes sensibles, mais qui sont
hors de proportions avec les pertes subies par
l'adversaire.
Le conférencier fait observer que, contrairement à
ce qui a été dit, le plateau d'Amance n'a jamais été
un seul instant au pouvoir de l'ennemi et nos pertes
sont dues uniquement à la pluie incessante des obus
de 210 que les batteries boches n'ont cessé de nous
envoyer pendant cinq longs jours, des points où
elles s'étaient solidement établies, depuis le
Romont et les fours à chaux de Brin jusqu'au
Bois-Morel.
En ce qui concerne l'action de notre artillerie
lourde, aussi bien sur le plateau d'Amance qu'à La
Rochette, elle a été à peu près insignifiante, car
nous n'avons jamais pu exactement repérer les
positions des pièces ennemies qui, par contre,
imposaient silence aux nôtres, dès que notre
artillerie lourde avait seulement tiré deux ou trois
fois, au début de cette période.
L'officier d'état-major qui retrace ainsi les
combats devant le Grand-Couronné, résume en ces
termes l'enseignement qui se dégage des mouvements
exécutés sur cette partie de la frontière :
- L'action comprend deux phases très distinctes,
dit-il, quoique simultanées et qui paraissent avoir
été sans liaison entre elles :
1° L'effort allemand tenté sur les deux rives de la
Moselle, avec l'appui des éléments débouchant à
droite des bois de Facq et de la Fourrasse, à gauche
des bois de Cuite, en vue de s'emparer des crêtes de
Sainte-Geneviève ;
2° La prise du secteur du plateau d'Amance qui se
caractérise par les combats livrés sur le front
Réméréville-Velaine, le Bois-Morel, Champenoux, le
Ronddes-Dames, l'étang de Brin et Quercigny.
Il n'y a eu, dans ces engagements, que des
formations de réserve où s'est manifestée avec un
remarquable éclat, l'énergie des chefs qui ont
ramené au combat des troupes dont l'éloge n'est plus
à faire.
Nous ne sommes pas autorisé à citer les régiments
dont l'héroïsme s'est particulièrement distingué et
qui ont souffert dans ces rudes journées ; mais nous
pouvons affirmer qu'en regard des hécatombes boches
nos rangs ont été relativement peu éprouvés.
On remarque en outre que, dans ces trois semaines de
luttes, nos positions n'ont jamais été l'objet d'une
attaque très vive de l'ennemi ; il y a eu toujours
offensive de part et d'autre.
Telles sont les conclusions auxquelles s'est arrêté
le conférencier militaire - ce pendant qu'au-dessus
du groupe attentif qui l'écoutait deux « Tauben »
évoluaient dans la limpidité d'un ciel
exceptionnellement pur.
ACHILLE LIEGEOIS.
AVIS A LA POPULATION DE NANCY
Le général commandant le 2e G. D. prévient qu'une
séance d'Instruction pour l'emploi des explosifs
aura lieu jeudi, 3 décembre, à 13 heures, au plateau
de Malzéville.
SORTIRAIENT-ILS DE LEURS REPAIRES?
Leurs tentatives leur valent la destruction de
quelques batteries et la perte de quelques
tranchées.
Paris, 2 décembre, 15 h. 30.
Dans la région au sud d'Ypres, à Saint-Eloi, une
attaque ennemie dirigée contre une tranchée conquise
par nos troupes, dans la journée, a été repoussée.
Notre artillerie a endommagé un groupe de trois
batteries de gros calibre.
A Vermelles, nous avons enlevé brillamment le
château et son parc ainsi que deux maisons du
village et des tranchées.
Canonnade assez vive aux abords de Fay, au sud-ouest
de Péronne.
Dans la région de Vandresse-Craonne, bombardement
violent auquel notre artillerie a riposté avec
succès, détruisant une batterie ennemie.
En Argonne, une attaque allemande, dirigée contre
Fontaine-Madame, a été refoulée et nous avons
réalisé quelques progrès. Nous avons enlevé une
tranchée dans le bois de Courtes-Chausses et un
petit ouvrage à Saint-Hubert.
Sur les Hauts-de-Meuse et en Woëvre, dans les
Vosges, rien à signaler.
Le Président de la République
EN MEURTHE-ET-MOSELLE
Nancy, 2 décembre 1914.
M. le Président de la République, accompagné de M.
A. Dubost, président du Sénat, de M. P. Deschanel,
président de la Chambre, de M. R. Viviani, président
du Conseil, et de plusieurs officiers d'état-major, a
visité, dans la soirée de samedi ef toute la journée
du dimanche, le département de Meurthe-et-Moselle.
Cette visite présidentielle étant destinée
spécialement aux armées, il avait été expressément
recommandé qu'elle ne fût pas annoncée et qu'elle
devrait se poursuivre sans aucune réception
officielle.
Le samedi soir, M. le Président de la République
arriva à Nancy, vers 6 heures, venant de Bar-le-Duc,
après avoir consacré l'après-midi à visiter divers
champs de bataille sous la conduite de M. le général
commandant l'armée. M. Raymond Poincaré descendit à
l'hôtel de la Préfecture ; il voulut bien convier à
dîner avec les personnages éminents qui
l'accompagnaient, M. le Préfet, sa famille et ses
collaborateurs. M. le Général commandant les troupes
du front, M. le Général commandant d'armes, M.
Simon, maire de Nancy, M. le recteur Adam, M. le
procureur général Célice, M. le conseiller général
Jambois, président du Comité de secours. M. le
Président de la République félicita tout
particulièrement M. le maire de Nancy pour l'esprit
d'initiative, l'effort d'organisation, le calme et
la confiance dont la municipalité de Nancy avait
donné tant de preuves aux heures les plus
difficiles.
Dimanche matin, le cortège présidentiel quitta la
Préfecture, à 8 heures et demie, et se rendit à
Crévic, où M. le Président de la République félicita
M. le maire Royer de son attitude si courageuse
pendant les dures épreuves subies par la commune ;
le cortège traversa ensuite Maixe, Réméréville,
Champenoux et put se rendre compte des pertes
matérielles que ces diverses communes eurent à
supporter du fait de la guerre ; le cortège visita
en détail le champ de bataille de Champenoux, il
poussa plus loin jusqu'aux avant-postes.
M. le Président de la République visita les
tranchées et put constater que, dans cet art nouveau
pour eux, nos soldats français étaient passés
maîtres ; il admira la belle tenue, l'endurance, la
vaillance, la bonne humeur de nos troupes et
s'entretint longuement avec les officiers.
Non loin d'une de ces lignes d'avant-postes se passa
une scène profondément, émouvante. Une section
présentait les armes, commandée par un sergent ayant
le bras en écharpe. M. le Général commandant l'armée
fit connaître à M. le Président de la République
l'action d'éclat pour laquelle le sergent Lavedan
avait mérité la médaille militaire : il y a quelques
jours, dans un engagement fort vif, le sergent reçut
au bras une blessure douloureuse ; il continua
l'attaque, attendit la première accalmie pour venir
se faire panser et, dès que son bras fut
sommairement bandé, tint à rejoindre immédiatement
sa section dont ce bel exemple de courage doubla la
force offensive. M. le Président de la République
attacha lui-même la médaille des braves sur la
capote du jeune sergent.
M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle ayant demandé au
sergent Lavedan l'adresse de sa famille, apprit que
le nouveau médaillé était instituteur public à Antin
(Hautes-Pyrénées), où sa femme était également
institutrice ; de retour à Nancy, il télégraphia à
Mme Lavedan un sommaire récit de cette cérémonie et,
en lui donnant de bonnes nouvelles de son mari, lui
dit combien elle pouvait concevoir de la conduite de
celui-ci une légitime fierté.
Immédiatement après le déjeuner offert par lui à la
Préfecture, M. le Président de la République se
rendit à Lunéville ; dans la salle d'honneur de la
mairie, M. le Préfet lui présenta M. le sous-préfet
Minier, M. le maire Keller, M. l'adjoint Brault. M.
Keller dit au Président combien il était touché de
sa visite et lui fit un rapide récit des épreuves
subies par Lunéville pendant l'occupation allemande.
M. Raymond Poincaré adressa à chacun de justes
éloges. En sortant de la mairie de Lunéville, comme
une heure auparavant en quittant la Préfecture de
Nancy, M. le Président de la République fut
chaleureusement acclamé par la foule accourue pour
le saluer dès que la nouvelle de sa présence se fût
répandue dans la ville.
Le cortège se dirigea alors vers Gerbéviller où M.
le Président et ses illustres compagnons de voyage
éprouvèrent une profonde émotion à contempler les
ruines accumulées par la rage des barbares. Après
avoir traversé à pied la malheureuse commune, M. le
Président se rendit à l'hôpital. M. le Préfet de
Meurthe-et-Moselle avait fait la veille au. premier
magistrat de la République et au chef du
gouvernement le récit de la magnifique conduite,
durant de longues et tragiques semaines, de la Soeur
Julie et de ses compagnes ; il leur avait dit
combien l'unanimité de l'opinion publique et des
élus du département serait reconnaissante au
Gouvernement de la République d'accorder à cette
vaillante femme une haute distinction ; il n'eut
point de peine à obtenir une décision favorable.
Aussi, dans la petite salle à manger de l'hôpital,
M. le président de la République, après quelques
paroles charmantes adressées à la Supérieure et à
ses courageuses collaboratrices, pria M. Richard,
directeur de la Sûreté générale, de lui prêter sa
croix et l'épingla sur la guimpe de Soeur Julie, à
qui chacun voulut avoir l'honneur de serrer la main.
Soeur Julie était bien embarrassée ; elle était
certes plus courageuse devant les Allemands,
lorsque, les manches retroussées et la cornette en
bataille, elle défendit contre eux son ambulance et
ses blessés ; elle était toute confuse et ne fit
point de longs discours ; je crois bien même qu'elle
perdit un bon moment l'usage de la parole ; elle
esquissa une série de petits saluts qui eurent pour
effet de mettre sa cornette de travers, mouvement
opportun dont profita M. le préfet pour embrasser
avec une respectueuse affection la nouvelle «
Chevalier de la Légion d'honneur » au nom de toutes
les familles de Meurthe-et-Moselle si
patriotiquement unies en ces heures douloureuses et
magnifiques d'épreuves et d'espérances nationales.
M. le Président de la République se rendit ensuite à
Toul, où il convia à dîner à la Sous-Préfecture, M.
le Gouverneur et M. le Sous-Préfet de Toul, MM.
Chapuis et Langenhagen, sénateurs, et M. Fringant,
député de Toul, tous trois mobilisés et actuellement
en résidence à Toul.
A 19 heures et demie, un train spécial ramenait à
Nancy M. le Président de la République, MM. les
Présidents du Sénat et de la Chambre et M. le
Président du Conseil ainsi que les hauts
fonctionnaires et les officiers qui
l'accompagnaient.
M. le Président de la République, avant que le train
s'ébranlât, voulut bien charger M. le préfet de
Meurthe-et-Moselle de présenter aux diverses
organisations hospitalières les très vifs regrets
qu'il ressentait de n'avoir pu visiter les blessés
et les malades militaires ; il comptait faire cette
visite le samedi après midi, mais la visite des
champs de bataille et des troupes sur le front
s'étant prolongée au delà des prévisions, il
n'arriva à Nancy qu'à la fin du jour, trop tard pour
entreprendre une visite dans les hôpitaux, à l'heure
où blessés et malades commencent à se reposer ; et
le programme du dimanche était trop chargé pour
qu'il fût matériellement possible d'y faire quelques
adjonctions.
M. le Président confia aussi à M. L. Mirman le soin
de faire connaître aux populations de ce département
éprouvé l'impression à la fois douloureuse et forte
qu'il emportait de son rapide voyage, douloureuse
par le spectacle de tant de ruines matérielles,
forte par le spectacle de tant de fermeté,
d'inébranlable et juste confiance, par le spectacle
d'un si bel élan national que lui offrirent à la
fois et nos admirables troupes sur le front de
combat et nos vaillantes populations lorraines.
(Communiqué de la Préfecture).
Au sujet de la visite du président, on nous raconte
l'anecdote que voici :
Une section de territoriaux a eu hier, 28 novembre,
le grand honneur de saluer sur les tranchées M. le
Président de la République, escorté d'une vingtaine
de personnes, - généraux et civils.
Arrivé avec sa suite au centre des ouvrages, il a
demandé de faire occuper les tranchées et abris. La
manoeuvre a été rapide et très bien exécutée. Le
fonctionnement des abris casquettes a été parfait et
a semblé fort l'intéresser. Plusieurs fois, la
manoeuvre et les feux ont été commandés.
Il a demandé à M. Gautherot :
- Quel est l'esprit de ces hommes, capitaine ?
- Monsieur le Président, ce sont tous des Lorrains,
arrondissements de Lunéville, de Raon, de
Rambervillers, qui ont foi dans la destinée de la
France ; presque tous ont leur famille dispersée,
leur foyer détruit. C'est vous dire l'esprit qui les
anime.
- Les braves gens ! Vous les féliciterez.
A ce moment, on entend des coups de canon dans la
direction de Pont-à-Mousson.
- Capitaine et maire de Pont-à-Mousson. on bombarde
encore votre ville si Industrielle !
- Oui, peut-être bien. Nous en avons l'habitude.
C'est alors le vingt-cinquième bombardement que
Pont-à-Mousson éprouve.
La nuit arrive. Le cortège se dirige vers les autos.
En repassant devant le front de la section qui rend
les honneurs, M. le Président de la République se
découvre très bas et dit à très haute voix :
- Braves gens, je vous félicite. Courage, mes amis.
L'ACTIVITÉ S'ACCENTUE
EN ALSACE
nous avons enlevé Aspach
Paris, 3 décembre, 0 h. 45.
Communiqué officiel du 2 décembre, 23 heures :
En Belgique, violent bombardement de Lampermisse, à
l'ouest de Dixmude.
En Argonne, l'ennemi a fait sauter à la mine le
saillant nord-ouest du bois de La Grurie.
Dans l'ensemble, nous affirmons et développons nos
progrès sur cette partie du front.
En Alsace, nos troupes ont enlevé Aspach-le-Haut et
Aspach, au sud-est de Thann.
Sur le reste du front, rien à signaler,
Aspach-le-Haut est une commune du canton de Thann,
710 habitants.
Aspach-le-Bas, canton de Cernay, 617 habitants,
possédant des forges.
LE CHASSEUR ET LES CUISINIERS
Nancy, 3 décembre.
Il est toujours agréable de constater qu'un ennemi,
tout d'abord hautain et méprisant, devient, par un
retour subit, respectueux. Et nous avons le droit
aujourd'hui d'être aussi fiers en écoutant le
kronprinz qu'en regardant la Colonne.
Les sentiments que vient de confier le fils du
kaiser à un journaliste lui sont-ils imposés par le
seul aspect de notre résistance ? Ou bien ce faux
jeune homme qui a déjà par cette guerre saboté la
meilleure partie de son héritage, désire-t-il sauver
ce qui reste, et préparer l'opinion française à
l'indulgence ? Ou bien encore, conformément aux
principes de la fourberie allemande, croit-il qu'en
nous passant la main dans le dos il nous fera
oublier ce que nous devons à nos alliés et ce que
nous devons aux Allemands ?
Non, non, le compte est bien établi. Là l'honneur,
la loyauté. Ici l'improbité, : le vol, le pillage,
l'incendie, le massacre, la destruction. Nous ne
changerons pas de créanciers, ni de débiteurs, de
quelque miel que soit poissée la langue du
kronprinz.
Aurions-nous une tendance à oublier ce qu'a fait en
France et en Belgique l'armée allemande que les
grands penseurs allemands se chargeraient de nous
rappeler violemment à la réalité en nous exposant
leurs desseins.
M. Wilhelm Ostwald, l'illustre professeur de chimie
de Leipzig, et l'un des maîtres de la philosophie
allemande, explique que la victoire allemande n'est,
pas douteuse, qu'elle résulte de la supériorité et
de la technique allemandes, qu'elle se produira pour
les mêmes motifs que celle des hommes sur les
animaux, quels que puissent être le nombre, la
vigueur et la férocité de ces derniers.
M. Ostwald veut faire de nous quand nous serons
abattus des peuples qui travaillent en Confédération
allemande sous l'hégémonie allemande, protégés, - et
menacés, - par la seule armée qui reste, l'armée
allemande. Voici d'ailleurs l'organisation que rêve
le célèbre chimiste :
Quand nous aurons obtenu la victoire, écrit M.
Ostwald, dans le « Momstiche Jahrhundert », quand
nous aurons clairement prouvé à nos adversaires,
tant à Paris, à Pétersbourg qu'à Londres,
l'inutilité d'une plus longue résistance, que
restera-t-il à faire ? Le but de toute guerre est la
paix. Le nouvel établissement de l'Europe sous
l'hégémonie allemande devra être basé
essentiellement et sans réserve sur lei travail, sur
un travail organisé, c'est-à-dire qu'à chacun devra
échoir la part de travail qu'il est le mieux à même
d'accomplir. Mais il faut que le travail puisse être
exécuté en sécurité, sans que des catastrophes comme
celle que nous vivons en ce moment viennent le
mettre à néant. Tout comme les branches de la
famille allemande qui, en 1866, étaient dressées les
unes contre les autres en une lutte fratricide, ont
su réaliser quatre ans plus tard une unité (une
unité qui aujourd'hui s'affirme plus puissante que
les autres groupements politiques de l'Europe), il
faut que la lutte actuelle, où se trouve engagée
l'Europe presque entière, aboutisse à un état de
choses dans lequel les différentes parties de la
population européenne aujourd'hui ennemies
travaillent ensemble avec la certitude que de telles
luttes ne pourront plus renaître. Si les divers pays
de l'Europe ne pouvaient être amenés à cette
conception de la paix par la voie du consentement
volontaire, l'Allemagne, après cette guerre
victorieuse, sera de taille à les y contraindre par
la force.
En premier lieu, il s'agira d'empêcher l'Angleterre,
le plus grand ennemi de la paix en Europe, de nuire,
et cela de façon durable, en mettant fin une bonne
fois à sa suprématie jusqu'ici incontestée sur les
mers. Le fondement de sa puissance, savoir sa flotte
militaire, devra être supprimée ou réduite à un
minimum qui écarte tout danger futur. Quant aux
armées de terre, nous lui serons alors, à elle et à
tous nos autres voisins, tellement supérieurs que,
pour longtemps, tous renonceront vraisemblablement
tout à fait à entretenir une armée pour leur compte,
et s'en remettront à nous du soin de les protéger du
côté de l'Orient.
Evidemment on peut être un grand savant et raisonner
comme un fou furieux sur certaines choses.
Mais M. Ostwald n'est pas seul. M. Ernest Hoeckel,
dont la réputation égale celle de M. Ostwald,
numérote les fruits de la victoire, et nous félicite
déjà d'être sur le point de devenir Allemands.
D'après ma conviction personnelle, écrit-il, les
fruits de la victoire les plus désirables pour
l'avenir de l'Allemagne et en même temps pour
l'Europe continentale fédérée sont :
1. Ecrasement de la tyrannie anglaise.
2. Pour cela l'invasion de l'Etat britannique des
écumeurs de mer est nécessaire. Occupation de
Londres.
3. Partage de la Belgique : la plus grande partie,
occidentale, jusqu'à Ostende-Anvers, Etat confédéré
allemand, - la partie nord-est à attribuer à la
Hollande ; - la partie sud-est, au Luxembourg,
agrandi, légalement Etat confédéré allemand.
4. L'Allemagne reçoit une grande partie des colonies
britanniques, ainsi que l'Etat du Congo.
5. La France cède à l'Allemagne une partie des
provinces frontière du nord-est.
6. La Russie est rendue impuissante par la
reconstitution d'un royaume de Pologne soudé à
l'Autriche-Hongrie.
7. Les provinces allemandes de la mer Baltique font
retour à l'empire allemand.
8. La Finlande devient un royaume indépendant, uni à
la Suède.
M. Emile Fedden, de Brème, le Dr H. Koerber, le
professeur Peust, de Dossau, tous préparent à peu
près la même cuisine. Et pendant que ces braves gens
remuent scientifiquement la sauce à laquelle ils ont
l'intention de nous manger, le kronprinz, voyant que
le gibier ne se laisse pas faire, lui tend des
pièges en douceur.
Mais le gibier décidément ne veut pas sauter dans la
casserole.
Quelle malchance pour le chasseur ! Quel amer
désappointement pour les savants cuisiniers
d'Allemagne !
RENÉ MERCIER
SIMPLES COUPS DE SONDE
LEUR ARTILLERIE
semble chercher un point faible
Paris, 3 décembre, 15 h. 23.
En Belgique, canonnade assez vive contre Nieuport et
au sud d'Ypres. L'inondation s'étend au sud de
Dixmude.
De la Lys à la Somme, violent bombardement
d'Aix-Noulette, à l'ouest de Lens.
Calme sur tout le front, de la Somme à l'Aisne et en
Champagne.
Dans l'Argonne, plusieurs attaques ennemies ont été
repoussées. Nous avons progressé légèrement.
En Woëvre, l'artillerie allemande a montré une
certaine activité, mais les résultats ont été
insignifiants.
En Lorraine et en Vosges, rien d'important.
L'HONNEUR APRÈS LE DANGER
M. Mirman, M. Grillon
la soeur Marie Rosnet
Paris, 4 décembre 1 h. 40.
L'Officiel publie les citations suivantes :
M. Mirman, préfet de Meurthe-et-Moselle, n'a pas
cessé de prêter à l'armée son concours le plus
éclairé. Il a organisé, souvent au péril de sa vie,
l'assistance et le ravitaillement des populations
ruinées par la guerre.
Son ascendant et la hauteur de son caractère
préservèrent Nancy et le département des exodes qui,
ailleurs, s'ajoutèrent aux désastres de la guerre.
M. Grillon, sous-préfet de Verdun, a pris les
mesures les plus énergiques, les plus utiles pour
rassurer les populations de son arrondissement et
venir en aide aux habitants des villages ruinés par
le feu ennemi et le pillage.
Mme Marie Rosnet, soeur de l'ordre de Saint-Vincent
de Paul, supérieure de l'hospice de
Clermont-en-Argonne, demeurée seule dans la commune,
a fait preuve pendant l'occupation d'une énergie,
d'un sang-froid au-dessus de tout éloge.
Ayant reçu de l'ennemi la promesse qu'il
respecterait la ville en échange des soins donnés
par les soeurs à ses blessés, a protesté auprès du
commandant allemand contre l'incendie de la ville,
faisant observer que la parole d'un officier
allemand ne vaut pas celle d'un officier français.
Elle obtint ainsi l'envoi d'une compagnie de sapeurs
qui combattit le feu.
Elle a prodigué aux blessés, tant allemands que
français, les soins les plus dévoués.
NOS PROGRÈS EN
LORRAINE et en ALSACE
Paris, 4 décembre, 1 h. 50.
Communiqué officiel du 3 décembre, 23 heures :
Les seules nouvelles intéressantes se rapportent à
notre aile droite et à la journée du 2 décembre.
Sur la rive droite de la Moselle nous avons occupé
Isménil et le signal de Xon.
Dans les Vosges, nos troupes ont enlevé la
Tête-de-Faux, au sud du village de Bonhomme, qui
domine la crête frontière, et qui servait
d'observatoire aux Allemands.
En Alsace, la station de Burnhaupt a été occupée par
nos troupes, et nous nous installons sur la ligne
Aspach-Pont d'Aspach-Burnhaupt.
(Isménil doit être le nom mal orthographié par le
télégraphe, de Lesménil, à côté duquel se trouve le
signal de Xon, au nord-est de Pont-à-Mousson, vers
la frontière.
Burnhaupt et Aspach appartiennent au canton de
Cernay, en Alsace.)
QUATRE MOIS DE GUERRE
UN RÉCIT
du « Bulletin des Armées »
Paris, 4 décembre, 17 h. 40.
BORDEAUX. - Sous ce titre : « Quatre mois de guerre
», le Bulletin des Armées publie un rapport sur
l'ensemble des opérations de guerre, du 2 août au 2
décembre :
Le rêve allemand déçu
Après avoir constaté que l'Allemagne fut déçue dans
son espoir de nous terrasser en trois semaines, le
rapport constate que les forces mobilisées à la
frontière Ouest de l'empire représentent 52 corps
d'armée, auxquels il faut ajouter 10 divisions de
cavalerie.
Nancy inviolable
Tout en gardant l'espoir d'un coup heureux sur
Nancy, l'Allemagne n'ose pas le risquer, en présence
de la solidité de notre couverture, renforcée à la
fin de 1913.
Le théâtre de la grande partie
Notre concentration s'achève librement. Elle devait
être assez souple pour nous permettre de porter
notre principal effort sur le terrain où l'ennemi
montrerait le plus d'activité.
La violation de la neutralité belge démontre que
c'est au Nord que se jouera la, grande partie.
Nous ne pouvons l'engager avant l'entrée en ligne de
l'armée anglaise.
Nous cherchons donc à retenir, en Alsace-Lorraine,
le plus possible de corps allemands.
De la retraite de Belgique à la victoire de la Marne
Le rapport résume ici les opérations en
Alsace-Lorraine.
Des événements malheureux en Lorraine et en Belgique
nous obligent à restreindre l'intensité de notre
effort en Alsace.
Liège s'étant rendue, les Allemands cherchaient à
s'avancer entre Givet et Bruxelles, et à prolonger
leur mouvement à l'Ouest.
Les Anglais n'étant pas prêts, nous prîmes
l'offensive dans le Luxembourg belge. Elle fut
enrayée avec de grosses pertes pour nous.
Le 26 août, notre situation est la suivante : ou
combattre sur place, dans des conditions
périlleuses, ou reculer sur tout le front, jusqu'à
la possibilité d'une reprise de l'offensive.
Le généralissime s'arrête au second parti.
Nous reculons donc, en ordre, attaquant l'ennemi
pour l'affaiblir et le retarder.
Nos attaques de Saint-Germain et de Guise, le 29
août ; celles du 27 et du 28 août devant Nancy et
dans les Vosges vont rendre possible l'offensive que
nous préparons, en constituant une nouvelle armée
sous le commandement du général Maunoury.
Mais l'ennemi progresse si rapidement que le général
Joffre prescrit de reculer jusqu'à l'Aube, au besoin
jusqu'à la Seine.
L'heure est venue de se faire tuer plutôt que de
reculer
Le 5 septembre, les conditions recherchées par le
généralissime sont remplies.
Il ordonne une offensive générale, disant que
l'heure est venue d'avancer, « coûte que coûte, et
de se faire tuer plutôt que de reculer ».
Dès le 8 septembre, l'attaque Maunoury contre la
droite de l'ennemi produit son effet.
L'ennemi exécute une conversion face à l'ouest,
présentant son point faible à l'armée anglaise qui
passe la Marne le 9 septembre, prend de flanc
l'armée allemande, aux prises, depuis le 6
septembre, avec l'armée Maunoury.
De son côté, l'armée d'Espérey passe également la
rivière et repousse les forces allemandes. Elle
appuie, à gauche, l'armée anglaise, à droite l'armée
Foch.
C'est sur cette armée que les Allemands vont
chercher la revanche de l'échec de leur droite, du 6
au 9 au soir.
Sa gauche prend, vers La Fère-Champenoise, de flanc
la garde prussienne et les corps saxons.
Cette manoeuvre audacieuse décide du succès.
Les Allemands se retirent précipitamment. Le 11
septembre le général Foch entre à Châlons-sur-Marne.
A droite, l'armée de Langle de Cary avance, tandis
que celle du général Ruffey se redresse vers le
nord, précipitant la retraite des Allemands
qu'accélèrent les opérations d'offensives des armées
de Castelnau et Dubail vers l'Est.
Nous avions repris l'avantage, nous le conservâmes
depuis.
Dès le 18 septembre, la résistance allemande
entravant notre poursuite, une nouvelle bataille
commençait.
La course à la mer
L'état-major allemand garde l'espoir de tourner
notre gauche. Comme nous formons celui de déborder
sa droite, il en résulte une lotte de vitesse, une
véritable course à la mer.
Les Allemands ont sur nous l'avantage de former un
concentrique, leur front abrégeant leurs transports.
Cependant, le mouvement de leur droite échoue. La
victoire de la Marne est confirmée vers le 20
septembre.
De Castelnau forme une nouvelle armée, à gauche de
celle de Maunoury. Il s'établit fortement dans la
région de Lassigny-Roye-Péronne, appuyé, à droite,
par les divisions territoriales du général Brugère.
Ce n'est pas encore assez pour atteindre notre but.
Le 30 septembre, l'armée de Maud'huy entre en ligne.
Elle occupe la région Arras-Lens, prolongeant vers
le nord, pour donner la main aux divisions sorties
de Dunkerque.
Mais en présence de l'effort ennemi, ce n'est encore
là qu'un cordon de troupes trop mince, trop tendu.
Sur la demande du général French, on décide le
transport de l'armée anglaise de la région de
l'Aisne à la région de la Lys.
L'armée belge, sortie d'Anvers, couverte par les
marins anglais et français, vient renforcer dans la
région de l'Yser la barrière qu'il faut créer et
maintenir.
La bataille des Flandres
Les Anglais ne pouvant entrer en action que le 20
octobre, l'armée belge, manquant de munitions, le
généralissime prescrit un nouvel effort.
Le 14 octobre, il charge le général Foch d'aller
coordonner les opérations des armées du Nord.
Le 18 octobre, il met à sa disposition de nouveaux
renforts, lesquels s'accroissent jusqu'au 12
novembre et constituent l'armée française de
Belgique, sous le commandement du général Durbar, et
opèrent de concert avec les Belges et les corps
anglais, entre la mer et la Lys, contre douze corps
d'armée allemands, plus quatre corps de cavalerie.
Le kaiser est là. - Ses excitations sont vaines. -
On ne passe pas
L'empereur est présent. Ses proclamations rappellent
aux troupes allemandes qu'il s'agit de frapper le
coup décisif, soit passer, en longeant la mer pour
atteindre Dunkerque, Calais ou Boulogne, soit percer
vers Ypres et proclamer l'annexion de la Belgique.
Pour réussir, l'état-major allemand procède, durant
trois semaines, à des attaques répétées et
furieuses, en masses profondes.
Dès le 12 novembre, on peut établir le bilan de ces
assauts. C'est pour nous la victoire.
En trois semaines, nous n'avons pas cédé un pouce de
terrain et nous sommes installés d'une façon
inexpugnable.
120,000 Allemands paient leur défaite d'Ypres
Dans la seconde quinzaine de novembre, l'action
allemande est brisée. Elle se ralentit. Son
artillerie même montre de moins en moins d'activité.
La bataille d'pres coûte 120.000 hommes à l'ennemi.
Jamais offensive plus soigneusement préparée, plus
furieusement menée, ne subit un échec plus complet.
Guerre de siège sur le reste du front
Pendant cette grande bataille, la guerre continue
sur tout le front, prenant le caractère d'une guerre
de siège, de tranchée à tranchée.
En liaison directe avec celles du Nord, les armées
de Maud'huy et de Castelnau tiennent, sans aucun
fléchissement, de la mi-octobre à la fin novembre,
sur le front de la Lys à Noyon. Depuis la fin
octobre, elles progressent continuellement entre
l'Oise et l'Argonne.
Les armées Maunoury, Franchet d'Espérey et de Langle
de Cary trouvent devant elles des positions très
fortes.
Le 26 septembre, elles repoussent, à l'est de Reims,
une attaque générale rudement conduite.
L'empereur assiste à cet échec, comme il assista,
huit jours plus tard, à celui d'Ypres.
De notre côté, à une offensive violente, nous
substituâmes des opérations de moindre envergure,
nous permettant souvent de gagner du terrain.
De l'Argonne aux Vosges, même situation.
Gardons une foi absolue dans la victoire
Le rapport conclut, précisant la situation de nos
armées au début de décembre :
Nos forces sont égales à ce qu'elles étaient au
début. La qualité de nos troupes s'est améliorée
infiniment.
Tous nos soldats sont profondément imbus de leur
supériorité. Ils ont une foi absolue dans la
victoire.
Le commandement, renouvelé par des sanctions
nécessaires, n'a commis, durant les trois derniers
mois, aucune des erreurs constatées, et frappées, en
août.
L'approvisionnement en munitions d'artillerie a
largement augmenté. L'artillerie lourde, qui nous
manquait, a été constituée et jugée à l'oeuvre.
L'armée anglaise a reçu, en décembre, de très
nombreux renforts. Les divisions des Indes ont
achevé leur apprentissage de la guerre européenne.
L'armée belge, reconstituée, comprend dix divisions.
Les gros échecs allemands
Le plan allemand a enregistré des échecs d'une haute
portée. Ce sont les suivants :
Attaques brusquées par Nancy ;
Marche rapide sur Paris ;
Enveloppement de notre gauche en août ; même
enveloppement en novembre ;
Percée de notre centre en septembre ;
Attaque par la côte Dunkerque-Calais ;
Attaque d'Ypres.
Leur retraite est fatale et prochaine
Dans des efforts stériles, l'Allemagne a épuisé ses
réserves.
Les troupes qu'elle forme aujourd'hui sont mal
encadrées, mal instruites.
De plus en plus, la Russie affirme sa supériorité.
L'arrêt des armées allemandes est donc fatalement
condamné à se changer en retraite.
Laissons à la presse européenne le soin de commenter
et de juger l'oeuvre des quatre derniers mois.
SERVICE DES TRAINS
de Nancy à Lunéville
Depuis le jeudi 3 décembre, le service des trains
est assuré entre Nancy et Lunéville :
Voyageurs et bagages, à la gare de Viller.
Marchandises à petite vitesse, à la gare de
Chaufontaine.
Les tarifs seront appliqués de ou pour Lunéville.
Les billets seront délivrés et les bagages (30 kilos
par voyageur) seront enregistrés au pont de Viller.
Un avis ultérieur indiquera la date de mise en
service des deux gares de Viller et de Chaufontaine.
HORAIRE DES TRAINS
Nancy, départ. 4 h. 41 10 h. 41 16 h. 21
Pt de Viller, arr. 5 h. 50 11 h. 50 17 h. 30
Pt de Viller, dép.. 7 h. 17 13 h. 17 18 h. 17
Nancy, arrivée. 8 h. 21 14 h. 21 19 h. 21
LE DEPART DE LA CLASSE 1915
Les opérations des conseils de révision pour la
classe de 1915, qui se poursuivaient sur les
différents points du territoire depuis le 7 octobre
dernier sont terminées depuis le 1er décembre. Grâce
à l'empressement mis partout par les jeunes gens à
se faire inscrire, puis à se présenter, l'effectif
se trouvera sensiblement égal à celui de la classe
précédente.
Beaucoup des conscrits de la classe de 1915
s'étaient entraînés à la marche et à la gymnastique
depuis le jour de la mobilisation. Aussi les membres
des conseils de revision ont-ils eu l'agréable
surprise de constater qu'au point de vue de
l'aptitude physique ils ne le cédaient en rien à
leurs camarades de 1914 qui, pourtant, comptaient un
an de plus.
La mise en route du contingent sera, d'ailleurs,
effectuée très rapidement, de façon à être terminée
vers le 20 décembre.
FORMATION DE LA CLASSE 1916
Paris, 4 décembre, 14 h. 50.
BORDEAUX. - Le Journal officiel publie un décret
prescrivant que les tableaux de recensement de la
classe 1916 seront dressés et affichés dans chaque
commune, au plus tard le troisième dimanche de
décembre 1914.
Contrairement à l'habitude, il ne sera pas constitué
de commissions de réforme, ni de commissions
médicales militaires pour la révision de la classe
1916.
NOS PROGRÈS EN ALSACE
Paris, 5 décembre, 0 h. 30.
Communiqué officiel du 4 décembre, 23 heures :
Sur l'ensemble du front, aucun incident notable.
Notre aile droite progresse dans la direction
d'Altkirch.
On rend compte que, le 2 décembre, nous avons fait
991 prisonniers dans la seule région du Nord.
Quelques offensives de l'ennemi repoussées dans le
Nord et dans l'Argonne
Bordeaux, 5 décembre, 15 h. 30.
En Belgique, canonnade intermittente, assez vive
entre la voie ferrée, Ypres, Roulers et la route de
Becelaere à Paschendaele, où l'infanterie ennemie a
essayé, sans aucun succès, de gagner du terrain.
A Vermelles, nous continuons l'organisation des
positions conquises.
De la Somme à l'Argonne, calme sûr tout le front.
En Argonne, plusieurs attaques de l'infanterie
allemande ont étè repoussées par nos troupes,
notamment à la corne nord-ouest du bois de la Grurie.
Quelques canonnades en Woëvre et en Lorraine.
En Alsace rien à signaler.
Nous leur enlevons leurs tranchées
DANS LE NORD ET EN ARGONNE
Ils s'acharnent sur Reims
Bordeaux, 5 décembre, 15 h. 46.
Au nord de la Lys, nous avons réalisé de sensibles
progrès. Notre infanterie, attaquant au point du
jour, a enlevé, d'un seul bond, deux lignes de
tranchées ; le gain a été de 500 mètres.
En avant de Poësel, à mi-distance entre Dixmude et
Ypres, nous avons pris, sur la rive droite du canal,
une maison de passeur vivement disputée depuis un
mois.
L'ennemi a tenté, sans succès, de nous obliger, par
une attaque violente d'artillerie lourde, à évacuer
le terrain conquis.
Dans la région d'Arras et en Champagne, canonnades
intermittentes de part et d'autre.
Reims a été bombardée avec une intensité
particulière. De notre côté, nous avons détruit,
avec notre artillerie lourde, plusieurs ouvrages en
terre.
En Argonne, la lutte est toujours très chaude. Nous
avons enlevé plusieurs tranchées et repoussé toutes
les contre-attaques.
En Lorraine et en Alsace, rien d'important à
signaler.
Paris, 6 décembre, 0 h. 53.
Communiqué officiel du 5 décembre, 23 heures :
En Belgique, même activité que la veille.
Nous avons consolidé notre situation dans le Nord.
La maison du passeur a été enlevée dans la journée
du 4 décembre.
Sur le reste du front, rien d'important à signaler.
LA GUERRE A LA FRONTIÈRE DE L'EST
De Nancy aux Vosges
Paris, 5 décembre, 17 h. 08.
Un correspondant de l'agence Havas, qui a parcouru
la Lorraine et les Vosges, raconte les opérations à
la frontière de l'Est, depuis le début de la guerre.
Après Morhange et Sarrebourg
Il montre comment l'offensive des armées de
Castelnau, Dubail et Bonneau, heureuse au début, se
heurte, sur le front Morhange-Sarrebourg, à une
organisation défensive extrêmement puissante et à de
très nombreuses colonnes ennemies.
Nos attaques échouent. Les Allemande prononcent une
offensive violente, surtout sur la droite de l'armée
de Castelnau, qui est obligée de reculer dans la
direction de Lunéville.
Ce mouvement oblige la gauche de cette armée à se
replier vers Nancy, pendant que l'armée Dubail,
également inquiétée, revient sur Baccarat.
Toutefois, les deux armées conservent leur liaison,
et l'offensive allemande se brise contre la
résistance de nos troupes.
La défense du Grand-Couronné
L'armée de Castelnau, non seulement arrête, mais
refoule des attaques répétées contre le
Grand-Couronné de Nancy.
L'attaque allemande a deux objectifs : le mont
Sainte-Geneviève au nord ; le plateau d'Amance à
l'est, deux positions défendues par l'extrême gauche
du 20e corps.
Au mont Sainte-Geneviève
Les 21, 22 et 23 août, les Allemands bombardent ces
positions, puis ils remontent, en colonnes
profondes, les deux rives de la Moselle, bombardent
Mousson et donnent l'assaut, inutilement.
L'ennemi est alors à quatre kilomètres des tranchées
de Sainte-Geneviève. Il installe des pièces de
grosse artillerie, tire deux mille obus dans les
journées des 5 et 6 septembre.
Dans la soirée du 6 septembre, les Allemands
débouchent au pied de Sainte-Geneviève lorsque, à
cent cinquante mètres des tranchées, les batteries
françaises tirent et crachent la mort dans leurs
rangs.
L'ennemi surpris, oblique à gauche, sur les pentes
de Sainte-Geneviève.
Le 314e régiment tient bon et force l'ennemi à
abandonner la lutte, laissant un millier de morts
sur le terrain.
Amance et Champenoux
A l'est de Nancy, la partie est non moins décisive.
Les batteries lourdes françaises garnissant les
tranchées sont réduites au silence. Il faut s'en
remettre aux troupes qui manoeuvrent au bas du
plateau.
Huit jours durant, la lutte se livre dans la forêt
de Champenoux. Des renforts sont, envoyés à la 65e
division, épuisée.
Nancy est sauvé
Finalement, l'ennemi, fatigué, bat en retraite, le
12 septembre, Nancy est sauvé.
Il est inexact que l'empereur ait fait charger les
cuirassiers blancs.
La bataille de la Chipote
La gauche de l'armée du général Dubail, entraînée
par la retraite de Morhange, se replia la première
et fut rej ointe par sa droite.
Elle résiste trois semaines au col de la Chipote.
La division des chasseurs coloniaux remplace le 21e
corps, appelé dans la Marne, et livre des combats
légendaires, chassant enfin les Allemands dans les
bois comme on chasse le sanglier.
Nos troupes croyaient à la victoire, quand, vers le
10 septembre, elles reçurent l'ordre d'abandonner le
col. Elles ignoraient que, plus loin, dans la région
de Nompatelize, le 14e corps avait dû céder du
terrain.
Le 12 septembre, le général Dubail ordonnait de
reprendre l'offensive. Bénéficiant de la victoire de
la Marne, nos attaques, cette fois, obligeaient les
Allemands à la retraite, avec des pertes énormes.
Le résultat de tant de bravoure
En résumé, les armées Dubail et de Castelnau, sans
perdre un terrain appréciable, procurèrent au
général Joffre le pivot pour effectuer :
1° La retraite ; 2° l'offensive.
Ces troupes ont soutenu la bataille la plus longue,
la plus opiniâtre, sans connaître l'ivresse d'une
victoire palpable.
Avec de telles troupes nous vaincrons
Le général Dubail a déclaré au correspondant de
Havas que les soldats ont fait preuve de qualités
d'endurance et d'opiniâtreté que personne ne
soupçonnait.
Grâce à ces qualités et à l'organisation du haut
commandement, nous avons obtenu les premiers succès.
Grâce à elles, nous vaincrons.
LA RECONSTRUCTION DES VILLAGES LORRAINS
Nancy, 6 décembre.
I
La victoire définitive des armées de la
Triple-Entente est maintenant certaine et l'on peut
escompter la rançon que devra payer l'agresseur pour
la réparation des ruines qu'il a causées, notamment
dans les villages lorrains.
Mais les milliers de réfugiés des campagnes ravagées
ne peuvent attendre la liquidation de ces comptes
pour se reconstituer un foyer et cultiver à temps le
coin de terre, gagne pain de leur famille.
L'Allemand leur a tout détruit et fait subir les
horreurs d'une guerre sauvage, espérant, par ces
exemples de terreur, ébranler la confiance du pays
dans la victoire ; nos troupes elles-mêmes ont dû
bombarder ces villages pour en débusquer l'ennemi et
protéger le reste du territoire. Ces malheureux
réfugiés ont donc en réalité subi des dommages
d'intérêt commun, dont la charge incombe à la Nation
qui, pour le moins, a l'obligation de gager les
fonds d'indemnités.
Les départements éprouvés ont centralisé les
évaluations de ces dégâts, mais, avant de procéder
aux travaux de restauration, il semble utile de
soumettre diverses questions à l'examen d'une
Commission, groupant des compétences, des activités
dévouées et désintéressées, dont la collaboration
serait précieuse pour renseigner et seconder
l'action parlementaire et l'autorité supérieure
ayant pouvoir de décision.
L'exemple nous est d'ailleurs montré par le groupe
parlementaire des régions envahies, et récemment, à
Verdun, par M. le sénateur Humbert, MM. les députés
Noël et Lebrun, le dévoué président du Conseil
général de Meurthe-et-Moselle, qui, réunis comme
frères d'armes, en profitent pour inspirer sur place
des initiatives on vue de la réalisation pratique et
prompte de cette oeuvre, nationale de reconstruction
des villages détruits.
La question est complexe et comprend notamment :
l'étude des moyens financiers permettant d'assurer
au plus vite les disponibilités de fonds ou les
crédits nécessaires ; la construction d'abris
provisoires dans les communes, le choix judicieux
des matériaux à employer, les conditions d'exécution
des travaux, la réglementation des échanges ou
redressements de parcelles, l'application de lois
sociales relatives à la constitution du bien de
famille et surtout à la santé publique, dont
l'observation a été trop souvent méconnue.
Cette étude soulèvera nombre d'objections et de
protestations de préjugés heurtés, d'habitudes
contrariées. Il appartiendra à la presse de préparer
l'opinion publique aux solutions de sage raison.
D'heureuses initiatives ont déjà réalisé partie de
la restauration de villages partiellement détruits,
tels que ceux d'Haraucourt et de Crévic, mais il
faut une étude complète avant de procéder à la
reconstitution d'un village entièrement détruit. Et
ici se pose une question, toute de sentiment, mais
qui a sa grande valeur pour ceux qui ont le culte de
leur petite patrie.
Pendant neuf siècles, le pays de Lorraine, que le
hasard des partages avait rendu presque indépendant,
fut un éternel sujet de discorde entre ses voisins
et périodiquement ravagé par les guerres ou les
occupations militaires. Il venait de se donner à la
France, quand la Convention découpa dans son
territoire quatre départements français, dont une
partie fut sacrifiée pour payer la rançon de notre
défaite. Apres chaque tourmente, le paysan lorrain,
obstinément enraciné à son sol, rebâtit à la même
place la maison familiale, trouvant bois, pierre et
chaux à la châtaigneraie, à la carrière et au four
communaux, où l'on prévoyait des réserves pour les
catastrophes futures. Il s'accommodait de moyens de
fortune, mais respectait toujours scrupuleusement la
tradition d'orientation, de distribution et
d'aménagement intérieurs de ces logis, dont
l'ensemble donne un caractère bien particulier aux
villages lorrains.
Maintenant que la Lorraine, dans son intégralité, va
redevenir française « pour toujours » et qu'enfin le
paysan lorrain pourra asseoir définitivement son
foyer, il renoncera bien volontiers à de vieux
errements de nature à porter atteinte au mieux-être
ou à la santé des siens, mais ce serait, d'un geste
brutal, lui effacer tout son passé de tradition que
de supprimer l'ordonnance générale et le jeu des
lignes de son village, si on lui substituait une
monotone cité rurale.
M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle, administrateur
avisé et humain, sait trop l'attention qu'il faut
accorder aux impondérables, pour ne point assurer le
respect de ces sentiments, lors de la réédification
des villages.
Il trouvera d'ailleurs, à son choix, parmi les
architectes et les entrepreneurs lorrains, des
hommes capables de concevoir et d'exécuter avec les
moyens économiques et durables de la construction
moderne, une renaissance du vieux village lorrain,
embelli, assaini.
MAURICE GRUHIER.
IMPRESSIONS DE LORRAINE
Paris, 6 décembre, 2 h. 20.
L'envoyé spécial de l'Agence Havas adresse ses
impressions de voyage sur le front en Lorraine.
Visitant les hôpitaux de Nancy, les plus proches de
la ligne de feu, il en rapporte la certitude, que,
malgré le nombre des malades, supérieur à celui des
blessés en raison du genre de guerre et des
intempéries, nos troupes dans l'ensemble se portent
mieux qu'en temps de paix.
Il relève le dévouement des nombreuses Françaises
enrôlées pour soigner les typihiques, les fiévreux
et les contagieux.
L'envoyé de l'Agence Havas a vu à l'hôpital de
Nancy, des preuves irréfutables de la barbarie
allemande, mutilant des blessés sans défense sur le
champ de bataille.
Il a constaté également les progrès considérables
réalisés depuis le début de la guerre dans
l'organisation de notre service de santé et aussi le
désir intense de nos troupes, malgré les précédentes
pertes, d'aller enfin de l'avant, car elles font
actuellement de l'ennemi ce qu'elles veulent.
L'envoyé de Havas a visité Gerbéviller, témoignage
navrant de l'incompréhensible folie allemande de
destruction, accomplie en riant.
Les Allemands fusillèrent, dans cette petite ville,
60 citoyens, violèrent et assassinèrent plusieurs
femmes, et incendièrent tout après s'être enivrés de
vin et d'alcool, notamment le château de Lambertye,
renfermant des collections qui valaient plusieurs
millions.
L'envoyé de Havas a fait, au retour, le pèlerinage
de Domrémy, où un registre déposé à la porte de la
maison de Jeanne d'Arc porte, de nombreuses prières
à l'adresse de l'héroïne nationale, afin qu'elle
boute les Allemands hors de France, le plus tôt
possible.
LE DUEL D'ARTILLERIE
Nos pièces lourdes veulent égaler notre 75
NOS PROGRÈS CONTINUENT EN ARGONNE
Bordeaux, 6 décembre, 15 h. 45.
En Belgique, non loin de la maison du passeur, dont
la prise a été signalée hierr notre artillerie
lourde a écrasé un fortin allemand. L'ennemi a
vainement tenté de nous reprendre Weindreft. Sur le
reste du front nord, calme absolu.
Il en a été de même dans la région de l'Aisne.
En Champagne, notre artillerie lourde, très active,
a contrebattu avec succès les batteries de
l'adversaire.
Dans l'Argonne, la guerre de sape se poursuit. Nous
continuons à progresser lentement, repoussant toutes
les attaques de l'ennemi.
Nous avons aussi progressé légèrement dans la région
sud-est de Varennes ; l'artillerie allemande y a été
réduite au silence.
Suc le reste du front, aucun fait notable à
signaler.
LES TAUBES DANS LA MEUSE
Bar-le-Duc, 6 décembre.
Un taube abattu
Un Taube, qui venait de survoler Bar-le-Duc et avait
dû rebrousser chemin vers l'Argonne, sous les feux
de salves, a été abattu par un obus de 75, près de
Chaumont-sur-Aire.
Appareil et aviateurs furent retrouvés carbonises.
Les aviateurs allemands montant ce Taube étaient au
nombre de trois.
Un autre survole Commercy
Vendredi après-midi, un Taube a laissé tomber quatre
bombes sur Commercy.
Trois sont tombées sur la voie ferrée sans faire
beaucoup de mal, la quatrième s'est perdue dans la
rivière.
A REVIGNY
Pillage, Incendie, Atrocités
M. Jules Gaxotte, notaire, maire de Revigny, qui
habitait rue de Vitry, dans la maison de M.
Ficatier, grand-père de M. Poincaré, aujourd'hui
détruite par le feu, a fait le récit suivant à un
envoyé spécial du « Petit Parisien » :
« Le 6 septembre, à 2 heures de l'aprèsmidi, les
Allemands envahirent Revigny. Le général von Eithel,
commandant la 3e brigade de cavalerie, et son
état-major s'installèrent dans une confortable
maison,
chez M. Simaire, à l'extrémité ouest de la ville.
Trois heures plus tard, le kronprinz arriva avec une
suite nombreuse. Il mit pied à terre, visita la
propriété et, ne la trouvant sans doute pas assez
sûre pour sa précieuse personne, n y séjourna qu'une
demi-heure. Dans ce laps de temps, il alla à la
garde-robe, en se faisant garder par quatre de ses
aides de camp en armes. On le vit remonter à cheval
et s'éloigner au grand trot vers un château des
environs.
Cependant un cordon de sentinelles avait été établi
en avant de Revigny, dans la direction du sud.
Toutes les troupes bivouaquèrent autour de la ville.
A la tombée de la nuit, entre chien et loup, à
l'heure propice pour les mauvais coups, les soldats
se livrèrent à un pillage en règle. Quand ce fut
fini, les torches incendiaires furent allumées. Une
partie de Revigny fut la proie des flammes. Toute la
nuit, l'incendie projeta au loin ses lueurs
sinistres.
Au matin, des coups de feu éclatèrent.
L'artillerie française, établie sur la voie romaine,
près de Wassincourt, attaquait.
Le combat dura toute la journée, sans résultat
décisif de part et d'autre. A 8 heures et demie du
soir, comme la veille, le feu fut mis aux maisons
par les Allemands.
Quand le jour se leva, on put contempler la besogne
accomplie. L'hôtel de ville, un gracieux édifice
Louis XIII ; l'église, un monument historique classé
; les deux études de notaire, les bureaux de
l'enregistrement, un grand nombre d'habitations
particulières - entre autres celle de M. Maginot -
étaient anéanties. Toutes les archives municipales
et les minutes d'actes notariés étaient consumées.
La destruction par le feu avait été organisée
méthodiquement. Des autos avaient amené des fûts de
pétrole et des sachets inflammables. En service
commandé, des soldats disposèrent les matières le
long des maisons, en s'appliquant à faire de
l'ouvrage régulier. A un signal, des grenades furent
lancées sur les foyers préparés. Une gerbe de feu
monta vers le ciel.
Les maisons étaient, d'ailleurs, complètement mises
à sec. Les caves avaient été vidées, des mobiliers
précieux, des pianos, chargés sur des camions et
envoyés en Allemagne.
Entre temps, les Allemands avaient pris des otages
parmi les soixante habitants demeurés à Revigny.
Trois d'entre eux ont été emmenés au loin et on
ignore absolument le sort qui leur a été réservé. Ce
sont M. Thomas, ancien employé de chemin de fer
retraité, chef de district ; M. Grenier, manouvrier,
et M. Jacquemart, ferblantier. C'étaient des hommes
d'environ 60 ans qui ne se livrèrent à aucun acte
d'hostilité envers les envahisseurs.
Cependant, tous les habitants avaient été fouillés
et dépouillés de leurs montres, de leurs bijoux et
de leur argent par des soldats. Les actes de
brigandage étaient accomplis sous l'oeil indifférent
des officiers.
La journée du 8 fut relativement calme. Le
lendemain, un aviateur français ayant repéré le
quartier général, lança plusieurs bombes sur la
maison. Onze Allemands furent tués, dix blessés et
35 chevaux furent mis en pièces. Les canons et les
mitrailleuses firent rage contre le hardi pilote. Ce
fut en vain. Il regagna nos lignes sain et sauf.
La grande bataille qui se livra le 10, entre
Wassincourt et Magnéville, et tourna à notre
avantage, sema la panique chez les Allemands. Le 11,
au petit jour, ils s'enfuirent en toute hâte. Les
Français apparurent bientôt. Revigny était délivrée.
Hélas ! avant de disparaître, les Barbares
trouvèrent le temps de commettre une atrocité. Un
garçon de quinze ans, le jeune Perrotin, accusé
d'avoir communiqué avec les Français, fut mis contre
un mur et fusillé sous les yeux de sa mère et de sa
soeur. Enfin, plusieurs cadavres d'habitants furent
trouvés dans les chambres la tête fracassée.
CIRCULAIRE RELATIVE
au Retrait des Allocations ou Majorations dans
certains cas d'indignité
Les femmes nécessiteuses dont le soutien de famille
est sous les drapeaux et qui, pour cette raison,
reçoivent l'assistance de la Nation ont droit à
notre respect et à notre fraternité.
C'est encore un moyen de leur témoigner ce respect
que d'écarter de leurs rangs quelques femmes sans
dignité, qui risqueraient de jeter sur les autres
une déconsidération regrettable.
J'ai pris, en conséquence, les deux décisions
suivantes :
1° Toute femme dont la conduite sera scandaleuse,
notamment toute femme dont on aura constaté l'état
d'ivresse, sera considérée comme n'ayant pas besoin,
pour vivre, des secours de la Nation, et
indépendamment bien entendu de poursuites
judiciaires éventuelles, toute allocation devra lui
être immédiatement supprimée (il sera pourvu, s'il y
a lieu, aux besoins des enfants par des secours en
nature qui leur seront remis directement) ;
2° Nos populations lorraines regardent avec raison
comme un malheur public que, dans une commune,
l'école ait été incendiée ou détruite, et qu'ainsi
les enfants soient contraints de rester dans la rue.
Bien coupables sont les mères qui, dans les communes
plus heureuses où l'école est ouverte, négligent d'y
envoyer leurs enfants. Dans tous les cas de ce
genre, si l'enfant ne va pas à l'école, sans que son
absence soit justifiée par quelque raison sérieuse,
il sera considéré comme n'étant pas à la charge de
la mère ; il sera admis sans qu'il soit besoin
d'autre enquête que, par quelque moyen illicite, la
mère tire parti de son travail ; et par suite sera
supprimée immédiatement à la mère la majoration de 0
fr. 50 par jour qui lui avait été accordée, au nom
de l'enfant.
Je compte sur MM. les maires et MM. les instituteurs
et institutrices pour m'aider à appliquer cette
double disposition, et par avance je les remercie de
leur concours.
L. MIRMAN
Nancy, le 6 décembre 1914.
NOTES DE CAMPAGNE
X..., 6 décembre. - Eh ! bien, nous X., fêté, hier
soir, la Saint-Nicolas au avons retour des
tranchées. Nous avons, en effet, deux Nicolas à
l'escouade. L'un est un rude mineur de Chaligny,
l'autre un bon propriétaire de Sornéville. Ils
offrirent royalement du vin dans les bidons.
Une lampe de faible puissance éclairait la vieille
cuisine lorraine, à l'âtre immense, où nous étions
rassemblés. Notre hôte, M. M..., avait bien voulu se
joindre à nous. Et c'était une scène de « clair
obscur » qui aurait ravi un Rembrandt.
Puis l'on chanta. C'est dans les chansons que passe
l'âme de la race. Leur forme est loin d'être
impeccable, mais que de sentiments français elles
expriment ! Elles évoquent la grande épopée,
qu'égalera peut-être celle que vivent nos camarades,
le rire de Kléber, le sourire de Marceau...
Et le Parisien nous dit des choses sentimentales
qu'en temps ordinaire on dédaignerait volontiers.
Mais maintenant elles rappellent tant de choses
absentes !
Et, dans notre écurie, nous nous couchâmes assez
tard ce soir-là. Mon voisin le cheval « Mousse »,
avait, dans la pénombre, un vague aspect de
bourrique épiscopale.
Un « Avis mortuaire » paru dans l'« Est » annonce le
décès d'un adjudant du 169e, inhumé au cimetière
militaire de Montauville. Je suis passé, il y a
quelques semaines, devant ce cimetière, et un képi
d'adjudant avait été placé sur l'une des tombes
merveilleusement décorées. Le cimetière militaire de
Montauville se trouve sur la grande route non loin
de Maidières, et la pensée émue de tous les soldats
qui passent sur cette route de bataille va vers les
pauvres morts.
De plus en plus nous avons foi d'ailleurs en la
victoire. Le haut commandement a su faire de nos
camps retranchés d'incomparables forteresses...
Nous travaillons le dimanche comme les jours
ordinaires et nous avons passé ce 6 décembre à
porter de lourdes claies. Nous étions chargés comme
le père Fouettard lui-même, mais de drôles de
jouets.
Jamais nous n'avons mieux compris que, par cet
hiver, tout ce que comportent les noms : travail,
devoir et abnégation.
PIERRE LEONY.
CORRESPONDANCE AVEC L'ALSACE
L'Administration des postes veut bien nous
communiquer les listes des localités occupées en
Alsace (à compléter ultérieurement) et avec
lesquelles la correspondance postale est dès
maintenant acceptée :
Wildenstein, Kruth, Oderen, Felleringen, Urbeis,
Storkensohn, Mollau, Huesseren, Wesserling, Mitzach,
Ranspach, Saint-Amarin, Malmerspach, Moosch,
Geishausen, Altenbach, Goldbrech, Weiller,
Bitschweiler, Thann, Vieux-Thann, AltThann.
Affranchissement : service intérieur français, 0 fr.
10.
NOTRE OFFENSIVE HEUREUSE
s'accentue
SUR LES BORDS DE L'YSER
Paris, 7 décembre, 15 h. 18.
Dans la région de l'Yser, nous continuons à attaquer
les quelques tranchées que l'ennemi a conservées sur
la rive gauche du canal.
Dans la région d'Armentières et d'Arras, comme dans
celles de l'Oise et de l'Aisne et, en Argonne, rien
à signaler, sinon, d'une façon générale, la
supériorité de notre offensive.
En Champagne, notre artillerie lourde a pris, à
diverses reprises, un avantage très marqué sur
l'artillerie ennemie.
Rien de nouveau sur le front Est, où les positions
des jours précédents ont été maintenues.
Paris, 8 décembre, 0 h. 43.
Voici le communiqué officiel du 7 décembre, 23
heures :
En Belgique, les Allemands ont bombardé
oestdunkerque, à quatre kilomètres à l'ouest de
Nieuport.
Entre Béthune et Lens, nous avons fini par enlever
le village de Vermelles et la position du Rutoire, à
l'est de laquelle nous bordons la voie ferrée.
Avance assez sensible de nos troupes dans la région
de Rouvroye, Parvillers, Le Quesnoy-en-Santerre.
Rien d'autre à signaler.
DANS LA WOËVRE
Le concert interrompu
Sous ce titre, notre confrère André Tudesq, qui
visite en ce moment l'Argonne et la Woëvre, raconte
un bien amusant et bien pittoresque épisode. La
scène se passe à Woel, dans la Woëvre, près des
étangs de la Grande-Parrois, où le commandant
allemand von Strand a eu l'idée de faire donner un
concert, chaque jeudi après midi.
« Le quatrième jeudi arriva, raconte M. Tudesq : il
est récent, 26 novembre. Si, par aventure, il vous
avait été donné, cette nuit-là, de cheminer aux
approches de Riaville, à neuf kilomètres de Woel,
vous auriez pu noter un grand mouvement d'hommes et
de batteries.
On alignait, gueule au ciel, sous des abris de
branches, 75 et rimailhos. Le commandant en chef
était là. Le colonel Dandelot, un de nos plus jeunes
grands maîtres de l'artillerie, tint lui même à
mettre les hausses. Les artilleurs riaient, d'un
rire secret, plein de malice. En vérité, une bonne
farce s'apprêtait.
A trois heures, sur la place de Woel, selon les
habitudes presque rituelles, lesvingt musiciens
pénétrèrent au pas de parade. De sa blanche
limousine sort l'Excellence de haute graisse. Dans
un fauteuil de velours rouge, elle cale ses fortes
assises. Les hobereaux se rangent en demi-cercle.
Et...
Et... comme le chef d'orchestre frappe sur son pupitre
les trois coups de l'ouverture, voici qu'un premier
obus tombe, un, second, puis d'autres encore. Le
piston devait commencer : héroïque, il tente sa
première note : un « couac » affreux s'évade de son
cuivre. L'alto vient à la rescousse : on dirait une
basse-cour en délire.
Les obus pleuvent. Les partitions volent au vent.
Musiciens et hobereaux tombent ou fuient. La
limousine est éventrée : on, doit hisser Son
Excellence sur un convoi d'ambulance qui prend à
toute allure la route de Chambley.
Vingt et un coups de canon ont été tirés vingt et un
exactement, le nombre réglementaire du salut aux
grands chefs.
« Politesse pour politesse ! a déclaré le général
commandant en chef qui présidait à ce nouveau
concert (et de qui je tiens l'anecdote)... nous voilà
quittes... »
Les tranchées de Woel étaient à douze-cents mètres.
»
Ils seraient à court de munitions
Voici deux jours, lors d'une rencontre qui tourna à
notre avantage, à Maizeray, nous avons pris deux
mitrailleuses. Elles portaient sur leur affût ce
cartouche démonstratif : « Festung Kaiserin » (fort
de l'Impératrice), lequel est un des plus importants
de la première enceinte de Metz. Or, au dire des
artilleurs, les mitrailleuses, dans un fort, sont
des pièces qu'on ne risque qu'à la dernière
extrémité.
Une autre preuve. Les Allemands bombardent ce lundi
le petit village de Doncourt-aux-Templiers. Selon
leur importance stratégique ou leur population, on
sait, pour parler un langage américain, ce que «
valent » tel ou tel bourg. Celui-ci, à coup sûr,
valait cinquante obus. Aux premiers jours de guerre,
les Allemands n'auraient pas manqué de s'en tenir à
ce chiffre. Lors de l'attaque, dix marmites de 21
sont tombées sur Doncourt ; quatre n'ont pas éclaté.
Les services de l'armée ont étudié avec soin l'état
de ces projectiles. Deux déductions s'imposent :
l'ennemi se fait économe, ses munitions, hâtivement
faites
sont d'une qualité médiocre.
L'APPEL DU CONTINGENT
de la classe 1915
Le ministère de la guerre vient de publier l'arrêté
relatif à la répartition entre les corps de troupe
du contingent de la classe 1915 et des ajournés des
classes 1913 et 1914.
Le total des appelés est de 220.000, dont 210.340
sont affectés à l'infanterie. L'artillerie ne reçoit
que des ouvriers, principalement des bourreliers et
des maréchaux-ferrants (2.500 en tout, à raison de
30 en moyenne par régiment). Le génie reçoit 4.000
hommes : colombophiles, employés des chemins de fer
et des postes, électriciens, mariniers. Les troupes
d'aéronautique, 500 hommes. Aucune affectation ne
sera faite dans la cavalerie.
On voit donc que la presque totalité du contingent
est affectée à l'infanterie. Chaque régiment reçoit
1.010 hommes ; chaque bataillon de chasseurs, 600;
chaque groupe cycliste, 100.
Les jeunes soldats seront mis en route au dates
ci-après :
Le 15 décembre, ceux des 1re, 4e, 11e et 14e régions
; le 16, ceux des 2e, 7e, 13e et 18e régions ; le
17, ceux des 6e, 9e, 12e et 15e régions ; le 18,
ceux des 3e, 10e, 16e et 20e régions ; le 19, ceux
des 5e, 8e, 17e, 21e régions et du gouvernement
militaire de Paris.
LA LORRAINE A PARIS
A Longuyon et à Metz
Paris, 8 décembre.
Les Lorrains à Paris, nous les rencontrons surtout
sous la forme de réfugiés. Leur conversation est
parfois d'un terrible intérêt. Voici par exemple une
dame de Longuyon qui nous parle des souffrances de
sa ville natale. Nous donnons son récit sans
l'arranger, dans le désordre des phrases hachées,
trouvant plus tragique encore ce pêle-mêle de
renseignements qui tombent comme des pelletées de
terre sur un cercueil.
« M. et Mme Jolas étaient à l'ambulance (maison
Parence) ; M. Delorme, le pharmacien de la
Grand'Rue, et sa femme ont été trouvés morts dans
leur cave ; M. le curé Braux et M. l'abbé Persyn,
vicaire, accusés d'avoir transmis des dépêches aux
Français, ont été jugés sommairement et fusillés fin
août, du côté de Beaulieu ; c'est un jeune Italien,
Libera Jeannot, qui a dû les enterrer sur place -
sans cercueil. Il y eut 44 civils fusillés, plus 21
jeunes gens de 15 à 17 ans. Mme Pellerin (côte de
Froidcul) a été fusillée ; Mme Meyer, du même pays,
est devenue folle. Ayant vu des bras et des jambes
amputés à l'ambulance, elle s'empara d'un bras, le
pressa sur sa poitrine et courut se jeter à la
rivière où elle se noya. La petite Marie-Louise
Causier, de 12 ans, fut collée au mur, avec sa
tante, Mme Biguet, et on les mit en joue, sans les
exécuter cependant. Elles furent enfermées dans une
cave, avec M. Elysée Michel, qui avait
courageusement offert sa vie pour racheter la leur.
L'ancien pensionnat des Frères fut le théâtre
d'orgies et d'atrocités. La fille de M. Florentin
(quartier de la Côte) fut fusillée; la maison Naudin
pillée. Les dames Marie furent également conduites à
la fontaine où elles devaient être fusillées avec
M. Tainel. Une attaque des Français les sauva. La
ville a été incendiée le 24 août et les murs
branlants abattus. Mme Vernier, dont la maison était
en flammes, se sauva chez Mme Mafféi ; un soldat
braqua son fusil sur elle et l'aurait tuée sans
l'intervention de Mme Mafféi, qui vit elle-même sa
maison flamber quelques heures plus tard. L'étude de
Me Julliac, notaire, a été pillée, mais sa maison
est restée debout, la seule dans cette rue, avec
celle de M. Morin père. Les quartiers de Froidcul et
la Gaillette sont détruits. Les maisons de MM.
Bedel, percepteur, Jenyen, Fordoxel furent pillées ;
Mme Musquin, rentière rue Carnot, avait caché 30.000
francs de valeurs, la cachette fut découverte et les
titres volés. M. Valentin, les deux messieurs
Martinet, M. Delcourt Emile, M. Bosseler, le fils
Pierson (quartier de la Gaillette) ont été fusillés.
M. Rollin (quartier des Frères) a été obligé
d'enterrer lui-même son fils, fusillé. M. Valentin a
été enterré dans le jardin Mauchamp. M. Emile
Chollet et sa femme, avec la famille Schmitt, ont
été enfermés dans leur cave pour y être brûlés, mais
ils ont pu s'échapper par une porte de derrière. M.
Feuillade est maire ; MM. Naudin et Veydert sont
adjoints. Mme Pourel, mère, a été trouvée morte dans
son jardin et enterrée sur place... »
Voici, d'autre part, des nouvelles concernant Metz :
Dès le début de la guerre, les Messeins à tendances
françaises étaient depuis longtemps notés par la
police ; ils furent expédiés au fin-fond de la
Prusse ou emprisonnés à Erenbreistein, - cependant
quelques Français étaient restés. On vient de les
évacuer et ils ont regagné la France par la Suisse.
L'un d'eux, qui a quitté Metz le 30 novembre, nous
dit que leur personne ne fut pas molestée pendant
leur séjour dans la place, mais qu'on les injuriait
fréquemment et qu'il leur était interdit de parler
français. Ils devaient se présenter à un bureau
spécial deux fois par jour et dans le besoin de
justifier cette mesure rigoureuse, on leur affirmait
qu'en Angleterre, en Russie et en France, les
Allemands étaient obligés de se présenter toutes les
deux heures - on agrémentait cette visite de toutes
les fausses nouvelles sorties de l'imagination
déréglée de l'agence Wolff. Pour le voyage, les
évacués durent se munir de passeports avec
photographie, qui furent repris à la frontière, à
Siguen. Le passage en Suisse fut excellent et
l'accueii fut des plus cordiaux ; le transport et la
nourriture étaient accordés gratuitement.
On entendait beaucoup le canon dans les derniers
jours.
Enfin, il résulte de renseignements récents
concernant Longwy que l'existence y est devenue à
peu près tolérable, à la condition de se mettre,
comme disaient les Grecs, un boeuf sur la langue. Les
Longoviciens préféreraient se le mettre d'une façon
plus comestible. Cependant la population trouve à
s'alimenter, à un marché quotidien, et à des prix
raisonnables.
Gustave VERNON.
LA BATAILLE DE LOISY & SAINTE-GENEVIÈVE
Franc-Mohain, de l'« Echo de Paris » :
« Pendant les journées du 5 septembre et du 6, et se
prolongeant toute la nuit, une canonnade
ininterrompue avait « arrosé » de plus de deux mille
obus les alentours du cimetière de Loisy et les
pentes de Sainte-Geneviève...
Le 6, vers la fin du jour, les premières troupes
allemandes commencèrent à déboucher du bois de Facq
; elles marchaient fifres en tête ; pour leur donner
du courage, la plupart des soldats avaient été
enivrés : tous leurs bidons, que l'on ramassa,
avaient été remplis d'eau-de-vie.
Ce fut un rude combat, combat de nuit, combat
confus.
Les Bavarois s'avançaient bravement ; les cadavres
de nombre d'entre eux furent retrouvés parmi
l'enchevêtrement des travaux de défense ; ils
serraient encore dans leurs mains les cisailles pour
couper les fils de fer...
D'autres, il est vrai, étaient tombés, frappés d'une
balle à la nuque : le revolver de leurs officiers
n'avait-il pas dû arrêter les fuyards ?
Une nuit d'enfer : ces champs à flanc de coteau, où
nous voyons paître maintenant quelques vaches
pacifiques, sont encore labourés d'obus.
Ce que purent être la fougue, la vaillance entêtée
de nos troupes contre les assauts sans cesse
renouvelés des troupes allemandes, ces tombes le
prouvent.
A un moment, l'une des batteries qui défendaient
Sainte-Geneviève dut cesser le feu, ayant épuisé
toutes ses munitions.
Alors tous les servants et leurs officiers coururent
au village, auprès du commandant de Montlebert, pour
lui réclamer des fusils, des baïonnettes ; et ils
repartirent à la défense des tranchées, avec
l'infanterie.
Cependant, de la rive gauche de la Moselle les
batteries françaises, qui devaient soutenir notre
défense, ont été délogées et remplacées par des
batteries allemandes.
La position que nous occupons à SainteGeneviève se
trouve prise entre les deux feux de ces nouvelles
batteries ennemies, et de celles qui sont installées
déjà sur les hauteurs de Mousson.
On téléphone au commandant de Montlebert l'ordre de
se replier sur sa ligne de retraite : le commandant
n'entend pas ; une heure se passe, - sous la
mitraille ; on téléphone encore, le commandant ne
veut toujours rien entendre.
Il déclare enfin qu'il ne se retirera que sur un
ordre écrit ; un officier le lui apporte ; au même
instant, un obus fait s'effondrer la petite maison
où le commandant de Montlebert se tenait, et il
roule à terre, lui et tous ceux qui l'entourent...
Il se relève, à peine blessé ; mais je crois bien
que, dans son coeur, à cette minute, il regrette de
n'avoir pas été tué sur le coup, plutôt que d'être
contraint, maintenant, à faire sonner la retraite...
Retraite de quelques heures : l'ennemi, trompé sur
l'importance des forces qu'on lui opposait, par la
furieuse énergie de la résistance, démoralisé par
les pertes considérables qui lui avaient été
infligées, se repliait en même temps, et, lui, pour
de bon...
Le 7 au soir deux compagnies d'infanterie française
réoccupaient Sainte-Geneviève : et les Allemands ne
se sont plus risqués à s'en approcher. »
RENOUVEAU D'ACTIVITÉ
Nous continuons à progresser
Bordeaux, 8 décembre, 16 h. 10.
Pendant la journée du 7, l'ennemi s'est montré plus
actif que la veille, dans la région de l'Yser et aux
environs d'Ypres. Notre artillerie a riposté avec
succès.
Dans la région d'Arras, une très brillante attaque
nous a, comme nous l'avons annoncé, rendus maîtres
de Vermelles et du Rutoir.
Vermelles était depuis près de deux mois le théâtre
d'une lutte acharnée. L'ennemi y avait pris pied le
16 octobre et, du 21 au 25 octobre, il avait réussi
à nous rejeter hors de cette localité. Depuis le 25
octobre, des opérations de sape et de mine nous
avaient ramenés pied à pied jusqu'aux lisières et le
1er décembre, nous avions enlevé le parc et le
château.
Dans la région de l'Aisne et en Champagne, quelques
combats d'artillerie. Notre artillerie lourde a
dispersé plusieurs rassemblements ennemis.
En Argonne (bois de la Grurie) et au nord-ouest de
Pont-à-Mousson (bois Le Prêtre) nous avons gagné un
peu de terrain.
Sur le reste du front, rien à signaler.
Paris, 8 décembre, 23 heures.
En Belgique, une violente attaque allemande sur
Saint-Eloi, au sud d'Ypres, a été repoussée.
La lutte est toujours très vive dans les forêts et à
l'est de l'Argonne.
Aucun autre incident notable.
AUTOUR DE MONTMÉDY
Du « Bulletin meusien » :
Un officier aviateur de Verdun, qui a survolé
Montmédy rapporte que la ville a peu souffert et
qu'on n'y voit pas trace de dégâts.
Une famille de cette ville a pu, par une lettre
datée du milieu d'octobre et passée par la Suisse,
faire savoir que la ville était calme et ses
habitants pas trop malheureux.
On annonce d'autre part qu'un certain nombre
d'habitants de tout âge et des deux sexes ont été
emmenés en captivité en Allemagne, sans motif,
contrairement au droit des gens ; une lettre de l'un
d'eux, M. Bautquin, maire de Réville, âgé de 72 ans,
datée de son lieu d'internement, confirme le fait.
A Damvillers, les Allemands ont installé dans la
maison de M. Goujon, pharmacien, une imprimerie, et
ont mis les horloges à l'heure allemande.
Un sous-officier de l'armée de Verdun qui a effectué
des reconnaissances dans le canton de Spincourt,
nous a informé que les villages de la région, Billy,
Muzeray, Mangiennes, ne paraissent pas avoir trop
souffert et qu'on aperçoit au loin les toits rouges
des maisons, ce qui fait supposer que la plupart des
habitations sont encore debout et pas trop
dégradées.
On nous communique la carte suivante adressée par
une Damvilloise, réfugiée à Verdun, à un de nos amis
: « Voici ce que j'ai pu savoir de Damvillers : 45
hommes prisonniers : Lefèvre, juge de paix ;
Lehuraux, le curé-doyen, Rouyer, Renel, Barnier,
Haumont, Prudhomme, Ygrec, Jules Dutertre,
Toussaint, Trouslard, Périn Génin, Pillot Charles,
etc., ils sont tous ensemble, les femmes et enfants
d'Azannes et Flabas sur les frontières de
l'Autriche, en Bavière. »
Une autre personne de Romagne-sous-lesCôtes écrit :
« Romagne a été bombardée par des pièces de marine
française ; 80 personnes ont été prises à Ornes, 18
à Maucourt et enfermées dans l'église de Romagne ou
de Mangiennes. Mes parents d'Azannes sont pris
aussi.
« Louis Gaude a reçu une lettre de sa femme,
prisonnière en Saxe ou en Bavière; avec sa mère, sa
belle-mère, ses deux enfants, Mme Poupard
(fresquaine), Justine Gilles, sa mère et M. Henrion.
« Les Français ont tiré plus de 600 obus sur
Romagne, où les Allemands ont construit un fort,
ainsi qu'un Decauville de Romagne à Spincourt ». (20
novembre.) Les Allemands occupent Grémilly, près
Damvillers, et y auraient fusillé Alexandre Massard,
Jean-Baptiste Collignon, Joseph Cochenet, René
Antoine, Gillet (sabotier) et d'autres, ils auraient
emmené en captivité en Allemagne 70 habitants du
pays, dont Léon Jacquart, de Grémilly, et un
boulanger d'Ormes, Léon Lajouc.
A Dannevoux, dont presque toute la population
s'était sauvée, les Barbares ont saisi les 30
habitants restés ; ils ont fusillé les 10 premiers
et emmené comme otages les 20 autres.
Quant au village, qui avait déjà souffert du
bombardement, ils l'ont complètement détruit par
l'incendie méthodique.
CE QUE LES ALLEMANDS
occupent encore en France
Pour se rendre compte des progrès réalisés par nos
troupes, il convient de se reporter au début de
septembre avant la bataille de la Marne.
A cette époque, les Allemands occupaient une partie
du pays, dans la proportion suivante :
Nord, 80 % de sa superficie ; Pas-de-Calais, 35 % ;
Somme, 50 % ; Oise, 55 % ; Seine-et-Marne, 20 % ;
Aisne, 100 % ; Marne, 90 % ; Aube, 7 % ; Ardennes,
100 % ; Meuse, 55 % ; Meurthe-et-Moselle, 70 % ;
Vosges, 20 %
Aujourd'hui, les Allemands occupent :
Nord, 60 % ; Pas-de-Calais, 30 % ; Somme, 16 % ;
Oise, 8 % ; Aisne, 55 % ; Marne, 12 % ; Ardennes,
100 % ; Meuse, 30 % ; Meurthe-et-Moselle, 25 % ;
Vosges, 2 %
En Seine-et-Marne et dans l'Aube, il n'y a plus
d'Allemands.
En deux mois, nos troupes ont libéré la moitié du
territoire. C'était à souligner.
A PONT-A-MOUSSON
Nancy, 8 décembre.
M. le préfet de Meurthe-et-Moselle s'est rendu hier
à Pont-à-Mousson. Dans la salle de la Mairie, il a
salué les membres du Conseil des notables, leur a
dit avec quelle ardente sympathie la population de
Nancy et de toute la partie non occupée du
département suivait les épreuves des habitants de
Pont-à-Mousson et quelle admiration elle ressentait
pour leur vaillance.
Plus de trente bombardements successifs, commençant
en général de façon inopinée, tantôt le jour, tantôt
la nuit, tous contraires aux lois de la guerre, sont
une dure épreuve pour les nerfs d'une population qui
a dû, entre temps, subir la charge matérielle et
morale de l'occupation ennemie, et les habitants de
Pont-à-Mousson l'ont supportée et la supportent
encore avec une superbe crânerie.
M. L. Mirman a félicité le Conseil des notables et
de son esprit d'initiative grâce auquel le
ravitaillement était depuis un temps notable déjà
assuré de façon normale, et de son esprit de
solidarité qui s'est notamment manifesté dans
l'organisation des soupes populaires.
Les Allemands envoyant en ce moment, pour ne pas en
perdre l'habitude, quelques shrapnells sur la rive
droite, M. le Préfet, accompagné de divers membres
du Conseil s'est rendu dans cette partie de la ville
et a visité les grandes caves où femmes et enfants
ont dû chercher refuge ; il a constaté avec autant
d'émotion que de fierté que nulle part et dans
aucune âme ne régnaient l'abattement et la lassitude
; il a promis à tous de revenir très prochainement
les voir ; il a annoncé aux enfants, dont les yeux
du coup se sont écarquillés, que, des Etats-Unis, un
navire était arrivé à Marseille chargé de jouets
pour les enfants des régions victimes de la guerre,
que de Marseille étaient parties les caisses
destinées aux enfants de Meurthe-et-Moselle et qu'il
considérait que les petits Mussipontains avaient été
si longtemps sous la botte et sous les bombes
allemandes, avaient un droit privilégié sur ces
cadeaux des petits frères et soeurs d'Amérique, et
qu'il viendrait lui-même leur en faire la
distribution.
SUR LE RÉSEAU DE L'EST
Une certaine activité a commencé sur la partie du
réseau de l'Est non envahie par l'ennemi. Cette
compagnie, qui avait la plus grande partie de son
matériel garé sur le réseau P.-L.-M., se fait
expédier chaque jour une grande quantité de wagons
de marchandises pour lui permettre le trafic
commercial.
LES ALPINS DANS LES VOSGES
Un de nos confrères qui vient de visiter les champs
de bataille des Vosges, nous retrace en ces termes
l'héroïque défense du col de Mandray, par le 13e et
le 22e chasseurs alpins, appuyés par deux régiments
de cavalerie, faisant du combat à pied :
« Les Alpins avaient poussé une pointe sensible en
Haute-Alsace, occupé les crêtes des Vosges, tenu le
col du Bonhomme sans subir trop de pertes. Mais
bientôt pour eux sonna l'heure de la plus sanglante
des épreuves, en même temps que de la plus
impérissable gloire. Ils reçurent l'ordre d'aller
défendre le col du Mandray, entre Saulcy-sur-Meurthe
et Fraize.
Ils partirent pour la bataille en chantant la
Marseillaise !
Avec leurs mulets, leurs batteries de montagne,
leurs mitrailleuses, ils s'installèrent au Mandray,
qu'ils mirent rapidement en état de résistance.
Ce fut une défense épique, une page belle et
sanglante à écrire au Livre d'or de l'armée
française. Sous le feu de leurs canons, sous celui
de leurs mitrailleuses, sous leurs fusillades, cinq
jours durant, à eux seuls - 1.700 hommes ! - ils
arrêtèrent trois brigades allemandes, plus une
brigade d'artillerie envoyée pour appuyer les
premières.
Le soir du cinquième jour, fous de colère, n'ayant
pas dormi une heure sur cent vingt, ils trouvèrent
encore la force de charger à la baïonnette et de
mettre en fuite un régiment de tirailleurs
poméraniens qui s'avançait, soutenu par un terrible
feu d'artillerie, pour forcer le passage.
C'est une chose folle, incroyable que cette défense
du col de Mandray, et c'est une chose admirable.
- Sur dix-sept cents hommes, me disait l'un de leurs
officiers, nous en avions perdu près d'un millier.
Le commandant Verlet-Hanus avait été tué, vingt
officiers avaient, à ses côtés, trouvé la mort. Une
de nos compagnies, qui avait évacué Sauzy par ordre
formel, était réduite à cinquante hommes,
sous-officiers et gradés, un officier blessé et deux
officiers mourants.
Nous nous retirâmes en rendant les honneurs à nos
morts !
Et nos « diables noirs » les avaient si bien
étrillés que les Allemands renoncèrent à la
poursuite...
Nous autres, officiers alpins, nous vivons avec nos
hommes d'un bout de l'année à l'autre. Nous
partageons les mêmes dangers, nous traversons les
mêmes épreuves. La montagne nous fait solidaires les
uns des autres ; la guerre a fait de nous des
frères.
Au soir de cette retraite, nous essayions de ranimer
la confiance de nos hommes et nous y parvenions
presque à force de nous raidir. - Mais quand nous
nous retrouvâmes entre nous, à la popote, à l'abri,
sauvés, nous nous entre-regardâmes et nous nous
jetâmes, étreints par la douleur et l'angoisse, dans
les bras les uns des autres. - Nous pleurions, comme
des enfants, ceux que nous avions laissés là bas, sur
les pentes de Mandray. Ah ! mes chasseurs, mes
pauvres chasseurs !
Et l'héroïque officier - il a été plusieurs fois
cité à l'ordre du jour - laisse rouler, sans
chercher à les dissimuler, deux grosses larmes sur
ses joues amaigries et hâlées. Belles larmes, nobles
larmes, que celles-là ! et le plus splendide des
hommages qui vous aient été rendus, ô chasseurs
alpins du 13e et du 22e, tombés au - col du Mandray,
en défendant le sol de la Patrie souillé par les
barbares ! »
A SAINT-BENOIT (Vosges)
Un envoyé spécial du Times, qui a visité les champs
de bataille de Lorraine et des Vosges, écrit à
propos de Saint-Benoît :
« Quand nous quittâmes Epinal, de sept heures du
matin, il avait gelé dur et le froid était très vif,
bien que le soleil resplendit dans le ciel pur,
faisant briller lessommets neigeux des Vosges. Nous
allâmes jusqu'à Rambervillers, qui fut légèrement
bombardée avant le départ de l'ennemi et où tout est
maintenant tranquille et normal. Tournant légèrement
au nord-est vers la frontière, nous atteignîmes le
petit village de Saint-Benoît, à moitié chemin de
Raon-l'Etape. Il a été brûlé par les Allemands. De
l'église, il ne reste que les quatre murs. L'ennemi
avait installé ses mitrailleuses dans la tour qui
commande la grand'route. Un corps français, qui
marchait sur cette route pour entourer le village
souffrit du feu de ces mitrailleuses sans pouvoir
deviner d'où il était dirigé. Un second détachement
fut plus heureux et avisa l'artillerie. Les « 75 »
firent feu sur la tour.
« Peu après, les Français se retiraient sur
Rambervillers et quand les Allemands revinrent à
Saint-Benoît, ils l'incendièrent pour venger leurs
camarades morts. Ils ne tuèrent cependant pas les
habitants et, nous dit le maire, sur 250, il ne
manque que douze personnes.
« Dans la petite ecole, il n'y a plus de portes, les
pupitres noirs sont fendus par les obus et il n'y a
plus un carreau aux fenêtres. Et, pourtant, dans ce
squelette de maisons, le maître d'école fait sa
classe à douze petits enfants, qui ont jeté sur
leurs épaules, pour se préserver du froid entrant
par toutes les ouvertures, les manteaux de leurs
papas. Et quand nous entrons, ils se lèvent tous
comme un seul homme et d'une voix unanime chantent
la Marseillaise. »
L'OFFENSIVE FRANÇAISE
partout couronnée de succès
Paris, 9 décembre, 15 h. 21.
De la mer à la Lys, dans la journée du 8, combats
d'artillerie.
Dans la région d'Arras et plus au sud, rien à
signaler. Toutes les positions que nous avons
gagnées dans les deux dernières journées ont été
organisées et consolidées.
Dans la région de l'Aisne, combats d'artillerie.
Nous avons eu l'avantage.
Dans l'Argonne, l'activité de notre artillerie et de
notre infanterie nous a valu des gains appréciables.
Plusieurs tranchées allemandes ont été enlevées.
Nous avons progressé sur tout le front, sauf sur un
point unique, où l'ennemi a fait sauter à la mine
une de nos tranchées.
Sur les Hauts-de-Meuse, notre artillerie a maîtrisé
nettement l'artillerie ennemie.
Dans cette région, de même qu'en Argonne, nous avons
progressé sur tout le front et enlevé plusieurs
tranchées ennemies.
Il en a été de même dans le bois Le Prêtre.
Dans les Vosges, nous avons repoussé plusieurs
attaques, au nord-est de Senones. Dans le reste du
secteur des Vosges, l'ennemi n'a pas essayé
d'attaquer sérieusement les positions que nous avons
enlevées la semaine dernière.
Paris, 10 décembre, 0 h. 40.
Communiqué officiel du 9 décembre, 23 heures :
Pas d'autre incident à signaler que l'avance de nos
troupes devant Parvillers et qu'une attaque des
Allemands sur Tracy-le-Val repoussée.
LEURS EFFORTS ONT CHANGÉ DE FRONT
C'est en vain, car partout ils ont le même insuccès
Bordeaux, 10 décembre, 15 h. 40.
La journée du 9 a été calme en Belgique ainsi que
dans la région d'Arras, où l'ennemi n'a tenté aucun
retour offensif.
Plus au sud, dans la région du Quesnoy et
d'Andrechy, nous avons réalisé des progrès variant
de 200 à 600 mètres : notre gain a été maintenu et
consolidé.
Dans la région de l'Aisne et en Champagne, pas de
changement ; l'artillerie allemande sur laquelle
nous avions pris l'avantage les jours précédents
s'est montrée, hier, plus active, mais elle a été de
nouveau maîtrisée par notre artillerie lourde ;
celle-ci, aux environs de Reims, a obligé les
Allemands à évacuer plusieurs tranchées ; cette
évacuation s'est faite sous le feu de notre
infanterie.
Dans la région de Perthes, l'ennemi, par deux
contre-attaques, a essayé de reprendre les tranchées
qu'il avait perdues le 8 ; il a été repoussé. Le
terrain conquis par nous est solidement organisé.
Dans toute l'Argonne notre progression s'est
continuée ; nous avons enlevé de nouvelles
tranchées, repoussé avec un plein succès six
contre-attaques ; complété et consolidé le terrain
gagné sur l'ennemi.
Sur les Hauts-de-Meuse, combats d'artillerie dans
lesquels nous avons gardé, malgré l'activité plus
grande des batteries ennemies, un avantage marqué.
Dans le bois Le Prêtre, nous avons pris de nouvelles
tranchées.
Rien à signaler sur le reste du front, jusqu'à la
frontière suisse.
LE BILAN RÉCONFORTANT D'UNE SEMAINE
Notre artillerie ne connut que le succès
Notre infanterie ne connut pas le recul
Paris, 10 décembre, 18 h. 29.
Une note officielle expose les principaux faits de
guerre entre le 27 novembre et le 5 décembre.
Bien que cette période ne soit pas marqué par de
grandes opérations, elle a permis de constater
partout l'ascendant de notre artillerie et de notre
infanterie.
Notre artillerie, sans souffrir beaucoup, a fait
taire, en de nombreux points, les batteries
ennemies, dont elle a démoli plusieurs.
Notre infanterie a progressé partout et n'a jamais
reculé.
De la mer à l'Oise
De la mer à l'Oise, le 1er décembre, notre
artillerie lourde a endommagé, à Bixschoote et à
Merken, les batteries allemandes. Nous avons
détruit, à Wydrendreft, une section de mitrailleuses
ennemies.
Le 4 décembre, notre grosse artillerie a imposé
silence à l'artillerie allemande.
Elle a détruit, le 29 novembre, dans la région de
Knocke, et le 2 décembre, à Bixschoote, des
passerelles et des approvisionnements de l'ennemi.
Le 27 novembre, nous avons bombardé, près de Lens,
des trains de ravitaillement.
Le 5 décembre, nous avons démoli les travaux de
l'ennemi dans la région de Roclincourt.
Voici les principales attaques qui ont été
repoussées par notre infanterie :
Le 27 novembre à Paschendaele, le 30 novembre à
Bixschoote, le 3 décembre à Pasohendaele, le 5
décembre à Wydrendreft, le 29 novembre, à
Brodseinde, à l'est d'Ypres.
Nous avons progressé dans toute la section nord de
60 à 500 mètres.
Trois beaux faits d'armes
La Maison du Passeur
Les opérations à la suite desquelles nous nous
sommes emparés de la maison du passeur constituent
un brillant et pénible fait d'armes.
Il s'agissait de déblayer des Allemands la rive
gauche de l'Yser, où ils étaient installés.
Sur 1.800 mètres, le canal est bordé là par un
marais infranchissable. Une attaque n'est possible
qu'en longeant la berge et sur un front très étroit.
En outre, la rive droite domine et nous place sous
le feu des mitrailleuses.
Cent volontaires des bataillons d'Afrique
combattirent, dans l'eau jusqu'à mi-jambe et sous
une pluie intense.
De leur côté, les Allemands se montrèrent
extrêmement courageux, et nous dûmes tuer un
officier et quinze hommes qui refusaient de se
rendre.
Le château de Vermelles
L'attaque du parc et du château de Vermelles est
également remarquable.
Le 1er décembre au matin, les Allemands, assaillis
de toutes parts par deux pelotons, de spahis à pied
et trois compagnies d'infanterie, s'enfuirent en
essayant vainement de se retrancher dans les
bâtiments du château.
Les jours suivants, nous repoussâmes toutes les
contre-attaques.
L'attaque de Fay
L'attaque de Fay, le 28 novembre, est également
remarquable.
Malgré une fusillade ininterrompue de l'ennemi, nos
tirailleurs et sapeurs détruisirent le réseau de
fils de fer. Ils trouvèrent, le 30 novembre, un
second réseau.
Malgré une fusillade qui leur causait des pertes
sensibles, ils achevèrent l'organisation du terrain
conquis représentant 400 mètres.
De l'Oise à l'Argonne
De l'Oise à l'Argonne, notre
artillerie a dispersé des colonnes d'infanterie, au
nord du fort de Condé, et a obtenu des résultats
appréciables.
En Champagne
En Champagne, une batterie de 75 a
démoli, le 27 novembre, à l'ouest de Presles, une
pièce allemande de 105, tandis que notre artillerie
lourde éteignait le feu de l'ennemi dans la région
de Rouge-Maison, L'activité de notre artillerie,
dans cette partie du front, a réduit nos pertes
quotidiennes à une moyenne de 100 à 20 hommes.
Nous avons détruit, le 28 novembre, six
mitrailleuses et une batterie de 21. Nous avons
éteint le feu de l'ennemi, le 29 et le 30 novembre.
Nous avons détruit, le 1er décembre, une batterie de
88. Sur le plateau de Craonne, nous avons fait
exploser, le 2 et le 3 décembre plusieurs dépôts de
munitions et nous avons réduit au silence, le 4 et
le 5 décembre, les canons qui bombardaient Reims.
Nous avons bombardé des trains.
Les répliques de l'artillerie allemande sont
généralement assez molles.
Ses seuls succès consistent en deux ou trois
bombardements de Reims.
Dans l'Argonne et sur les Hauts-de-Meuse
Dans le secteur de l'Argonne, aux Hauts-de-Meuse,
l'ennemi a montré son maximum d'activité. Il a
dirigé quinze attaques, notamment au nord du
Four-de-Paris, sur Fontaine-Madame et le
Bois-de-Grurie.
Toutes ont été repoussées avec une extrême vigueur.
Nous avons attaqué et progressé chaque jour dans
tout ce secteur.
Nous avons enlevé, le 4 décembre, près de
Saint-Hubert, plusieurs tranchées.
Le prétendu succès des Allemands dans le Bois de
Grurie, le 1er décembre, consiste en l'explosion
d'une tranchée française minée et où une compagnie
fut presque anéantie. Mais les compagnies voisines
résistèrent dans leurs tranchées, et, grâce à un
furieux corps à corps, rétablirent leurs lignes dans
une tranchée nouvelle, à 26 mètres en arrière, de la
tranchée détruite.
Sur les Hauts-de-Meuse, un épais brouillard et la
pluie ont arrêté pendant plusieurs jours les
opérations, puis, le 3 et le 5 décembre, notre
artillerie a détruit une section de mitrailleuses et
bombardé des trains.
Elle a réduit au silence une batterie de 21.
Nous avons toujours repoussé les rares attaques de
l'infanterie et progressé de 150 à 325 mètres dans
les régions de Saint-Mihiel, Varennes, Vauquois.
Sur la Moselle
Nous avons progressé sur la rive gauche de la
Moselle, dans le Bois-le-Prêtre.
Dans les Vosges
Notre offensive nous a conquis des positions
importantes dans les Vosges.
En Haute-Alsace
En Haute-Alsace, la prise d'Aspach-le-Haut a déjà
été signalée. Nous avons pris, le 2 décembre, au sud
du col du Bonhomme, la crète de la Tête-de-Faux. où
l'ennemi avait un observatoire d'artillerie qui
dominait la haute vallée de la Meurthe.
A l'assaut au chant de la Marseillaise
Nos chasseurs ont enlevé cette crête, à 2 heures,
animés d'un magnifique entrain, en chantant la «
Marseillaise ». Ils ont subi des pertes assez
sensibles.
Nous avons progressé sur la côte de Grimaude.
Nous avons repoussé toutes les contreattaques au
Nord-Ouest de Senones.
L'ardeur de nos troupes dans les Vosges est
admirable.
A l'ordre du jour
La Note termine en signalant quelques actes de
bravoure, notamment le suivant :
Deux sapeurs télégraphistes, Carles Antoine et Louis
Demoizet, ont rétabli, le 28 novembre, sous un
bombardement violent, les fils téléphoniques coupés
entre le moulin de Zuvdschoote et l'écluse de
Hetsas.
Ils ont été cités à l'ordre du jour.
NOS AVIATEURS
font de bon ouvrage
Paris, 11 décembre.
La situation générale est sans modification.
Hier, nos aviateurs ont lancé de nouveau avec succès
seize bombes sur la gare et les hangars d'aviation
de Fribourg-en-Brisgau.
Malgré une vive canonnade, ils sont rentrés sans
accident.
LEURS VAINS SURSAUTS
en Belgique et en Argonne
Bordeaux, 11 décembre, 15 h. 35.
L'ennemi a montré hier quelque activité dans la
région d'ypres.
Il a dirigé contre nos lignes plusieurs attaques,
dont trois ont été complètement repoussées. Sur un
point unique du front, les Allemands ont réussi à
atteindre une de nos tranchées de première ligne. De
notre côté, nous avons continué à progresser dans la
direction des lignes ennemies.
Dans la région d'Arras et dans celle de Juvincourt,
combats d'artillerie.
Dans l'Argonne, nous avons poussé en avant de
plusieurs de nos tranchées et refoulé deux attaques
allemandes.
Dans la région de Varennes, nous avons consolidé nos
gains des jours précédents.
L'artillerie allemande s'est montrée très active,
mais ne nous a infligé aucune perte.
Il en a été de même sur les Hauts-de Meuse.
Dans le Bois-le-Prêtre, notre progression s'est
poursuivie et accentuée.
Au sud de Thann, nous avons enlevé la gare d'Aspach.
Sur le reste du front des Vosges, combats
d'artillerie.
NOTRE SUCCÈS S'ACCENTUE
dans la région d'Ypres
Voici le communiqué du 11 décembre, 23 heures :
Dans la région d'Ypres, une très violente attaque
allemande a été repoussée.
Dans la même région, celle de nos tranchées signalée
dans le communiqué de 15 heures comme atteinte par
les Allemands a été reprise par nous.
Sur le reste du front, rien à signaler.
CRÉER
c'est combattre
Nancy, 11 décembre.
Qui porte tort aux marchands ferme la porte du
bien-être sur la cité et l'armée.
(Proverbe hindou.)
Je mets ce proverbe en exergue d'abord parce qu'il
me paraît exact, ensuite parce qu'étant oriental il
a une saveur particulière, puis parce qu'il est
d'actualité, enfin parce que le souvenir des
Hindous, - maintenant Indiens,- combattant avec nous
et pour nous adoucira les observations que
timidement je désire présenter.
La population civile de Nancy, pourtant durement
éprouvée par cette guerre, n'a jamais cessé
d'observer une discipline stricte. A quelques très
rares exceptions près, elle a conservé même le
sourire. Elle a supporté avec allégresse tous les
sacrifices que la défense nationale exigeait de
donner. Elle s'est pliée sans un murmure à toutes
les nécessités.
Elle a reçu les visites des Taubes, et n'a montré
qu'une curiosité discrète.
Elle a reçu des obus, et n'en a été nullement émue.
Elle salue les blessés avec émotion.
Elle respecte les prisonniers.
Quoi qu'on lui ordonne dans l'intérêt de la patrie,
elle le fait sans une ombre d'hésitation. Elle
comprend qu'elle doit donner l'exemple.
On lui a supprimé les lumières dans les rues et aux
fenêtres des façades, les bicyclettes, les
automobiles. On a fermé les cafés à six heures, puis
on lui a permis d'y rester jusqu'à sept heures. On
lui a enlevé la gare, et on l'a rétablie. On a
successivement indiqué que les laissez-passer
étaient délivrés, tantôt à la préfecture, tantôt à
la mairie, tantôt au commissariat.
Elle a trouvé que tout cela était bien puisqu'on
était obligé de l'édicter. Et elle a tout exécuté
ponctuellement.
Cette attitude vaut bien une récompense. Je demande,
comme récompense, qu'il y ait un peu plus d'aise
pour les relations commerciales.
Oui, je sais. La gare est rétablie. La Compagnie de
l'Est a fait tout ce qu'elle pouvait, et mieux
encore qu'on n'aurait pu l'imaginer. Elle a réalisé
et réalise chaque jour des améliorations
considérables. C'est exact et j'applaudis des deux
mains.
Les banques locales donnent plus de facilités aux
commerçants. La caisse d'épargne permet des retraits
plus fréquents et plus larges. Il est maintenant
possible de réaliser en partie les Bons de la
défense nationale que l'on avait souscrits. Les
services d'alimentation sont admirablement assurés.
C'est exact, c'est exact. Mais ne pourrait-on, par
exemple, abréger les formalités d'expédition pour
les télégrammes, donner un peu plus de rapidité aux
communications postales, adoucir le régime des
papiers de réquisition, améliorer et activer les
transports et surtout faire du moratorium quelque
chose de plus souple et de plus vivant ?
On a fait beaucoup. On serait heureux d'avoir
davantage.
Il faut songer que la guerre sera longue sans doute.
On ne cesse de le répéter, et cela n'est pas
invraisemblable.
Nous ne pouvons pas vivre éternellement sur les
provisions accumulées par l'agriculture, le commerce
et l'industrie. Il faut créer si l'on veut vivre.
Chaque jour on mange, on boit. Chaque saison ou
chaque année on s'habille. Il est nécessaire de
donner non seulement des armes à nos soldats mais
aussi de quoi les nourrir, et des vêtements et des
chaussures.
Pour produire tout cela il est indispensable que le
travail reprenne. Non pas d'une façon normale
certes, personne ne demande une telle impossibilité,
mais dans la mesure de nos moyens présents.
Il y a dans les coffres de l'argent qui ne fait
rien, dans les usines des machines qui ne
fonctionnent plus, dans les maisons des hommes et
des femmes qui volontiers occuperaient leurs bras à
de fructueuses besognes, et dans les pays voisins ou
dans nos ports ou dans nos gares des matières
premières qui seraient vite transformées en objets
utiles.
Nous souffrons d'un mal nécessaire, la guerre.
Pourquoi ne vivons-nous pas normalement, en nous
accommodant de ce mal, comme on s'est déjà accommodé
de tant d'autres ?
Il est bien entendu qu'avant tout ce sont les
services militaires qui doivent passer. Qui le
contesterait serait odieux. Avec raison on le
considérerait comme un fou dangereux.
Mais n'est-ce point aussi un service militaire en ce
temps-ci que le travail national, une sorte de
service d'arrière qui est en contact avec les
services de l'intendance ? N'est-ce pas un service
militaire que de confectionner des vêtetements, que
de moudre le blé, de le transformer en pain, de
nourrir, de vêtir les troupes et aussi les enfants
et les hommes qui demain rejoindront leurs aînés et
leurs cadets dans les tranchées ? N'est-ce pas un
service militaire que les femmes accomplissent en
tricotant des chandails, des passemontagne, en
cousant des tricots, en soignant les blessés, et
même plus simplement en gardant ce sourire un peu
mélancolique qui donne du coeur aux hommes et fait
surgir les héros ?
Tout actuellement est service militaire. Tout se
fait pour et par la nation.
Les chefs commandent. Les soldats se battent.
Ce que peuvent faire les civils, c'est travailler.
Si peu qu'on les aide, ils se mettront joyeusement à
la besogne. Mais il leur faut du crédit, des moyens
de transport, et certaine liberté.
Oui, on ne demande plus qu'une chose, travailler.
Celui qui travaille apporte un concours efficace au
triomphe final. Et peut-être abrège-t-il pour une
grande part la durée de la guerre.
Ce n'est pas la bonne volonté qui manque. Ce sont
les aises.
RENÉ MERCIER.
(à
suivre) |