La Grande guerre. La Vie en Lorraine
René Mercier
Edition de "l'Est républicain" (Nancy)
Date d'édition : 1914-1915
La Grande-Guerre
LA VIE EN LORRAINE OCTOBRE 1914
L'Est Républicain
NANCY
Voici le mois
d'octobre. Les combats continuent. Mais la ligne de
feu, après la victoire de la Marne, va se fixer pour
la campagne d'hiver.
La tentative d'encerclement de Verdun échoue.
Pendant que les Belges résistent toujours, nous
tenons. Nous comprenons que la guerre sera plus
longue qu'on ne l'avait généralement estimé au
début.
Le mois d'octobre est le mois de l'organisation
tenace pour les civils comme pour les combattants.
En même temps les récits des réfugiés nous
renseignent sur l'oeuvre des Barbares.
La Vie en Lorraine du mois d'octobre raconte au jour
le jour cette action admirable d'une nation qui veut
vivre et qui vaincra.
La province d'avant-garde est résolue, et commence,
au milieu de ses atroces douleurs, à sourire des
vains efforts germaniques.
René MERCIER.
LA BATAILLE
DU
GRAND-COURONNÉ
Nous partons de Nancy
à huit heures et demie du matin. C'est le 4 mars. Le
ciel, gris d'abord ; un petit soleil de premier
printemps va l'éclairer. Des automobiles militaires,
servies par des chauffeurs de l'état-major, sont
mises à notre disposition. Elles filent vers l'est
sur la route nationale, qui tend à la Lorraine
annexée, et auraient bientôt passé la frontière,
nous conduisant à Château-Salins, Morhange et
Sarreguemines, si les tranchées allemandes n'étaient
pas là, sur l'autre rive de la Seille.
Dès qu'on est sorti de la ville, le regard fouille
un vaste horizon. La contrée est très ouverte et
semée de collines de grand relief. Les prairies,
d'aspect maigre, alternent avec les bois défeuillés.
Les villages et les maisons isolées sont assez
rares. La vue est fermée devant nous à quinze ou
vingt kilomètres par une crête en demi-cercle,
qu'occupent encore les Allemands. Bien qu'aucun
engagement important ne se livre dans la journée, le
canon tonne à notre gauche, vers le bois Le Prêtre,
au nord de Pont-à-Mousson, devant nous, près de
Nomeny.
Nous faisons halte sur un tertre, où l'officier
d'état-major commis à ce soin nous explique la
bataille qui préserva Nancy de l'occupation
allemande. Il faut d'abord la situer dans l'histoire
de la guerre pour en montrer l'importance et les
résultats.
La deuxième et la troisième semaines d'août avaient
été, pour l'armée française, heureuses et presque
faciles. La double offensive prévue par l'état-major
progressait. L'armée du général Pau, après s'être
rendue maîtresse des défilés des Vosges poussait en
Alsace. Mulhouse avait été une seconde fois occupée
et les avant-gardes avaient atteint les accès de
Colmar.
Dans la Lorraine annexée, les armées du général
Sarrail et du général de Castelnau, une fois le
Donon, sommet septentrional des Vosges, en leurs
mains, avaient poussé hardiment dans le terrain qui
s'étend au sud de Metz. D'abord, tout alla bien ; au
delà de la Seille, les Français avaient, le 19 août
au soir, atteint Delme, Dieuze et Morhange. Ils ne
s'étaient heurtés qu'à des troupes de couverture.
C'est le 20 que commença la malemparée. Plusieurs
corps d'armée allemands attaquèrent tout à coup. La
droite française céda la première, entraînant après
elle, le centre et la gauche, qui pouvaient être
débordés. Le grand état-major allemand lança le 21
août un bulletin triomphant :
« Conduites par le prince héritier de Bavière, des
troupes appartenant à toutes les races germaniques
ont remporté hier une victoire dans des batailles
livrées avec des forces considérables entre Metz et
les Vosges.
« L'ennemi s'avançant en Lorraine a été rejeté. avec
de grosses pertes sur toute la ligne.
« Le succès total ne peut pas être encore apprécié,
attendu que l'étendue du champ de bataille est plus
grande que ne le fut celle des luttes de toutes nos
armées en 1870-1871.
« Animées d'un élan irrésistible, nos troupes
poursuivent l'ennemi et continuent à le combattre
aujourd'hui. »
Le lendemain, 22 août :
« Les troupes françaises battues hier entre Metz et
les Vosges ont été poursuivies et leur retraite a
dégénéré en fuite. Jusqu'ici, plus de dix mille
prisonniers ont été faits et au moins cinquante
canons pris. Les forces ennemies battues
comportaient plus de huit corps d'armée,. »
L'empereur adressait au roi de Bavière une dépêche
de félicitations pour les hauts faits du prince
Ruprecht. A Munich, devant le palais des
Wittelsbach, ce fut un délire et, du haut de son
balcon, le roi Louis III haranguait la foule en ces
termes :
« Je suis fier de voir mon fils remporter de si
beaux succès à la tête de ses vaillantes troupes ;
mais ceci n'est qu'un début. De grandes victoires
nous attendent encore. J'ai la confiance dans la
qualité de l'armée allemande, qui restera
victorieuse quel que soit le nombre des ennemis. »
Eh bien ! la bataille du Couronné de Nancy devait
pourvoir à ce que les Allemands fussent arrêtés net,
sur la frontière même, après leur victoire de Metz,
comme ils disent, de Morhange, comme l'appellent les
Français.
Ce résultat allait permettre à Joffre de rallier son
armée sur la Marne, quand venant de Belgique, les
Allemands eurent débordé sur le Nord de la France
après la bataille de Charleroi. Sans la résistance
du Grand-Couronné, ce formidable coup d'arrêt eût
été impossible. Avançant de l'est à l'ouest les
Allemands eussent franchi la trouée de Charmes et
débordé la droite du généralissime, rendant sa
position intenable, soit qu'ils eussent marché droit
devant eux vers l'ouest, soit qu'ils eussent pris le
plateau de Langres pour objectif. Joffre aurait dû
reculer au moins jusqu'à la ligne de la Seine.
L'armée impériale comptait bien cueillir rapidement
les fruits de son succès du 20 août. Le premier qui
s'offrait était de choix : Nancy. Cette ville n'est
pas une forteresse. En 1870, elle fut occupée, sans
coup férir, par une avant-garde de uhlans. On la
considérait comme sacrifiée. Si les Allemands
prenaient l'offensive, c'est derrière la ligne
Epinal-Toul-Verdun et les Hauts-de-Meuse que l'armée
pourrait opposer une première résistance efficace.
La littérature militaire française ne le mettait pas
en doute. La littérature militaire allemande, moins
encore. Si bien que certaines catégories de
réservistes avaient, dès le début de la guerre, reçu
l'ordre de rejoindre leur corps à Nancy dans les
derniers jours d'août. Une entrée triomphale sur la
place Stanislas, l'une des plus élégantes de
l'Europe avec sa ceinture de grilles dorées était
pour sourire à Guillaume II. Nancy, Nanzig, comme
ils disent, devait devenir, après la paix, une ville
allemande capitale de la Westfranken, ou Franconie
occidentale. Le 22 août l'empereur arrivait à Delme,
avec le régiment des cuirassiers blancs, pour
préparer ce grand spectacle.
Qui donc eût imaginé qu'après huit mois de guerre se
déroulant en majeure partie sur le sol français,
Nancy serait encore inviolée et confiante ? C'est
une surprise, presque un miracle. Comment la
bataille du Grand-Couronné, dont les résultats
furent si décisifs, n'a-t-elle pas, dès aujourd'hui,
sa place au rang des plus mémorables ?
J'avais cru que le Grand-Couronné était un ensemble
de travaux du génie construits à loisir en temps de
paix. Il n'en est rien. C'est une position
naturelle, renforcée où il fallait par des ouvrages
de campagne hâtifs. Supposez une demi-lune, un
demi-cercle de hauteurs, les unes boisées, les
autres dénudées, protégeant Nancy du nord au sud, la
Meurthe sinueuse, large et lente en formant la
corde. Il commence au nord, vers Pont-à-Mousson,
pour se fermer au sud vers Saint-Nicolas-de-Port,
Dombasle et la forêt de Vitrimont. Les collines dont
il est fait sont élevées d'une centaine de mètres,
très allongées, à pentes symétriques, sans angles
morts, avec de grands champs de tir.
Le général de Castelnau avait pour mission de
défendre le Grand-Couronné.
Il disposait à cet effet de quatre corps d'armée,
ceux qui avaient combattu à Morhange, où les
dépêches officielles allemandes prétendaient en
avoir mis huit « en fuite ». C'étaient les 9e, 15e,
16e et 20e corps. Ils étaient appuyés par trois
divisions de réserve, les 68e, la 59e et une autre
dont le numéro m'échappe. Les Français étaient donc
un peu moins de 200.000.
L'attaque allemande se produisit sur deux directions
principales. L'armée du prince royal de Bavière,
venant de Delme, avait pour objectif le secteur nord
du Grand-Couronné ; des éléments de la garnison de
Metz et l'armée du général Heeringen, venant de
Sarrebourg et de Dieuze, devaient attaquer, en
partie directement sur Nancy, par la forêt de
Champenoux, en partie plus au sud, par Cirey,
Blâmont, Badonviller, Baccarat, Gerbéviller,
tournant la droite de la position française. Cette
aile de l'armée était de beaucoup la plus avancée,
puisque, après un vif combat, elle occupa Lunéville
le 21 août.
Je ne puis retracer toutes les phases de la
bataille, qui, avec des accalmies, dura une douzaine
de jours et ne fut achevée que vers le 6 au 7
septembre., avant - notons-le bien - qu'eût commencé
la bataille de la Marne.
L'armée venant de Delme vint se heurter au sud de
Mousson, au mont Sainte-Geneviève, qui commande la
vallée de la Moselle. Après des combats répétés,
dont plusieurs corps à corps furieux, l'attaque fut
abandonnée le 7 septembre. Depuis lors, l'armée
allemande a reculé de quelques kilomètres. Les mêmes
troupes tiraillent encore chaque jour dans le bois
Le-Prêtre dont nous entendons distinctement le
canon.
Ce n'est pas cette partie du grand Champ de bataille
que nous avons parcourue, mais la partie sud.
L'officier qui nous sert de guide la raconte de la
façon la plus saisissante, sans grand déballage de
détails tactiques, mais nous montrant ce qu'il a vu.
« Notre état-major était là. A l'aide de nos
jumelles, nous avons aperçu les premiers Allemands
sortant de la lisière de ce grand bois, là-bas, à
gauche. Alors nos 75, en batterie derrière cette
crête, ont ouvert le feu. » Et ainsi de suite.
Racontée de la sorte, sur les lieux, par un témoin
bien disant et expert, le récit prend vie et nous
voyons les principaux épisodes de la bataille.
A notre gauche, se dresse le Grand-Mont d'Amance,
avec un village entre le Petit et le Grand-Mont,
comme Monnetier entre le Petit et le Grand-Salève.
Il a joué, pour le secteur sud le rôle sauveur du
mont Sainte-Geneviève pour le secteur nord, bien
qu'il ait été écrasé d'obus, plusieurs jours durant,
par des batteries lourdes allemandes qu'on
n'arrivait pas à repérer et auxquelles il eût été du
reste inutile de chercher à répondre, puisque leur
portée était plus longue que celle des pièces dont
les Français disposaient alors.
Un des épisodes les plus sanglants fut l'entrée en
ligne de la brigade de Toul,. formée des 168e et
169e de ligne.
« Elle était dans ce bas-fond. Elle a reçu l'ordre
de traverser là, à gauche de la route, ce saillant
de, la forêt de Champenoux, puis, arrivée à l'autre
lisière, de gravir à couvert la pente qui aboutit au
petit plateau que vous voyez, de le traverser, de
franchir la route et de marcher sur le bois d'Erbéviller,
qui s'étend à droite. Nous suivions d'ici tout ce
mouvement. La brigade s'est calmement déployée. Nous
l'avons vue peu à peu disparaître sous bois.
Pas un coup de canon. Pas un coup de fusil. Après
une longue attente, ses lignes ont émergé de la
forêt, à l'angle fixé. Après une conversion bien
exécutée pour prendre la nouvelle direction, elle a
gravi le coteau en ordre, toujours sans être
inquiétée.
Mais, quand elle a débouché sur le petit plateau,
nous l'avons vue fauchée en quelques minutes. A la
lisière du bois d'Erbéviller, les Allemands avaient
soigneusement dissimulé douze mitrailleuses, qui,
tout à coup, sans que rien eût révélé leur présence,
se mirent à cracher à trois ou quatre cents mètres.
Leurs gerbes de balles balayaient le sol. En vain
nos hommes se jetaient à terre pour riposter. Ils
étaient touchés à la tête. Quelques-uns avaient mis
leur sac devant eux. Rempart illusoire. Presque tout
ce qui avançait au sommet du coteau est tombé. La
terrasse était encombrée de morts et de blessés qui
se touchaient tous sur plusieurs centaines de,
mètres carrés. »
Nous allons voir. Sept mois ont passé et les traces
du charnier restent toujours apparentes. D'abord ce,
sont de longues, longues tombes anonymes, où des
centaines de jeunes hommes dorment côte à côte. Une
croix surmontée d'un képi rouge, parfois aussi d'une
ceinture bleue, et quelques inscriptions sommaires.
Nous nous découvrons, la gorge serrée. Le canon du
bois Le Prêtre, à quelques kilomètres, nous rappelle
qu'il s'agit, non d'un émouvant spectacle
d'histoire, mais de la réalité présente et toute
voisine.
(Journal de Genève.) Ab. B...
LE 10 AOUT A
MULHOUSE
Un Alsacien, témoin
oculaire de la première occupation de Mulhouse par
les Français, publie son journal dans les « Basler
Nachrichten ». Après avoir peint, l'accueil fait aux
Français par la population, d'abord réservée, puis
se laissant gagner par l'enthousiasme, et raconté la
retraite des troupes d'occupation, il en arrive à la
rentrée des Allemands, le matin du 10 août.
Le matin déjà, les officiers des troupes qui
entraient se comportaient comme en pays ennemi. Ils
criaient continuellement : « Ouvrez les volets !
Fermez les fenêtres ! » Comme je n'avais pas compris
le premier ordre et m'en enquérais, un officier me
cria : « Ferme ta gueule ! ou je te f... bas ! ». Et
il braquait sur moi son pistolet. Il n'y a
naturellement pas de réplique à un langage si clair.
Quoique les gens n'eussent pas cessé d'apporter à
boire et à manger aux troupes qui passaient, ils
étaient continuellement malmenés. Les officiers, le
revolver au poing, forçaient les spectateurs à
saluer non seulement les drapeaux mais tous les
officiers qui défilaient. « Chapeau bas ! »
criaient-ils. Et comme un vieux monsieur employé de
la ville, répondait poliment : « J'ai salué », un
blanc-bec de lieutenant lui cria : « Eh ! bien,
saluez de nouveau. Devant un officier allemand la
bande des Wackes n'a qu'à se découvrir ». Fusse la
femme d'un haut employé communal rentrant à la
maison avec son garçon. « Chapeau ! » lui crie un
officier. La dame, tremblante d'angoisse, ôtait déjà
son épingle de chapeau quand l'officier lui dit en
ricanant : « Dumme Gans ! » C'est le gosse qui doit
saluer, ce qui fut fait.
Le soir, les officiers se pavanèrent sur les
trottoirs, bousculant à coups de coude les civils
qui ne descendaient pas. Il y avait du reste peu de
passants ; la plupart des gens allèrent au lit de
bonne heure, après une journée si mouvementée. Mais
quelle nuit ! Peu après 10 heures, des coups de feu
éclatent dans tous les coins de la ville, une
fusillade bien pire que celle des deux jours de
bataille. Le motif ?
Jusqu'à présent on n'est pas encore au clair. Le
fusil d'un soldat était-il parti par mégarde ? Un
aviateur français avait-il lancé une bombe, comme
plusieurs prétendent l'avoir vu ? On n'en sait rien.
Le fait est que les soldats, fatigués et surexcités
par deux jours de combat, crurent à une surprise des
Français et se mirent à tirer à l'aveuglette dans
toutes les rues et de toutes les fenêtres. Un
vacarme d'enfer, bientôt accompagné, comme la nuit
précédente, du crépitement des mitrailleuses.
Seulement, cette fois le tir était dirigé contre la
ville, et les traces des balles sont encore visibles
sur des centaines de maisons. Dans quelques rues
gisaient des soldats, tous atteints par des balles
allemandes. Ainsi à la rue de Rixheim, huit soldats
qui regagnaient en courant leur cantonnement furent
fauchés par les mitrailleuses parce qu'on les prit
pour des assaillants français.
Les scènes qui suivirent sont indescriptibles. Les
portes furent enfoncées, les volets brisés, les
fenêtres enfoncées, des salves tirées dans des
appartements où logeaient parfois des soldats
allemands. Tous les habitants des rues avoisinantes,
les plus jeunes comme les plus vieux, furent chassés
des maisons et parqués sur des places découvertes où
ils durent rester jusqu'au lendemain matin, les
mains en l'air et souvent moitié vêtus. Défense de
dire un mot ; si quelqu'un, dans le sentiment de son
innocence, voulait protester contre ce traitement
inhumain, on lui appliquait sur la poitrine le
revolver ou la baïonnette. Des commerçants de
vieille souche germanique et de hauts fonctionnaires
subirent les mêmes affronts que le simple ouvrier
alsacien qui y trouvait quelque consolation. Oui,
même le tenancier de l'Hôtel Central, où logeaient
l'état-major du 14e corps, le général de Huene et le
prince Max de Baden, subit le même sort, quoiqu'il
soit bon Bavarois et bon patriote. Des douzaines de
notables, professeurs, fabricants, directeurs,
maîtres, hôteliers furent menacés d'être fusillés.
Le traitement qui leur fut infligé défie toute
description.
Les officiers qui avaient ordonné ces mesures
étaient fermement convaincus crue la population
avait tiré sur eux. La même nuit encore, on procéda
à des perquisitions, mais sans résultat. Jusqu'à
aujourd'hui on n'a pas pu établir un seul cas
prouvant que les coups de feu provenaient de la
population civile, quoique le maire ait offert une
prime de 1.000 mark. Toutes les balles trouvées
jusqu'à présent proviennent au contraire
exclusivement des fusils d'ordonnance allemands. Et
il s'est tiré au moins 500 coups ! Officiers et
soldats avaient perdu la tête.
Le lendemain, 11 août, fut la digne suite de cette
nuit de terreur. Officiers et soldats devaient avoir
reçu l'ordre exprès de traiter la population sans
ménagement. A tous les coins de rue des postes
terrorisaient les passants. A la porte de la
Jeunesse, des mitrailleuses braquées tournent leurs
gueules menaçantes contre les principales artères de
la ville, tandis que d'autres commandent les places
Evidemment l'autorité militaire croyait à une
rébellion, tandis que la population angoissée ne
demandait qu'à être laissée en repos.
Ce ne fut qu'après une enquête approfondie que
l'autorité militaire revint de ses préventions et
fit éloigner les mitrailleuses et relâcher les
personnes arrêtées. Mais depuis 8 heures du soir,
tous les civils devaient être rentrés. Les soldats
seuls remplissaient les cafés. Quant aux sentiments
des officiers vis à-vis de la population civile,
mais après la fin de l'affaire, vous en jugerez par
l'apostrophe suivante adressée à des dames, mes
voisines, qui causaient tranquillement sur leur
balcon : « Allez vous cacher, damnée bande de
cochons ! (Verfluchte Schweinebande). Ces canailles
de Français n'ont pas besoin de prendre l'air ! » Et
ils soulignaient ces gentillesses en brandissant
leur revolver. Ces mêmes dames avaient tout le jour
offert des rafraîchissements aux troupes qui
passaient.
UNE JOLIE
CÉRÉMONIE
Bayonne, le 30
septembre.
Dans la cour du Lycée transformé en hôpital
temporaire, une touchante cérémonie a eu lieu ce
matin. Devant tous les blessés valides réunis, le
sergent André Bruelle, du 37e d'infanterie, 2e
section de mitrailleuses, porté à l'ordre du jour de
l'armée, a été félicité publiquement. L'ordre du
jour porte : « A commandé une section de
mitrailleuses avec la plus grande énergie, malgré un
feu violent d'infanterie ; est resté jusqu'au
dernier moment à son poste de combat où il a été
grièvement blessé. » Ajoutons que bien que
grièvement blessé d'une balle à la jambe, il a fait
huit kilomètres en portant sa mitrailleuse sur son
dos. Cet acte de courage a été accompli au combat de
Morhange, en Lorraine, le 20 août.
Après la cérémonie militaire du Lycée, une autre
plus intime, que nous pourrions appeler une fête de
famille, avait lieu à la clinique du docteur Delay,
où le sergent Bruelle est en traitement. Sous les
arbres, tous les blessés réunis autour d'une table,
ont bu gaiement à leur camarade, heureux de le
féliciter de sa vaillance et de son courage.
Ces petites fêtes patriotiques sont réconfortantes
et jolies.
EN HAUTE-ALSACE
Nouvelles de source suisse
Nous lisons dans le «
Pays », Porrentruy, du 26 septembre :
Nous tenons d'une personne qui revient de Mulhouse
les renseignements suivants :
Mardi dernier, la ville, occupée par les Allemands,
était calme. Elle craignait que les Allemands,
obligés de se retirer devant les troupes françaises,
n'incendiassent Mulhouse.
Quelques jours auparavant, la police avait obligé
les habitants à pavoiser leurs maisons, pour
célébrer une victoire allemande à Thann.
Mercredi après midi, un aéroplane français survolait
la ville. On ne put dès lors entrer à Mulhouse sans
un laissez-passer du commandant de place, car on
supposait que les Français approchaient.
Officiellement, il n'y a eu que six personnes
fusillées à Mulhouse, mais bien d'autres ont été
tuées dans des caves, dans des réduits, par des
soldats allemands.
On a dit que l'hôpital de Mulhouse avait été
endommagé par le feu de l'artillerie française. Il y
a eu, en effet, quelques dégâts, d'ailleurs peu
importants. Cela provient de la circonstance que les
Allemands avaient placé des canons près de l'hôpital
et qu'ils tiraient, de là, sur les Français, si bien
que le médecin qui dirigeait l'établissement déclara
que, si l'on ne consentait pas à retirer ces canons,
il s'en irait et abandonnerait ses malades.
Burtwiller présente un aspect lamentable depuis le
bombardement. Quand les Français revinrent à
Mulhouse pour la seconde fois, émus de ce désastre,
ils organisèrent une quête chez les officiers en
faveur des malheureux habitants, laquelle produisit
une somme de cinq mille francs.
BONCOURT. - Jeudi matin, on a entendu d'ici une
forte canonnade dans la direction de Dannemarie.
D'après des renseignements que je crois sûrs, une
bataille aurait été engagée près de Ballersdorf, à
quelques kilomètres de Dannemarie. On me dit que les
Français se sont servis de pièces de gros calibre,
amenées de Belfort.
Je ne connais pas encore le résultat de la bataille,
mais je sais que les Français reçoivent
continuellement d'importants renforts.
Les Allemands font, de temps à autre, des incursions
sur le territoire français de Belfort. Jeudi, huit
uhlans sont arrivés à Faverois. Ils ont été reçus à
coups de fusil par les Français et ont été tués.
Un dragon suisse m'a raconté que jeudi, au point
509, près de Boncourt, on avait compté 670 coups de
canon pendant la journée de jeudi. Il est probable
qu'une action décisive se prépare en Haute-Alsace.
Nous lisons dans le « Jura », de Porrentruy, du 29
septembre :
Les combats de la semaine dernière, entre
Waldighofen et Roppenzweiler, ont tourné au
désavantage des Allemands, comme on le prévoyait.
Deux régiments de landwehr ont été anéantis. On dut
réquisitionner partout où on le put des chars pour
transporter les nombreux blessés.
Il est imprudent, même dangereux, de se rendre
actuellement en Alsace. Les curieux sont prévenus.
Tous les hommes valides de 17 à 45 ans ont été levés
et emmenés par les Allemands. Aujourd'hui même sont
partis ceux de la région de Ferrette.
Les nouvelles sont rares en Alsace. Seuls quelques
journaux de la région sont encore distribués. Même
les journaux bâlois sont interdits dans le
Reichsland, malgré leurs tendances germanophiles.
LA SITUATION
GÉNÉRALE
Attaques repoussées
Nombreux prisonniers
Bordeaux, 29
septembre, 16 h. 10.
A NOTRE AILE GAUCHE
Au nord de la Somme et entre la Somme et l'Oise,
l'ennemi a tenté, de nuit et de jour, plusieurs
attaques qui ont été repoussées.
Au nord de l'Aisne, aucun changement.
AU CENTRE
En Champagne et à l'est de l'Argonne, l'ennemi s'est
borné à de fortes canonnades.
Entre Argonne et Meuse, légers progrès de nos
troupes qui trouvent devant elles des positions
fortement organisées par les Allemands.
SUR LES HAUTS-DE-MEUSE DANS LA WOEVRE ET A L'AILE
DROITE (Lorraine et Vosges)
Pas de modification notable.
D'une façon générale, notre front est jalonné, de
l'est à l'ouest, comme il suit :
Région de Pont-à-Mousson : Apremont, la Meuse.
Dans la région de Saint-Mihiel : les hauteurs au
nord de Spada et la partie des Hauts-de-Meuse au
sud-est de Verdun.
Région de Varennes : le nord de Souain, Chaussée
romaine qui aboutit à Reims, les avancées de Reims,
la route de Reims à Berry-au-Bac, les hauteurs dites
du Chemin-des-Dames sur la rive droite de l'Aisne.
La ligne se rapproche ensuite de l'Aisne jusque dans
la région de Soissons.
Entre Soissons et la forêt de l'Aigle, elle comprend
les premiers plateaux de la rive droite de l'Aisne.
Entre l'Aisne, et la Somme, elle passe par Ribécourt.
(qui est à nous), Lassigny (occupé par l'ennemi),
Roye (à nous), Chaulnes (à l'ennemi).
Au nord de la Somme, elle se prolonge sur les
plateaux entre Albert et Combles.
Nous avons fait encore de nombreux prisonniers au
cours de la journée d'hier :
ils appartiennent notamment au 7e corps actif, au 7e
de réserve, aux 10e, 12e, 15e et 19e corps d'armée
allemands.
ACADÉMIE DE
NANCY
Bordeaux, le 29
septembre 1914.
Le ministre de l'Instruction publique, M. Albert
Sarraut, a envoyé la circulaire suivante aux
recteurs d'Académie :
Les lycées, collèges et écoles de l'enseignement
public vont s'ouvrir à la jeunesse française,
partout où le devoir supérieur d'hospitaliser nos
glorieux blessés n'aura pas fait obstacle à la
reprise des études.
Je désire que le jour de la rentrée, dans chaque
cité, et dans chaque classe, la première parole du
maître aux élèves hausse les coeurs vers la Patrie,
et que sa première leçon honore la lutte sacrée où
nos armes sont engagées. Dans tout le pays, à la
même heure, les fils de France vénéreront le génie
de leur nation et salueront l'héroïsme de ceux qui
versent leur sang pour la liberté, la justice, le
droit humain.
La leçon du maître sera simple et forte. Elle devra
convenir à l'âge de ses auditeurs, les uns enfants,
les autres adolescents. Chacune de nos écoles a
envoyé sur la ligne de feu des combattants,
professeurs ou élèves, et chacune, je le sais, porte
déjà la douleur fière de ses deuils : la parole du
maître, dans la classe, évoquera d'abord le souvenir
de ces morts, pour exalter leur exemple, en graver
la trace dans la mémoire des enfants. Puis, à grands
traits, sobrement, clairement, elle dira les causes
de la guerre, l'agression sans excuse qui l'a
déchaînée, et comment devant l'univers civilisé, la
France, éternel champion du progrès et du droit, a
dû se dresser encore, avec des alliés valeureux,
pour repousser l'assaut des barbares modernes.
La lutte acharnée qui nous conduit irrésistiblement
à la victoire ajoute chaque jour à la gloire de nos
soldats mille traits d'héroïsme où le maître d'école
puisera le meilleur de sa leçon. A la vaine emphase
du verbe, il préférera, pour émouvoir l'enfant, ces
modèles souverains de l'action.
De cette première heure de classe, il faut que le
viril souvenir reste à jamais empreint dans l'esprit
de l'élève, citoyen de demain. Le maître qui aura su
l'inscrire sera resté digne de la confiance de la
République.
Signé : Albert SARRAUT.
L'ACTION
S'ÉTEND
Succès au Nord comme en Woëvre
Bordeaux, 30
septembre, 15 h. 20.
A NOTRE AILE GAUCHE
Au nord de la Somme, l'action continue à se
développer de plus en plus vers le nord.
Entre l'Oise et l'Aisne, l'ennemi a prononcé une
vigoureuse attaqué sur Tracy-le-Mont, situé au
nord-est de la forêt de l'Aigle.
Il a été repoussé avec de fortes pertes.
AU CENTRE
Accalmie sur le front qui s'étend de Reims à la
Meuse.
Entre Argonne et Meuse, nous avons légèrement
progressé.
EN WOEVRE
Violents combats.
Nos troupes ont avancé sur plusieurs points,
notamment à l'est de Saint-Mihiel.
A NOTRE AILE DROITE
En Lorraine et Vosges, pas de modification.
L'ATTAQUE
ALLEMANDE
violente
MAIS BIEN MAINTENUE
Paris, 30 septembre,
13 h. 45.
LONDRES, 29 septembre. - Le Bureau de la Presse
annonce que, dans la soirée, la situation n'avait
pas changé.
Des combats très violents s'étaient produits à
l'aile gauche des Alliés, mais l'armée
anglo-britannique s'était bien maintenue.
Paris, 1er octobre, minuit 50.
La situation générale est satisfaisante.
Aucune modification nouvelle sur le front, sauf dans
la Woëvre méridionale, où nous avons occupé
Seicheprey et poussé jusque sur les pentes du Rupt-de-Mad.
NOS HÉROS
Nancy, 1er octobre.
Nous apprenons la mort de M. Georges Lorrain,
capitaine au ...e régiment d'infanterie, mort au
champ d'honneur, tué d'une balle au coeur le 22
septembre, aux environs de Vigneulles-Hattonchâtel,
à la tête de sa compagnie.
M. le capitaine Lorrain, qui comptait tant de
sympathies à Nancy, était le fils de M. Lorrain,
capitaine lors de la guerre de 1870, qui fut pendant
25 ans juge de paix de Nomeny, et aussi le frère de
notre concitoyen.
HEUREUSE ACTION
dans la Somme et progrès dans l'Argonne
Paris,
1er octobre, 0 h. 55.
Ce soir, rien de particulier à signaler, sauf dans
la région de Roye, où une violente action a
heureusement tourné pour nous, ainsi que dans
l'Argonne. où nous avons fait quelques progrès
nouveaux.
L'impression générale reste satisfaisante.
ENCORE UN PAS
EN AVANT
sur la Somme ainsi qu'en Woëvre
Paris,
1er octobre, 15 h. 40.
La situation dans l'ensemble n'a pas subi de
changement.
Nous avons cependant progressé à notre gauche, au
nord de la. Somme, ainsi qu'à notre droite, dans la
Woëvre méridionale.
L'ARDENTE
BATAILLE
C'est
surtout au Nord que la bataille est violente
Paris, 2 octobre, 15 h. 30.
A NOTRE AILE GAUCHE
La bataille continue très violente, notamment dans
la région de Roye où les Allemands paraissent avoir
concentré des forces importantes L'action s'étend de
plus en plus vers le Nord. Le front de combat se
prolonge actuellement jusque dans la région au sud
d'Arras.
SUR LA MEUSE
Les Allemands ont tenté de jeter, près de
Saint-Mihiel, un pont qui a été détruit cette nuit.
EN WOEVRE
Notre offensive continue. Elle progresse pas à pas,
notamment dans la région entre Apremont et
Saint-Mihiel.
Sur tout le reste du front, il n'a été tenté, de
part et d'autre, que des opérations partielles.
ILS PASSENT
Nancy, 2
octobre.
Barbus jusqu'aux yeux, jusqu'aux yeux redevenus des
yeux d'enfant, crottés et gouailleurs, une couronne
de pain au bras, des fleurs au bout du fusil, les
voilà qui passent, nos braves troupiers.
Où vont-ils ? Au feu.
Mais vers quel endroit ? Ils n'en savent rien, et
ils s'en fichent. Ils vont où on leur dit d'aller,
devant eux. Ils montent dans les trains, ou marchent
à pied, vers l'Ouest, vers l'Est, vers le Nord,
qu'importe ?
Tout leur est égal, à condition cependant que le
chemin qu'ils prennent les conduise vers l'ennemi.
Ils ont fait de ceci une affaire personnelle.
Les grands mots, c'est très bien. Bon pour les
orateurs en chambre, ou les littérateurs d'occasion.
Eux veulent des faits. Ils ne parlent pas, ils
agissent, et ils rient. Ils ne sont pas chargés
d'écrire l'Histoire. Ils sont chargés de la faire,
et je vous assure qu'ils s'en chargent bien.
Ils ne prennent pas de poses. Non. Ils marchent sur
les routes ou dans les bois, ils couchent dans les
tranchées ou dans les fermes, ils attendent en
embuscade ou bondissent baïonnette en avant.
La guerre d'aujourd'hui, ce n'est pas la guerre d'un
gouvernement, ni des nations, c'est leur guerre à
eux. Cette guerre leur appartient tout à fait. Ils
s'occupent à cette oeuvre immense comme ils
s'occupent à leur culture, à leur atelier, à leur
bureau. Ils sont dans cette affaire comme chez eux.
C'est un travail qui leur va. Ils en sont tout
réjouis. Et ça se voit à leur rire, à leurs gestes,
à leur adorable sans-façon, à tout ce qui apparaît
de leur âme tranquille et enthousiaste.
Pourvu qu'on leur donne des Allemands pour taper
dessus, le reste ne leur est rien. Ils cognent, ils
cognent, sans souci de la mort qui fouette l'air,
ils cognent à tour de bras, avec précision, avec
joie, avec le sourire.
Que d'autres tirent de leur action héroïque pour le
bien de la France les bénéfices nécessaires, ils
n'y, songent guère. Il y a quelque part des
Allemands qui depuis des années et des années les
ennuyaient de leur morgue et de leurs exigences, et
qui redoublaient cette morgue et ces exigences à
mesure qu'on leur cédait.
Alors un jour on leur a dit :
- Est-ce que vous n'en avez pas assez ?
Et ils ont répondu :
- Mais oui, en voilà assez.
- Eh ! bien, allez !
Ils sont allés, ils vont, ils courent, nos braves
petits soldats, barbus jusqu'aux yeux, jusqu'à leurs
yeux candides et rieurs d'enfants. »
On leur demande de se retirer, ils se retirent. On
leur ordonne de rester, ils restent. On leur
commande la charge, ils chargent, ah ! oui, ils
chargent.
Je vous dis qu'ils font de tout cela une affaire
personnelle.
Que parlez-vous de discipline imposée ? Allons donc
! Ils ont une discipline très étroite, et ils la
veulent, et ils l'adorent, cette discipline qui
scelle leur fraternité et qui les conduit en ordre
au combat désiré.
Leur capote est souillée de la boue des tranchées,
de la poussière des routes, leur face est un peu
tirée parfois par la fatigue. Et ils sont, jolis
comme tout cependant, nos soldats, parce que sur les
traits un peu amaigris apparaît leur âme, et rayonne
cet esprit railleur que ne saurait éteindre la
douleur physique.
Ils les auront, les Allemands. Ils les auront pour
tant qu'il en coûte. Ils les auront parce que dans
cette foule armée et joyeuse une volonté claire
s'est affermie.
Ils savent, nos soldats, qu'ils ne se battent pas
seulement pour eux. Ils se battent pour leurs vieux
parents, pour leurs femmes, pour leurs fiancées,
pour les enfants. Ils se battent pour qu'enfin on
fiche la paix à tous ceux qu'ils aiment et qu'ils
ont quittés, et auxquels ils veulent rendre la joie,
de vivre, plus jamais gâtée par l'orgueil
germanique.
C'est bien de les voir passer, saluant des mains
libres, le fusil en bandoulière, le sabre
brinquebalant ou le coupe-choux, et la pipe au bec
comme de vieux troupiers qu'ils sont tous devenus.
Je ne cesse point de les admirer. Non pas à cause de
leur courage certes. Ce serait insulte que de les
admirer pour une chose si naturelle. Mais bien pour
leur gaieté, pour leur entrain, pour le dédain
qu'ils ont de tout ce qui n'est pas la bataille,
pour leur grâce puérile.
Territoriaux ? Réservistes ? Active ? Non.
Ce sont tous de vieux grognards, et ce sont
d'enragés gamins. Ils se battent comme des tigres et
jouent comme de jeunes chats.
Et je me plais à les voir passer, et je m'arrête
pour voir sur leurs faces barbues le sourire
goguenard de leurs yeux d'enfants.
RENÉ MERCIER.
AUTOUR DE
MULHOUSE
Les Allemands battus
Le Suicide du Colonel Koch
Ça sent mauvais
On lit
dans le « National Suisse » du 2 octobre :
Des personnes apparentées à des familles de notre
ville sont rentrées de Mulhouse mardi soir, 22
septembre ; elles étaient parties de La
Chaux-de-Fonds, lundi matin, pour aller voir les
leurs et ont quitté Mulhouse mardi, à midi. Voici,
transcrit aussi fidèlement que possible, ce qu'elles
nous ont rapporté :
« Il est exact que des combats ont eu lieu la
semaine passée, en Haute-Alsace, entre autres du
côté de Thann, vendredi dernier. Ces combats ont été
parfois très meurtriers et les Allemands se sont
fait battre. Le commandant de la place de Mulhouse,
Koch, a reçu télégramme sur télégramme de
l'état-major, lui enjoignant de passer les Vosges
coûte que coûte. A plusieurs reprises, le commandant
donna l'ordre à ses troupes d'opérer une trouée dans
les positions françaises, solidement fortifiées.
Toutes ces attaques furent repoussées. En désespoir
de cause, le commandant de la place se suicida après
avoir envoyé à l'empereur cette laconique mais
éloquente dépêche : « Impossible de passer. » De
solennelles obsèques militaires lui furent faites,
samedi 19 septembre : le deuil, parmi les troupes
allemandes, était général.
Il est exact aussi que tous les hommes du landsturm,
de 17 à 45 ans, ont été brusquement appelés à
quitter Mulhouse, et voici pourquoi : Dans toute la
campagne, dans la partie de la Haute-Alsace occupée
par eux, les Français ont fait annoncer au son du
tambour que les hommes disposés à aller vendanger
dans le Midi de la France recevraient trois francs
par jour ; c'est par milliers que les Mulhousiens
partirent. Pour parer le coup, les Allemands, samedi
après-midi, annonçaient par voie d'affiches que les
hommes du landsturm, de 17 à 45 ans, devaient se
tenir prêts ; samedi, les affiches laissaient
espérer que l'appel serait différé de deux ou trois
semaines au moins. Mais, dimanche matin, à 10
heures, ordre était donné, sous peine de trois mois
de prison, de se mettre en route, à pied, pour
Mullheim, via l'île de Napoléon. Vingt mille hommes
partirent ainsi, plus d'un père donnait la main à
ses jeunes fils, âgés de 17 ou de 18 ans, des
enfants presque.
Grande fut la consternation, grande est
l'inquiétude. Les Mulhousiens restés en ville -
presque rien que des femmes - craignent de connaître
à nouveau les horreurs de la. guerre, l'incendie et
le pillage.
Mauvaise Farce
de Somnambule
Nancy, 2
octobre.
L'une de nos pythonisses, et non des moins cotées,
vient de jouer un vilain tour à un certain nombre de
ses clientes nancéiennes. Son excuse est qu'elle ne
l'a sans doute pas fait exprès.
Donc, là somnambule en question avait prédit, pour
le 27 septembre, un nouveau bombardement de Nancy.
Dans son sommeil magique, elle avait vu des maisons
effondrées, des flammes et du sang, beaucoup de
sang...
Ce n'était pas trop de cent sous pour payer un
pareil avertissement.
Aussi, dans l'attente de cette nouvelle visite des
obus allemands, les personnes ainsi prévenues par le
calcul des tarots, avaient-elles pris toutes les
précautions nécessaires.
Les matelas avaient été descendus dans les caves -
les caves voûtées de préférence. Parents, voisins et
amis avaient été charitablement prévenus. On avait
prépare lumières et victuailles, et, lorsque la nuit
du 26 arriva, tous les initiés s'étaient empressés
de gagner les abris préparés.
Et l'on avait attendu, bravement, l'arrivée des
boulets.
Au moindre souffle de vent, au moindre claquement de
porte, on se demandait si ce n'était pas un
sifflement et claquement d'obus !
- Ah ! certes, nul ne ferma l'oeil, cette nuit-là,
dans les caves !
- Etes-vous bien certaines, mesdames, que c'était
pour cette nuit ? demanda-t-on, à l'aube, aux
clientes de la somnambule.
- Ce sera peut-être seulement pour la nuit prochaine
!
En vérité, le 27 pouvait aussi bien comprendre la
nuit écoulée que la nuit à venir.
Et l'on recommença, à tout hasard, la nuit suivante,
la descente à la cave !
L'attente fut aussi vaine que celle de la veille,
et, comme l'on s'aperçut, au retour du soleil, que
si l'on n'avait pas eu à frissonner de peur, on
frissonnait de froid, on jura de dormir désormais
dans son lit, sous son édredon bien chaud, comme
l'avaient fait l'immense majorité des Nancéiens.
Nos devins ont sans doute baissé, depuis le célèbre
Calchas ?
DANS LE NORD
l'effort allemand est brisé
LA RIVE GAUCHE DE
LA MEUSE
VERS SAINT-MIHIEL
débarrassée des Allemands
Paris, 3
octobre, 1 h. 15.
1° A l'aile gauche, un de nos détachements, qui
débouchait d'Arras, a reculé légèrement à l'est et
au nord de cette ville.
Au nord de la Somme, nous avons progressé en avant
d'Albert.
Entre Roye et Lassigny, l'ennemi a prononcé de
violentes attaques qui se sont brisées contre notre
résistance.
2° Calme sur le reste du front.
On signale qu'aux abords de Saint-Mihiel il ne reste
plus d'ennemis sur la rive gauche de la Meuse.
DEUX ACTIONS
HEUREUSES
Malgré
des renforts, l'ennemi est repoussé dans la Somme. -
L'armée du kronprinz est aussi refoulée.
Bordeaux, 3 octobre, 16 h. 15.
A NOTRE AILE GAUCHE L'action violente engagée depuis
hier continue, en particulier dans la région de
Roye, où nous avons repoussé toutes les attaques,
bien que, sur cette partie du front, l'ennemi ait
été renforcé par de nouveaux prélèvements opérés sur
le centre de sa ligne.
AU CENTRE
Rien à signaler de Reims à l'Argonne.
DANS L'ARGONNE
Le XVIe corps allemand (armée du kronprinz). qui
avait essayé de se glisser par le bois de la Grurie,
a été refoulé au nord de la route Varennes-La
Harazée-Vienne-laVille.
EN WOËVRE DANS LES HAUTS-DE-MEUSE
Notre progression est toujours lente, mais continue.
NOTRE
OFFENSIVE.
Elle est surtout sensible et heureuse
dans le Nord et l'Argonne
Bordeaux, 4 octobre, 15 h. 35.
A NOTRE AILE GAUCHE
Après avoir repoussé toutes les attaques ennemies,
nous avons repris l'offensive sur plusieurs points.
AU CENTRE
Rien à signaler jusqu'à l'Argonne.
Dans l'Argonne, nous avons refoulé l'ennemi vers le
nord.
Nous progressons, mais très lentement.
A NOTRE AILE DROITE
En Lorraine et en Vosges, rien de nouveau.
RENTRÉE
de la Cour et des Tribunaux
Nancy, 4
octobre.
Vendredi matin, le tribunal civil a tenu son
audience de rentrée, sous la présidence de M.
Barrabino, qui a donné la parole à M. Schuler,
procureur de la République, pour la déclaration
d'ouverture de l'année.
Cette formalité accomplie, M. le Président en a
donné acte au procureur de la République. Il a
ensuite fait connaître que M. Lacroix, greffier du
tribunal étant mobilisé. M; Larivière, le plus
ancien commis-greffier, avait été désigné pour le
remplacer.
Après la fixation des audiences : mercredi pour les
affaires civiles; jeudi pour le tribunal
correctionnel, l'audience de rentrée a été levée.
AU CHAMP
D'HONNEUR
Nancy, 4
octobre.
Un nouveau mais glorieux deuil vient de frapper
notre ville en la personne du capitaine André
Dennery, tombé au champ d'honneur dans un récent
combat.
Le capitaine Dennery sortait de Saint-Cyr. Il était
en outre licencié en droit.
Les vieux Nancéiens se rappelleront, non Sans
émotion, son père, M. Dennery, chef de musique de
notre cher 26e, qui entra à Nancy à la tête de ce
régiment, en 1873, et qui resta ensuite des nôtres
pendant près de quinze ans.
Que la veuve de son fils et toute la famille
veuillent bien accepter l'hommage de ce souvenir
ému, avec nos condoléances.
UN BRAVE
Nancy,
le 4 octobre.
Un de nos concitoyens, M. Charles Bronner,
architecte-paysagiste. rue de Strasbourg, lieutenant
de réserve au 6 d'infanterie. a été blessé au combat
de Vitrimont.
Atteint une première fois au bras gauche, il
continua néanmoins à commander sa section six heures
après. Il recevait bientôt un éclat d'obus qui lui
fracturait le pied gauche. Malgré sa souffrance,
Charles Bronner encouragea ses hommes jusqu'au
moment où il fut relevé pour être conduit à
l'ambulance.
Ce brave est actuellement en traitement à Nice.
MARCHÉ DE NANCY
Nancy,
le 4 octobre.
Samedi matin, le marché de Nancy était bien
approvisionné en légumes frais : salades, carottes,
flageolets, et en fruits :
poires, noix et quelques quetsches.
Aux halles, quelques volailles, dont les prix
varient suivant grosseur et qualité.
Voici les prix extrêmes des diverses denrées :
Boeuf, 1 fr. 80 à 3 fr. le kil. - Veau, 2 fr. 60 à 4
fr. le kil. - Mouton, 2 fr. 20 à 3 fr. le kil. -
Lard frais, 2 fr. à 2 fr. 40 le kil. - Lard sec, 2
fr. 40 à 2 fr. 60 le kil. - Grillade, 2 fr. 80 à 3
fr. le kil. - Beurre, 3 fr. 20 à 4 fr. 40 le kil. -
oeufs, 1 fr. 40 à 2 fr. la douzaine. - Pommes de
terre, 13 fr. à 30 fr. les 100 kil.
La lutte sans
merci
VERS ARRAS
Nous avançons vers Soissons et en Woëvre
Paris, 5
octobre, 5 h. 19.
1° A notre aile gauche, la lutte bat son plein, dans
la région d'Arras, sans qu'au-curie décision ait
encore été obtenue. L'action a été moins violente
entre là vallée supérieure de l'Ancre et la Somme,
et entre la Somme et l'Oise.
Nous avons progressé dans la région de Soissons, où
les tranchées ennemies ont été prises.
2° Sur presque tout le reste du front l'accalmie
déjà signalée persiste.
En Woëvre, nous avons fait quelques progrès entre
Apremont et la Meuse, et sur le Rupt-de-Mad.
MARCHÉ DE NANCY
Nancy,
le 5 octobre.
Les arrivages ont été, samedi matin, très abondants
pour ce qui concerne le beurre, les oeufs et la
volaille ; les amateurs trouveront au marché de quoi
satisfaire leurs goûte et à. des conditions très
avantageuses.
TRIBUNAL DE
COMMERCE
ancy, 5
octobre.
Lundi, à deux heures, le tribunal de commerce de
Nancy a tenu son audience de rentrée. Elle a été
très courte. Quelques affaires nouvelles ont été
mises au rôle
puis le Tribunal a annoncé qu'il tiendrait jusqu'à
nouvel ordre une seule audience par semaine, le
lundi, à deux heures.
La grande
Bataille
CONTINUE
Attaques repoussées sur les Hauts-de-Meuse
Paris, 6
octobre, minuit 55.
Un communiqué officiel, daté du 5 octobre, 23
heures, dit :
La situation générale est stationnaire.
A l'aile gauche, l'action dure toujours.
Dans l'Argonne et les Hauts-de-Meuse, nous avons
repoussé des attaques de nuit.
et de jour.
POUR LE GRAND
CHOC
Des masses de cavaliers allemands arrivent
Bordeaux, 6 octobre, 15 h. 35.
A NOTRE AILE GAUCHE
Le front prend une extension de plus en plus grande.
Des masses de cavalerie allemande très importantes
sont signalées aux environs de Lille, précédant dès
éléments ennemis qui font mouvement par la région
nord de la ligne de Tourcoing à Armentières.
Autour d'Arras et sur la rive droite de la Somme, la
situation se maintient sensiblement.
Entre la Somme et l'Oise, il y a eu des
alternatives d'avance et de recul.
Près de Lassigny, l'ennemi a tenté une attaque
importante et a échoué.
Sur- la rive droite de l'Aisne, au nord de Soissons,
nous avons avancé légèrement. Avec la coopération
très efficace de l'armée britannique, nous avons
réalisé quelques progrès dans la région de
Berry-au-Bac.
Sur le reste du front, rien à signaler.
DU DANGER
de glaner des Obus
Nancy,
le 6 octobre.
Depuis qu'ont cessé, dans nos parages, les batailles
vives, on trouve de nombreuses personnes qui, par
les bois, les prés ou les champs vont glaner des
souvenirs de la guerre. Certaines ramassent tout ce
qui se trouve sous leur main.
Qu'elles se méfient des obus non éclatés.
Il en est par milliers, surtout du côté allemand.
Déjà divers accidents mortels se sont produits la
semaine dernière.
A Blainville, un gamin qui avait ramassé un
projectile de l'artillerie prussienne, a été éventré
par l'explosion ; le lendemain, au même endroit,
c'était un brave homme qui, ayant chargé sur sa
brouette douilles et éclats d'obus, perdait la vie
de façon semblable, le cahot de son véhicule ayant
fait éclater un shrapnell.
Vendredi, à Mont-sur-Meurthe, un cultivateur
labourait son champ. Le soc de sa charrue heurta
dans le sol un obus qui était dans une raie. Une
détonation effroyable retentit et la mitraille
mettait en lambeaux les malheureuses bêtes et tuait
net leur conducteur.
Dans les environs, on ne fauche qu'avec précaution
ce qui reste des avoines et le regain.
Une brave femme de Dombasle nous disait, dimanche
matin :
- Nous avons renoncé, mon mari et moi, à arracher
les pommes de terre du petit champ que nous avons du
côté du Rembêtant. tant nous rencontrons de bombes
non éclatées. Voyez-vous qu'avec notre croc nous en
heurtions une ? Notre compte serait vite réglé.
Ce danger durera longtemps : il ne fera pas bon de
sitôt aller dans les bois à la cueillette des
champignons. Les obus vont faire maintenant
concurrence aux espèces les plus terribles de ces
cryptogames.
Aux personnes qui remarqueraient sur leur chemin de
ces projectiles, nous donnons le conseil, afin
d'éviter des accidents, de planter à côté une
baguette avec un bout de papier ou de chiffon. Cela
servira d'indication à l'équipe d'artillerie qui
parcourt actuellement les champs de bataille pour
faire exploser tous ces obus.
SILENCE AUX
BAVARDS
Nancy,
le 6 octobre.
Depuis quelques jours la ville de Nancy recommence à
être intoxiquée de fausses nouvelles : les unes
magnifiques, les autres sinistres, celles-là
annonçant des résultats extraordinaires, celles-ci
des calamités effroyables. Aujourd'hui « les
Français bombardent Metz », ce qui actuellement est
absurde. Le lendemain « les Allemands ont pris
Verdun », ce qui est inepte.
Ainsi les gens désoeuvrés s'énervent et leur
agitation risque de troubler ceux qui travaillent.
Il faut que cela cesse. La population de Nancy, qui
a su montrer de si hautes qualités en des heures
difficiles, ne voudra pas se laisser plus longtemps
compromettre par quelques bavards ou quelques
bavardes. Je lui demande son concours.
Il ne suffit pas de ne pas créer et lancer de
fausses nouvelles, bonnes ou mauvaises. Je n'ai pas
besoin de déclarer que ceux ou celles qui se
livreraient à ce jeu et qui pourraient être saisis,
seraient immédiatement déférés au conseil de guerre.
Tout bon Français a un autre devoir, moins passif,
et qui est de ne pas tolérer que qui que ce soit
répète devant lui ces histoires inventées par
d'autres.
J'invite tout bon citoyen - et les femmes. je le
sais, ont des coeurs de citoyens - quand il entendra,
où que ce soit, une personne quelconque se faire le
colporteur de ces nouvelles, à lui imposer rudement
silence et, au besoin, à lui mettre la main au
collet. Je ne manquerai pas pour ma part, si
l'occasion se présente, de « cueillir » ces
colporteurs perfides ou frivoles, mais également
dangereux, et de les déposer moi-même entre les
mains du sympathique général de la Masselière,
commandant d'armes. Que chacun soit prêt à agir de
même.
Les soldats savent bien, dans la tranchée et sous
le feu, montrer une stoïque endurance qui, chaque
jour, améliore et fortifie notre cause et qui assure
la victoire de la France ; durant de longs jours ils
gardent le silence, eux, et ils agissent ; c'est
bien le moins que les non-combattants, qui ne sont
pas exposés au danger, mettent au service de la
patrie quelques semaines et, s'il le faut, quelques
mois de patience vaillante et de confiance sereine.
Que ceux qui travaillent imposent donc, de gré ou de
force, silence aux bavards.
Le préfet de Meurthe-et-Moselle,
L. MIRMAN.
EXHUMATION
Nancy, 6
octobre.
Je, soussigné, L. Mirman, préfet de
Meurthe-et-Moselle, Considérant que le maire a
qualité pour autoriser les exhumations quand il
s'agit de transférer un cadavre d'un point à un
autre d'une même commune, le sous-préfet de
l'arrondissement quand le déplacement a lieu dans
les limites de l'arrondissement et que, dans Les
autres cas, l'autorisation doit émaner du préfet du
département ou a eu lieu le décès. Considérant que,
dans le cas où le déplacement a lieu dans les
limites d'une même commune, l'exhumation est une
opération délicate qui exige certaines garanties au
point de vue de l'hygiène et de l'ordre publics, et
qu'il appartient au préfet d'édicter à cet égard des
mesures préventives d'ordre général Considérant
qu'en particulier le cas se présente aujourd'hui
fréquemment d'une famille qui demande l'autorisation
d'exhumer un des siens, tué au champ d'honneur,
alors même que le jeune héros a été inhumé dans une
tranchée avec un certain nombre d'autres combattants
; qu'une telle exhumation serait doublement
inadmissible puisque, d'une part, elle ne pourrait
être effectuée sans manquer de respect aux camarades
moins fortunés du soldat défunt, puisque d'autre
part il est certain que celui-ci, s'il avait pu
faire connaître sa volonté, aurait exprimé le désir
de n'être pas séparé de ceux dont il a partagé les
espérances, les dangers et la mort, près desquels il
a combattu, il est tombé, il a souffert et auxquels
il a été réuni dans la même tombe ; Vu les
conclusions adoptées par le Conseil supérieur
d'hygiène publique et consignées dans la circulaire
ministérielle du 15 juillet 1911, conclusions d'où
il résulte que si l'exhumation ne peut être opérée
qu'après un délai de un ou trois ans, lorsque le
défunt a succombé à une maladie contagieuse, elle
peut l'être, au contraire, sans conditions de délai
lorsqu'il s'agit d'urne personne « ayant succombé
soit à une mort violente, soit à la suite de
blessures reçues dans un engagement militaire. »
ARRÊTE :
Article 1er. - Peuvent être pratiquées sans
conditions de délai, mais avec les précautions
antiseptiques d'usage, les opérations d'exhumation
et de transport des corps de militaires tombés au
champ d'honneur.,
Article 2. - Cette exhumation ne peut être autorisée
que si le mort a été enterré seul et dans une tombe
nettement repérée, de façon qu'il n'y ait pas lieu
de le rechercher et de risquer, au cours de ces
recherches, de déplacer les restes d'autres Français
morts comme lui au champ d'honneur. En particulier,
elle est rigoureusement interdite là où le
militaire, que sa. famille voudrait exhumer, a été
enterré, dans une même tranchée ou fosse commune
avec ses compagnons d'armes et de gloire.
Article 3. - MM. les sous-préfets et MM. les maires
sont chargés de l'exécution du présent arrêté.
Fait à Nancy, le 4 octobre 1914.
Le Préfet, L. MIRMAN.
L'ACHARNEMENT
DE LA BATAILLE
Paris, 7
octobre, minuit 55.
Les caractéristiques de la situation sont les mêmes.
A l'aile gauche, au nord, l'action est de plus en
plus violente.
Au centre, calmé relatif.
Un peu de terrain a été gagné dans la partie nord
des Hauts-de-Meuse.
LA BATAILLE
IMMENSE
Nos cavaliers aux prises jusqu'au nord de Lille
Bordeaux. 7 octobre, 16 h.30.
A NOTRE AILE GAUCHE
La bataille continue toujours avec une grande
violence.
Les fronts opposés s'étendent jusque dans la région
de Lens-Labassée, prolongés par des masses de
cavalerie qui sont aux prises jusque dans la région
d'Armentières.
Sur le front, depuis la Somme jusqu'à la Meuse, rien
à signaler.
EN WOËVRE
L'ennemi a tenté un nouvel effort pour arrêter nos
progrès, mais ses attaques ont encore échoué.
LES LETTRES
sont des actes
Nancy, 7
octobre.
J'ai sous les yeux la lettre la plus follement
tendre que j'aie jamais lue. Elle est d'un soldat
qui écrit à sa femme quelques heures avant d'être
dirigé sur la. ligne de feu.
Elle est ardente comme on ne peut plus, et confiante
avec sérénité.
Elle prévoit sans trouble le destin auquel sont
exposés les combattants, et respire le courage
tranquille.
Pourquoi faut-il qu'à travers les lignes on sente
chez ce soldat hardi l'angoisse horrible d'être
oublié des siens quand pour eux et pour la Patrie il
se prépare à vaincre ou à succomber ?
« Ce qui me désespère, écrit-il tristement, c'est.
de ne pas avoir de nouvelles de toi. Me faudra-t-il
donc mourir peut-être avant de te lire ?
« Oh ! amie, j'ai le coeur bien gros. Va, pourtant je
ne veux pas croire que tu m'aies abandonné. Ce
serait trop cruel. »
Avec tout le monde nous avons protesté contre
l'insuffisance du service des postes. Il n'est
certainement pas un Français, pas une Française qui
n'ait souffert atrocement de cette insuffisance.
Celles qui sont le plus torturées, et d'une double
torture, sont certainement les femmes des
combattants. Elles subissent noblement l'angoisse de
savoir que leurs aimés sont au péril, parce qu'elles
mettent la France au-dessus de leur amour. Mais
comment supporter avec la même noblesse la douleur
des reproches immérités ?
L'armée a préparé la guerre avec une méthode
admirable, avec une intelligence lucide dont nos
ennemis mêmes sont émerveillés.
Est-il possible que les services postaux auxquels on
a laissé toute leur organisation, tout leur haut
personnel, et que l'on a même renforcés, soient
désorganisés subitement, et qu'ils ne puissent pas
affermir les liens d'amour confiant de ceux que
séparent aujourd'hui les événements tragiques ?
On nous parle de l'irrégularité des convois, de
l'extrême mobilité des troupes. La poste ne savait
donc pas qu'en temps de guerre les soldats ne
resteraient point à la caserne et que les trains
seraient pour la plupart affectés à leur transport ?
Les services civils sont-ils si légèrement établis
qu'après deux mois de guerre ils ne retrouvent pas
leur équilibre ?
Il n'est pas possible que cela dure ainsi. Il faut,
il faut de toute nécessité que les services postaux
fonctionnent plus sérieusement. II faut. que les
mères et les femmes ne souffrent plus de l'absence
de nouvelles, qu'elles ne soient pas accusées pour
la faute d'autrui.
Tout le monde en France a du courage. Mais les
femmes et les mères savent mieux que personne verser
au coeur des combattants l'ardente confiance.
Quand nos soldats savent qu'on les aime toujours,
qu'on les aime encore davantage, ils vont au feu en
souriant.
Ils se battent mieux, ayant dans le coeur le souvenir
d'une lettre, le souvenir d'un mot qui les a émus.
Une lettre vaut un baiser.
« Je pars, écrit le sous-officier dont j'ai les
lignes sous les yeux, comme chef de peloton. Et dans
quelques jours peut-être, - si les balles
m'épargnent, - je serai sous-lieutenant. Allons,
amie chérie, courage et espoir. Moi je pars avec
l'espoir de revenir, après avoir fait tout mon
devoir. Quoi qu'il arrive, ne m'oublie jamais, ne
m'oublie pas près de tous, et surtout près des
enfants, si je ne dois plus les revoir. Dis-leur
bien que ma dernière pensée sera pour toi et pour
eux. »
Et ce soldat, qui a tant de coeur pour aimer, n'en
aurait-il pas encore plus pour se battre s'il
recevait de sa femme les lettres qu'elle lui écrit,
et s'il pouvait lire ces lignes qui ne lui
parviennent pas ?
« Et moi aussi j'ai grand courage et espoir absolu.
Moi aussi j'ai confiance que tu me reviendras. Et
sache bien que jamais je ne t'oublierai, que tes
enfants jamais ne t'oublieront, car tous les jours
et à toute heure nous parlons de toi. D'esprit nous
sommes toujours à côté de toi. Nous nous battons
avec toi. Avec toi nous sommes, mes enfants, moi,
tous les tiens. Il n'est pas une minute que ton
souvenir ne soit dans notre tète et dans notre coeur.
Et le danger que tu affrontes pour la France fait
notre amour plus fort, plus profond, plus ardent.
« Je suis avec toi. Nous sommes avec toi. Avec toi
nous aurons la victoire parce qu'ensemble nous la
voulons. »
Il faut que de telles lettres soient lues par les
combattants. Et je suis certain que toutes les
lettres qui n'arrivent pas, lettres de mères,
lettres de femmes, lettres d'enfants, toutes disent
cela, et le disent mieux.
Alors pourquoi ne fait-on pas l'impossible pour que
leur parviennent les paroles de courage et d'espoir,
les paroles d'amour ?
RENÉ MERCIER.
DANS LES VOSGES
L'oeUVRE DES BARBARES
Tout est ruines et deuil
A RAON - L'ÉTAPE
Pourquoi
le douloureux « Legs d'une Lorraine » me revenait-il
en mémoire devant le spectacle effrayant que
présentent les ravages de Raon-l'Etape, après une
halte des Barbares ? Je me rappelais les vers
d'André Theuriet, le triste pèlerinage de la mère au
tombeau des êtres chers,
avec son jeune fils.
Viens, allons d'abord vers ce champ de seigle.
Les nôtres y sont morts, assassinés
Par ces loups prussiens au front ceint d'un aigle.
Là dorment ton père et tes deux aînés.
Voici notre seuil détruit. La couleuvre
Habite ces murs qu'a noircis le feu.
La Prusse a passé par là. Voici l'oeuvre
De ceux qu'on nommait les soldats de Dieu.
La Prusse a passé par là. Sa signature, est visible.
Elle a paraphé en traits rouges ses crimes.
Raon-l'Etape a perdu ses plus beaux quartiers dans
un désastre qui stupéfie. Partout des cendres, des
cendres où l'on cherche vainement le vestige d'un
meuble, le débris d'une poutre. On dirait qu'un
vandalisme sans pitié s'est acharné sur les moindres
objets. Il y a de la minutie dans le ravage ; on
sent une méthode dans ce chaos, une expérience du
crime dans l'exécution du mot d'ordre, dans
l'accomplissement de la tâche confiée à quelque
horde de démons La torche incendiaire ne s'est point
promenée au hasard. Elle a d'abord supprimé les
maisons des citoyens qui avaient participé à
l'organisation de sociétés patriotiques ou de
préparation militaire. C'est ainsi que, dès le lundi
24 août, pendant la première nuit de l'occupation,
trois brasiers s'allumèrent. La quincaillerie Idoux,
le magasin de cristalleries et porcelaines Gauchenot,.
l'hôtel de la Belle-Vallée, où habite M. Henri
Perrin, flambèrent comme des bols de punch.
Avant de pénétrer dans Raon-l'Etape, les Bavarois,
qui devaient saccager odieusement la coquette cité
vosgienne, avaient naturellement signalé leur
passage dans la vallée de Celles par d'épouvantables
excès.
Le curé de Luvigny tombait sous les balles d'un feu
de peloton; le curé d'Allarmont et le maire de cette
localité, l'honorable M. Charles Lecuve, subissaient
le même sort, sans que la lumière soit faite sur les
prétextes invoqués par leurs bourreaux.
Ce fut le « courrier » de la vallée, M. Mathieu, qui
apporta la nouvelle qu'une troupe de Bavarois avait
franchi le Donon. Il avait failli tomber aux mains
de l'ennemi. On avait tiré sur sa voiture. Par
miracle, les balles ne l'atteignirent point. Il fut
observé plus loin par des patrouilles explorant à
courte distance la lisière des bois ; mais, sans
doute pour éviter de donner l'éveil par une
fusillade qu'ils jugeaient inutile, les Allemands,
le laissèrent continuer tranquillement sa route.
Une panique s'empara de la population. Tout le monde
se réfugia dans les caves. L'entrée de l'ennemi se
signala par la décharge incessante de leurs fusils.
Personne n'osait sortir. Raon était plongé dans une
sorte de stupeur. Plus tard, les chefs ont prétendu
que l'absence des autorités, la fuite des citoyens
valides, révélaient un manque de confiance en eux et
qu'un tel outrage à la dignité de l'armée germanique
expliquait leur indignation, leur fureur et leurs
instructions pour le pillage en règle de toute la
ville.
Les Incendies
En même temps que les soldats vidaient les
meilleures caves, leurs camarades s'occupaient à
propager l'incendie dans la plupart des quartiers.
Dressons ce triste bilan.
Tout l'îlot de maisons, rue Jules-Ferry, comprenant
l'épicerie Creusât, le café Arnould, les magasins de
mercerie Bodard, le dépôt de faïences Mainbourg, est
radicalement détruit à l'exception d'une partie de
la maison Creusat.
Dans la rue de la Gare, depuis le canal de la
Plaine, tout est brûlé jusqu'à la maison de M. le
docteur Wendling.
Par trois fois, les incendiaires ont attaqué
l'église ; ils ont enfin achevé leur sinistre
besogne. Le clocher s'est lézardé sous l'action du
feu et les cloches se sont lourdement, abîmées dans
la fournaise.
Place Jules-Ferry, le bureau de postes dresse ses
murs calcinés. Après les édifices scolaires, tous
les immeubles suivants ont été la proie des flammes.
Place de la République, une seule maison a été
sacrifiée. Les Halles ne sont plus qu'un amas de
décombres. Toute la rue Jules-Ferry, depuis le café
des Vosges jusqu'à l'étude de Me Marcillat, notaire,
excepté la maison de M. Charrier, loueur de
voitures, aligne maintenant ses façades noircies.
Rue Jacques-Meslez, sur le côté droit depuis la
propriété de M. Grandjean et derrière la Synagogue,
l'aspect des ruines défie toute description L'usine
Martin Dorget n'a pas été davantage épargnée.
Passé le pont sur la Plaine, depuis l'établissement
des bains jusqu'à l'école de garçons, il ne reste
rien. De même; dans la rue Jules-Ferry, jusqu'à la
rue du Moulin, la plus grande partie des immeubles,
sur le côté droit, atteste la violence des ravages,
au milieu desquels la maison Chenal demeure seule
intacte, - ou presque.
Si nous visitons La Neuveville, on suit les traces
des incendiaires chez M. Amos, dont le pavillon est
brûlé, chez M. Paul Lecuve, dont l'usine a disparu,
ainsi que tous les chantiers de la gare.
Le Pillage
Pendant deux longs jours et pendant deux longues
nuits, la plupart des habitants restèrent blottis
dans leurs caves comme en des casemates, mourant de
faim et privés de sommeil.
Quand ils sortirent de leurs retraites, ils
assistèrent aux premiers pillages. Les maisons
inhabitées reçurent d'abord la visite des Bavarois
qui appartenaient principalement à l'état-major de
la division engagée dans la région forestière de la
Chipotte, vers Saint-Benoit et dans la région de
Badonviller.
On remarquait les fantassins du fameux
99e'd'infanterie, le régiment de Saverne si
lamentablement illustré par les Forstner, les von
Reuter et consorts, puis dés éléments du 60e de
ligne, ainsi que des réservistes du Grand-Duché de
Bade.
Parmi ces Bavarois figuraient quelques réservistes
de Strasbourg qui déclarèrent que les Allemands
appliquaient sans merci les lois de la guerre et
qu'ils se montraient d'autant, plus féroces, plus
implacables qu'ils ne rencontraient dans les
localités personne pour les recevoir «
officiellement ». Leur orgueil en souffrait. De rage
et de dépit, ils commettaient alors les pires
exactions. Sous prétexte qu'en abandonnant leur
ville envahie les fuyards ne méritaient aucune
considération, c'est par deux villas que le
déménagement commença dans Raon-l'Etape, mais les
autres ne tardèrent pas à recevoir les mêmes
visiteurs.
Les propriétés les plus riches offrant naturellement
un butin plus abondant, on s'en prit aux maisons de
M. de Longeau, aux Chàtelles, aux appartements de M.
Martin-Dorget, l'industriel bien connu, de M. Victor
Brajon, etc.
Meubles de style, pianos, tapisseries, lingerie
fine, tableaux, couvertures de soie, rideaux,
bibliothèques, collections d'amateurs, bibelots
rares ou précieux, pendules, bijoux, toute
l'argenterie qui garnissait les buffets, toutes les
dentelles et les broderies qui emplissaient les
armoires, furent chargés sur des camions et, des
chars-à-bancs. Un train spécial était sous pression
dans la gare pour le transport commode et direct du
produit des rapines allemandes.
Il fallait en quelque sorte une équipe de
connaisseurs pour guider le choix des cambrioleurs.
Qu'à cela ne tienne ! Des officiers étaient suivis
de leurs dignes épouses ; celles-ci se paraient avec
fierté des robes tailleur, essayaient les chapeaux
devant les glaces, raflaient les accessoires légers
et brillants des cabinets de toilette, jetaient leur
dévolu sur des objets qui flattaient leur
coquetterie.
Comme les déménageurs ne pouvaient tout emporter,
ils laissèrent à leurs compagnons le soin d'achever
leur oeuvre de dévastation. A coups de ciseaux et de
canifs, les étoffes furent lacérées, réduites en
lambeaux, les vaisselles volèrent en éclats ; des
tableaux furent crevés ; les appareils d'éclairage
jonchèrent le plancher, pêle-mêle avec le contenu
épars des tiroirs vidés minutieusement.
Une sorte de sadisme, de monomanie ignoble les
poussait vers l'ordure, la sanie, l'abjection. Ils
souillèrent les vêtements des enfants. Ils mirent le
couvert chez l'instituteur d'Hymbeaumont, comme
s'ils attendaient des hôtes de marque et, dans
chaque assiette, en guise de dessert, ils ont...
Ah ! que l'Allemagne est donc spirituelle !
Spirituelle et experte dans l'appréciation des vins.
Les caves de la maison Creusat ont été
consciencieusement pillées. Trois mille flacons de
vieux bourgogne arrosèrent les banquets de la horde.
Les barriques furent mises en bouteilles pour les
futures libations ; les épiceries ne possédaient
plus une boîte de conserves quand, le 19 septembre,
l'évacuation de Raon-l'Etape et la retraite vers la
frontière commencèrent.
Un ordre de l'état-major avait invité tous les
habitants, sous la menace des peines les plus
sévères en cas d'infraction, à apporter toutes leurs
provisions de pétrole ; mais les Allemands se
contentèrent de garder les bidons complets de cinq
litres.
En gens prévoyants, ils emportaient dans leurs
automobiles assez de pétrole pour détruire plus loin
d'autres villages.
Pendant les trois longues semaines de l'occupation,
les « victoires » de l'armée allemande, défrayaient
chaque jour les conversations. Von Kluck et le
kronprinz ne faisaient de nos troupes qu'une
demi-bouchée ; une moyenne de quarante mille
prisonniers grossissait quotidiennement le
contingent de pantalons rouges expédiés sur les
forteresses poméraniennes !
Certain jour qu'ils avaient cantonné dans les
anfractuosités des carrières de trapp, exploitées
par M. Ramu, ils s'écrièrent, triomphants :
« Nous occupons la citadelle de Raon ! ».
En somme, la destruction des principaux quartiers de
Raon-l'Etape ne s'est accompagnée d'aucune
exécution. Il convient de proclamer qu'en cette
circonstance M. le docteur Raoul a montré de rares
qualités. Son sang-froid, sa circonspection, les
relations qu'il a réussi à maintenir entre
l'état-major et lui-même ont certainement préservé
la ville d'irréparables malheurs.
C'est ainsi que des chasseurs s'étant cachés dans la
grange d'une maison forestière, leur découverte
faillit provoquer de sanglantes « représailles ». Le
propriétaire finit par convaincre les Allemands
qu'il ignorait la présence, chez lui, de ces
soldats, profondément enfouis pendant quatre jours
dans la paille.
A La Neuveville, le maire, M. Bourgeois resta à son
poste d'honneur. M. Paul Lecuve, désigné comme un
des citoyens coupables d'avoir tenu sur le kaiser
des propos insolents, fut sauvé du poteau
d'exécution par une admirable circonspection.
Quand la patrouille de quarante Bavarois pénétra
chez lui, M. Paul Lecuve, dont le frère avait été
fusillé à la mairie d'Allarmont, attendait dans son
bureau ceux qui devaient lui infliger le châtiment
suprême :
- Est-il vrai, lui demanda l'officier, que vous ayez
outragé « notre » empereur ?
- Messieurs, répondit M. Paul Lecuve, très calme, je
ne vous dirai point ce que les Français et moi
pensons de votre souverain. Vous êtes ici les
maîtres. Agissez donc en conséquence. Ma maison, ma
cave, tout vous appartient, en vertu des droits du
plus fort. En ce qui me concerne, je suis prêt au
sacrifice de mes biens, de ma liberté, de ma vie.
Faites ce qui vous plaira. »
Les Allemands s'installèrent en maîtres ; ils
vidèrent la cave, mais ils s'inclinèrent devant la
bravoure de M. Paul Lecuve.
AUX ENVIRONS
On nous avait annoncé que dans la région vosgienne,
bon nombre de villages avaient eu beaucoup à
souffrir. L'émotion publique a exagéré, au moins
pour Saint-Blaise, où une seule maison est brûlée,
pour Etival, où deux immeubles appartenant à M. Huin,
hameau de Vivier, subirent le même sort, et pour
Clairfontaine, où trois maisons, avec un dépôt
d'épicerie coopérative, ne sont plus que ruines.
Azerailles a été entièrement respecté ; Bertrichamp
aussi. Par contre, les Allemands, en maint endroit,
ont réquisitionné la literie pour rendre plus
confortables les tranchées où ils s'abritaient.
On a déjà relaté les incidents qui signalèrent
l'occupation de Saint-Dié.
Mais le bombardement, l'incendie, malgré les
promesses allemandes, devaient raser, hélas ! une
partie de la rue de la Bolle, où cinquante maisons
ont presque entièrement disparu. Une pâtisserie
démolie dans la rue Gambetta ; une boutique de
tailleur, en face, éventrée par un obus ; l'hôtel du
Globe, atteint par un projectile ; quatre ou cinq
magasins littéralement pillés par les vandales, tels
sont les témoignages qui prouvent la sincérité des
garanties offertes par les officiers.
Plus loin, le village de Saulcy-sur-Meurthe ne
montre, au bord de la route et au pied des
verdoyantes collines, que les vestiges d'un
véritable cataclysme.
La Prusse a passé par là.
ACHILLE LIÉGEOIS.
LES ALLEMANDS
repoussés sur les deux ailes
Nous avançons aussi sur la Somme et au Centre
Paris, 8
octobre, minuit 30.
Sauf sur les deux ailes, où les attaques allemandes
ont été repoussées, le calme a été à peu près
complet sur le front.
A l'aile gauche, la cavalerie allemande a été
maintenue au nord de Lille, où elle avait été
refoulée.
Entre Chaulnes et Roye, le terrain précédemment cédé
a été repris.
Au centre, nous avons avancé sur certains points.
A l'aile droite, rien à signaler.
TOUJOURS PLUS
AVANT
De la Somme à la mer du lord la lutte s'étend,
heureuse pour nous, ainsi que sur les Hauts-de-Meuse
Bordeaux, 8 octobre, 15 h. 45.
A NOTRE AILE GAUCHE
Dans la région du Nord, l'ennemi n'a progressé nulle
part.
Il a reculé sur certains points, particulièrement au
nord d'Arras, où l'action se déroule dans de bonnes
conditions pour nous.
Les opérations des deux cavaleries se développent
maintenant presque jusqu'à la mer du Nord.
Entre la Somme et l'Oise, dans la région de Roye,
l'ennemi est toujours en force, mais nous avons
repris la majeure partie des positions que nous
avions dû céder.
Au nord de l'Aisne, la densité des troupes
allemandes semble diminuer.
AU CENTRE
Entre Reims et la Meuse, rien à signaler.
Sur les Hauts-de-Meuse, entre Verdun et
Saint-Mihiel, l'ennemi a reculé au nord d'Hattonchâtel.
Il tient toujours Saint-Mihiel et quelques
positions, sur la rive droite de la Meuse.
EN WOËVRE
Les violentes attaques tentées par l'ennemi en
Woëvre, à l'ouest d'Apremont, ont échoué.
A NOTRE AILE DROITE
En Lorraine et en Vosges, pas de modifications.
NOS CONCITOYENS
AU FEU
Nancy, 8
octobre.
Un de nos jeunes concitoyens, M. Alexis Bonnaud,
coutelier, rue Saint-Dizier, 62, caporal réserviste
dans un régiment de Nancy, vient de recevoir la
médaille militaire pour sa belle conduite sur le
champ de bataille de Vitrimont.
Le caporal Bonnaud, voyant que ses chefs étaient
tous blessés, put rallier sa section et la maintenir
sur la ligne, de feu.
Blessé à la tête et au pied, le caporal Bonnaud
continua à encourager ses camarades jusqu'au moment
où ses forces l'abandonnèrent.
Sur le champ de bataille, son capitaine lui adressa
des compliments pour la bravoure et le sang-froid
qu'il avait déployés.
M. Alexis Bonnaud a été évacué à Mâcon. C'est à
l'ambulance où il est soigné que la médaille des
braves lui a été remise.
Il n'est actuellement guéri et n'a qu'un désir,
celui de rejoindre ses trois autres frères, qui se
battent aussi pour la Patrie. L'aîné et son «
benjamin » plus jeune de 12 ans, servent dans la
même compagnie.
UNE FAMILLE
ITALIENNE
fusillée à Lunéville par les Allemands
Nancy,
8, octobre.
La municipalité de Lugano (Italie) est informée que
la famille tessinoise Bernasconi a été fusillée,
sans motif, par les Allemands, à Lunéville, lors de
l'invasion.
AU TABLEAU
D'HONNEUR
Nancy, 8
octobre.
Capitaine Martin-Sené, du 2e bataillon de chasseurs
(Lunéville), atteint successivement, au cours d'un
combat, le 11 août 1914, de trois blessures dont la
dernière mortelle, est resté sous un feu violent
d'artillerie pour commander sa compagnie, a exhorté
jusqu'au dernier moment ses chasseurs à faire leur
devoir et, avant de mourir, leur a indiqué le point
de ravitaillement du bataillon. (Ordre du 16 août
1914.) Le lieutenant Jean Husson, du 15e régiment de
chasseurs, vient d'être inscrit au tableau de la
Légion d'honneur au titre de chevalier.
« A fait preuve, lit-on à l'Officiel, de beaucoup
d'énergie au cours d'une reconnaissance. dans
laquelle il a été blessé grièvement. »
MORT AU CHAMP
D'HONNEUR
Nancy, 8
octobre.
Nous apprenons qu'un de nos jeunes concitoyens, M.
Maurice Blosse, récemment frappé au champ d'honneur,
vient de succomber des suites de ses blessures à
l'hôpital d'Amiens.
M. Maurice Blosse, qui faisait partie de la classe
1914, avait obtenu un sursis pour compléter son
éducation commerciale en Angleterre, où il se
trouvait au moment de la mobilisation.
Notons à son éloge qu'il se hâta de rejoindre le
dépôt de son régiment et qu'à peine exercé il
demanda à aller sur la ligne de feu.
Toutes nos condoléances à Mme sa mère, à sa soeur et
à son beau-frère, Mme et M.
Eugène Corbin.
TUÉ A L'ENNEMI
Nancy, 8
octobre.
Encore un brave mort au champ d'honneur.
Robert Pêcheur, juge suppléant au tribunal de
Montmédy, est tombé le 17 septembre, aux environs de
Sainte-Menehould. Il avait déjà pris part à de
nombreux combats et, quelques jours avant, il avait
été fait sous-lieutenant sur le champ de bataille.
Robert Pêcheur, fils du procureur de la République
de Sedan, petit-fils de l'ancien conseiller à la
Cour de Nancy, neveu du général Poline, était très
connu à Nancy, où il avait longtemps été attaché au
parquet.
La sympathie et l'amitié allaient d'instinct à ce
grand garçon plein de vie, d'intelligence et
d'entrain. Aujourd'hui à sa famille et à ses amis,
il ne reste qu'une consolation : Robert est mort en
brave pour son pays.
Depuis le début de cette terrible guerre, la
magistrature lorraine et le barreau ont été bien
cruellement éprouvés.
A Pêcheur, aux magistrats déjà frappés s'applique la
belle et forte pensée qu'exprimait à l'audience de
rentrée le procureur général près la Cour d'appel de
Paris :
« Qu'il me soit permis d'évoquer le souvenir de ceux
dont la carrière, destinée précisément à l'étude et
au culte du droit, a été prématurément couronnée par
la plus belle des morts, la mort pour le triomphe
suprême du droit. »
UN BOULET
OPPORTUN
Nancy, 8
octobre.
Ceci se passait, un de ces derniers jours, dans une
commune de Meurthe-et-Moselle, aux confins de la
Meuse, sur le Rupt-de-Mad.
Le village était occupé par les Allemands, et, comme
d'habitude, les Barbares s'y livraient à mille
vexations odieuses à l'égard de la population, et
notamment des femmes.
Le brave curé s'avisa de manifester hautement son
indignation. Un officier répondit à ses
protestations par des injures et des menaces.
- Et puis, conclut ce dernier à bout d'arguments, je
vais vous faire fusiller comme espion !
- Comme espion, répliqua le curé, surpris.
- Oui, comme espion. Il y a de la lumière dans votre
église, et vous faites des signaux aux Français.
Le curé croyait sa dernière heure venue, lorsque un
obus éclata soudain à quelques pas, le renversant
d'un côté et l'Allemand de l'autre.
Le curé se releva presque aussitôt. Il était
indemne. Mais, près de lui, gisait l'officier
allemand presque coupé en deux.
- Je n'eus que le temps de lui donner l'absolution !
a déclaré, hier, le curé, qui se trouvait à Nancy.
Et, comme on s'étonnait et qu'on était d'avis même
qu'il aurait pu lui donner tout autre chose, le curé
répondit :
- Que voulez-vous ? Nous avons tellement l'habitude
!
CAMP RETRANCHÉ
DE TOUL
LOCALITES INTERDITES
pour lesquelles il ne sera délivré aucun
sauf-conduit.
Nancy, 8
octobre.
Andilly, Bicqueley, Blénod-les-Toul (sauf la gare),
Boucq, Bouvron, Bruley, Charmes-la-Côte (sauf la
gare), Chaudeney (sauf la gare), Choloy (sauf la
gare), Dommartin-les-Toul, Domgermain (sauf la
gare), Ecrouves, Foug (sauf la gare), Fontenoy (sauf
la gare), Francheville, Gondreville, Grandménil. Gye,
Jaillon, Lagney, Laneuveville-derrière-Foug, Lucey,
Ménil-la-Tour, Mont-le-Vignoble, Moutrot, Pagney-derrière-Barine,
Pierre-la-Treiche (sauf la gare), Toul (sauf la
gare), Trondes, Velaine-en-Haye, Villey-le-Sec (sauf
la gare), Villey-Saint-Etienne.
RANCUNE DE
SAUVAGES
Pour punir M. Poincaré de sa visite aux armées ils
détruisent "Le Clos"
Bordeaux, 8 octobre.
Les Allemands ont bombardé de nouveau Sampigny,
hier.
Ils ont visé presque exclusivement la propriété de
M. Poincaré, qu'ils ont détruite en lançant sur elle
48 obus.
BRAVES ENTRE
LES BRAVES
Notre 20e Corps
A L'ORDRE DE L'ARMÉE
Paris, 9
octobre, 1 h. 22.
BORDEAUX. - Le 20e corps d'armée est cité à l'ordre
de l'armée, pour avoir, depuis le commencement de la
campagne, montré les plus belles qualités
manoeuvrières, une endurance, une vigueur, un entrain
que rien n'a pu abattre.
Sur toutes les parties du front où il a été employé,
il a toujours progressé et toujours résisté aux plus
furieuses attaques de l'ennemi.
Le Bombardement
DE SAINT-DIÉ
Nous
recevons les lettres suivantes :
Saint-Dié-des-Vosges, 9 octobre 1914.
Monsieur Burlin, 1er adjoint, et Monsieur Colin, 2e
adjoint au maire de Saint-Dié, à Monsieur le
Directeur de l'« Est républicain », à Nancy.
Les Allemands ont bombardé Saint-Dié le 27 août, de
6 heures du matin à 3 heures de l'après-midi. La
fusillade en ville a été si vive que personne ne
pouvait se risquer, sans danger, dans les rues ; les
quelques rares Déodatiens qui s'y sont aventurés ont
essayé d'enrayer les progrès des incendies allumés
par les bombes allemandes, notamment celui qui
prenait une grande extension dans la maison Andrez-Brajon,
rue des Frères-Simon.
C'est seulement vers 3 heures et demie que le
général allemand, qui avait établi son quartier à
Sainte-Marguerite (4 kilomètres de Saint-Dié),
envoya comme parlementaire un habitant de cette
commune porteur d'une note adressée à la
municipalité, indiquant que les habitants de
Saint-Dié ne seraient pas violentés s'ils ne se
livraient à aucun acte hostile envers les troupes
allemandes.
Cette note fut remise au dévoué M. Kléber, directeur
des travaux de la ville, dont le logement est
contigu à l'Hôtel de Ville ; ce dernier donna
l'ordre de hisser le drapeau blanc sur la mairie et
fit connaître au général allemand que la
municipalité adressait aux habitants un appel au
calme. C'est à ce moment seulement que les derniers
soldats français, qui avaient élevé des barricades
dans les rues, se retiraient dans la direction de
Bruyères.
Le premier adjoint au maire, M. Burlin, arriva
aussitôt à la mairie, où M. Collin le rejoignit
quelques minutes après.
Avant l'arrivée de ce dernier, M. Burlin avait déjà
parlementé avec le commandant de la première
compagnie allemande débouchant par le grand pont,
rue Thiers.
Quant à l'indemnité de 39.000 francs imposée à
Saint-Dié le lendemain de l'occupation par le
général allemand, elle a été versée deux jours après
à la mairie, entre les mains de deux officiers
allemands, par M. Burlin, assisté de M. Lavalle,
receveur municipal ; de M. Gérard, secrétaire de la
mairie, et en présence de M. François, ancien
adjoint, président de la Société de la Croix-Rouge ;
celui-ci, qui s'était rendu à la mairie pour
demander des renseignements concernant Les blessés,
fut requis comme témoin du versement.
M. Colin négociait, de son côté, la restitution, au
gouvernement allemand, des otages, femmes et
enfants, arrêtés par l'autorité militaire, au cours
des opérations de nos troupes dans la vallée de la
Bruche.
Il avait été chargé de cette, mission par le général
allemand, pendant que M. Burlin devait administrer
la ville.
Voilà, exactement mis au point, les faits.
Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance
de notre parfaite considération.
Louis BURLIN, Ernest COLIN.
Saint-Dié-des-Vosges, 10 octobre 1914.
Monsieur le Rédacteur de l'« Est républicain »,
Nancy.
Je tiens à vous faire connaître la mission qui me
fut imposée par Le général allemand, le 28 août, à
10 heures du matin, devant l'Hôtel de Ville.
J'espère plus tard en faire un récit détaillé, grâce
aux documents officiels que j'ai en ma possession.
L'ordre qui me fut donné était de partir
immédiatement afin de me mettre en relations et
négocier avec le gouvernement la remise des femmes
et enfants arrêtés dans la vallée de la Bruche
pendant l'occupation de nos troupes dans cette
région.
Si je ne réussissais pas, au moins autant de femmes
et d'enfants de notre ville seraient arrêtés, en
commençant par les membres de ma famille, nos
maisons incendiées, et s'ils mettaient la main sur
moi, je serais fusillé.
Le 9 septembre, tous les otages étaient rendus, la
réponse du gouvernement français, le 29 août, avait
été favorable, à la condition que notre ville
n'aurait en rien à souffrir pendant l'occupation et
que la population serait ménagée.
Le 4 septembre, tous ces suspects n'ayant pu encore
leur être rendus, ma femme fut arrêtée et emmenée
comme otage jusqu'à mon retour.
Elle resta en prison à Strasbourg jusqu'au 11 et
après put se rendre à Ribeauvillé en liberté
provisoire ; tous les matins elle devait aller à la
kreisdirection faire constater sa présence. Ce n'est
que le 24 que, grâce à mes démarches, je pus la
faire rentrer à Saint-Dié par la Suisse.
Recevez, Monsieur le Rédacteur, l'assurance de ma
parfaite considération.
E. COLIN.
D'autre part nous avons communication d'une lettre
qui met au point certains détails :
Saint-Dié, le 2 octobre.
« Le 29 septembre, à 7 heures et demie du matin,
l'ennemi a commencé à nous bombarder, et nous a
envoyé une trentaine d'obus jusqu'à 11 heures.
Dégâts importants à la maison Verdenal et Hem,
incendie du grand magasin de tissage Alph. Lévy, -
pertes d'environ 350.0000 fr. - incendie des maisons
Masson et Kuehn, côté rue de Foucharupt.
A midi, nous avons déjeuné à la salle à manger, et
nous pensions être tranquilles quand, à 4 heures et
quart, pour la seconde fois, le bombardement
recommençait et durait une demi-heure. Dégâts à la
maison Landau, rue d'Alsace, et une autre maison rue
de la Prairie.
A 10 heures, le bombardement recommençait pour la
troisième fois, et 20 à 25 obus sont tombés sur
notre quartier, - un au milieu de la pelouse du
jardin, un autre dans le trottoir de M. Renard n'a
pas éclaté.
Le matin du 4 septembre nous avons appris que la
maison du concierge de la filature J.-M. de
Perichamp avait été incendiée, et sa jeune fille, 22
ans, tuée par un obus.
Ce même jour, à 3 heures 5 de l'après-midi,
quatrième bombardement. Une soixantaine d'obus. La
maison qui est en face du passage à niveau de
Foucharupt incendiée, la gare assez détériorée. Le
bombardement a cessé vers 5 heures et demie du soir.
A 9 heures et demie, le lendemain, cinquième
bombardement qui a duré une demi-heure : 8 obus sont
tombés sur le quartier. Un a démoli le mur de
clôture de la propriété Louis Feltz, dont les
moellons ont été lancés par-dessus le tissage Lévy
et sont tombés sur des métiers. Un autre a fait un
trou énorme dans le trottoir devant la porte de la
maison Gerspach, et enlevé les volets retombés dans
le trou. Vitres brisées.
Nous pensons que le plus gros est passé maintenant,
et nous attendons les bonnes nouvelles qu'on nous
annonce pour aujourd'hui.
DANS LES VOSGES
Les Bombardements de Saint-Dié :
USINES DÉTRUITES
Combats dans les vallées
Nancy, 9
octobre.
De nouveau, le canon allemand a parlé. Pendant les
trois journées du 30 septembre, des 1er et 2
octobre, les obus se sont abattus sur la coquette
cité, continuant l'oeuvre de dévastation que l'ennemi
avait se bien commencée dans les quartiers de la
Bolle et des Tiges.
On se croyait bien débarrassés pour toujours de ces
hôtes, à qui la destruction et le massacre procurent
une volupté lâchement assouvie chez les malheureuses
populations de la frontière.
Malgré les dispositions prises pour repousser
l'éventualité de nouvelles attaques, nos batteries,
d'un tir plus court que celles de l'adversaire, ne
pouvaient toutefois empêcher les tentatives de
bombardement par lesquelles l'ennemi voudrait
prouver qu'il se tenait dans notre voisinage.
Pendant trois jours, la pluie d'obus s'est abattue
chaque matin avec une méthode, une régularité
parfaites, entre 9 heures et 11 heures, avec une
reprise dans le courant de l'après-midi.
Il semble que l'objectif ait été un dépôt d'essence
et de munitions dont l'espionnage avait révélé
l'adresse exacte. Celui qu'on soupçonne d'avoir
fourni à l'ennemi ces indications a comparu devant
une cour martiale et exécuté à Saulcy-sur-Meurthe.
Deux personnes, sur qui pesaient des présomptions de
complicité, ont pu établir leur innocence et elles
ont été relaxées.
La gare a peu souffert. Les trains de ravitaillement
ont été sans incident évacués, ainsi que ceux qui se
trouvaient à la gare de Raon-l'Etape. Seuls les
bâtiments ont été la proie des flammes ; de même aux
gares de Saulcy et de Saint-Léonard.
Les dégâts laissent intacts les services de la voie.
Voyageurs et marchandises circulent librement. Le
personnel de la Compagnie de l'Est, animé d'un zèle
et d'un patriotisme auxquels il faut rendre hommage,
se tient prêt d'ailleurs à remettre en état ce que
l'artillerie réussirait à détériorer.
La ville de Saint-Dié a perdu la plupart de ses
filatures et de ses tissages. Les deux usines Feltz
sont détruites ; le tissage Lévy n'est plus qu'un
monceau de décombres ; l'usine Camille Gérard a
disparu dans la tourmente, ainsi que celle de M.
Trimbach, la fabrique de stores Pierron-Dérivaux et
presque tous les bâtiments industriels qui donnaient
à la ville tant d'animation et lui assuraient une si
belle prospérité.
Quelques obus sont tombés çà et là, éventrant les
immeubles, crevant les toitures, abîmant l'ancienne
tannerie Chrétien, allumant un brasier dans les
magasins Andrez-Brajon où les pertes dépassent
100.000 francs.
La nouvelle caserne d'artillerie a été endommagée à
peine. La maison Wautrin, près du passage à niveau
de Sérichamp, haute de trois étages, est maintenant,
rasée.
Parmi les victimes, on cite Mlle Sutter, concierge
de l'usine Marchal, atteinte mortellement ; un
soldat soulevé de terre et jeté sur un toit, rue
d'Alsace, où son corps fut littéralement déchiqueté
par l'explosion d'un shrapnell.
Le deuxième jour du bombardement, l'appariteur
municipal annonçait à son de caisse que, tout danger
ayant disparu, la population devait recouvrer son
calme et prêter une oreille attentive aux conseils
de ses élus.
Le brave crieur n'avait pas encore achevé sa
lecture, quand un boulet s'abattit à deux cents
mètres de l'attroupement formé autour de lui par les
curieux rassurés et confiants. Inutile de dire que
tout le monde s'enfuit au plus vite vers les caves
et que, rengainant ses baguettes et son tambour,
l'appariteur, ce jour-là, ne poursuivit pas sa
tournée plus avant !
Les adjoints, MM. Colin et Burlin, se chargent de
l'administration municipale. Ils s'acquittent de
leurs délicates fonctions avec la clairvoyance, la
décision, la fermeté qui les désignaient pour un tel
poste d'honneur - malgré la pénurie de personnel et
l'importance, le nombre des affaires qu'il s'agit
d'étudier et de solutionner à la satisfaction
générale.
L'occupation allemande, à Saint-Dié et dans les
environs, a été marquée par de furieux combats à La
Bourgonce, à La Salle, à Nompatelize, dont la date
du 6 octobre ramène aujourd'hui l'anniversaire : les
chasseurs alpins se sont montrés les dignes
successeurs des francs-tireurs dont les dernières
cartouches s'épuisèrent, en 1870, dans une des plus
héroïques résistances que l'Allemagne ait
rencontrées dans les Vosges.
Hélas ! ces jolis villages, aimablement pelotonnés
autour de leur clocher, égayant les bois par la
tache claire de leurs façades, bercés par le charme
frais des cascades ou par le bruit monotone des
scieries, ces centres d'excursions où se donnaient
rendez-vous les caravanes de touristes, tous ces
pays aux noms tantôt rudes, tantôt poétiques, ont
connu l'épouvante et l'horreur de la dévastation.
Le hameau de Sainte-Marguerite n'a plus qu'une
dizaine de maisons avec son église et son presbytère
; une partie de Rougiville et de Taintrux a été
démolie par un duel d'artillerie à l'issue duquel
l'ennemi fut obligé d'évacuer le Haut-Jacques, non
sans éprouver des pertes cruelles.
Chaque jour, un millier de cadavres jonchaient la
vallée que les Allemands ont baptisée le « Trou de
la Mort », cette vallée où le matin suspend ses
écharpes légères, où il fait si bon courir dans la
rosée à la cueillette des myrtilles !
Les Déodatiens ne comprennent pas le recul si
précipité des Bavarois ; ils ont filé prestement,
sans qu'en apparence aucun danger imminent les
condamnât à la retraite. Mais les Déodatiens se
rendent parfaitement compte, à cette heure, que la
présence chez eux d'un corps d'élite les met à
l'abri d'une nouvelle agression. Les bérets alpins
sont là.
Nous occupons d'excellentes positions.
Par intervalles, le canon gronde dans la direction
de Provenchères et du col de Saales ; mais les
répercussions des échos ne permettent pas de
préciser l'emplacement des batteries ennemies.
L'action de nos troupes, si pleines d'entrain, ne
tardera pas à écarter définitivement l'adversaire
dont les bombardements de la semaine dernière
semblent nous marquer les adieux.
ACHILLE LIÉGEOIS.
LES MORTS
GLORIEUSES
Nancy, 9
octobre.
On vient de célébrer à Paris, à
Notre-Dame-de-Lorette, les obsèques de deux soldats
blessés et décédés à l'hôpital de l'Institut.
Au cimetière de Pantin, M. Frédéric Masson, de
l'Académie française, a prononcé les paroles
d'adieu. Nous en extrayons ce passage :
« Ils sont tombés tous deux face à l'ennemi, frappés
en pleine poitrine. L'un, un Normand, Eugène-Louis
Boulet, soldat au 21e d'infanterie (Langres), du
canton de Royen-Nord ; l'autre, Hardouin, du 79e
(Nancy) ; nous ne savons ni ses prénoms, ni son âge,
ni le pays où il est né. Seulement, lorsqu'il est
arrivé à l'hôpital, il a murmuré qu'on prévînt son
père à Ivoy-le-Marron, en Touraine ; et l'autre
aussi avait demandé qu'on avertît sa femme à
Sainte-Catherine, près Auffray, en Seine-Inférieure.
»
Prisonnier
chinois à Lunéville
Nancy, 9
octobre.
Lunéville a été envahi par les Allemands le samedi
22 août : trois semaines après, les Français
chassaient les envahisseurs. Ceux-ci, au nombre de
leurs prisonniers, emmenèrent un jeune Chinois, Paul
Liang, âgé de 15 ans, élève de l'Institution
Saint-Pierre-Fourier, de Lunéville le considérant
comme espion japonais.
Le supérieur de l'Institution a fait un rapport que
le préfet de Meurthe-et-Moselle a dû envoyer à la
légation chinoise.
Paul Liang était un brillant élève, très aimé de ses
condisciples ; ses frères aînés, qui ont fait leur
éducation dans le même collège, occupent en Chine
des situations honorables. Paul est né à Tche-Fou et
porte fidèlement la queue traditionnelle des
Chinois.
LE
VIEUX ZOUAVE ALSACIEN:
Nancy, 9
octobre.
Mardi soir est passé en gare de Montluçon, venant d'Angoulème,
où il était hospitalisé, un petit détachement de
blessés appartenant au 2e régiment de zouaves.
Parmi ces jeunes gens se trouvait un vieil Alsacien
de 68 ans, Joseph Frendenreith, qui, après avoir été
blessé lors de la guerre de 1870, s'était cependant
engagé le 2 août dernier.
Pendant cinquante jours, le vieillard a marché
gaiement, avec les jeunes, a été fait prisonnier en
Belgique, s'est évadé, a retrouvé le 2e zouaves. Le
17 septembre dernier, à Craonne, il a été blessé
d'une balle à la cuisse.
Le vieux brave, toujours plein d'entrain, a reçu les
plus vives marques de sympathie de la population.
A ROGÉVILLE
Nancy, 9
octobre.
La petite commune de Rogéville, canton de Domèvre-en-Haye,
qui compte 166 habitants, a été presque entièrement
détruite par les Allemands, qui l'ont bombardée
pendant plus d'une heure.
De l'église, il ne reste que des ruines, les murs
étant tombés sous les coups des projectiles.
Des soixante-dix maisons qui composaient le village,
c'est à peine s'il en reste six debout. Toutes les
autres ont été anéanties.
Les Allemands se sont principalement acharnés sur
une grande ferme, située à l'entrée du village. Elle
a été entièrement rasée par les projectiles ennemis.
Les habitants sont allés chercher un refuge dans les
communes de la Meuse.
LA LUTTE
de la Somme à la Meuse
Bordeaux, 9 octobre, 16 h. 10.
La situation générale n'a pas subi de modification.
A NOTRE AILE GAUCHE
Les deux cavaleries opèrent toujours au nord de
Lille et de la Bassée, et la bataille se poursuit
sur la ligne jalonnée par les régions de Lens,
Arras, Bray-sur-Somme, Chaulnes, Roye et Lassigny.
AU CENTRE
De l'Oise à la Meuse, on ne signale que des actions
de détail.
A NOTRE AILE DROITE
En Woëvre il y a eu lutte d'artillerie sur tout le
front.
En Lorraine, dans les Vosges et en Alsace, pas de
changement.
LA BATAILLE DE
ROYE
Bordeaux, 10 octobre, 7 heures.
Rien de nouveau à signaler, sinon une vive action
dans la région de Roye (au sud-est du département de
la Somme) où, depuis deux jours, nous avons fait
1.600 prisonniers.
La Lutte
gigantesque
NOUS RESTE FAVORABLE
Progrès surtout au nord de l'Oise et vers
Saint-Mihiel
Bordeaux, 10 octobre, 15 h. 30.
L'action continue dans des conditions
satisfaisantes.
Tout notre front de combat a été maintenu, malgré de
violentes attaques de l'ennemi sur plusieurs points.
A NOTRE AILE GAUCHE
Dans la région comprise entre Labassée, Armentières
et Cassel, les combats engagés entre les cavaleries
opposées ont été assez confus, en raison de la
nature du terrain.
Au nord de l'Oise, nos troupes ont marqué de réels
avantages sur plusieurs parties de leurs zones
d'action. Dans la région de Saint-Mihiel, nous avons
fait des progrès sensibles.
Paris, 11 octobre, minuit 35.
Des renseignements arrivés dans la soirée du grand
quartier général signalent des contacts entre les
deux cavaleries, au sud-ouest de Lille ; une
violente action au sud-est et au nord d'Arras, et de
très vives attaques de l'ennemi sur les
Hauts-de-Meuse.
A BLAINVILLE
Un Obus dans un lit
Nancy,
10 octobre.
C'est un nommé Hugg qui a été tué l'autre jour à
Blainville par un obus qu'il transportait dans sa
brouette et qui explosa soudainement.
A Blainville et aux environs, il y a nombre de ces
engins dangereux. On en a repéré déjà beaucoup qu'on
a marqués d'étiquettes, car il en est sur le bord
des chemins.
On a défendu aux enfants de vagabonder dans les
champs. Et l'on a bien fait.
Au cours du duel d'artillerie, le 23 août et les
jours suivants, entre les canons français et les
batteries allemandes, quelques obus lancés par
celles-ci sont tombés sur les nouvelles cités que la
compagnie de l'Est construisait pour ses employés,
en raison de l'extension que prend la gare de
Blainville.
Un des obus a percé de part en part une maison ;
deux autres sont tombés dans une maison au-dessus ;
un a éclaté ; l'autre, après avoir traversé la
fenêtre, portes et toutes sortes de cloisons, est
venu s'affaler, à la chambre 38, dans un petit lit à
ressort en fer où étaient entassées des piles de
draps.
Il est là, non éclaté, au milieu des plâtras,
semblant dormir comme un enfant, ce terrible
projectile à la mélinite.
La question se pose : comment s'en débarrasser ? Si
on le fait exploser là où il est, la maison tout
entière sautera ; si on l'enlève, est-ce qu'il ne
tuera pas le sapeur qui sera chargé de cette mission
périlleuse tout en saccageant encore la maison ?
Le problème est difficile à résoudre.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
VISITE de M. MINIER
sous-préfet de Lunéville
Nancy,
10 octobre.
M. Minier, sous-préfet, accompagné de M. Méquillet,
député, a visité les communes suivantes :
Bonviller. - Une victime, pertes matérielles
considérables, 28 maisons détruites. Le maire est
resté courageusement à son poste.
Bionville-la-Petite. - Commune pas éprouvée.
Crion et Sionviller. - Ces deux communes ont été peu
éprouvées, pas de victimes, quelques maisons
détruites. Les municipalités sont restées à leur
poste, le curé de Crion a soutenu le courage de ses
paroissiens.
Jolivet. - Peu de dégâts matériels, le moulin a un
peu souffert, la propriété Bichat a été assez
sérieusement endommagée. Le maire est demeuré à son
poste.
Lamath. - L'occupation allemande a duré deux jours.
La municipalité est demeurée à son poste au moment
du danger. Le maire et deux de ses concitoyens ont
été emmenés comme otages. On est depuis sans
nouvelles d'eux. Si les dégâts matériels se
réduisent à deux maisons incendiées ou détruites, il
faut déplorer la perte de quatre vies humaines.
Méhoncourt. - Les Allemands ne sont restés à
Méhoncourt qu'une demi-journée.
Ils ont fait évacuer la commune à toute la
population. Quelques heures après, le maire et le
garde champêtre revenaient bravement à leur poste et
restaient pendant deux jours les seuls habitants de
la commune.
Deux maisons détruites. Pas de victimes
Bayon. - Simple visite à la municipalité qui assura
avec dévouement et compétence les lourdes charges du
moment.
Xermaménil. - Arrêt au retour à Xermaménil, dont le
maire a abandonné ses administrés pendant
l'occupation allemande. L'adjoint, âgé de 75 ans, M.
Gillet, est bravement resté au poste et assure
depuis quinze jours les services administratifs de
la commune.
Là encore, il faut déplorer la perte de deux vies
humaines : trois maisons incendiées ou détruites.
SERVICE DES
TRAINS
Nancy,
10 octobre.
Direction de Toul, Neuf château et Bar-le-Duc :
départs à 3 h. 14, 9 h. 14, 15 h. 14,
Direction de Merry : départs à 0 h. 46, 6 h. 46. 12
h. 46, 18 h. 46.
Direction de Blainville : départs à 8 h. 51, 14 h.
51, 20 h. 51.
La Reprise des
Cours
SOLENNITÉ PATRIOTIQUE
à la Salle Poirel
Nancy,
10 octobre.
A l'occasion de la rentrée des classes et de la
reprise du travail scolaire, une réunion générale de
tout le personnel enseignant a eu lieu, le jeudi 8
octobre, dans la salle Poirel.
Les écoles et les lycées de Nancy étaient
représentés par de nombreuses délégations.
Loges et parterre présentaient un coup d'oeil
pittoresque. La coquetterie des toilettes, le
sourire un peu triste des visages éclairaient cette
solennité.
On remarquait autour de M. le Préfet qui présidait,
MM. Gustave Simon, maire de Nancy ; Adam, recteur de
l'Université de Nancy ; Célice, procureur général ;
Floquet, doyen de la Faculté des sciences ; Binet,
Auerbach, Martz ; MM. les adjoints Schertzer,
Souriau, Dorez, Peltier, Devit ; les membres du
Conseil municipal ; MM. Alfred Krug, Guignard, Léon
Pignot, Danis, Guyot, etc.
DISCOURS
DE M. LE RECTEUR
Le silence s'établit, quand M. le recteur Adam
s'avance sur la scène et prononce un discours
empreint d'une sincère et patriotique émotion :
« Il y a 44 ans, dit-il, en octobre 1870, la rentrée
des classes s'est faite à Nancy.
en pleine guerre. Mais quelle différence ! Les
enfants ressentaient alors les tristesses et les
humiliations de la Patrie ; mais aujourd'hui, on n'a
qu'à se tourner vers l'hôtel de ville pour y voir
flotter encore nos trois couleurs.
C'est le coeur plein d'espoir que nous rouvrons
toutes grandes les portes de nos écoles comme en
pleine paix.
Les nouvelles qu'on vous lira sont bien différentes
que celles qui nous accablèrent coup sur coup
jusqu'à la défaite finale dont la France devait si
tôt se relever.
Ce n'est pas dans ce pays frontière qu'on peut
donner le change pour savoir qui a commencé, dans
quel camp sont les agresseurs.
Vous aurez le réconfort de sentir que la France
n'est plus seule aujourd'hui. Jamais elle n'a compté
dans le monde autant d'amitiés, autant de sympathies
! »
En proie à une émotion croissante, M. le Recteur
continue en ces termes :
« Quelle différence avec ce temps où Thiers s'en
allait implorer tous les souverains sans recueillir
autre chose que des paroles qui traduisaient le
désir de voir l'abaissement de notre pays !
Vous avez sous les yeux le spectacle de la
réconciliation nationale et de la fraternité des
peuples civilisés. A côté de cette magnifique leçon,
les leçons de vos maîtres vous paraîtront peut-être
moins dignes d'intérêt. Mais non ! J'ai vu avec quel
sentiment de la gravité de l'heure présente vous
repreniez votre place dans les écoles.
C'est pour vous que l'on travaille ; mais jamais je
n'ai si bien compris que c'est pour vous que l'on
meurt ; jamais je n'ai si bien senti la continuité
de notre race et combien elle mérite d'être
éternelle, comme le dit le grand poète Victor Hugo.
Notre nation représente un idéal qu'elle a inscrit
dans sa noble devise : liberté de tous les peuples
opprimés sous un joug imposé par la force ; égalité
de tous les peuples ayant les mêmes droits ;
fraternité des peuples à la condition d'évincer
celui qui a choisi dans la famille humaine la part
du maudit ! »
Les élèves des écoles chantent ensuite l'Hymne des
Chants du Crépuscule :
Gloire à notre France éternelle !
Gloire à ceux qui sont morts pour elle !
ALLOCUTION DE M. LE MAIRE
M. Gustave Simon, maire de Nancy, prend la parole,
pour retracer les épreuves douloureuses qu'a
traversées Nancy depuis les débuts des hostilités.
Au bruit du canon, qui tonnait sur la frontière,
dit-il, nous avons maintenu les services
administratifs.
M. le Maire énumère les travaux accomplis par ses
collègues à l'hôtel de ville ; il fait un vif éloge
de M. Laurent, dont l'activité, l'expérience et les
conseils ont assuré la continuité de la vie
municipale dans les instants les plus difficiles de
la crise.
M. le Maire remercie M. le Recteur de l'Université,
M. le Préfet de Meurthe-et Moselle, les professeurs,
les institutrices ; il exhorte la jeunesse qui
prépare à la France de si nobles et de si grandes
destinées.
Les élèves chantent un choeur patriotique sur. la
Lorraine.
DISCOURS DE M. LE PRÉFET
A son tour, M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle
prononce un discours où l'élégance de la forme
soutient l'élévation des sentiments exprimés avec
éloquence :
« M. le Maire vient de vous donner un double
exemple, dit-il, celui de la fidélité à ses amis et
celui de la modestie.
Le Maire de Nancy est un homme de tête et de coeur,
un simple et un vaillant ; je salue en sa personne
la ville de Nancy et la population nancéienne tout
entière.
Enfants, cette réunion n'est pas une fête, mais une
cérémonie solennelle par laquelle nous avons voulu
que s'ouvrît votre année scolaire.
Vos mères, aujourd'hui, pleurent dans leurs foyers ;
mais leur tristesse et leurs larmes ont de la fierté
; il y a sur les cercueils qui passent dans notre
ville en deuil un linceul aux couleurs du drapeau.
Ils savent bien lutter, ils savent bien mourir, les
petits soldats de France. Le général en chef a dit
que la République peut être fière des armées qu'elle
a préparées.
Notre armée, c'est la nation ; les écoles peuvent
être fières aussi d'avoir préparé la génération
actuelle, pleine d'ardeur, de générosité, de force,
capable de se sacrifier pour une idée.
Le moment est venu, l'occasion s'est offerte; vous
savez quelle noble conduite fut celle de notre
jeunesse. Il ne s'agit pas seulement de défendre le
sol sacré de la Patrie, l'honneur du drapeau,
l'intégrité de la race. Ces raisons suffiraient à
exalter vos coeurs. Mais nous avons le sublime
orgueil de représenter la civilisation.
M. le Préfet compare ensuite l'influence exercée par
les conquêtes de Rome dans les pays où subsistent
des témoignages de son génie, puis la superbe et
folle aventure de Napoléon qui a laissé partout les
monuments impérissables de la pensée humaine, le
Code civil et la Déclaration des Droits de l'Homme.
« Qu'apporte aujourd'hui l'Allemagne ? demande M. le
Préfet. Son empereur abaisse jusqu'à la Divinité
qu'il ravale au rang d'un feld-maréchal prussien et
qui arracherait au front du Christ sa couronne
d'épines pour la remplacer par un casque à pointe.
L'oeuvre allemande se traduit par une puissance
dominatrice, par la méchanceté et par la haine. Elle
ne représente pas un principe de bonté. Alors est-ce
pour imposer ses notions d'art ? La destruction de
Louvain et de Reims suffit à la juger. Est-ce pour
donner un exemple du respect de l'honneur, de la
vérité et de la foi jurée ?
Toutes ses dépêches, ses discours, ses déclarations
sont autant de mensonges, elle a déchiré les
contrats, renié sa signature, déclaré que les
traités ne sont que des.
chiffons de papier.
Ce que l'Allemagne représente aux yeux de l'Univers
? Une puissance de destruction et de haine. Aussi
l'Univers se dresse tout entier contre sa
domination, son arrogance et son danger.
M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle passe en revue la
situation européenne à la suite de la guerre qui
ensanglante les nations. Ni la Serbie, ni
l'Angleterre, ni la Russie, ni la Belgique, ni la
France, n'ont baissé la tête. Etant sans reproche,
elles se sont élevées sans peur afin d'établir
contre cette nation fratricide, malgré elle, la
fraternité des peuples.
Enfants, soyez sans crainte ! Notre pays triomphera.
L'épée ne sera remise au fourreau qu'après la
victoire. Les alliés ont tous les éléments de succès
: supériorité numérique, supériorité économique,
supériorité morale. Après combien de ruines et de
deuils ? Je l'ignore. Mais une espérance illumine
nos larmes.
Quand nous irons sur les tombes des héros pour y
verser des fleurs, des prières et des larmes, les
morts tressailliront dans le sépulcre, en pensant
que si l'on porte le deuil de leur tendresse,
personne ne porte, du moins, le deuil de la Patrie.
Pendant plus de 40 ans, notre adolescence, toute
notre vie s'est écoulée dans le cauchemar perpétuel
de l'oppression. Sur notre route, à chaque pas, on
rencontrait une interdiction ; mais votre jeunesse,
enfants, va s'ouvrir sous l'aube lumineuse de la
victoire ; vous aurez la route libre ; vous ne
connaîtrez pas sur vos rêves l'ombre tragique d'un
casque insolent.
Marchez donc ! Dans tous les domaines de l'action,
pour les individus comme pour les peuples, il est
plus difficile de conserver le bien que de le
conquérir. Il vous appartiendra de réaliser l'idéal
magnifique de vos aînés, de vous montrer dignes des
sacrifices qu'ils ont consentis avec un héroïsme
sublime, de préparer dans l'avenir la moisson
féconde qu'ils ont arrosée de-leur sang généreux.
Unissons-nous donc, malgré les deuils, dans ce cri
de foi et d'espérance : « Vive la France ! »
De longs applaudissements éclatent.
Les écoles entonnent une « Marseillaise » à deux
voix, que l'assistance entière écoute debout, dans
un recueillement profond.
Il est onze heures et demie quand cette
impressionnante cérémonie prend fin, laissant dans
tous les coeurs une ineffaçables émotion.
LUDOVIC CHAVE.
LES OPÉRATIONS
MILITAIRES DEPUIS
le début de la Guerre
Nancy,
10, octobre.
Le Temps publie l'intéressante étude suivante des
opérations poursuivies par l'armée française depuis
le commencement de la guerre :
Nos armées ont été concentrées sur notre frontière
d'Alsace-Lorraine, et c'est par la Belgique, sur la
frontière du Nord, que l'attaque allemande s'est
produite.
Nous avions commis une erreur. L'erreur n'était
nullement imputable au commandement, mais au pays
tout entier. Nous étions hantés par l'idée de
l'occupation de Nancy par l'ennemi et on était
arrivé à vouloir dans cette région une frontière
inviolable. Toute la concentration de l'armée a été
organisée depuis longtemps sur cette base. Une
réaction contre ce dispositif a été tentée depuis
plusieurs années, on faisait valoir que les
Allemands éviteraient de se heurter contre notre
armée dans une région où elle trouverait de solides
places fortes : Verdun, Toul, Epinal, Belfort, et
qu'ils tourneraient ces obstacles en passant par la
Belgique.
Ce n'est pas en France seulement que l'entrée de
l'armée allemande par la Belgique était envisagée.
De nombreux écrivains militaires allemands et belges
en avaient fait le sujet de leurs ouvrages.
Tout cela, notre commandement ne l'ignorait pas,
mais dans notre pays on est forcé de compter avec
l'opinion publique qui n'aurait pas compris
l'abandon provisoire de Nancy et de la frontière
lorraine.
Dans la nuit du 2 au 3 août, l'Allemagne adressait à
la Belgique un ultimatum exigeant le droit de
passage. Le gouvernement belge, qui avait déjà
décrété la mobilisation, répondit qu'il était résolu
à défendre la neutralité de son pays et fit appel à
la France et à l'Angleterre.
Le 4 août, avant d'avoir terminé leur mobilisation,
les Allemands pénétraient en Belgique. Le 8 août, le
1er corps d'armée française, ayant terminé sa
mobilisation, était envoyé au secours des Belges. Il
allait être rapidement appuyé par les troupes
anglaises qui commençaient à débarquer à Ostende,
Dunkerque et Calais. C'était loin d'être suffisant,
car, démasquant le plan de son état-major, la masse
de l'armée allemande suivait de près les corps qui
avaient tenté de forcer les colonnes de défense de
Liège et montrait ses tètes de colonnes au sud et au
nord de cette place.
Le plan de l'état-major allemand dans le cas d'une
guerre contre la France et la Russie alliées était
de porter aussi rapidement que possible le gros de
son armée par le chemin le plus court sur Paris, d'y
pénétrer de vive force et, après avoir contraint le
gouvernement français à se reconnaître vaincu, de se
retourner contre l'armée russe, dont la mobilisation
et la concentration étaient beaucoup moins rapides
en raison de l'étendue du pays et du nombre
restreint de ses voies ferrées.
N'avant plus de doute sur les intentions allemandes,
le commandement français prit rapidement sa
décision. Laissant devant Nancy et en Lorraine
l'armée du général de Castelnau, il dirigea le gros
de ses forces droit sur les Allemands qui étaient en
Belgique. Pour des armées aussi considérables, ce
changement de front était une opération délicate.
Pour arriver à temps avant que notre frontière fût
atteinte par l'adversaire, il fallait aller vite et
marcher sur un grand front. Les premières rencontres
ne nous furent pas favorables ; des marches longues
et rapides avaient fatigué nos soldats.
Une de nos armées avait été dirigée par Neufchâteau
dans l'Ardenne belge contre des forces allemandes
qui avaient traversé le Grand-Duché de Luxembourg.
Une deuxième, passant aux environs de Sedan, s'était
portée a l'attaque de corps allemands en marche
entre la Meuse et la Sambre. Devant le flot
allemand, l'armée belge avait dû se replier sur
Anvers.
Nous avions affaire à un adversaire formidable. Les
meilleures troupes de l'Allemagne étaient contre
nous, entrainées par des officiers d'une énergie
atteignant la violence et soumises à une discipline
inexorable. Notre commandant n'hésita pas. Les
conditions n'étaient pas favorables ; il se replia
sur le territoire français, combattant pied à pied
l'adversaire, l'épuisant, n'attendant que l'heure où
cet épuisement lui permettrait de reprendre
l'offensive.
Il n'eut pas une défaillance, pas un instant de
découragement. Malgré des combats journaliers, notre
retraite se fit rapidement et en ordre.
Le 28 août, l'ennemi atteignit la frontière ; le 30,
il arrivait à Guise et Novion-Porcien, deux points
sur lesquels nous prononcions des contre-attaques.
Tout en se repliant, le général Joffre avait ramené
vers l'ouest celles de ses armées qui avaient
pénétré dans l'Ardenne belge, de manière à n'avoir
aucune solution de continuité dans sa ligne de
bataille, et il avait donné comme point de direction
à son aile ouest, la lisière est du camp retranché
de Paris, ce qui lui permettrait de parer à une
tentative d'investissement de la capitale
Le 2 septembre, la droite allemande atteignait la
forêt de Compiègne. L'émotion fut vive à Paris, et.
le gouvernement prit la détermination de se
transporter à Bordeaux.
Les Allemands n'avaient plus l'espoir de terminer la
guerre du côté français par leur entrée à Paris. Le
général Galliéni, dont le passé prouvait qu'il
n'était pas un homme de vaines paroles, leur
montrait qu'ils ne pénétreraient pas dans la
capitale, sinon après un siège long et pénible. Ce
siège même, ils ne pouvaient l'entreprendre qu'après
avoir définitivement dispersé l'armée du général
Joffre.
Mais l'armée Joffre avait reçu des hommes de
remplacement. Lorsque l'armée allemande la rencontra
le 6 septembre, déployée sur une ligne jalonnée par
Meaux, le Grand-Morin, Verdun, elle était prête à
prendre l'offensive.
Le moment que guettait le commandement français
était arrivé. L'état-major allemand avait voulu
faire vite, nous écraser en quelques jours et
transporter ensuite le gros de ses forces contre les
Russes. Nos alliés nous ont été indirectement d'un
grand secours. En voulant marcher trop vite, les
Allemands avaient épuisé leurs soldats qui n'étaient
pas d'une qualité suffisante pour résister à de
telles fatigues.
Loin d'écraser l'armée du général Joffre, les
Allemands subirent une attaque sur tout le front et
celle des troupes de Paris qui se portèrent contre
leur flanc droit sur l'Ourcq, dès le 6 septembre, en
les refoulant. Les corps français et anglais
poursuivirent l'ennemi, ramassant des canons, du
matériel et de nombreux prisonniers.
Les fatigues occasionnées par cette lutte héroïque
d'une semaine ne permirent pas de donner à la
poursuite de l'ennemi l'énergie nécessaire pour
transformer la retraite en déroute. Il put se
ressaisir en arrivant sur la ligne de l'Aisne et les
forts de Reims qu'il occupait. Sur ce front, il
reçut des renforts, fit tête et, le 15 septembre,
une grande et nouvelle bataille s'engagea., bataille
formidable s'étendant, au début, de Noyon à
Saint-Mihiel, sur la Meuse, puis se développant
progressivement entre Meuse et Moselle, à l'est et
au delà de l'Oise, vers Lassigny et Roye à notre
aile gauche.
Voilà plus de vingt jours qu'on se bat sur cette
Immense ligne. La bataille engagée finira-t-elle par
la rupture de l'armée allemande ou va-t-elle
continuer en se déroulant pas à pas vers le Nord ?
L'avenir nous le dira, Dans les deux hypothèses, un
résultat important sera acquis : l'évacuation du
territoire français par les Allemands.
(à
suivre) |