L'HOMME ET LA MATIÈRE
Le « Journal de
Genève », opposant la chute d'Anvers et la
résistance de Nancy, écrit :
Quant à l'opération en soi-même, elle mérite de
retenir l'attention. Elle consacre d'une façon très
impressive la victoire actuelle du boulet devenu
l'obus sur la cuirasse, dans ce duel que depuis
quelques cents ans se livrent avec furie les deux
adversaires. A chaque progrès de l'artillerie, le
technicien du génie a opposé les siens ; les hauts
reliefs des vieux remparts se sont abaissés pour se
soustraire à la vue des pointeurs ; les murs en
pierre de taille ont fait place au béton armé et
cuirassé ; l'épaisseur des revêtements s'est
constamment accrue. Vains efforts ; la balistique a
dérouté chaque fois le constructeur. Preuve
nouvelle, dans un autre domaine, de ce qu'exposait
le bulletin d'hier, de la supériorité des forces
agissantes sur les forces passives : l'armée de
campagne supérieure aux forteresses ; le canon,
l'obus, l'explosif supérieurs à la pierre et aux
aciers ; l'offensive supérieure à la défensive,
l'attaque à la résistance, l'activité à l'inertie,
bref, l'homme à la matière.
En veut-on une preuve éclatante ? Anvers qui,
malgré, parait-il, un armement insuffisant des forts
extérieurs, passait pour une forteresse de puissante
résistance, tombe en douze jours. Pourtant les
ingénieurs avaient travaillé des années durant à
l'établissement de ses défenses.
Nancy n'avait pas un fort pour la couvrir le jour où
l'Allemagne déclara la guerre à la France, On la
ceignit pendant les premières semaines d'une
ceinture d'ouvrages semi-permanents, gros
terrassements de la fortification de campagne. Une
armée prit l'offensive pour couvrir ces travaux.
Puis quand, battue, cette armée recula, le barrage
armé de ses canons à longue portée la recueillit et
lui permit de se refaire pour refouler de nouveau
l'assaillant. Dès lors, Nancy fut plusieurs fois
attaquée, elle subit des bombardements partiels
auxquels l'empereur Guillaume lui-même présida. Rien
n'y fit. Aujourd'hui encore, les bois environnants
sont remplis de soldats ennemis. Mais toujours la
défense mobile des Français les tient assez éloignés
pour qu'ils n'osent pas mettre en-batterie leurs
gros canons à eux, d'une portée et d'une efficacité
supérieures aux pièces françaises, semble-t-il, mais
que leur poids expose à être pris au cours d'un
échec, momentané. Cette tactique a réussi depuis
deux mois et demi sur tout le front d'Altkirch à
Verdun.
Je ne me rappelle plus quel jeune héros de Corneille
ou de Plutarque ou d'ailleurs se plaint, à son père
de ce que l'épée de son adversaire est plus longue
que la sienne. Avance d'un pas, répond le père.
Le «
Réfractaire » Pierre Bücher
Nancy, 21 octobre.
On télégraphie de Strasbourg au « Berliner Tageblatt
» que le docteur Pierre Bücher, directeur de la «
Revue alsacienne illustrée » et des « Cahiers
alsaciens », domicilié à Strasbourg, mais dont la
résidence actuelle est inconnue, a été déclaré
passible du conseil de guerre, comme réfractaire à
l'appel sous les drapeaux.
Ses biens ont été confisqués.
Le docteur Bûcher était un des. apôtres de l'idée
française dans le pays.
NOTES DE
CAMPAGNE
21 octobre.
La Toussaint approche et que de Nancéiens ne la
célébreront pas au milieu de leurs morts, mais ils
seront par la pensée au Sud et à Préville, aux
heures de l'hommage.
L'autre dimanche, on a célébré des obsèques dans le
village où nous cantonnons.
Il s'agissait d'un notable du pays, victime de
l'épuisant exode. Nous assistâmes tous au service.
Sous le modeste catafalque était non seulement, à
nos yeux, un mort mais encore tous les défunts de
France, depuis les vieillards jusqu'aux jeunes
hommes que la faux a coupés, comme l'herbe des
champs, suivant la parole du psalmiste.
Et l'âpre travail continue, tout le monde s'est mis,
avec ardeur, aux rudes besognes ; des mains
inexpertes ont appris à manier des outils
jusqu'alors ignorés.
La bise souffle et les travailleurs, en pantalons
rouges, couvrent les plateaux.
Je vous ai déjà dit qu'il y avait beaucoup de
Nancéiens parmi nous. Huntel est coiffeur en pied de
la compagnie et il rase, avec autant de belle
humeur, sous les poutres d'une étable que dans son
étincelant lavatory.
Et c'est toujours chose digne d'admiration que la
fraternité de ces soldats quadragénaires. Le
Parisien, forte tête, socialiste-collectiviste,
s'entend au mieux avec le paysan réfléchi de
Vézelise ou de Haroué. Chaque soir, avant l'appel
qui a lieu très tôt, on refait la carte d'Europe,
et, dans la nuit des granges, on poursuit la
conversation interrompue.
Ce nous est une grande sécurité que de savoir Nancy
sain et sauf. Jamais nous n'aurions cru qu'on
pouvait aimer autant une ville, mais cette guerre
développe tant de sentiments, dans les âmes les plus
fermées !
Je crois bien que je n'irai pas, pour la première
fois depuis bien longtemps, à Préville, le jour de
la Toussaint, mais jamais nos morts ne seront fêtés
avec plus d'étroite ferveur.
Dans le calme angoissant des routes où erre
l'ennemi, la sentinelle y pensera.
Dans les tranchées savantes, recouvertes de claies,
les fantassins, l'oeil aux aguets, élèveront leur
esprit vers les martyrs. Et ce sera par toute la
France, plus vivante que jamais, la grande communion
mystique des forts.
Tous ces troupiers, ces hommes de guerre poursuivent
la tradition nationale et offrent leur vie pour
l'idée. Notre génération croyait bien achever ses
jours dans la grisaille d'une existence paisible.
Elle sortira plus grave, plus française de la lutte.
Les vrais pessimistes, les gens à qui il manquait
des motifs de vivre en auront désormais à foison.
Et mes camarades sentent parfaitement où est le
devoir.
Il faut remplir les vides créés dans nos activités
provinciales. La Lorraine sera bientôt la terre
magnifique. Chacun travaillera à la tâche commune,
aucun Lorrain ne sera inutile. La vie sortira des
tombes. Electre ne peut éternellement pleurer dans
Argos. Courage et espoir.
PIERRE LEONY.
L'EFFORT
SUPRÊME DANS LE NORD
Tout l'effort allemand se porte vers le Nord, où il
est contenu. - Partout ailleurs, nous progressons.
Bordeaux, 22 octobre,
15 h. 35.
A NOTRE AILE GAUCHE
Des forces allemandes considérables ont continué
leurs violentes attaques, notamment autour de
Dixmude, de Warneton, d'Armentières, de Radinghen et
de La Bassée.
Les positions occupées par les Alliés ont été
maintenues.
Sur le reste du front, l'ennemi n'a prononcé que des
attaques, partielles qui ont été toutes repoussées,
notamment à Fricourt, à l'est d'Albert ; sur le
plateau à l'ouest de Craonne ; dans la région de
Souain ; dans l'Argonne, au Four-de-Paris (sud-ouest
de Varennes) ; dans la région de Malancourt ; en
Woëvre, vers Champion, et au sud-est de
Saint-Mihiel, dans les bois d'Ailly.
Nous avons légèrement progressé dans l'Argonne et en
Woëvre méridionale, sur le bois de Mortmare.
Paris, 23 octobre, 0 h. 50.
Voici le communiqué officiel du 22 octobre, à 23
heures :
L'activité dont l'ennemi a fait preuve dans la
journée d'hier ne s'est pas ralentie aujourd'hui.
Entre la mer et La Bassée, la bataille a continué,
aussi violente, sans que les Allemands aient pu
faire reculer l'armée belge ni les troupes
franco-britanniques.
Entre Arras et l'Oise, l'ennemi a fait également de
grands efforts, qui n'ont été nulle part couronnés
de succès.
Dans l'Argonne, nous avons progressé entre
Saint-Hubert et le Four-de-Paris.
Au nord de Verdun, nous avons gagné du terrain sur
Haumont et Brabant-sur-Meuse.
Dans la Woëvre, nous avons repoussé une attaque sur
Champion.
MM. BRIAND &
SARRAUT
dans la Meuse
Paris, 22 octobre, 12
h. 45.
BAR-LE-DUC. - M. Briand, garde des sceaux, et M.
Sarraut, ministre de l'instruction publique, ont
visité, hier, les communes de l'arrondissement de
Bar-le-Duc, qui ont subi l'occupation de l'ennemi,
et qui ont été en partie détruites.
SUR LA
FRONTIÈRE
A CIREY-SUR-VEZOUSE
Les premiers
jours de l'occupation allemande. - Sanglants
combats. - Incendies de Parux.
- En retraite vers Sarrebourg. - Ce qui se passe à
Badonviiler.
Un de nos lecteurs,
qui se trouvait à Cirey-sur-Vezouse quand la guerre
fut déclarée, a noté au jour le jour ses impressions
et la physionomie que présentait le pays pendant les
vingt premiers jours du mois d'août.
Ce sont ces notes que nous reproduisons, sans y rien
changer, persuadés qu'elles intéresseront vivement
nos lecteurs :
Dimanche 26 juillet 1914. - M. B..., revenant d'Avricourt,
annonce que la gare y est en émoi. Nouvelles graves.
Lundi 27 juillet. - Un pli cacheté arrive pour G.
M... (mission spéciale).
Les jours suivants, mouvements de troupes allemandes
à la frontière. Les Allemands font leur couverture.
Ils élèvent des barricades sur les routes. Presque
en même temps, mouvement de troupes françaises à 10
kilomètres en arrière de la frontière et patrouilles
sur la frontière. G... M... part le mardi soir avec
armes et bagages. Les officiers de réserve sont
rappelés.
Vendredi 31 juillet; - Le train de 6 heures et demie
du soir n'arrive pas. Des personnes attendues sont
obligées de revenir à Cirey en auto, le train
s'étant arrêté à Lunéville. La gare, qui a déjà
renvoyé dans la journée deux locomotives, reçoit
l'ordre de renvoyer les agents sauf deux chefs et
G... et les wagons vides avec la dernière
locomotive. Le tout part à 6 heures et demie. A
Avricourt, dans l'après-midi, un détachement
d'infanterie allemande semble vouloir franchir la
frontière où il s'arrête net. Panique. On attend des
nouvelles. Vers une heure et demie du soir, dépêche
annonçant mobilisation partielle. Les convocations
individuelles de réservistes de toutes classes
arriveront en auto. Elles arrivent vers 11 heures et
demie. M... part à minuit pour Rambervillers en
vélo. Toute la nuit, départ des réservistes
convoqués. La poste a été faite par auto Mazerand.
Samedi 1er août. - On annonce mobilisation partielle
(sur convocations individuelles) de réservistes et
territoriaux.
A 4 heures et demie arrive l'ordre de mobilisation
générale. Partis de Cirey en auto avec Georges
(gendarme) et Ferrari, à 4 heures trois quarts,
faisons mobilisation à Parux à 5 heures et à Raon-les-Leaux
à 5 heures trois quarts. A Allarmont les réservistes
appelés la veille sont déjà mêlés à l'active. Dès
leur convocation, ils ont été armés en civil au ...e
bataillon de chasseurs à pied, en attendant que
d'autres soient habillés pour reprendre leur place.
A Parux, il a fallu casser un carreau à la mairie
pour entrer, le maire étant absent. La poste a été
faite le matin par auto et après-midi. Dernier envoi
à Blâmont. Depuis, plus de courrier ; il est
impossible de passer les barrages.
Dimanche 2 août. - Messe basse à neuf heures trois
quarts. L'abbé Marsal fait un sermon très
réconfortant et patriotique. A la fin du sermon, les
paroissiens se mouchent et essuient leurs larmes. Le
bétail est réquisitionné et part. Des enfants (une
dizaine) partent avec les convoyeurs. A deux heures,
exercice de brancardiers. A quatre heures, Georges,
gendarme, demande de le conduire à Raon-les-Leaux
surveiller mobilisation. Nous partons et revenons
avec trois bougies. A Allarmont, les chasseurs à
pied se sont reculés jusqu'aux « Noirs Collas » où
ils établissent des retranchements. On parle d'une
offre de l'Allemagne de rendre l'Alsace-Lorraine. En
rentrant à Cirey, nous nous occupons de faire
autoriser nos bonnes à rester à Cirey.
Lundi 3 août. - Des éclaireurs allemands (cavaliers)
entrent à Bertrambois, près de l'église. Ils sont
poursuivis par Marchal, sous-brigadier de douanes,
(sans armes), dans l'auto de Grundwald. Arrivés au
bois de Hattigny, au poteau frontière, ils se
retournent, provocants ; d'autres sortent du bois et
excitent Grundwald et Marchal, qui retournent
tranquillement.
A neuf heures du soir, les gendarmes, les douaniers
et les forestiers se replient sur Parux.
Mardi 4 août. - Gendarmes, douaniers et forestiers
reviennent à Cirey à deux heures après-midi. La
poste a fait démonter, dans la matinée, des
appareils téléphoniques particuliers.
Dans la journée, une patrouille allemande, venue à
Tanconville, a été mise en fuite par une patrouille
française du 6 chasseurs, à cheval, de V... ; la
patrouille allemande a, dit-on, été prévenue de
l'arrivée des Français. A tout moment on annonce des
arrivées de soldats allemands à Tanconville,
Bertrambois et Blâmont. Les communications
téléphoniques sont interrompues, puis rétablies.
Lauberteaux père a vu au bois de Petitmont, un
officier allemand causant avec L... Cet officier est
remonté vers midi par Maîtrechet. Déclaration de
guerre par l'Allemagne.
Mercredi 5 août. - A six heures et demie du matin,
une patrouille du ...e chasseurs à pied est à Cirey,
- devant la maison. Nous leur distribuons du vin.
Ils partent en reconnaissance, à sept heures. Vers
huit heures et demie, un aéroplane, que l'on suppose
être français, passe au-dessus de Cirey se dirigeant
vers Badonviller. A neuf heures, réunion des
brancardiers ; composition des équipes. A trois
heures et demie, environ 100 cavaliers allemands
viennent sur Cirey par la route de Blâmont. A six
heures et demie, un officier allemand arrive à la
mairie, revolver au poing, et demande réquisition de
viande, dont 45 kilogrammes de viande, du pain dont
et du riz pour 150 hommes arrivés aux Paquis, disant
qu'un régiment allemand est derrière lui. Les
soldats allemands meurent de faim. On entend de la
fusillade. Trois chevaux de cavaliers allemands
arrivent à Cirey sans cavaliers. Une patrouille de
12 cuirassiers français, arrivée aux cités Mazerand,
se replie en apprenant l'arrivée en nombre des
Allemands.
Vers neuf heures et demie du soir, nous apercevons
les lueurs du canon vers Dieuze et Avricourt.
Les Allemands se trouvant à Haute-Seille se
prennent, dans la nuit, pour des ennemis et se
battent. Ils ont un tué et deux blessés. La voiture
de Gaston Berger emmène les blessés sur Lorquin.
Jeudi 6 août. - A 7 heures, une patrouille française
de chasseurs à cheval et de cuirassiers emmène les
trois chevaux pris la veille et un autre. Justin
Humbert, de Tanconville, raconte les ennuis de M.
Muller, maire ; les Allemands l'ont trouvé malade
chez lui et l'ont entraîné de force à la mairie en
le brutalisant ; ils ont coupé les cordes des
cloches ; ils ont réquisitionné la commune qui est
sans aucune ressource. Les Allemands ont arrêté un
fils Appel et l'ont emmené pour le fusiller comme
espion français.
A 4 heures et demie passe un aéroplane sur lequel
les Allemands font des feux de salve vers
Haute-Seille. A 6 heures et demie on entend la
fusillade vers Saint-Sauveur et le Rougimont.
Le téléphone est interrompu.
Un brancardier du Val vient demander ce que l'on
doit faire d'un officier du 15e régiment de dragons
de Hanovre, blessé au ventre et hospitalisé au Val,
qui a annoncé 12 tués pour les Allemands contre 4
pour les Français. Cet officier est resté un jour et
demi dans la montagne, se cachant dans les roches,
en raison de la crainte qu'il avait des Français.
Dedenon, marchand de légumes à Lunéville, a été
réquisitionné par les Allemands pour conduire des
blessés à Hattigny.
On a confirmé la nouvelle annoncée hier de l'entrée
des Français à Château-Salins et à Moyenvic.
Vendredi 7 août. - A 7 heures du matin, un biplan
allant du midi vers le nord-est ; à 8 heures et
demie, un aéroplane revient de l'est à l'ouest ; peu
après, un autre biplan suit le même chemin, semblant
le poursuivre.
L'officier allemand blessé a été ramené du Val à
Cirey. Il craignait des violences des Français et ne
voulait pas se laisser enlever par les brancardiers,
se trouvant bien soigné par les dames du Val. Il est
enchanté d'être à Cirey et répète constamment : «
Gentils Français ! »
On a, paraît-il, dit aux Allemands que tout
l'univers est contre la France et la Russie.
A 11 heures et demie, canon vers Manonviller. A 3
heures, la poste annonce que huit cavaliers
allemands ont été tués devant le bureau de poste de
Blâmont et un fait prisonnier.
Le caporal Froelicher (de Cirey), de corvée de pain
au Val, avec un chasseur à pied, a, dit-on, mis en
fuite une patrouille de cavaliers allemands d'une
dizaine d'hommes, en tuant un cheval.
A 6 heures et demie, un biplan, genre Farman, passe
en suivant la ligne des Vosges, venant du nord. Il
est salué par les feux de salves allemands.
Haute-Seille est toujours occupé.
Rien à Cirey.
Le soldat allemand qui avait malmené le maire de
Tanconville a été puni par son chef.
Le prix du pain est de 0 fr. 90 les deux kilos.
Le téléphone est arrêté à 3 heures et demie.
Samedi 8 août. - A une heure et demie, nous allons
au jardin du Parterre. Un aéroplane passe au-dessus
de nous, allant de l'est à l'ouest. P. dit avoir
entendu une détonation : l'aéroplane a dû lancer une
bombe. On entend de la fusillade vers Montreux Louis
L... part à Badonviller, emmenant B..., F... et C...
A 3 heures et demie, des cavaliers allemands se
trouvent sur la route de Harbouey. Deux semblent se
diriger vers nous. Nous rentrons. Vers 5 heures, un
biplan allant du nord au sud. A 6 heures, une
compagnie du 3e régiment d'infanterie bavaroise
arrive à la gare par la route de Parux.
Les Allemands coupent tous les fils de télégraphe et
de téléphone, et occupent la gare et la poste. Un
soldat tombe d'insolation. Un médecin allemand
descend à l'ambulance. On distribue la soupe de la
cuisine roulante. Les mitrailleuses arrivent.
Les Allemands avancent vers Petitmont, sauf les
ambulances et les cuisines. Louis L... revient
jusqu'à l'entrée de Cirey, mais, en apercevant les
Allemands, il fait demi-tour et repart à
Badonviller.
A 9 heures, on entend la fusillade. Tout rentre dans
le calme à 9 heures et demie.
Dimanche 9 août. - Levés à 6 heures et demie.
Mouvement de troupes allemandes dans les rues. A 9
heures et demie, je vais chercher l'abbé Jacquemin
pour dire la messe et le remmène chez lui à 11
heures. Impossible d'aller à la messe.
Le colonel allemand donne l'ordre d'ouvrir les
persiennes et les rideaux des fenêtres et de ne pas
fermer les portes à clef. Le soir, on doit avoir,
dans chaque maison, une lumière derrière une fenêtre
; il est interdit de circuler après 8 heures du
soir.
Lundi 10 août. - Lever cinq heures. Les
sous-officiers allemands se lèvent à six heures. A
sept heures, tout le régiment part à Parux. Environ
quarante pièces d'artillerie. Deux autres régiments
d'infanterie et artillerie. A huit heures trois
quarts, une escadrille de sept ou huit aéroplanes
vers Badonviller semble se battre. Le défilé des
troupes devant la maison dure près de deux heures.
Les Allemands ont incendié Parux et Nonhigny.
A onze heures un quart, réquisition pour aller
chercher deux dragons allemands blessés. Partis par
la route de Parux, nous ne les trouvons pas et
revenons par la route de Harbouey. Le soldat
allemand qui m'accompagne me dit que les Allemands
sont à Baccarat, ensuite à Lunéville, Nancy, qu'ils
prendront Toul et iront à Paris. Je lui dis que Dieu
seul sait qui prendra et il n'insiste pas. Nous
finissons par retrouver les blessés à deux cents
mètres de Parux qui flambe. Je les ramène en deux
voyages. Le second a le genou très abîmé et porte à
la cuisse une blessure.
A onze heures et demie, à peine installés, les
soldats quittent pour aller au poste. Ouf ! Mais ils
nous ont empestés et garnis de puces. Dans la nuit,
deux sous-officiers viennent coucher dans le
vestibule et sont très tranquilles.
On a dû brûler deux maisons à Tanconville, mais nous
n'en sommes pas sûrs.
Mardi 11 août. - Deux aéroplanes à sept heures du
matin. Troupes allemandes continuent à passer allant
vers Badonviller. Des habitants de Parux continuent
à revenir à Cirey. A midi, des soldats qui s'étaient
installés dans toute la maison, nous annoncent
qu'ils repartent vers l'ouest (Blâmont), ne pouvant
pas passer par Baccarat. Nous avons été obligés de
déjeuner sur une petite table dans la cour, les
soldats allemands ne nous ayant pas laissé d'autres
places. Heureusement, trois sous-officiers étaient
très gentils.
Après midi, les Allemands amènent six chasseurs à
pied français prisonniers, parmi lesquels le
capitaine Brillat-Savarin, du 20e bataillon, de
Baccarat. Le capitaine me demande de prévenir sa
femme qu'il a été légèrement blessé à l'épaule par
un coup de feu tiré à six mètres de distance et
qu'il est fait prisonnier. Un officier allemand lui
dit très gentiment qu'il peut écrire lui-même en
toute sûreté.
Les soldats allemands racontent que la Russie est
vaincue, et que tous les aéroplanes français sont
pris et envoyés à Francfort-sur-le-Mein.
Des scènes de pillage se sont produites (chez Camon,
Alba, Granger, Zang, etc.). Le général donne des
ordres très sévères pour éviter qu'elles se
renouvellent.
Mercredi 12 août. - Fusillade proche dans la nuit.
Canon vers Badonviller, à cinq heures du matin. De
six heures et demie à onze heures, défilé
ininterrompu vers Parux, de troupes allemandes
(infanterie, artillerie, pontonniers, génie,
ambulances, train des équipages). A quatre heures et
demie, des officiers allemands en auto m'annoncent
que de nombreux blessés vont arriver à l'ambulance.
Nouveaux convois de vivres. A 8 h. 25, un train
allemand arrive à Cirey avec des vivres pour
remmener des blessés.
Jeudi 13 août. - Les Allemands ont incendié hier
diverses maisons à Badonviller, fusillé Mme Benoît,
brûlé sa maison et l'église. Emile Carrier, chasseur
à pied, a été fait prisonnier. De nombreux blessés
allemands et français et des prisonniers du ...e
bataillon de chasseurs à pied et du ...e régiment
d'infanterie arrivent à Cirey.
Le train évacue des blessés et des prisonniers. Des
soldats allemands racontent qu'on a brûlé Blâmont et
Lunéville, et plusieurs maisons à Badonviller.
Des habitants de Badonviller (notamment M. C...,
juge de paix), pris comme otages, arrivent. On nous
dit que M. et Mme C... et leur bru et M. Benoît,
maire de Badonviller, ont été fusillés. Le
ravitaillement des troupes allemandes continue à se
faire par le train. Les voitures de ravitaillement
viennent chercher les vivres à la gare et ne cessent
pas de circuler sur la route de Parux.
Il paraît que les Allemands ont demandé un armistice
de deux jours pour enlever les blessés et enterrer
les morts. Si cela est vrai, ils emploient cet
armistice à se ravitailler. Les blessés français
sont hospitalisés chez M. de Schacken.
On dit que l'officier allemand qui a donné l'ordre
de mettre le feu à Parux, en commençant par
l'église, a été condamné à mort par la cour martiale
et s'est suicidé. Un soldat qui a commis des actes e
pillage a été fusillé.
Vendredi 14 août. - Les Allemands se sont avancés
vers Badonviller. Porté bouillon de Mme B... aux
Femmes de France pour les blessés. Le major allemand
annonce que l'ambulance est obligée de refouler. Il
remercie les ambulanciers et infirmiers locaux des
bons soins donnés aux blessés.
Pour midi, le téléphone allemand est enlevé. Le
train allemand remmène les derniers wagons (32), y
compris les planches chargées et le sable fin. De
une heure à cinq heures, les troupes allemandes
reviennent de Badonviller. Les Allemands barricadent
Cirey, se fortifient dans les maisons C.. (route de
Petitmont) et B... (route de Parux), où ils
installent des mitrailleuses. Devant chez C..., ils
ont arraché la grille pour faire une barricade avec
des voitures, une faucheuse et une racleuse, le tout
entrelacé avec de la ronce artificielle qu'ils ont
arrachée aux clôtures de jardins.
Un médecin-major allemand demande où il pourrait
installer une ambulance pour faire les pansements
provisoires. Je l'emmène chez M. M..., qui
l'installe dans la cartonnerie. Le major menace de
tout brûler dans le cas où l'on toucherait à
l'ambulance.
A 5 heures et demie, la fusillade et le canon
commencent. Les obus passent au-dessus de Cirey.
Nous nous réfugions tous dans la cave sous la
véranda. Les obus sifflent de plus en plus ; nous ne
nous sentons pas en sûreté et remontons dans le
vestibule ; ensuite, au premier étage, dans notre
chambre et dans celle des enfants.
A 9 heures, nous entendons les cris des Français
chargeant à la baïonnette vers le bois de Petitmont,
sur la maison C... Puis un silence. Les Allemands
redescendent.
A 9 heures et demie, un officier allemand donne
l'ordre « Feuer », près de la maison.
Aussitôt la mitraille éclate. Les balles arrivent
dans la chambre rose, jusque dans la salle de bains,
traversant les placards, hachant les chaussures.
N... est endormie, nous la prenons et descendons
tous à travers les balles dans la cave à vins où
nous restons 40 minutes. Puis le calme étant revenu,
nous remontons dans notre bureau. Nous y mettons des
matelas et nous nous y installons pour le restant de
la nuit. La fusillade continue plus loin.
Samedi 15 août. - Le médecin-major allemand me
réquisitionne pour conduire les blessés jusqu'aux
premières lignes allemandes. Nous déposons un blessé
à la mairie et remontons jusqu'à l'usine à gaz où
nous rencontrons un bataillon allemand battant en
retraite. Dans la rue du Gaz, trois soldats
allemands tués : les Allemands ont dû se battre
entre eux, car il est impossible que les balles
françaises les aient atteints à cet endroit. Les
Allemands ont tiré sur la mairie et l'ambulance de
la Croix-Rouge. Les rues sont remplies de leurs
balles non utilisées.
Vers 8 heures, un soldat du ...e de ligne (Français)
arrive à Cirey, égaré et malade. A 10 heures et
demie, nous allons ramasser les blessés sur la route
de Parux et de Petitmont. En arrivant sur la route
de Parux, un fantassin français, blessé au pied,
s'approche et est obligé de passer la barricade pour
arriver à l'auto. Au second voyage, en trois ou
quatre minutes, à quatre personnes et sans aucun
outil, nous avons fini de démonter la barricade
élevée par les Allemands. Sur la route de Petitmont,
nous faisons la même opération. Au bois de Petitmont,
nombreux morts du ...e de ligne, dont un commandant.
Un premier détachement français arrive par la route
de Parux. Ensuite des troupes françaises, en grande
quantité. Après-midi, les gendarmes de Cirey (G...,
brigadier, A... et G... ) viennent dire bonjour et
repartent. Nous avons trois officiers du ...e
d'artillerie à coucher et un cycliste. Les officiers
rentrent à 2 heures et demie et partent à 5 heures.
Dimanche 16 août. - Un aéroplane allemand passe. Les
Français tirent dessus dans les rues. Le canon
cherche aussi à l'atteindre.
Après-midi, nous allons voir le champ de bataille de
Petitmont. On ramasse les morts (environ 200
Français) que l'on enterre, après les avoir
identifiés, près du bois, au coin vers Petitmont.
Passage de troupes.
Je vais avec M. M... en auto, à Parux, au
Bois-Coupé, à Bréménil et à Badonviller. Parux est
brûlé, sauf une dizaine de maisons. Le Bois-Coupé
est intact. Les Allemands ont pris du treillage à la
clôture. A Bréménil, de nombreuses maisons sont
brûlées. A Badonviller, l'église et environ 80
maisons sont brûlées. Le train de Badonviller à
Baccarat fonctionne.
Le ravitaillement continue à se faire par autobus.
Les C... n'ont pas été fusillés. Mme C... jeune nous
raconte que les Allemands avaient mis le feu à la
maison voisine de la leur. L'officier allemand vint
lui demander si elle pourrait (comme marchand de
vins en gros) fournir de la boisson à ses hommes.
Elle répondit oui, à la condition que sa maison ne
soit pas brûlée. Immédiatement l'officier allemand
fit faire la chaîne par ses hommes pour éteindre le
feu de la maison voisine, afin qu'il ne se
communique pas à la maison C...
Les Français avancent vers Sarrebourg. On entend la
bataille du côté de Hattigny.
Le premier officier français arrivé à Hattigny s'est
précipité au téléphone allemand : à ce moment, les
Allemands demandaient s'ils pouvaient envoyer un
convoi d'automobiles à Hattigny. L'officier français
répondit affirmativement en allemand et fit cerner
21 voitures par une compagnie d'infanterie
française. Les Allemands purent mettre hors d'état
quatre de ces voitures. Les 17 autres furent prises.
Elles renfermaient, dit-on, 300.000 ou 400.000 mark
en espèces.
Dans la matinée, j'ai vu passer H... et D...,
officiers de réserve dans un bataillon de chasseurs
à pied. Ils allaient à Bertrambois. Les pontonniers
sont allés camper sur la route de Parux. Le
téléphone et le télégraphe militaires français sont
établis.
Lundi 17 août. - Défilé du génie, de l'artillerie et
des pontonniers qui s'avancent.
Des voitures de Tanconville ramènent des artilleurs
blessés à la bataille d'hier. Les Français doivent
avancer. Hattigny n'est pas brûlé. Dans la nuit,
nous entendons le canon vers Sarrebourg et
Saint-Georges.
Mardi 18 août. - Le canon tonne dans la même
direction. Il semble s'éloigner de Cirey. On évacue
les blessés sur Baccarat. Un aéroplane passe. Les
Français ramènent les autos allemandes prises l'avantveille.
Nous avons deux lieutenants du ...e chasseurs à
cheval à loger. Les lettres arrivent.
Nous avons reçu des journaux.
Mercredi 19 août. - L'état-major français s'avance à
Niéderhof. Je conduis deux blessés à Baccarat, En
revenant, je rencontre, à Badonviller, M. Benoît,
maire, décoré de la Légion d'honneur. Je rapporte du
tabac. Il reste peu de troupes à Cirey.
Jeudi 20 août. - Je vais à Badonviller avec Mme
M..., Mme B... et P... Nous prenons des photos.
Vendredi 21 août. - J'emmène trois blessés à
Badonviller avec un médecin-major qui va visiter les
maisons brûlées. En revenant, nous reconduisons le
génie français qui repart en arrière.
On dit que le ...e corps d'armée, trop éprouvé, est
obligé de se retirer en arrière pour laisser la
place à un autre. La retraite du ...e corps se fait
dans un ordre parfait. Les habitants de Cirey
commencent à s'affoler dans l'après-midi et à
quitter le pays.
Nous allons dîner et coucher chez M. B...
Samedi 22 août. - Même retraite du ...e corps. Dans
la matinée, vers 10 heures, le docteur Rapp vient
chercher sa famille et annonce que les Allemands
seront à Cirey dans deux heures. Les L...
s'apprêtent à partir. Nous aussi. Nous déjeunons à
11 heures et partons en auto à midi par Badonviller.
Nous sommes obligés d'aller très lentement à cause
des convois et de l'artillerie qui s'avance sur les
hauteurs de Domèvre.
A Montigny, nous sommes arrêtés par l'orage et
trempés.
A Baccarat, nous retrouvons les L... et les
quittons. De Baccarat à Charmes, nous passons
derrière l'artillerie et les forts.
Le canon ne cesse pas de tonner. Nous arrivons à
Mirecourt à 4 heures, faisons prolonger notre
saut-conduit jusqu'à Neufchâteau, où nous arrivons à
6 heures. A Châtenois, nous rencontrons un convoi de
camions automobiles. Un factionnaire nous emmène à
la place, qui ne trouve pas nos papiers en règle.
Nous avons un mal inouï à trouver des chambres.
Enfin, de très gentils jeunes gens, secrétaires à la
place, nous trouvent notre affaire. Le lieutenant
colonel nous dit qu'il ne croit pas que nous serons
autorisés à continuer à voyager en auto.
Dimanche 23 août. - Nous allons à la place, à 9
heures du matin, et attendons le colonel jusqu'à 10
heures et demie. Enfin, le lieutenant-colonel se
décide à nous délivrer un sauf-conduit pour
Chaumont.
LA TROUÉE
IMPOSSIBLE
Malgré des renforts de la Somme à la mer et une
énergie désespérée l'ennemi ne peut nous rompre.
Bordeaux, 23 octobre,
16 h. 03.
A NOTRE AILE GAUCHE
Les forces allemandes, très importantes, dont la
présence a été signalée hier, ont continué à
attaquer très violemment, dans toute la région
comprit entre la mer et le canal de La Bassée.
Dans l'ensemble, la situation des forces alliées
s'est maintenue. Si elles ont dû céder sur quelques
points, elles ont avancé sur d'autres.
L'ennemi a également montré une activité toute
particulière dans la région d'Arras et sur la Somme.
Au nord et au sud de ce fleuve, nous avons
progressé, notamment dans la région de
Rosière-en-Santerre.
PROGRÈS DE VERDUN A PONT-A-MOUSSON
Dans la région de Verdun et dans celle de
Pont-à-Mousson, nous avons eu quelques succès
partiels.
Sur le reste du front, rien à signaler.
En résumé, l'ennemi paraît tenter, sur la majeure
partie du front, notamment entre la mer du Nord et
l'Oise, un nouvel effort, en utilisant des corps de
nouvelle formation, constitués avec des hommes
récemment instruits, les uns très jeunes, les autres
très âgés et avec des cadres prélevés un peu
partout.
LES MINISTRES A
NANCY
UNE RÉCEPTION OFFICIELLE
à la Faculté des Lettres
Nancy, 24 octobre.
MM. Aristide Briand, ministre de la justice ; Albert
Sarraut, ministre de l'instruction publique ; Jules
Guesde, membre également du Cabinet de Défense
nationale, sont descendus à l'hôtel d'Angleterre.
Ils étaient accompagnés de M. Lucien Poincaré,
directeur de l'enseignement supérieur, frère de M.
Raymond Poincaré, président de la République.
Plusieurs officiers d'état-major voyageaient dans
leurs autos.
Après une visite officielle à la préfecture, au
cours de laquelle les ministres se sont longuement
entretenus avec M. Mirman de la situation créée par
la guerre aux populations de Meurthe-et-Moselle, les
ministres ont regagné les appartements spécialement
préparés à leur intention.
Dans la soirée de jeudi, une invitation était
adressée à M. Adam, recteur de l'Académie ; à M.
Dessez, inspecteur d'Académie ; aux doyens des
Facultés, aux directeurs de tous les établissements
scolaires, aux membres du corps enseignant, pour une
réunion exceptionnelle à l'Académie.
M. Albert Sarraut exprimait le désir d'échanger
quelques paroles avec les fonctionnaires qui
assument en Lorraine la chargé délicate de
maintenir, malgré les événements, la continuation de
la vie universitaire.
Cette réunion a eu lieu vendredi à huit heures et
demie du matin, dans le grand amphithéâtre de la
Faculté des lettres.
On remarquait la présence de MM. Adam, recteur ;
Dessez, inspecteur d'Académie ; Petit, directeur de
l'Ecole supérieure ; Danis, directeur de l'Ecole
professionnelle ; MM. les doyens Binet, Auerbach,
Floquet ; M. Bruntz, directeur de l'Ecole de
pharmacie ; M. le proviseur du lycée ; M. le
médecin-major Weiss ; les directrices des écoles
primaire et supérieure, etc.
DISCOURS DE M. LE RECTEUR
A huit heures et demie, M. Albert Sarraut, ministre
de l'instruction publique, fait son entrée. Il est
accompagné de MM. Lucien Poincaré, Mirman et le
recteur Adam.
Appuyé sur le bord de la chaire, M. le recteur Adam
prononce le discours suivant :
« Monsieur le ministre,
« Monsieur le directeur,
« C'est un grand honneur pour moi de vous saluer
aujourd'hui par une parole respectueuse de bienvenue
et de vous recevoir dans notre Université que vous
désirez visiter en temps de guerre.
Les étudiants de nos Facultés sont ailleurs, sur la
ligne de feu, à l'exemple de leurs professeurs, dont
beaucoup, déjà, sont morts pour la patrie.
Vous avez devant vous les maîtres et les maîtresses
de nos écoles. Les maîtresses n'ont pas connu de
vacances ; elles portent la blouse et le brassard
des Dames de la Croix-Rouge.
Les maîtres sont aussi à leurs postes. Il en manque
quelques-uns ; ce sont ceux de nos campagnes, des
villages détruits en Lorraine. Quatre d'entre eux
sont à Ingolstadt et dans les villes allemandes, où
on les a emmenés comme otages. »
M. le recteur rend un hommage ému à tout le corps
enseignant ; il salue la mémoire des vaillants qui
sont tombés pour la France.
« Vous êtes ici, monsieur le ministre, au chef-lieu
du 20e corps d'armée, qui a été deux fois à l'ordre
du jour .Puissions-nous, dans notre sphère, mériter
la même gloire en nous acquittant de la haute
mission qui nous est confiée. »
Le recteur rappelle les bienfaits, les relations,
les travaux, les ouvrages qui ont rapproché de notre
Université les savants belges, russes, anglais,
écossais. Nous n'avons pas en Europe d'autres amis,
car, de l'autre côté de la frontière, tous ceux qui
furent nos hôtes intellectuels déclarent fausses les
atrocités commises dans notre pays où elles ne sont
que trop évidentes.
Nous élèverons notre esprit si haut, selon la pensée
de Descartes, que de telles offenses ne puissent
l'atteindre. Nous défendrons jusqu'au bout notre
idéal de justice et de vérité.
M. Poincaré pourrait me rappeler la devise de
Bar-le-Duc, sa ville natale : Plus penser que dire !
Nous sommes résolus à « agir plutôt qu'à dire ».
C'est en exprimant une pensée d'irrésistible espoir
que M. le recteur termina son discours, dont les
bravos de l'assistance ont accueilli l'émouvante
péroraison.
DISCOURS DE M. SARRAUT
Le Grand-Maître de l'Université remercie M. le
Recteur pour les nobles paroles qu'il vient de faire
entendre ; il en portera l'écho fidèle au
gouvernement.
« Je vous ai écouté avec émotion, mais sans
surprise, dit-il. Je ne pouvais entendre d'autre
discours à l'heure où nous vivons, des hommes qui
conservent toute leur force à nos belles traditions,
dans cette Université où l'on a apporté de
glorieuses offrandes sur l'autel de la Patrie.
« J'ai recueilli dans vos paroles les sentiments de
tous ceux qui nous entourent.
« Je suis venu apporter ici, messieurs, l'assurance
de la profonde sympathie que le Gouvernement a
gardée pour ces populations de l'Est qui supportent
cette destinée. »
M. le ministre fait un vif éloge de la Lorraine et
de son Université.
Il termine en ces termes :
« La France sera victorieuse ; mais, de cette lutte
qui apportera au monde le bénéfice de la paix
sortira une France affaiblie.
Elle aura perdu tant de sang généreux que vous
devrez lui refaire des forces nouvelles en préparant
plus vite une génération plus robuste. Je suis
convaincu, messieurs, que ces hommes-là, vous les
donnerez à la France et c'est pour cela que j'ai
voulu venir pour vous dire merci ! »
Les présentations ont lieu ensuite.
A neuf heures dix, MM. Sarraut et Lucien Poincaré
remontaient en auto.
L'après-midi a été consacré à une visite des
communes éprouvées par l'invasion dans toute notre
région.
LUDOVIC CHAVE.
EXPLOITS
ALLEMANDS A RAON-L'ÉTAPE
Notre confrère la
Dépêche Algérienne publie la lettre suivante dont
tous commentaires affaibliraient la portée :
« Alger, le 12 octobre 1914.
Monsieur le Rédacteur en chef de la Dépêche
Algérienne,
Lorsque, le 14 août 1914, après une captivité de
trois jours, j'ai pu, par un véritable miracle,
quitter les ruines du malheureux canton de
Badonviller (Meurthe-et-Moselle), où je m'étais fixé
pour la durée des vacances avec ma femme et mes
quatre enfants, j'avais dû laisser à l'hôtel de la
Gare, à Raon-l'Etape - le chemin de fer n'acceptant
pas les bagages. - une malle pesant 80 kilos et
renfermant du linge et des vêtements d'enfants.
Voici les termes dans lesquels le chef de gare de
Raon veut bien me renseigner sur le sort de mon
colis :
« Raon-l'Etape, 2 octobre 1914.
« Monsieur,
« J'ai l'honneur de vous faire connaître que Mme
Schwob, propriétaire de l'hôtel de la Gare, venant
seulement de réintégrer son domicile, je me suis
rendu, ce jour, chez elle pour y chercher votre
malle
« Cette malle a été retrouvée en mauvais état ; les
Allemands l'ont ouverte en cassant les serrures
ainsi que les charnières, puis ont répandu à terre
tout le contenu.
J'ai fait ramasser et ficeler le tout.
« Il est à présumer que les Allemands ont pris ce
qu'il y avait de plus précieux, car il ne reste
presque plus rien. L'hôtel de la Gare a été pillé
complètement, ainsi que toute la localité.
« Veuillez agréer, etc. »
Je livre ce trait aux amateurs de la culture
allemande ; il établira, pour les sceptiques ou pour
ceux qui ont eu le bonheur de ne pas voir, que le
vol et le cambriolage sont, dans l'armée allemande,
vertus pratiquées par le plus humble des soldats
comme par le plus élevé des Hohenzollern.
Veuillez agréer, etc.
EUG. LEYVAL,
Chef du contentieux du P.-L.-M. algérien.»
Non contents de piller, d'emporter à pleins wagons
leur butin, le fruit de leurs rapines, de leurs
cambriolages, les Barbares ont assouvi à Raon une
rage impitoyable de destruction.
Une dépêche, empruntée à un journal parisien, est
sur ce point des plus édifiantes.
Lisez plutôt :
« SAINT-DIÉ, 17 octobre. - Pendant la guerre de
1870, des Allemands sont morts dans les ambulances
de Raon-l'Etape. Ils furent inhumés dans le
cimetière, où les monuments, érigés par leurs
compatriotes, rappelaient leur mémoire. En 1914, les
Allemands qui occupèrent Raon-l'Etape ont réduit ces
monuments en pièces. »
Il est bon de rappeler que les janissaires de
Guillaume avaient déjà. donné la mesure de leur
goujaterie.
Les Allemands ont aux veux du monde un mérite -
celui d'être complets dans leur genre !
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
Du « Petit Troyen »,
dont un collaborateur a pu parcourir l'Argonne, ces
deux passages :
« Brizeaux nous paraît avoir peu souffert de la
guerre. Un coin cependant a reçu des obus qui ont
Porté leurs ravages dans quelques maisons.
« Nous poursuivons notre route et traversons
Triaucourt. dont plusieurs maisons sont fort abîmées
et dont l'église notamment a été éprouvée. Tous ses
vitraux sont tombés : pour les remplacer, on a
disposé de grands rideaux à ramages qui, s'ils
arrêtent la lumière, arrêtent aussi l'air froid du
dehors. »
M. Minier, sous-préfet de Lunéville, accompagné de
M. Méquillet, député de l'arrondissement, a visité :
Bauzemont, - Bathélemont. - Bénaménil. - Ces trois
communes ont été occupées par l'ennemi du 22 août au
12 septembre. Elles ont relativement peu souffert et
on n'y compte fort heureusement aucune victime.
A Bauzemont, le maire, M. L. Brincard, et l'ancien
garde de navigation, Joseph Bic, ont été emmenés
comme otages et n'ont pas encore été rendus à leurs
familles.
Les habitations sont intactes dans les trois
villages sauf deux maisons endommagées par les obus
à Hénaménil.
Partout le pillage habituel a sévi ; la plupart des
animaux ont été enlevés ; les greniers sont vides de
leurs récoltes et les caves de leur vin.
Les municipalités de ces communes sont restées
courageusement au poste pendant le danger. Le
ravitaillement de la région s'opère par
l'intermédiaire d'Einville avec une facilité
relative.
LE SOU
DU SOLDAT BLESSÉ
Nancy, 24 octobre.
Il s'agit pour vous, amis et lecteurs de l'Est, de
donner tous les dimanches un sou pour les soldats
blessés. Ce n'est ni bien compliqué ni très onéreux.
Lorsque vous recevrez votre journal le dimanche,
vous donnerez deux sous au lieu d'un sou.
Au bout de la guerre vous aurez dépensé sans vous en
apercevoir trente ou quarante sous, et vous aurez
contribué pour votre part à une oeuvre de solidarité
humaine qui seconde puissamment, écrit Millerand,
les efforts de la Défense nationale.
Le sou que vous aurez donné en supplément sera versé
à la Banque de France, et grossira les ressources de
la Croix-Rouge et de l'Assistance aux convalescents.
Il n'y aura aucune espèce de fuite. Chaque
exemplaire vendu rapportera un sou plein à l'oeuvre
sans retenue d'aucune sorte.
Un sou plein ! Cela ne paraît rien, et vous verrez
que ces sous donnés joyeusement par les lecteurs de
tous les journaux qui ont adopté cette idée
généreuse, ces sous deviendront des millions, et des
millions encore.
Les lecteurs de journaux ne connaissent pas leur
pouvoir. Ils vont le mesurer maintenant, et pour une
action merveilleuse, pour apaiser les souffrances de
nos chers troupiers, pour maintenir leur santé, pour
conserver la vie de nos enfants, des défenseurs de
la Patrie.
Nous demandons à tous de nous aider dans cette
oeuvre.
Pour nos lecteurs, nous avons assez souvent eu
recours à leur générosité naturelle pour savoir que
nous pouvons toujours compter sur eux, aujourd'hui
plus que jamais. D'avance nous les remercions.
Nos vendeurs et vendeuses habituels auront un
surcroît de besogne. Mais comme tant d'autres en ce
moment ils sauront se dévouer en pensant qu'il
s'agit de leurs enfants, de leurs frères, de leurs
maris, de leurs pères.
La direction et l'administration n'ignorent point,
comme le dit l'appel qui nous est adressé, les
ennuis qu'elles auront à supporter, les difficultés
qu'il leur faudra vaincre pour une organisation
toute, nouvelle en un moment où il est déjà bien
difficile de suffire à la besogne courante, et aussi
les frais ajoutés à d'autres frais.
Mais qu'importe tout cela ? Il s'agit de recueillir
sou par sou des millions pour les soldats blessés.
Qui hésiterait devant cette tâche que nous imposent
les circonstances ?
Puis cela créera un affectueux accord de plus entre
les lecteurs et leur journal. On aura ensemble
accompli une belle action - une belle action de
plus.
Et le souvenir que l'on aura, tous les dimanches de
la guerre, acheté deux sous son Est que l'on paie un
sou la semaine, ne sera certainement pas le souvenir
le moins doux, puisque l'on aura ainsi doté des
millions nécessaires les oeuvres d'assistance aux
soldats blessés.
Vive le sou du soldat blessé !
RENÉ MERCIER.
LA CHASSE AUX
TAUBEN
Nancy, 24 octobre.
Jeudi, un peu après midi, les postes de la frontière
signalaient qu'un « Taube » se dirigeait à toute
vitesse vers Nancy.
Plusieurs avions français lui donnèrent aussitôt la
chasse.
L'aviateur allemand fit rapidement demi-tour pour
retourner d'où il était venu.
En passant au-dessus des batteries françaises, il
essuya quelques coups de feu, mais, en raison de sa
hauteur, il ne put être. atteint.
NOS MORTS
Nancy, 24 octobre.
Voici encore un vaillant Nancéien, qui vient de
tomber, au champ d'honneur. Le capitaine Lucien
Michel, du 246e d'infanterie, a, en effet, été tué
d'un éclat d'obus à la tête, à Iverny la tête, à
Iverny, près de Meaux, dans les premiers jours de
septembre.
Le capitaine Michel était, avant les hostilités,
instructeur à l'école de Saint-Cyr.
Sa famille est aussi connue qu'estimée à Nancy. Son
père est resté longtemps associé de M. Rousselot,
notre si sympathique ancien conseiller municipal.
Le défunt laisse une veuve avec cinq enfants, dont
l'aîné, âgé de 20 ans, élève de Saint-Cyr, est
actuellement sous-lieutenant dans un de nos
régiments et se trouve sur le front.
Nous présentons à sa famille nos plus sincères
condoléances.
LES ALLIÉS
brisent tous leurs assauts
Bordeaux, 24 octobre,
15 h. 25.
A NOTRE AILE GAUCHE
La bataille continue. L'ennemi a progressé au nord
de Dixmude et autour de La Bassée.
Nous avons avancé, très sensiblement, à l'est de
Nieuport, dans la région de Langemarck, et dans la
région entre Armentières et Lille.
Il s'agit là des fluctuations inévitables de la
ligne de combat, qui se maintient, dans son
ensemble.
Sur le reste du front, plusieurs attaques
allemandes, de jour et de nuit, ont été repoussées.
Sur plusieurs points nous avons progressé
légèrement.
EN WOEVRE
Notre avance a continué dans la direction du bois de
Mortmare, au sud de Thiaucourt, et dans le
Bois-le-Prêtre, au nord de Pont-à-Mousson.
Paris, 25 octobre, minuit 45.
Le communiqué officiel du 24 octobre, 23 heures, dit
:
Depuis la mer jusque dans la région au sud d'Arras,
les violentes attaques ennemies ont été partout
repoussées.
A l'ouest de l'Argonne, nous avons, emporté le
village de Melzicourt, qui commande les routes
conduisant de Varenne à la vallée de l'Aisne.
Rien à signaler sur le reste du front.
Dans la grande bataille de Belgique et du Nord,
c'est là ligne de communication des Allemands par la
Belgique qui est l'enjeu. S'ils échouent, comme nous
l'espérons bien, et comme tout permet de le croire,
ils vont être rejetés sur la Meuse et dans l'Ardenne
belge, pays peu peuplé, pauvre en voies de
communication, et couvert de forêts, pays par
conséquent peu favorable aux mouvements des grosses
armées.
L'ennemi amène des forces considérables sur le champ
de bataille ; ces forces ne sont considérables que
par le nombre, ce sont ses dernières ressources en
hommes qu'il jette dans la fournaise. Ces hommes
sont les derniers bans de leurs réservistes, des
landwehrs, des landsturms, qui ne sont pas les
soldats auxquels nous nous sommes heurtés dans notre
première offensive en Belgique. Ces soldats et le
vigoureux cadre qui les entraînait sont restés sur
la Marne en grande partie.
VERS THIAUCOURT
On ne croit plus à leurs feintes d'armistice
Paris, 24 octobre, 18
h. 34.
Une note officielle signale qu'il ne faut pas
ajouter foi aux bulletins de l'état-major allemand.
L'un d'eux prétend, notamment, que nos attaques sur
les hauteurs au sud de Thiaucourt avaient été
repoussées avec des pertes considérables.
Or, en réalité, notre offensive, dans cette
direction, n'avait pas pu se maintenir sur tous les
points atteints au cours de ce mouvement, mais elle
a conservé, dans l'ensemble, la meilleure partie du
terrain conquis.
Dans la matinée, un parlementaire allemand est venu,
au nom des autorités allemandes, demander au
commandant de l'armée qui. opère dans cette région,
un armistice pour enterrer les morts et relever les
blessés.
Le commandant a renvoyé ce parlementaire et a fait
reprendre immédiatement l'attaque, et une nouvelle
progression nous a permis d'obtenir le résultat que
les Allemands recherchaient par l'armistice, et a
démontré, en même temps, l'inanité des succès que
s'attribuaient les Allemands.
EN HAUTE-ALSACE
Nous lisons dans le
Pays de Porrentruy, du 24 octobre :
« Les Français semblent avoir l'avantage en
Haute-Alsace. Mais il n'y a pourtant pas grand
changement dans la situation à proximité de notre
frontière. Les combats sur la Largue continuent.
Hier matin, un violent duel d'artillerie a repris.
Toute la journée, le canon a tonné, souvent très
loin, du côté des Vosges. Hier après-midi, on
distinguait très bien, depuis le point 510, les
positions françaises à l'est de Seppois et près de
Largitzen. Un sphérique français se trouvait
au-dessus de Réchésy; un autre aérostat était en
observation au-dessus de la trouée de Belfort. Le
ballon captif allemand, forme « chenille »,
s'élevait très à l'est,- du côté de Ferrette.
Vers 5 heures du soir, l'artillerie allemande a
ouvert le feu dans la direction des positions
françaises, sur la hauteur voisine de Largitzen.
L'artillerie française qui s'y trouvait a répondu,
ainsi que celle placée aux environs de Pfetterhausen.
Les obus allemands ont provoqué l'incendie d'une
maison isolée près de Largitzen. Cet incendie prit
rapidement une très grande intensité. Du poste
d'observation 510, on pouvait suivre toutes les
phases du sinistre.
Vers 6 heures, les canons se turent. Tout rentra
dans le calme. On s'attend à de nouveaux
engagements. Les Français qui sont à la frontière se
déclarent très satisfaits de la marche des
opérations. Ils constatent qu'ils ont avancé du côté
de Courtavon et dans la direction d'Altkirch. Pour
ce qui est de la première de ces localités, ils y
sont entrés jeudi matin, sans que les Allemands,
surpris aient opposé beaucoup de résistance. »
PROGRÈS
SENSIBLES
dans l'Argonne et la Woëvre
Nous leur démolissons des batteries et anéantissons
un régiment.
Paris, 25 octobre, 15
h. 15.
Aucun changement à signaler entre la mer et la
région autour d'Arras.
Dans l'Argonne, notre situation s'est maintenue dans
les conditions annoncées hier.
Dans les Hauts-de-Meuse, notre artillerie de
campagne a détruit trois nouvelles batteries
allemandes, dont une de gros calibre.
Paris, 26 octobre, 0 h. 50.
Le communiqué officiel du 25 octobre, 23 heures, dit
:
L'action s'est continuée dans les mêmes conditions
que les journées précédentes.
Une bataille très violente a eu lieu entre Nieuport
et la Lys. Les forces allemandes ont pu franchir la
Lys entre Nieuport et Dixmude.
Entre l'Oise et l'Argonne, rien à signaler, sauf
quelques légers progrès de nos troupes au nord-ouest
de Soissons et dans la région de Craonne.
Combat d'artillerie sur les Hauts-de-Meuse.
Dans la Woëvre, l'artillerie lourde française tient
aujourd'hui sous son feu la route de Thiaucourt-Nonsard-Buxerulles
et Woinville, qui est l'une des principales lignes
de communications des Allemands vers Saint-Mihiel.
On signale qu'hier, dans l'Argonne, un régiment
d'infanterie allemande a été anéanti tout entier,
pendant une opération qui s'est déroulée dans les
bois, au nord de Chalade.
MM. Aristide
BRIAND et Albert SARRAUT
en Meurthe-et-Moselle
Nancy, 25 octobre.
M. Aristide Briand, garde des sceaux, et M. Albert
Sarraut, ministre de l'instruction publique, ayant
été délégués par le gouvernement pour visiter les
départements les plus éprouvés de la frontière de
l'Est, ont consacré au département de
Meurthe-et-Moselle les deux journées de jeudi et de
vendredi.
Ils étaient accompagnés de M. Lucien Poincaré,
directeur de l'enseignement supérieur, d'un
commandant du grand état-major, de MM. Peycelon et
Guesde, leurs chefs de cabinet.
A TOUL
MM. Briand et Sarraut se sont d'abord rendus à Toul,
où ils ont déjeuné jeudi à la sous-préfecture et ont
été salués par le préfet de Meurthe-et-Moselle ;
dans le courant de l'après-midi ils ont, en
compagnie de M. le général commandant l'armée,
visité, en divers points, la ligne de front ; à leur
retour, ils ont apporté leur témoignage de sympathie
et d'admiration au chevet de M. le sénateur Reymond,
officier aviateur, tombé la veille au champ
d'honneur. Ils sont arrivés à Nancy à la fin de
l'après-midi.
A NANCY
MM. Briand et Sarraut avaient exprimé le désir,
étant donné les circonstances, qu'aucune réception
officielle ne fût organisée ; cependant M. le préfet
de Meurthe-et-Moselle leur a présenté dans
l'intimité d'abord M. Simon, maire de Nancy,
accompagné des adjoints et délégués aux divers
services municipaux. M. L. Mirman a indiqué aux
membres du gouvernement la belle tenue, l'activité,
l'esprit d'initiative, l'union patriotique de la
municipalité de Nancy. M., le maire, avec sa
modestie coutumière, a déclaré que ses collègues et
lui n'avaient fait que leur devoir, mais qu'ils
continueraient à le faire en toute circonstance, et
a remercié les membres du gouvernement de leur
visite.
M. Aristide Briand a adressé aux populations
lorraines, à la ville de Nancy, aux autorités
municipales, les félicitations du gouvernement de la
République ; il a déclaré qu'il ne venait pas leur
apporter un réconfort que leur vaillance rend
inutile, mais qu'il tenait à témoigner aux
populations éprouvées de ce département l'ardente
sympathie du gouvernement et de la nation.
M. le préfet présenta ensuite MM. Vilgrain,
président, Cavallier, vice-président, Bertrand-Oser,
secrétaire de la Chambre de Commerce, ajoutant que
quelque court que dût être le séjour des membres du
gouvernement à Nancy, il lui avait paru nécessaire
qu'ils prissent contact avec les représentants d'une
aussi importante compagnie. M. Aristide Briand a
affirmé que le gouvernement ferait tous ses efforts
pour améliorer le plus tôt possible les moyens de
transports, afin de faciliter la reprise de la vie
économique du pays.
M. le garde des sceaux fut salué par M. le procureur
général, et M. le ministre de l'instruction publique
par M. le recteur et M. l'inspecteur d'académie.
MM. Aristide Briand et Albert Sarraut dînèrent à la
préfecture ; assistaient au dîner avec le personnel
accompagnant les ministres, M. le général Joppé, M.
le général de la Masselière, M. le maire de Nancy,
ainsi que les collaborateurs et divers amis
personnels de M. et de Mme Léon Mirman.
Le lendemain vendredi, à huit heures un quart, M.
Albert Sarraut, accompagné de M. Lucien Poincaré et
de M. le préfet, s'est rendu à l'Université de
Nancy.
A NOMENY et Ste-GENEVIEVE
MM. Aristide Briand et Albert Sarraut sont ensuite,
en compagnie de M. le général Joppé, de M. le
général de la Masselière et de M. le Préfet de
Meurthe-et-Moselle, allés visiter la malheureuse
commune de Nomeny et la commune blessée de
Sainte-Geneviève ; ils ont, dans celle-ci, félicité
les habitants rentrés au lendemain de leur
bombardement ; ils ont conféré avec M., le général
Joppé au sujet des conditions de ravitaillement des
communes situées sur la ligne de feu.
En divers points, MM. les Membres du Gouvernement on
visité les avant-postes et ont admiré l'entrain de
nos troupes, leur bonne humeur vaillante, leur
confiance à la fois hardie et prudente, et aussi la
sollicitude que leurs chefs leur témoignent.
A LUNÉVILLE
Après avoir déjeuné à la Préfecture, MM. A. Briant
et A. Sarraut se sont ensuite rendus à Lunéville :
sur la route, ils ont croisé un cortège de
prisonniers allemands. Ils ont été reçus à la Mairie
de Lunéville par la Municipalité. M. le Préfet de
Meurthe-et-Moselle leur a présenté M. le sous-préfet
Minier et M. le maire Keller, « qui ont été - a-t-il
dit - dignes l'un de l'autre » ; il a remercié les
Ministres d'avoir visité Toul, Nancy et Lunéville,
et exprimé le regret douloureux de n'avoir pu les
conduire et de n'avoir pu se rendre, encore lui-même
dans. l'arrondissement de Briey. M. Keller a
présenté ses collaborateurs de la Municipalité, et
M. Aristide Briand a bien voulu déclarer que, son
collègue, M. Sarraut, et lui, emporteraient de leur
visite en Meurthe-et-Moselle deux impressions
également profondes : l'une de douleur éprouvée au
spectacle des ruines accumulées et, dans la plupart
des cas, contrairement au droit des gens, l'autre de
fierté nationale devant le spectacle de la fermeté
d'âme des populations lorraines.
A GERBÉVILLER
MM. les Membres du Gouvernement terminèrent la
visite du département par le pèlerinage de
Gerbéviller ; M. le Préfet leur fit le récit des
atrocités commises là par l'ennemi et dont ces
ruines sont le douloureux témoin, le récit des
épreuves auxquelles la population fut soumise, le
récit aussi de la vaillance de la Soeur Julie et de
ses compagnes, citées à l'ordre du jour de l'armée.
MM. A. Briand et Sarraut tinrent à aller apporter
leurs hommages personnels et ceux du Gouvernement à
ces vaillantes Françaises, aux coeurs de soldats. Ils
saluèrent aussi de paroles sympathiques M. Liégey,
conseiller municipal faisant fonctions de maire, et
les quelques habitants revenus dans la commune pour
terminer la récolte.
DANS LES VOSGES
M. Linarès, préfet des Vosges, était venu au-devant
des Membres du Gouvernement jusqu'à Gerbéviller, MM.
A. Briand et Sarraut devant se rendre le soir même à
Epinal. M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle prit
congé d'eux en leur donnant l'assurance que les
populations lorraines attacheraient un prix
inestimable à la marque d'affectueuse sympathie que
le Gouvernement venait ainsi de leur apporter et en
leur affirmant que, à Nancy, à Toul, à Lunéville,
comme dans toutes les autres communes du
département, chacun, à son poste, ferait son devoir
en soldat.
LE
RAVITAILLEMENT DE LUNÉVILLE
Nancy, 25 octobre.
A la dernière réunion de la Société centrale
d'agriculture,, M. Mirman, préfet, s'est engagé à
faire les démarchés nécessaires pour la mise en
marche des moulins de Jolivet, à Lunéville.
Nous croyons savoir que, d'ici peu, une équipe
d'ouvriers électriciens va procéder à la pose d'un
câble pour amener le courant de la station de
Laneuveville-devant-Nancy jusqu'à Lunéville. La
force motrice pourra donc être donnée aux moulins,
qui reprendront leur activité. La lumière sera en
même temps rendue à la ville elle-même, qui ne sera
plus plongée dans une entière obscurité.
Mais avant que tout soit remis en état aux moulins,
il faut pourvoir au ravitaillement en farine, ce que
fit M. Minier, sous-préfet de Lunéville.
D'accord avec M. Mirman et par l'entremise
bienveillante du préfet des Bouches-du-Rhône, une
entente est intervenue entre les minotiers de
Marseille et la municipalité pour la livraison de la
farine nécessaire à Lunéville et à la région, et
cela pour un temps indéterminé.
D'autre, part, on annonce d'importants arrivages de
sucre, pétrole, charbons, etc., ce qui fait prévoir
que les choses les plus nécessaires ne manqueront
pas aux Lunévillois.
COMMENT à
AUDUN-LE-ROMAN
se comportèrent
LES SOLDATS DU KRONPRINZ
Sur commission
rogatoire, délivrée par le parquet de la Seine, M.
Rebut, commissaire des Lilas, a recueilli la
déposition d'un commerçant d'Audun-le-Roman
(Meurthe-et-Moselle), qui lui a fait un récit
poignant des atrocités commises par les Allemands
dans cette localité, et dont il a été témoin :
- Le 4 août, a-t-il raconté, à quatre heu res du
soir, deux cent cinquante dragons, de l'armée du
kronprinz, pénétraient dans le village.
Après avoir enfoncé les portes de l'église ils se
dirigèrent vers la mairie, où ils prirent comme
otages le maire, M. Mathieu, et M. Véron,
instituteur, qu'ils tinrent longtemps enfermés dans
une grange.
Du 4 au 21 août, l'occupation allemande a été
marquée par toutes sortes de réquisitions faites
sous la menace de revolvers.
Une attaque simulée
Le 21 août, dans le courant de l'après-midi, ce fut
soudain une fuite tumultueuse : les soldats se
sauvaient précipitamment, en débandade, jetant leurs
sacs dans les rues. En même temps crépitait une
fusillade nourrie, qui semblait dirigée sur les
Boches par un ennemi absolument invisible.
J'ai eu plus tard l'explication de ce fait
paradoxal. Il ne s'agissait que d'une attaque
simulée par les Allemands, pour motiver les
terribles représailles qui allaient suivre.
Effectivement, le soir même, à six heures, un groupe
de uhlans revint, et les chefs annoncèrent qu'ils
allaient incendier le village parce qu'on avait tiré
sur leurs troupes.
Ordre fut donné aux habitants de rester chez eux.
Les barbares faisaient feu sur quiconque se montrait
aux fenêtres ou passait dans la rue.
Parmi les morts, dont je ne puis préciser le nombre,
je citerai tout d'abord M. Somen, rentier, âgé de
cinquante ans, ancien maire de la commune. Le
malheureux, atteint de quatre balles dans la
poitrine, n'avait pas succombé immédiatement. Sa
femme voulut s'approcher pour lui donner des soins ;
elle fut impitoyablement et brutalement repoussée.
Sous ses yeux, les uhlans eurent l'affreux courage
de saisir M. Somen, saignant et pantelant, et de le
traîner à cent mètres de là, où ils l'abandonnèrent
au milieu de la chaussée.
Ce fut à onze heures du soir seulement qu'un
officier, cédant enfin aux instantes supplications
de Mme Somen, donna à celle-ci l'autorisation
d'emporter son cher blessé. Trop tard !. Celui-ci
expira dans les bras de sa compagne affolée.
Un septuagénaire fusillé sous les yeux de ses
filles
Un ancien adjoint, M. Théophile Martin, âgé de 73
ans, reçut d'un officier l'ordre de sortir de chez
lui avec ses deux filles. Dehors, revolvers et
fusils furent braqués sur le vieillard.
A genoux, les mains jointes, le visage baigné de
larmes, les jeunes filles supplièrent les brigands
d'épargner leur père.
Peine perdue. Quatre coups de revolver partirent et
le septuagénaire tomba pour ne plus se relever.
M. Edouard Bernard, conseiller municipal, âgé de 65
ans, qui a six fils sur le front, fut appréhendé à
son tour, ainsi qu'un marchand de vins en gros, M.
Emile Michel. On ne leur laissa le temps que de se
vêtir à demi. Et depuis qu'ils les ont emmenés, on
ne sait ce que sont devenus ces deux infortunés.
Autres actes abominables à l'actif des uhlans
Mlle Marie Roux servait à boire à deux d'entre eux,
qui l'y avaient contrainte ; pendant que l'un
buvait, son compagnon trouva plaisant de tirer, à
bout portant un coup de revolver sur la jeune fille,
qui eut une épaule traversée par la balle.
M. Charles Chérer, cultivateur, âgé de 64 ans,
cousin germain de M. Lebrun, ancien ministre des
colonies, avait été atteint par quatre projectiles ;
ses blessures, cependant, étaient peu graves. Le
lendemain, les uhlans l'achevèrent à coups de
revolver.
Les incendiaires entrent en scène
Vers sept heures, cinquante maisons que la compagnie
des Chemins de fer de l'Est avait construites pour
ses employés étaient livrées aux flammes. Des
soldats allaient, versant à flot l'essence, de
préférence dans les granges et les écuries, puis
allumant le feu avec des torches. Quiconque essayait
d'échapper au brasier, était, poursuivi à coups de
fusil ou de revolver.
C'est ainsi que fut tué M. Chary, chef cantonnier,
âgé de 45 ans, et qu'une douzaine d'habitants furent
blessés.
La femme d'un marchand de vin mobilisé, Mme Matte,
voulut, en quittant sa maison qui flambait, emporter
une somme de deux mille et quelques francs, un uhlan
lui arracha le magot.
C'est ainsi que se comportèrent à Audun-le-Roman les
soldats du kronprinz.
RETOUR D'EXIL
Le Maire de Val-et-Châtillon raconte sa captivité
Le lundi
29 mars 1915, les habitants des communes de
Val-et-Châtillon et de Petitmont, réfugiés à la
caserne Molitor, étaient réunis dans le bâtiment du
gymnase, transformé en salle de conférences, pour
entendre le récit de la longue captivité en
Allemagne de M. Veillon, maire de Val.
M. Mirman, préfet, assistait à cette réunion, ainsi
que plusieurs membres du comité des réfugiés.
Après une courte allocution de M. Schmitt, directeur
de la caserne, M. Veillon a pris la parole.
M. le maire de Val s'est adressé tout d'abord à ses
compatriotes pour leur recommander de toujours bien
observer le règlement de la caserne, afin de montrer
leur reconnaissance envers le comité, et envers tous
ceux qui s'efforcent, par leurs soins, de faire
oublier le long exil auquel ils se sont astreints.
Il a témoigné sa reconnaissance envers M. le préfet
de Meurthe-et-Moselle, dont la paternelle vigilance
s'augmente d'une façon si gracieuse des soins
délicats de Madame et de Mesdemoiselles Mirman ; Mme
Finance, directrice de l'infirmerie ; Mme Archimbaud
; M. Schmitt, enfin envers tous ceux qui s'occupent
des réfugiés.
M. Veillon a ensuite relaté comment il fut fait
prisonnier par les Allemands.
L'arrivée des Boches
C'était le 12 octobre. Les ennemis venaient de
s'emparer du dévoué secrétaire de la mairie, M.
Louis Cayet, auquel il adresse un souvenir ému, car
il est toujours prisonnier. Les Allemands avaient
trouvé sur lui un carnet de notes, dans lequel se
trouvait une fiche où M. Veillon indiquait l'endroit
où il avait caché le récit des événements depuis la
guerre, notamment celui de la bataille de Val. Les
Allemands voulurent y voir là de l'espionnage. Ils
s'emparèrent de M. Veillon, en disant : « Vous êtes
un officier supérieur déguisé en maire. »
Sur la route de l'exil
M. le maire et son secrétaire furent conduits en
voiture à Réchicourt, où ils furent enfermés dans la
maison du notaire. Ils passèrent devant le conseil
de guerre, qui les acquitta.
Mais les Allemands ne rendirent pas la liberté à M.
le maire, sous le prétexte qu'ayant traversé les
lignes allemandes, il ne pouvait rentrer en France
avant quinze jours.
Au bout de quelque temps, M. Veillon est emmené à
Sarrebourg, en même temps qu'un caporal français
fait prisonnier près de Blâmont.
La qualité de maire de M. Veillon lui valut, à la
prison militaire, une chambre de sous-officier qu'il
partageait avec M. le maire d'Arracourt. C'est dans,
cette prison qu'il vit arriver les habitants de
Loupmont (Meuse), porteurs de hottes sur lesquelles
ils avaient chargé ce qu'ils avaient de plus
précieux.
Là encore il vit un habitant du Val, M. Scheffer,
qui lui apprit le bombardement de la commune.
Le 2 novembre, les prisonniers français entendent le
canon. Ils ont quelque espoir, mais le jour même
tous sont dirigés vers la gare et rapidement
conduits à Saverne, où ils arrivent dans la soirée.
A Saverne
La petite ville alsacienne est éclairée. Les
habitants sortent de leurs maisons pour voir le
triste cortège, dont ils ont la plus grande pitié.
Les prisonniers sont enfermés à la prison avec les
détenus de droit commun. La nourriture est des plus
mauvaises. Mais la visite du procureur impérial fit
améliorer le sort des prisonniers, qui eurent la
permission de sortir en ville sous la garde de
soldats.
Les Savernois, en voyant la grande misère dans
laquelle nous nous trouvions, dit M. Veillon, nous
distribuèrent des vêtements, du pain et autres
aliments.
Un jour on annonçait que tous les prisonniers
allaient être dirigés vers la Suisse, mais le
lendemain cet espoir s'envolait, car on annonçait
que le voyage était ajourné.
A Dieuze
Le 16 novembre, tous les Français étaient conduits à
Dieuze, où ils étaient internés dans la caserne
d'infanterie où se. trouvaient déjà d'autres
prisonniers de diverses communes de
Meurthe-et-Moselle.
A Dieuze, les jeunes gens seuls travaillaient,
notamment sur les chemins et à l'entretien des
tombes des soldats tués sur les champs de bataille.
Là, les prisonniers étaient payés à raison de 3 mk
pour dix jours.
Le 28 novembre, cinq jeunes gens de Thiaucourt
purent s'évader, mais, repris à Avricourt. ils
furent ramenés à Dieuze. L'opinion de tous les
Français était qu'ils allaient être sévèrement
punis. Le général les fit appeler et, après les
avoir félicités de leur acte de courage, il ne leur
octroya que quinze jours de cellule.
Le 6 décembre, un aéroplane français survolant
Dieuze jeta deux bombes sur la caserne des
chevau-légers, contiguë à celle de l'infanterie.
Dans les camps prussiens
Le 17 décembre, les prisonniers sont amenés à
Rastadt. A leur arrivée, la population les
accueillit par des cris de haine. Tout le monde fut
interné avec les prisonniers de guerre, dont
l'entrain et la bonne humeur étonnaient les soldats
allemands qui les gardaient.
Enfin, le 23 décembre, les Allemands faisaient
évacuer 1.500 prisonniers de Rastadt pour les
conduire au camp de Holzminden. Le voyage dura deux
jours, pendant lesquels on ne reçut comme nourriture
qu'un morceau de pain et de saucisse.
Le camp, construit spécialement pour les
prisonniers, se compose de quatre-vingt-quatre
baraques en planches, recouvertes de carton-bitume.
Comme literie, un simple cadre avec une paillasse
remplie de laine de bois. Là se trouvaient déjà des
soldats belges et des habitants de la Pologne.
La nourriture au camp était mauvaise. Le menu était
invariable : soupe à midi et le soir. On obligea
tous les prisonniers à déposer leur argent. Les
couteaux dont ils étaient porteurs durent avoir la
pointe brisée.
Les jours s'écoulèrent lentement. Pour calmer leur
ennui, les Français organisaient des concerts ou
bien ils pratiquaient divers jeux, ou encore,
profitant des rares beaux jours, faisaient les cent
pas sur la seule chaussée pavée du camp et qu'ils
avaient nommée « Avenue Joffre », nom que les
Allemands lui donnaient aussi...
La délivrance
Enfin le jour de la délivrance arrivait. M Veillon
était ramené à Rastadt. Après un court séjour dans
ce camp, il faisait partie d'un convoi qui le
conduisait à Schaffouse, puis de là en France.
M. le Maire de Val se hâtait de venir à Nancy, où il
arrivait la semaine dernière. Il se mettait de suite
en relations avec ses administrés, qui tous lui ont
témoigné leurs sympathies, heureux de voir que son
séjour en Allemagne n'avait pas altéré sa santé.
Ch. LENOBLE.
La liste des
victimes de Lunéville
Lunéville, 25
octobre.
Dans la dernière séance du Conseil municipal, M. le
Maire a donné connaissance au Conseil de la liste
des habitants de Lunéville décédés de mort violente
ou disparus, etc., pendant l'occupation allemande.
Cette liste, qui n'est probablement pas encore
complète, est ainsi composée :
Fusillés : MM. Colin, rue Banaudon, 25, Wingertsmann,
rue Villepois-Mareuil, 66; Wingertsmann, petit fils
; Balastre père et Balastre fils, rue Jolivet, 8;
Méant, menuisier, place des Carmes ; Kahn, faubourg
d'Einville, 17 ; Steiner, pont de Viller ; Crombez,
rue de Lorraine, 9 ; Sibille fils, aux Mossus ;
Viquit, à Dehainville ; Muller, menuisier chez M.
Cuinat ; Binder faubourg d'Einville. 24 ; Vernier,
avenue Voltaire, 64 ; Monteils, infirmier, hôpital
militaire ; Hamann fils, avenue des Vosges, 134 bis
: Dujon fils, route d'Einville ; X..., X..., trouvés
chemin longeant le cimetière, les mains derrière le
dos.
Victimes du bombardement. - MM. Bain, place
Saint-Jacques, 20 ; Siméon, rue Sonini, 10 : Mlle
Gilles, rue Chanzy, 14.
Fusillés ou brûlés. - Mme Kahn, faubourg d'Einville,
17 ; M. Schweisch, faubourg d'Einville, 29 ; Mlle
Schweisch, faubourg d'Einville, 29 ; Mme Steiner,
pont de Viller ; M. Weill, rue Castara, 5 ; Mlle
Weill, rue Castara, 5.
Tué en ramassant les morts. - M. Demangel, rue de la
Brèche, 5.
M. le Maire a invité les personnes qui pourraient
faire des enquêtes en vue de compléter ladite liste,
de vouloir bien s'en occuper le plus tôt possible et
d'informer la Mairie des résultats obtenus.
Le Conseil a confirmé au maire l'autorisation
d'allouer des secours aux familles ci-dessus et à
celles de militaires de Lunéville morts au champ
d'honneur.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
M. Minier,
sous-préfet de Lunéville, accompagné de M. Méquillet,
député de l'arrondissement, a visité :
Merviller. - Dix-sept jours d'occupation. Pas de
victimes. Dégâts matériels peu importants en dehors
des actes ordinaires de pillage.
Vacqueville. - Même situation. Quelques rares
maisons endommagées. Dans ces deux communes le
ravitaillement s'opère dans des conditions
relativement satisfaisantes.
Pexonne. - L'ennemi a occupé la commune pendant
trois semaines et le bombardement du 23 août a causé
la mort de deux habitants ; trois autres sont assez
sérieusement blessés. Un certain nombre de maisons
ont été endommagées par les obus. La vie normale est
à peu près reprise à Pexonne, dont le ravitaillement
se fait sans trop de difficultés. La poste a
réinstallé ses services, et la rentrée des classes
s'est faite.
Fenneviller. - Cette petite commune a été occupée
pendant un mois ; le maire est resté courageusement
à son poste. Sept maisons sont détruites, quelques
autres assez sérieusement endommagées, mais on n'y
compte, fort heureusement, aucune victime. Le
ravitaillement en pain se fait régulièrement. La
rentrée des classes a eu lieu lundi.
Neufmaisons. - A subi l'occupation allemande pendant
vingt jours. Pas de victimes. Quelques, maisons
endommagées.
La commune arrive à se ravitailler sans trop de
difficultés. La rentrée des classes est faite.
Veney. - La petite commune de Veney, occupée pendant
trois semaines, a eu trois maisons détruites et
quelques immeubles endommagés par les obus. Le maire
est bravement resté à son poste. Là, comme ailleurs,
tout a été pillé. La rentrée des classes n'a pu
encore se faire.
Bertrichamps. - Cette commune, occupée pendant
dix-huit jours, n'a pas subi de graves dommages en
dehors des ordinaires pillages, mais on y déplore la
perte d'une vie humaine : un vieillard de 70 ans a
été tué par la balle d'un soldat allemand en état
d'ivresse. La rentrée des classes a eu lieu.
Une courte halte à Badonviller, déjà visité, a
permis de constater que dans cette commune, trois
fois occupée par l'ennemi et hier encore sous la
menace d'une nouvelle occupation, le personnel
enseignant avait bravement rejoint son poste et
assuré depuis huit jours la rentrée des élèves.
A Badonviller, chacun sait faire son devoir ;
l'exemple pourrait servir à bien des communes, où
l'on s'étonne de voir que la vie scolaire tarde à
reprendre.
MARCHÉ DE NANCY
Samedi, 24 octobre,
les maraîchers avaient encore approvisionné en
abondance le marché en légumes. Les carottes se
vendaient 0 fr. 15 les deux bottes ; les salades 0
fr. 10 la pièce ; les choux étaient également bon
marché.
Par suite d'un arrivage important de pommes de
terre, les prix étaient inférieurs à ceux de la
semaine dernière. Par contre légère augmentation sur
les oeufs et le beurre fin.
Voici les prix fixés par la mercuriale :
Boeuf, 1 fr. 80 à 2 fr. 90 le kilo ; veau, 2 fr, 60 à
4 fr, le kilo ; mouton, 2 fr. 20 à 3 fr. le kilo ;
lard frais, 2 fr. à 2 fr. 40 le kilo ; lard sec, 2
fr. 40 à 2 fr. 60 le kilo ; grillade, 2 fr. 80 à 3
fr. le kilo ; beurre, 2 fr. 60 à 4 fr. le kilo ;
oeufs, 1 fr. 30 à 2 fr. 20 la douzaine ; pommes de
terre, 9 fr. à 28 fr. les 100 kilos.
MM. BRIAND &
SARRAUT
en Haute-Alsace
Paris, 25 octobre, 14
h. 16.
BELFORT. - M. Briand, ministre de la justice ; M.
Sarraut, ministre de l'instruction publique, et M.
Lucien Poincaré sont arrivés, hier soir.
Ils sont allés, dans la matinée, visiter les régions
que nous occupons en Haute-Alsace.
DÉTAILS RÉTROSPECTIFS
sur la visite dans l'Est
Paris, 26 octobre, 1
h, 30.
BORDEAUX. - MM. Briand et Sarraut, en quittant,
mercredi soir, Nancy, se sont comme on l'a dit,
rendus à Lunéville, puis ont visité Gerbéviller,
incendié systématiquement par les Allemands, et
complètement détruite.
De Rambervillers, partiellement détruite, les
ministres sont arrivés à Epinal, d'où ils sont
repartis, samedi matin, pour Laneveuville-les-Raon
et Raon-l'Etape. Une partie considérable de cette
dernière localité a été, comme on sait, détruite par
les incendiaires allemands.
De Saint-Dié. les ministres sont arrivés dans la
soirée à Belfort. Le lendemain matin, les ministres
ont visité les travaux de défense de la place, puis
sont repartis pour Paris, à midi.
DE LA SOMME A
LA MER
L'ELAN DE L'ASSAILLANT
partout brisé
Bordeaux, 26 octobre,
16 h. 30.
Dans la journée d'hier, notre front a été maintenu
sur la ligne générale Nieuport-Dixmude (les forces
allemandes qui avaient franchi l'Yser entre ces deux
villes n'ont pas pu progresser) ; la région entre
Ypres et Roulers, entre Armentières et Lille, ouest
de La Bassée et de Lens, est d'Arras.
Cette ligne se prolonge, au sud, par celle qui a
déjà été indiquée dans les communiqués précédents.
L'ennemi paraît avoir fait des pertes considérables
dans les batailles de ces derniers jours.
Paris, 27 octobre, 1 h. 06.
Le communiqué officiel du 26 octobre, 23 heures, dit
:
« En Belgique, Nieuport fut violemment bombardé et
les efforts allemands continuèrent sur le front
Nieuport-Dixmude, sans que, aux dernières nouvelles,
ils paraissent avoir abouti à un résultat
quelconque.
Tout le front compris entre La Bassée et la Somme a
été également l'objet de violentes attaques de nuit.
Toutes ont été repoussées.
Rien à signaler sur le reste du front. »
SOCIÉTÉ
CENTRALE D'AGRICULTURE
Appel du Président de la Société Centrale
d'Agriculture de Meurthe-et-Moselle, en faveur des
cultivateurs sinistrés suite de la guerre dans notre
département.
Tomblaine, 26
octobre.
J'ai pu visiter la semaine dernière quelques
communes des cantons de Nancy-Est et Saint-Nicolas,
sur le territoire desquelles se sont engagées les
batailles depuis le commencement des hostilités.
Mes yeux sont encore pleins de l'horrible spectacle
de dévastation, et mon coeur s'est profondément ému
en voyant partout dans la plaine des monticules
surmontés d'une croix et des villages détruits par
le bombardement et l'incendie.
Je me suis dit que dans ces champs où nos soldats
avaient versé leur sang, on ne devait pas laisser
pousser la mauvaise herbe et qu'il fallait faire un
effort pour les couvrir de riches moissons dont les
épis, s'inclinant vers le sol, salueraient ceux qui
dorment par ci par là à l'endroit où la mort les a
glorieusement frappés.
Mais dans ces pays dévastés, si nombreux dans notre
département, il n'y a plus de semence de blé, et
c'est pourquoi je fais appel à votre générosité et à
votre esprit de solidarité.
Glissez dans une enveloppe un billet de banque, il y
en a depuis cinq francs, et adressez-le au président
de la Société centrale d'agriculture, 24, rue de
Strasbourg, à Nancy.
Nous recevrons aussi avec la plus grande
reconnaissance l'offrande de ceux qui, n'étant pas
cultivateurs, s'intéressent à leur sort, car c'est
pour l'alimentation de tous les Français que nous
travaillons.
Avec les sommes recueillies nous achèterons des
semences que nous distribuerons aux sinistrés de ces
malheureux villages. Ces dons les encourageront à
cultiver et à ensemencer avec les quelques chevaux
qui leur restent, un petit coin de leur territoire
abîmé.
Nous aurons ainsi contribué à relever dans une
certaine mesure le courage de ces affligés, en
faisant entrer dans leur coeur l'espoir que la France
ne les abandonnera pas.
Louis MICHEL.
LEURS TAUBEN
L'un est abattu l'autre envoie quatre bombes
inutiles sur Verdun.
Paris, 26 octobre, 2
h. 5.
Un avion français a abattu hier un Taube dans la
région d'Amiens.
Un autre avion allemand a jeté, hier matin, quatre
bombes sur Verdun, dont deux sont tombées dans la
Meuse. Il n'y a eu aucun dégât.
ENCORE UNE
BONNE JOURNÉE
Nouveaux progrès en Belgique. - Ils perdent des
batteries dans le Soissonnais. - Chez nous, entre Bezange et Parroy, nous les rejetons hors de la
Lorraine.
Bordeaux, 27 octobre,
16 h. 45.
Dans le Nord, la lutte est toujours particulièrement
vive entre l'embouchure de l'Yser et la région de
Lens.
Dans cette partie du front, les forces alliées n'ont
reculé nulle part et ont continué à progresser dans
la région entre Ypres et Roulers.
Dans la région de Soissons et dans celle de
Berry-au-Bac, une lutte d'artillerie a tourné à
notre avantage et a abouti à la destruction de
plusieurs batteries ennemies.
Dans la région est de Nancy, entre la forêt de
Bezange et celle de Parroy, nous avons pris
l'offensive et rejeté l'ennemi au delà de la
frontière.
Paris, 28 octobre, 0 h. 35.
Le communiqué officiel du 27 octobre, 23 heures, dit
qu'il n'y a rien à signaler, sinon quelques progrès
de notre part dans la région sud de Dixmude.
LA VISITE
MINISTÉRIELLE DANS L'EST
NOS RUINES FOURNIRONT MATIÈRE
à un formidable réquisitoire
Paris, 27 octobre, 19
h. 27.
MM. Briand, garde des sceaux, et Sarraut, ministre
de l'instruction publique, ont quitté Paris cet
après-midi pour Bordeaux, où ils feront part au
conseil des ministres des constatations qu'ils ont
faites au cours de leur voyage dans l'Est.
Ils diront les charges accablantes qu'ils ont
relevées pour ajouter au réquisitoire qui sera
dressé un jour contre l'Allemagne, alors qu'il devra
rendre compte des cruautés, des dévastations, des
pillages systématiques de ses armées.
Les ministres opposeront la tristesse que leur a
laissée la vision des ruines des villages français à
l'image réconfortante de nos troupes admirables, et
à celles de nos populations qui, aussitôt
l'envahisseur repoussé, reviennent travailler leurs
terres et reconstituer leur foyer.
Ils diront aussi la fin héroïque du
sénateur-aviateur Reymond dont M. Briand a pu
recueillir les dernières paroles.
Ils exprimeront leur émotion, quand les
représentants du gouvernement saluèrent les terres
françaises de la Haute-Alsace, de nouveau rattachées
à la mère-patrie.
Ainsi que leurs collègues qui, après avoir passé par
Paris ont regagné Bordeaux, MM. Briand et Sarraut
peuvent avoir prochainement l'occasion de revenir à
Paris.
PONT-A-MOUSSON
de nouveau bombardé
Pont-à-Mousson, 27
octobre.
« - Vous bientôt Allemands comme nous », disaient
les soldats bavarois aux habitants de
Pont-à-Mousson, en traversant leur ville, il y a
quelques semaines. Est-ce parce qu'ils les
considéraient déjà comme de futurs sujets du kaiser
? Toujours est-il qu'ils se montrèrent, vis-à-vis
d'eux, relativement corrects.
Mais, depuis, les Allemands ont abandonné cette
attitude courtoise, et Pont-à-Mousson connaît de
nouveau les épreuves du bombardement.
Postés sur les hauteurs, ils lancent, quand la
fantaisie leur prend, quelques obus quotidiens qui
s'abattent un peu partout. Il y a eu des dégâts
matériels dans les immeubles qui abritent notamment
l'Union des jeunes gens et les petites soeurs des
pauvres. L'église Saint-Laurent n'a pas été
épargnée, un vitrail a été détruit. Un obus a
traversé la toiture. Aussi, dimanche, les offices
habituels n'ont pas eu lieu.
A plusieurs reprises, la semaine dernière,
l'artillerie allemande s'est efforcée d'atteindre
les personnes qui suivaient un convoi funèbre, au
moment où elles franchissaient le pont de la
Moselle. Mais les obus ne firent à cet endroit
aucune victime. De nombreux monuments funéraires ont
été détruits au cimetière. Par suite des excavations
produites par l'explosion des projectiles ennemis,
plusieurs cercueils ont été découverts. Si les
Allemands réussissent ainsi à troubler le repos des
morts, ils ne sont pas encore parvenus à jeter la
panique dans la population mussipontaine. Des
immeubles ont souffert, mais il y a eu peu de
blessés. Encore le sont-ils légèrement. Il est vrai
qu'un habitant de la rue des Murs a été tué samedi.
Voyant un obus exploser devant chez lui, il voulut
sortir pour ramasser des éclats. Cette imprudence
lui fut fatale, car un second obus tombant presque
au même endroit, l'atteignit mortellement.
L'artillerie française ne reste pas inactive.
Pendant que les Allemands bombardent une ville
ouverte et gaspillent leurs projectiles contre une
population paisible, nos 75 font une besogne plus
utile et ripostent, sur les tranchées allemandes.
LA SANTE
DE
M. ALFRED MÉZIÈRES
Du « Temps » :
« Notre illustre collaborateur, M. Alfred Mézières,
a tenu à rester, comme on sait, dans sa propriété de
Rehon, près de Longwy, sur le territoire
actuellement occupé par l'ennemi. Les relations
directes avec le vénérable académicien se sont
trouvé par suite, complètement interrompues. Son
gendre, toutefois, M. Duplaquet, administrateur du
domaine de Chantilly, a pu recevoir de ses
nouvelles, grâce à l'intervention amicale du
consulat d'Espagne à Berne. Ces nouvelles sont
bonnes ; nos lecteurs seront certainement heureux de
l'apprendre comme nous-mêmes. »
LE RETOUR AU
PAYS
Nous lisons dans le «
Petit Haut-Marnais », aux observations duquel nous
ne pouvons que nous associer :
« Il y a urgence à préparer dans les régions
dévastées par l'ennemi la reprise de la vie
économique, sans attendre la fin de la guerre, ni
même l'évacuation du territoire.
« De cette réorganisation dépend l'existence de
milliers d'êtres humains. Nous disons l'existence et
non pas le bien-être que les pauvres gens dont les
foyers sont brisés ne retrouveront pas, hélas !
avant de longues années.
« Avant-hier, une famille émigrée de Badonviller
prenait le chemin du retour. La mère emmenait avec
elle ses neuf enfants ! Que va faire là-bas cette
famille ? Elle l'ignorait, ne sachant en quel état
elle retrouverait sa demeure. Peut-être a-t-elle
couru, imprudemment au devant de la plus noire
misère.
« Quand on réfléchit à la situation de ceux que la
guerre a chassés de leur village on comprend leur
désir du retour. Cependant notre devoir est
d'empêcher ce retour avant d'être certain qu'ils
trouveront là-bas de quoi s'abriter, travailler,
vivre.
« Des sociétés se sont fondées qui donnent aux
réfugiés les renseignements qui les intéressent sur
leur département. Il y a des réfugiés partout, nous
en avons en Haute-Marne ; il serait à souhaiter que
de si utiles organisations aient des ramifications
au moins dans tous les centres. Ainsi les émigrés,
sachant où s'adresser pour connaître ce qu'ils ont
besoin de savoir, ne quitteraient pas nos
hospitalières communes sans être assurés du
lendemain.
« Que de cruelles déceptions et de misères nous leur
éviterons ! »
NOS HÉROS
Nancy, 27 octobre.
Il nous faut ajouter à la liste des morts
glorieuses, celle du commandant Félix Ayrault, du
129e régiment d'infanterie, en garnison au Havre.
C'est le 28 août que le commandant Ayrault est tombé
à la bataille de Guise, atteint de deux graves
blessures à une cuisse et à l'abdomen. Transporté à
l'hôpital Villemin (hôpital Saint-Martin), à Paris,
il y est mort dans la matinée du 1er septembre après
une intervention pratiquée par une sommité de la
chirurgie.
La veille, il avait reçu à l'hôpital la visite du
président de la République qui l'avait félicité de
sa glorieuse conduite au feu et, détachant la
rosette qu'il portait à la boutonnière, l'avait
posée lui-même sur sa poitrine en le nommant
officier de la Légion d'honneur.
Cet honneur suprême avait dû être très doux à
l'officier qui avait écrit ces mots sur le premier
feuillet de son carnet de campagne :
« Il n'y a pas de plus belle fin pour un soldat que
de tomber sur le champ de bataille en défendant sa
patrie. »
Né à Paris, le 5 mars 1862, le commandant Avrault
avait fait ses études militaires à l'école spéciale
de Saint-Cyr, d'où il était sorti le 1er octobre
1885, Issu, par sa mère, d'une vieille famille
vosgienne. il avait compté au 26e régiment
d'infanterie pendant plus de vingt années, après
s'être marié avec Mlle Courtois, à Nancy, où il
était très connu et très aimé.
Nous apprenons que le frère du commandant Ayrault,
M. le capitaine Emmanuel Ayrault. est tombé
glorieusement, à son tour, le 22 septembre, à
Lérouville, tué par un éclat d'obus. Admis à une
retraite anticipée en 1910, il avait, dès la
déclaration de guerre, repris du service au régiment
d'infanterie et, comme il avait été désigné pour le
dépôt de ce régiment, à Melun, avait revendiqué et
obtenu l'honneur d'aller au feu. Le capitaine
Emmanuel Ayrault était chevalier de la Légion
d'honneur.
NOS BRAVES
Nancy, 27 octobre.
Un de nos concitoyens, le capitaine d'artillerie J.
Gougelin, vient d'être promu chef d'escadron, après
avoir été cité à l'ordre « du jour pour sa belle
conduite au feu, dans les termes suivants :
« A montré, depuis le début de la campagne, d'abord
comme commandant de batterie, les plus belles
qualités de ténacité et de sang-froid et a, par son
exemple, inspiré à son personnel la même bravoure et
le même calme. »
LES DEUX FRÈRES
Nancy, 27 octobre
Nous recevons d'un de nos compatriotes une lettre
fort curieuse nous contant comment deux frères se
rencontrent. La voici dans son émouvante simplicité
:
Etant privé de votre journal, veuillez me permettre
de vous dire de loin comment deux frères se
retrouvent sur le champ de bataille.
Je suis Charles, garçon de café de L.... Au départ
pour la campagne, j'étais cycliste. J'avais un frère
dans un régiment de Toul. Depuis le début de la
guerre, je le cherchais toujours sans succès. A la
ferme de Salival, je vis une compagnie de son
régiment, mais la sienne était aux avant-postes. Pas
de chance.
Et voici mon histoire :
Revenant de Morhange, j'étais assis sur un banc à
Morville-les-Vic. De braves gens m'avaient offert
une bonne tartine de beurre qui trouvait bien sa
place. Arrive une voiture de blessés, une quinzaine
environ. La voiture s'arrête devant moi. Un des
blessés me tendant son bidon me dit :
« Dis donc, le cycliste, veux-tu me donner un peu
d'eau ? »
- Volontiers, mon vieux.
Je tends le bras pour prendre le bidon.
Une voix me dit :
« C'est toi, Charles ?
- Oui.
- C'est moi, ton frère, Louis.
Voyez et jugez. Mon pauvre frangin avait un
pansement qui lui cachait toute la tête. J'étais
heureux, quoiqu'il fût blessé, de le voir là. Il
avait faim. J'avais dans ma musette une bonne
saucisse dont de bonnes gens de Château-Vouhé
m'avaient fait cadeau. Pour mon frère, rien n'était
de trop. J'avais quelque argent. Nous avons partagé.
En deux mots, il m'a dit son accident :
« Nous étions cinq ensemble dans un champ d'avoine,
au-dessus de A... Tout à coup arrive un percutant,
un 105, je crois. J'ai reçu tous les gaz en pleine
figure. Mon fusil dans mes mains s'est cassé en
trois. Nous avons tous roulé. Et voilà. »
Et la voiture s'est remis en marche. Je lui ai dit :
Bon courage ! Bonne convalescence ! Et depuis je
n'ai pas de ses nouvelles.
La Lutte
formidable
DES FLANDRES
De nuit et de jour ils attaquent mais toujours sans
succès
Bordeaux, 28 octobre,
15 h. 45.
Au cours de la journée d'hier, les attaques
allemandes, dans toute la région entre Nieuport et
Arras, ont été beaucoup moins violentes.
Nos positions ont été partout maintenues et nous
avons continué à progresser, au nord et à l'est
d'Ypres.
Nous avons également réalisé quelques progrès entre
Cambrin (sud-ouest de La Bassée) et Arras.
Il se confirme de plus en plus que les pertes
allemandes, en tués, blessés et prisonniers, ont été
considérables.
DANS L'AISNE
Dans la région du Nord, sur la rive droite de
l'Aisne, les Allemands ont tenté, de nuit, une
offensive très violente dans la région de Craonne,
sur les hauteurs du Chemin-des-Dames. Ils ont été
repoussés.
EN WOËVRE
Nos troupes ont continué leur avance dans les bois
entre Apremont et SaintMihiel, et dans le bois Le
Prêtre.
Louis LAFFlTTE
MORT
au Champ d'Honneur
Nancy, 28 octobre.
Voilà déjà bien des jours que je connaissais la mort
de mon ami, de notre collaborateur Louis Laffitte.
Et je ne pouvais rien écrire sur lui, car malgré les
assurances formelles et les preuves matérielles
qu'on m'avait données, je conservais toujours
l'espoir qu'on se trompait, et que Laffitte était
bien vivant, et toujours face à l'ennemi.
Aujourd'hui c'est fini. L'espoir n'est plus permis.
Laffitte dort sur la terre autrefois française et
qui redeviendra française bientôt.
Il repose là-bas, dans ce pays qu'il aimait
par-dessus tout, où il avait de son ardeur
enthousiaste réchauffé les amitiés attiédies; renoué
solidement les liens que quarante ans d'oppression
eussent pu relâcher. Il repose dans cette Lorraine
dont les Allemands n'ont pas annexé le coeur, et qui
est toujours à nous, et qui va être délivrée par
nous.
Laffitte, côte à côte avec bien des compagnons
d'armes, dormira du moins son dernier sommeil en
Lorraine, en France, chez lui.
Le charmant compagnon qu'était Laffitte ! Quelle
souplesse d'esprit il avait et quelle acuité ! Ses
yeux avaient l'air d'éclairer les problèmes les plus
ardus, et sa parole ardente scandait harmonieusement
le rythme de sa pensée.
Je n'ai pas besoin de dire aux lecteurs de l'Est
quel précieux collaborateur nous perdons, et de
quelle haute intelligence nous sommes aujourd'hui
privés.
Je perds plus et mieux que cela encore puisque je
perds un ami, un ami exquis et loyal, dont la
poignée de main n'était point banale et
caractérisait l'énergie.
Avant de partir pour la guerre d'où il ne devait pas
revenir, il m'avait embrassé.
- Je me souviendrai toujours... avait-il commencé.
Il n'avait pas pu finir dans l'émotion de tous les
souvenirs qui montaient en lui à cette heure
tragique.
Et c'est moi qui me souviendrai toujours, toujours,
de cette amitié délicate qui avait de mystérieuses
profondeurs.
Un deuil de plus chez nous. Ce n'est pas le seul,
c'est peut-être le plus cruel.
Mais il ne faut point que la douleur rende égoïste.
La Chambre de commerce est aussi durement éprouvée.
Elle l'avait choisi entre tous pour sa valeur et
pour son goût du travail.
Laffitte avait fait des études littéraires très
fortes. Licencié ès lettres, diplômé d'histoire et
de géographie, il avait été attaché au comité
d'études de la Loire navigable, et chargé par le
ministère des travaux publics, en 1898, d'une
mission en Allemagne où, pendant neuf mois, il
recueillit des documents sur la mise en état de
navigabilité des cours d'eau allemands. A son retour
il publiait un rapport qui fut très remarqué.
Nommé professeur d'histoire et de géographie à
l'Ecole de commerce de Nantes, il fut chargé de
divers travaux par la Chambre de commerce de cette
ville.
En 1907, la Chambre de commerce de Nancy se
l'attacha comme secrétaire général.. On connaît tous
les services qu'il a rendus à cette compagnie, dont
depuis lors il fut l'âme.
Nancy aussi perd en Laffitte un de ses
collaborateurs les plus dévoués, et qui lui donna un
renouveau de gloire et de prospérité. En 1908 la
municipalité lui confiait dans des circonstances
particulièrement difficiles la préparation de
l'Exposition. Il en fit une manifestation grandiose
de l'Industrie lorraine. Le magnifique rapport qu'il
écrivit perpétue le souvenir de cette Exposition.
Notre cité lui doit des heures merveilleuses et un
rayonnement splendide.
Louis Laffitte, né à Pau en 1873, était nommé
chevalier de la Légion d'honneur en 1912.
Il ne pouvait désirer pour terminer cette noble
carrière une fin plus noble : mourir en soldat, pour
la France et pour la Lorraine.
Je ne me sens pas le coeur d'offrir à sa veuve et à
ses enfants des consolations. Je sais quel courage
Laffitte avait élevé dans l'âme des siens. Ils
continueront dignement la tradition à laquelle notre
ami avait donné sa vie. Ils ont autour d'eux des
affections d'autant plus dévouées qu'ils les
méritent par la grandeur de leur deuil et par le
souvenir de celui qui les a quittés.
Mais c'est trop donner à là douleur. La France,
bénissant ceux qui tombent, continue le combat sans
trêve.
- Allons, enfants, debout ! Par delà les tombeaux,
en avant !
RENÉ MERCIER.
LE RETOUR DE
TROIS OTAGES LORRAINS
Aux camps d'Ulm et de Mutzingen
NOS OTAGES & NOS PRISONNIERS
Nancy, 28 octobre.
Nous avons eu la bonne fortune de recevoir la visite
de M. Paul Dieudonné, le sympathique vétérinaire et
maire d'Einville, qui rentrait d'Allemagne, où il
avait été emmené comme otage, le 12 septembre
dernier, avec deux de ses Honorables concitoyens, M.
Charrier, son adjoint, directeur des Salines de
Saint-Laurent, et M. Rodhain, cultivateur.
M. Dieudonné n'a pas rapporté une impression trop
mauvaise des procédés allemands à son égard, mais il
attribue à juste titre cette bienveillance à une
sorte de talisman que le hasard mit en sa
possession.
Le Départ
- Le 12 septembre, nous dit-il, alors que les
notables d'Einville étaient enfermés dans une salle
d'auberge sous la garde d'impitoyables baïonnettes,
les Allemands évacuèrent précipitamment la commune.
Nous ne comprenions rien à ce mouvement et nous nous
demandions s'il fallait croire à tant de bonheur,
lorsqu'arriva un officier qui m'informa que j'étais
emmené comme otage, ainsi que M. Charrier, faisant
fonctions d'adjoint, et M. Rodhain, propriétaire.
Tous nos autres compagnons, parmi lesquels se
trouvait M. le curé, étaient libres.
- On vous laissa au moins le temps de faire vos
adieux à votre famille ?
- Nos adieux !. Les Allemands avaient bien d'autres
soucis ! J'eus, pour ma part, juste le temps de me
faire apporter de solides souliers de chasse, une
pèlerine, quelques mouchoirs et des chaussettes. Mes
compagnons ne furent pas plus favorisés. On nous
permit cependant de recevoir un peu d'argent. Et en
route !
Oh ! cette route,, sous l'oeil moqueur des soldats et
leurs insultes, dans l'épouvante des ruines, à
travers nos pauvres villages lorrains et le
tohu-bohu de la retraite.
Die temps en temps, de nouveaux otages venaient
grossir nos rangs. Il y avait, parmi notre troupeau
d'exil, de malheureux vieillards presque impotents,
des femmes, des jeunes filles, des jeunes garçons et
même de tout petits enfants.
- Si l'on s'étonnait de la présence parmi nous des
vieillards, des femmes et des tout petits, les
officiers allemands nous répondaient :
- Vos Français nous ont donné l'exemple lorsqu'ils
sont venus à Vic et à Morhange !
Cette explication nous étonnait sans doute, mais il
fallait bien l'accepter sans murmurer.
A Château-Salins
La Lettre-Talisman
Notre première étape fut Château-Salins, où nous
sommes restés une douzaine de jours.
Là, nous étions rien moins que bien traités et notre
sort menaçait de devenir tout à fait intolérable,
lorsque je rencontrai Mme Mulot, dont le mari est
vétérinaire comme moi, et qui me fut d'un secours
vraiment providentiel.
Elle intéressa à notre infortune un
lieutenant-colonel prussien, M. Passavant, dont,
comme le nom l'indique, la famille est d'origine
française. C'est un descendant d'une de ces
nombreuses familles de France que l'édit de Nantes
fit émigrer en Allemagne.
Or, il se trouva que le colonel Passavant me
reconnut. Il s'était battu près d'Einville et
m'avait aperçu dans les ambulances où étaient
soignés nos blessés et les leurs.
Il voulut bien convenir que les blessés allemands
avaient reçu de nous tous les soins que nécessitait
leur état, et il me remit une lettre où il me
félicitait chaudement de ces services, et me
recommandait à la bienveillance des autorités.
- Et cette lettre produisit son effet ?
- Son effet, Monsieur, dépassa mes espérances, non
seulement à mon égard mais a l'égard de ceux qui
m'accompagnaient.
A Ulm
On nous interna à Ulm-sur-Danube, pays de montagne,
où le vent souffle en ce moment très froid. Mais au
lieu de nous mettre dans le camp avec les autres
otages ou les prisonniers de guerre, on nous logea à
la prison militaire, où il y a chauffage central,
électricité, lavabos, etc., en un mot où l'on a à sa
disposition tout le confort moderne.
Le menu était sans doute un peu simple, mais nous
pouvions, avec notre argent, nous procurer des
vivres au dehors.
Malheureusement la plupart d'entre nous n'avaient
pas beaucoup d'argent au départ, et quand nous
arrivâmes à Ulm, pour plus d'un les doublures de la
bourse se touchaient.
- Les riches payaient pour les pauvres?
- Evidemment. Mais comme il y avait très peu de
riches et énormément de pauvres, au bout de quelques
jours, nous étions aussi pauvres les uns que les
autres.
La nouvelle de ma libération est arrivée à point.
J'allais me trouver complètement à sec, car nous
avions dépensé le millier de francs que j'avais pu
emporter, avec MM. Charrier et Rodhain.
C'est encore une fois à la bienheureuse
recommandation que je dois ce privilège, ainsi que
mes deux compagnons d'Einville, car nous sommes les
trois premiers otages libérés d'Ulm, et pour ce
motif : « Ont bien soigné les blessés allemands. »
Libres, mais il faut 5,000 fr.
Vous pensez quelle fut notre joie lorsqu'on nous
apporta cette nouvelle, joie immédiatement tempérée
d'ailleurs :
- On va vous conduire à la frontière suisse, nous
dit-on. Avez-vous 5.000 francs?
- 5.000 francs !.
- Oui ; c'est approximativement la caution que l'on
exige à la frontière pour trois prisonniers.
Et nous voilà tous les trois bien perplexes, bien
chagrins.
Soudain une idée me vint à l'esprit. Ce fut l'idée
libératrice.
A Strasbourg, j'ai un ami personnel, M. Zundel,
vétérinaire supérieur, à qui je demandai 5.000
francs par télégramme. Et, par dépêche, M. Zundel me
fit parvenir les 5.000 francs !
- Naturellement, il vous fallut verser cette somme à
la frontière ?
Nos bons amis les Suisses
- Pensez-vous ! Les 5.000 francs sont encore là,
dans ma poche. Les Suisses, non seulement ne
voulurent pas de caution, mais ils nous offrirent de
l'argent ! Ah !
quels braves gens, ces Suisses. En voilà qui ne
portent pas l'Allemagne, dans leur coeur !
- On les attend de pied ferme, les Allemands, nous
disaient-ils ; qu'ils osent seulement faire ici
comme ils ont fait en Belgique. Ils trouveront à.
qui parler. Il y a des fusils et des canons qui ne
demandent qu'à partir, derrière nos retranchements.
Les Lorrains à Ulm
Avez-vous connu beaucoup de Lorrains à Ulm ?
- La plus grande partie des otages
d'Ulm sont de Meurthe-et-Moselle et des Vosges. Il y
a notamment deux femmes d'Arracourt, dont une est
Mme Picard, mariée depuis seulement six mois à un
cultivateur aujourd'hui mobilisé.
Je me rappelle surtout son nom parce qu'elle était
enceinte et que, le long de la route, nous devions
souvent la soutenir à. cause de ses fréquents
malaises.
J'ai rencontré aussi deux jeunes filles de Moncel,
ainsi qu'une dame Colson, et une de ses voisines
qui, elle, a laissé à la maison un enfant au
berceau, tandis que deux autres - de 7 et de 9 ans
environ - l'ont accompagnée ; un troisième gamin de
Moncel,. dont j'ignore le nom, a été raflé avec les
autres. - Il y avait aussi un jeune homme d'Einville,
nommé Schwartz, que les Allemands avaient chargé de
conduire un convoi de blessés, et qu'ils ont gardé
parce qu'il a 18 ans et que, ont-ils dit, il aurait
pu faire un soldat chez nous. Je ne sais pas ce
qu'il est devenu.
Ce qu'on devrait faire et ce qui manque le plus
- Pensez-vous qu'on va garder encore longtemps les
autres otages en captivité ?
- Je ne sais, mais je crois avoir deviné qu'on les
échangerait volontiers contre des prisonniers
allemands.
- En attendant, ces braves gens, qui n'ont pas votre
talisman, ne seront sans doute pas toujours bien
traités ?
- Je ne crois pas à de mauvais traitements, mais la
nourriture est sans doute insuffisante pour de
jeunes appétits. Et puis, ce sont surtout les
vêtements de rechange qui manquent. Beaucoup de
paysans, sont partis en sabots, en tenue de travail.
Or, je vous l'ai dit, il y fait froid, bien froid.
-- On ne peut rien faire pour eux ?
- Au départ, nous leur avons partagé l'argent qui
nous restait, mais il n'y a pas eu grand'chose pour
chacun. Il est vrai qu'on peut leur envoyer des
colis et même des mandats. Tout leur sera distribué.
Et M. le Maire ajoute, avec un gros soupir :
- Hélas ! ce qui serait préférable, plus pratique,
plus rapide, ce serait d'échanger nos prisonniers.
Je viens d'en parler au préfet, car, je vous le
répète, les Allemands seraient enchantés d'être
débarrassés sans frais de leurs otages. Que
voulez-vous, qu'ils fassent de vieillards, de femmes
et de marmots ?
Les camps de prisonniers
- Vous avez pu voir les camps de prisonniers
militaires ?
- J'ai pu en voir deux : le camp d'Ulm et celui de
Mutzingen.
- Les prisonniers ont-ils au moins le nécessaire ?
Ne sont-ils pas l'objet d'injures et même de mauvais
traitements de la part des gradés allemands ?
- Nos prisonniers ne m'ont pas semblé mal traités.
Ils travaillent, depuis quelque temps, 6 heures par
jour, à des réparations de routes et de voies
ferrées. Leurs propres gradés les commandent, Bien
entendu, des sous-officiers allemands rôdent aux
abords des chantiers, mais ils m'ont paru plutôt,
avoir de la sympathie pour les nôtres.
Le menu ne varie pas beaucoup : café le matin, soupe
à midi et soupe le soir, avec de la viande trois
fois par semaine.
Le logement m'a. semblé sain, grâce à un plancher
posé ces jours derniers à quelques centimètres
au-dessus du sol. J'ai aussi aperçu quelques poêles.
- Croyez-vous qu'on puisse leur adresser de l'argent
?
- Je le crois. Mandats et paquets leur parviendront,
pourvu que l'adresse soit bien mise et que le colis
ne dépasse pas cinq kilos.
- Hum !. Ce tableau est bien beau, et le camp d'Ulm,
comme celui de Mutzingen, me semblent bien loin de
celui où se lamente le spirituel Aveyronnais «
Crèbedefan » ?
Est-ce que par hasard, votre lettre du colonel
Passavant ?....
- En ce qui me concerne, ainsi que mes deux
compagnons d'Einville, la fameuse lettre nous a valu
d'inattendues faveurs. Pour les autres, je raconte
ce que j'ai vu.
Et puis, vous savez, le Wurtemberg n'est pas la
Prusse. A ce propos, voici - ce sera pour finir - un
savoureux détail :
Le Drapeau prussien descendu par le
Wurtembergeois
Le camp des prisonniers français de Mutzingen fut
d'abord commandé par un vieux général prussien.
Naturellement, ce fut le drapeau prussien que l'on
donna ordre d'arborer à l'entrée principale.
Peu après, le général prussien céda la place à un
général wurtembergeois.
- Qu'est-oe que c'est que ce drapeau-là? demanda ce
dernier en son langage. Qu'on m'enlève ça. Je ne
connais, moi, que le drapeau du Wurtemberg.
Et l'on arbora alors les couleurs wurtembergeoises.
Mais l'incident fit quelque bruit. Les Prussiens
crièrent à la trahison. Les Wurtembergeois se
gendarmèrent. Pour éviter tout conflit, on coupa la
poire en deux. Il n'y a plus à présent de drapeau
sur le camp de Mutzingen !
*
Tels sont, aussi fidèlement rapportés que possible,
les détails que nous a fournis, hier, l'honorable
maire d'Einville, sur ce qu'il lui a été donné de
voir et d'apprendre au cours de sa trop longue
captivité.
Ces détails sont intéressants à bien des points,
pour tant de familles lorraines, dont les pères, les
mères, les enfants ou les soeurs ont été emmenés
là-bas comme otages.
Ils sont aussi d'un grand intérêt pour ceux qui
peuvent y avoir un être cher parmi les prisonniers.
J. MORY.
LES HORREURS DE
NOMENY
AUTOUR
DE LA
COMMISSION D'ENQUÊTE
Nancy, 28 octobre.
Avant d'entreprendre, commune par commune, village
par village, son douloureux pèlerinage à travers la
partie de notre Lorraine dévastée, mise à feu et à
sang par les hordes teutonnes, et de collectionner,
grâce à la photographie, des preuves pour ainsi dire
vivantes de ces atrocités, la commission officielle
d'enquête a entendu hier, à la préfecture de Nancy,
une centaine de rescapés de la pauvre bourgade de
Nomeny, recueillis, quelques-uns chez des parents ou
des amis qu'ils ont dans notre ville, la plupart à
la colonie scolaire de Gentilly.
Et la commission a pu frémir d'horreur à chaque
récit, à chacune de ces dépositions, faites sous
serment, et paraphée ensuite, après lecture, du nom
du déposant.
Les uns après les autres, ils ont défilé, tous ces
malheureux, toutes ces infortunées, devant la
commission. Il y avait là surtout des vieillards et
des grand'mères cassés maintenant plus encore par
l'infortune que par l'âge ; des jeunes filles les
yeux toujours pleins d'épouvante, et même des
enfants, chez qui les, visions infernales, ne
s'effaceront jamais.
On peut dire que tous ces récits ne font qu'un, tant
ils se ressemblent. Que le témoin ait assisté à
l'incendie et au massacre, au centre de Nomeny ou
dans ses faubourgs, c'est partout et toujours
l'incendie et le massacre volontaires. Parfois
aussi, hélas ! ce fut pire, après une abominable
beuverie. Les Bavarois de 1914 - car c'étaient des
Bavarois - ont dépassé là tout ce qu'ont pu
commettre leurs aînés de 70.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
Nancy, 28 octobre.
M. Minier, sous-préfet de Lunéville, accompagné de
M. Méquillet, député de l'arrondissement, a visité :
Bénaménil. - La commune de Bénaménil, occupée par
l'ennemi pendant vingt-quatre jours, n'a pas eu trop
à souffrir.
On n'y compte aucune victime et en dehors de la
scierie Bernard, incendiée par les Allemands, on n'y
relève nul dégât matériel. M. Carrer, conseiller
municipal, faisant fonctions de maire en l'absence
de M. le docteur Blusson, mobilisé, a été emmené
comme otage et n'est pas encore rendu à ses
administrés ; quatre habitants de la commune,
réquisitionnés comme convoyeurs, ne sont pas encore
rentrés dans leurs foyers. Le ravitaillement est
relativement assuré. La rentrée des classes s'est
faite lundi dernier.
Thiébauménil. - La commune a été occupée par les
Allemands pendant trois semaines. Pas de victimes.
Pas de dégâts matériels autres que les actes
habituels de pillage. Le frère de l'adjoint, emmené
par les Allemands comme convoyeur, n'a pas encore
reparu. Le maire de Thiébauménil mobilisé, est
remplacé par M. Roy, adjoint, qui est bravement
demeuré à son poste, ainsi que l'instituteur, M.
Demetz.
Le ravitaillement de la commune est assuré de façon
relativement satisfaisante par la municipalité,
aidée dans cette lourde tche par M. Rouillon,
conseiller municipal.
La rentrée des classes a eu lieu le 5 octobre.
Ogéviller. - La commune a été occupée pendant
dix-huit jours. Pas de victimes.
Les dégâts matériels, en dehors des actes de
pillage, se réduisent à deux maisons endommagées par
les obus. Le ravitaillement de la commune se fait
avec quelques difficultés. La rentrée des classes
n'a pas encore eu lieu.
JUSQU'AU BOUT
!...
C'est, dans une ère
douce où rayonne la Paix,
La Révélation d'un affreux état d'âme !
C'est la guerre voulue par des gens kultivés
Que l'ancestral instinct affranchit de tout blâme !
C'est le sol profané d'un Pays confiant
Que l'Outrage secoue sous les pieds du barbare !
C'est le Droit de vivre étranglé en souriant,
Dans un pas de parade, au bruit de la fanfare !
Ce sont Ypres, Louvain, Reims. le joli manoir
Qui flambent, éclairant la frémissante nue ;
Les lueurs d'incendie montant dans le ciel noir
Tandis qu'éclate au loin l'obus monstre qui tue !
C'est le cadavre froid du vieillard massacré,
L'inerte corps meurtri de la femme abusée.
L'épave épouvantée du pâle enfant, sacré
Par la Candeur, pauvre fleur maintenant brisée !
C'est la traîtrise affreuse en honneur dans leurs
rangs :
Le drapeau blanc flottant, le noir fusil la crosse
En l'air. et nos soldats, croyant, leurs gestes,
francs,
Ne tirant plus, se faisant tuer, mort atroce !
C'est l'odieux rempart des otages civils
Poussés devant leur horde, à l'assaut de nos lignes
!
C'est le blessé râlant qu'achèvent leurs fusils,
Le captif tué net pour des raisons bénignes !
C'est le jet prohibé du pétrole enflammé.
De l'infernal obus aux vapeurs délétères ;
Le Lusitania, dans l'Océan, coulé :
Tous, crimes éhontés, odieux, volontaires !
Et le Germain se signe en implorant Wotan !.
C'est par humanité, dit-il, qu'il assassine !
C'est pour la Paix bénie qu'un monde las attend !.
Du Vainqueur inflexible il lui faut bien la mine !
- Tu crois que tu combats encore le Gaulois ?...
De l'Effort prolongé. nous avons l'âme pleine !
« Jusqu'au bout !...» C'est le cri que prononcent
nos voix !
Et nous y aidera notre croissante Haine !.
L..., le 13 mai 1915. Louis ROYER.
DANS LE NORD
leur rage est maîtrisée
AILLEURS
nos progrès continuent
Bordeaux, 29 octobre,
15 h. 15.
Dans la journée d'hier, nous avons fait des progrès
sur plusieurs points de la ligne de bataille, en
particulier autour d'Ypres et au sud d'Arras.
Rien de nouveau sur le front Nieuport-Dixmude.
Entre l'Aisne et l'Argonne, nous nous sommes emparés
de quelques tranchées ennemies et aucune des
attaques partielles tentées par les Allemands n'a
réussi.
Nous avons également avancé dans la forêt d'Apremont.
Paris, 30 octobre, 0 h. 45:
Le communiqué officiel du 29 octobre, 23 heures, dit
que d'après les derniers renseignements, il n'y a
aucune nouvelle importante à signaler.
Impressions de
M. Briand dans l'Est
Un collaborateur du «
Temps » a pu voir, M. Briand au ministère de la
Justice et le vice-président du Conseil lui a résumé
en ces termes les impressions de ce voyage émouvant
:
« Le spectacle que nous avons eu sous les yeux, dans
les localités particulièrement éprouvées que nous
venons de visiter, était à la fois terrible et
réconfortant. Dans les villes martyres, Nomeny,
Revigny, Beauzée; Gerbéviller, Clermont-en-Argonne,
Lérouville, Vaubécourt, Lunéville, les ravages
causés par la barbarie allemande sont véritablement
épouvantables. Il n'y a plus une maison debout, dans
ces localités naguère si prospères, et les détails
de cruauté sauvage, de stupide vandalisme sont
tellement nombreux qu'il faut renoncer à les
énumérer. Incendies volontaires et inutiles,
habitants poussés dans les flammes, vengeance
sadique exercée sur des innocents, sur tous les
êtres faibles, rien n'a manqué à l'oeuvre de féroce
dévastation accomplie par des ennemis indignes.
« Mais le réconfort jaillit de ces ruines fumantes :
les populations si durement atteintes ont gardé une
invincible espérance dans l'avenir ; leur moral
n'est nullement atteint ; l'oeuvre de destruction n'a
point ébranlé leur courage. Nous avons vu, Sarraut
et moi, cette chose sublime : les femmes, les
enfants, les vieillards revenant au foyer détruit,
pour reprendre le travail habituel et sacré, et
sauver des récoltes tout ce qui a pu échapper à la
rage teutonne. Nous n'avons pas entendu formuler une
seule plainte, et je vous assure que cela. était
particulièrement émouvant. Les paysans nous disaient
: « Cela devait arriver !. Mais nous aurons le
dessus, n'est-ce pas ? » Avoir le dessus ! Tous ces
gens ruinés par la guerre n'ont pas d'autre
préoccupation, en face des décombres amoncelés ! »
L'APPROVISIONNEMENT DE NANCY
Sucre, Farine, Vin, Pommes de terre
NOUS AVONS DE TOUT
Nancy, 30 octobre.
Dans la journée de mercredi, deux importants convois
de wagons chargés de sucre sont arrivés à Nancy. Ils
ont été dirigés vers la gare Saint-Georges, où ils
ont été directement entreposés aux Magasins Généraux
et Docks réunis.
Ce sucre provient des Raffineries de Marseille. Ce
sont les têtes des pains. Elles sont placées dans
des sacs du poids d'environ 100 kilos chacun.
Dès mercredi après-midi, la répartition du sucre a
commencé par les soins du bureau du Syndicat des
épiciers en détail. Beaucoup de petits commerçants
étaient venus eux-mêmes avec des charrettes,
camions, véhicules de tous genres qui sont amenés
près des wagons stationnant sur les voies de garage.
Pendant ce temps, des wagons sont conduits près des
quais des docks où ils sont rapidement entreposés,
car il est facile de comprendre que les compagnies
de chemin de fer ont hâte de rentrer en possession
de leurs wagons pour faire d'autres expéditions.
Disons aussi qu'un train de farine est arrivé
également aux docks, ce qui permet d'affirmer
maintenant que Nancy ne peut manquer de pain, pas
plus que de sucre.
D'un autre côté, les wagons-réservoirs amènent de
grandes quantités de vin dans notre ville.
Enfin, à la gare Saint-Jean, plusieurs wagons de
pommes de terre étaient en plein déchargement pour
le marché de jeudi et vendredi.
Comme on le voit, Nancy est maintenant
approvisionné, puis comme de nouvelles facilités ont
été données pour l'expédition des marchandises, il
est à présumer qu'à l'avenir aucune denrée ne fera
défaut dans notre ville.
Un arrêté municipal dit :
« Article premier. - L'administration municipale met
à la disposition du Syndicat des épiciers une
quantité de sucre destinée à être répartie entre
tous les épiciers en détail, syndiqués ou non,
vendant du sucre avant la guerre.
« Article 2. - Ce sucre sera vendu au prix maximum
de 0 fr. 95 le kilogramme.
« Article 3. - Le consommateur ne pourra exiger de
l'épicier une fourniture de plus d'un kilogramme de
sucre, mais, sous aucun prétexte, il ne pourra être
tenu, en se procurant ainsi du sucre, d'acheter
d'autres articles pour un prix quelconque.
« Article 4. - Les sorties de denrées alimentaires
(blé, farines, pain, sucre), de pétrole, essences
pour moteurs, charbons, bois de chauffage, ne
pourront s'effectuer sans une autorisation expresse
et par écrit de l'autorité municipale, qui devra
être présentée aux bureaux de l'octroi. »
A VERDUN ET A
TOUL
Un correspondant
spécial du « Times », qui a parcouru la région de
Verdun et de Toul, écrit qu'à la date du 15 octobre
nos deux places fortes de l'Est n'avaient même pas
été attaquées. Il décrit ainsi les opérations qui
avaient pour but de menacer Toul et Verdun et qui
ont échoué :
« L'armée allemande de Metz marchait dans un double
but : s'emparer de Verdun et de Toul et tendre la
main à l'armée du kronprinz dans l'Argonne, armée
qui se trouvait assez mal en point L'armée de Metz a
complètement échoué. Elle n'a pas pu s'approcher
suffisamment des deux places fortes pour essayer
même de bombarder leurs forts directs. »
AVIS MUNICIPAUX
Lunéville, 30
octobre.
La ville de Lunéville va pouvoir, grâce à
d'obligeants prêteurs, rembourser une petite partie
des sommes qui lui ont été remises peur la
contribution de guerre de 650.000 francs. Avant d'y
procéder, elle rappelle:
1° Que 5 % d'intérêts (à partir du 15 septembre
jusqu'au remboursement définitif) seront alloués à
toutes les sommes qui seront laissées dans ses
caisses jusqu'à remboursement par l'Etat ou par un
nouvel emprunt municipal ;
2° Que ceux qui désirent un remboursement immédiat
total ou partiel doivent en faire la demande avant
le 31 octobre, aux bureaux de la Société Nancéienne,
rue Carnot ;
3° Que d'après le total de ces demandes, les
représentants de la ville arrêteront, dans les trois
jours, l'état des sommes que la situation financière
municipale, d'une part, et les besoins particuliers
ou commerciaux des demandeurs, d'autre part,
permettent de rembourser.
Les femmes de soldats mobilisés dont les maris sont
morts sur le champ de bataille par suite de
blessures de guerre ou toute autre cause, peuvent
dès maintenant faire leurs demandes pour
l'allocation au décès, prévue par la loi des
retraites ouvrières, à la mairie, bureau de l'état
civil.
Le maire de la ville de Lunéville a l'honneur
d'informer ceux de ses concitoyens qui sont
créanciers du 18e chasseurs à cheval, de vouloir
bien adresser leurs factures au major président du
conseil d'administration de ce régiment à Saint-Maixent
(Deux-Sèvres).
Il a été trouvé sur des prisonniers allemands les
objets suivants qui, paraît-il, les auraient
ramassés près de la gare de Lunéville :
Une croix de chevalier de la Légion d'honneur ; une
croix miniature de la Légion d'honneur ; une
alliance marquée M.-H. P.-H. 1910 ; une alliance
marquée Francisque Mathel Louise Durand Fornas, 27
octobre 1913 ; une alliance marquée P.-H. J.-G., 21
octobre 1912 ; une médaille à l'effigie de Pie IX ;
cinq pièces de monnaie ancienne.
Prière aux possesseurs de ces objets de vouloir bien
les réclamer à la mairie, bureau de l'état civil, où
ils sont déposés.
Le maire de la ville de Lunéville a l'honneur
d'appeler l'attention de ses concitoyens sur le
danger que présentent encore certaines parties
d'obus explosés.
Il arrive, en effet, très souvent que, malgré les
précautions prises pour leur destruction, les fusées
d'obus conservent intacte la charge de fulminate. Il
suffit de cette charge, dont la puissance est encore
suffisante pour tuer plusieurs personnes.
Il est donc interdit de ramasser autre chose que les
douilles en cuivre né renfermant plus de fonte.
Le maire, KELLER.
AUX HABITANTS
DES
COMMUNES ÉPROUVÉES
Chaque fois que j'ai
pu visiter une commune éprouvée par la guerre, j'ai
dit aux habitants : « Relevez la tête et ayez
confiance. Une nation victorieuse répare les ruines
matérielles dont ses enfants ont souffert. La France
a la certitude de vaincre. Elle vaincra, et dans sa
victoire elle n'oubliera point les communes victimes
d'incendies volontaires ou d'accidents de guerre. Au
nom de la Nation, je prends devant vous l'engagement
solennel que, sur ces ruines, elle restaurera vos
modestes maisons, elle vous rendra les foyers où
vous avez si longtemps travaillé, aimé et souffert.
»
Je suis heureux de porter aujourd'hui à la
connaissance des populations de Meurthe-et-Moselle
le télégramme que je viens de recevoir de M. le
Président du Conseil. Elles y verront la preuve que
l'oeuvre de reconstruction des foyers lorrains
s'élabore, et que le Gouvernement se préoccupe
d'organiser ce magnifique et nécessaire effort de
solidarité nationale.
Hélas ! cette oeuvre est immense et ne pourra
s'accomplir en un jour. Il s'agit pour le moment
d'offrir au Gouvernement, dans les régions évacuées
et toutes réserves faites naturellement en ce qui
concerne celles soumises encore à l'occupation de
l'ennemi, une base d'appréciation lui permettant de
mesurer approximativement la dépense globale. Après
m'être entouré des avis des hommes compétents,
j'adresserai, dans un bref délai, à MM. les maires
des instructions précises qui les guideront, et je
mettrai à leur disposition, là où ce sera
nécessaire, les concours autorisés sans lesquels ils
ne pourraient s'acquitter de leur mission.
En donnant dès aujourd'hui à ce télégramme officiel
de M. le Président du Conseil la publicité de la
presse, j'ai tenu à fortifier, au coeur de tous, la
confiance dans les destinées de la Patrie, et dans
l'esprit de solidarité qui anime et unit la nation
tout entière.
Mais je veux aussi mettre en garde les habitants qui
ont subi des désastres matériels contre une fausse
manoeuvre : nombreux sont ceux dont les maisons ne
sont que partiellement endommagées ; en faisant
exécuter immédiatement à ces immeubles des
réparations relativement peu importantes, ils les
rendraient habitables et les sauveraient d'une ruine
complète ; ils héritent cependant à faire procéder à
ces réparations ; ils craignent de se priver de tout
droit à une indemnité ultérieure. Il n'est pas de
plus dangereux calcul. Il est hors de doute, en
effet, que, s'agissant d'une telle maison, dont un
obus par exemple a crevé le toit, et qui s'est
écroulée non à la suite de cet accident lui-même
mais à cause des pluies et des intempéries qui par
la brèche ouverte ont aggravé la blessure, le droit
à l'indemnité se mesurera sur l'effet direct de
l'obus et non pas sur les aggravations résultant de
l'indifférence ou du calcul du propriétaire. Celui
qui aurait pu faire procéder dès maintenant à ces
réparations d'urgence qui eussent sauvé les oeuvres
vives de l'immeuble, et qui ne pourrait pas
justifier son inaction par quelque raison de force
majeure, sera moins bien traité, quand l'heure sera
venue du paiement des indemnités, que le
propriétaire qui aura fait tous ses efforts pour
prévenir cette aggravation. Ce dernier produira, le
moment venu, la facture des travaux de réparations
qui auront été sans délai exécutés, et cette facture
- pourvu que le contrôle auquel elle sera soumise
établisse qu'elle a été dressée de bonne foi -
constituera la base d'évaluation la plus précise sur
laquelle l'indemnité sera mesurée. Il ne serait
point juste que les choses pussent se passer et
elles ne se passeront pas autrement.
Partout donc où le travail, je ne dis pas de
reconstruction, mais de réparation est possible, à
l'oeuvre avant l'hiver !
L. MIRMAN, Préfet de Meurthe-et-Moselle.
TÉLÉGRAMME
Président Conseil à Préfets France, Circulaire
Le Gouvernement se préoccupe à l'heure actuelle de
venir en aide par tous les moyens dont il dispose
aux populations qui sont victimes de la guerre. Dans
ce but, certain d'avance qu'il répondra aux voeux du
pays tout entier. Il se propose de faire appel aux
régions que leur situation préserve des atteintes de
l'ennemi pour leur demander d'apporter aux
départements envahis lès secours de leurs propres
ressources. Il demandera aux Chambres le vote des
crédits par lesquels la Nation contribuera aux
dépenses nécessaires. Afin de posséder une base
d'appréciation qui lui permette de mesurer la
dépense du Gouvernement vous recommande de faire
dans les conditions que je précise les constats
nécessaires. Il appartient aux municipalités de
faire dresser les constats de destructions qui ont
atteint aussi bien les immeubles que les terres, les
instruments aratoires, le cheptel. Je compte sur
vous pour les en avertir. Quand ces municipalités
vous auront adressé ces constats, vous voudrez bien
les faire examiner. Toutes les fois que les
municipalités ne vous auront pas saisi des constats
opérés par leurs soins, vous voudrez bien en prendre
l'initiative. Les résultats de cette enquête devront
être ensuite et dans le délai le plus bref, adressés
par vous au ministère de l'Intérieur. Les ministres
compétents donnent d'ailleurs des instructions à
leurs agents, ingénieurs des ponts-et-chaussées,
inspecteurs départementaux et professeurs
d'agriculture, qui sont chargés de se mettre à votre
disposition. J'ai pensé qu'il convenait de donner
dès aujourd'hui à la population éprouvée de votre
département, l'assurance qu'elle n'est pas
abandonnée dans sa détresse. Vous voudrez bien
porter à, sa connaissance les dispositions du
Gouvernement qui espère ainsi à la fois rendre plus
étroits les liens de solidarité nationale et
affermir le courage de ceux qui sont frappés.
A GUILLAUME II
Vivent la poudre
sèche et l'épée aiguisée !
Wilhelm, c'est ce que dans la chaleur des banquets
Tu prononças jadis, entre deux lourds hoquets.
Or tes soudards ne savent pas tenir l'épée.
Oui, vos étudiants, entre deux bocks de bière
S'escriment quelquefois, le corps matelassé,
Et sont fiers d'en sortir le museau balafré ;
C'est leur seule façon de tenir la rapière.
L'arme des d'Artagnan, du petit Lagardère,
Des Cyrano, enfin de tous les coeurs vaillants,
Laisse-la aux Français, mais pour tes Allemands
Qui se cachent ainsi que des rats sous la terre..,.
A eux le lancement des bombes d'incendie,
Les trous dans lesquels ils se sont blottis,
tremblants,
Pour envoyer sur nous leurs gaz asphyxiants !
Comme épée, donne-leur plutôt le sabre à scie.
C'est l'arme qui convient à ces brutes, ces lâches,
Qui vont semant partout le pillage et le viol,
Lançant sur des soldats des jets de vitriol :
En un mot qui ne font la guerre qu'en apaches.
Mais notre escrime à nous exige la souplesse
Du Corps, et votre Pas de l'Oie n'en donne pas ;
Puis un esprit subtil ; votre kultur, hélas !
Ne vous donnera pas de sitôt la finesse.
Remets donc au fourreau cette arme si Française,
L'Epée ! Pour la tenir ton bras est trop petit.
Tu finiras tes jours sans doute au pilori,
Quand nous irons chez vous chanter la Marseillaise.
Mai 1915. Albertad L'ANGEVIN.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
M. Minier,
sous-préfet de Lunéville, accompagné de M. Méquillet,
député de l'arrondissement, a visité :
Bénaménil. - La commune de Bénaménil, occupée par
l'ennemi pendant vingt-quatre jours, n'a pas eu trop
à souffrir.
On n'y compte aucune victime et en dehors de la
scierie Bernard, incendiée par les Allemands, on n'y
relève nul dégât matériel. M. Carrer, conseiller
municipal, faisant fonctions de maire en l'absence
de M. le docteur Blusson, mobilisé, a été emmené
comme otage et n'est pas encore rendu à ses
administrés ; quatre habitants.
de la commune, réquisitionnés comme convoyeurs, ne
sont pas encore rentrés dans leurs foyers. Le
ravitaillement est relativement assuré. La rentrée
des classes s'est faite lundi dernier.
Thiébauménil. - La commune a été occupée par les
Allemands pendant trois semaines. Pas de victimes.
Pas de dégâts matériels autres que les actes
habituels de pillage. Le frère de l'adjoint, emmené
par les Allemands comme convoyeur, n'a pas encore
reparu. Le maire de Thiébauménil, mobilisé, est
remplacé par M. Roy, adjoint, qui est bravement
demeuré à son poste, ainsi que l'instituteur, M.
Demetz.
Le ravitaillement de la commune est assuré de façon
relativement satisfaisante par la municipalité,
aidée dans cette lourde tâche par M. Rouillon,
conseiller municipal. La rentrée des classes a eu
lieu le 5 octobre.
Ogéviller. - La commune a été occupée pendant
dix-huit jours. Pas de victimes.
Les dégâts matériels, en dehors des actes de
pillage, se réduisent à deux maisons endommagées par
les obus. Le ravitaillement de la commune se fait
avec quelques difficultés. La rentrée des classes
n'a pas encore eu lieu.
RÉSUMÉ DES
ÉVÈNEMENTS D'OCTOBRE 1914
1er et 2 octobre. -
Bombardement de Saint-Dié.
2 octobre. - Vers Saint-Mihiel, la rive gauche de la
Meuse est débarrassée des Allemands.
5 octobre. - Les troupes russes pénètrent en Prusse
orientale.
8 octobre. - Les Allemands bombardent la propriété
de M. R. Poincaré, à Sampigny.
9 octobre. - Le 20e corps est cité à l'ordre de
l'armée. - Anvers tombe.
10 octobre. - Obsèques de M. Albert de Mun. - Le roi
Carol, de Roumanie, est mort.
- Violentes attaques allemandes dans la région d'Apremont.
13 octobre. - Un Taube jette trois bombes sur Nancy,
blesse trois employés de la gare et est démoli. - Le
Gouvernement belge se retire au Havre et le roi
Albert reste avec son armée.
14 octobre. - L'offensive allemande au nord de
Saint-Dié est enrayée.
16 octobre. - Attaques infructueuses des Allemands
dans la direction de Malancourt, au nord-ouest de
Verdun.
18 octobre. - Deux violentes attaques au nord et à
l'est de Saint-Dié sont repoussées. - M. Colin,
adjoint au maire de Saint-Dié, est cité à l'Officiel
pour sa belle conduite.
22 octobre. - M. Raymond, sénateur, officier
aviateur, est mortellement blessé et décède à Toul.
- Un Taube essayant de pénétrer à Nancy est chassé.
- MM. A. Briand et A. Sarraut visitent les communes
lorraines éprouvées et les champs de bataille.
31 octobre. - Pendant tout le mois, bombardement
presque quotidien de Pont-à-Mousson. |