UNE BONNE IDÉE
Nous
recevons la lettre suivante :
Nancy, le 10 octobre 1914.
Monsieur le Directeur,
Un de nos jeunes concitoyens, blessé à l'ennemi et
en ce moment en traitement à Montpellier, m'écrit
que dans cette ville on a placé dans les bureaux de
tabac une corbeille où chaque acheteur de paquets de
cigarettes en laisse tomber quelques-unes pour les
blessés, à qui elles sont distribuées, ainsi que les
cigares que les corbeilles contiennent parfois.
Ne vous semble-t-il pas, Monsieur le Directeur, que
cette pratique est touchante et qu'il suffirait de
la rendre publique à Nancy, où on a l'amour profond
de l'armée, pour qu'immédiatement des corbeilles
soient aussi placées dans tous les bureaux de tabac
de la ville.
Nos blessés seront contents et vous vous serez
encore une fois associé à une bonne action.
Veuillez croire, Monsieur le Directeur, à mes
sentiments, les meilleurs.
Un vieux Lecteur.
Chaque bureau de tabac voudra être le premier à
poser la « corbeille des blessés. »
LE VAIN EFFORT
ALLEMAND
C'est toujours vers le Nord et dans la Woëvre que
les attaques de l'ennemi sont violentes.
Bordeaux, 11 octobre, 16 heures.
A NOTRE AILE GAUCHE
La cavalerie allemande qui s'était emparée de
certains points de passage sur la Lys, à l'est
d'Aire, a été chassée dans la journée du 10 et s'est
retirée, dans la soirée, vers la région
d'Armentières.
Entre Arras et l'Oise, l'ennemi a attaqué très
vivement sur la rive droite de l'Ancre, sans réussir
à faire des progrès.
AU CENTRE
Entre l'Oise et Reims, nos troupes ont légèrement
progressé au nord de l'Aisne, notamment dans la
région au nord-ouest de Soissons.
Entre Craonne et Reims, des attaques allemandes,
exécutées de nuit, ont été repoussées.
De Reims à la Meuse, rien à signaler.
EN WOËVRE
Les Allemands ont prononcé de très violentes
attaques dans la région d'Apremont, à l'est de
Saint-Mihiel.
Au cours de la nuit du 9 au 10, et dans la journée
du 10, Apremont pris et repris, est resté entre nos
mains.
A NOTRE AILE DROITE
En Lorraine, Vosges, Alsace, rien à signaler.
En résumé, partout nous avons conservé toutes nos
positions.
NOS HÉROS
Nancy,
11 octobre.
Nous apprenons avec un vif regret la mort du
capitaine Marcel André, du 26 d'infanterie, fils de
l'honorable architecte de la d'Alliance, tombé le 2
octobre, au champ d'honneur, dans l'un des combats
les plus meurtriers livrés à notre aile gauche.
M. André, entré en campagne comme lieutenant de
réserve, s'est battu presque sans interruption
depuis le début des hostilités. Il a fait preuve,
partout, d'une bravoure et d'une énergie qui ont été
récompensées par un troisième galon sur le front de
Lorraine.
Il commandait, en dernier lieu, la 1re compagnie
active de ce 26e déjà si éprouvé.
Atteint le 30 septembre d'une blessure pénétrante à
l'épaule droite, il avait droit à un repos qui lui
fut d'ailleurs imposé par le service de santé.
Mais le lendemain 1er octobre, n'écoutant que son
courage, le capitaine André se présentait à son chef
de corps, le bras en écharpe et, prétextant la
pénurie d'officiers, venait lui offrir ses services.
Le commandant accepta, selon sa propre expression :
« la mort dans l'âme ».
Dès le soir même, à 10 heures, André était à la tête
de sa compagnie, face à l'ennemi. Le 2 octobre, dans
une action de la plus grande violence, ayant reçu
l'ordre de tenir à tout prix, voyant sa compagnie en
péril, il fit un effort désespéré pour rallier ses
hommes exposés à faiblir sous la mitraille. Une
balle reçue en pleine poitrine lui arrache ces mots
: « Mes enfants, ne me laissez pas entre leurs mains
! » Il avait à peine achevé, qu'une seconde balle
lui fracassait la bouche et le frappait
mortellement.
Inclinons-nous respectueusement devant l'héroïsme de
ce brave, de ce digne fils de Lorraine, et plaignons
du fond du coeur sa famille et sa jeune femme si
cruellement éprouvées.
Le souvenir du capitaine Marcel André restera dans
le coeur de ses amis et de ses concitoyens,
étroitement lié à celui du 20e corps dont
l'admirable vaillance, l'entrain et l'endurance
viennent d'être solennellement honorés de la plus
haute distinction.
L. P.
MARCHÉ DE NANCY
Nancy.
11 octobre.
Samedi matin, le marché était encore bien
approvisionné en légumes, principalement en choux,
en carottes et pommes de terre. Quelques paniers de
poires et de noix ont été vendus à des prix
abordables.
Sous les halles la volaille était en grande
quantité, ainsi que le beurre. Le prix minimum des
poulets était de 3 fr. le kilo.
Voici les prix qui ont été fixés par la mercuriale :
Boeuf, 1 80 à 3 fr. le kilo ; veau, 2 60 à 4 fr. ;
mouton, 2 20 à 3 fr. ; lard frais, 2 à 2 40 ; lard
sec, 2 40 à 2 60 ; grillade, 2 80 à 3 fr. ; beurre,
2 60 à 4 fr. ; oeufs, 1 60 à 2 20 la douzaine ;
pommes de terre, 13 à 28 fr. les 100 kilos.
Les Combats de
Morhange
Nancy,
11 octobre.
Nous extrayons d'une lettre de colonial adressée au
« Matin » la description des combats de Morhange :
En Terre annexée
Le 19 août, mon régiment franchissait la frontière
en face de Nancy, et d'un seul bond, faisait
trente-cinq kilomètres en terre allemande. Le soir
nous campions à cinq kilomètres à l'est de
Château-Salins, ancienne sous-préfecture de Lorraine
annexée. Je renonce à décrire l'enthousiasme
délirant, la joie débordante des populations de
cette région, restée française de coeur sous le joug
de la brutalité germaine.
Quand le régiment traversa Château-Salins, ce fut du
délire : les gamins, sur chaque trottoir,
accompagnaient en chantant la « Marseillaise » ; les
jeunes filles avaient cueilli dans les champs toutes
les fleurs de l'arrière-saison, en avaient fait des
bouquets tricolores qu'elles offraient à nos
officiers. Les vieux et les vieilles pleuraient en
criant : « Vive la France ! » Partout, les
Lorraines, qui avaient piqué à leur corsage trois
fleurettes rustiques aux couleurs françaises,
apportaient des vivres à nos soldats. Dans cette
région où la majorité des habitants est restée
pieusement fidèle à la France, nous avons vécu des
heures inoubliables.
Les Tranchées allemandes en ciment armé
Le lendemain 20 août, changement de programme. Dès
le petit jour, nos régiments se lançaient à
l'attaque des positions ennemies de Morhange. Nous
tombâmes sur des tranchées en ciment armé toutes
remplies d'hommes et de mitrailleuses, et lorsque
nous les eûmes emportées à la baïonnette, des
rafales terribles d'artillerie lourde nous
obligèrent à battre en retraite.
Quand le mouvement en arrière commença, nous
perçûmes au loin les premiers accents de la « Marche
funèbre » de Chopin, jouée par plusieurs musiques
militaires allemandes. Cette odieuse facétie nous
fit comprendre le piège dans lequel nous étions
tombés.
Pendant la période de tension politique, ces
brigands avaient préparé en secret toute une ligne
de retranchements formidables, entassé sous terre
obusiers et mitrailleuses, et réussi du 10 au 20
août, à nous attirer là-dessus.
Pour les ruses et les infamies, ce sont des maîtres
incontestablement ; mais fort heureusement, quand il
s'agit seulement de courage et d'énergie, nous avons
notre revanche.
L'Attaque de Morhange
Pendant l'attaque de Morhange, l'armée bavaroise
prononçait une contre-attaque générale sur notre
aile gauche, et le N° colonial recevait, vers huit
heures, l'ordre de se maintenir pendant six heures
sur une hauteur, d'arrêter pendant ce temps la
marche d'une division ennemie, pour permettre au N°
corps de se replier.
Ces six heures resteront toute ma vie gravées dans
ma mémoire ; en quelques minutes, nos hommes firent
une petite tranchée dans la terre fraîchement
labourée ; deux batteries de 75 crachaient derrière
nous et retenaient la division bavaroise. Aussitôt
les pièces furent démontées par l'artillerie
adverse, et notre régiment resta seul en face de
l'infanterie et de l'artillerie ennemies. Aplatis
derrière leur petit mur de terre, nos hommes
tiraient à coup sûr, les mitrailleuses fauchaient,
et pendant quatre heures nous réussîmes à maintenir
les Boches à mille et douze cents mètres de nous.
Cependant leurs, balles sifflaient et leurs obus
tombaient de toutes parts : ayant remarqué, les
premiers jours, que leurs shrapnells étaient presque
sans effet, ils employaient leurs obusiers lourds de
campagne de quinze centimètres, qui tirent un obus
percutant capable de ruiner les solides abris et de
détruire rapidement une artillerie observable. La
puissance de cet obus est très grande et de nature à
produite un grand effet moral, en plus des
destructions ; chargé de mélinite il pèse quarante
kilos. Au point de chute, il fait, en terre
labourée, des entonnoirs de six à sept mètres sur
deux mètres de profondeur, mais peu de victimes ; en
terrain dur, chaussée par exemple, il a des effets
terribles et anéantit aisément une demi-section -
vingt à vingt-cinq hommes.
Un Combat terrible
Le régiment a été, cette matinée-là, fortement
endommagé : colonel X., blessé et disparu, la moitié
des chefs de bataillon et capitaines tués ou
blessés. Mon capitaine, frappé de deux balles à
quatre pas de moi, a tenu à rester sur la, ligne de
feu, communiquant à tous son beau courage et son
stoïcisme ; il mourut avant la fin de l'action. Le
sergent-major de la compagnie fut coupé en deux par
un obus. Quantité de nos hommes sont restés sur le
carreau.
Mais, en face de nous, en bas de la colline, les
Bavarois entassaient leurs morts, dont ils se
servaient comme de rempart contre le feu foudroyant
de nos tranchées.
Le régiment a reçu dans cette affaire plusieurs
milliers d'obus, dont la plupart éclataient à dix ou
vingt mètres en arrière de nous sans faire grands
dégâts. Presque tous les hommes restés sur le
terrain ont été touchés à la tête ou à la poitrine
par des balles de fusil. Une balle a fracassé mon
poignet gauche, que je levais pour désigner un
objectif. Vers deux heures, le régiment battait en
retraite, ayant accompli sa mission. Le soir,
l'armée française de Lorraine se retranchait
fortement derrière la Seille, et arrêtait
définitivement la marche des corps bavarois.
Nos régiments ont été remis au complet par les
dépôts et vont entreprendre avec plus de courage et
d'audace que jamais la seconde partie de la
campagne, en terre étrangère.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
Dans
l'Arrondissement de Lunéville M. Minier, sous-préfet
de Lunéville, accompagné de M. Méquillet, député de
l'arrondissement, s'est rendu, le 7 octobre, à :
Badonviller. - Ce malheureux chef-lieu de canton
occupé une seconde fois par les troupes allemandes,
du 23 août au 12 septembre, a été réoccupé de
nouveau du 21 au 25 septembre.
Ces deux occupations n'ont pas été marquées fort
heureusement par les actes de sauvagerie dont
Badonviller avait été une première fois le théâtre.
Pas de nouvelles victimes ; pas de nouvelles maisons
incendiées ou détruites.
Cette fois, le pillage seul a sévi, épuisant les
dernières ressources d'une population qu'il est
urgent de ravitailler.
Les habitants sont unanimes à rendre hommage à
l'énergie et à la fermeté de M. le percepteur Lejeal,
qui a rempli les fonctions de maire pendant toute la
durée de l'occupation. Son sang-froid et sa
connaissance parfaite de la langue allemande ont
épargné à la population plus d'une violence et plus
d'une vexation. Sa prudence a, par ailleurs, réussi
à soustraire à l'ennemi le contenu de sa caisse qui
dépassait 2.000 francs.
Cet excellent fonctionnaire a droit aux
félicitations de ses chefs. M. le sous-préfet et M.
Méquillet, député, ont été heureux de pouvoir, au
cours de leur visite, rendre publiquement hommage à
la courageuse attitude du percepteur de Badonviller.
M. le docteur Bauquel, MM. Henry et Reimarmier,
méritent également la reconnaissance de leurs
concitoyens pour le concours dévoué qu'ils ont donné
à M. Lejeal.
Haudonville. - Durée de l'occupation, deux jours.
Pas de victimes, Huit maisons incendiées ou
détruites. Nombreuses maisons endommagées par les
obus.
Remenoville. - La commune n'a été occupée que
pendant 24 heures. Pas de victimes. Douze maisons
brûlées ou détruites.
Dans ces deux communes où, comme partout, tout a été
pillé, les maires s'occupent activement du
ravitaillement des habitants et de tous les services
administratifs.
Vennezey. - Commune occupée pendant 24 heures. Pas
de victimes. Rares maisons endommagées. La
municipalité et l'institutrice sont restées
courageusement à leur poste.
Visite à cette dernière que nous avons trouvée en
train de faire bravement sa classe.
Giriviller. - Durée de l'occupation par l'ennemi,
deux jours. Si les dégâts matériels se réduisent à
peu de chose, il faut malheureusement déplorer la
perte d'une vie humaine. Le maire assure de son
mieux les services.
Seranville. - Occupée deux jours par l'ennemi. Le
maire et le curé sont demeurés courageusement à leur
poste. Pas de victimes. Les pertes matérielles sont
importantes et se chiffrent par huit maisons
incendiées ou détruites. Nombreuses maisons
endommagées.
Gerbéviller. - La population revient peu dans cette
malheureuse commune. Il y a maintenant près de 200
bouches à nourrir. Il devient nécessaire que les
quatre conseillers municipaux qui y sont bravement
rentrés reprennent la charge des services de la
mairie. Ils vont être constitués en commission
administrative et enverront demain un état des
propositions les plus pratiques pour permettre de
favoriser une reprise partielle de la vie locale.
Dans les Vosges
Une
délégation comprenant Mgr l'évêque, M. le préfet des
Vosges, M. le sous-préfet de Saint-Dié et MM. les
membres du bureau de la commission a visité le 24
septembre les communes de Saint-Léonard, Saulcy,
Sainte-Marguerite, Taintrux, Saint-Dié, La Voivre,
Saint-Mihel, Nompatelize, La Bourgonce, Saint-Remy,
Saint-Benoît, Brû et Rambervillers.
Le 29, la délégation est retournée dans la canton de
Rambervillers et a visité les quatorze communes
suivantes : Sainte-Barbe, Ménil-sur-Belvitte,
Anglemont, Roville-aux-Chênes, Doncières,
Nossoncourt, Bazien, Ménarmont, Xaffévillers, Saint-Pierremont,
Domptail, Deinvillers, Clézentaine,
Saint-Maurice-sur-Mortagne.
Le 3 octobre, elle a porté ses secours à
Raon-l'Etape, La Neuveville, Moyenmoutier, Etival,
Romont, Moyemont, Fauconcourt, Hardancourt, Autrey,
Housseras et Jeanménil.
LA FLEUR DES
RUINES
Gerbéviiler, lieu saint, où vécut soeur Julie !
Dieu n'a permis peut-être une telle folie
Que pour placer cette âme assez haut à l'écart
Comme au coeur sombre et dur d'une amphore polie
Le geste épiscopal consacre du nectar.
Onction des blessés, baume aux douleurs morales,
Quel rafraîchissement de lui dire : Ma soeur !
Et de lire, en pleurant, les phrases littérales
Qu'à l'injuste courroux opposait sa douceur.
Elle a dit tous ces mots, simplement, comme on parle
A l'hôpital, aux visiteurs, aux étrangers,
Dans ces jardins soignés des couvents de
Saint-Charles
Qui sentent la vanille et la fleur d'oranger.
On ne craint pas la mort quand on a l'âme nette,
Les mots injurieux vomis par l'ennemi
Ne faisaient qu'effleurer le lin de sa cornette :
Cette femme n'était pas lorraine à demi !
Or, lorsque la menace et l'informe blasphème
Offraient complaisamment la souffrance à ses nerfs,
Elle pensait : Soyons contente. Dieu nous aime !
Mais, que souffrent aussi, dans leur navrante chair,
Ceux dont la fièvre intense et la mélancolie
Cherchent l'apaisement d'un baiser maternel,
Voilà ce que n'a pas accepté soeur Julie !
Est-il instant plus beau, plus grand, plus solennel,
Que cet instant, haussant la soeur au rang de mère ?
Cela fut fait sans crainte, et presque avec bonheur.
Celle qui n'a pas eu de Plutarque ou d'Homère,
Porte le signe saint de : « Notre croix d'honneur »,
Car, la règle de l'ordre, impérieuse et douce,
Ne donne rien aux soeurs qui doivent ignorer
La vanité, comme un ruisselet sous la mousse :
Ma soeur, c'est le couvent que l'on a décoré !
Vénérons ce couvent où vécut soeur Julie.
Sacrilège, incendie, et vous, morts exhumés,
Vous n'êtes que la fange et la tourbe et la lie
D'où la suave fleur devait tout parfumer.
René d'AVRIL.
NOS PROGRÈS
CONTINUENT
sur tout l'immense front
Bordeaux, 12 octobre, 16 h. 15.
A NOTRE AILE GAUCHE
Les actions de cavalerie continuent dans la région
de la Bassée-Estaires-Hazebrouck.
Entre Arras et l'Oise, l'ennemi a tenté plusieurs
attaques qui ont échoué, notamment entre Lassigny et
Roye.
AU CENTRE
Nous avons marqué quelques progrès sur les plateaux
de la rive droite de l'Aisne, en aval de Soissons,
ainsi qu'à l'est et au sud-est de Verdun.
A NOTRE AILE DROITE
Dans les Vosges, l'ennemi a attaqué de nuit, dans la
région de Ban-de-Sapt, au nord de Saint-Dié.
Il a été repoussé.
GLORIEUX TROPHÉE
Le drapeau pris hier, près de Lassigny, appartient
au 6e régiment d'infanterie actif poméranien n° 49,
du 2e corps d'armée prussien.
NOS MATELOTS A L'oeUVRE
La brigade des fusiliers marins a été engagée
pendant toute la journée du. 9 et la nuit du 9 au
10, contre des forces allemandes qu'elle a
repoussées en leur infligeant de fortes pertes : 200
tués, 50 prisonniers.
Les pertes françaises sont seulement de 9 tués, 39
blessés, un disparu.
Toujours plus
avant
Paris,
13 octobre, 2 h. 14 matin.
Le communiqué officiel du 12 octobre, 23 heures, dit
:
Aucun renseignement de détail. Violentes attaques
sur le front.
Sur beaucoup de points, nous avons gagné du terrain.
Nous n'en avons perdu, nulle part.
Notre Offensive
a progressé
SUR DIVERS POINTS
Bordeaux, 13 octobre, 16 h. 25.
A NOTRE AILE GAUCHE
Nos forces ont repris l'offensive, dans les régions
d'Hazebrouck et de Béthune, contre des éléments
ennemis composés, en majeure partie, de cavalerie,
venant du front Bailleul-Estaires-La Bassée.
La ville de Lille, tenue par un détachement
territorial, a été attaquée et occupée par un corps
allemand.
Entre Arras et Albert, nous avons fait des progrès
marqués.
AU CENTRE
Nous avons progressé dans la région de Berry-au-Bac
et avancé légèrement vers Souain, ainsi qu'à l'ouest
de l'Argonne et au nord de Malancourt (entre Argonne
et Meuse).
Sur la rive droite de la Meuse, nos troupes, qui
tiennent les Hauts-de-Meuse, à l'est de Verdun, ont
avancé au sud de la route de Verdun à Metz.
Dans la région d'Apremont, nous avons gagné un peu
de terrain à notre droite, et repoussé une attaque
allemande à notre gauche.
A NOTRE AILE DROITE
En Vosges et Alsace, pas de changement.
En résumé, la journée d'hier a été marquée par un
progrès sensible de nos forces sur divers points du
champ de bataille.
Notre avance
continue
Paris,
14 octobre, 1 h. 30.
Le communiqué officiel daté du 13 octobre, 23
heures, dit :
Rien à signaler, sinon une avance assez notable dans
la région de Berry-au-Bac.
COMMENT LES
ALLEMANDS
repassèrent la Meuse
Nancy,
13 octobre.
De récents communiqués ont indiqué que les troupes
allemandes avaient été contraintes de repasser la
Meuse. Voici une phase de cette action, dans
laquelle nos chasseurs alpins prirent une part
glorieuse et décisive :
Le 26, la pointe de l'armée de Metz réussissait à
passer la Meuse. En réalité, c'était une simple
avant-garde qui, par surprise, s'était ouvert
passage en un point faible de la Meuse, sans réussir
à faire suivre sur la gauche ni train, ni
artillerie.
Mais le 30, nous étions informés qu'une compagnie de
pontonniers arrivait du nord de la Woëvre, avec tous
ses équipages. L'armée de Metz allait, tenter
l'impossible pour fortifier ses nouvelles-positions
de la rive gauche, en faisant traverser la Meuse à
ses pièces lourdes. Ce à quoi notre état-major
décida de s'opposer.
Le 30 au soir, une batterie d'artillerie de montagne
et deux projecteurs prenaient la direction de ... Un
bataillon de territoriaux appuyait nos alpins. Ces
forces restreintes avaient l'avantage de pouvoir
passer partout et risquaient de surprendre
l'adversaire, mieux que n'eût fait une troupe
nombreuse.
A dix heures, par une nuit profonde, le détachement
se mit en marche. Evitant les routes, que pouvaient
occuper des sentinelles ennemies, nous nous jetions
résolument en plein bois, guidés par un vieux garde
forestier. Deux heures durant, nous cheminâmes par
des sentiers invraisemblables coupés de fondrières.
Mais le pied sûr des mulets alpins dédaignait
allègrement troncs d'arbres et fossés.
A minuit, sans avoir été signalés, nous atteignions
les avant-postes ennemis. Nous étions à peine à deux
kilomètres de la Meuse. Il fallait agir avec
célérité. Tandis que nos alpins montaient leurs
canons sur notre gauche, les territoriaux, au signal
donné, s'élançaient sur la grand'garde allemande.
Celle-ci, surprise en plein sommeil, incapable de se
rendre compte à quelles forces elle avait affaire,
se repliait bientôt vers le fleuve. Aveuglé par le
rayon des projecteurs, bousculé par nos baïonnettes,
ahuri par nos clameurs, l'ennemi était pris de
panique. Il ne s'agissait point pour nos fantassins
d'engager un combat en règle, il suffisait par notre
attaque de procurer dix minutes de sécurité à nos
pièces de montagne. Ces dix minutes devaient suffire
à nos alpins pour accomplir leur tâche. Guidé par le
projecteur, un premier obus siffla, mais le coup,
trop long, porta dans la rivière. Le second
projectile, lui, en tombant, donna un bruit sourd.
Il avait touché juste. De nos quatre pièces alors
fusèrent Les obus en rafale : le pont ennemi, crevé,
disloqué, en miettes, ne fut plus bientôt qu'un amas
de bois informe qui s'en allait à la dérive. La.
destruction du pont avait demandé moins de deux
minutes.
Avant que l'ennemi eût tenté une contre-attaque, les
canons étaient déjà en place sur les mulets et nos
territoriaux, en bon ordre, avaient gagné le versant
de la colline. Deux heures plus tard, la petite
troupe rentrait au camp.
Le lendemain de cette affaire, l'armée de Metz,
incapable de tenir sur la gauche du fleuve,
dépourvue qu'elle était d'artillerie et d'équipages,
repassait d'elle-même la Meuse.
LE « CORDON
BICKFORD »
nous débarrasse des Obus
Nancy,
13 octobre.
L'équipe de sapeurs du génie qui parcourt les champs
de bataille aux environs de Lunéville a fait sauter
samedi l'obus tombé dans un lit aux nouvelles cités
ouvrières de Blainville-la-Grande.
Les dégâts ont été moins considérables qu'on ne
l'eût pensé, et cela grâce aux précautions prises.
On a amorti le choc avec des matelas. Seules trois
ou quatre cloisons et une partie de la fenêtre ont
été mises en lambeaux.
Toute la journée, les échos des alentours ont
retenti du bruit formidable de la détonation d'obus
perdus ou non explosés. Mais il en reste encore
beaucoup dont on n'a pas repéré la place et
pourront, un jour ou l'autre, causer des accidents.
Que les cultivateurs y aient l'oeil.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
A ARRACOURT
Nancy,
13 octobre.
Un de nos confrères a pu recevoir les nouvelles
suivantes d'Arracourt :
« Arracourt a subi toutes les tristesses de
l'occupation allemande : bombardement, menaces,
vexations, défense absolue de sortir du village, et
la faim surtout. Aucune des récoltes : blé, avoine,
pommes de terre, n'a pu être rentrée. Trois semaines
durant, les habitants n'ont eu à manger que du pain
allemand et maintenant encore que les Prussiens, à
part quelques patrouilles de uhlans, ont évacué le
pays, c'est la misère noire.
« Comme habitants, il ne reste plus que quelques
vieillards, les femmes et les enfants. Quatorze
otages ont été emmenés par les Allemands : M. le
curé, le maire, le juge de paix, le percepteur et
tous les conseillers municipaux.
« La gendarmerie est brûlée, l'église, le château et
quelques maisons particulières ont été endommagés
par les obus.
« L'aumônier allemand faisait défense aux habitants
de prier pour la France et les soldats répétaient
tous : « Vous... bientôt Allemands ! »
« A Juvrecourt, le village voisin, M. le curé
Jacquot a été ligoté à un arbre dans le parc du
château cependant que, sous ses yeux, les Prussiens
se livraient au pillage et jetaient tous les meubles
dehors.
On ne sait ce que M. le curé de Juvrecourt est
devenu. »
LES MORTS
GLORIEUSES
Nancy,
13 octobre.
Nous avons le regret d'apprendre la mort d'un de nos
concitoyens, M. Léon Bernardin, capitaine au 67e
d'infanterie, à Soissons, tombé au champ d'honneur,
sur l'Ornain, le 7 septembre, et qui vient de mourir
des suites de ses blessures, à l'hôpital de
Bar-le-Duc.
Il était âgé de 36 ans.
M. Bernardin, devant qui s'ouvrait le plus bel
avenir militaire, était très connu aussi dans le
monde littéraire.
Brillant élève de notre lycée, il était un des
fondateurs du Couarail, la jeune académie lorraine,
et dirigeait une publication littéraire fort
appréciée, « la Revue de la Pensée ».
Son père est le négociant bien connu de la rue des
Quatre-Eglises, à Nancy. Nous le prions d'agréer,
ainsi que toute sa famille, l'expression de nos
condoléances attristées.
NOS
APPROVISIONNEMENTS
Nancy,
13 octobre.
M. Antoine, conseiller municipal, est rentré samedi
à Nancy, après un voyage de six jours ayant pour but
le ravitaillement de la ville de Nancy en denrées
alimentaires.
Il semble que les projets de M. Antoine se sont
réalisés avec beaucoup de peine.
L'approvisionnement en sucre, notamment, s'est
heurté à d'insurmontables difficultés :
- Toutefois, nous dit l'honorable délégué aux oeuvres
sociales, j'ai profité de mon passage à Paris pour y
visiter les Halles Centrales. Je me suis assuré que
les prix actuellement pratiqués sont presque tous
supérieurs aux prix du marché de Nancy. oeufs,
légumes, viande, y sont vendus plus cher qu'ici. »
Pour le transport des marchandises, ce n'est pas
précisément par excès de vitesse que pêchent les
trains. M. Antoine nous conte une histoire de veaux
qu'il s'agissait d'amener aux abattoirs de Nancy :
- Pour que le vendeur soit autorisé à amener son
bétail dans la gare expéditrice, le client doit
aviser naturellement la compagnie de chemin de fer.
Une commission de réseau étudie la demande, puis, en
cas de réponse favorable, elle établit un bon de
réquisition que l'acheteur adresse à son
fournisseur. Si l'on ajoute la complication de ces
indispensables formalités aux lenteurs du service
postal, vous vous rendrez compte qu'avant même
d'être embarqués pour Nancy, les malheureux veaux
ont le temps de tirer la langue. »
Pendant son séjour en Bourgogne, M. Antoine a causé
partout une surprise profonde en annonçant que les
relations avec la capitale lorraine n'ont jamais été
interrompues :
- Les commerçants du pays refusaient, dit-il, de
croire qu'une dépêche pour Nancy serait transmise à
son adresse. Jamais on ne se fût avisé de nous
proposer la moindre affaire. Tout le monde partage
cette opinion que Nancy est encerclée par les
Allemands, séparée du reste de la France, et mes
démarches en vue de ravitailler la ville
provoquaient l'étonnement général. »
Il n'y a pas lieu, vraiment, de trouver étrange
cette version, quand on constate que
l'administration des P.T.T. elle-même ignore
qu'entre Dijon et Nancy ses services sont capables
de fonctionner régulièrement.
Que serait-ce si M. Antoine avait fait sa tournée
dans les Charentes ? Il eût rencontré là-bas - dans
une localité que nous pourrions citer - un receveur
connaissant assez bien la géographie pour lui
répondre sur un ton goguenard :
- Télégraphier à Nancy. Monsieur aime sans doute la
plaisanterie. Monsieur oublie que l'Allemagne a
déclaré la guerre et qu'on ne reçoit plus de
dépêches pour le pays de Guillaume. » - L. C.
NOS MORTS
Nancy,
13 octobre.
Depuis un certain temps, le bruit avait couru que M.
Lacroix, le greffier en chef de notre tribunal
civil, lieutenant de réserve au 226e d'infanterie,
avait été tué, mais ses amis gardaient toujours un
espoir, cette nouvelle n'étant pas encore
officielle. Il faut, hélas ! se rendre aujourd'hui à
la triste réalité, car, plusieurs journaux de Paris
publient l'avis suivant :
« Un service funèbre sera célébré jeudi prochain 15
octobre, à la mémoire de M. André Lacroix,
lieutenant au 226e d'infanterie, greffier en chef du
tribunal de Nancy, fils du sous-chef de bureau au
ministère des finances, mort au champ d'honneur le
25 août. »
LE CAPITAINE
KLIPFEL
Nancy,
13 octobre.
Tous les journaux ont rapporté l'héroïque randonnée
d'une compagnie d'infanterie qui, séparée de son
régiment, a rejoint l'armée française, vivant
pendant quinze jours au milieu de l'armée allemande,
se cachant quelquefois, combattant souvent. A bon
droit, son chef, le capitaine Klipfel, du 332e,
vient d'être porté à l'ordre du jour de l'armée.
« Coupé des troupes françaises, dit la citation, il
a réussi par son énergie à rallier avec sa compagnie
grossie d'une cinquantaine d'isolés, le 2e corps
d'armée, après avoir traversé, au prix des plus
grandes difficultés, les lignes de marche de l'armée
allemande. »
Il est agréable à un ami d'études du capitaine
Klipfel de dire qu'il est un ancien élève du lycée
de Nancy. Sa mère et sa soeur habitent encore notre
ville. Klipfel fut successivement lieutenant au 94e
à Bar-le-Duc, puis capitaine au 132e à Reims. Voilà
quelques années, il s'était fait admettre dans la
réserve spéciale et avait pris la direction de
l'importante verrerie de Fains.
Parmi tant de braves, tant de héros, Klipfel vient
de prendre une belle place. Nancy et notre vieux
bahut peuvent être fiers de lui. - L. S.
BRAVE PETIT NANCÉIEN.
Nancy,
13 octobre.
Il y a actuellement à l'ambulance de la Soie, à la
Croix-Rouge, un tout jeune adolescent qui a été
blessé en faisant le coup de feu.
Il se nomme André Lange; est né le 1er juin 1898 ;
il a donc, par conséquent, seize ans.
Le premier jour de la mobilisation, il est parti de
chez ses parents, rue Notre-Dame, à Nancy, et a
suivi un régiment de ligne qui allait au front. Il
resta quinze jours avec les soldats et prit part à
plusieurs engagements.
Le 23 septembre, à il transporta à l'aide d'une
brouette et sous le feu de l'ennemi, une vingtaine
de blessés, dont un capitaine, et tua un Allemand
d'un coup de baïonnette.
Il fut atteint d'un éclat d'obus au pied gauche.
Evacué sur Besançon, il fut ensuite envoyé à Laon.
Sa blessure est presque cicatrisée. Son désir serait
de retourner au front, mais il est probable qu'il
sera renvoyé dans sa famille.
TAXE DU PAIN
Le Maire
de la Ville de Nancy,
Vu son arrêté du 2 août 1914, qui établit comme suit
la taxe du pain :
« Le pain blanc en miche ronde, de un ou deux kilos,
de première qualité, sera vendu à 0 fr. 42,5 le
kilogramme au maximum ;
« Le pain percé ou en couronne sera vendu 0 fr. 45
le kilogramme au maximum » ;
Attendu que le cours des farines qui était alors de
37 francs, est actuellement de 42 francs, et
qu'ainsi cette hausse doit produire une répercussion
sur le prix du pain ;
Arrête :
Article premier. - A partir de vendredi 16 octobre
1914, le prix du pain sera ainsi fixé :
Le pain blanc en miche ronde de un ou deux kilos, de
première qualité, sera vendu 0 fr. 45 le kilogramme,
au maximum ;
Le pain percé ou en couronne sera vendu 0 fr. 47,5
le kilogramme, au maximum ;
Article 2. - A défaut de pain en miche ronde, le
boulanger devra vendre du pain percé au prix du pain
rond.
Article 3. - La pesée du pain est obligatoire.
Article 4. - M. le Commissaire central de police est
chargé d'assurer l'exécution du présent arrêté.
Nancy, le 14 octobre 1914.
Le Maire :
G. SIMON.
NOTA. - Le présent arrêté devra être affiché en
permanence dans les boulangeries.
LA VENTE DE
L'ABSINTHE
EXTENSION DE LA MESURE
aux « Boissons similaires » et au Colportage
Nous,
Préfet de Meurthe-et-Moselle
Vu notre arrêté du 17 août 1914 prononçant
l'interdiction de la vente de l'absinthe,
Vu les instructions de M. le ministre de l'intérieur
en date du 5 octobre 1914,
Arrêtons:
Article premier. - Les dispositions de notre arrêté
du 1er août 1914, portant interdiction de vente de
l'absinthe dans les débits de boissons, sont
applicables, au même titre et sous les mêmes
sanctions aux « boissons similaires » visées par les
lois des 30 janvier 1907 et 26 décembre 1908.
Le colportage de l'absinthe et des « boissons
similaires » est également interdit.
Article 2. - MM. les sous-préfets, maires, adjoints,
commissaires de police, la gendarmerie et tous
agents de la force publique sont chargés d'assurer
l'exécution du présent arrêté qui sera publié et
affiché dans toutes les communes du département.
Nancy, le 14 octobre 1914.
Le Préfet :
Signé : L. MIRMAN.
Un « Taube »
SUR NANCY
Nancy,
14 octobre.
Hier, vers neuf heures un quart du mâtin, un « Taube
», survolant Nancy, a lancé trois bombes qui sont
tombées dans la gare, entre le pont de Mon-Désert et
le pont du Montet.
Le premier engin est tombé dans les voies de garage,
creusant un trou en. terre peu profond.
En explosant, les projectiles atteignirent un wagon
de première classe ; les vitres du dernier
compartiment furent brisées et les tôles,
traversées.
Fait curieux, un rail, fut entièrement traversé par
un des projectiles.
Le second engin est tombé sur le quai devant la
guérite des hommes d'équipe.
Un trou fut encore creusé dans le sol :des fils
télégraphiques furent coupés.
Enfin, la dernière bombe s'est abattue sur les
voies, à quelques mètres du pont de Mon-Désert,
brisant simplement le marche-pied d'un wagon de
marchandises.
Trois employés ont été blessés, M. Georges Mougeotte,
âgé de 56 ans, rue Erckmann-Chatrian, contusionné à
la tête et à la jambe ; Julien Peroufle, 48 ans, rue
Ferry-III, est atteint à la hanche ; Julien Masson,
40 ans, blessé à la jambe gauche.
L'apparition de l'avion allemand avait suscité en
ville un vif mouvement de curiosité.
NOS MORTS
GLORIEUSES
Nancy,
14 octobre.
Le Général Sibille Nous avons le regret d'apprendre,
d'une source que nous croyons sûre, bien qu'elle ne
soit pas officielle, la mort du général Sibille, qui
possédait tant de sympathies, à Nancy et dans toute
notre région.
Le général Sibille a été tué, le 27 septembre, sur
un des champs de bataille de la Woëvre, et les
détails de sa fin glorieuse sont donnés dans une
lettre de l'aumônier qui l'a assisté à ses derniers
moments.
« C'est en chargeant à la tête de sa division, - le
général Sibille venait d'être nommé, en effet,
divisionnaire par intérim - pour l'entraîner dans
une attaque très difficile, qu'il est tombé, frappé
par un obus et couvert d'éclats.
« Il n'a plus repris connaissance.
« Son corps a été enfermé dans un cercueil, et a été
inhumé vers le mur nord du cimetière de Mandres-aux-Quatre-Tours.
Une croix porte son nom et son grade. II a été
inhumé par l'aumônier Birot, qui l'aimait
particulièrement, comme tous ceux qui l'ont connu. »
Officier d'une grande valeur, il était adoré de ses
hommes, et son souvenir restera vivant au 26e
d'infanterie, dont il était, récemment encore,
colonel, avant d'aller commander une brigade à
Rodez.
Ses concitoyens de Sarreguemines lui feront
certainement de grandioses funérailles, lorsque la
victoire nous aura rendu notre chère
Alsace-Lorraine.
Le Commandant
Mercuzot
Parmi
les pertes qui frapperont aussi le plus
douloureusement Nancy et la Lorraine, il faut citer
celle du commandant Jean-Simon Mercuzot, du 279e,
tombé à la tête de son bataillon, au combat de
Courbesseaux.
Le commandant Mercuzot, qui fut longtemps capitaine
au 69e, était très connu à Nancy, où il ne comptait
que des sympathies. Il était né à Montoillot
(Côte-d'Or), le 24 mars 1863.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
Xermaménil. - M. Emile Hogard, maire de Xermaménil,
nous déclare que, contrairement à ce qu'on a
prétendu, il est resté dans sa commune pendant
l'occupation allemande.
Nous regrettons que l'on ait rapporté le bruit de
son départ, et nous le félicitons très sincèrement
de sa vaillante énergie.
LE SOUS-PRÉFET
DE BRIEY
Du Temps
:
On sait que les Allemands ont occupé Briey dès le
quatrième jour de la guerre ; la ville fut aussitôt
enfermée dans un cercle de sentinelles qu'on ne
pouvait franchir sous peine d'être fusillé. M. André
Magre, le sous-préfet, était à son poste, et il
défendit, pendant tous les jours qui suivirent, les
intérêts de ses administrés, avec un dévouement
au-dessus de tout éloge. Mais le 20 août, comme il
semblait y avoir un mouvement d'évacuation des
troupes allemandes dans la région, il résolut d'en
profiter pour télégraphier à son préfet, et porter
le courrier des habitants isolés de la France depuis
seize jours. Accompagné de son ami, M. W...,
pharmacien, il partit en automobile pour Etain, dont
le bureau de poste fonctionnait encore, et il revint
quelques heures après à son poste.
Le lendemain matin, un peloton de uhlans, commandé
par un capitaine, arrive au galop à la pharmacie de
M. W... Celui-ci sort sur sa porte.
- C'est bien vous qui avez accompagné à Etain le
sous-préfet de Briey ? lui demande l'officier.
- Oui, répond-il.
Aussitôt, sans autre explication, on le pousse
contre un mur, et devant sa femme et ses enfants qui
étaient sortis avec lui, on le fusille. Les
habitants, témoins de la scène, ayant entendu le
capitaine donner l'ordre aux uhlans de se rendre
chez le sous-préfet, purent les précéder et prévenir
M. André Magre, quelques minutes avant l'arrivée des
Allemands. Le sous-préfet de Briev put se retirer en
automobile à l'instant précis où les uhlans
apparaissaient à quelques mètres de sa demeure.
LES AVIONS
ALLEMANDS
nous rendent visite
Nancy,
15 octobre.
En même temps qu'ils lançaient sur la gare de Nancy
leurs trois bombes, nos visiteurs aériens
détachaient de leur appareil une longue banderole
aux couleurs allemandes roulée autour d'une hampe
creuse, espèce d'étui fermé par un bouchon de liège.
Poussée par le vent, cette oriflamme alla tomber
dans les parc de la tonnellerie Fruhinsholz, au
faubourg Saint-Georges, où elle fut ramassée
quelques instants après par un factionnaire de la
gare voisine qui avait suivi des yeux la chute du
mystérieux objet.
L'oriflamme mesurait exactement 1m40 de longueur sur
0m15 de largeur à la hampe. Sur la partie centrale -
en blanc - étaient écrits ces mots :
Une salutation un peu excentrique à Nanzig, la ville
bientôt allemande.
Fléeger Meldung.
Les off, aviateurs du 3e esc. de Bavière.
Noir Blanc Rouge
On déboucha la hampe et on lut la phrase suivante,
dont nous respectons le texte :
Ubfender 1te Melg. Ort. Pat. Bert
Les off. av. 2000 Mt au 13 de 3e esc. de adegegangen
dessus de 10 Bavière Nanzig Ungelommen Je ne sais
pas 14
Malheureusement empêchés de rendre visite, il ne
nous reste que vous envoyer par cette manière pas
assez quotidienne nos salutations pleines
d'amabilité et de poudre.
Les off. av. de 3e esc. de Bavière, VIMMER.
SCHNEIDER.
Procès-verbal fut aussitôt dressé de cette
trouvaille par la police, puis la banderole rouge,
blanche et noire fut envoyée à la place de Nancy.
Les aviateurs bavarois s'éloignèrent, comme nous
l'avons dit, dans la direction du nord.
Quelques chefs de poste, tout en se conformant aux
instructions leur enjoignant d'observer la plus
grande circonspection dans l'usage de leurs armes
contre les avions, commandèrent le feu sur le Taube;
mais les Nancéiens purent suivre à l'horizon la
disparition de l'appareil qui s'élevait
progressivement.
Il n'alla pas loin et ne monta guère plus haut.
Un officier d'état-major prévenait bientôt le
caporal ... du ...e territorial, qui annonça que le
poste de Champigneulles avait tiré environ 120
cartouches, que le but avait été atteint, que l'aile
gauche de l'avion allemand était déchiquetée, que la
moteur avait explosé et qu'enfin les deux pilotes
étaient carbonisés.
D'autre part, des artilleurs du fort de Frouard
avaient accueilli le passage du Taube par une salve
terrible et que l'honneur de l'avoir descendu en si
piteux état revenait à la précision autant qu'à la
rapidité de leur tir.
Dans le courant de l'après-midi, une automobile
emmenait vers Nomeny des officiers chargés
d'enquêter sur les faits que nous venons d'exposer
et d'en préparer un rapport circonstancié.
Nous n'avons pu recevoir dans la soirée nulle
confirmation officielle ; mais la sincérité, le
caractère et l'abondance des témoignages nous
donnent à penser que leur exploit d'hier matin eut
une fin que les mauvais plaisants Vimmer et
Schneider n'avaient certainement pas prévue.
Nancy peut vivre tranquille ; il est fort probable
que le troisième escadron de Bavière montrera fort
peu d'empressement à venger ses lieutenants en
bravant le feu de nos territoriaux et des canons.
ACHILLE LIEGEOIS.
LE TAUBE DE
MARDI
Nous
recevons la lettre suivante, le 15 octobre 1914 :
Voulez-vous me permettre d'ajouter au récit de
l'agression du taube bavarois que je viens de lire
dans votre journal ce complément d'informations qui
fera probablement plaisir aux Nancéiens :
« L'oiseau de malheur qui a survolé Nancy mardi
matin, jeté trois bombes, fait trois victimes, n'est
pas allé loin.
En se retirant vers le nord, il a été aperçu par les
mitrailleurs qui ont dirigé sur lui un feu nourri et
par les détachements d'infanterie qui occupent la
vallée de la Seille.
« Leur tir fut efficace. Le moteur cessa bientôt de
ronfler et tel un cerf-volant dont on aurait coupé
la ficelle - selon l'expression d'un de nos braves,
camarades - l'avion désemparé, après avoir passé
au-dessus de la ferme des Francs, de la ferme de la
Borde et de Nomeny, dont il rasa les toits ruinés,
alla s'abattre entre Raucourt et Mailly, au pied du
Belvédère de Ressaincourt.
« Il prit feu aussitôt et l'on suppose que les
aviateurs ont péri avec leur appareil.
« L'agression dont votre ville a été victime mardi a
donc été promptement vengée. C'est au ...e régiment
d'infanterie qu'elle le doit. »
LES BLESSÉS
Mercredi, nous avons fait prendre des nouvelles des
victimes des bombes lancées par le Taube, mardi
matin.
Toutes trois sont soignées à l'ambulance du lycée
Henri-Poincaré. Leurs blessures sont sans gravité et
pour aucun d'eux une issue fatale n'est à redouter.
LA GARE DE
LÉROUVILLE
bombardée
Nancy,
15 octobre.
Lundi 12 octobre après midi, la gare de Lérouville a
été bombardée par les batteries allemandes,
installées sur les Hauts-de-Meuse.
Un camionneur qui prenait livraison de marchandises
arrivées par un train, a été tué ainsi que les deux
chevaux, attelés au camion.
Un employé de la gare est mort également des suites
d'un éclat d'obus.
Un convoi qui arrivait en gare fut endommagé; la
locomotive qui le conduisait reçut un projectile sur
le côté ; néanmoins elle put rebrousser chemin et
partir.
Cinq vaches destinées à être embarquées ont été
mises en morceaux. Des dégâts sérieux ont été
constatés sur la voie, dans la gare, etc.
La circulation des trains a été, dès ce moment,
interrompue.
Le bombardement a, d'ailleurs, repris les jours
suivants.
On signale la belle conduite du commissaire de
service et du chef de gare.
NOS BATEAUX DE
BLESSÉS
Nancy,
15 octobre.
Un journal de Paris, sous le titre « Un bateau pour
les blessés » annonçait récemment qu'une « première
péniche » venait d'être aménagée pour le transport
des blessés. C'est peut-être la première à Paris,
mais en Lorraine il y a six mois que l'on a songé à
transporter par eau nos blessés... et que l'on a
résolu le problème. Tous les Nancéiens ont pu voir
au port Saint-Georges, depuis le 25 août, de
nombreux vapeurs et de nombreuses péniches de
blessés dont certains ont été amenés à Nancy,
d'autres à Champigneulles et encore n'a-t-on vu
qu'une partie des bateaux car pendant quinze jours
les transports, dirigés directement sur
Pont-Saint-Vincent, ne traversaient pas notre ville.
Mais ce que beaucoup ignorent, et ce qui a été
vraiment une innovation des plus heureuses, c'est
qu'on a pu aménager un véritable « hôpital flottant
» composé de trois bateaux d'un type spécial,
servant au transport des sacs de soude en temps de
paix et qui ont un plancher spécial au-dessus de
l'eau. On a installé dans chaque bateau trente lits
complets avec matelas, traversins, draps et
couvertures, avec chauffage, ventilation par six
baies latérales, poste de garde, etc., etc., et ces
bateaux ont rendu les plus grands services. Ils sont
au repos depuis quelques jours, le nombre des
blessés dans notre région ayant diminué ; mais ils
sont là, prêts à être utilisés d'une heure à l'autre
sur n'importe quel point de notre réseau de rivières
et de canaux.
ENCORE UN PAS
EN AYANT
Nous avons avancé sur tout le front, d'Arras au
Sud-Est de Verdun et dans les Hautes-Vosges.
Bordeaux, 15 octobre, 15 h. 50.
A NOTRE AILE GAUCHE
L'ennemi a évacué la rive gauche de la Lys, entre la
Lys et le canal de la Bassée.
La situation est stationnaire dans la région de
Lens.
Entre Arras et Albert, nous avons fait de notables
progrès.
Entre la Somme et l'Oise, aucun changement ; les
Allemands ont canonné notre ligne sans prononcer
d'attaques d'infanterie.
AU CENTRE
Entre l'Oise et la Meuse, nous avons avancé vers
Craonne au nord-est de la route de Berry-au-Bac à
Reims, et au nord de Prunay, dans la direction de
Beine.
Plusieurs tranchées allemandes ont été enlevées.
Entre Meuse et Moselle, après avoir repoussé, dans
la nuit du 13 au 14, des attaques au sud-est de
Verdun, nos troupes ont progressé le 14, au sud de
la route de Verdun à Metz.
A NOTRE AILE DROITE
L'offensive partielle prise par les Allemands dans
le Ban-de-Sapt, au nord de Saint-Dié, a été
définitivement enrayée.
NOS PROGRÈS
CONFIRMÉS
Paris,
16 octobre, 1 heure.
Les nouvelles de la journée indiquent des gains sur
plusieurs points du front.
A l'aile gauche, au nord de la Lys, nous avons pris
Estaires.
Au centre, au nord et à l'est de Reims, nous avons
progressé de près de deux kilomètres. ainsi que sur
les Hauts-de-Meuse, au sud de Saint-Mihiel et près
de Marcheville.
(Marcheville est une petite commune du canton de
Fresnes-en-Woëvre, à 24 kilomètres au sud-est de
Verdun et à 4 kilomètres de Fresnes, sur le Longeau,
qui y reçoit le ruisseau d'Aulnois.)
NOTRE FRONT
s'étend désormais
JUSQU'A LA MER DU NORD
Bordeaux, 16 octobre. 15 h. 35.
Les progrès indiqués dans le communiqué d'hier soir
sont confirmés.
A NOTRE AILE GAUCHE
A notre aile gauche, l'action des forces alliées
s'étend maintenant de la région d'Ypres à la mer.
SOYONS
DISCIPLINÉS
ancy, 16
octobre.
Il faut avoir de la patience et de la discipline.
Tous les jours des amis qui lisent l'Est m'adressent
des « pourquoi» auxquels il est impossible de
répondre.
Pourquoi tous les territoriaux n'ont-ils pas été
appelés ? Pourquoi a-t-on renvoyé certains soldats
que l'on avait habillés ? Pourquoi n'a-t-on pas
recours immédiatement à toutes les forces nationales
pour bouter l'Allemand hors de chez nous ? Et ainsi
à propos de tous les ordres, tous les avis, toutes
les communications qui ont trait à la défense du sol
sacré de la Patrie.
La guerre moderne n'est pas une chose tellement
simple qu'on en règle l'allure avec des solutions
arbitraires.
L'état-major a un plan qu'il exécute avec une souple
énergie, et qu'il modifie suivant les circonstances.
Seul il sait ce qu'il convient de faire, et nous
n'avons qu'à obéir. Il groupe les unités suivant les
besoins, ordonne les recrutements quand ils sont
nécessaires, instruit les citoyens versés dans
l'armée, les envoie ensuite où il veut faire porter
l'effort.
A quoi bon le gêner par un zèle assurément louable,
mais sans doute indiscret ?
Ceux qui désireraient partir tout de suite pour le
front n'ont pas à écouter leur noble désir. Ils
n'ont qu'à attendre les ordres.
On rassemble des millions d'hommes. Il faut, après
les avoir habillés, les nourrir. Des armées
pareilles à celles qui sont en présence ne
s'improvisent pas. Leur organisation demande du
temps et de la méthode.
Cette méthode, les chefs la mettent en pratique
depuis plus de deux mois. Ils n'ont pas le loisir
d'écouter les voeux de celui-ci et les projets de
celui-là.
Soyons bien persuadés que chacun de nous est bien à
sa place là où il est, là où on l'a mis.
Cette place on la lui a choisie depuis longtemps.
Qu'il soit resté civil ou qu'il soit redevenu
militaire, qu'il soit au Nord ou au Sud, à l'Est ou
à l'Ouest, dans un camp ou sur la ligne, aux
ambulances, à l'intendance ou au combat, il est où
l'on a décidé qu'il devait être, où il faut qu'il
soit pour le bon ordre des opérations, et pour le
triomphe définitif de la France.
Certes ce qu'on m'écrit n'est point par esprit de
récrimination. C'est de l'impatience, c'est la
volonté d'agir, c'est du patriotisme.
Or ces qualités, je suis certain que tous les
Français les ont, et même ces défauts, à un degré
que nul autre peuple ne saurait atteindre. Il est
bon de conserver ces qualités, et d'amender les
défauts avec beaucoup de patience et une discipline
stricte.
Le zèle intempestif est, de quelque bon sentiment
qu'il procède, un ennemi de la discipline. Soyons
zélés, mais chacun dans la besogne qui nous est
assignée, au rang où la volonté militaire nous a
placés ou conservés.
Nous sommes dans l'action, même ceux qui ne sont pas
revêtus de l'uniforme. Chacun de nous contribue pour
une faible ou pour une grande part à la défense
nationale. Les uns créent la vie, les autres la
protègent contre toute atteinte de l'ennemi.
Dans les tranchées ou dans les hôpitaux, dans les
bureaux ou dans l'intendance, dans la vie civile ou
dans la vie militaire, chacun a son rôle déterminé.
Tant qu'on lui dit : « Reste ! » il faut qu'il soit
là. Si on lui ordonne de partir, il faut qu'il soit
prêt.
C'est ainsi que je comprends la défense du pays,
avec une discipline absolue, sans une seule
récrimination, enthousiasmé seulement par la
certitude de la victoire du droit appuyé sur la
force des armées et sur le travail et le sang-froid
de la population civile.
Avec un fusil ou avec un outil on combat de même
pour la France, pour l'existence du pays.
La femme qui tricote des chandails pour les
combattants, qui donne ses soins aux blessés,
l'homme qui pétrit le pain, qui tisse des étoffes,
qui forge des armes, celui qui élève l'âme du peuple
vers une destinée plus haute et plus noble, tous,
tous sont utiles à la patrie, avec plus ou moins de
dangers, plus ou moins de gloire, mais d'un même
coeur, d'un même enthousiasme.
Ne soyons donc pas impatients de notre action. Les
chefs l'ont ordonnée au mieux des intérêts communs.
Tout vient à point à qui sait attendre.
Et soyons disciplinés.
RENÉ MERCIER.
DANS LA MEUSE
LA VILLA DE M. POINCARÉ
est presque détruite
Interview de M. le Maire de Sampigny
Nancy,
16 octobre.
Depuis que les barbares ont braqué leurs pièces sur
le Clos, la simple et charmante résidence d'été où
le chef de l'Etat passait ordinairement ses
vacances, on n'avait reçu de Sampigny que des
informations peu sûres que nous nous sommes abstenu
de reproduire.
D'aucuns affirmaient que le coquet village avait
partagé le sort du « Clos » ; d'autres soutenaient,
au contraire, que la sauvagerie teutonne s'était
bornée à l'assouvissement de la plus basse et de la
plus lâche goujaterie par la destruction du cottage,
dont la façade aux vives couleurs éclate dans
l'épaisse verdure des sapins qui l'ombragent.
Nous avons eu la bonne fortune de rencontrer à Nancy
le maire de Sampigny, le sympathique M. Godin, qui
s'est empressé de nous rassurer sur le sort de ses
administrés.
- La commune n'a guère souffert, nous déclare M.
Godin, Çà et là quelques toitures ont été
endommagées. Un point, c'est tout. Ni l'église, ni
l'hôtel de ville, ni le château qui sert de caserne
aux chasseurs à cheval n'ont reçu de bombes
« Est-ce à dire que le pays goûte une absolue
tranquillité ? N'allez pas le croire. Les Prussiens
se tiennent du côté de Saint-Mihiel ; ils occupent
les crêtes et les bois; leur artillerie nous envoie
des pruneaux de temps à autre, histoire de nous
rafraîchir la mémoire, car ces messieurs seraient
désolés qu'on oublie leur aimable voisinage. Les
obus font plus de bruit que de besogne ; ils,
tombent dans les champs sans causer de sérieux
dommages.
« Mais le Clos du Président est, en revanche, un
monceau de ruines. Les Boches se sont acharnés. Les
coups, de leur artillerie étaient d'une précision
terrible. Les obus entraient dans la véranda dont
les vitres volèrent naturellement en éclats dès le
premier coup ; puis une explosion pulvérisait tout
ce que le salon, la bibliothèque, le cabinet de
travail contiennent de rare et de précieux.
« J'ai fait placer une sentinelle à proximité de la
villa avec la consigne formelle de ne laisser
approcher âme qui vive.
« De loin, quand on considère le Clos, il garde, ma
foi, son apparence de retraite paisible ; la plupart
des volets sont intacts ; on n'aperçoit pas les
détériorations qui ont principalement ravagé toutes
les parties intérieures de l'habitation.
« Nous avons essayé de sauver des papiers, quelques
tableaux ; mais l'aspect du Clos attriste comme le
spectacle d'un désastre »
En ce qui concerne la situation dans la vallée de la
Meuse, nous obtenons de M. Godin quelques
renseignements sur l'occupation allemande à
Saint-Mihiel.
L'ennemi n'a pas quitté un seul jour cette petite
ville de garnison depuis qu'il y fit son entrée au
milieu d'une effroyable panique de la population.
Les habitants et ceux des villages voisins se sont
réfugiés à Commercy, où MM.
Grosdidier, maire et sénateur ; M. l'adjoint
Garnier, conseiller général de Void ; M. le
sous-préfet Vallat et M. Cacheux, commissaire de
police, unissent leurs patriotiques efforts pour
consoler tant de deuils et pour soulager tant de
misères.
LUDOVIC CHAVE
L'oeUVRE DES
BARBARES
Incendies et Pastilles incendiaires
Nancy,
16 octobre.
La guerre traîne après elle toutes sortes de
calamités, dont les incendies. Mais il y a incendies
et incendies, comme il y a fagots et fagots.
Qu'un immeuble s'embrase à la suite d'un
bombardement, il semble qu'il n'y ait rien à dire,
mais qu'on propage le feu à plaisir, histoire de
faire le mal, voilà qui dépasse et confond
l'imagination.
Or, les « Boches » sont passés maîtres dans l'art
d'allumer ces brasiers. Ils s'y complaisent et
mettent tout leur orgueil à laisser loin derrière
l'exécration qui s'attache depuis des siècles au nom
d'Erosbrate, l'incendiaire du temple d'Ephèse. Ils
ont dépassé son forfait en brûlant presque à petit
feu, notre admirable cathédrale de Reims.
Mais savez-vous comment ils s'y prennent pour
déchaîner ainsi des flammes inextinguibles ?
On les a vus, récemment, à l'oeuvre à Lunéville où
des quartiers tout entiers, des maisons
particulières témoignent de leur oeuvre dévastatrice.
Quand ils ont tiré au sort l'immeuble qu'ils doivent
brûler, allez, ce n'est pas long. Ce ne sont pas les
moyens qui leur manquent.
Avec une pompe à main et un bidon de pétrole, ils
arrosent les sous-sols et l'enflamment avec des
pastilles incendiaires.
En avez-vous vu ? On en trouve encore à Lunéville
par centaines, par milliers, dans les soupiraux des
caves. Il est plusieurs sortes de ces pastilles
incendiaires.
Figurez-vous de petits carrés noirs, que, le soir,
on prendrait pour des bonbons de réglisse ou des
carrés de terpinol, ce terpinol honnête devant
lequel aucun rhume, aucun enrouement ne résiste.
Avec une espèce de corne d'abondance peinte en rouge
et au manche noir, les Allemands vous les lancent
sur le foyer qu'ils ont allumé..
Et ces petits carrés, ces pastilles brûlent,
voltigent, répandant l'incendie. à coeur-joie.
Nous avons vu de ces pastilles. Un de nos amis de
Lunéville nous en a apporté à l'Est Républicain et
nous avons fait cette expérience.
Sur une assiette, elles sont là les pastilles
traîtresses. Approchez-en une allumette. Et les
voilà qui prennent feu, faisant jaillir les
étincelles, tournoyant comme ces « soleils » dont,
enfants, nous aimions à acheter des paquets pour
célébrer une solennité quelconque de famille. Elles
brûlent avec la rapidité de la poudre !
Mais si la poudre, quand elle s'est consumée, laisse
après soi des espaces intacts, une sorte de légères
scories, des cendres, avec les pastilles
incendiaires, rien de semblable. Elles ne laissent
absolument aucune trace, aucun résidu. C'est le «
summum » de l'art. En vain, aussi, voudriez-vous
chercher à les éteindre en les écrasant du pied ?
Elles ne font que propager l'incendie.
On comprend donc que rien ne leur résiste. D'autres
pastilles ont la forme de rondelles percées d'un
trou au milieu, comme les nouvelles pièces en nickel
de 25 centimes. Les Prussiens en font des chapelets
dont on connaît maintenant la destination et dont
chaque grain, au lieu d'être une prière, est un acte
diabolique.
De quelle composition sont faites ces pastilles ?
Aux chimistes français de les analyser. En tous cas,
ce doit être une substance très malléable, puisqu'on
en fait une pâte qu'on étire, tel du macaroni. Les
Barbares mettent de la coquetterie à en varier la
forme.
On nous montrait, hier, de ce « macaroni » infernal,
à l'aspect plombaginé comme une mine de crayon.
Les Allemands ne pourront arguer, devant l'histoire,
qui enregistre chaque jour leurs crimes, que c'est
là de la « bonne guerre ». Ils rappellent ces
pirates de l'ancien temps qui, après avoir pillé le
navire sur lequel ils s'étaient précipités, le
brûlaient afin de ne pas avoir un témoin de leurs
forfaits.
Mais nous doutons que les pirates usassent de ces
pastilles scélérates.
JENNY. AROU.
LE SUISSE
Fusillé à Gerbéviller
Nancy,
16 octobre.
Du « Journal de Genève » :
Nous avons signalé la mort tragique d'un de nos
compatriotes, Bernardo Bernasconi, maître maçon, de
Caprino Lugano, qui, se trouvant à Gerbéviller, près
de la frontière alsacienne, a été fusillé par des
soldats allemands avec une quinzaine de personnes de
nationalité française.
Voici le récit donné par un frère de M. Bernasconi,
qui vient d'arriver au pays, après avoir habité
pendant plusieurs années. Gerbéviller :
Le 23 septembre, les Allemands ont commencé le
bombardement de Gerbéviller.
Les habitants, effrayés, se réfugièrent dans les
caves. Dans la cave de ma maison s'étaient réunies
environ 15 personnes, parmi lesquelles mon frère et
ma femme.
Quand les Allemands arrivèrent devant ma maison, ils
y entrèrent, ordonnèrent aux femmes de leur préparer
à manger.
Les hommes qui se trouvaient à la cave, se croyant
hors de danger, sortirent de leur cachette chargés
de bouteilles et de victuailles qu'ils offrirent aux
soldats.
Après avoir mangé et bu abondamment, les Allemands
firent emmener les femmes hors du village. Les
hommes furent faits prisonniers. Ma femme fut
conduite, avec ses amies, au camp allemand, où elle
resta quelques jours. Puis elle fut remise en
liberté et s'empressa de rentrer à Gerbéviller, où
elle trouva nos deux maisons complètement en ruines.
Ma femme demanda aussitôt des nouvelles de son
beau-frère. Un ami de notre famille, qui est
incorporé dans la Croix-Rouge, lui raconta que les
treize hommes qui s'étaient réfugiés dans ma cave,
et avec eux mon frère, avaient été conduits sur une
colline à peu de distance et fusillés. « Moi-même,
ajouta l'informateur, j'ai enterré le cadavre de
votre beau-frère. »
Parmi les fusillés, il y avait des vieillards âgés
de 62, 65, 72 et même 80 ans !
Ma femme m'écrit qu'un garçon de 14 ans, nommé
Plaid, fut également fusillé par les Allemands,
ainsi qu'une demoiselle de 32 ans, du nom de Périn.
Une dame Finot fut trouvée carbonisée dans sa cave.
Mon frère - a conclu M. Bernasconi - ne pouvait
certainement pas être inculpé d'espionnage, d'abord
parce qu'il était Suisse, puis parce que son
caractère très calme et tranquille écartait tout
soupçon.
NOS MORTS
Nancy,
16 octobre.
Nous apprenons avec regret la mort au champ
d'honneur de M. le lieutenant-colonel Faivre, du 21e
d'infanterie. Fils du général Faivre, âgé seulement
de 45 ans, le vaillant officier avait été cité à
l'ordre de l'armée et nommé lieutenant-colonel pour
sa belle conduite lors des combats des 10 et 11
septembre.
Il était le beau-frère de notre concitoyen M. le
comte Gandelet, qui s'occupe avec tant de dévouement
d'un des hôpitaux organisés à Nancy par l'Union des
Femmes de France.
ET L'ON RIT
Remiremont, 17 octobre. - Un groupe du ...e régiment
du génie cheminait sur la route qui conduit de
Gérardmer à Vagney. Ce qui me frappa tout d'abord,
ce fut la gaîté de tous ces braves hommes et
pourtant ils avaient tous plus de 30 ans, étaient
pères de famille et revenaient des Vosges où l'on
s'était battu.
Je pus interroger un soldat qui me paraissait assez
grave.
« Eh bien ! ce fut dur là-haut ?
« - Un peu. Mais il y a du bon, on les a rejetés
bien au delà de la frontière. Ils ont la vie dure,
ces gens-là. Quand il n'y en a plus, il y en a
encore. Au commencement, ça vous faisait quelque
chose, on avait le son du canon continuellement dans
l'oreille et la nuit, le moindre bruit nous faisait
redouter leurs gros pruneaux.
Mais on s'est vite habitué. Maintenant on n'a plus
d'émotion. Quand il passe un de leurs projectiles,
ont entend un « Oû-Oû ».
- Ça, c'est pas pour nous, qu'on se dit. Puis,
lorsque de l'autre côté vient vers nous un « zi.zi »
: - Ça, c'est pour eux. Et l'on rit.
« Quelquefois, lorsque l'on est à découvert, un «
Attention! » bref nous fait nous jeter à plat
ventre. Un « boum » formidable éclate à dix mètres.
On se relève, on se secoue un peu : « T'as pas de
mal ? - Non ! - Ni moi non plus ! » Et l'on rit
encore.
Puis en avant !. Mais c'est la charge à la
baïonnette qui est horrible. lorsqu'on y réfléchit
après coup. Après être arrivé à peu de distance de
leurs tranchées, on se rue baïonnette en avant. Les
Allemands prennent peur, jettent leur fourniment et
se sauvent. Ils vont si vite qu'on ne peut pas
toujours les piquer dans les reins, ils poussent des
cris terribles, comme des bêtes féroces. Ceux qui
sont surpris se mettent à genoux et lèvent les bras
en criant : « Franzosen ! Franzosen ! » On est comme
fou et la mort vous prend dans un drôle de
transport. Ils n'aiment pas ces charges, les Boches.
Eux-mêmes sont piteux dans leurs contre-attaques à
la baïonnette, quand ils en font ; il y vont sans
entrain, il leur faut de la musique guerrière pour
les pousser. A nous, il ne faut rien.
- Et nos canons, ils font de l'ouvrage paraît-il ?
- Ah! monsieur, si vous voyiez comment nos « 75 »
travaillent, c'est merveilleux ! Tenez, voici un
fait précis. Ma compagnie s'était retranchée dans un
bois. Nous, fûmes trahis par une femme : trois
bataillons allemands vinrent nous cerner. Nous en
abattions, car nous les voyions très bien. Eux ne
pouvaient régler leur tir puisque nous étions sous
couvert. Alors notre poste de T.S.F. transmit notre
situation. Nous étions perdus Le e régiment vint
nous délivrer. Les Allemands s'enfuirent vers le col
de X. très étroit. Toute la nuit que nous dûmes
passer l'arme au pied, le « 75 » tonna. On en
reconnaissait le son joyeux. « Y a du bon ! »
se dit-on. Le lendemain, lorsque nous descendîmes en
tirailleurs, il n'y avait plus D'Allemands, du moins
vivants. Mais des morts, il y en avait des tas
allant aux genoux. On a dû les déplacer pour
retraverser le col. On l'avait échappé belle ; mais
on était content tout de même car nous étions la
cause d'un beau travail.
- Est-il vrai que nos obus leur font tant de mal
dans leurs tranchées ?
- Ce qui a été dit ou écrit là-dessus est vrai. Nous
en avions tant vu que notre capitaine nous fit
compter le nombre des Boches abattus dans une
tranchée. Il y en avait 87. La plupart étaient
légèrement inclinés sur le côté droit, ils avaient
été surpris en train de tirer.
- Combien pensez-vous qu'il y a,
proportionnellement, de morts des deux côtés?
- A mon avis, sur 100 tués, il y a environ 90
Allemands. Ils voulaient absolument forcer nos
lignes des Vosges. Leurs chefs ne tiennent aucun
compte de la boucherie. Voilà pourquoi ils en
perdent tant. Mais ils n'ont pas pu passer, les cols
sont encombrés de leurs cadavres. »
Je quittai mon brave soldat, qui partait « pour une
destination inconnue ». J'ai pensé que sa
conversation, si intéressante pOur moi. serait utile
à nos lecteurs pour leur confirmer une fois de plus
la valeur morale de nos troupes et l'efficacité de
notre fameux 75 qui, au dire d'un officier allemand
ayant été en traitement à l'hôpital de Remiremont, «
devrait être interdit par la Conférence de la Haye.
»
De METZ à NANCY
par l'ALLEMAGNE
le DANEMARK
et l'ANGLETERRE
Un départ précipité. - Première déception. - Les
effroyables nuits. - Nos angoisses. - Sous la menace
du revolver. - Chanter et déchanter. - Un consul
énergique. - La Hollande accueillante
et/enthousiaste. - En Angleterre, Vive la France !
Un
Lorrain de nos amis. vient de subir avec
quelques-uns de nos compatriotes, les mauvais
traitements allemands.
Nous publions son récit détaillé, précis et émouvant
qui est comme une page d'histoire à laquelle nous
nous garderons d'ajouter le moindre commentaire :
Bruits de guerre et Avis
Habitant, depuis plusieurs années, de la Lorraine
annexée, où je possède quelques propriétés, mes
occupations, mon jardin, ma basse-cour, et pêcheur à
la ligne - ma propriété étant traversée par la Nied
- de tout temps je suis resté en très bonnes
relations avec les autorités allemandes.
Les bruits de guerre arrivent. Etant Français, je
m'informe si je dois quitter le pays. On me répond
que n'étant pas considéré comme suspect, je puis
rester.
Je ferai remarquer que nous ignorons tout de la
guerre, même si réellement elle est déclarée. Nous
logeons des soldats allemands et des officiers, mais
ils ne disent rien, quoique beaucoup d'entre eux
parlent très bien le français. Le 15 août dans la
soirée, arrive une dépêche qui dit :
AVIS
« Tous les Français, Russes, Anglais, Belges,
Serbes, Monténégrins domiciliés dans
l'arrondissement de Metz et dans les cantons de
Boulay et de Faulquemont, ont à quitter le rayon de
la forteresse de Metz et ses environs. Pour cela, il
sera mis à leur disposition le train qui quitte, le
17 août, à 3 heures de l'après-midi, la grande gare
de Metz allant dans la direction de Novéant. Les
intéressés devront se réunir dans le vestibule de
l'entrée de la gare, une heure avant le départ du
train. Celui qui sera rencontré après le départ de
ce train dans le rayon de la forteresse, sera traité
en prisonnier de guerre.
« Il est recommandé aux passagers du train d'agiter
des mouchoirs blancs à l'approche des lignes
françaises, afin de se faire reconnaître comme non
combattants.
Les personnes malades et infirmes, qui sont
approvisionnées pour six mois, sont autorisées à
rester ici.
« Metz, le 13 août 1914.
« Le chef de la police militaire :
Général major FREIHERR v. BODENHAUSEN.»
Nous faisons nos préparatifs de départ. Je ferme une
partie de ma maison, où je mets ce que j'ai de plus
précieux : meubles, effets, etc. J'ai ordre de
laisser trois chambres pour loger des officiers,
avec linge de literie, etc., et je mets le tout sous
la garde de quelqu'un.
Le Départ
Nous partons, le 17 au matin, avec le plus
nécessaire pour quelques jours. Pas de malle, le
chemin de fer n'en prenant pas; seulement quelques
colis à la main puisque nous allons à Nancy. On fait
ses adieux, le coeur gros.
A 9 heures, nous prenons le train pour Metz. Il y a
foule à la gare de Kurzel. Arrivée à Metz vers midi
: la foule grossit. A 2 heures nous sommes réunis
dans la grande salle de la gare.
Puis un ordre bref ; nous montons sur le quai, on
nous fait aligner devant un train formé de wagons à
bestiaux. Nous montons et nous nous entassons. On
est plus gai puisque nous allons à Novéant. Ce n'est
pas loin. Aussitôt que nous sommes dans le train,
les soldats arrivent baïonnette au canon et montent
dans chaque wagon.
Le train part... mais dans la direction de
Thionville. La gaîté tombe. Nous avons compris. Le
train roule sur Trèves et nous perdons tout espoir.
Nous sommes prisonniers.
La nuit est horrible. Il y a de tout parmi nous, des
gens très bien, des propriétaires, des familles en
vacances, des Parisiens venus dans leur famille, de
pauvres diables venus de partout, des enfants de
tous les âges, même de quelques jours.
Vers Cologne
Le jour se lève (18 août) sur un pays de plaines. Le
nom des gares où nous passons nous indique que nous
approchons de Cologne, où nous arrivons vers 8
heures du matin. Après avoir fait manoeuvrer le train
plusieurs fois, on nous fait descendre et former une
colonne. Nous devons être à peu près 1.500
personnes.
Entourés de police à pied, à cheval et de soldats
armés, on se met en marche. A travers la ville,
colis à la main. qui sont lourds après une telle
nuit ! La foule crie, hurle. On nous crache à la
figure. Les gardes ont du mal à repousser les
assaillants.
Après une heure de promenade, on nous fait entrer
dans une salle de bal, meublée de chaises et de
tables, et surtout de baïonnettes. Nous mourons de
faim. On mange les dernières provisions, puis on
nous permet d'acheter quelques vivres au bar de la
salle de danse. Nous ignorons toujours ce que l'on
va faire de nous.
Dans la soirée, on nous apporte de la paille. La
société est très mêlée. Il y a même une quinzaine de
femmes publiques ramassées on ne sait où, et à peine
habillées. La nuit se passe comment.
19 août. - Au lever, nous sommes un peu raidis. Les
uns ont dormi, assis, couchés sur une table,
allongés sur quelques chaises. Nous pouvons nous
procurer un peu de café, en payant, puis à dîner. La
journée se passe. Nous causons et nous nous
inquiétons de ce que l'on va faire de nous. La foule
entoure toute la salle, menaçante ; les soldats la
refoulent. On nous prend pour des assassins, des
francs-tireurs de la Moselle. Le soir arrive, même
nuit.
20 août. - A sept heures du matin, ordre de départ.
Nous reformons une colonne. Promenade à travers la
ville, police, soldats et foule hostile. Après une
bonne heure de marche, nous arrivons dans une gare
de marchandises, devant un train tout formé,
toujours de mêmes wagons. Ordre de monter et départ
pour... Nous ne savons où.
Plusieurs d'entre nous se connaissent. Il y a
plusieurs dames seules, de tous les âges, soixante
ans et plus, venues passer quelques mois dans leur
pays, deux ou trois vieillards n'ayant jamais quitté
le pays, des commerçants parisiens, avec toute leur
famille.
Hanovre !
Le train part. La journée se passe. Dans quelle
anxiété ! La nuit arrive. Vers deux heures du matin
(21 août) nous arrivons à Hanovre. Descente du train
et formation de la colonne. La ville est toute
éclairée. La foule nous attend. Elle est moins
hostile.
Après une heure de marche, on nous fait entrer dans
une école de la ville. Nous finissons la nuit assis
sur les bancs ou couchés sur le plancher: Le matin,
raidis de froid, rien à se mettre sous la dent. Dans
la journée, on nous permet d'acheter à des marchands
voisins, introduits dans l'école, du pain et de la
charcuterie. Le soir, on nous distribue de la paille
: nous savons ce que cela veut dire.
22 août. - Le matin, on nous distribue du café, mais
très difficile d'en avoir, car il y a dans cette
école douze à quinze cents Italiens, avec lesquels
il faut se battre pour arriver au fameux café. On y
renonce.
Nous pouvons nous faire apporter à dîner, à nos
frais toujours. La journée se passe, puis on va
s'étendre sur la paille.
Le matin, on nous fait aligner, on nous compte, on
nous recompte à différentes reprises, on divise, on
sépare les nationalités. Dans l'après-midi, départ.
Bien entendu, nous ignorons la destination. Police à
cheval, police à pied et soldats. Nous venons de
passer à la police civile, aidée de soldats.
Videz vos poches !
Nouvelle procession, colis en mains, qui commencent
à devenir bien lourds. Nous sortons de la ville.
Après un kilomètre, nous voyons sur la route un
barrage de soldats, revolver en main. On nous fait
entrer dans un enclos, entouré de murs de briques
rouges. Les brutalités commencent. Ordres brefs. On
nous divise, toutes les nationalités séparées, puis
division alignée. Les Français hommes d'un côté, les
femmes de l'autre, etc.
Un interprète nous fait comprendre qu'étant en état
de guerre nous devons nous soumettre à tout ce que
l'on nous demandait. Premièrement vider nos poches.
Or, argent, billets, couteaux, ciseaux, rasoirs,
etc. On commence par les Français. Nous défilons un
à un, entre deux policiers, revolver d'une main et
une trique de l'autre. On donne tout, de crainte
d'être fouillés. On vide son porte-monnaie, son
portefeuille, les ceintures de toile autour du
corps. Tout y passe.
On compte à peu près l'argent allemand, mais l'or
français est jeté dans un sac sans compter.
Les bandits ricanent en voyant la tête que nous
faisons. A ce moment des scènes navrantes se
produisent. Plusieurs femmes tombent évanouies. Les
enfants pleurent et nous, toujours sur les rangs,
impuissants devant les revolvers qui nous entourent.
Après différentes discussions entre les policiers,
on nous conduit dans les différents baraquements qui
sont dans cette enceinte, c'est une ancienne
fabrique de poudre abandonnée.
Ces baraques sont en bâti léger couvertes de
planches et de toile goudronnée, entourées de buttes
de terre. Nous sommes vingt dans le local. On nous
distribue un peu de paille. Le silence le plus
complet règne. Personne ne parle. Parmi nous, la
terreur commence.
Quelle nuit !
La nuit arrive. Où sont nos femmes, nos enfants, la
famille ? Nous l'ignorons. Rien à manger, bien
entendu. Quelle nuit !... Défense de sortir sans
appeler la sentinelle, pour satisfaire des besoins
naturels, qui nous accompagne partout revolver sous
le nez.
Le matin, après une nuit épouvantable, nous pouvons
sortir de notre hôtel, aller dans la cour. Notre
famille a passé la même nuit que nous. Plusieurs,
dames sa sont, trouvées malades. Des femmes ont
accouché prématurément, entourées de revolvers, le
tout sous l'oeil ricaneur des soldats et sans soins.
C'est une dame qui, ayant dissimulé une paire de
ciseaux, a pu délivrer ces malheureuses. Dans la
matinée, une voiture les a emportées à l'hôpital.
Nous avons su plus tard que l'une d'elles était
morte avec l'enfant.
Que fera-t-on de nous ?
Alignement de tout le monde et distribution d'un
morceau de pain noir. Alors seulement nous avons un
aperçu de ceux qui sont avec nous : à peu près huit
cents Russes, Polonais avec leurs femmes, qui sont
là depuis huit à dix jours ; des Anglais, des Belges
avec leur famille : beaucoup de Russes, lettrés,
étudiants, docteurs, etc.
22 août. - A midi, distribution de soupe, dans des
récipients de toutes sortes, cuvettes, vieux pots
ébréchés. Silence dans les rangs. Les revolvers sont
toujours là. La distribution est longue, car nous
sommes au moins 1.200 à 1.500. Les Italiens ont
disparu, rapatriés probablement. La soupe se compose
d'avoine cuite avec de l'orge perlé. Elle est
immangeable. Mais la faim nous tenaille.
Dans la journée, on se promène, on se groupe. Nous
pouvons voir notre famille. Nos conversations, on
devine ce qu'elles doivent être.
Que va-t-on faire de nous ? Serons-nous là longtemps
? Et l'hiver, le froid ? Le linge manque. Les femmes
font la lessive à une fontaine au milieu de la cour.
Défense de fumer. Du reste on nous a tout enlevé :
tabac, allumettes, papier, tout. Et rien à se
procurer !
Le soir, à 7 heures, distribution d'un second
morceau de pain noir. Puis la niche et la paille. Je
peux dire niche, car dans la journée on nous a
appris et fait répéter différentes manières de nous
rassembler, c'est au coup de sifflet de ces
messieurs les policiers que tout marchera à
l'avenir.
23 août. - La nuit a été longue, mais nous sommes
brisés par les émotions successives. On a un peu
dormi, mais nous avons des figures de cadavres. La
journée se passe dans une tristesse qui va en
augmentant. Dans la soirée, un bruit court dans les
groupes. On va nous rendre l'argent. Les policiers
avaient dû s'apercevoir que nous n'étions pas des
bandits. Personne n'avait bronché.
Puis la forte somme qu'ils avaient ramassée, passé
150.000 francs entre 140 personnes. Des ordres
étaient venus de plus haut, car nous avions été
expédiés là-bas, sous un chiffre simplement. Il
devait y avoir quelque chose, - - mais quoi ? Nous
l'ignorions.
Le soir, coup de sifflet. Réunion sur les rangs,
hommes français et femmes françaises.
On rend l'argent allemand
On nous rend l'argent allemand, pas plus et le tout
à peu près. Pas de répliques.
Pas de réclamations. Ça faisait loin de notre
compte. Enfin rien à dire, les revolvers sont
toujours présents. La nuit nous avons un peu
d'espoir.
24 août. - Au lever, si je puis dire comme cela,
même distribution de pain noir.
A midi, même soupe. Dans l'après-midi, coup de
sifflet. On nous prévient que ceux qui auraient
assez d'argent pour aller vivre à l'hôtel pourront
sortir et aller dans l'hôtel désigné par eux. On
fera l'appel de ceux-là dans la soirée.
A l'Hôtel
Vers 4 heures, coup de sifflet ; on accourt. On nous
remet un billet avec le nom de l'hôtel où on nous
conduira tout à l'heure. Chacun fait ses paquets et
vite on ne se le fait pas répéter. Puis un énorme
camion fait son entrée dans la cour, tel hôtel est
en premier désigné, on se hisse sur l'incommode
voiture qui part.
Je suis désigné pour la deuxième tournée. Après une
bonne heure d'attente, le camion revient. Même
manoeuvre. Nous partons. Une fois la voiture dehors,
quelle joie. Quoique nos figures soient hâves et
décharnées, on rit. Les revolvers ont disparu.
Nous arrivons devant l'hôtel qui m'est désigné. On
va se laver et on mange, car nous avons faim. Un
morceau de viande et des pommes de terre composent
le menu Mais nous ne sommes pas difficiles. Nous
trouvons du changement. Plus de revolvers, plus de
triques, plus de chiens prêts à nous mordre au
moindre geste des policiers. On n'entend plus leurs
cris, leurs hurlements pour nous faire marcher plus
vite, nous terroriser. Puis nous avons un lit.
Les petits bénéfices
La nuit est agitée. Au réveil, nous déjeunons de bon
appétit. Puis commence une vie monotone. On
s'ennuie. Le lendemain de notre arrivée à l'hôtel,
le policier qui nous commande vient nous trouver à
la fin de notre dîner. Nous le voyons arriver avec
terreur. Il vient nous rendre l'argent et l'or
français. Il fait l'appel et nous rend l'argent
français à peu près, quant à l'or français, il
paraît que le change est formidable ; on nous
retient 30, 40 et 50 %.Personne n'a d'ailleurs le
même taux.
Une dame qui a remis 2.200 francs se voit retenir
850 francs, une autre personne remet 1,500 francs on
lui retient 490 francs ; les autres sent au même
niveau. Les billets de banque français nous sont
rendus. Les seules paroles que ce monsieur policier
sache en français sont « reclamation, non ».
Un monsieur d'entre nous, qui n'a pas compris, veut
réclamer : de suite la brute sort son revolver ;
puis il disparaît.
Les fausses nouvelles
Les 2, 3, 4 et 5 septembre, nous voyons passer de 70
à 80 trains par jour, contenant des militaires
allemands et du matériel se dirigeant vers la
Russie, car la chambre que j'occupe à l'hôtel me
permet, à moi et quelques voisins, de voir toute la
gare de Hanovre.
Les journées sont tristes et monotones.
Les nouvelles vraies sont rares, les journaux
mentent continuellement. Toutes leurs batailles sont
autant de victoires.
Hier, les gazettes annonçaient 90.000 prisonniers
russes, 40.000 français, 400 canons, 10 généraux.
Que devons-nous penser ?
Le 6 septembre, les journaux annoncent l'entrée des
Allemands à Reims, la fuite des habitants de Paris.
Nous allons dans une église catholique.
C'est dimanche. Nous faisons la rencontre de
quantité de Messins, tous suspects, arrivés ici
avant nous. Nos conversations sont brèves, hachées.
Brusques séparations. Nous nous reverrons dans un
endroit moins public, car la surveillance dont nous
sommes entourés ne se relâche jamais.
Je ne veux pas parler de toutes les gravures, cartes
postales que l'on voit aux vitrines, toutes plus
bêtes les unes que les autres. Ils ont même le
toupet de mettre au-dessus en français : « Nous
venons de les recevoir de Paris, de tel éditeur,
telle rue ».
Les armées anglaises venant à notre secours sont
ridiculisées de toutes façons. Le roi d'Angleterre
est le grand Judas.
Une quarantaine d'entre nous sont restés à leur
poudrière, faute d'argent pour aller à l'hôtel. Nous
leur portons, « avec permission », quelques vivres,
douceurs, ce que l'on peut introduire, et c'est
difficile.
Les drapeaux disparaissent
11 septembre. - Grande bataille près de Paris,
seulement jamais de résultat. Mais nous voyons les
drapeaux disparaître peu à peu, car toutes les
fenêtres en étaient garnies. Cela doit avoir une
signification.
12 septembre. - Les journaux de ce matin
recommandent surtout de ne pas croire aux victoires
que peuvent annoncer les journaux français. Dans la
soirée, les garçons de l'hôtel retirent le grand
drapeau qui flottait sur l'hôtel.
13 septembre. - Les gazettes font le silence. On
parle d'une révolte en Finlande. Puis de 230.000
prisonniers. Pas de provenance. Silence complet sur
Paris, Verdun, Nancy. Nous cherchons à changer
quelques billets de banque français, on nous répond
que cela n'a aucune valeur, la France ne devant
bientôt plus exister. Que penser ? Nous avons tout
de même espoir.
Chez le Consul américain
16 septembre. - Comme nous sentons la police un peu
calmée, avec deux amis nous allons rendre visite au
consul américain, qui nous reçoit très bien. Très
étonné de voir des Français à Hanovre, il nous
promet de nous rapatrier, mais il aura beaucoup de
mal, surtout avec la police et le gouvernement
militaire. Le lendemain il commence ses démarches. A
partir de ce jour nous avons quelque espoir de
sortir de leurs griffes.
20 septembre. - Nous passons chez le consul par
petits groupes. Nous donnons nos noms, pour le
passeport. Le consul se dérange et va à la poudrière
faire la même chose avec ceux qui ne peuvent sortir.
Nous sommes même autorisés à ramasser l'argent pour
les billets de chemin de fer, car nous devons payer
pour ceux qui n'ont pas d'argent.
Le consul nous remet trois lettres, en français,
anglais et allemand, qui nous permettront de nous
présenter partout.
25 septembre. - Au soir tout est prêt. La police est
venue elle-même nous apporter nos passeports. Ils
portent la signature du consul plus son apostille et
signés par le président de la police, avec cachet,
et de même du général commandant le 10e corps à
Hanovre. C'est le principal.
Enfin !
Dans la soirée, on nous annonce notre départ pour
midi et demi. Inutile de dire notre joie.
26 septembre. - Rendez-vous à la gare à onze heures
et demie. Un policier nous conduira à la frontière
hollandaise. La police, avec son grand chef, est au
grand complet sur le quai de la gare.
Le consul américain est présent. Il a certain
sourire narquois qui ne nous échappe pas. Nous
savons, nous, qu'il a livré une grande bataille et
qu'il l'a gagnée. Départ, silence absolu dans les
deux, wagons de troisième classe mis à notre
disposition. Le policier qui nous accompagne est on
ne peut plus affable. A dix heures du soir nous
arrivons à la dernière gare allemande. Il faut y
passer la nuit. Nous sommes un peu inquiets, car
nous craignons qu'on ne nous laisse pas traverser la
Hollande.
A la Frontière hollandaise
Départ vers huit heures du matin, après la visite de
tous nos papiers. Arrivée à Oldenzaal (frontière
hollandaise). Nous attendons les autorités. Le
directeur de la province et maire de la localité
arrive à la gare. Il nous donne l'autorisation de
passer. Nous sommes sur une autre terre. On lui fait
une ovation.
Il est suivi de sa femme, qui arrive en automobile,
en cheveux, avec toute sa famille. Ils n'ont pas
pris, le temps de s'habiller. Tous parlent le
français. Elle fait aux pauvres qui nous
accompagnent une distribution de tout ce qu'elle
trouve au buffet. Inutile de dire notre joie. Nous
étions un peu en France.
Le policier qui nous accompagne nous fait ses
adieux.
L'Hospitalité hollandaise
Le train part pour La Haye. Toute la route, les
officiers, soldats et le public nous comblent de
tout possible. A tous les arrêts, cigares, fruits,
gâteaux, tout y passe.
Arrivée à La Haye à 8 heures du soir. Nous attendons
l'ambassadeur français.
Pendant ce temps, la foule envahit la gare et nous
reçoit à sa façon. Toute la garniture du buffet y
passe. Les soldats vont chercher des boîtes de
cigares. La bière coule. On trinque aux victoires
françaises, car maintenant nous savons des nouvelles
vraies. Ce sont les officiers qui, tout le long du
chemin, nous ont renseignés.
L'ambassadeur arrive ; il nous souhaite la
bienvenue. On nous conduit de suite dans un hôtel
retenu d'avance pour nous...
Nous restons deux jours à La Haye et nous partons le
troisième pour Rotterdam. Embarquement de suite pour
Londres, où nous arrivons le 30 novembre, à midi.
A Londres
Le consulat nous attend. Nous prenons un repas à
Londres, et, dans la soirée, le train pour
Southampton où nous embarquons de suite après la
visite des papiers.
Nous ne partons qu'à 6 heures du matin, pour arriver
au Havre à midi.
En France
Inutile de vous dire la joie de cette dernière
étape, qui était partagée par 800 soldats anglais,
et quelle fête ces braves nous ont faite toute la
route.
SUR LE CHARNIER
Nancy,
16 octobre.
De Maurice Barrès, dans l'« Echo de Paris » :
« Messieurs les intellectuels d'Allemagne, je vous
invite à demander aux autorités de votre pays
d'ouvrir une enquête sur ce qui s'est passé dans
votre « ambulance de la caserne », à Raon-l'Etape.
« Quand les Français, après le départ des Allemands
qui avaient à demi anéanti Raon-l'Etape, sont
rentrés dans cette petite ville, ils sont allés à
l'ambulance allemande installée à la caserne. Ils
ont reculé d'horreur. Ils y ont trouvé vos blessés
tout affolés, absolument terrifiés par leurs propres
médecins. Les salles étaient remplies mi-partie de
blessés et de cadavres datant de huit à dix jours.
Le linge sale, les pansements, les déjections, on
les jetait dans la ruelle des lits. Les blessés
nageaient dans le pus. Je note les renseignements
techniques que m'a dictés un praticien témoin de
cette ignominieuse situation :
« Nous avons trouvé des opérations inachevées datant
de quelques jours, des amputations en gigot, une
débauche d'interventions, le tout suppurant. »
Enfin, toujours dans l'ambulance, une salle
d'horreur contenait empilés des corps en
putréfaction !
« Faites votre enquête, messieurs les intellectuels.
Je ne vous dis que ce qui se rapporte à vos propres
blessés. Je pense bien qu'il vous serait égal de
savoir que ces médecins faisaient enterrer les morts
à quinze mètres de l'autre hôpital, sur les places
publiques, sur les quais de la Meurthe, tout contre
la rivière. Qu'importe, s'il ne s'agit que de nuire
aux Français !
Pourtant cela est significatif pour compléter ce que
je veux que l'on comprenne :
à se permettre d'agir sans aucun respect de
l'ennemi, on arrive nécessairement à perdre le
respect de la science, de son art, de son devoir
professionnel, de sa dignité propre.
« A deux pas de Raon-l'Etape, dans la vallée de
Celles, logeait un illustre chirurgien allemand, une
des gloires de la science d'outre-Rhin. Pas une fois
il ne s'est occupé des blessés, ses compatriotes :
il a commandé du vin, et pendant quinze jours il n'a
pas dessoûlé.
« Voilà des faits parlants. Je ne les commenterai
pas. Je risquerais de les affaiblir par un ton
passionné. Que l'on veuille bien, tout simplement,
réfléchir sur cette effroyable dégradation où voilà
tombés des représentants de la fameuse science
allemande, après deux mois qu'ils se soumettent
pratiquement à leurs doctrines de guerre. »
IL FAUT BOIRE
Nancy,
16 octobre.
Nous avons sous les yeux un bon de réquisition écrit
à Raon-l'Etape pour cinq officiers allemands.
Ces officiers avaient sans doute besoin de chauffer
leur enthousiasme par un mensonge bien arrosé.
Le texte original allemand est affiché dans notre
salle des dépêches. En voici la traduction :
« 3 bouteilles de champagne et 3 bouteilles de vin
très-fin pour fêter la prise de 70.000 Anglais.
« Raon-l'Etape, 3078/14.
« Pour 5 officiers du 4e chasseurs,.
« FEDER ».
UN PEU
D'ACCALMIE
et quelques progrès
Nous avons surtout avancé dans la Nord ainsi que
dans la région de St-Mihiel
Paris,
17 octobre, 15 h. 30.
Calme relatif sur la majeure partie du front.
A notre gauche, pas de modifications.
Dans la région d'Ypres, sur la rive droite de la
Lys, Les alliés ont occupé Fleurbaix et les abords
immédiats d'Armentières.
Dans la région d'Arras et dans celle de
Saint-Mihiel, nous avons continué à gagner quelque
terrain.
Les troupes allemandes qui occupent. la Belgique
occidentale, n'ont pas dépassé la ligne
Ostende-Thourout-Roulers-Menin.
Paris, 18 octobre, 0 h. 52.
Le communiqué officiel du 17 octobre, 23 heures, dit
:
Sur le front il y a eu une simple canonnade.
A l'aile gauche, nos progrès continuent.
Les troupes britanniques ont pris Fromelles, au
sud-ouest de Lille.
Sur le canal, de Ypres à la mer, les fusiliers
marins français ont repoussé une attaque allemande.
LES ALLEMANDS
partout repoussés
DE LA BELGIQUE AUX VOSGES
Bordeaux, le 18 octobre, 16 h. 30.
EN BELGIQUE
L'armée belge a vigoureusement repoussé plusieurs
attaques dirigées par les Allemands contre les
points de passage de l'Yser.
A NOTRE AILE GAUCHE
Au nord du canal de la Bassée, les troupes alliées
ont occupé le front Givenchy-Illies-Fromelles et
repris Armentières.
AU NORD D'ARRAS
La journée d'hier a été marquée par une avance
sensible de notre part. Entre la région d'Arras et
l'Oise, nous avons légèrement progressé sur certains
points.
Au centre et à notre aile droite, la situation est
stationnaire.
SUR LE MARCHÉ
DE NANCY
Nancy,
18 octobre.
Le marché de samedi était très bien approvisionné en
légumes, surtout en choux dont les prix variaient de
0 fr. 45 à 0 fr. 30 la pièce. Les carottes d'hiver
se payaient 0 fr. 15 le kilo, en bottes 0 fr. 15 ;
les salades étaient également très abordables.
De petits lots de pommes de terre étaient offerts à
0 fr. 20 le kilo. Les rognons, 28 fr. les 100 kilos.
Dans les halles, beaucoup de beurre, fromage et
volaille, cette dernière 3 fr.
le kilo, prix minimum.
Voici les prix fixes par la mercuriale :
Boeuf - 1 fr. 80 à 2 fr. 90 le kilo.
Veau 2 fr. 60 à 4 fr. -
Mouton 2 fr. 20 à 3 fr. -
Lard frais. 2 fr. » à 2 fr. 40 -
Lard sec. 2 fr. 40 à 2 fr. 60 -
Grillade 2 fr. 80 à 3 fr. -
Beurre 2 fr. 60 à 3 fr. 60 -
oeufs. 1 fr. 30 à 2 fr. 20 la douz.
LA FIN
du « TAUBE » de Lundi
Nancy,
18 octobre.
On connaît maintenant, d'une façon certaine et
détaillée, la fin du « Taube », ou plutôt de l'«
Aviatic », qui survola Nancy lundi et nous lança
trois bombes.
L'avion a bien été démoli par la fusillade de nos
territoriaux. Il a pris feu et est allé tomber, avec
ses deux aviateurs, les lieutenants bavarois Wimmer
et Schneider, non loin de Létricourt, canton de
Nomeny, à quelques pas de la frontière.
Plusieurs personnes de Létricourt ont vu, en effet,
l'aéroplane en feu, s'abattre verticalement et
achever de se consumer sur le sol.
Des fantassins français se précipitèrent vers
l'endroit de la chute, mais des fantassins
allemands, qui se trouvaient seulement à quelques
pas, arrivèrent premiers et se mirent en mesure de
retirer les aviateurs des flammes.
Mais la mort leur avait déjà fait payer leur
forfait. Un des corps était complètement carbonisé
et l'autre, s'il était moins abîmé par le feu, était
abominablement broyé.
Les allemands n'emportèrent que deux cadavres.
LES COMMUNES
ÉPROUVÉES
Nancy,
18 octobre.
Monsieur Minier, sous-préfet de Lunéville,
accompagné de M. Méquillet, député de
l'arrondissement, a visité :
Saint-Boingt et Borville. - Communes non occupées et
n'ont souffert que très légèrement du voisinage
immédiat des opérations.
Rozelieures a souffert davantage. Douze maisons
incendiées ou détruites.
Les municipalités de ces communes s'occupent
activement du ravitaillement qui s'effectue dans de
bonnes conditions.
Deneuvre. - Cette commune, occupée pendant dix-huit
jours, du 24 août au 12 septembre, a été assez
sérieusement éprouvée. On y déplore la mort de deux
habitants victimes du bombardement qui a précédé
l'entrée de l'ennemi.
Dix maisons ont été incendiées ou détruites ; de
nombreux immeubles sont endommagés.
Charmois. - L'ennemi a simplement traversé cette
commune dans l'après-midi du 24 août et n'y a fait
aucune victime. Les pertes matérielles y sont
néanmoins importantes ; on y compte neuf maisons
complètement détruites.
L'adjoint M. Aubert, est demeuré à son poste.
Aujourd'hui la commune a repris la vie normale et la
rentrée des classes a eu lieu dans les écoles
publiques.
Haussonville, Vigneulles. Barbonville. Ces trois
communes n'ont pas été occupées par l'ennemi ; elles
ont relativement peu souffert du voisinage de la
bataille, on n'y compte aucune victime ; on n'y
constate aucun dégât matériel important.
La vie normale a repris son cours dans la région, le
ravitaillement s'y opère avec une facilité relative.
A Haussonville la rentrée des classes s'est faite au
jour fixé. Il n'en est pas de même à Vigneulles, où
l'institutrice n'a pas encore rejoint son poste, et
à Barbonville où l'instituteur mobilisé n'a pas été
remplacé.
M. le curé de Deneuvre a été emmené comme otage.
Le maire, courageusement demeuré à son poste, assure
les services administratifs et le ravitaillement de
sa commune.
Fontenoy-la-Joûte. - En dehors des pillages
inévitables, a peu souffert de l'occupation ennemie.
Pas de victimes. Le village est intact.
En l'absence du maire, à l'armée, l'adjoint M.
Barbier assure la vie administrative et le
ravitaillement de la commune.
Glonville a eu moins de chance. Tout un quartier,
comprenant environ quinze maisons, est incendié ou
détruit.
Un vieillard a été tué par un éclat d'obus.
Le pillage a été la règle comme partout.
M. le maire de Glonville est bravement resté à son
poste. Il pourvoit de son mieux aux besoins de ses
administrés.
DANS LA MEUSE
L'OCCUPATION
DE
SAINT-MIHIEL
Nancy,
19 octobre.
Les Allemands sont entrés dans la ville de
Saint-Mihiel le 22 septembre au matin.
Un bombardement en règle précéda leur arrivée.
En l'absence de M. le docteur Thiéry, maire et
député, ce fut son adjoint, M. Antoine, qui prit les
mesures que la situation comportait. D'autres
personnalités montrèrent comme lui un sang-froid, un
courage, un esprit d'initiative dont sont empreintes
les décisions qu'il fallait promptement adopter en
d'aussi critiques circonstances.
En dépit des assurances que l'attitude énergique de
l'autorité municipale leur offrait, bon nombre de
citoyens, sans exagérer nullement la prudence, se
rendaient compte que leur présence n'était d'aucun
secours pour la cité, que les vieillards, les
femmes, les enfants seraient mieux inspirés en
quittant Saint-Mihiel qu'en s'exposant inutilement
aux atrocités des barbares.
Toutefois, on décida la formation d'un convoi
spécial pour emmener vers Commercy les citoyens
inutiles à la défense de la place ; mais, au moment
où le train attendait les voyageurs, un obus
allemand s'abattit sur la voie et étendit sur le
quai même le chef de gare qui, à ce moment, guidait
et secondait les efforts de ses employés.
Privée du moyen de salut qu'elle attendait avec une
compréhensible anxiété, la population s'enfuit par
la route, à travers bois dans la direction des Koeurs,
afin de se réfugier à Sampigny et à Commercy - où
les familles errantes, livrées à toutes les
angoisses de la panique, ne devaient trouver que le
lendemain un gîte et de la nourriture.
Cependant une patrouille de cavaliers français avait
été attaquée, le 23 septembre, à environ 1.500
mètres de Saint-Mihiel par un ennemi supérieur en
nombre.
C'est dans une ville évacuée presque entièrement par
sa garnison que les Allemands pénétrèrent, sans
avoir rencontré de sérieuse résistance.
Dans la matinée du même jour, une reconnaissance,
composée de 40 uhlans, parcourait les rues désertes
de Saint-Mihiel ; son premier travail consista à
couper tous les fils télégraphiques, dans le but
d'isoler complètement la ville.
Le vendredi 25 septembre, Saint-Mihiel fut
définitivement occupée. Une forte colonne allemande
traversa la Meuse, au nord de la ville, s'engagea
dans la vallée de l'Aire, d'où elle fut repoussée
par les charges très vives de la cavalerie française
qui la rejeta avec des pertes importantes sur la
rive droite de la Meuse.
Signalons en passant la superbe conduite des
territoriaux qui, en présence de forces de dix à
douze fois supérieures, défendirent héroïquement le
passage ; mais l'intervention de la grosse
artillerie - des 420 de l'armée autrichienne - les
obligea à céder le terrain balayé par des pièces
ayant une portée d'au moins 14 kilomètres.
Nos troupes s'étaient solidement installées sur les
hauteurs qui couronnent, en cet endroit, la vallée
de la Meuse et elles se maintinrent sur leurs
positions jusqu'à la dernière extrémité.
Les Allemands ont dû évacuer Saint-Mihiel. Toutefois
leurs patrouilles continuent à sillonner le pays ;
l'occupation du Camp des Romains leur permet en
outre de bombarder les villages d'alentour - et
c'est ainsi que furent odieusement frappées la
résidence présidentielle de M.
Poincaré, à Sampigny, et la gare de Lérouville.
La gare de Lérouville, d'après un témoin à qui nous
empruntons ces renseignements, a souffert des obus,
en réalité beaucoup moins que des engins lancés par
les avions ennemis.
La voie a été partiellement détruite ; il serait
facile, croit-on, de réparer promptement les
dommages matériels et de rétablir la circulation
normale des trains ; mais, comme ce tronçon du
réseau de l'Est demeure exposé au tir des gros
canons allemands, une élémentaire prudence commande
de suspendre tout trafic aux abords de la gare de
Lérouville.
En quittant Saint-Mihiel, les Allemands ont emmené
une quarantaine d'otages.
Il convient de rendre encore une fois hommage à M.
Richard, le dévoué juge de paix, à M. Breuil,
président du tribunal, ainsi qu'à M. Cosson,
procureur de la République, dont la mâle attitude et
les sages conseils ne se sont pas un seul instant
démentis pendant les tristes journées que
Saint-Mihiel a vécues.
LUDOVIC CHAVE.
Nos Zouaves sur
les Hauts-de-Meuse
Si, le 7
octobre, malgré l'énergique résistance des Allemands
et en dépit de leur grosse artillerie, nous avons
réussi à prendre pied sur les côtes de Meuse, c'est
grâce à un bataillon de zouaves, à qui la ruse
servit autant que le courage.
Deux fois nous avions tenté l'assaut, deux fois nous
avions dû reculer sous le feu des batteries
allemandes. C'est alors qu'un officier de zouaves
s'offrit à aller déloger l'ennemi si on lui donnait
carte blanche.
Le soir venu, cessant le feu, le gros de nos troupes
feignant d'abandonner la lutte, se retirait
ostensiblement en arrière. Notre artillerie
elle-même, défilant au loin, sembla battre en
retraite. Plus un soldat français en vue. Dans la
plaine qui s'étendait au pied des côtes, seuls
restaient quelques buissons, et les arbres
clairsemés d'une jeune sapinière. Peut-être
cependant les sapins étaient-ils un peu plus
nombreux que d'habitude. Peut-être aussi les
sapinières avançaient-elles, oh ! très légèrement,
trois mètres par heure, et encore.
Il arriva cependant qu'à deux heures du matin, les
sapinières étaient au bas du village d'Herbeuville.
Et soudain des cris infernaux s'échappent de tous
les buissons, de tous les arbres et voilà que les
sapinières se mettent à grimper la colline, égorgent
les sentinelles, bondissent dans les fossés
allemands, tuent les canonniers sur leurs pièces
désormais inutiles et se retranchent à leur tour
tandis que le gros des forces françaises, qu'on
croyait parties pour de bon, reviennent en vitesse.
Ah ! ce fut pour les Prussiens une aventure machinée
par le diable en personne.
Et si quelques ennemis échappèrent au massacre,
c'est que les zouaves voulaient qu'il en restât
quelques-uns pour raconter un jour, plus tard,
là-bas, au fond de la Prusse, que rien n'est
impossible aux Français, ni les actes de courage, ni
les actes de ruse, et que même dans ceux-ci ils
peuvent encore rendre des points, aux Allemands.
A LA SOCIÉTÉ
CENTRALE D'AGRICULTURE
Trois intéressantes Questions :
LA FARINE
LES RÉQUISITIONS
LES SEMAILLES
Nancy,
19 octobre.
Une importante réunion de la Société Centrale
d'Agriculture s'est tenue, samedi matin, au siège
social, rue de Strabourg, 24. La plupart des
cultivateurs étant mobilisés, leurs femmes étaient
venues en grand nombre pour entendre les
explications du bureau sur les diverses questions
portées à l'ordre du jour.
M. Mirman, préfet, préside. A ses côtés, ont pris
place M. Simon, maire de Nancy ; Louis Michel,
président de la Société ; Grojean, président du
Comice de Toul ; Paul Suisse, du Comice de Lunéville
; Drappier, Goetzmann, de Crevoisier, Bouin, membres
du bureau de la Société.
Les Discours La séance s'est ouverte, à dix heures,
par une vibrante allocution de M. Mirman, qui avait
tenu à apporter un cordial salut à la Société
Centrale d'Agriculture, car il sait, dit-il, toute
la noblesse du travail agricole.
C'est, ajoute M. le préfet, des efforts des
agriculteurs que dépendront, dans une large mesure,
le bien-être du pays et le sort même de la Patrie
dans la partie tragique qui se joue actuellement, et
dont l'issue heureuse pour nos armées n'est pas
douteuse.
Il exprime ensuite toute la confiance qu'il a dans
le courage de nos soldats et dans l'intelligence et
la science de leurs chefs, ainsi que dans la
situation économique des nations alliées.
M. le préfet termine en déclarant qu'il tient en
très haute estime ceux qui travaillent pour arracher
du sol les produits nécessaires à l'homme.
M. Michel remercie M. le préfet d'assister à cette
réunion. Il a su déjà, dit-il, apprécier sa haute
bienveillance et sa compétence.
Il exprime aussi sa gratitude pour leur présence
envers MM. Simon, Grojean et Suisse ; il salue les
femmes des agriculteurs et les remercie d'être
venues nombreuses à la réunion. Elles montrent ainsi
leur attachement au sol lorrain.
Visiblement ému, M. Michel termine en envoyant son
témoignage de profonde admiration à ceux qui
défendent le sol sacré de la Patrie et tout
particulièrement à ceux qui, déjà trop nombreux,
hélas ! sont morts en accomplissant ce suprême
devoir !
Ces dernières paroles émeuvent l'assistance et bien
des yeux sont essuyés pendant que le président qui,
lui-même, n'a pu retenir ses larmes, reprend sa
place sur l'estrade.
Après quelques secondes de recueillement, les
questions à l'ordre du jour sont examinées.
Le Blé et la Farine
La première est celle de la farine. M. Michel,
avec une clarté admirable, explique combien est
lourde la tâche de la municipalité de Nancy qui, par
l'entremise des Grands-Moulins, doit fournir la
farine à la population.
Il fallut d'abord fixer le prix du blé, puis, comme
les cultivateurs, en raison des circonstances
actuelles, n'ont pu encore faire battre ce blé, il
en résulte que le grain diminue dans les magasins.
Aussi, pour parer à toute éventualité, il faut que
les cultivateurs effectuent rapidement leur battage
afin d'envoyer du blé aux moulins en échange de
farine.
M. Michel met également les cultivateurs en garde
contre la spéculation. Il leur fait remarquer que
les droits d'entrée sur les blés sont supprimés, ce
qui permettra l'arrivage des blés exotiques et
l'abaissement des prix.
M. Simon, en de loyales explications, démontre que
le stock de blé diminuant à Nancy, il crut prendre
de sages mesures pour le reconstituer. C'est
pourquoi il poussa un cri d'alarme en prévenant les
municipalités des communes agricoles, et en leur
réclamant du blé en échange de farine.
M. le maire rassure toutefois l'assistance en
ajoutant qu'il espère que la période critique est
sur le point de finir, les stocks devant être
bientôt reconstitués.
M. Michel fait aussi ressortir que, dans notre
département, la récolte est de beaucoup inférieure à
celle de la dernière année. Il insiste de nouveau
sur le battage. Ceux, dit-il, qui ont des moteurs à
pétrole peuvent faire des demandes par voie de
réquisition pour avoir l'essence nécessaire.
A ce suj et, M. Simon conseille de ne demander que
la quantité strictement nécessaire, en raison du peu
d'importance du stock d'essence.
M. le Préfet s'offre à faire les démarches utiles
pour obtenir l'essence destinée au battage.
Sur la demande de M. Suisse, M. Mirman assure qu'il
s'est occupé de la mise en marche des moulins de
Jolivet, à Lunéville. qui pourront faire de la
farine pour cette région.
La discussion porte ensuite sur les prix du blé et
de la farine. Diverses observations sont présentées.
On fait remarquer que, par suite de la mévente des
issues, on ne peut fixer ces prix.
Après, une juste observation de M. Michel, qui
déplore la disparition de nombreux petits moulins,
la discussion sur cette question est close.
Les Réquisitions
La seconde question est celle des réquisitions; M.
le Président de la Société indique d'abord que pour
les chevaux, voitures requis dès la mobilisation,
des bons ont été donnés aux propriétaires et la
plupart sont déjà en possession de leurs mandats.
De ce côté il n'y a donc pas d'inquiétude. Il en est
de même pour le bétail requis lors du repliement. Il
a été payé sur place.
Pour les réquisitions de denrées, continue M.
Michel, beaucoup furent régulières mais d'autres ne
le furent qu'à moitié et d'autres enfin pas du tout.
Il examine successivement chaque cas et donne le
conseil aux cultivateurs présents de s'adresser aux
commissions communales qui doivent compléter toutes
les pièces.
M. Thiry, directeur de l'école d'agriculture, donne
ensuite d'intéressants détails sur la façon dont se
font les réquisitions. Il engage les cultivateurs à
venir le trouver à la préfecture où il leur donnera
tous les renseignements désirables pour obtenir le
paiement des réquisitions qu'ils ont eu à subir.
Au cours d'une longue discussion qui s'engage, on
arrive à parler des réquisitions faites par les
Allemands. M. le Préfet répond que cela fera l'objet
d'un compte spécial, établi d'après les instructions
du Gouvernement qui a mis cette question à l'étude.
Les Chevaux réformés
La vente des chevaux réformés soulève également une
discussion, qui se termine par une motion.
M. le Préfet s'engage à appuyer cette motion
demandant que les chevaux réformés soient réservés
aux cultivateurs et aux négociants ayant eu des
chevaux réquisitionnés.
A l'avenir, ces ventes devront avoir lieu après
entente entre les autorités civiles et militaires,
dans des localités ayant de grandes facilités
d'accès.
Le Labourage en commun
Enfin, la dernière question est celle du labourage
en commun. Un projet d'arrêté préfectoral à été
élaboré. Il y est dit que les cultivateurs, sous
certaines conditions, pourront être requis par les
maires pour faire les labours des mobilisés ou des
cultivateurs dont les attelages auront été
réquisitionnés.
A ce sujet, M. Mirman fait remarquer qu'il a reçu de
nombreuses demandes de femmes de cultivateurs qui
voudraient que leurs maris soient libérés
momentanément pour le travail des champs.
Malheureusement il ne peut être d'aucun appui pour
ce genre de faveur, car, ainsi qu'il est facile de
le prévoir, cela causerait une perturbation dans le
service militaire.
La séance est ensuite levée. Il est midi.
C.H. LENOBLE.
NOS TROUPES
REPOUSSENT
deux attaques de nuit
DANS LES HAUTES-VOSGES
Paris,
19 octobre, 0 h. 48.
La nuit dernière, deux violentes attaques ont été
tentées par les Allemands, l'une au nord, l'autre à
l'est de Saint-Dié.
Toutes les deux ont été repoussées, avec des pertes
sérieuses pour l'ennemi.
Aucun autre renseignement important n'est encore
parvenu sur les opérations de la journée.
AU TABLEAU
D'HONNEUR
du Courage civil
M. COLIN, Adjoint de Saint-Dié
Paris,
19 octobre, 3 h. 05.
BORDEAUX. - Le Journal officiel publie une note
disant que le gouvernement porte à la connaissance
du pays la belle conduite de M. Colin, adjoint au
maire de Saint-Dié, « pour avoir, au péril de sa
vie, sous le feu de l'ennemi, traversé, à plusieurs
reprises, la ligne de bataille, afin d'accomplir une
mission d'où dépendait le sort de la ville et de ses
habitants. »
DANS LE NORD
Résistance
désespérée des Allemands ; ils reculent maison par
maison, mais reculent. - Dix jours de bataille n'ont
pas affaibli notre élan. - Les Belges et les Anglais
à l'oeuvre.
Bordeaux, 19 octobre, 17 heures.
A NOTRE AILE GAUCHE
Entre la Lys et le canal de La Bassée, nous avons
progressé dans la direction de Lille.
Des combats extrêmement opiniâtres se livrent sur le
front La Bassée-Ablain-Saint-Nazaire. Nous avançons
maison par maison, dans ces deux localités.
Au nord et au sud d'Arras, nos troupes se battent
sans répit depuis plus de dix jours, avec une
persévérance et un entrain qui ne se sont, à aucun
moment, démentis.
Dans la région de Chaulnes, nous avons rejeté une
forte contre-attaque ennemie et gagné quelque
terrain.
AU CENTRE
Rien à signaler.
A NOTRE AILE DROITE
En Alsace, à l'ouest de Colmar, nos avant-postes
sont sur la ligne Bonhomme-Poiris-Soultzeren.
Plus au sud, nous occupons toujours Thann.
EN BELGIQUE
L'artillerie lourde ennemie a canonné, sans
résultat, le front Nieuport-Vladsloo (ce dernier
point à l'est de Dixmude).
Les forces alliées, et notamment l'armée belge, ont
non seulement repoussé de nouvelles attaques
allemandes, mais elles se sont avancées jusqu'à
Roulers.
DANS LES VOSGES
Ce qu'on a fait à Raon-l'Etape
Nous
recevons la lettre suivante :
Raon-l'Etape, octobre 1914.
Nous avons lu avec un vif intérêt la relation exacte
des faits qui se sont succédé dans notre malheureuse
ville pendant l'occupation allemande.
Un juste hommage a été rendu par l'« Est Républicain
» à plusieurs personnes qui déployèrent dans ces
jours troublés un dévouement qui constitue le plus
bel exemple de civisme.
Mais, aux côtés du docteur Raoul, il convient de
placer M. le docteur Vendling. Il a prodigué aux
blessés les ressources de son art ; il a donné à
l'ennemi même une haute leçon de générosité en
soignant les Allemands. Sa conduite a forcé le
respect des officiers. Ceux-ci ont ordonné que sa
maison fût épargnée dans les incendies dont
Raon-l'Etape a tant souffert, et la plupart de nos
concitoyens ont cette conviction qu'en demeurant à
leur poste, comme a fait M. le docteur Vendling, en
remplissant avec dignité les impérieux devoirs de
leur charge, bien des malheurs auraient été évités.
Nous en dirons autant de M. Gimet, conseiller
municipal. Il se peut qu'avant la guerre des
divergences politiques aient créé dans les opinions
et dans les sentiments raonnais des camps où chaque
parti apportait les fièvres de la discussion. Mais
une indissoluble unanimité a rallié autour d'une
même idée tous ceux qui se proposent pour but la
défense des intérêts nationaux et le salut de la
patrie.
C'est ainsi qu'on se plaît à louer aussi M. l'abbé
Chrisment, qui n'a cessé de soutenir et de consoler
ceux dont la vaillance avait fini par succomber sous
le poids de tant d'épreuves.
Les humbles ont rempli modestement, simplement, leur
devoir ; ils méritent néanmoins les félicitations et
les remerciements. Tel est le cas de l'appariteur,
le brave M. Mater. Il a sans défaillance occupé son
poste à l'hôtel de ville.
Mlle Joséphine Gabriel est parvenue à inspirer de la
sympathie - chose rare, n'est-il pas vrai ? - au
général allemand qui donna les consignes les plus
sévères pour préserver du pillage plusieurs magasins
et fit même placer deux sentinelles devant une
boutique pour écarter tous incidents.
Grâce à la crâne intervention de Mlle Gabriel, un
marchand de vins, sans qu'on lui fît tort d'un
pfenning, a vendu librement ses produits.
Une boutique de quincaillerie a bénéficié de la même
faveur ; une maison de la rue Jules-Ferry, désignée
aux incendiaires, a été également épargnée.
Par toutes les personnes dont je vous cite les noms
avec une reconnaissance émue, Raon-l'Etape a connu
une protection qui a mis la ville à l'abri des
atrocités.
Si l'on raconte un jour que les scènes scandaleuses
commises ailleurs, que les outrages dont furent
victimes ailleurs femmes et jeunes filles, ont
marqué l'occupation allemande, vous répondrez : non
! sans craindre un démenti.
Vous serez en droit d'ajouter encore que les mêmes
personnes ont obtenu ce résultat Je suis convaincu,
monsieur le rédacteur, qu'en vue de rendre hommage à
la vérité et de servir la cause de la justice, vous
voudrez bien insérer ma lettre ; il ne faut pas que
le souvenir des belles actions s'efface dans le coeur
des hommes.
Suivent les signatures.
UN GROUPE DE RAONNAIS.
NOS
INSTITUTRICES
Nancy,
19 octobre.
Le préfet de Meurthe-et-Moselle est heureux de
porter à la connaissance du public la lettre
ci-dessous qu'il vient de recevoir de M. L. Birot,
vicaire général d'Albi, aumônier des armées en
campagne.
Cette lettre honore Mlle Paturlanne, institutrice de
Minorville, et ses élèves. Sur le champ de bataille,
instituteurs et congréganistes rivalisent de
courage. Dans les ambulances où, comme à Gerbéviller
et à Minorville, le bombardement est assez intense
pour faire fuir la population, infirmières
religieuses et laïques rivalisent de dévouement. Et
tandis que les laïques exaltent l'héroïsme des
religieuses, les vicaires généraux exaltent
l'héroïsme des institutrices. Ainsi partout
s'affirme l'Union nationale, qui fait la grandeur
magnifique de l'heure présente et grâce à laquelle
la France obtiendra la victoire, puisqu'elle en est
digne.
L. MIRMAN, Préfet de Meurthe-et-Moselle.
3 octobre 1914.
Monsieur le Préfet, J'accomplis un ordre de ma
conscience en prenant l'initiative de signaler à
votre attention, à cette heure où le sens
patriotique et le dévouement ont tant de prix, la
conduite particulièrement remarquable de Mlle
Paturlanne, institutrice à Minorville.
Au cours de toute la campagne de l'armée de
Lorraine, que j'ai suivie en qualité d'aumônier
militaire de la. division de ... à Minorville, je
n'ai pas trouvé d'autre meilleur exemple des
services que l'action privée pourrait rendre à
l'organisation militaire, jusque dans les plus
petites localités, pour le soulagement et le soin
des blessés.
De vastes hôpitaux ont été organisés par la
Croix-Rouge française dans les grandes villes, à
l'arrière des armées. Mais à l'avant, les ambulances
militaires ont dû se contenter parfois, ou presque
partout, d'installations de fortune.
Les Religieuses de Gerbéviller, grâce à leur petit
hôpital, ont rendu à l'armée d'héroïques services
justement appréciés. Mais leur installation n'était
pas à faire. Mlle Paturlanne a tout créé par son
seul zèle et son savoir faire. Le. arrivant à
Minorville, l'ambulance de la division a trouvé une
salle d'école garnie de 15 ou 20 couchettes, avec
draps, matelas, couvertures, abondamment éclairée,
chauffée ; un groupe de six ou sept jeunes filles du
village, anciennes élèves de cette admirable
maîtresse était prêt à la seconder, veillant les
malades et les blessés de jour et de nuit, leur
prodiguant ces soins délicats que la femme seule
sait donner, les lavant, les pansant, les consolant
de toute manière ; formées par leur chef ces jeunes
filles refusèrent de quitter le village au moment du
bombardement qui fit fuir la plus grande partie de
la population, et elles gardèrent une tenue digne de
tout éloge par leur courage et leur simplicité.
L'ambulance de la division trouva ainsi un organisme
tout prêt à fonctionner, fonctionnant déjà, auquel
elle fut heureuse, sous la surveillance d'un de ses
médecins, de confier ses blessés les plus graves,
qui réclamaient des soins spéciaux. J'ai vu
plusieurs blessés au ventre, dont l'évacuation a pu
ainsi être opportunément retardée, et qui doivent
certainement leur vie aux soins qu'ils ont reçus
dans cette maison.
Pendant tout le cours de notre séjour, jusqu'au.
j'ai constaté que cette salle, souvent remplie de
blessés, fut toujours abondamment pourvue de lait,
café, bouillon, par les soins de Mlle Paturlanne, et
que les malades y ont été traités aussi bien qu'ils
l'eussent été dans leur famille on dans les hôpitaux
les mieux montés.
Monsieur le Préfet, j'ai tenu à signaler ce fait à
votre très haut patriotisme. Mon témoignage, en
faveur d'une institutrice, ne vous paraîtra pas
suspect. J'ose espérer qu'il ne vous surprendra pas.
Je cherche tout ce qui peut faire la France plus
noble et plus belle. La conduite de Mlle
l'institutrice de Minorville, outre son utilité
pratique immédiate, constitue un exemple que l'on
peut proposer à l'initiative privée partout où
passent les armées françaises ; il a, en outre, une
portée pédagogique que je n'ai pas besoin de faire
remarquer plus longtemps à votre sagacité.
Veuillez agréer, Monsieur le Préfet, l'assurance de
ma haute et respectueuse considération.
L. BIROT,
Vicaire général d'Albi,
Aumônier des armées en campagne.
LE SOURIRE DE
LA VICTOIRE
Voici le
communiqué officiel daté du 20 octobre, 1 heure 40
du matin :
Sur la mer du Nord la flotte anglaise seconde les
troupes de terre
En Belgique, les attaques des Allemands, entre
Nieuport et Dixmude, ont été repoussées par l'armée
belge, efficacement aidée par l'escadre britannique.
Vers Arras nous les serrons dans leurs tranchées
Entre Arras et Roye (Somme), nous avons fait de
légers progrès.
Sur plusieurs points, les troupes françaises sont
parvenues jusqu'au réseau de fils de fer de la
défense.
Notre avance sur Saint-Mihiel est aussi confirmée
Aux environs de Saint-Mihiel, nous avons gagné du
terrain sur la rive droite de la Meuse.
Du reste du front, aucune nouvelle importante n'est
arrivée.
ON NE PASSE
PLUS.
L'offensive allemande, malgré sa fureur, est venue
encore se briser sur toutes les parties du front.
Bordeaux, 20 octobre, 15 h. 50.
A NOTRE AILE GAUCHE
Malgré les violentes attaques, l'armée belge s'est
maintenue sur la ligne de l'Yser.
D'autres actions sont engagées dans la région
d'Ypres, entre les forces alliées opérant de ce côté
et des forces ennemies.
EN BELGIQUE
Les Allemands tiennent toujours fortement les
avancées de Lille, dans la région d'Armentières,
Fournes et La Bassée.
SUR LA MEUSE
L'ennemi a essayé en vain de repousser celles de nos
troupes qui ont débouché sur la rive droite, dans la
presqu'île du Camp des Romains.
En résumé, dans la journée du 19, nous avons fait
quelques progrès de détail sur divers points du
front.
Paris, 21 octobre, 1 h. 05.
La journée a été caractérisée par les efforts des
Allemands sur toutes les parties de notre front.
A l'extrême-nord, où l'armée belge a tenu d'une
façon remarquable ; à la Bassée, où les Allemands
ont tenté une offensive particulièrement violente ;
au nord d'Arras, à Memetz, entre Péronne et Albert,
à Vauquois ; à l'est en Argonne ; enfin sur les
Hauts-de-Meuse et dans la région de Champion ;
partout les attaques allemandes ont été repoussées.
LA LONGUE
VICTOIRE
Nancy,
20 octobre.
Le communiqué officiel marque depuis quelques jours
une progression constante. Cette progression n'est
pas assez rapide au gré des impatiences mal
contenues. Elle est suffisante et pleine de
promesses pour ceux qui ne regardent pas la guerre
actuelle avec leur imagination mais avec un juste
sens des réalités.
Il faut le dire et le répéter, les opérations
militaires en cette période sont des opérations de
siège. On ne peut donc point chaque jour gagner une
bataille. On reprend peu à peu les positions
occupées par l'ennemi, qui s'y cramponne de toutes
ses forces. Et le fait seul que nous avançons contre
lui prouve sa faiblesse et notre force renaissante.
Les Allemands, après leur défaite sur la Marne,
avaient tenté une retraite qui devait les amener
fort loin en arrière. Ils ont reculé tant qu'ils ont
pu. Pas assez suivant leur désir.
Il semble paradoxal de dire que notre poursuite les
a arrêtés. Il apparaît pourtant; à l'examen des
mouvements, que c'est la vérité.
Pour qu'une armée se retire en bon ordre avec ses
munitions, ses grosses pièces, ses ravitaillements,
il est nécessaire qu'elle ait entre elle et son
adversaire un assez large espace. Sans cela la
retraite se change en déroute puisque le temps et le
terrain manquent pour ordonner le repliement.
Or le général Joffre n'a laissé à l'armée allemande
ni le temps ni l'espace Les Barbares ont été
poursuivis sans relâche. Ils montraient à peine le
dos qu'ils étaient obligés de se retourner.
Continuellement harcelés, il ne leur restait même
pas le loisir de fuir. C'est ainsi accrochés qu'ils
ont dû s'arrêter pour faire face dans des conditions
défavorables.
Ils se sont cramponnés à la première ligne de
défense qu'ils ont rencontrée sur le chemin de la
retraite. Cette ligne, nous la brisons ici et là,
nous la démolissons peu à peu, sans relâche.
Obligés de regarder en arrière, pour chercher par où
s'échapper, et de résister en avant aux attaques des
Français encouragés par de petites victoires
quotidiennes, les Allemands ont à accomplir une
double besogne qui usera fatalement leurs forces
physiques, et qui déjà trouble leur conception
primitive de la guerre.
L'ennemi perd du terrain. Nous en gagnons. Tout est
là. Il n'est pas besoin d'être grand tacticien pour
comprendre qu'au lieu d'avoir une grande victoire
d'un jour nous avons une grande victoire d'un mois.
Qui, à la réflexion, n'en serait pas largement
satisfait ?
RENÉ MERCIER.
UN EFFORT
aussi violent qu'inutile
Paris,
21 octobre, 15 h. 17.
Dans la journée d'hier, les attaques de l'ennemi ont
été particulièrement violentes sur Nieuport, Dixmude
et La Bassée.
Toutes ont été repoussées avec une extrême énergie
par les armées alliées.
Partout ailleurs, la situation est sans changement
notable.
Paris, 22 octobre, 1 heure
Le communiqué officiel du 21 octobre, 23 heures, dit
:
A l'aile gauche, de la mer du Nord jusqu'à La Bassée,
sur les fronts de Nieuport à Diximude et d'Ypres à
Menin, comme de Warneton à La Bassée, une violente
bataille s'est livrée dans la journée.
Aux dernières nouvelles, les forces alliées tenaient
partout.
Rien à signaler au centre ni à l'aile droite.
Bénissons la
censure
Nancy,
21 octobre.
Bien des gens ignorent complètement comment se fait
un journal en cette période de guerre. Je ne crois
pas qu'il y ait rien de plus désagréable à faire.
En général on croit que les journalistes savent tout
et le cachent. On leur attribue les machiavélismes
les plus diaboliques. On leur en veut, quand ils se
taisent, de ne pas parler. On leur en veut
davantage, quand ils parlent, de ne pas se taire.
C'est pourtant bien peu compliqué, la situation des
journaux.
La voici :
Nous recevons les communiqués officiels, et les
informations de nos correspondants, et de nos amis.
En toute confiance, - car ils méritent largement la
confiance, - nous insérons les communiqués
officiels.
Puis dans les correspondances et dans les
confidences nous trions soigneusement ce qui nous
paraît le plus digne de foi et le plus conforme au
souci de la défense nationale.
Le journal est fait.
On en tire des épreuves que l'on envoie au Comité de
la Censure désigné par les autorités militaires.
La Censure examine attentivement, efface les
articles qui lui paraissent dangereux, et nous remet
le « Bon à tirer » avec des corrections, ou sans
corrections.
A ce moment nous pouvons rouler, et servir au public
l'information qui le passionne.
Certaines personnes n'aiment pas la Censure. Elles
lui adressent mille reproches.
Pour moi, je la bénis tous les jours de la semaine,
et même le dimanche.
Inspirée par l'intérêt national et par les
instructions qu'elle reçoit, elle sait ce qu'il
convient de laisser passer, et ce qu'il faut
supprimer. Elle peut se tromper, mais elle le fait
avec une bonne foi à laquelle on ne saurait assez
rendre hommage.
Son rôle est le plus ingrat du monde, car elle ne
recueille aucune gloire du travail minutieux auquel
elle s'astreint, et s'expose à la fois à la rancune
des journalistes et au mécontentement du public.
Elle est une gêne nécessaire, mais elle subit tous
les inconvénients de ce qui est une gêne, sans
pouvoir escompter ni pour le présent ni dans
l'avenir la récompense de sa délicate besogne.
On a plaisamment traité les membres du Comité de
censure de « secrétaires de réduction ». Qu'importe
la raillerie si cette commission administrative fait
oeuvre utile, et si en blanchissant une colonne elle
a mieux servi le pays que n'avait fait le
journaliste en la noircissant ? Nous ne croyons pas
outrepasser la vérité honnête en avouant que la
Censure peut commettre des erreurs. Mais les
Censeurs sont des hommes, et n'ont pas de
prétentions à l'infaillibilité. Ils agissent donc
comme des hommes. Je suis convaincu pourtant qu'ils
déposent au vestiaire, en même temps que les
pardessus et les chapeaux, toutes les passions
humaines, et qu'ils connaissent seulement leur
devoir.
Il est certainement curieux de voir un journaliste
libre défendre une institution qui réduit la
liberté. On comprendra mieux ces considérations si
l'on réfléchit qu'aujourd'hui nous ne sommes point
en période de discussion, mais à l'heure de
l'action.
RENÉ MERCIER.
ENCORE UN ÉCHO
DE MORHANGE
Un de
nos confrères parisiens raconte l'anecdote suivante
:
« C'est à Morhange. Un sergent du ..e d'infanterie,
dont je fais partie, le sergent A..,. - je ne puis
vous donner le nom - est envoyé en reconnaissance.
Un caporal et deux hommes l'accompagnent. Au cours
de son opération, le petit détachement est surpris
par une attaque de flanc, se produisant à 400 mètres
environ.
Battre en retraite ? Le sous-officier n'envisage pas
un instant cette hypothèse. La fusillade crépite. Il
ne sait guère d'où elle vient et ne peut riposter,
car divers obstacles limitent ou ferment son champ
de tir. Tout à proximité s'élève un bâtiment
dépendant d'une exploitation agricole.
Les quatre hommes s'installent sur la toiture, s'y
allongent et font le coup de feu avec des fantassins
ennemis dissimulés dans les champs. Ce sont de
merveilleux tireurs. Dès qu'un « Boche » se montre,
un d'eux le descend. Cela dure environ trois quarts
d'heure. Mais au bout de ce laps de temps, le
sergent reste seul. Ses trois compagnons ont été
tués à leur poste de combat.
Lui, placidement, continue le feu, jusqu'au moment
où un obus survient, qui démolit l'édifice. Le
sous-officier dégringole et demeure pris un instant
sous un amas de matériaux.
Puis il se dégage et se relève. Il n'a pas une
égratignure. Tranquillement, il se secoue, met son
fusil à la bretelle, bourre sa pipe et, les mains
dans les poches, sans souci de la mitraille, revient
vers nous.
Pour gagner la réserve, il passe devant le poste de
commandement.
- Pourquoi n'as-tu pas continué le feu?
lui demande le colonel qui, à la lorgnette, avait
suivi quelques-unes des phases de cet épisode.
- Pas possible, mon colonel, répond-il ces
cochons-là ont f... la ferme en bas.
Le soir son capitaine lui annonce sa nomination au
grade d'adjudant.
- Pourquoi ? s'étonne-t-il naïvement ?
C'est parce que j'ai été flanqué en bas de la
toiture ?
Pas un instant, il ne s'est douté qu'il, s'était
conduit en héros. »
DE VERDUN A
SAINT-MIHIEL
LA HAYE.
- Un journaliste hollandais qui, après avoir fait un
tour du côté de Mulhouse, est venu dans la Woëvre,
écrit dans le « Times » :
« J'arrive à Mulhouse le 26 septembre et, comme
cette ville avait été prise et reprise trois fois,
je pensais y trouver des vestiges intéressants de la
lutte. Je fus désappointé.
Sauf deux maisons endommagées, dans la rue de Bâle,
il y avait peu de traces du drame dont la ville
avait été le théâtre. Je pris le train pour Metz et,
de là, je partis en auto, escorté d'un lieutenant,
pour visiter la ligne de feu. Après la frontière
française, passé la Tour et la Woëvre, nous
rencontrons un grand nombre de troupes d'infanterie,
d'artillerie et de ravitaillements. Plus nous
avancions, plus le mouvement de troupes
s'accentuait.
Les officiers allemands avec qui je causais
n'étaient nullement satisfaits de la tournure des
événements. Toute avance leur était impossible, par
suite de la supériorité écrasante de l'artillerie
française sur l'artillerie allemande. Les Français
semblaient avoir sorti leurs grosses pièces de la
forteresse pour les mettre en position sur la ligne
d'action. Ils m'affirmèrent que l'artillerie
française a une portée supérieure de deux kilomètres
à celle de l'artillerie allemande.
Passant par Saint-Hilaire et Butgnéville, nous
arrivâmes à Harville, où nous n'étions plus qu'à
douze kilomètres de la grande forteresse de Verdun,
dont les canons vomissaient sans cesse leurs
terribles projectiles.
Dans le voisinage, se trouvait une magnifique
batterie autrichienne d'obusiers automobiles de 300
millimètres.
On ne me permit pas de m'en approcher. Mais les
officiers allemands me dirent que les Autrichiens
avaient terriblement souffert. Les obus français
balayaient les positions les mieux abritées.
Partout, en Allemagne, j'ai entendu officiers et
soldats se réjouir de la chute du fort du Camp des
Romains. « Maintenant, disaient-ils, nous avons
percé la ligne des forts. »
J'ai entendu aussi, sur la ligne de feu, une version
toute différente de l'affaire. Les pièces françaises
des forts de Paroche et de Lérouville avaient
complètement foudroyé le Camp des Romains et, après
tout, la trouée n'en était pas une. »
(à
suivre) |