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Décembre 1914 - La Vie en Lorraine (3/3)

 
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janvier 1915 février 1915 mars 1915 avril 1915  

MOGEVILLE
dans la Meuse
A ÉTÉ DÉTRUIT

M. Fabry, instituteur à Mogeville, écrit au «  Bulletin meusien » :
«  Le 13 octobre dernier, vers 11 heures du matin, quelques cyclistes allemands arrosèrent les maisons de matières inflammables, y mirent le feu et en un rien de temps tout y fut consumé. Ils restèrent là jusqu'à 4 heures du soir et de temps en temps jetaient des grenades sur certaines habitations pour en activer les flammes. La mairie, l'école, le clocher de l'église, rien ne fut épargné. (Il y a quelques jours j'ai pu constater de visu tous ces dégâts.) Une douzaine de personnes du village qui étaient encore là à 11 heures, se sauvèrent éperdues, M. Trisson et sa femme, seuls, restèrent au pays et dans l'après-midi furent enlevés par les vandales et dirigés d'abord sur la ferme de l'Epine. Depuis on ne sait ce qu'est devenu M. Trisson. Quant à sa femme, elle est venue nous rejoindre à Vaux-devant-Damloup, car elle a été mise en liberté après avoir fait quelques centaines de mètres, nos ennemis tiouvant qu'elle ne marchait pas assez vite.
Le même jour, la majeure partie du village de Maucourt subit le même sort que Mogeville. Tout est brûlé aussi à l'exception d'une dizaine de maisons. Une huitaine avant, entre 10 et 11 heures du soir, les Allemands avaient enlevé toutes les personnes qui y restaient et les ont emmenées en Saxe. Voici les noms : Mme et Mlle Willemain, Mme Couquaux Emile, Mme Marchal et ses trois enfants, Mme Bertrand,.âgée de plus de 80 ans, Mlles Marie et Mathilde Bertrand, M. et Mme Delavaux, Mme Prot et ses enfants, Mme Trouslard, MM. Lelorrain, Chenet, Colin, Févrot (ces deux derniers vieillards de plus de 75 ans).
Quelques jours après, ils ont aussi enlevé, la nuit, 83 personnes d'Ornes.
Ils ont fait de même à Foameix. Mlle Gambette, institutrice à Verdun et qui se trouvait chez ses parents à Foameix, a été prise par les Allemands. Elle nous écrivait dernièrement de Saxe que les jours s'écoulaient lentement et bien tristement pour les prisonniers comme elle.
Voici quelques renseignements sur des militaires de Mogeville :
1° Paul Adam, capitaine d'artillerie, a été tué en septembre ;
2° Henri Simon, sergent d'infanterie, a été blessé mortellement devant Maucourt, le 11 octobre et il est mort à Verdun le 1 octobre ;
3° Gallois René, adjudant, a eu l'épaule fracassée et se trouve actuellement à l'hôpital de Périgueux.
4° Huvet Georges, ingénieur chimiste, a été blessé le 29 septembre au camp des Romains. Il est actuellement prisonnier à Ulm. Son frère Pol est toujours sur la ligne de feu.
FABRY,
Employé auxiliaire aux bureaux de l'état civil de Verdun. »

RÉGLEMENTATION DE LA CIRCULATION

Nancy, 20 décembre.
Communiqué de la Préfecture :
Le territoire est divisé, en ce qui concerne la circulation, en plusieurs zones.
Les lignes de démarcation de ces zones diffèrent selon qu'il s'agit de circuler par chemin de fer ou de circuler en voiture ou à pied. La zone interdite en chemin de fer sans laissez-passer spécial s'appelle la zone Z. La zone interdite en voiture ou à pied sans laissez-passer spécial s'appelle la zone A. Ces zones sont délimitées comme il est indiqué ci-après :

Circulation en chemin de fer
Tout voyageur doit être muni, quelle que soit la longueur du trajet qu'il a à effectuer, d'un laissez-passer délivré par lie maire ou le commissaire de police. En principe, ce laissez-passer n'est jamais délivré par l'autorité militaire, qui n'appose que son visa pour autorisation.
La zone de l'intérieur est séparée de la zone Z par une ligne allant de Delle à Calais, en passant par Montbéliard, Lure, Faymont, Plombières, Bains, Lorrain, Dcmpaire, Charmes, Nancy, Pont-SaintVincent, Bariisey, Vaucouleurs, Gondrecourt, Bar-le-Duc, Vitry-le-François, Châlüns, Epernay, Château-Thierry, Crépy-enValois, Senlis, Creil, Saint-Just-en-Chaussée, Amiens, Abbeville et Boulogne.
A) La zone qui se trouve au Sud et à l'Ouest de cette ligne est libre, c'est-à-dire que l'on peut y circuler avec le seul sauf-conduit délivré par le maire ou le commissaire de police. Les gares sus-indiquées font partie de cette zone. On peut donc venir sans laissez-passer spécial de l'intérieur du pays à Nancy ou vice-versa.
Toutefois, pour utiliser la ligne de Paris par Pagny-sur-Meuse, Gondrecourt et Bar-le-Duc, il faut le visa pour autorisation de l'autorité militaire (du général commandant d'armes de Nancy pour les personnes habitant Nancy ou s'y trouvant de passage) apposé sur le laissez-passer délivré par le maire ou le commissaire central.
Le poste de Nancy laisse passer avec le seul sauf-conduit délivré par le maire ou le commissaire de police tous les voyageurs porteurs de billets directs pour Barisey et au delà. Il laisse passer avec le même saufconduit tous les voyageurs circulant entre Nancy et Blainville ou entre Nancy et Pont-Saint-Vincent.
Le poste de Bains laisse passer avec ce même sauf-conduit les voyageurs porteurs de billets directs pour Remiremont
B) La zone qui se trouve au Nord ou à l'Est de cette ligne (ou zone Z) n'est accessible que dans quelques cas bien détermines :
1° Si l'on réside dans la zone Z. - Dans ce cas, le commissaire spécial de la préfecture, dont le bureau est installé à la gare de Nancy, peut donner l'autorisation d'entrer dans cette zone.
2° Si l'on va y voir un blessé ou un malade - Le laissez-passer est, dans ce cas, délivré par le maire ou le commissaire central pour celle des gares sus-indiquées où l'on devra franchir la ligne de démarcation. (Exemplels : Blainville pour aller à Lunéville ; Charmes pour Rambervillers ; Nancy pour Frouard ; Vaucouleurs pour Pagny-sur-Meuse, etc.).
Sur présentation de pièces établissant que l'on va voir un blessé ou un malade, le gendarme de service à cette gare pourra délivrer l'autorisation d'entrer dans la zone Z, sauf cependant dans les places de Toul, Epinal et Belfort, qui ne restent accessibles qu'aux personnes munies d'autorisations délivrées par les gouverneurs de ces places.
Le gendarme de service peut également autoriser à entrer dans la zone Z ou à en sortir les personnes munies de pièces établissant leur identité et fournissant la preuve qu'elles habitent dans cette zone.
Toutefois, le fait d'être domicilié, dans la zone Z n'est pas considéré comme un motif suffisant pour être autorisé à en sortir.
Dans tous les autres cas, et tout à fait exceptionnellement, l'autorisation d'entrer dans la zone Z ne peut être accordée que par les généraux de la lre armée. (Toute personne qui s'adressera au général commandant d'armes à Nancy devra, au préalable, se munir d'un laissez-passer délivré par le maire ou le commissaire de police. Ce laissez-passer ne sera valable qu'après visa pour autorisation de l'autorité militaire.)

Circulation en voiture ou à pied
Les règles pour la circulation en voiture ou à pied restent les mêmes.
La zone interdite, ou zone A, est séparée des zones autorisées (zones B et C) par une ligne allant du Thillot à Dagonville, en passant par Cornimont, Gérardmer, Fraize, Saulcy, Saint-Benoît, Deneuvre, Vathiménil, Lunéville, Haraucourt, Saulxures, Agincourt, Faulx, Custines, Dieulouard, Villers-en-Have, Avrainville, Andilly, Ménil-la-Tour, Boucq, Corniéville, Vignot, Commercy, Lérouville, Cousanges-aux-Bois.
Il est défendu d'entrer dans la zone A sans être porteur d'un permis délivré soit par les généraux de la lre armée, soit par le commandant d'armes de la localité la plus voisine de l'endroit où l'on veut aller.
(Toute personne qui s'adressera au général commandant d'armes de Nancy, devra, au préalable, se munir d'un laissez-passer délivré par le maire ou le commissaire de police. Ce laissez-passer ne sera vadable qu'après visa pour autorisation de l'autorité militaire.)
Pour circuler en arrière de la ligne susindiquée (zone B et zone C) les permis sont délivrés par les maires, par les commissaires de police ou par les commandants locaux de gendarmerie, sans être soumis au visa de l'autorité militaire.
La zone C est séparée de la zone B par une ligne longeant la Moselle, du Thillot à Toul, puis la route de Toul à Ligny-enBarrois par Void.
Pour passer de la zone C dans la zone B en voiture ou à pied. les permis délivrés par les maires ou les commissaires de police doivent être soumis au visa de l'autorité militaire.
De cette réglementation, il résulte que des localités comme Champigneulles, Frouard, Liverdun, etc., d'un accès facile aux personnes circulant à pied ou en voiture (puisque ces localités appartiennent à la zone B) ne sont accessibles par chemin de fer que dans les conditions indiquées au § b (1° ou 2°) de la «  Circulation en chemin de fer ».
Les personnes habitant dans ces localités et venant travailler à Nancy, pourront obtenir des laissez-passer spéciaux : temporaires, délivrés par le commissaire spécial de la préfecture, ou permanents, délivrés par le cabinet de M. le préfet (sans visa de l'autorité militaire).
La durée de validité des laissez-passer pour la circulation en chemin de fer, à pied ou en voiture, est en principe limitée à trois jours. Exceptionnellement, des permis de quinze jours, non soumis au visa de l'autorité militaire, pourront être accordés par les maires ou le commissaire central aux employés ou ouvriers de l'agglomération nancéienne.
L'agglomération nancéienne comprend :
Nancy, Jarville. Tomblaine, Essey, SaintMax, Malzéville, Maxéville, Champigneulles, Villers et Laxou.

Notre offensive réussit
Leurs attaques échouent

Bordeaux, 20 décembre, 16 heures.
De la mer à la Lys, nous avons gagné un peu de terrain en avant de Nieuport et de Saint-Georges.
A l'est et au sud d'Ypres, oÙ l'ennemi renforce ses organisations défensives, combats d'artillerie et progression légère de notre part.
De la Lys à l'Oise, les forces alliées se sont emparées d'une partie des tranchées de première ligne allemandes, sur le front Richebourg-l'Avoué-Givonchy -les-la- Basslée.
Au sud-est d'Albert, la tranchée enlevée par nous le 17, près de Maricourt, et perdue le 18, a été reprise hier.
Dans la région de Lihons, les Allemands ont attaqué deux fois, et très violemment, pour nous reprendre les tranchées conquises par nous le 18. Ils ont été repoussés.
De l'Oise à l'Argonne, supériorité de notre artillerie se manifestant par l'interruption du tir de l'adversaire, la destruction d'abris de mitrailleuses et d'observatoires et la dispersion d'un rassemblement.
En Argonne, dans le bois de la Grurie, nous avons repoussé trois attaques : deux sur Fontaine-Madame, une à Saint-Hubert.
Entre Argonne et Vosges, aucun incident saillant.
Paris, 21 décembre, 0 h. 19.
Communiqué officiel du 20 décembre, 23 heures :
Sur l'ensemble du front, aucune modification n'est signalée.

PRISONNIERS CIVILS DE LA MEUSE

Nous extrayons du «  Bulletin Meusien » les renseignements que voici sur les prisonniers civils de la Meuse :
Prisonniers de Combres à Ulm (Wurtemberg), Gauserviese, Bar. 4 : MM. Georges Rouyer ; Henri Colvard ; Léonce Rouyer ; Louis Lacaille ; René Mettavant ; Georges Dessoy ; Marcel Dessoy, Onésime Wariot ; Louis Sirantoine ; Adrien Warlot ; Camille Humbert ; Humbert-Lesire ; Ernest Sirantoine ; Henri Mangin ; Georges Lacaille ; Gaston Finot ; Henri Kodisch. - Camille Minot est interné à Zvickau (Saxe), 3e compagnie. Avec nombre de ses concitoyens, il a d'abord été enfermé pendant quatre jours, 22-26 septembre, avant d'être emmené prisonnier.
M. Fel Mailfer, son fils Emile, de Hannonville-sous-les-Côtes, sont prisonniers avec 43 habitants du même pays à Ulm-sur-Danube Ganswüse, baraque 4 (Wurtemberg). On sait que tous les hommes de ce village ont été emmenés en Allemagne Il paraît qu'une douzaine y sont morts.
D'une lettre d'un prisonnier, il résulte que nos malheureux compatriotes sont soumis à un régime des plus rigoureux, obligés souvent de se contenter pour toute nourriture d'un brouet dans lequel le riz entre en majeure partie, et qui ressemble, à s'y méprendre, à de la colle de tapissier.
M. l'abbé Baur, curé de Warcq, est en captivité en Allemagne. Son frère, de Moulins, en a été informé.
MM. François, curé de Nubécourt ; Périn, d'Hennemont ; Maurice, de Paxeid ; Ruiquin, de Pintheville ; Bastien, d'Apremont ; Lion, de Varnéville ; Juste, de RichecoUtrt ; Aubois, d'Hattonchâtei ; Peltier, vicaire de Stenay.
M. Briet, de Sassey, a été emmené en Allemagne, avec 25 habitants de la commune et a donné des nouvelles à un die ses parents. - Virginie Cayer, 6e -Cie, n° 834 Kiiegsgefangenen lager Reicherbackastrass à Zwickau (Saxe) - Louis Thibert, ancien directeur de la Société Générale de Ligny, prisonnier à Munster (Westphalie). - J. Bouvier, employé à la caisse d'épargne de Bar-le-Duc. - M. Réveillez, employé de banque à Bar-le-Duc.
M. l'abbé Tridon, curé de Heudicourt, après être resté dans sa paroisse jusqu'au 13 octobre aux mains des Allemands, fut emmené, à cette date, et jnterné à la forteresse d'Ehrenbreitstein, près de Coblentz, en compagnie de 118 autres Français, dont deux prêtres de la Meuse : M. l'abbé Aubois, curé d'Hattonchâtel, et M. l'abbé Reneaux, d'Eton, ainsi que MM. Guet. Beausiey de Saint-Maurice ; Léon Deville, Cél. Henry et Fern. Léridon, de Pillon.
Il fut libéré dernièrement avec le maire d'Homécourt (M.-et-M.). Il est actuellement réfugié à Mornes (Haute-Savoie).

Nous enlevons ses tranchées
UN PEU PARTOUT
Il bombarde les villes ouvertes et les hôpitaux

Bordeaux, 21 décembre, 16 heures.
Dans la journée du 20, rien d'important à signaler en Belgique. Nous avons fait toutefois quelques progrès dans les régions de Lombaertzyde, de Saint-Georges et au sud-est du cabaret Korteker (sud-ouest de Bixschoote). Nous avons occupé quelques maisons de Zwartelem (sud de Zillekerke) et l'ennemi a bombardé l'hôpital d'Ypres.
De la Lys à l'Aisne, nous avons enlevé un bois près de la route Aix-Nouelette-Souchez et avons occupé ainsi toute la première ligne de tranchées allemandes entre cette route et les premières maisons de Notre-Dame-de-Lorette, au sud-ouest de Loos.
L'ennemi a bombardé Arras. Notre artillerie lourde a fait taire à diverses reprises l'artillerie ennemie. Au nord de Carnoy (est d'Albert), elle a bouleversé les tranchées allemandes et culbuté deux pièces d'une batterie établie près de Hem (sud-est de Carnoy). Elle a aussi pris nettement l'avantage sur l'Aisne et dans le secteur de Reims.
En Champagne, dans les régions de Prosnes, de Perthes et de Beauséjour, ainsi qu'en Argonne, nous avons réalisé sur tout notre front des gains appréciables, en particulier au nord-est de Beauséjour, où nous avons conquis 1.200 mètres de tranchées ennemies.
Dans le bois de la Grurie, nous avons fait exploser quatre sapes minées et nous nous sommes établis dans les excavations.
Entre l'Argonne et la Meuse, progrès sur tout le front, notamment dans la région de Varennes, où le ruisseau de Cheppes a été dépassé de 500 mètres, et dans la région de Gercourt et de Béthincourt.
Sur la rive droite de la Meuse, nous avons gagné du terrain sur la Croupe à deux kilomètres au nord-ouest de Brabant et dans le bois de Consenvoye.
Enfin sur les Hauts-de-Meuse, légers progrès dans le bois des Chevaliers, au, nord-est du fort de Troyon.

Les Anglais ont repris leurs tranchées perdues
NOUS EN AVONS PRIS DE NOUVELLES

Paris, 22 décembre, 5 h. 35.
Voici le communiqué officiel du 21 décembre, 23 heures :
Les troupes britanniques ont attaqué et, dans la matinée, elles avaient repris la plupart des tranchées qu'elles avaient perdues.
Devant Lihons, l'ennemi a prononcé, quatre attaques successives pour reprendre les tranchées que nous avions précédement conquises dans cette région. Toutes ses attaques ont été repoussées.
Nous avons attaqué au nord-est de Puisaleine, au sud de Roy on et nous avons pris pied dans les tranchées adverses de première ligne, et progressé dans le bois de Saint-Mard.
Aucun autre renseignement important, n'est encore parvenu sur les opérations de la journée.

L'ENTRÉE DES ALLEMANDS A SAINT-DIÉ

Nous avons reproduit la déclaration du premier lieutenant Eberlein qui reconnaissait, dans les Mùnchner Nachrichten du 7 octobre dernier, que les troupes allemandes, à leur entrée à Saint-Dié, le 27 août, s'étaient abritées derrière des civils désarmés. La Gazette Vosgienne, de Saint-Dié, donne, sur cet épisode, les renseignements complémentaires qui suivent :
«  L'extrait des Mùnchner Neueste Nachrichten n'apprendra rien sans doute à nos concitoyens, mais il nous permet de préciser dès maintenant les détails du tragique épisode auquel le lieutenant Eberlein a apporté son précieux témoignage.
«  C'est à l'extrémité de la rue d'Alsace que les civils arrêtés par les Allemands furent obligés de s'asseoir au milieu de la voie.
«  Quant aux civils arrêtés par le régiment de réserve «  qui est entré à Saint-Dié plus au nord », ils n'ont pas été obligés de s'asseoir, mais seulement de marcher à la tête du détachement ennemi.
«  Ces civils étaient au nombre de quatre : M. Camille Chôtel, dit «  le Blanc », charpentier, âgé de 34 ans ; Léon Georges, sans profession, âgé de 27 ans ; Henri Louzy et Georges Visser, comptable. Les deux premiers seuls furent tués. Les deux derniers n'ont été que blessés et sont aujourd'hui rétablis.
«  Un autre habitant de notre ville fut tué le même jour, et c'est à lui sans doute que fait allusion le passage où le lieutenant Eberlein déclare : «  Tout ce qui se montre encore dans la rue est fusillé »
«  Cette dernière victime, Camille Lafoucrière, manoeuvre, âgé de 18 ans, se trouvait à l'angle des rues du 10e Bataillon et de la Prairie, lorsqu'un Allemand tira sur lui un coup de fusil qui le tua net. »

LA LEÇON D'UNE SEMAINE
RÉSULTATS HEUREUX DE NOTRE OFFENSIVE

Paris, 22 décembre, 1 h. 07.
Le récit des principaux faits de guerre du 7 décembre au 15 dit qu'au cours de cette période, l'ascendant pris par notre infanterie nous a permis de réaliser, sur plusieurs parties du front, des progrès qui paraissent avoir inquiété l'ennemi.
L'infanterie allemande est partout peu attentive. Ses tirailleries continuelles décèlent chez elle une certaine nervosité.
L'emploi, de plus en plus fréquent, de projecteurs et de fusées éclairantes, révèle également ses craintes d'attaques.
Après leurs coûteuses et vaines expériences du mois dernier, nos adversaires paraissent presque partout réduits à la défensive.
C'est nous qui, sur tout le front, avons une attitude offensive.
Dans les duels d'artillerie, nos batteries affirment de plus en plus leur supériorité.
Paris, 22 décembre, 1 h. 08.
Le récit des faits de guerre du 7 au 15 décembre donne encore ces détails :
Entre la mer et l'Oise, les attaques des Allemands ont été repoussées partout.
Elles étaient, d'ailleurs, mal soutenues par leur artillerie.
Au contraire, l'infanterie française, prenant l'offensive, réussit à progresser sur divers points, notamment à Vermelles, dont l'occupation par les troupes françaises contraignit l'ennemi à reculer de trois kilomètres.
Sur la route de Lille également, nous avons progressé, après avoir fait sauter à la sape les tranchées allemandes.
Contrairement à l'artillerie allemande, qui ne réussit qu'à causer des dégâts matériels sans importance, les batteries françaises affirment leur supériorité en bouleversant les tranchées ennemies, en gênant les travailleurs allemands, en atteignant les rassemblements de troupes.
Malgré les intempéries, le moral des Français est parfait ; leur bonne humeur étonne les prisonniers allemands par son contraste avec la lassitude de leurs camarades.
Entre l'Oise et l'Argonne, tandis que l'artillerie allemande s'acharne à bombarder les villes et les villages, l'artillerie française atteint les trains allemands, disperse les rassemblements, détruit mitrailleuses et canons lourds de l'ennemi.
En Argonne, l'ennemi marque toujours la plus grande activité.
La guerre de sape se mêle aux attaques de l'infanterie. Les troupes françaises ont réussi à repousser l'ennemi des divers points, notamment devant Saint-Hubert.
Elles gagnent du terrain à l'ouest de Perthes.
Les Allemands, dont les attaques d'infanterie sont vaines, ont réussi à faire sauter à la mine quelques tranchées françaises à Haute-Chevauchée, mais un barrage empêche la progression ennemie.
De l'Argonne à la frontière suisse, l'artillerie a montré surtout de l'activité, particulièrement dans la région de Varennes, mais les Allemands ont seulement réussi à causer des dégâts matériels, alors que les batteries françaises, repérant habilement les positions ennemies, ont détruit des convois et des colonnes de blockhaus ennemis.
Entre la Meuse et la Moselle, la progression française est continue. Une attaque française contre les bois de Remière et de Sonnard était parvenue à occuper la première ligne des tranchées ennemies, mais la deuxième ligne allemande réussit à réoccuper la première ligne, où les fantassins français étaient dans une position très difficile, par suite d'un terrain détrempé Malgré l'extrême difficulté du terrain, nous reprenions, le même jour, 500 mètres du front momentanément abandonné.
Des avions français ont bombardé Fribourg-en-Brisgau, le 15 décembre.
Dans les Vosges, les positions conquises sont solidement maintenues, malgré les attaques allemandes, et nos progrès continuent et s'accentuent.
Les Allemands essaient vainement, au prix de lourds sacrifices, de reprendre Cernay.
Ils réussissent à occuper Steinbach, dont les hauteurs dominant Cernay restent entre nos mains.
En résumé, sur un grand nombre de points, nos attaques furent couronnées de succès.
Nous n'avons abandonné nulle part le terrain gagné.
Partout l'ennemi a dû garder une attitude défensive, qui a confirmé les troupes françaises dans la conscience de leur supériorité.

ATTAQUES & CONTRE-ATTAQUES
Quelques positions conquises
D'autres consolidées

Bordeaux, 22 décembre, 16 heures.
Entre la mer et la Lys, il n'y a eu dans la journée du 21 que des combats d'artillerie.
De la Lys à l'Aisne, nous avons refoulé une attaque allemande qui cherchait à déboucher de Carency et nous avons pris quelques maisons à Blangy.
Une attaque allemande sur Mametz et les tranchées voisines n'a pas permis à nos troupes de progresser sensiblement de ce côté Dans la région de Lihons, trois attaques ennemies ont été repoussées.
Léger gain à l'est et à l'ouest de Tracy-le-Val. Notre artillerie a tiré efficacement sur le plateau de Nouvrons.
Dans les secteurs de l'Aisne et de Reims, combats d'artillerie.
En Champagne et en Argonne, autour de Souain, violents combats à la baïonnette.
Nous n'avons pas progressé d'une façon sensible dans cette région. Nous avons enlevé aux abords de Perthes-les-Hurlus trois nouveaux ouvrages allemands représentant un front de tranchées de 1.500 mètres.
Au nord-est de Beauséjour, nous avons consolidé les positions conquises le 20 et occupé toutes les tranchées qui bordent la crête du Calvaire.
Dans le bois de la Grurie, notre progression a continué.
A Saint-Hubert, nous avons repoussé une attaque.
Dans le bois de Bolante, où quelque terrain avait été perdu, nous en avons repris les deux tiers.
Entre Argonne et Meuse, légers progrès aux abords de Vauquois.
Au nord du bois de Malanoourt, nos troupes ont réussi à franchir un réseau de fils de fer et à s'emparer des tranchées ennemies, où elles se sont maintenues.
Sur la droite de la Meuse, dans le bois de Consenvoye, nous avons perdu, puis reconquis, après de vifs combats, le terrain gagné par nous le 20.
Des Hauts-de-Meuse aux Vosges, rien à signaler.
Paris, 23 décembre, 0 h. 50.
Communiqué officiel du 22 décembre, 23 heures :
Au nord-ouest de Puisaleine, sud de Noyon, l'ennemi a exécuté, hier soir, de violentes contre-attaques, qui ont été toutes repoussées.
Au sud de Varennes, nous avons pris pied, hier soir, dans Boureuilles.
Nos attaques ont continué aujourd'hui.
Elles paraissent nous avoir fait progresser dans Boureulles et à l'ouest de Yauquois.
Rien n'est encore signalé du reste du front.

PAROLES DE REVENANTS

Un jeune homme, arrivé récemment de Longuyon, nous donne, après avoir lu le récit que nous avons publié le 9 de ce mois, des renseignements complémentaires.
Il ne serait pas établi avec certitude que M. et Mme Delorme aient été trouvés morts dans leur cave, il est certain seulement qu'ils n'ont plus été revus. L'assassinat de M. le curé Braux et de M. l'abbé Persyn se serait accompli dans les circonstances suivantes : Les Allemands firent demander chez les soeurs M. le curé et le Père Oblat Thiriez. Ce dernier était absent. Le curé, ne sachant ce qu'on leur voulait, dit à l'abbé Persyn : «  Venez avec moi ». Tous deux furent d'abord détenus, au pain et à l'eau, pendant trois jours, chez M. Colette, marchand de vins, puis fusillés. M. le curé avait planté le drapeau de la Croix-Rouge sur le clocher de l'église pour la préserver ; les Allemands ont prétendu que c'était un signal destiné aux Français.
Mme Pellerin reçut deux balles ; elle traversait la route de Froidcul pendant que les Allemands entraient. Elle tomba sur l'escalier de la maison vers laquelle elle se dirigeait, criant : «  Achevez-moi ! » puis mourut presque aussitôt. Dans la rue Jeanne-d'Arc, au quartier de la Gaillette, il n'y a qu'une maison brûlée, celle qui est située dans le haut, près d'une maison en construction.
Les maisons habitées par MM. Clesse et Montagnon ont reçu chacune un obus qui fit de grands ravages. Elles n'ont pas été brûlées. Dans la rue de la Gaillette, au-dessous de la rue Jeanne-d'Arc, il reste encore deux maisons intactes : celles du bout, en montant vers le château-d'eau.
A Froidcul, la maison Thiébaut a été criblée de balles, mais non brûlée. Les
deux premières maisons, à gauche, en montant, ont reçu des obus, mais ne furent pas brûlées ; les autres sont détruites, sauf la dernière, à gauche toujours en montant. M. Martin, le facteur, l'aîné des fils Reinalter, les enfants de Mme Chrétien ont été fusillés. Mme Barthélémy, de Spincourt, est chez Mme Goucet, à Longuyon, ainsi que la famille Fondeur et Mme Comon. M. Feuillade a été nommé non pas maire, mais adjoint par l'autorité allemande. Un changement de commandant lui a retiré cette peu enviable fonction.
Nous remarquons, par les récits des tueries que nous apportent les réfugiés, la préoccupation des bandits à trouver un motif justificateur. On a dit que l'hypocrisie était un hommage rendu à la vertu ; les Allemands reconnaissent ainsi combien il est criminel de massacrer sans raisons les populations civiles. Les motifs qu'ils donnent sont improvisés d'ailleurs avec une impudeur grossière, comme dans le cas du curé de Longuyon. Pour Mme Pellerin, ils ont prétendu qu'elle avait un revolver !
De même pour les otages. Ils ont emmené le maire de Lexy, parce qu'on découvrit des soldats français réfugiés dans une cave du village ; à Herserange, où la population fut placée devant les batteries allemandes, MM. Haut, Hendart et le curé ont été emmenés parce qu'on trouva des pigeons chez eux (à Longwy, il fallait porter à l'autorité les têtes coupées des pigeons que l'on possédait) ; le maire de Remoncourt fut emmené aussi en captivité parce qu'un uhlan était mort. On accusa le maire de ne pas l'avoir assez bien soigné.
Ils ne spécifient pas la cause de la mort du baron de Klopstein, mais pensent s'excuser en racontant que c'est une balle égarée qui le frappa, à sa fenêtre, en plein front, par un malencontreux hasard. Seulement, le soir, un capitaine, ivre, annonçait triomphalement qu'il avait tué «  le gentilhomme du pays ». Et cette brute ricanait en voyant les larmes que ne pouvait retenir la femme devant qui son orgueil aviné éructait ses paroles. La saoulerie fut digne de la soif allemande : 25.000 bouteilles de vin fin, provenant du pillage du château, coulèrent dans les ventres teutons, remplis, mais non rassasiés.
GUSTAVE VERNON.

RENTRÉE DES CHAMBRES
La Déclaration ministérielle

Paris, 22 décembre, 15 h. 45.
La rentrée des Chambres a eu lieu cet après-midi.
Grande affluence à la Chambre. Les tribunes réservées au public sont pleines, notamment celles réservées au corps diplomatique.
Tous les députés assistent à la séance, qui s'ouvre à 2 h. 15.
M. Deschanel, président, prononce aussitôt son allocution.

Allocution de M. Deschanel
«  Les représentants de la France, dit-il, doivent élever leurs âmes vers les héros qui combattent pour elle depuis cinq mois.
«  Jamais la France ne fut plus grande. Jamais, en aucun temps, en aucun pays, on ne vit plus magnifique explosion de vertus.
«  C'est que la France ne défend pas seulement, en cette heure décisive, sa vie, sa terre, ses souvenirs sacrés. Avec l'Angleterre, la Russie, la Belgique, la Serbie et le Japon elle défend encore le respect des traités, l'indépendance de l'Europe et la liberté humaine.
«  Aujourd'hui, il s'agit de savoir si la matière asservira l'esprit, si le monde sera la proie sanglante de la violence.
«  L'Europe veut respirer. Les peuples entendent disposer librement d'eux-mêmes
«  Pour nous, nous ferons jusqu'au bout tout notre devoir, pour réaliser la pensée de notre race : Le droit prime la force. »

Les députés décédés
M. Deschanel a fait ensuite l'éloge funèbre des députés décédés. Il a rendu surtout un éloquent hommage à l'héroïsme des membres du Parlement tués à l'ennemi.
M. Viviani a alors donné lecture de la Déclaration du gouvernement.

LA DÉCLARATION
La Déclaration ministérielle débute ainsi :

L'union nationale
«  Il n'y a, pour l'heure, qu'une politique. C'est une politique de combat sans merci, jusqu'à la libération définitive de l'Europe, ayant pour gage une paix pleinement victorieuse.
«  C'est le cri unanime du Parlement, du pays et de l'armée.
«  Devant le surgissement, inattendu pour elle, du sentiment national, l'Allemagne a été troublée dans l'ivresse de son rêve de victoire. »

L'Allemagne seule responsable
La Déclaration constate ensuite qu'il est actuellement démontré que l'Allemagne est entièrement responsable de la guerre ; que depuis plus de 40 ans elle poursuivait inlassablement son but, l'écrasement de la France, pour arriver à l'asservissement du monde.

Nous irons jusqu'au bout
«  Puisque, malgré leur attachement à la paix, la France et ses allies ont dû subir la guerre, elles la feront jusqu'au bout.
«  La France n'abaissera les armes qu'après avoir vengé le droit outragé, soudé pour toujours à la Patrie la Belgique dans la plénitude de sa vie matérielle et de son indépendance politique ; brisé le militarisme prussien, afin de pouvoir reconstruire sur la justice une Europe enfin régénérée.

La certitude de la victoire
«  Nous avons la certitude du succès. Nous avons pu montrer au monde qu'une démocratie organisée peut servir, par une action vigoureuse, l'idéal de liberté et d'égalité qui fait sa grandeur. »

La tâche peut être longue
La Déclaration confirme que notre situation financière nous permet de continuer la guerre jusqu'au jour où les réparations nécessaires seront obtenues.
La Déclaration continue, en ces termes :
«  Le jour de la victoire définitive n'est pas encore venu. La tâche, jusque-là, sera rude. Elle peut être longue.
«  Préparons-y nos volontés et nos courages.
«  Héritière du plus formidable fardeau de gloire qu'un peuple puisse porter, la France souscrit d'avance à tous les sacrifices.
«  Nos alliés le savent. Les nations neutres le savent.
«  Une campagne effrénée de fausses nouvelles a essayé vainement de surprendre en elles la sympathie qui nous est acquise.
«  Si l'Allemagne, au début, a feint d'en douter, elle n'en doute plus à présent. »

L'union des alliés pour l'idéal du droit
La Déclaration conclut :
«  Aujourd'hui comme hier, comme demain, n'ayons que le cri de la victoire, que la vision de la Patrie, que l'idéal du droit.
«  C'est pour lui que nous luttons, que luttent encore la Belgique, qui a donné à cet idéal tout le sang de ses veines ; l'inébranlable Angleterre, la Russie fidèle, l'intrépide Serbie, l'audacieuse marine japonaise.
«  Rien de plus grand n'apparut jamais aux regards des hommes contre la barbarie et le despotisme, contre le système de provocations et de menaces méthodiques que l'Allemagne appelait «  la paix », contre le système des meurtres et des pillages collectifs que l'Allemagne appelle «  la guerre » ; contre l'hégémonie insolente d'une caste militaire qui a déchaîné le fléau...
«  Avec ses alliés, la France émancipatrice et vengeresse, d'un seul élan, s'est dressée. »

DEUX BOMBES SUR NANCY
AUCUN MAL

Mardi, 22 décembre, un peu avant une heure de l'après-midi, un aréoplane allemand a mis à profit le temps particulièrement clair pour survoler Nancy à une grande hauteur.
En passant au-dessus du faubourg Saint-Georges, il a laissé tomber une bombe. Le projectile a atteint la toiture d'un bâtiment des Docks et Magasins généraux, en bordure sur la rue Lamothe. Après avoir brisé deux tuiles, il est allé tomber sur le plancher du grenier, où il est resté sans exploser.
Il a été ramassé peu après par les employés des Docks qui en ont fait la remise à l'officier commandant le poste de la gare Saint-Georges.
Cette bombe, tombée à une heure moins cinq, n'a causé aucun dégât.

Dix minutes après, un autre projectile, venait tomber rue Grandville, devant la maison portant le numéro 5. Cette bombe mal dirigée, s'écrasait par le culot sur le pavé de la rue. Elle se brisait en quatre parties, sans faire explosion. La charge, composée d'une poudre de couleur jaunâtre, se répandait sur la chaussée.
Un enfant, qui se trouvait dans la rue, a ramassé les morceaux de l'engin et les a remis quelques minutes après à un officier de la place.
Comme aux Docks, cette bombe n'a causé ni accident de personnes ni dégâts matériels.
Les avions français ont donné bientôt la chasse au Taube qui s'est empressé de regagner les lignes allemandes afin de se mettre à l'abri.
Nos ennemis, qui ne devaient avoir d'autre but que de jeter la panique parmi la population nancéienne en sont pour leurs frais, et cette tentative infructueuse démontre, une fois de plus, la qualité de leur «  camelote ». Mais n'allons pas nous en plaindre !...

RETOUR DE PRISONNIERS

Mardi, 22 décembre, à 5 heures du soir, MM. Auguste Maire, maire d'Arracourt ; Joseph Bourdon, de Laneuveville-aux-Bois; Jules Antoine, d'Arracourt ; Dime, adjoint, d'Emberménil ; Dumont, Camille Bontemps, de Bey ; Florentin, d'Arraye-etHan ; Moitrier, de Pont-à-Mousson ; Hostier, maire d'Homécourt, qui depuis le début de la guerre étaient prisonniers des Allemands et internés à la citadelle d'Ehrensbreisten, près de Coblentz, sont arrivés à Nancy, après un long et fatigant voyage.
Ces neuf Français furent ramenés de leur lieu d'internement à Dieuze, qu'ils quittèrent mardi matin, à 3 heures. Ils furent dirigés vers la Suisse, qu'ils durent traverser avant de rentrer en France.
Aux quelques personnes avec lesquelles ils se sont entretenus, ils ont déclaré que pendant quelque temps il y eut plus de trois cents Français civils internés à Ehrenbreisten. Parmi eux se trouvaient de nombreux Lorrains des pays annexés, dont les deux frères Samain.
Peu à peu les Allemands délivrèrent une partie des internés ; au moment du départ de nos compatriotes, à peine cent Français étaient encore dans la forteresse.

LA MINE ET LA BAÏONNETTE
ont bien travaillé
Section de mitrailleuses capturée

Bordeaux, 23 décembre, 16 heures.
En Belgique, nous avons, hier, légèrement progressé entre la mer et la route de Nieuport à Westende, ainsi que dans la région Steenstraete-Bixchoote, où nous avons enlevé un bois, des maisons et une redoute.
A l'est de Béthune, nous avons repris, en collaboration avec l'armée britannique, le village de Givenchy-les-La-Bassée qui avait été perdu.
Dans la région d'Arras, un épais brouillard a ralenti l'activité de l'ennemi et la nôtre.
A l'est d'Amiens, sur l'Aisne et en Champagne, combats d'artillerie.
Dans la région de Perthes-les-Hurlus, nous avons après une vive canonnade et deux assauts, enlevé le dernier tronçon de la ligne partiellement conquise le 21 (gain moyen 800 mètres).
Dans la dernière tranchée prise, nous avons capturé une section de mitrailleuses complète (personnel et matériel). Une violente contre-attaque a été repoussée.
Nous avons également progressé au nord-est de Beauséjour, où l'ennemi a de nouveau contre-attaqué sans succès.
Sensible avance de nos troupes dans le bois de la Grurie. Sur un front de tranchées de 400 mètres et une profondeur allant jusqu'à 250 mètres, nous avons fait sauter à la mine deux lignes allemandes et occupé les excavations.
Les combats se poursuivent autour de Boureuilles, où les résultats assez sérieux acquis hier matin, paraissent n'avoir pu être entièrement maintenus. Aucun incident des Hauts-de-Meuse à la Haute-Alsace.

NOS PROGRÈS
ENTRE LA MEUSE ET L'ARGONNE

Paris, 24 décembre, 1 h, 12.
Voici le communiqué officiel du 23 décembre, 23 heures :
Les progrès réalisés par nos attaques, entre la Meuse et l'Argonne, ont été presque entièrement maintenus.
Aux dernières nouvelles, notre front atteignait le réseau de fils de fer de l'ennemi, au saillant sud-ouest du bois de Forges, à l'est de Cuisy, et il bordait le chemin au bois de Boureuilles.
Aucun autre incident notable à signaler.

NOTRE POUSSÉE
Attaques et contre-attaques, surtout dans le Nord, dans l'Aisne, en Champagne, en Woëvre et en Vosges favorisent nos armes.

Paris, 24 décembre, 1 h. 35.
De la mer à la Lys, nous avons progressé à la sape dans les dunes et repoussé une contre-attaque devant Lombaertzide.
A Zwartelen (sud-est d'Ypres), nous avons enlevé un groupe de maisons et refoulé jusqu'à la partie sud du village, malgré un feu très vif de l'artillerie allemande, une contre-attaque ennemie.
L'armée belge a poussé des détachements sur la rive droite dei l'Yser, au sud de Dixmude, et organisé une tête de pont.
Dans la région d'Arras le brouillard a continué à rendre toute opération Impossible.
A l'est et au sud-est d'Amiens, notamment aux abords de Lassigny, combats d'artillerie.
Dans la région de l'Aisne, les zouaves pendant toute la journée, ont brillamment repoussé plusieurs attaques et sont demeurés maîtres, près du chemin de Puisaleine, des tranchées allemandes enlevées le 21.
En Champagne, nous avons consolidé nos progrès de la veille, dans la région de Craonne et de Reims. Près de Perthes, toutes les contre-attaques de l'ennemi sur les positions conquises par nous le 22, ont été repoussées.
Au nord-ouest de Mesnil-les-Hurlus, nous avons enlevé 400 mètres de tranchées allemandes et repoussé une contre-attaque. Les Allemands ont tenté de prendre l'offensive du côté de Ville-sur-Tourbe. Notre artillerie les a dispersés.
En Argonne, nous avons gagné un peu de terrain dans le bois de la Grurie et repoussé une attaque allemande vers Bagatelle.
Dans la région de Verdun, aucune opération importante à cause de la brume.
L'ennemi a contre-attaqué sans succès dans le bois de Consenvoye.
Dans la forêt d'Apremont notre artillerie a bouleversé et fait évacuer plusieurs tranchées par l'ennemi.
En Woëvre, elle a réduit au silence les batteries allemandes.
Dans la région du Ban-de-Sapt, au nordest de Saint-Dié, notre infanterie a fait un bond en avant et s'est établie sur le terraiin gagné.
Rien à signaler en Haute-Alsace.
Paris, 25 décembre, 0 h, 35.
Communiqué officiel du 24 décembre, 23 heures :
Au nord de la Lys, l'ennemi a canonné assez violemment les abords de la route d'Ypres à Comines et ceux de Langemark, mais il n'a prononcé aucune attaque.
Devants La Boisselle, au nord-est d'Albert, légère progression de nos troupes.
La nuit dernière, une attaque allemande sur le bois de Saint-Mard, à l'est de Tracy-le-Val, a été repoussée.
Nous organisons les tranchées enlevées avant-hier, près de Puisaleine.
Le terrain conquis dans le Ban-de-Sapt, près de Launois, au nord de Saint-Dié, a été conservé et organisé.
Aucune autre nouvelle importante n'est parvenue du reste du front.

LA RECONSTRUCTION
DES
VILLAGES LORRAINS

Nancy, 25 décembre.

III

Simultanément avec la commission des parlementaires des régions envahies, dont nous ignorions les conclusions, nous avons soutenu, dans l'Est Républicain, que la Nation devait supporter la dépense de reconstitution des villages détruits.
Le gouvernement en prit l'engagement solennel devant les Chambres, proposa une première ouverture de crédit de 300 millions, affirma «  que la France redresserait ces ruines en escomptant certes le produit des indemnités qu'elle exigerait de l'ennemi vaincu mais, en attendant, à l'aide d'une contribution que la Nation entière paierait, fière, dans la détresse d'une partie de ses enfants, de remplir le devoir de la solidarité nationale. »
A l'unanimité, les Chambres ratifièrent cette proposition, se réservant d'en préciser l'application par une loi spéciale.
Au lendemain de ce vote, l'un des membres les plus actifs de la commission parlementaire nous encourageait à poursuivre notre modeste collaboration à l'étude de cette oeuvre nationale : «  Continuez, nous écrivait-il, à pousser à la roue, car nous ne sommes pas au bout de nos difficultés, en cette matière. »
La besogne est complexe, en effet, car elle intéresse notre patrimoine d'art, celui des villes et des villages. Nous nous préoccupons seulement de faciliter le retour à la terre et d'y maintenir ceux qui en tirent leurs moyens d'existence. En Lorraine, où de grandes industries se sont créées et développées au milieu des campagnes, nous songeons encore ainsi à assurer là une réserve de travailleurs industriels pouvant jouir de la vie familiale, au grand air.
Les avis que nous exprimons nous ont été suggérés au cours des visites dans les villages ravagés par l'Allemand.
Certains propriétaires de maisons détruites nous ont avoué que s'ils touchaient leur indemnité en espèces, ils n'hésiteraient pas à vendre ensuite leurs terres à n'importe quel prix, pour aller se fixer ailleurs.
N'est-ce point les protéger contre leur propre imprévoyance que d'employer cette indemnité à la reconstruction de leur maison pour les maintenir là où ils sont assurés de pourvoir à leurs besoins ?
N'est-ce point défendre l'intérêt collectif du village que d'empêcher l'avilissement du prix des terres et d'assurer la disparition des maisons en ruines ?
C'est pour défendre ce même intérêt collectif que nous soutenons que l'étude de l'aménagement d'ensemble du village doit précéder celle de toute reconstruction particulière. A Crévic, par exemple, 92 maisons ont été totalement incendiées ; les ruines laissent encore apparaître le défaut total du tracé d'alignement, cause de gêne pour la circulation ou l'établissement de caniveaux, et la distribution défectueuse de bâtiments surajoutés sans souci de l'éclairage ou de l'aération. On ne doit point reconstruire ce village avant d'avoir établi préalablement un plan d'ensemble des voies à rectifier, des canalisations nécessaires, et une étude avec devis pour chaque maison nouvelle qui devra non seulement compenser celle détruite, mais répondre aux besoins réels de celui auquel elle sera destinée, et, à ce sujet, nous préciserons notre conception de la maison du cultivateur lorrain.
Il conviendra ensuite par raison d'économie de faire emploi de tous les matériaux utilisables provenant des maisons ravagées en les affectant, au besoin, à l'ensemble des travaux de reconstruction.
Des résistances - s'opposeront pour l'échange des parcelles et l'attribution de ces matériaux ; la déclaration d'utilité publique en facilitera la réduction.
Il semble donc qu'il conviendrait de dresser un état comprenant le détail de chaque sinistre et résumant l'indemnité globale nécessaire à chaque village pour relever ses ruines ; de considérer ces travaux de reconstruction comme un ensemble de travaux communaux d'utilité publique ; de soumettre à une seule expropriation la totalité des parcelles occupées par les maisons à reconstruire, sous réserve de rétrocéder, à titre gratuit, à chaque propriétaire l'emplacement nécessaire pour sa nouvelle demeure, et de lui compenser les parcelles distraites de son patrimoine pour les alignements ou l'emplacement mieux approprié des nouveaux bâtiments communaux.
Les lois en vigueur, relatives aux expropriations, visant particulièrement les travaux communaux, ne paraissent point s'opposer à cette procédure d'expropriation globale mais au surplus la loi, toujours perfectible, doit s'inspirer des besoins nouveaux du pays, et, dans le cas particulier, la législation pourrait encore être simplifiée en donnant à des commissions d'arbitrage les pouvoirs nécessaires pour évaluer les dommages et préciser les compensations.
MAURICE GRUHIER.
PAUL CHARBONNIER..

NOTRE OFFENSIVE
DES
FLANDRES aux VOSGES
Nous avons avancé partout

Paris, 25 décembre, 16 heures.
En Belgique, combats intermittents d'artillerie.
De la Lys à l'Oise, nous avons atteint, le 23 au soir, la bifurcation des chemins de Loos au Rutoire et de Loos à Vermelles.
Au nord-est d'Albert, nous nous sommes emparés de la partie du village de la Boisselle, située au sud-ouest de l'église, et d'une tranchée avancée au sud du village.
Au nord de Roye, à Lihu, près de Lihons, nous avons également fait quelques progrès. Ces diverses attaques, menées avec beaucoup d'entrain, ont partout conservé le terrain gagné.
Au sud de l'Oise, notre artillerie a bouleversé des organisations défensives de l'ennemi dans la région de Bailly et sur le plateau de Nouvron.
Sur l'Aisne et en Champagne, combats d'artillerie. Plusieurs attaques allemandes ont été repoussées. Au nord de Sapigneul (près de Berry-au-Bac) notamment, une légère avance de nos troupes a été suivie d'une forte contre-attaque ennemie qui a complètement échoué.
Dans la région de Perthes et de Mesnilles-Hurlus, nos progrès des jours précédents ont été poursuivis et consolidés.
Au nord de Mesnil, nous nous sommes emparés d'un bois, fortement organisé par l'ennemi, à l'est des tranchées conquises par nous le 23 décembre.
Au nord-est de Mesnil, et à l'est de Perthes, nous avons chassé l'ennemi des tronçons de tranchées qu'il occupait encore et nous sommes maintenant maîtres de toute sa première ligne de défense.
En Argonne, dans le bois de la Grurie, à Bagatelle, Fontaine-Madame et Saint-Hubert, nous avons repoussé cinq attaques et conservé notre front.
Entre Argonne et Meuse, malgré la neige et le brouillard, nous avons progressé sur le front Boureuilles-Vauquois.
Dans la région de Cuisy-Bois-de-Forges, notre artillerie lourde, en maîtrisant les batteries et les mitrailleuses ennemies, a permis à notre infanterie de faire un bond en avant.
Sur la rive droite de la Meuse, les Allemands ont bombardé la corne sud du bois de. Consenvoye, où nous sommes établis.
Dans le bois d'Ailly et dans la forêt d'Apremont, notre artillerie a obligé l'ennemi à évacuer plusieurs tranchées.
Dans les Basses-Vosges, nous nous sommes avancés jusqu'à quinze cents mètres de Cirey-sur-Vesouze.
Paris, 26 décembre, 0 h. 18.
Voici le communiqué officiel du 25 décembre, 23 heures :
Légère progression en avant de Nieuport.
Vers Notre-Dame-de-Lorette, au nord de Lens, une attaque ennemie a été repoussée.
Dans la matinée, nous avons enlevé de nouvelles tranchées près de Puisaleine, et nous nous y sommes maintenus, malgré plusieurs contre-attaques.
La nuit dernière, l'ennemi a attaqué vigoureusement, mais sans succès, dans les Vosges, à Tête-de-Faux.

LES OTAGES LORRAINS
SOUS la BOTTE des BARBARES
M. Florentin, adjoint au maire d'Arraye-et-Han, nous fait un douloureux tableau des trois mois de captivité qu'il a passés dans les geôles.

Nancy, 25 décembre.
Parmi les otages revenus à Nancy, mardi dernier, M. Florentin, adjoint au maire d'Arraye-et-Han, est un de ceux qui ont vécu les heures les plus tristes dans les prisons allemandes.
Allemandes ? Non. M. Florentin est resté pendant trois mois à proximité de la frontière, allant d'Arraye à Delme, puis à Dieuze, à Morhange et enfin à Phalsbourg.
Il nous a conté hier son odyssée en ces termes :
«  Les Allemands sont arrivés dans le village le 1er septembre. La municipalité s'était conformée scrupuleusement aux instructions administratives : on avait affiché un appel au calme ; on avait invité les habitants qui possédaient des armes à en effectuer immédiatement le dépôt.
«  Il était environ 9 heures et demie du matin, quand, en sortant du débit Léon V..., un client de l'établissement aperçut dans les jardins un dragon allemand qui semblait se tenir en embuscade.
«  Presque aussitôt un coup de feu retentit. L'alarme est donnée. Les Boches accourent ; ils prétendent que des civils ont tiré sur eux ; ils réclament la présence du maire, M. Joseph Rousselot, qui proteste énergiquement et affirme que ses recommandations ont été sagement écoutées par la population.
«  Un capitaine dirige l'enquête. Il semble furieux. Sur son ordre, M. le curé Lambert attelle une charrette et se rend à la mairie pour y ramasser les fusils, pendant qu'une proclamation placardée sur les murs menace des pires châtiments quiconque s'opposera à l'occupation du pays.
«  Quatre otages, d'ailleurs, répondront sur leur vie du respect de l'autorité qui vient ainsi de se substituer à la loi française : MM. Rousselot et Godefroy, M. le curé Lambert et moi sommes dès lors prisonniers.
«  Le coup de fusil avait été certainement tiré par le dragon en embuscade ; mais il se garda bien d'en faire l'aveu. On frémit à la pensée des malheurs dont Arraye eût été le théâtre, si cette provocation avait entraîné les terribles conséquences, les exécutions, les incendies, les pillages dont on a enregistré ailleurs les excès criminels.

A Delme
« - Sans permettre aux otages de rentrer chez eux pour prévenir leur famille, pour se munir de linge ou d'argent, une escorte de uhlans nous pousse sur la route de Delme.
«  Je vous laisse à penser les réflexions qui assiégeaient notre esprit. Qu'allait-on faire de nous ? Une consigne formelle nous empêchait de parler. Les uhlans se montraient farouches. Il n'était que trop visible qu'à la moindre incartade ils assouviraient sur nous leur brutalité, leur sauvagerie.
«  En traversant la commune de Lémoncourt, une soldatesque en fureur se précipita vers nous. Le chef de notre escorte avait rapidement prononcé deux ou trois mots dont le sens m'échappait, mais qui eurent pour effet d'exciter la rage de nos insulteurs.
«  Leurs menaces, leurs gestes indiquaient une telle haine, une telle envie de nous écharper que mes compagnons et moi aurions refusé la liberté, si on nous l'eût accordée à la condition de revenir chez nous par le même chemin.
«  Personne, au surplus, n'était décidé à nous lâcher. En arrivant à Delme, les uhlans nous conduisent directement vers le presbytère auquel l'état-major avait donné l'affectation d'une sorte de prison civile.
«  C'est là que j'ai vécu pendant deux semaines. Affront, privations ne nous ont pas été ménagés. Nous vivions à nos frais; ceux qui possédaient quelques ressources devaient naturellement payer la nourriture de ceux qui avaient été emmenés sans un maravédis.
«  Il y avait là avec nous, trois habitants de Lanfroicourt et un de Ménil-Flin.
«  L'ennui d'une longue oisiveté fit réclamer comme une faveur à plusieurs d'entre nous les fonctions de cantonniers. Ils cassèrent des cailloux sur la route, comblèrent les ornières, moyennant un salaire quotidien de cinquante sous à trois francs ; mais, au bout de quelques jours, cette occupation fut supprimée.
«  D'autres épreuves nous attendaient.

De Dieuze à Morhange
«  Le 15 ou 16 septembre, l'ordre vint de nous conduire à Dieuze. Deux étapes. Voyage sans incidents sérieux. Défense de parler et de fumer.
«  Nous fûmes logés dans les bâtiments de la caserne avec environ 300 autres prisonniers. On n'y devait rester que peu de jours.
«  Un matin, nouvel ordre. Nouveau départ. Il faut aller à Morhange. Une route de 17 kilomètres ; peu de chose pour des jarrets solides, mais une promenade plutôt rude pour des hommes de notre âge, privés de sommeil, insuffisamment nourris, brisés de fatigue et d'émotion.
«  En franchissant le seuil de la caserne, j'eus l'impression que le voyage réserverait à notre petite troupe des surprises désagréables ; les gendarmes chargés de veiller sur nous étaient rogues et bourrus ; l'un d'eux engagea si maladroitement un de ses étriers dans la grille de la porte en passant qu'il le brisa et qu'une grande heure se passe à réparer le désastre.
«  Tout alla bien pendant sept ou huit kilomètres. Mais, après le village de Conthil, un de nos camarades commença à se plaindre. Il fallut supplier le chef de l'escorte pour obtenir une halte ; il fallut supplier davantage pour obtenir l'autorisation de chercher dans les maisons de l'endroit une voiture qu'un propriétaire complaisant voudrait bien nous louer :
«  - Avez-vous de l'argent ? demanda le chef du détachement.
«  - J'ai de quoi payer ce petit dérangement, répondit un des prisonniers. Cela coûtera quatre ou cinq mark. J'ai la somme nécessaire... »
«  Une fermière de Conthil consentit à prêter sa voiture ; son fils offrit de conduire ; mais en apprenant qu'il s'agissait d'épargner à un malheureux otage une marche pénible, ni la femme ni l'homme n'acceptèrent notre argent :
«  - Gardez-le. Vous en aurez besoin. Laissez-nous donc le plaisir de vous obliger gratuitement.
«  Les Boches se fâchèrent. Insensibles au mouvement de générosité dont notre caravane était l'objet, ils se répandirent en invectives contre la fermière, lui reprochèrent sa faiblesse pour les sales Français qui ne méritaient aucune pitié :
- «  Vous allez prendre leur argent tout de suite. Sinon, gare... »
«  Le gendarme ayant exigé de nous une pièce de 5 mark, contraignit ensuite les braves paysans de Conthil à les empocher ; mais ceux-ci, d'un coup d'oeil, nous montrèrent qu'à l'insu de nos gardiens, la fermière avait glissé dans la musette d'avoine une miche énorme de pain avec un appétissant morceau de lard !
«  Les dix derniers kilomètres de l'étape ne furent marqués d'aucun incident.

La prison de Morhange
«  A Morhange, je fus de nouveau reçu dans une caserne ou plutôt dans une sorte de prison militaire avec MM. Dumont, Godefroy et Bontemps, tandis que nos autres amis, M. Just Florentin, maire de Bey ; M. Rapp, maire de Lanfroicourt, étaient dirigés sur la prison civile, avec le curé de ce dernier village.
«  Autour de nous les soldats ne cessaient leurs grossières plaisanteries que pour raconter les prouesses de leur armée, les victoires impériales moissonnant par douzaines des drapeaux russes et français, râfiant canons, mitrailleuses, régiments entiers sur tous les champs de bataille.
«  Jamais le pain ne m'a semblé aussi amer ; il me brûlait la gorge. Toujours les mêmes privations de tabac et de nourriture. Toujours la même interdiction d'échanger une parole avec un être humain.
Absolument comme les forçats au bagne.
«  Quand nos souffrances exhalaient timidement des récriminations, nos bourreaux disaient que nous étions mieux traités que leurs soldats.
«  Une nuit, les calorifères avaient transformé en étuve le cachot où je cherchais vainement un peu de repos. Je suffoquais. La fièvre me battait la charge aux tempes. J'avais l'impression de cuire dans la cabine torride d'un hammam et, pour réclamer l'ouverture d'un vasistas, j'étendis la main vers le bouton électrique mis à portée des détenus.
«  Comme s'ils traînaient derrière eux un arsenal, les garde-chiourme pénétrèrent armés jusqu'aux dents, dans ma cellule :
- «  Ah ! vous crevez de chaleur. Eh bien, vous allez changer d'air... » Ils jetèrent ma paillasse dans un local voisin, avec mes vêtements pêle-mêle, en pleines ténèbres, et c'est en grelottant que j'attendis le réveil.
«  Les rares visites de l'archiprêtre de Morhange, des curés qui célébraient la messe à un autel dressé dans les corridors mêmes de le prison, apportaient seules quelque adoucissement à nos peines.
«  Nul moyen de recevoir les nouvelles du pays. M. Charles Dumont, jardinier chez Mme de Metz-Noblat, dont les deux filles sont également en service dans cette maison, ne put correspondre avec elles ; M.
Just Florentin avait à Morhange un parent qu'on refusa de laisser pénétrer jusqu'à lui.
«  Je passai ainsi cinquante jours et cinquante nuits. Comment ne suis-je pas devenu fou ?

Dernière étape
«  Vers le 20 novembre, notre transfert à'Phalstbourg fut décidé.
«  Le régime ne s'améliora point. Au contraire. On nous apportait à manger dans une espèce de vaste baquet où nous devions puiser avec un récipient ayant la contenance d'une gamelle.
«  Nous fûmes cette fois, hébergés dans une colonie pénitentiaire ; 354 hommes partageaient ma captivité, et un pain plus noir, plus amer encore qu'à la caserne de Morhange.
«  Huit jours s'écoutèrent dans cet asile dénué d'agréments. Enfin, le 1er décembre, un avis de libération nous fit entrevoir le terme de tant de maux : les otages ayant moins de 18 ans et plus de 60 ans allaient être rendus à leur patrie.
«  Par quels transports de joie fut saluée la nouvelle de notre délivrance, je renonce à vous le dire ! Avec quel enthousiasme on passa la frontière à Schaffouse pour pénétrer sur le territoire suisse, vous le devinez !
«  Un accueil, par exemple, que je n'oublierai jamais, c'est la réception des comités suisses de la Croix-Rouge. Dans toutes les srares, de Schaffouse à Genève, on nous accablait de prévenances : ici du café ou du thé, là des gâteaux ; plus loin des cadeaux, etc...
«  Les acclamations, les souhaits se mêlaient aux accents de la «  Marseillaise » et c'est presque en triomphateurs que nous arrivâmes, le 4 décembre, dans la commune d'Annemasse, où la population savoisienne, comme vous le disait hier M. Hottier, maire d'Homécourt, s'efforça de nous faire oublier les tristesses de la prison et de l'exil.
«  Quand je pense que, depuis le 2 août, ma fille a revêtu le costume d'infirmière à l'hôpital auxiliaire de La Malgrange, qu'un de mes fils sert à Toul. dans la boucherie militaire, que mon autre fils se bat sous le drapeau français, que le pavillon des formations sanitaires flotte sur mes deux maisons d'Arraye-et-Han, que j'ai vécu trois longs mois et demi loin de ma femme, de mon foyer, de mes intérêts, j'ai bien le droit, n'est-ce pas, d'être fier que cette guerre m'ait permis d'accomplir mon devoir et de donner un patriotique exemple. »
ACHILLE LIEGEOIS.

UN "TAUBE" SUR LUNÉVILLE

En ce jour de Noël, un «  taube » est venu nous visiter ; il a laissé tomber sur la ville une bombe qui n'a point fait plus de dégâts que si c'eût été un sac de dragées. Ne nous étonnons point qu'il y ait une suite sans plus de dommages.

EN ALSACE
STRASBOURG

Entrée en campagne
Par le récit qu'une de nos concitoyennes a fait de son séjour à Metz depuis les débuts de l'occupation allemande, on a su, la semaine dernière, quelles répercussions, tantôt légères, tantôt profondes, la guerre eut aux pays annexés sur l'état général des esprits.
Il n'était pas d'un moindre intérêt de connaître l'impression ressentie à Strasbourg pendant le même temps.
Ce fut pour nous une précieuse rencontre que celle de Mme S..., dont une décision du gouvernement de Strasbourg vint brusquement interrompre le séjour dans cette ville auprès de ses enfants qui exploitaient un fonds de commerce dans le voisinage de la gare.
- On m'accorda un délai de deux heures, juste le temps de préparer en hâte une malle. On m'indiqua la route que je devais emprunter par la Suisse. Cette mesure s'appliquait à tous les Français que leur âge, leur situation, leurs relations avaient jusqu'alors mis à l'abri des tracasseries administratives. Les Allemands n'avaient décidément plus confiance qu'en eux-mêmes ! »
Comme à Metz, la vie suit à peu de chose près son cours normal dans Strasbourg. Les brasseries regorgent de consommateurs ; la guerre fait naturellement l'objet de toutes les conversations où la certitude d'une victoire éclatante et définitive cesse toutefois de retentir avec l'arrogance de naguère :
- Au début de la campagne, déclare Mme S..., le sentiment général s'était accrédité qu'au bout de six semaines l'armée allemande entrerait triomphalement dans Paris, en raflant sur son passage les places-fortes. Quand nous voyions partir en masses énormes pour la frontière les régiments venus des garnisons de l'Empire, une pitié, une angoisse indicibles nous oppressaient, nous serraient douloureusement le coeur :
«  Pauvres Français ! » répétions-nous à voix basse comme une prière. Dans une partie des milieux universitaires, quelques femmes de professeurs semblaient, par moments, s'associer à nos craintes et, songeant aussi aux formidables chocs des deux pays, elles disaient comme nous : «  Pauvres Français !. »

Les chasseurs alpins
Pendant les premiers jours d'août, une sublime espérance envahit l'àme alsacienne. On apprit la marche heureuse sur Mulhouse. Du coup, l'hypocrite attendrissement des immigrés s'évanouit. Les professeurs et leurs sensibles épouses ne plaignaient plus les Français ; ils critiquaient leur manière de se battre, la qualité et la précision de leurs armes, ne reconnaissant de supériorité qu'au canon de 75 qui répandait chez eux une extraordinaire terreur :
- Vos soldats tirent trop haut ; leurs fusils ne valent pas les nôtres... Oui, sans doute, vous avez en France des chasseurs alpins dont l'intrépidité défie la mort... mais vous seriez perdus sans votre artillerie de campagne. »
Parmi les premiers convois de prisonniers et de blessés, on remarquait principalement les chasseurs alpins. On se disputait comme des trophées leurs bérets, les boutons de leur uniforme, que l'on croyait en argent (sic). Plus d'un fut littéralement dépouillé. Mme S... cite certains cas où des hommes, au réveil, se trouvèrent privés de pantalon :
- On leur offrait bien en échange des pantalons à jambes longues, d'une couleur se rapprochant du bleu de leur uniforme ; mais ils refusaient avec énergie ; ils protestaient ; ils réclamaient leurs bandes molletières ; ils juraient de parcourir les rues «  en bannière » ou en caleçon, plutôt que d'y renoncer. Il y eut des scènes inoubliables. »
Quand l'autorité militaire permit qu'on leur rendît visite aux hôpitaux, les mêmes hommes furent l'objet d'attentions, de soins, de cadeaux sans nombre que les dames de Strasbourg glissaient discrètement sous leur édredon ou sous leur oreiller.
Tant d'admiration pour les héros d'Altkirch et de Cernay stupéfiait les immigrés ; une honnête bourgeoise de Bitschwiller s'écria un jour devant Mme S..., comme si elle rougissait d'un scandale :
- Ah ! qu'est-ce qu'ils ont donc, vos soldats, pour être aimés comme ça ! »

Défense de parler français
Bientôt l'emploi de la langue française fut rigoureusement proscrit. Mme S... conte à ce propos une savoureuse anecdote.
- J'étais seule dans la boutique ; je venais de servir un jeune officier. En se retirant il s'inclina correctement et, sans me souvenir des consignes, je répondis à son salut par ces mots : Au revoir ! L'officier se retourna et, avec une menace de l'index comme on ferait pour un enfant surpris en faute, il me gronda en souriant : «  Vous savez, Madame, que c'est défendu... » La menace était si gentille, le rappel à l'ordre était si indulgent que je devinai sous l'uniforme un coeur d'Alsacien. J'eus recours cette fois à la langue allemande pour lui reprocher la même infraction, aimablement : «  Ce que vous venez de me dire là, Monsieur, c'est aussi défendu... » Et nous partîmes tous deux d'un bel éclat de rire... »
Il semble, par instant, qu'une longue privation de sa langue maternelle, ait donné à notre interlocutrice une habitude dont elle n'est pas entièrement guérie.
Sans y prendre garde, elle accueille, en effet, nos questions par des «  ya ! ya ! » timides que j'ai envie à mon tour de réprimer sur le même ton : «  imaginez-vous, Madame; que c'est détendu à Nancy ? »

Autour de la ville
En ce qui concerne les travaux exécutés autour de Strasbourg, l'accumulation de paille dans certains édifices en vue de leur destruction par le feu, Mme S... ignore même ce qu'on a publié ici a ce sujet :
- Personne n'a maintenant accès aux tours de la cathédrale, déclare-t-elle... On parlait rarement en ma présence des choses militaires... J'ai appris seulement que le grand-duché de Bade est rempli de troupes ; mais, par contre, l'Alsace était dégarnie à un tel point de soldats, il y a quelques semaines, qu'un officier avoua le danger en s'écriant : «  Si les Français avaient su !... »
Sans être tenue au courant des préparatifs de défense, de l'organisation d'un vaste réseau de tranchées et de mines, Mme S... a cependant saisi parmi les bribes de mainte conversation assez de renseignements qui ont laissé dans son coeur plus d'alarmes que de traces dans sa mémoire :
- Ah ! Monsieur, je ne me rappelle plus ce que les Boches ont fait dans les environs de Strasbourg. Mais que nos soldats .., ah ! mon Dieu... que nos pauvres soldats n'y aillent pas !. Ce serait trop épouvantable. »

Quelques précautions
La plupart des Strasbourgeois ont accumulé dans leurs caves des provisions en grandes quantités sans que ces précautions aient été suggérées ou ordonnées par une décision administrative :
- La population est en proie à une vague inquiétude, se borne à constater Mme S... Elle sait que nos troupes occupent Thann et plusieurs bourgades en Haute-Alsace. On s'assure éventuellement contre les risques d'un siège. Pourtant, le commerce marche à merveille ; les affaires se traitent avec confiance. Le cours des denrées n'a pas varié ; la viande se vend bon marché ; le pain a subi à peine une faible augmentation ; mais les légumes secs deviennent rares et sont hors de prix.. Encore une fois, on ne supposerait jamais que la guerre existe en considérant l'animation des brasseries. Les salles de spectacle sont fermées ; on assiste à des représentations cinématographiques ; les films présentent le kaiser sous toutes ses faces et les événements sous un jour favorable à ses armées. »
Le Journal d'Alsace-Lorraine a disparu. Les gazettes pangermanistes s'inspirent toutes de la méthode inaugurée par le Wolffbureau : le mensonge est élevé à la hauteur d'une institution d'Etat. Jamais les feuilles à la dévotion de Guillaume n'ont annoncé, même avec de prudentes réticences, la bataille de la Marne :
- La nouvelle que les Français pénétraient en Alsace et s'y installaient, ajoute Mme S..., est arrivée quand même jusqu'à Strasbourg. Les professeurs ne disaient plus que nos soldats tiraient trop haut.
Des trains complets ramenaient les Boches qu'ils avaient étendus sur le champ de bataille. »
Les jeunes gens et les hommes ayant passé la quarantaine n'ont pas encore été appelés sous les drapeaux ; mais l'éloignement des derniers étrangers indique évidemment une mesure ayant pour but de cacher un suprême effort de mobilisation ou des dispositions sur l'importance desquelles l'Allemagne tient à éviter la plus légère indiscrétion.
- Les Boches auront beau faire... L'Alsace attend sa délivrance, conclut Mme S..., et tout le monde, là-bas, souhaite qu'on débarrasse bientôt le pays de tous les bourreaux qui ont si cruellement retourné le fer dans ses plaies vives. »
ACHILLE LIÉGEOIS.

AU CHEVET DE NOS BLESSÉS
UNE VISITE A L'HOPITAL
DU CAMP DE SAINT-NICOLAS

SAINT-NICOLAS-DU-PORT, ... décembre. - L'austérité du devoir, la modestie des vrais dévouements n'ont fleuri nulle part mieux qu'au chevet des victimes de la guerre.
Nous avons éprouvé une vive satisfaction au cours des visites des hôpitaux de Saint-Nicolas et de la Malgrange, si différents dans leurs installations, si parfaitement semblables dans le fonctionnement de leurs services, si égaux devant l'éloge que l'on doit faire du personnel qui prodigue à la fois les ressources de la science et les trésors d'une inépuisable bonté à nos soldats malades et blessés.
Il n'y a plus de blessés à Saint-Nicolas.
Depuis que les horreurs du champ de bataille se sont transportées dans les Flandres, les formations sanitaires ont cessé d'évacuer en masse les héros dont le sang précieux coula abondamment devant le Grand-Couronné. Il y eut de terribles journées : Courbesseaux et Crévic emplirent les salles d'opérations. En hâte, chirurgiens et docteurs donnaient les soins urgents, et, suivant le cas, dirigeaient sur Nancy ou sur une ville plus éloignée ceux qui pouvaient supporter les fatigues d'un nouveau voyage.
C'est en allant porter aux malades les livres, les brochures, les illustrations, les jeux envoyés par la générosité des lecteurs de l'«  Est républicain » que nous avons longuement parcouru les chambrées où s'alignent les humbles couchettes auprès desquelles infirmiers et femmes de France rivalisent de zèle dans l'accomplissement de leur tâche..

La caserne du Camp ne comportait guère que des baraquements séparés par un intervalle qui, doté d'un nom de bataille ou de général s'appelle orgueilleusement rue Chanzy ou avenue de Malakoff. Tout l'héroïsme de notre histoire se retrouve encore dans la désignation des chambres :
ici pas de numéro d'ordre, mais un souvenir d'épopée : salle d'Extrême-Orient, salle de Madagascar, etc. Cela fait partie, sans doute, de la magnifique méthode d'éducation des chasseurs à pied dans l'Est.
Dès que le ...e bataillon eut quitté le Camp, au deuxième jour de la mobilisation, la transformation des locaux, leur aménagement en vue de leur nouvelle destination, fut menée activement.
La déclaration de guerre interrompait en outre la construction des pavillons élevés d'un étage qui motivèrent l'an dernier les fréquentes interventions des commissions parlementaires d'hygiène.
L'organisation totale du Camp fut très vite terminée.
Mais, à aucun moment, les médecins-majors ne constatèrent la gêne ni l'encombrement ; ils payèrent, comme on dit, de leur personne ; ils passèrent sans repos les jours et les nuits ; ils opposèrent en quelque sorte la digue de leur énergie, de leur volonté, de leur patriotisme au flot douloureux qui montait vers eux - et l'obscurité d'un tel sacrifice mérite les hommages d'une affectueuse reconnaissance.
A quoi bon ouvrir une enquête pour savoir les résultats obtenus ? Est-ce que les malades ignorent certains chiffres et manquent de renseignements exacts sur une statistique où leur confiance puise des forces morales aussi utiles pour la guérison que les tisanes et les cataplasmes ?
Il y a peu de cas très graves. La plupart d'entre nous venaient du Midi ; les premières épreuves du climat nous ont été pénibles. Les malades amenés au Camp proviennent de régiments de toutes armes.
Beaucoup d'activé et de réserve ; peu de territoriale...

Nous allons d'une chambre à l'autre. Partout le même ordre, la même propreté. La lumière et l'air circulent. Les magasins de compagnie, vides d'uniformes et d'équipements, sont pour la plupart transformés en dépôts de provisions ; trois ou quatre chambres de sous-officiers sont devenues des laboratoires, des officines où les pharmaciens préparent les ordonnances ; les vastes réfectoires ont servi la semaine dernière à une véritable représentation de gala, où se firent entendre les artistes mobilisés des grandes scènes de Paris et de la Côte d'Azur...
Les cuisines ont reçu une affectation qui satisfait pleinement aux conditions susceptibles d'en assurer le service, aussi bien pour l'alimentation ordinaire que pour les «  régimes » si délicats, dont le lait et les oeufs composent le principal aliment.
Le sol est nettoyé à grande eau; les fourneaux, avec leurs robinets de cuivre, sont astiqués comme pour une revue ; le rata fume dans les marmites ; plusieurs hectolitres de lait tiède emplissent les vastes récipients de métal ; les cuisiniers eux-mêmes font plaisir à voir, avec leur face rubiconde, leur tablier irréprochable, leur jovialité de boute-en-train.
Nous les complimentons ; ils ont positivement l'allure de maîtres-d'hôtels chez quelque baron ou de «  chefs » au bouillon Duval :
- Pour sûr qu'on a des références, plaisante l'un d'eux. Vous ne croyez pas si bien dire. On servait dans les grandes maisons avant de faire ici la popote... On s'y connaît en frichti. »
Les lavabos sont admirablement entretenus. Balai et plumeau ne laissent nulle place où la main ne passe et repasse. Un souci constant, méticuleux, préside à l'arrangement des tables, très nettes, des bancs, des ustensiles de toilette. Le médecin-chef, M. R..., a ordonné la confection paraît-il, de meubles «  ad hoc » remplissant le triple rôle d'escabeaux, de bibliothèques et de tables de nuit ; c'est simple, de bon goût, commode et peu coûteux.
La planche à bagages se charge des pots de tisane ; le graphique de température a remplacé les «  étiquettes » du paquetage absent ; les murs sont blanchis à la chaux; une odeur de coaltar imprègne l'atmosphère convenablement renouvelée par l'ouverture des vasistas et une ventilation soigneusement réglée des corridors.
Les infirmiers sont les dignes auxiliaires des médecins-majors qui multiplient leurs consultations et mettent sur ces visages d'abord pâlis par la fièvre, les couleurs vite épanouies de la jeunesse et de la santé.
Bon nombre de convalescents, au retour d'une promenade dans les cours, distraient leurs loisirs : les uns battent une manille, les autres poussent les jetons sur les cases d'un échiquier, d'autres s'élancent à la conquête d'une noble héritière parmi les aventures de cape et d'épée ; ceux-là apprennent par les illustrations de quelle gloire se couvrent leurs camarades et les héros des troupes alliées.
Toute cette joie est l'oeuvre de nos lecteurs ; rien ne leur serait plus agréable que d'entendre les remerciements dont notre plume est impuissante à traduire pour eux le charme, la sincérité et la douceur.

Avant de quitter l'hôtel du Camp, nous sommes entré dans le «  bureau » où le médecin-chef veut bien nous présenter à ses collaborateurs.
Une aimable surprise nous est réservée ; nous tombons au milieu d'un groupe de Nancéiens : MM. K... et L... additionnent des colonnes de chiffres, préparent les courriers, sous les ordres de M. D..., officier gestionnaire, chargé, comme son titre l'indique assez éloquemment, de fournir à ce vaste établissement, la nourriture, les médicaments, etc...
La besogne n'est pas mince, je vous prie de le croire : mais l'officier gestionnaire est de taille à porter sans défaillance le poids des responsabilités qu'il assume d'ailleurs avec le sourire :
- Eh oui ! j'ai un poste intéressant... C'est moi qui fais le marché, nous dit-il... Chaque matin, comme une attentive maîtresse de maison, j'achète viande, légumes, boîtes de conserves ou de lait concentré, sans compter les oeufs des «  régimes », les desserts, les friandises qui améliorent le menu quotidien. »
Le bureau est installé dans une dépendance du mess des sous-officiers du bataillon. Aux murs, des photographies, remise de décorations, présentation du drapeau aux recrues, tableaux offerts par le commandant Desruelles et ornés d'une patriotique dédicace.
Dans un angle, la bibliothèque dont les rayons ploient sous les bouquins à couverture de toile noire :
- Tenez ! voici un cadeau de la Manufacture des Tabacs, ajoute l'officier en montrant une vitrine pleine de paquets de cigarettes. Joli cadeau, n'est-ce pas ? Les fumeurs ont de quoi se régaler. L'administration nous promet 30.000 cigarettes par mois. J'en distribue aux convalescents, heureux de l'aubaine que l'Etat ajoute ainsi aux envois de la Croix-Rouge et des souscriptions en faveur des hôpitaux militaires. »
De son côté, le médecin-chef, M. R..., ne tarit point en félicitations sur l'oeuvre accomplie au milieu de difficultés sans nombre par les six médecins-majors qui dépensent un courage, une opiniâtreté, une sollicitude, une abnégation que n'ont jamais abattus ni troublés un seul instant les terribles épreuves de la guerre. Ils ont travaillé presque sous le feu de l'ennemi :
- Les obus allemands tombaient en face de nous, en réponse aux tirs du Rembêtant, nous dit-il. »
Maintenant, c'est le repos ; c'est ce qu'on pourrait, par comparaison avec l'effroyable besogne du début, appeler la vie de château, une vie aimable et tranquille, dont les malades apprécient mieux encore les bienfaits.
LUDOVIC CHAVE.

LE 45e BOMBARDEMENT
DE PONT-A-MOUSSON

Un des collaborateurs du Temps a reçu d'une de ses parentes, qui réside à Pont-à-Mousson depuis l'ouverture des hostilités, et qui a refusé de le quitter, une lettre pleine d'héroïque simplicité. Nous en extrayons le passage suivant :
...Depuis le mois d'août, nous habitons rue Magot-de-Rogéville ; on y est plus à l'abri ; les rez-de-chaussées surtout y sont confortables. Il n'y a plus guère de monde en effet qui couche dans les étages, surtout au deuxième. Presque tous les quartiers de la ville ont reçu des obus ; le plus grand nombre est tombé à Saint-Martin et sur notre pauvre cimetière. Il est tellement ravagé, ce pauvre champ des morts, qu'on croirait à un vrai tremblement de terre. Les obus allemands ont soulevé ici des cercueils, là des cadavres, ailleurs des ossements : c'est un spectacle affreux. La rue des Jardins a été souvent atteinte ; un obus est tombé sur la maison des Soeurs, place Saint-Antoine ; il s'est heureusement arrêté au premier étage, au coin d'une cheminée. Beaucoup d'autres maisons ont leurs toits crevés, ou leurs toitures percées à jour comme de la méchante dentelle. Le jour de la Toussaint, pendant les vêpres, des shrapnells ont été tirés sur l'église, les éclats ont détérioré tous les vitraux. Les Allemands savaient qu'il y avait beaucoup de monde ce jour-là dans l'église ; ils ont choisi exprès l'heure des vêpres pour exécuter leur tir ; heureusement leur but n'a été atteint qu'en partie ; il n'y a pas eu de victimes.
C'est le 5 septembre que le tocsin sonna pour avertir les habitants de l'approche des Allemands. Les Français firent sauter le pont sur la Moselle, mais cinq heures après, les Allemands entraient dans la ville par les quartiers de Saint-Martin et de Saint-Laurent. A la vue des Prussiens, notre coeur se serra ; leurs bataillons compacts arrivaient en chantant, mais le lendemain nos soldats, qui s'étaient retirés par stratagème, leur tirent payer cher leur audace. Les Prussiens furent écrasés près de Jazainville et près de Sainte-Geneviève. Ils eurent 5.000 tués et plus de 8.000 blessés. Ils ramenèrent ces derniers au galop dans des trains et des automobiles et brûlèrent leurs cadavres en les inondant de pétrole pendant trois jours. Le 9, ils reçurent du renfort et revinrent place Duroc où ils organisèrent un concert. Ils chantèrent aussi dans les cafés. Nous étions enragés. Pour comble de malheur, nous fûmes obligés de loger neuf d'entre eux, un officier et huit soldats. L'officier parlait très bien le français ; il fut très convenable, défendit très sévèrement qu'on nous manquât de respect ou qu'on nous prît quoi que ce soit. Cet ordre fut exécuté à la lettre par les soldats. Dans la nuit du 10, ils eurent une grande alerte et s'enfuirent, en toute vitesse. Le lendemain matin, il n'en restait plus un ; nous étions folles de joie. Quelques jours après, il en revint quelques-uns en patrouille ; nos soldats les tuèrent tous jusqu'au dernier. Les Prussiens avaient compté, en entrant à Pont-àMousson, que la viile était à eux pour toujours ; c'est pourquoi ils ne commirent pas d'atrocités ; dans d'autres maisons que les nôtres, cependant, ils volèrent tout ce qu'ils purent. Il est certain que s'ils étaient restés longtemps, nous n'aurions plus rien eu à manger ; ils réquisitionnaient le pain, vidaient les magasins en payant, arrachaient dans les champs toutes les racines et toutes les cultures et chargeaient le tout sur des voitures qui prenaient toutes la route de Metz. Ils avaient mis un drapeau allemand à la mairie et à l'horloge, ils avaient marqué l'heure allemande. On a trouvé dans plusieurs maisons des énormes caisses de pastilles incendiaires qu'ils avaient distribuées à tous les coins du village, et qui, aujourd'hui, sont à la mairie.

RETOUR D'OTAGES
Les Frères Samain sont vivants
M. Hottier, le maire d'Homécourt, nous apporte de leurs nouvelles.

Nancy, 25 décembre.
L'ARRESTATION
Ah ! certes, M. Jean-Pierre Hottier, le vénérable maire d'Homécourt, n'aurait jamais supposé qu'il retomberait un jour aux mains des Boches.
En 1870, il servait dans une batterie dont son brigadier et lui furent les derniers survivants entre Saint-Privat et Amanvillers.
Il y avait autour de sa pièce plus de biscaïens que de cailloux... Lutte terrible. Le souvenir de cette journée revivait sous la forme d'un ruban vert et noir dont M. Hottier ornait sans forfanterie sa boutonnière.
Quarante-cinq ans après, dans la nuit du 3 au 4 août, ce fut dans son lit cette fois - et non plus sur le champ de bataille - qu'un capitaine allemand le fit prisonnier.
Le maire d'Homécourt dormait tranquillement. Un choc brutal à sa porte, une sommation l'éveillèrent en sursaut. fi ouvrit. Un officier se dressait devant lui, revolver au poing, lui ordonnait brutalement de se vêtir en toute hâte.
- Je crus d'abord qu'on allait me conduire à la mairie pour une perquisition en ma présence, raconte M. Hottier. J'avais dans mon portefeuille le courrier, quelques pièces administratives. Je jugeai inutile d'emporter die l'argent. De mon mieux, je rassurai ma femme inquiète. J'étais à cent lieues de deviner ce qu'on voulait faire de moi.
Le brave maire d'Homécourt devait effectivement être traîné devant un conseil de guerre, jeté sur la paille humide des geôles, enfermé dans une forteresse des bords du Rhin ; il ne devait revenir en Lorraine qu'hier, avec une dizaine d'otages dont l'odyssée est aussi douloureuse que la sienne.

MAIRE ET CURÉ
Au moment même où il se rendait, hier, à la convocation de M. Mirman, nous avons eu la joie de causer avec lui quelques instants à la préfecture de Meurtheet Moselle :
- Oui, j'ai beaucoup souffert, nous ditil. De telles épreuves pour un homme de mon âge sont très dures. Je croyais ne plus revoir la France. Et, pourtant, j'ai rencontré sur la terre étrangère, en prison, d'autres hommes qui gardent au coeur une foi inébranlable et qui ont souvent raffermi mon espoir chancelant dans les destinées de notre chère patrie. »
M. Hottier ne quittait pas seul sa commune. On emmenait avec lui le curé, M. Varin. Ils avaient tous deux été dénoncés par un espion nommé Maguer, habitant chez ses parents, à la Petite-Fin, dont les rapports serviraient bientôt de base à l'acte d'accusation dressé contre eux par les autorités allemandes.
Maire et curé furent conduits d'abord à Malancourt où siégeait l'état-major :
- Mon compagnon était plus malheurreux que moi. On ne lui avait pas laissé le temps de prendre son chapeau ni de mettre ses bas ; il était vêtu uniquement die sa soutane ; il marchait avec de méchantes savates. Son confrère de Malancourt habilla le pauvre ecclésiastique.
L'interrogatoire de M. Hottier lui causa une peine affreuse. Les injures, les brutalités accablèrent le vieillard :
Ils me fouillèrent, saisirent mon porte-monnaie contenant une somme de 27 fr., mes papiers. Mais la pire des souffrances me déchira le coeur, quand les mains de l'officier boche arrachértent mon pauvre ruban de 1870, mon humble décoration. C'était comme si une dégradation me suppliciait... »

DEVANT LE CONSEIL DE GUERRE
Les infâmes rapports de l'espion Maguer devaient ailleurs porter leurs fruits : MM. Hottier et Varin furent transférés à Metz et traduits en effet devant un conseil de guerre. on reprochait au premier d'avoir organisé une compagnie de francs-tireurs ; on articulait à l'égard du second un autre grief, celui d'avoir exhorté plusieurs jeunes gens des pays annexés à contracter un engagement dans la légion étrangère.
Un double acquittement termina les débats.
Mais M. Hottier ne fut point traité avec plus de ménagements. Cinq jours, il gémit entre les murs d'une cellule. Le régime comportait café sans sucre au matin ; soupe au lard - et quel lard ! - pour le déjeuner, puis, de nouveau, un pieu de café - et quel café ! - pour le repas du soir. Quant au pailn, c'était une sorte de pâte immangeable que les prisonniers s'empressaient de jeter dans les poêles où, d'ailleurs, il ne brûlait pas :
- Quand nos gardiens ont su que nous faisions de leur pitance un tel cas, ajoute M. Hottier, ils nous ont menacés d'un régime plus sévère encore...
Une généreuse intervention se produisit. M. Winsbach, ancien pharmacien, réussit à faire fléchir la rigueur de certaines consignes. Il jouissait à Metz d'une haute estime. Il employa ses relations, son influence, sa connaissance des langues allemande et française, tantôt à recommander les malades aux soins des médecins, tantôt à nous communiquer les nouvelles du dehors, tantôt à remplir les fonctions d'interprète pour exprimer nos désirs ou transmettre nos explications ; ce sont là des services que n'oublieront jamais les otages à qui M. Winsbach les rendit avec un infatigable dévouement.
Le médecin-major consultait les prisonniers trois fois pair semaine ; mais M. Winsbach les visitait régulièrement tous les jours et leur apportait le réconfort, les témoignages de sympathie, les paroles d'encouragement nécessaires pour relever l'énergie morale que la tristesse d'une telle situation avait déjà ébranlée.

UNE CITADELLE PRUSSIENNE
Les otages quittèrent Metz au bout d'une semaine. L'ordre vint de les transférer dans la citadelle d'Ehrenbreistein, sur le Rhin, à trois kilomètres de Coblentz.
Là, du moins, le gouvernement impérial n'aurait rien à craindre de ses ennemis :
- de hautes murailles défiaient l'escalade et rendaient vaines toutes tentatives d'évasion ; une escouade de vigilantes baïonnettes donnait à réfléchir :
- Il y avait à Ehrenbreistein 232 prisonniers français, exactement, nous dit M. Hottier. Entre eux, la glace fut vite rompue. Metz et Thionville étaient représentées par 117 personnes, parmi lesquelles deux femmes seulement, la soeur du curé de Lorry-devant-Metz, une excellente Française, dont quatre neveux servent sous les drapeaux (l'un a le grade de commandant), et Mme la baronne de Guentrange, arrêtée sous prétexte qu'elle élevait dans son colombier des pigeons voyageurs. »
M. Hottier parle avec attendrissement de ces femmes au coeur noble et charitable. Mme de Guentrange est venue en aide aux gens de la campagne, aux ouvriers agricoles que les Boches avaient saisis dans leurs masures ou enlevés à leurs charrues en plein travail ; elle paya de ses propres deniers des costumes neufs, du linge, des chaussures à tous les malheureux dont sa compagne séchait les larmes, consolait la détresse, ranimait la confiance par l'exemple d'une admirable fermeté.
- Il y avait là, continue le maire d'Homécourt, le député thionvillois, M. Zimmer ;, des Messins dont le nom a été souvent prononcé et que l'on crut longtemps fusillés, les frères Alexis et Jean Samain, entre autres, M. le docteur Urbain, un des collaborateurs de M. Jean au «  Souvenir Français », M. l'abbé Riss, fondateur d'une revue et d'oeuvres s'inspirant du même esprit, M. Prevel, directeur d'une banque d'escompte et de crédit commercial, M. Lambert, rédacteur du «  Lorrain ».
Alexis Samain, le président de la «  Lorraine Sportive », savait que le bruit de son exécution s'était répandu en France ; il avait essayé de le démentir ; sa correspondance ne pouvait échapper au réseau étroit de surveillance qui l'enveloppait. A la fin, il avait pris son parti et acceptait volontiers son rôle de fusillé par persuasion.
- Quand vous arriverez à Nancy, recommanda-t-il à M. Hottier, n'oubliez pas que l'«  Est républicain » a montré pour notre cause et pour moi beaucoup de sympathie. Portez-y de mes nouvelles. Répétez, surtout que je suis vivant, que mon frère est vivant et que nous comptons bien nous retrouver un jour ensemble. »

LES FRÈRES SAMAIN
Soit que nous ayons passé chez eux de trop courts instants au lendemain de la dissolution de leur société en janvier 1911, soit que nous ayons échangé quelques paroles avant leur comparution devant la Cour suprême de Leipzig ; soit que nous ayons eu le plaisir en mainte circonstance plus heureuse de nous rencontrer encore avec Alexis et Jean Samain dans des fêtes patriotiques, il est impossible d'oublier de tels hommes.
- Ils n'ont pas changé, poursuit M. Hottier. L'aîné a maintenant le visage encadré d'une barbe épaisse ; l'autre a toujours les lèvres couvertes à peine d'une fine moustache. Mais la même flamme de volonté brille dans leurs yeux. Ah ! nous n'avions pas besoin de grands mots pour nous comprendre ; quelque chose de mystérieux avertissait les Messins réunis dans, la citadelle, qu'une pensée, un espoir commun rapprochaient leurs âmes. »
- Comme par hasard, déclare malicieusement M. Hottier, nous voyions monter des batteries sur les plate-formes de la citadelle et les soldats racontaient avec naïveté que l'on creusait chaque jour de nouvelles tranchées autour d'Ehrenbreistein... Malgré les succès annoncés par leurs journaux, les Aillemands éprouvaient donc le besoin de consolider leur défense ; cela suffisait à nous renseigner sur la sincérité. des gazettes. »
Pendant le séjour à Ehrenbreistein, la femme d'un otage messin apporta deux ou trois fois des nouvelles du pays de Briey.
La visite d'un instituteur permit également de savoir que M. Bastien, maire de Joeuf, avait été, lui aussi, emmené par les Boches, au mois de septembre.
En raison de son état de santé, M. Bastien ne dépassa pas Montois ; il fut reconduit à Joeuf, où il resta en prison.

EN ROUTE POUR LA FRANCE !
Le 20 novembre, M. Hottier et quelques-uns de ses compagnons apprirent que les otages âgés de plus de soixante ans allaient être rendus à leur pays :
- J'ai voyagé pendant deux jours à travers le grand-duché de Bade, dit-il. Nous avons passé la frontière suisse à Shaffouse. Un accueil enthousiaste nous attendait de l'autre côté ; mais notre arrivée sur le sol français à Annemasse fut saluée par une réception plus cordiale encore. Les comités de la Croix-Rouge, la population savoisienne, ont rendu agréable mon séjour dans la petite commune de Mornex. Quels braves gens que les Savoyards ! J'ai vécu parmi eux pendant trois semaines et je vous garantis que les réfugiés, là-bas, sont presque tentés d'oublier la perte de leurs biens, l'amertume de leur condition, toutes les horreurs, les atrocités de la guerre ! »
Parce qu'il justifiait de moyens d'existence, qu'il put fournir des références, établir qu'en Lorraine des intérêts réclamaient sa présence, on délivra au vétéran, non sans regret, un laissez-passer gratuit jusqu'à la gare d'Is-sur-Tille :
- Le diable m'emporte ! on voulait me retenir prisonnier en Savoie. mais cette fois pour me choyer, m'entourer de soins, d'affection, de dévouement. J'ai fait à mes frais le reste du voyage... Ah ! j'avais hâte d'atteindre Nancy, de me rapprocher du foyer, de revoir ma pauvre commune dont j'attends anxieusement des nouvelles... Revoir Homécourt, délivré des Prussiens, comme je serai heureux ce jour-là !. »
ACHILLE LIÉGEOIS.

UN ZEPPELIN SUR NANCY

Paris, 26 décembre, 15 h. 18.
Un Zeppelin a survolé Nancy, ce matin, à 5 h. 20. Il a jeté quatorze bombes sur la ville.
Deux habitants ont été tués et deux autres blessés.
Quelques maisons particulières ont été endommagées. Aucun édifice public n'a été atteint.

AU PAYS DE BRIEY
Villerupt, Villers-la-Montagne, Roman, Tillaucourt, Herserange, Pierrepont, Longlaville, Briey, Joeuf, Crusnes.

Nous extrayons du «  Bulletin de Meurthe-et-Moselle » les renseignements suivants qu'il donne dans son dernier numéro :

VILLERUPT
Villerupt a son église et quelques maisons incendiées, mais il est inexact qu'on ait fusillé des habitants.- Saulnes n'a pas été touché. A Hussigny une trentaine de maisons sont brûlées. Entre autres celles de MM. Mirgaine, Pierson, Perroudon, Anglesson, Frantz, Berquin Alfred, J.-B. Gilles, Fontaine, Aubrion, François, Gille, Veber, Phang, Morand, Mathon, Barthélemy, Hoison, V. Tarnus, Fordoxel, Félix Willens, veuve Gauche, Bodson, Boncourt, Lallemand, Willaume, l'atelier Toulemonde, les remises Marasse et Wilbern ; la poste, le bureau de police, la mairie, l'église, la gendarmerie, la moitié de la caserne.

VILLERS-LA-MONTAGNE
A Villers-la-Montagne, tout le haut du village est brûlé. Pendant le siège de Longwy, la population a été mise en avant des batteries allemandes. MM. Haut, Houdard et le curé ont été emmenés prisonniers en Allemagne, sous l'accusation d'avoir donné asile à des pigeons égarés.

TILLAUCOURT
A Tillaucourt, le maire a été fusillé parce qu'on a trouvé une arme dans le village.

ROMAN
Les femmes de Roman ont été emmenées à Esch. Là, les soldats leur jetaient des croûtes, des os, des chons de lard en guise de nourriture. Elles furent enfin délivrées par un officier allemand que, tout de même, une pareille goujaterie écoeura et renvoyées chez elles avec quelque argent. »

HERSERANGE
Une femme d'Herserange a quitté ce village il y a quelques jours. Nous l'avons interrogée sur ce qui s'est passé dans ce pays depuis le début des hostilités.
Elle nous affirme qu'aucune maison d'Herserange n'a été incendiée et qu'une seule personne a été mise à mort, une dame Lecoq, fusillée par les Allemands parce qu'elle avait été rencontrée dans la rue après 7 heures du soir, heure à partir de laquelle - aux termes des règlements militaires - aucune personne n'est plus autorisée à quitter sa maison.
Le village n'a pas été pillé, mais a été fortement pressuré par les réquisitions. On a réquisitionné toutes les couvertures, les machines à coudre, etc.
Pour être épargné, le village a dû verser 12.000 francs.
L'usine de Senelle est peu endommagée; elle n'a reçu que quelques obus pendant le bombardement de Longwy.
Les troupes d'infanterie allemande qui occupaient le pays ont été retirées il y a quelques jours et remplacées par des uhlans.
Tous les jeunes gens de 15 à 20 ans et tous les hommes jusqu'à 45 ans ont été dirigés sur Audun-le-Tiche, où les Allemands les font travailler et leur versent un salaire journalier de 50 pfennigs.
Dans le seul village d'Herserange, il y a 95 prisonniers. La même mesure a été prise dans toutes les localités du bassin.
On nous avait dit, précédemment, que le quartier Saint-Louis, à Longwy, avait été sérieusement endommagé. On nous précise aujourd'hui que, parmi les principaux immeubles incendiés, se trouve la maison habitée par M. Perignon, maire de Longwy.
Plusieurs personnes ont été tuées par Les obus lors du bombardement, notamment les jeunes Laurent et Dillon, âgés de 14 et 15 ans.

PIERREPONT
D'après le Secolo, les Allemands sont entrés le 22 août à Pierrepont. Ils ont fusillé un Italien, nommé Severin Detona, et un Français nommé Zaanth, âgé de 62 ans.
Les deux cadavres ont été trouvés dans un bois à un kilomètre environ de Pierrepont, liés ensemble.

LONGLAVILLE
On nous signale la mort de M. Georges, qui tenait le Café du Midi. Les Allemands l'ont fusillé avec sa femme et ont brûlé sa maison.

BRIEY
Plusieurs de nos réfugiés de la région de Briey nous ont demandé s'il est vrai que le docteur Giry a été tué à l'ennemi.
Nous pouvons rassurer ses nombreux amis. Nous avons, en effet, reçu il y a quelque temps, du docteur Giry, une lettre nous rassurant complètement sur son sort.
Ce qui a donné naissance au bruit qui avait couru de la mort du docteur Giry, est probablement le fait suivant :
La 1er novembre, une «  grosse marmite » tombant sur la maison où se trouvait le docteur Giry, éclatait à ses pieds dans le vestibule, au moment où il allait monter à cheval.
Englouti et asphyxie sous des matériaux de toute sorte, il fut amené à Dunkerque pour y être soigné.
Un de ses hommes, qui tenait le manteau qu'il allait endosser, avait eu le, crâne fracturé. Deux soeurs ont été blessées.
Le docteur Giry n'avait aucune blessure apparente, mais avait reçu une commotion intense.
- Grâce aux soins qui lui ont été prodigués, il est aujourd'hui complètement rétabli et a insisté pour reprendre son service.
Il est actuellement médecin-major, médecin-chef de l'hôpital Jean-Bart, à Dunkerque.

JoeUF
La situation est assez calme.
Les familles Bastien, Bosment, Mlles Wansdorff, Marcelle Grançois, Brunier, Pazin, Mme Baudouin sont en bonne santé. M. l'abbé Schneider est prisonnier.
M. l'abbé Blin est mort à Consenvoye.
Dans beaucoup de villages environnants les femmes sont obligées de travailler pour l'équipement des troupes.
Malavillers est complètement détruit.

CRUSNES
Il n'y a pas eu de combat important à Crusnes ; un lêger engagement seulement avec les douaniers lors de l'arrivée des Allemands.
Les Allemands ont fusillé à Dudelange MM. Bernard père et Michel, marchand de vins, après leur avoir fait creuser leur fosse.
Dix-sept personnes ont été fusillées à Sancy, dont MM. Eug. Belfort et ses deux fils, Dieudonné, peindre, et son fils Joseph, Ch. Belfort, la garde du château, Mannia, Hallé Joseph.

Attaques et contre-attaques
SONT HEUREUSES
Sensibles progrès en Alsace

Bordeaux, 26 décembre, 16 heures..
Canonnade peu intense sur le front entre la mer et la Lys, où un brouillard épais a paralysé les opérations.
Entre la Lys et l'Oise, nous avons repoussé plusieurs attaques ennemies, à Noulette, ouest de Lens, à La Boisselle, nord-est d'Albert, à Lihons, ouest de Chaulnord-est nes, où une tranchée prise à l'ennemi a été perdue, puis reprise après un vif combat.
Entre l'Oise et l'Aisne, on nous signale que, dans la journée du 24, une très forte attaque allemande a été repoussée à Chivy, nord-ouest de Soupir.
Dans la région de Perthes, notre artillerie a fait taire les batteries qui bombardaient les tranchées récemment conquises par nos troupes ; deux fortes contre-attaques allemandes ont été refoulées dans la nuit du 24 au 25.
Hier, une nouvelle contre-attaque particulièrement importante a subi un échec complet.
En Argonne et entre Meuse et Moselle, rien à signaler.
En Haute-Alsace, la journée a été marquée par de sensibles progrès. Devant Cernay, nous avons atteint la lisière des bois sur les collines de l'ouest de la ville ; nous nous y sommes maintenus malgré plusieurs contre-attaques.
Nous occupons les lisières d'Aspach-leBas et les hauteurs qui dominent Carspach à l'ouest.

LES NOUVELLES
DU PAYS MEUSIEN
Du «  Bulletin Meusien » :


MONTMÉDY
M. le docteur Thirion, de Montmédy, qui habitait cette ville depuis sa récente mise à la retraite, avait repris du service depuis le début de la guerre ; il était médecin-major et séjourna dans cette ville jusqu'au 23 octobre, date à laquelle les Allemands l'emmenèrent en Allemagne. Il vient d'en rentrer, par voie d'échange, avec d'autres médecins militaires allemands, et a confié à un habitant de Virton qui voyageait avec lui depuis la Suisse que, jusqu'au 23 octobre, il n'y avait à Montmédy ni dégâts, ni vexations ; la population était, nourrie suffisamment et des convois de farine y étaient amenés par les Allemands chaque semaine. Le nouveau corps d'occupation allemand était d'ailleurs moins brutal que le premier.
D'autres correspondants racontent que le tunnel, détruit par la garnison française, y serait réparé et que les Allemands auraient employé tous les habitants valides à déblayer celui-ci pour rétablir la circulation des trains. (Sous toutes réserves, bien entendu.)

APREMONT-LA-FORÊT
On nous écrit d'Ernecourt que plusieurs habitants d'Apremont, enlevés comme prisonniers le 24 septembre, sont rentrés d'Allemagne le 11 novembre. Le maire, M. Eugène Charrois, a été emmené en otage avec vingt hommes de la commune le 24 septembre, et depuis on ignore ce qu'ils sont devenus. Sa femme, emmenée en même temps qu'eux, est réfugiée ici. On a écrit de divers côtés pour avoir de leurs nouvelles, mais sans résultat jusqu'ici.

SAINT-JULIEN ET BONCOURT
On nous écrit, à la date du 10 décembre, de Commercy :
«  Ici, nos pauvres pays sont bombardés Quotidiennement ; des villages de cette région ne seront bientôt plus que des ruines. A Saint-Julien, nous avons eu à déplorer, ces jours derniers, la mort de deux civils tués : MM. Martin père et fils. A Boncourt, un civil, Mme Girot-Remy, a succombé aux suites d'une blessure d'obus à shrapnells.

THONNE-LA-LONG
Nous apprenons la mort de M. Cordier, instituteur de cette localité, qui a été inhumé à Haumont-les-Samogneux.

DAMVILLERS
On nous a annoncé dernièrement qu'un quartier général allemand était installé au village de Réville, à quelques kilomètres nord de Damvillers.
Dans cette première localité les autorités militaires allemandes n'auraient jugé aucune demeure digne de les abriter et auraient fait construire à leur usage personnel!, hors de la ville, un grand bâtiment démontable en bois.

MARVILLE
Nous apprenons la mort de M. Edmond Mouton, ancien maire de cette commune, frère du général Mouton, et de l'ancien conseiller général de Dun.

STENAY
Les journaux publient une information de Milan, en date du 16 décembre, annonçant que d'après une dépêche officielle le kronprinz a établi à Stenay son quartier général, probablement au château des Tilleuls, déjà occupé par lui antérieurement.

ARRONDISSEMENTS DE MONTMÉDY ET VERDUN
Le 9 septembre, à Billy-les-Mangiennes, le bas du village et la rue habitée par M. Marc, maire, sont abîmés et brûlés ; à cette date, il restait soixante-dix personnes au début de décembre, il ne devait plus y avoir que le curé-doyen et trois ou quatre personnes.
A Nouillonpont, une vingtaine de maisons démolies ; aucune d'incendiée et personne de tué.
Pillon est brûlé en partie ; il y reste 30 personnes.
A Duzey, quatre ou cinq maisons défoncées avec l'église ; pas d'incendie.
A Rouvrois, aucun dégât.
Etain n'existe plus pour ainsi dire, ainsi qu'Eton.
Amel est très abîmé, Senon un peu moins, Loison est abîmé également.
Bouligny ne doit pas avoir souffert ; Spincourt est en partie brûlé.
L'église de Saint-Pierrevillers est abîmée ; une rue d'Arrancy est brûlée.
Les troupes allemandes sont assez nombreuses dans la région, qui est néanmoins tranquille et le ravitaillement en denrées nécessaires est assez facile.
Mogeville, Maucourt, ont été repris par nos troupes et fortifiées d'une façon très solide.
Le 13 décembre, nos troupes ont bombardé Montfaucon ; les Allemands ont fortifié Romagne-sous-les-Côtes et toutes les hauteurs voisines.
A Charny, de grosses pièces ont été installées aux environs pour bombarder la population de Romagne.
On nous écrit d'ailleurs :
Maucourt presque entièrement brûlé par les Allemands, Moge ville, Fromezey également. Nous occupons Ornes, qui n'est pas beaucoup abîmé. Grémilly est occupé par nos patrouilles. Amel est presque entièrement détruit. Senon a moins souffert. Quelques maisons brûlées et abîmées par les obus, une partie du clocher est tombée.
Ces deux pays sont occupés par l'ennemi et retranchés, le pays'entouré de fils barbelés. A Spincourt, le centre abîmé, clocher détruit, les Allemands en ont fait un centre de ravitaillement avec chemin de fer à voie régulière, passant à Vaudoncourt, Billy, Haut-Fourneau, s'engageant dans la forêt pour le ravitaillement des troupes qui sont à Romagne. Mangiennes est occupé par un régiment d'infanterie allemand avec l'état-major, n'a pas trop souffert.
Nouillonpont a très peu souffert. Muzeray, Rouvrois, Saint-Pierrevillers également.

CANTON D'ETAIN
Eix, Moulainville, les Prussiens n'y sont pas venus. Alors rien.
Abaucourt : quelques obus marmites sont tombés au milieu du pays tuant six soldats d'infanterie et faisant des blessés (devant la mairie) ; pas de dégâts matériels, quelques carreaux cassés. Haucourt rien. Herméville est bien abîmé par les obus, quelques maisons incendiées dans le centre du village. Warcq occupé par nos troupes a souffert beaucoup, les fermes environnantes brûlées.

RÉGION SPINCOURT-ÉTAIN
Un de nos amis, officier, nous communique de nouveaux renseignements sur la région Spincourt-Etain :
Mangiennes, Billy Pierrepont, Pillon, Mouzerey sont fortement abîmés. A Billy, les habitants ont été emmenés à Zvickau (83 personnes), dont le curé, les familles Tonnelier. Robinot, Piernet, Humbert, Mantoulet, Collignon, Alexis Lecomte.

SAINT-JEAN-LES-BUZY
M. Watrin, 58 ans, a été emmené en Saxe par les Allemands ; sa femme est restée au pays.

VIÉVILLE-SOUS-LES-COTES
Les Allemands ont fait prisonnier un jeune homme de 18 ans, M. Léon Rodrigue, et l'ont emmené chez eux.

AUBRÉVILLE
Bombardement tous les jours deux fois. Le 4 décembre, 21 obus le matin, 5 de soir. Un de ceux-ci est tombé sur le fumier de M. Vitry, a crépi de purin toute la façade de la maison et brisé les fenêtres à quelques pas du presbytère et de l'école des filles. Un autre est tombé sur la maison de soeur A...

NEUVILLE
Neuville est aussi bombardé. Il reste peu de choses. Le presbytère est brûlé, l'église endommagée.

DES BOMBES SUR NANCY

Vendredi 25 Décembre
Un avion allemand a de nouveau survolé Namcy vendredi matin ; il a lancé sur notre ville deux bombes qui, fort heureusement, n'ont fait aucune victime, causant seulement quelques dégâts matériels.
Il était près de neuf heures et demie du matin lorsque l'attention des passants fut attirée par la présence d'un biplan voilant à une grande hauteur et dont la forme indiquait qu'il appartenait à nos ennemis.
L'avion lançait deux bombes, l'une tombait rue de Mon-Désert, 26, sur un bâtiment dépendant des ateliers de la maison Fortin-Hanrion, fabricant de cordages et literie, rue Saint-Dizier.
Le projectile perçait dans la toiture un trou d'un diamètre de vingt centimètres, traversait le plancher du premier étage et arrivait sur celui du rez-de-chaussée où il brisait une planche sans faire explosion, malis en dégageant une épaisse et forte fumée noire qui fit croire aux voisins qu'un incendie venait de se déclarer.
On avertit les sapeura-pompiers qui arrivèrent en toute hâte ; mais ils n'avaient pas à intervenir, car la bombe n'avait provoqué le moindre sinistre.
Les carreaux des baies d'éclairage n'avaient même pas été brisés ; aucun objet n'avait été renversé et une forte odeur de sulfure se répandait dans l'atelier.
Un employé de la maison Hanrion-Fortin ramassa le projectile brisé en diverses parties, qui fut remis à un gardien de la paix qui le transporta aussitôt au bureau central de police.
Peu après, un inspecteur de la sûreté en fouillant avec sa canne dans le trou fait dans le plancher y découvrit l'hélice, se trouvant à la partie supérieure de la bombe.

La deuxième bombe est venue s'abattre sur la toiture de l'hôtel de la Poste, place de la Cathédrale, dans la partie qui prend jour sur une cour intérieure du côté du couvent des soeurs de l'Espérance.
Le projectile atteignit la partie du toit formant mansarde,près d'une fenêtre donnant le jour à la chambre n° 47.
La bombe, en faisant explosion, produisit une forte détonation, elle brisa entièrement une poutre de près de quarante centimètres de côté, fit un trou énorme dans la toiture, couvrant de plâtras Le lit et toute la chambre, réduisant en miettes une glace apposée au mur.
L'armoire et les autres meubles subirent également de forts dégâts.
Un morceau de plomb de la toiture arraché par l'explosion est allé tomber dans le jardin du couvent où une soeur le rainassa, Un morceau de fer servant de poignée à La bombe y fut également trouvé, ramassé et remis à la police, Plusieurs vitres des fenêtres de la maison religieuse ont été également brisées par des éclats ; l'un d'eux est allé se loger dans la paroi d'un couloir, après avoir traversé une porte.
Des débris d'ardoise et de bois provenant de la toiture de l'hôtel jonchaient le sol du jardin.
La déflagration fut tellement violente que, dans la cuisine, située sous une véranda au pied du bâtiment où la bombe s'était abattue, Mme Dottenville, qui s'y trouvait, fut projetée à quelques mètres.
Elle n'eut fort heureusement qu'une légère foulure du pied.
M. Simon, maire, prévenu, s'est rendu à l'hôtel et au couvent de l'Espérance où sa présence a rassuré tout le monde. Pendant toute la journée, une foule assez dense s'est rendue place de la Cathédrale, pour satisfaire sa curiosité qui a été déçue, aucun dégât ne se voyant de la voie publique.

Samedi 26 Décembre
Nancy a reçu samedi matin la visite d'un dirigeable ennemi. Une dizaine de bombes ont été lancées.
L'aéronef survolait la ville à une faible altitude. Il se proposait comme objectif la voie ferrée ; mais il a manqué son but et c'est dans la direction de la ville vieille que sont tombés ses projectiles.
Du quai Claude-le-Lorrain à la Pépinière, on a relevé les traces de ce bombardement sur la place Carnot, rues de la Source et de la Charité, place Saint-Epvre, Grande-Rue et aux abords du canal.
Quelques arbres duc cours Léopold ont été endommagés ; les vitres de la place Carnot ont volé en éclats ; la. maison portant le numéro 35, rue de la Source, est détériorée ainsi que deux magasins avoisinant la Petite Carrière.
Les autorités civiles et militaires se trouvaient sur Les lieux. Des barrages ont été établis. Les mesures d'ordre nécessaires ont été prises, afin d'interdire aux curieux accourus en foule l'approche des immeubles atteints par ces «  souvenirs » allemands.
Il s'agit, pour les Boches, de simples souvenirs, en effet, ainsi qu'en témoignent deux photographies ramassées au boulevard de la Pépinière par M. Edouard Schlegel, 32, rue Laflize, et qui portent en allemand ces dédicaces : «  Bon Noël. Souhaits du kaiser Guillaume », «  Un aviateur allemand vous salue ». L'envoi était contenu dans une enveloppe avec une balle de bronze française pour lest.
La première détonation s'est produite exactement à 5 h. 20.
Les Nancéiens ont montré plus de curiosité que d'émotion à la nouvelle d'une visite qui n'est point pour eux une sensationnelle surprise.
Le bombardement a fait malheureusement plusieurs victimes :
Mme Anna Goëb, 39 ans, domestique chez M. Jacquemin, 38, quai Claude-le-Lorrain a reçu des blessures qui ont entraîné la mort.
M. Louis-Georges Lantoine, 29 ans, originaire d'Armentières, garçon de café au buffet de la gare, demeurant 4, cours Léopold, qud eut l'artère carotide tranchée par un éclat de verre.
Quelques soldats ont été atteints peu grièvement par des éclats de verre.

TAUBE & ZEPPELIN

Nancy, 26 décembre.
Nous recevons la communication suivante:
Dans la nuit de vendredi à samedi, un «  zeppelin » a traversé Nancy laissant tomber une douzaine de bombes qui firent heureusement beaucoup plus de bruit que de mal, leur effet s'étant borné à des dégâts matériels peu importants. La population de Nancy ne s'en est montrée aucunement alarmée.

M. le Préfet a adressé au Ministre de l'Intérieur le télégramme suivant :
«  Préfet Nancy à Ministre Intérieur.
«  Nos fêtes de Noël ont été honorées hier par présence «  Taube » qui jeta plusieurs bombes vaines dans le voisinage de la Cathédrale à l'heure de l'entrée des fidèles. Cette nuit «  Zeppelin » versa nombreuses bombes fort bruyantes mais peu meurtrières. Population Nancy fort tranquille s'est rendormie en pensant avec moi qu'il était préférable que ces bombes fussent tombées sur nous que sur nos soldats dans les tranchées. »

AVIS A LA POPULATION
M. le Général commandant les troupes du secteur de Nancy me communique les recommandations du général commandant en chef relativement au bombardement par dirigeables et d'après lesquelles «  la meilleure défense est d'éteindre à terre toutes les lumières afin de priver le dirigeable de tout point de repère. »
Deux questions sont, à ce point de vue, à envisager : l'éclairage public et l'éclairage privé. L'éclairage public sera réduit au minimum strictement indispensable. Sur l'éclairage privé, le général ajoute : «  Je crois savoir que les lumières de la ville ont actuellement sensiblement augmenté le soir ; il y aurait intérêt à faire connaître aux habitants qu'il convient de persister dans les mesures de prudence qui avaient été prises, à ce point de vue, au début des hostilités »
Cette double précaution est excellente et chacun, en ce qui le concerne, y devra participer avec une exacte discipline.
Je me permets d'ajouter ceci : quelques personnes qui ont villégiaturé les mois d'août et de septembre hors de Nancy se sont, paraît-il, montrées fort émues des quelques bombes dont le «  Zeppelin » vient de nous arroser. Ces personnes, je l'espère, et je les y invite, vont se hâter de se faire une mentalité analogue à celles des Nancéiens qui sont restés ici aux heures réellement critiques ; à ces heures-là, Nancy fut une cité vaillante ; il serait ridicule, j'ose le dire, que ses nerfs fussent, si peu que ce soit, ébranlés aujourd'hui par ces manifestations de l'ennemi plus bruyantes que meurtrières et qui ne peuvent comporter aucune conséquence stratégique : de quelque sympathie émue que nous entourions les victimes de ces accidents, n'oublions pas que tous les «  Zeppelins » font moins de victimes dans une ville que la moindre épidémie de fièvre typhoïde ou même de scarlatine, et qu'à tout prendre, en cette saison, les «  Zeppelins» sont moins dangereux pour la collectivité que la pneumonie. Avis en particulier aux mamans qui ont des enfants en bas-âge.
L. MIRMAN,
Préfet de Meurthe-et-Moselle.

QUELQUES PROGRÈS
EN ARGONNE ET EN ALSACE
NOS AVIONS bombardent Frescaty et Metz

Paris, 27 décembre, 15 h, 45.
Entre la mer et la Lys, journée calme. Canonnade intermittente.
Entre la Lys et l'Oise, rien à signaler.
Dans la vallée de l'Aisne et en Champagne, duel d'artillerie.
Dans la région de Perthes, l'ennemi, après un violent bombardement, a tenté, sur des tranchées qu'il avait perdues, une contre-attaque qui a été aussitôt repoussée par notre artillerie et notre infanterie.
En Argonne, légers progrès.
Au sud de Saint-Hubert, une compagnie a gagné entre 100 et 200 mètres de terrain, et nous avons bombardé un ravin où l'ennemi a évacué plusieurs tranchées.
Entre la Meuse et la Moselle, à l'est de Saint-Mihiel, deux attaques allemandes contre une redoute du Bois-Brûlé ont été repoussées.
On sait qu'un dirigeable a lancé une dizaine de bombes sur Nancy, au milieu de la ville, et sans aucune raison d'ordre militaire. Nos avions, au contraire, ont bombardé les hangars d'aviation de Frescaty et une des gares de Metz, où des mouvements de trains étaient signalés, ainsi que les casernes Saint-Privat, à Metz.
En Haute-Alsace, nous avons réalisé de nouvaux progrès sur les hauteurs dominant Cernay et nous y avons repoussé quelques attaques.
Paris, 28 décembre, 0 h. 46.
Voici le communiqué officiel du 27 décembre, 23 heures :
Après avoir, toute la nuit dernière, dirigé un feu violent d'artillerie et d'infanterie contre nos troupes installées à La Boisselle et dans les tranchées voisines, l'ennemi a prononcé deux attaques consécutives, mais sans aucun succès.
Nous tenons fortement les tranchées enlevées près de Puisaleine.
Sur les Hauts-de-Meuse, nous consolidons l'occupation du terrain conquis près de la tranchée de Colonne.
Saint-Dié a été violemment bombardé de 9 heures et demie à 12 heures.

PRISONNIERS DE LA MEUSE

Du «  Bulletin Meusien » :
M. Juste, curé de Richecourt, est prisonnier à Bayreuth, avec trente-six de ses paroissiens, et quatre-vingt-dix autres de Xivray-Lahayville. Il écrit le 7 novembre :
«  Le général vient de nous annoncer que nous sommes innocents et que nous sommes ici par une erreur inexplicable. Alors nous sommes libres de partir, et ce sera quand tout sera en règle. Je suis ici sans habit, sans linge. Je suis utile à tous, sachant un peu l'allemand. Je n'ai pas quitté mes paroissiens ; ils en ont été contents ; le général m'en a félicité devant mes gens. Ne vous inquiétez pas, on fera pour le mieux. »
M. Aubois, curé d'Hattonchâtel, prisonnier à Ehrenbreisten, par Coblentz, avec dix autres prêtres, écrit :
«  Hattonchâtel est aux deux tiers incendié ; la voûte de l'église s'est écroulée au-dessus du choeur et de l'avant-choeur. Les habitants ont pris la fuite et, après quinze jours, vingt et une personnes seulement étaient présentes.
«  Hattonville et Vigneulles sont aussi presque complètement détruits. »
M. Tridon, curé d'Heudicourt, libéré :
«  Dans ma paroisse, il restait à mon départ cent quinze habitants et quelques réfugiés de Loupmont. Je me demande avec angoisse de quoi ils peuvent vivre, car on leur a tout pris, jusqu'au dernier lapin, jusqu'aux moindres légumes, et nos ennemis, pour les mieux affamer, donnaient les gerbes de blé en litière à leurs chevaux. »
Mmes Gille et Dussay Françoise, de Romagne-sous-les-Côtes, sont prisonnières à Zwickau. M. Louis Hannetelle, de Luzy, mécanicien à la gare de Longuyon, est prisonnier également en Allemagne.
MM. Emile Warlot et Libor, de Combres, sont à Zwickau, en Saxe.
Mme Vautrin et son fils, Mme Liborr Mlle Catherine Laurent, Mme Maria Laurent et son fils, sont à Schwetzingen, caserne de cavalerie n° 21, grand-duché de Bade.
Les habitants de Saint-Remy, internés à Rastadt (grand-duché de Bade) viennent d'être rapatriés et dirigés sur Thonon-lesBains (Haute-Savoie).
Le docteur Mutalet, de Mangiennes, actuellement médecin militaire, nous informe que sa mère est du nombre des prisonniers civils emmenés par les Allemands. Elle est avec Mmes Robert et Leroy, de Mangiennes. à Eratz-sur-Alzette (grand-duché de Luxembourg)
M. Constant Sirot écrit à ses parents :
Je suis parti depuis le 19 septembre comme prisonnier civil. Nous sommes sept de Lissey : Vital-Rouyer, Léon Richard, Patoche Théotime, Isaie Richard, Bon Delzédar, Léon Fallet, Sirot Constant.
Constant SIROT.
Lager Grafenwohr, Bavière (Allemagne).
- M. G. Klein écrit :
Mon beau-frère Jules Dauphin, prisonnier en Saxe, me donne les noms de quelques Meusiens qui sont avec lui et dont plusieurs n'ont pas de nouvelles de leur famille. Je vous en donne la liste ci-dessous :
Fulbert, de Bouvigny ; Paul Fauquenot, de Bouligny ; Antoine et Louis Alzin, de Bouligny ; Aimé Goeuriot, de Bouligny ; Klein-Saguez, de Bouligny ; Erard-Proth, de Spincourt ; Léon François, de Spincourt ; Victor Lavigne, de Spincourt ; Didry-Malher, de Landres (M.-et-M.).
Kriegsgefangener Neues Lager, baraque 24, à Koenigsbriick, royaume de Saxe, via Pontarlier.
C. KLEIN,
40, rue Georges-Rémond, Gagny (Seine-et-Oise)

LES AVIONS ALLEMANDS
survolent Nancy
LA CHASSE AÉRIENNE

Dimanche 27 décembre, à midi et demi, un aéroplane allemand a survolé Nancy à une grande hauteur. Il a laissé tomber quatre bombes. L'une est tombée sur le toit de l'école maternelle du boulevard d'Alsace-Lorraine, où elle a brisé quelques tuiles : la seconde, rue de Strasbourg, 70, où elle a traversé la toiture de la maison et provoqua dans le grenier un léger commencement d'incendie qui a pu être rapidement éteint par les habitants aidés par un gardien de la paix et un soldat territorial. Les pompiers furent appelés, mais ils n'eurent pas à intervenir. Nos braves sapeurs ramassèrent les débris de l'engin, à la poignée duquel était attachée une longue banderole aux couleurs allemandes.
La troisième est venue s'abattre rue du Tapis-Vert, 6, chez M. Kahn, négociant en chiffons. Elle a traversé la toiture d'un petit bâtiment servant de cuisine où se trouvait la domestique, qui n'a eu aucun mal.
L'engin, en se brisant en deux, communiqua le feu à des chiffons ; un seau d'eau suffit à l'éteindre. Les morceaux furent remis à la police.
La dernière, rue du Manège, 6.
Nos aviateurs s'étaient mis rapidement à la chasse de l'aéroplane ennemi qui se dirigea vers les lignes allemandes. Dans les rues, un public nombreux était massé, suivant attentivement des yeux la poursuite du «  taube » que l'on crut un moment en danger, et qui put cependant échapper. Nos grands oiseaux revinrent ensuite à leur nid. Pas pour longtemps !

A deux heures et demie, en effet, un autre aéroplane allemand,jouant d'audace, revenait au-dessus de Nancy. Bientôt une bombe s'abattait sur la maison portant le numéro 14 du boulevard d'Alsace-Lorraine.
Elle se brisait sur le toit. Les débris venaient s'abattre sur la voie publique, où ils étaient ramassés par des enfants.
Un autre engin portant une banderole rouge, blanche et noire tombait dans le iardin de l'établissement «  A Robinson », prairie de Tomblaine, creusant un simple trou dans la terre.
Enfin, un dernier engin allait choir dans la Meurthe où, bien entendu, nul ne fut tenté de le repêcher.
Pendant qu'ils survolaient la ville, les deux avions ennemis ont laissé tomber une certaine quantité de fléchettes d'acier. Aucune personne n'a été atteinte.
Ces apparitions de «  taubes » effrayèrent fort peu les Nancéiens qui, pendant toute l'après-midi, continuèrent leur promenade dominicale dans les rues centrales de la ville.

DISTRIBUTEURS AUTOMATIQUES
LES AVIATEURS BOCHES
ont beaucoup d'esprit

L'habitude est prise.
Chaque jour amène à Nancy son taube.
Visite blanche. Résultats nuls - ou presque. Quand par hasard des victimes sont frappées, ce sont des femmes, des enfants, ce qui contribue à montrer sous un angle plutôt fâcheux pour le kaiser ce que serait dans le monde la civilisation germanique si le destin lui permettait d'y régner.
Les aviateurts boches se sont-ils exactement rendu compte du peu d'effet matériel et moral de leurs envois ? C'est fort possible. Ils essaient, à cette heure, de «  faire de l'esprit », comme ces gens dont les plans déjoués ou les intentions trahies recherchent une diversion pour expliquer maladroitement leurs perfidies.
En un mot ils voudraient, selon une expression populaire, nous «  la faire à la blague » :
- On ne veut point votre mort, insinuent les pilotes des tauben et des zeppelins ; on désire seulement vous prouver que, le cas échéant, on a en Allemagne autant d'esprit qu'au pays de Voltaire ».
Là-dessus nos visiteurs aériens improvisent leurs facéties.
Elles sont du meilleur goût.
Jugez-en.
Mercredi dernier, un taube lançait sur le quartier Grandville deux bombes inoffensives, garnies apparemment de poudre de perlinpinpin, mais l'une d'elles portait un ingénieux mécanisme peur répandre à profusion des manifestes, des tracts, des proclamations à la nation française.
C'est le dernier progrès, osons le dire nettement, des distributeurs automatiques, la suprême nouveauté, le jouet de fin d'année, l'article simple, élégant, solide et pratique. Voyez notre assortiment, messieurs!
Prenez l'objet en mains, mesdames ! L'essayer c'est l'adopter - et ça défie toutes les concurrences.
Les Nancéiens qui ramassèrent les débris de l'engin, purent ainsi savoir : 1° que le gouvernement de M. Poincaré avait déclaré la guerre ; 2° que leur ville était, cernée ; 3° qu'une formidable légion de casques à pique marchait sur Lyon ; 4° que nos soldats seraient sagement inspirés en se précipitant dans les bras des excellents kamarades qui les traiteraient comme des frères.
Excusez du peu !
Hier, nouvelles distributions d'articles de propagande «  Made in Germany ». Ce furent d'abord plusieurs douzaines de fléchettes en acier sur lesquelles se revendiquait orgueilleusement le droit exclusif de propriété et d'exploitation :
«  Inventé en France et fabriqué en Allemagne.»
Les Boches, en vérité, se vantent.
D'autres fléchettes, modèle identique, annonçaient sans vergogne aucune :
«  De l'Allemagne victorieuse à la France vaincue. »
Faudra voir !
Un simili-obus de pacotille, adorné d'une banderole aux couleurs d'outre-Rhin, tomba dans la prairie de Tomblaine sans que nous ayons pu savoir quelles marchandises couvrait ce pavillon, mais nous présumons qu'il recommandait encore l'exactitude des pronostics et la sincérité des nouvelles extraites de l'agence Wolff.
De son côté, le Zeppelin de samedi matin laissa tomber - comme un oiseau sa fiente - deux photographies d'officiers aux boutons dorés, aux épaulettes outrageusement peintes, aux moustaches onctueuses de cosmétique, avec ces dédicaces venues l'une d'Heidelberg et l'autre de Mulhouse (ô Alsace, pardon !) :
«  Joyeux Noël. Aimable envoi du kaiser Guillaume II. - Souvenir d'aviateurs allemands ». Suivait une signature.
A l'instar d'un cabotin sous les huées et les coups de sifflet, les Tauben et les Zeppelin essaient de se dégager par une pirouette ; ils virent dlans l'opprobre mieux que dans l'air en se donnant devant la galerie une attitude équivoque de mystificateurs qui font des plaisanteries.
Derrière leurs «  rigolades » on relève les femmes, les enfants, les victimes innocentes.
Si les Boches empruntent à Voltaire un peu de son esprit, c'est à la cour de Frédéric II qu'ils ont dû ramasser les miettes.
LUDOVIC CHAVE.

A RAMBERVILLERS
De la Poudre aux Moineaux

Depuis trois jours, Rambervillers reçoit la visite des Tauben qui viennent jeter des bombes sur la ligne de chemin de fer, dans le but probable de détruire des ponts ou des ouvrages et d'empêcher momentanément le passage de nos trains de ravitaillement. Le jour de Noël et le lendemain, ils ont survolé la ville, vers 3 heures et demie de l'après-midi et ont laissé tomber plusieurs bombes qui n'ont fait aucun dégât.

DANS LES DUNES DES FLANDRES
Nous sommes au pied de ses lignes de résistance

Paris, 28 décembre, 15 h. 10.
En Belgique, nous avons continué à avancer à l'ouest de Lombaërzide. Nous sommes actuellement au pied des dunes sur lesquelles l'ennemi a établi sa ligne de résistance.
Au sud d'Ypres, nous avons perdu un élément de tranchées, près de Hollebecke.
Dans la région de Lens, près de Carency, l'ennemi a cédé, devant nos attaques. 800 mètres de tranchées de première ligne.
Dans la vallée de l'Aisne et en Champagne, canonnade intermittente, particulièrement intense dans les régions de Reims et de Perthes, où l'ennemi a visé spécialement les positions que nous avons conquises à l'ouest de cette localité.
Sur les Hauts-de-Meuse, nous avons progressé légèrement sur tout le front.
Dans les Vosges, l'ennemi a bombardé la gare de Saint-Dié. Le service de la vote ferrée n'est pas interrompu.
En Haute-Alsace, au nord-est de Steinbach, une contre-attaque allemande a été repoussée.
Paris, 29 décembre, 1 heure.
Voici le communiqué officiel du 28 décembre, 23 heures :
Pendant toute la journée une tempête violente a empêché les opérations sur la plus grande partie du front.
On signale cependant que nous avons réalisé quelques progrès en Argonne.

QUELQUES GAINS DE PLUS
De la Belgique à l'Alsace

Paris, 29 décembre, 15 h. 22.
En Belgique nous avons enlevé le village de Saint-Georges, où nous nous sommes établis.
De la Lys à la Somme, l'ennemi a bombardé assez violemment nos positions dans la région d'Echelle-Saint-Aubin-Le Quesnoy-Bouchoir (nord-ouest de Roye).
Calme sur le front, entre la Somme et l'Argonne.
Nous avons gagné un peu de terrain en Argonne, dans le bois de la Grurie, le bois Bolante et le bois de Courte-Chausse.
Sur les Hauts-de-Meuse, plusieurs contre-attaques allemandes ont été repoussées dans le bois Le Bouchot (nord-est de Troyon).
L'ennemi, qui avait enlevé nos tranchées voisines de la redoute du bois Brûlé (ouest d'Apremont) en a été chassé après trois contre-attaques successives.
En Haute-Alsace, nous investissons étroitement Steinbach. A la suite d'un violent combat, nous nous sommes emparés des ruines du château, au nord-ouest du village.

LEUR RAISONNEMENT
SUR LE
BOMBARDEMENT DE NANCY

Paris, 29 décembre, 18 heures.
Le communiqué allemand présente le bombardement de Nancy comme une mesure de représailles répondant au bombardement de Fribourg-en-Brisgau par nos aviateurs.
Or, les avions français n'ont jamais exécuté que des opérations de guerre motivées par des raisons d'ordre militaire.
Ils n'ont atteint, à Fribourg-en-Brisgau, que les hangars et les usines d'aviation, ainsi que la gare où des mouvements de troupes étaient signalés.
Un de nos dirigeables, qui survola Sarrebourg, ne bombarda que la station, ainsi que d'autres points de la ligne Sarrebourg- Avricourt.
De même, dans la journée du 26 décembre, nos avions ayant survolé Metz, ne lancèrent de projectiles que sur les hangars de Frescaty, sur une des gares et sur les casernes de Saint-Privat.
Les bombes allemandes, au contraire, sont tombées, à Nancy, en pleine ville, sur un point éloigné de tout bâtiment militaire, et où aucune troupe ne se trouvait rassemblée. Elles ne pouvaient donc atteindre que des bâtiments civils et ne faire de victimes que parmi la population.

UN BAPTÊME DU FEU
au Taube
POUR NOS CONSCRITS DU 160e

Paris, 30 décembre, 0 h. 40.
Communiqué officiel du 29 décembre, 23 heures :
Aucun incident notable ne nous a été encore signalé jusque dans la soirée.
Un «  Taube » a survolé Westende, le 20 décembre au moment de la présentation du drapeau aux soldats de la classe 1914, nouvellement incorporés.
Le colonel Bablon, du 160e d'infanterie, fit ouvrir le feu, mais sans succès.
Le «  Taube » jeta trois bombes. La première éclata derrière le 1er bataillon avec un bruit formidable mais elle n'atteignit personne.
La deuxième frappa le sol derrière le 3" bataillon, et fusa, sans effet.
La troisième tomba à dix pas devant le colonel Bablon, impassible.
Pas plus que leur chef, aucun homme ne broncha, et les recrues reçurent ainsi le baptême du feu avec la même crânerie que les anciens.

AU COL DU BONHOMME
Comment la Tête-de-Faux fut prise par nos troupes

Un territorial qui a participé à l'attaque raconte ainsi, dans une lettre, comment fut prise, le 2 décembre, la Tête-de-Faux, qui commande le col du Bonhomme et où les Allemands avaient établi un observatoire :
«  On nous avait dit : «  Au premier coup de canon, vous sortirez de vos abris pour prendre place dans les tranchées vos postes de combat, à la lisière du bois. »
Nos abris ? Quels abris ! Des espèces de tanières où l'on ne pénétrait qu'à quatre pattes, creusées en bas d'invraisemblables pentes, devant un village d'Alsace, de B... Les Boches l'occupaient ; nous les voyions; circuler dans l'unique rue, en marche vers les sentiers qui conduisent sur la hauteur. Et quand ils grimpaient, ils ne paraissaient pas plus gros que des fourmis. Ils avaient, à quatre ou cinq cents mètres de nous, des tranchées zigzagantes, où ils arrivaient après avoir rasé les murs, utilisé des replis de terrain.
Vers les huit heures, un maréchal des logis d'artillerie passe près de la sentinelle que notre poste fournissait.
- Vous allez être bien ici, dit-il. C'est une baignoire qu'on vous a fournie à l'oeil pour le concert.
Cette chose sérieuse avait l'air d'une plaisanterie. Machinalement, je jetai un regard autour de moi. La tranchée découverte où nous devions prendre place était pleine d'eau. Mais, surplombant la vallée, les fermes, le village alsacien, elle avait des allures d'avant-scène. Le maréchal des logis s'éloigna, pressé, en ajoutant :
- Vous allez entendre quelque chose.
C'est tout au plus si nous ne nous sentîmes pas impatients. Il y avait là-haut des canons de tous calibres.
L'heure approchait. Quelle fut tout à coup ma surprise : des mouvements de troupes avaient commencé tout près. Des chasseurs alpins, émergeant soudain d'un repli, le fusil à la main, arrivaient au pas de course, un à un, à 25 mètres d'intervalle et s'abritaient, entassés, derrière une ferme couverte de zinc, dans un trou en contre-bas, susceptible de cacher presque toute une compagnie, Plus loin, d'autres formations se dessinaient.
Une voix claire, brutale, précipitée, sèche et volontaire, s'élève soudain, dans unecadence presque régulière, au rythme quasi mathématique. Ce sont nos 75 Leur martèlement est précis, nerveux, impitoyable, obsédant. Les obus qui tombent abondamment sur les pentes d'en face, montent, en éclatant, vers le sommet de la Tête-de-Faux, la balayent, y faisant une oeuvre terrible de destruction.
Mais nos chasseurs ont été repérés par l'observateur boche. La première marmite vient tomber derrière la ferme où ils se sont massés. Elle éclate à 30 mètres. Tout à l'heure, la bicoque sautera. Mais de nouveau le canon a repris ; les chasseurs, précipitamment, remontent par un repli du sol ; ils se couchent, se collent à la terre, derrière le talus d'un chemin creux. Mais les marmites les suivent.
Toutes les batteries tonnent à la fois. Invisible, dissimulée on ne sait où, l'artillerie de montagne fait rage. Comme le 75, elle élève sa voix sèche et cassante, et le concert s'accentue. Les mitrailleuses s'en mêlent, puis la fusillade éclate. L'action presque tout entière se déroule sous bois. Mais dans le crépitement rageur des milliers d'armes, l'esprit la suit, cette action. Il semble qu'on entend d'imperceptibles frémissements, des bruits de feuilles sèches, foulées, de branches qui cassent sous les pieds, de gens qui marchent, courent, halètent, de corps qui tombent sur la terre dure avec un bruit mat, sinistre.
Déjà, tout en haut, des clairons sonnent la charge. Des cris montent, multiples, furieux, féroces, emplissant la vallée.
- En avant !... à la baïonnette !...
On devine les sections qui s'élancent, les pointes qui frappent. Sous mes yeux, la compagnie des chasseurs s'est levée : elle s'est élancée vers les tranchées boches, sur le Bonhomme. mais c'est la grêle des marmites. Elles sifflent, tombent, éclatent, empestant l'atmosphère. Oh ! qu'ils sont prompts à se garantir ! En voici un qui poursuivi, trois fois se couche sous la pluie de fer, et trois fois se relève. En voilà d'autres qui, eux, ne se relèveront plus...
Le drame continue. De plus en plus sourd, et comme ouaté, l'écho de la fusillade intense vient de l'autre côté des monts. Les nôtres ont dépassé la crête ; c'est qu'ils sont les maîtres:
Tout, au fond, en bas, des maisons brûlent, déroulant leurs volutes rouges sur l'écran noir de la nuit. »

LES ALSACIENS-LORRAINS
Leur situation de Français va être officiellement déterminée

La situation des Alsaciens-Lorrains en France a, dès le premier jour, vivement préoccupé le gouvernement.
Suivant les instructions données par le ministre de l'intérieur, tous les Alsaciens-Lorrains qui se trouvaient en France au moment de la mobilisation et qui ont pu établir, soit par des pièces authentiques, soit par des répondants, qu'ils sont vraiment d'origine; alsacienne ou lorraine, ont reçu un permis de séjour.
La question la plus délicate était de régler la situation de ceux qui, à la suite de l'occupation par les troupes françaises, ont été évacués d'Alsace-Lorraine soit comme otages, soit parce qu'en âge d'être mobilisés, il était nécessaire de les soustraire à l'autorité allemande. Il se trouvait en effet parmi eux des Alsaciens-Lorrains d'origine et de sentiments français, et des immigrés d'origine et de tendance absolument allemandes.
Les ministres de l'intérieur et de la guerre ont désigné une commission chargée de procéder sur place à la sélection nécessaire et qui a déjà accompli une grande partie de sa tâche. Afin de régler dans le plus bref délai la situation des Alsaciens-Lorrains en France, le président du conseil vient, en outre, de désigner plusieurs personnes qui sont, à tous points de vue, qualifiées pour établir la distinction nécessaire entre ceux qui, véritablement Alsaciens-Lorrains, doivent être dès maintenant assimilés aux Français et ceux qui doivent être considérés comme sujets allemands. Ce sont MM. Wetterlé, Weill, Langei, anciens députés d'Alsace-Lorraine; Blumenthal, maire de Colmar ; Helmer, avocat à Colmar ; Châtelain, Wilmoth et Growel, originaires d'Alsace-Lorraine et représentant les sociétés d'Alsaciens-Lorrains. Quatre commissions ont été ainsi constituées, qui vont opérer simultanément dans les lieux de dépôt qui restent encore à visiter. Ainsi, dans quelques jours, la situation individuelle de tous les Alsaciens-Lorrains en France sera définitivement réglée.

NOTRE AVANCE MÉTHODIQUE
Nos canons lourds à l'oeuvre

Paris, 30 décembre, 15 h. 10.
En Belgique, nous avons gagné un peu de terrain dans la région de Nieuport, en face des polders, au nord de Lombaertzide.
L'ennemi a bombardé violemment Saint-Georges, que nous mettons en état de défense.
Nous avons enlevé un point d'appui allemand, au sud-est de Zonnebecke, sur la route de Bacelaers à Paschendaële.
De la Lys à l'Oise, rien à signaler.
Dans la vallée de l'Aisne et en Champagne, l'ennemi a manifesté une recrudescence d'activité qui s'est traduite surtout par un violent bombardement, auquel notre artillerie lourde a répondu efficacement.
De l'Argonne à la Moselle, canonnade sur tout le front. Elle a été particulièrement intense sur les Hauts-de-Meuse.
Dans les Vosges, l'ennemi a prononcé sur la Tête-de-Faux une attaque qui a été repoussée.
En Haute-Alsace, nous consolidons nos positions. Notre artillerie lourde a réduit au silence les obusiers allemands qui bombardaient Aspach-le-Haut.

LES VITRAUX DE SAINT-EPVRE

Du «  Journal de la Meurthe et des Vosges » :
«  Les vitraux de Saint-Epvre, réduits en miettes par le bombardement du zeppelin, étaient l'oeuvre de Carl Geyling, de Vienne. Il y en avait 72, qui coûtèrent 300.000 fr. au curé Trouillet et qui datent de 1867. Le plus célèbre était celui offert par François-Joseph et représentant saint François et sainte Elisabeth de Hongrie.
Ces vitraux furent exposés à Vienne et rapportèrent beaucoup d'argent à l'intrépide curé-bâtisseur.
Les vitraux anéantis en tout ou en partie sont : saint Léon IX et Pie IX, saint Henri, saint Gabriel, saint François, sainte Elisabeth, saint Ferdinand, sainte Marguerite. saint Hubert, sainte Anne, saint Paulin, saint Léopold, saint Ferdinand, sainte Madeleine, saint Mathieu, saint Luc, etc., etc.
Il semble bien qu'aucune verrière n'est intacte, et qu'il faudra des années pour refaire tout cet ensemble artistique.
On pourra, il faut l'espérer, remettre provisoirement en verre blanc ces grandes baies de Saint-Epvre, au moins pour le printemps prochain.
Les admirateurs nancéiens de François-Joseph peuvent être satisfaits maintenant... le vilain sire, l'être ignoble qui a déchaîné tous ces crimes et ces monstruosités a mis le couronnement à sa honte !
Qu'il soit maudit par toute la Lorraine, par toute la France, par toute la Chrétienté ! »

RÉSUMÉ
DES PRINCIPAUX EVENEMENTS
de Décembre 1914

1er décembre. - Le général Joffre dit aux Alsaciens de la région de Thann : «  Notre retour est définitif. Vous êtes Français pour toujours ». - Le roi George et M. Poincaré se rencontrent sur le front.
2 décembre. - Nos troupes enlèvent Aspach-le-Haut, en Alsace, Lesménils et le Signal de Xon, sur la rive droite de la Moselle, et la Tête de Faux dans les Vosges.
7 décembre. - Les Allemands entrent dans Lodz. Les Russes sont devant Cracovie.
8 décembre. - Trois croiseurs allemands sont coulés par les Anglais près des îles Falkland. - Les Serbes reprennent l'offensive et repoussent les Autrichiens.
9 décembre. - Nos aviateurs bombardent Fribourg-en-Brisgau.
14 décembre. - La gare de Commercy est bombardée par des batteries tirant d'une très grande distance. Dégâts insignifiants. - Belgrade est repris par les Serbes. - Un aviateur français incendie un train allemand en gare de Pagny-sur-Moselle.
15 décembre. - Trois croiseurs allemands bombardent Hartlepool et Scarborough. 55 morts, 155 blessés.
17 décembre. - Le protectorat anglais est proclamé en Egypte.
22 décembre. - Rentrée des Chambres.
Déclaration ministérielle. - Un avion allemand jette deux bombes sur Nancy. Pas d'accidents.
26 décembre. - Dans la nuit du 25 au 26 décembre un Zeppelin survolant Nancy lance 18 bombes, qui tuent deux civils. - Saint-Dié est violemment bombardé de 9 heures et demie à 12 heures.
27 décembre. - Un avion allemand lance 4 bombes sur Nancy à midi, et un seconds à 2 heures et demie en lance trois autres ainsi que des fléchettes. Pas d'accidents.

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