LA
RECONSTRUCTION DES VILLAGES LORRAINS
Nancy, 12 décembre.
II
Le groupe parlementaire des régions envahies,
adoptant la proposition de M. le député Marin, vient
de demander au gouvernement de faire supporter par
la Nation entière le remboursement des dégâts de la
guerre, et d'ouvrir aux sinistrés un droit à la
répartition intégrale de leurs pertes.
Il n'est point douteux que le gouvernement proposera
au Parlement la discussion du budget des voies et
moyens permettant d'appliquer le plus vite cette
mesure dans les régions débarrassées de l'Allemand.
Etant ainsi admis que ces dommages ont bien été
supportés dans l'intérêt commun, leur réparation
doit s'inspirer du même principe, et l'Etat ne
saurait intervenir seulement comme une compagnie
d'assurances dont l'unique obligation serait
d'indemniser des clients bien assurés, il doit
encore agir au mieux des intérêts généraux.
Très judicieusement, M. Marin a fait une distinction
entre le mobilier et l'immobilier des sinistrés.
L'indemnité relative aux meubles, linge, animaux,
récoltes, etc., détruits, ne peut être accordée, à
dire d'experts, qu'en espèces, dont le bénéficiaire
sera seul juge du réemploi. Mais des restrictions
s'imposent pour l'affectation des indemnités
nécessaires à la reconstruction des immeubles, car
l'Etat doit veiller à leur emploi efficace, et
exiger l'application des mesures sanitaires
indispensables pour sauvegarder la santé publique.
L'observation des règles d'hygiène ne comporte point
de demi-mesures.
Or, on ne peut oublier l'état d'insalubrité de la
plupart de nos villages, et l'impuissance des
commissions cantonales pour y porter remède, parce
qu'il eût fallu imposer trop de sacrifices à la
propriété privée.
La guerre de destruction systématique des barbares
incendiaires nous obligeant à reconstruire dans leur
intégralité nos villages, va-t-on laisser échapper
cette occasion d'appliquer ces mesures sanitaires ?
D'autre part, les subventions à accorder, juste
réparation des dommages causés, doivent surtout,
pour produire tout leur effet utile, assurer le
retour à la terre de milliers de réfugiés, et ne
point susciter chez eux la tentation d'abandonner
leur village après avoir simplement encaissé le
montant de leur indemnité, ou de n'en consacrer
qu'une insuffisante partie à la reconstitution de
leur foyer. On laisserait ainsi subsister, ou l'on
préparerait, pour l'avenir, des ruines, odieuses par
leur souvenir, dangereuses et malsaines pour les
voisins plus fidèles à la petite patrie.
D'où la nécessité de ne point laisser le soin de
reconstruire à la libre initiative des intéressés.
La plupart, en effet, ne voudront point se plier aux
exigences d'utilité publique :
alignements, élargissements de voies ou passages,
aménagement de plates-formes pour les fumiers,
caniveaux, etc. D'autres, par économie mal entendue,
conserveront des murs fissurés, pendants ou
corrompus, remettront en oeuvre des matériaux
calcinés, et se soucieront beaucoup plus des rabais
à obtenir que de l'application rationnelle des
locaux et, sans le vouloir peut-être, ils
dénatureront par avance l'harmonie d'ensemble du
village.
Après avoir songé à installer tout d'abord des abris
provisoires, permettant le rapatriement des
réfugiés, il conviendra donc de procéder dans chaque
commune à une étude spéciale, et de veiller à ce que
toute restauration partielle n'entrave point
l'aménagement d'ensemble du village et son
assainissement.
La commission chargée de cette étude aurait le souci
d'accorder la plus grande attention aux besoins et
aux désirs des intéressés. Loin de faire table rase
de tout ce qui a résisté au bombardement ou à.
l'incendie, elle songerait à utiliser tous les
éléments susceptibles d'être conservés ou réemployés
d'une façon judicieuse, pittoresque et artistique :
pierre de taille des chambranles et couvertes,
manteaux de vieilles cheminées, poutrages apparents,
etc.
Elle prescrirait l'emploi, par préférence, des
matériaux éprouvés dans chaque pays : les moellons
avec crépis en Meurthe-et-Moselle ; le grès dans les
Vosges ; les pierres appareillées et leurs
jointoiements apparents dans la Meuse.
Elle s'opposerait aux errements condamnables et
respecterait la tradition du passé.
La réalisation de ce programme implique l'unité de
direction, mais son élaboration nécessite le
concours de collaborateurs nombreux et dévoués.
MAURICE GRUHIER.
PAUL CHARBONNIER
A LA CASERNE MOLITOR
CHEZ LES RÉFUGIÉS
L'OCCUPATION DE BRIN-SUR-SEILLE
Nancy, 12 décembre.
- On n'a rien, Monsieur... plus rien ! »
Telle est la phrase lamentable qui retentit comme un
leit motiv de regret, de morne désespoir chez les
réfugiés au milieu de qui nous avons passé hier
matin quelques heures à la caserne Molitor.
- Plus rien ! »
Ces pauvres gens échoués dans les chambrées vides,
couchés sur des paillasses plates, vivaient
modestement dans leurs villages aujourd'hui évacués.
De vieilles habitudes réglaient leur vie. Ils
s'enorgueillissaient du volumineux fumier,
proclamant l'importance du bas de laine et la
rondeur d'une dot ; ils travaillaient hiver comme
été, de l'aube au soir, sans ménager leurs efforts.
Maintenant, ils souffrent d'un incurable ennui ; ils
errent dans la cour immense, âmes en peine, bras
inutiles, attendant l'heure des repas qu'ils ont
presque honte d'avoir gagné, non à la sueur de leur
front, mais par l'abandon de ce qui leur assurait
jusqu'alors le bien-être et la sécurité.
Des sabots dégringolent les escaliers sonores ; les
enfants courent et jouent, privés de l'école, d'où
les a chassés une épidémie récente d'oreillons. Un
fracas de portes qui battent sous la poussée de
cette marmaille emplit encore les bâtiments rendus à
leur animation de jadis.
Aux murs sont suspendus des tableaux où figurent les
uniformes de l'armée allemande en campagne, des
croquis ; puis, çà et là, les recommandations, les
défenses de boire l'eau « dangereuse » de Moselle.
Plusieurs centaines de réfugiés sont là.
Les noms des villages sont inscrits à l'entrée des
chambres : Champenoux, Brin, Val-et-Châtillon,
etc... Les hommes logent dans le pavillon de droite
; les femmes occupent le pavillon de gauche. Des
ménagères s'empressent au lavoir Une appétissante
odeur s'exhale des cuisines, mais il paraît que le
repas est surtout satisfaisant aux jours de visites
officielles. Toujours comme à la caserne, quoi !
- Le peu d'argent qui nous restait en poche a servi
pour la nourriture, déclare un vieux cultivateur. On
se procurait à manger dans un restaurant du
voisinage ; mais il y a des jours où le quartier
était consigné. Ça rendait la gamelle obligatoire et
c'est loin de valoir, hélas ! ce que nous avions au
pays.
En poursuivant à travers les corridors nos visites,
le hasard nous amène chez des fermiers de Brin. La
femme fabrique des fleurs en perles de Venise ; les
fillettes tricotent des gants. Salaire insignifiant.
Il faut vivre...
Tout d'une traite, un de ceux qui attendent à
Molitor l'heure du retour possible au foyer communal
raconte avec volubilité les événements dont son
village a été le théâtre et nous les notons en
quelque sorte sous sa dictée :
« Les Allemands, dit-il, se massaient depuis
quelques jours sur la rive annexée de la Seille. Ils
n'attendaient qu'une occasion de violer notre
territoire, ils convoitaient nos hameaux comme une
proie. Vers fin juillet, avant la déclaration de
guerre, une patrouille ennemie tira sur des hussards
qui se promenaient le plus tranquillement du monde.
Un cavalier fut tué.
« Les uhlans sont entrés les premiers dans Brin. Ils
ont franchi le pont de Bioncourt, précédant des
fantassins bavarois. Les soldats parlaient
difficilement et très mal notre langue. C'est même à
grand'peine que nous réussîmes à lier conversation
avec les officiers qui cherchaient auprès de nous
des renseignements.
« Dès leur installation dans la commune, ils se sont
emparés de quatre otages qu'ils ont constamment
gardés auprès d'eux. Les habitants étaient tenus de
rester dans leurs maisons, sous peine des plus
sévères sanctions.
« Pendant ce temps, les Prussiens faisaient
eux-mêmes la moisson, récoltaient nos pommes de
terre qu'ils ont expédiées en Allemagne. Pour se
distraire, ils pillaient. L'incendie suivait parfois
les vols. La propriété de M. Racadot, l'ancien
maire, fut livrée au feu une des premières. Bientôt
le haut du village ne fut plus que ruines. Seul, le
côté gauche de la rue principale fut à peu près
épargné.
« Un beau jour, j'entends quelque bruit du côté de
ma cave ; je descends. Au pied de l'escalier, un
grand diable me barre le passage et me braque sous
le nez son revolver. J'ai tout juste le temps
d'apercevoir ses camarades en train de vider mon
tonneau et de boire goulûment mes vieilles
bouteilles. Un autre pillard brandit son sabre et
décrit dans l'espace de furieux moulinets. Vous
pensez que je n'en menais pas large.
- C'est bien, leur dis-je. Continuez. Que je ne vous
dérange pas ! »
« Ils continuèrent d'ailleurs jusqu'à ce qu'il n'y
eût plus rien à emporter ni à boire.
« Les Boches avaient-ils l'intention de nous rôtir ?
C'est possible. On nous avait déjà détruit devant
nous les pauvres fermes, les humbles bicoques où
nous avions réuni au bout de tant de travaux et de
privations, les meubles, les hardes, toutes ces
choses qui crépitaient dans les gerbes d'étincelles
et qui s'évanouissaient en tourbillons de fumée.
« On nous tint enfermés dans l'église pleine de
paille pendant des heures que je n'oublierai jamais.
La paille était imbibée de pétrole. Nous avions la
crainte, la terreur de rôtir tout vifs. Quelle nuit
épouvantable nous avons passée ! Au matin, un
commandant prussien vint donner un ordre aux
sentinelles qui nous gardaient à vue ; les Prussiens
prirent aussitôt leurs sacs et, à cinq heures du
matin, ils évacuèrent Brin.
« Nous avons quitté très vite le pays. Nous avions
des parents à Bioncourt. On alla chez eux d'abord.
On jeta en passant un regard sur le désastre. La
maison d'école de garçons était brûlée ; celle des
filles restait intacte, ainsi que le presbytère et
l'église. La moitié de Brin était détruite.
« Mais on ne séjourna pas plus de deux jours à
Bioncourt. Les Français bombardaient et les Boches,
de leur côté, s'ils avaient découvert notre
retraite, auraient pu nous traiter en espions. Des
amis nous avertirent discrètement du danger, et ils
nous conseillèrent de retourner en France.
« On traversa sans trop de peine les lignes
françaises. Les jambes nous refusaient le service.
On tombait de fatigue, de faim, d'émotion. Un
colonel mit à notre disposition une voiture de
subsistances qui nous conduisit à
Laître-sous-Amance, d'où, après quatre ou cinq jours
de repos, nous avons enfin rejoint Nancy.
« Ah ! mon Dieu, qu'il faut donc passer dans ce
monde par de rudes épreuves ! »
La population de Brin, logée à Molitor, se compose
d'environ cent personnes.
Nous apprenons par elles que M. Mailly, directeur
des fours à chaux, n'a pu supporter les horreurs de
la guerre. Le chagrin a ruiné promptement sa santé.
Le malheureux est mort et sa mère l'a, peu de temps
après, suivi dans la tombe.
Pendant toute l'occupation allemande, M. Bréjard a
rempli ses fonctions de maire avec une remarquable
fermeté.
La question des indemnités préoccupe légitimement
les braves gens dont l'espoir adoucit les
souffrances et qui se demandent sur quelles bases
s'établira l'évaluation des dommages, des préjudices
qu'ils ont subis :
- Les Allemands nous ont défendu de prendre quoi que
ce soit avant de partir. Les papiers de famille, les
titres de propriété, nos livrets militaires, tout a
disparu, tout est réduit en cendres. »
Nous expliquons le rôle des commissions désignées
par le Gouvernement ; nous leur promettons la
réparation complète de ce qu'ils ont perdu. Mais ils
secouent doucement la tête avec résignation ; un
indulgent scepticisme attriste leur sourire :
- Pensez-vous que nous retrouverons ce qu'on nous a
volé, ce qu'on a détruit... On nous en remboursera
le quart, et encore ! Est-ce que nous aurons les obj
ets, les petites choses auxquelles on tenait tant ?
Je sacrifierais bien mes armoires et mon lit pour
avoir les portraits que les Boches ont jetés au feu.
Le Gouvernement, voyez-vous, ne rendra jamais ça. »
Et, cette fois, le scepticisme du sourire s'efface
sous la coulée lente, silencieuse, des larmes.
Longtemps, j'entendrai résonner l'accent douloureux
des réfugiés de la caserne Molitor, l'adieu à tout
ce qu'ils avaient de cher, le gémissement qui
répétait :
- On n'a rien, Monsieur. plus rien ! »
LUDOVIC CHAVE.
UNE BONNE JOURNÉE DE PLUS
Tandis que les Allemands doivent évacuer les rives
de l'Yser, notre artillerie leur démolit plusieurs
batteries et notre infanterie leur enlève des
tranchées.
Bordeaux, 12 décembre, 15 h. 35.
L'ennemi a achevé d'évacuer la rive ouest du canal
de l'Yser au nord de la maison du passeur. Nous
occupons cette rive.
Dans la région d'Arras, combats d'artillerie.
Dans la région de Nampcel, nos batteries ont réduit
au silence les batteries ennemies.
Dans la région de l'Aisne, notre artillerie lourde a
fait taire les batteries de campagne des Allemands ;
une de leurs batteries d'obusiers a été complètement
détruite, au nord-est de Vailly.
Dans la région de Perthes et dans celle du bois de
la Grurie, combats d'artillerie et quelques
engagements d'infanterie, qui ont tourné à notre
avantage.
Sur les Hauts-de-Meuse, l'artillerie ennemie a été
peu active. Au contraire, la nôtre a démoli, à
Deuxnouds (ouest de Vigneulles-les-Hattonchatel)
deux batteries ennemies, l'une de gros calibre,
l'autre destinée au tir contre les avions.
Dans la même région nous avons fait sauter un
blockhaus et détruit plusieurs tranchées.
Entre Meuse et Moselle, rien à signaler.
Dans les Vosges, combat d'artillerie.
Dans la région de Senones, nous avons consolidé les
positions occupées la veille.
DANS L'ARRONDISSEMENT DE TOUL
Nancy, le 12 décembre.
M. le Préfet s'est rendu hier, accompagné de M.
Mage, sous-préfet de Toul, dans un certain nombre de
communes de cet arrondissement qui se sont trouvées
récemment ou se trouvent encore dans la zone des
opérations militaires ; il à visité successivement
Ménil-la-Tour, où un dépôt de farine a été organisé
sous la surveillance du dévoué maire, M. Demange,
Ansauville et Hamonville dont plus d'une maison est
détruite et où il est resté fort peu d'habitants ; à
Bernécourt, qui est encore chaque jour l'objet d'une
vive canonnade, M. L. Mirman a été serrer la main
des quelques cultivateurs tenaces qui ne veulent pas
abandonner leur village en dépit du danger ; il a
salué ces robustes Vieillards avec un profond
respect, leur a donné de bonnes nouvelles du pays et
a fortifié leur espérance de voir bientôt la fin de
leurs épreuves.
M. le Préfet a terminé ses visites par Minorville et
Manonville, hors de danger depuis un temps notable
déjà, l'ennemi ayant été repoussé méthodiquement sur
tout le front ; il a remercié les municipalités de
leur concours ; à Minorville, M. le Préfet, après
avoir félicité M. Lucard, maire et conseiller
d'arrondissement, de son activité, s'est rendu avec
M. le Sous-Préfet de Toul et lui chez Mlle
Paturlanne, institutrice, dont le dévouement,
l'initiative et le courage ont été signalés naguère
dans une lettre très touchante par M. le vicaire
général d'Albi, aumônier des armées en campagne.
Mlle Paturlanne est une femme jeune encore, robuste,
originaire du pays basque et depuis de longues
années devenue Lorraine. Comme les Lorrains, les
Basques sont une race vaillante. En voyant Mlle
Paturlanne, son visage aux traits fermes éclairé
d'un bon sourire, ses yeux profonds, on comprend
l'action de confiance, de réconfort, qu'elle a
exercée d'abord sur ses anciennes élèves, devenues
ses collaboratrices et à qui elle a insufflé sa foi,
puis sur tous les blessés qu'elle a soignés et
soigne encore aujourd'hui, action dont M. le vicaire
général Birot a fait un si magnifique éloge.
M. le Préfet a été très fier d'embrasser cette
vaillante femme au coeur à la fois intrépide et
charitable ; il lui a renouvelé ses bien vives
félicitations, ainsi qu'à sa vieille maman, fière de
sa fille et qui l'aide de toutes ses forcés dans sa
tâche bienfaisante.
MARCHÉ DE NANCY
Nancy, 13 décembre.
Malgré le mauvais temps, le marché était
approvisionné de façon satisfaisante - en légumes.
Les prix étaient relativement peu élevés. Sous les
halles, la volaille, le beurre étaient en grande
quantité.
Voici les prix fixés par la mercuriale :
Boeuf, 1 fr. 80 à 2 fr. 30 le kilo ; veau, 2 fr. 80 à
3 fr. 20 le kilo ; mouton, 2 fr. à 2 fr. 60 le kilo
; lard frais, 2 fr. à 2 fr. 20 le kilo ; lard sec, 2
fr. 80 à 3 fr. le kilo ; grillade, 1 fr. 60 à 2 fr.
40 le kilo ; beurre, 2 fr. 60 à 4 fr. le kilo ;
oeufs, 1 fr. 60 à 2 fr. 40 la douzaine ; pommes de
terre, 9 fr. à 25 fr.
UN TÉMOIGNAGE ALLEMAND
On écrit au « Journal de Genève » :
Une accusation terrible entre toutes a été portée
contre certains détachements allemands, celle de
s'abriter parfois derrière des civils pour faire
hésiter l'adversaire et obtenir ainsi un avantage
déloyal dans le combat. Nombreux sont les
témoignages belges et français relatant des faits de
ce genre. Du côté allemand, on a répondu avec le
plus grand calme qu'il s'agissait simplement de
fuyards qui s'étaient mis entre les troupes
ennemies.
Et cependant la terrible accusation est fondée. En
voici une preuve irréfutable portant sur deux cas
semblables, survenus le même jour au même endroit
mais imputables à des officiers différents, agissant
séparément, ce qui tendrait à démontrer qu'il s'agit
d'un procédé couramment employé.
Rien ne peut excuser cette façon de faire la guerre,
car même dans le cas où des prisonniers civils
avaient eu des torts aux yeux des Allemands, ceux-ci
auraient eu tout au plus le droit de les fusiller,
mais n'auraient pas dû s'abriter lâchement derrière
eux.
Dans le n° 513 des « Münchner neueste Nachrien » du
7 octobre (« Vorabend Blatt » page 2) un officier
allemand, le premier lieutenant A. Eberlein, raconte
l'occupation de Saint-Dié, fin août. Cet officier
était entré dans la ville à la tête d'une colonne et
fut obligé de se barricader dans une maison en
attendant des renforts.
Voici la traduction absolument fidèle de ce passage
intéressant :
- Mais nous avons arrêté trois autres civils et
alors me vient une bonne idée. Ils sont installés sur
des chaises et on leur signifie d'avoir à aller
s'asseoir au milieu de la rue. Supplications d'une
part, quelques crosses de fusil d'autre part. On
devient peu à peu terriblement dur. Enfin, ils sont
assis dehors dans la rue. Combien des prières
angoissées ont-ils dites, je l'ignore, mais leurs
mains sont continuellement jointes comme dans une
crampe.
Je les plains, mais le moyen est d'une efficacité
immédiate.
Le tir dirigé des maisons sur nos flancs diminue
aussitôt, et nous pouvons maintenant occuper la
maison en face et sommes ainsi les maîtres de la rue
principale. Tout ce qui se montre encore dans la rue
est fusillé. L'artillerie elle aussi a travaillé
vigoureusement pendant ce temps et lorsque vers 7
heures du soir, la brigade s'avance à l'assaut pour
nous délivrer, je puis faire le rapport : «
Saint-Dié est vide d'ennemis ».
Comme je l'ai appris plus tard, le régiment de
réserve... qui est entré à Saint-Dié plus au nord a
fait des expériences tout à fait semblables aux
nôtres. Les quatre civils qu'ils avaient également
fait asseoir dans la rue ont été tués par les balles
françaises. Je les ai vus moi-même étendus au milieu
de la rue près de l'hôpital. »
Comment un grand journal allemand peut-il imprimer
un pareil récit sans protester et sans demander que
ces officiers passent en conseil de guerre ?
Quiconque porte dans un combat un coup déloyal
n'est-il pas disqualifié ?
Les témoins de cette guerre peuvent-ils; différer
d'opinion ?
MATÉS PARTOUT
Leurs attaques vers Ypres et dans les Vosges sont
repoussées
Paris, 13 décembre, 15 h. 16.
La journée d'hier, 12 décembre, a été
particulièrement calme.
L'activité de l'ennemi s'est manifestée surtout par
une canonnade intermittente sur différents points du
front.
Les Allemands ont tenté, toutefois, dans la région
au sud-est d'Ypres, trois violentes attaques
d'infanterie qui ont été repoussées.
Dans le Bois-le-Prêtre, nous avons fait des progrès
sérieux.
Dans les Vosges, l'ennemi a attaqué à diverses
reprises, le signal de lu Mère-Henry, au nord-ouest
de Senones, mais il a été repoussé.
NOUVELLES ATTAQUES NOUVEAUX INSUCCÈS
Paris, 14 décembre, 0 h. 13.
Le communiqué officiel du 13 décembre, 23 heures,
signale, aux deux extrémités du front, l'échec de
deux attaques allemandes, l'une prononcée au
nord-est d'Ypres, l'autre, en Alsace, dirigée contre
Aspach.
LES DERNIERS JOURS
DE
GERBÉVILLER
SUR LE PLATEAU
Septembre 1914.
Quand ce ne sera plus la guerre ni l'hiver,
Ma mère, vous viendrez où le gazon plus vert
Commande au voyageur une halte pensive.
C'est là que les bergers commencent leur détour.
Et que le laboureur, dans le sillon plus court,
Redresse plus souvent sa charrue attentive.
Au hasard du chemin un enfant rencontré
Aura compris vos yeux, et, de la main, montré
Vers le coteau des croix le long sentier qui monte.
La victoire naguère avec moi l'a gravi.
Ma mère, et c'est pourquoi votre fils aujourd'hui
Dort sous la terre libre et douce aux fronts sans
honte.
George VILLE.
Nancy, 14 décembre.
On attend le Président de la République.
Quelqu'un est venu, le matin, annoncer que M.
Poincaré visite les troupes sur la ligne de feu, que
son automobile a été aperçue la veille du côté de
Nancy, qu'il a dû passer alors la nuit à la
préfecture, qu'il emploiera son dimanche à une
tournée probable dans les villages plus ou moins
saccagés, incendiés, détruits par la sauvagerie
implacable des Barbares.
La nouvelle ne cause apparemment dans Gerbéviller
que peu d'émotion. A vrai dire, personne n'y croit.
Les sentinelles s'abritent. dans leur guérite contre
les rafales humides et froides, sans consignes
spéciales ; les officiers, en petite tenue, se
promenent dans les rues désertes ; les équipas
goûtent au cantonnement le repos dominical et, d'une
porte à l'autre, s'échangent les invitations pour
une manille au café de la Gare, miraculeusement
épargné.
- L'état-major prussien logeait ici, nous déclare la
jeune patronne du café. Les officiers ont déguerpi
si vite qu'ils n'ont pas eu le temps de brûler la
maison ; on a jeté pêle-mêle, à côté du billard,
quelques chaises, des débris du mobilier,
copieusement arrosés de pétrole. Par une chance
inouie, le feu n'a pas pris. Une ruelle nous sépare
d'immeubles entièrement dévorés par le brasier. Un
miracle, vous dis-je... »
Par contre, les vitres, les glaces, les
tableaux-réclames des distilleries ont volé en
éclats sous une grêle de balles.
Dès femmes en toilettes aux couleurs sans éclat se
tiennent sur le seuil de l'hospice, car depuis la
destruction de l'église, un prêtre de la paroisse
voisine célèbre la messe dans la chapelle de
l'hospice.
Les ouailles s'impatientent. Elles forment un groupe
où apparaît par instant la cornette de soeur Julie,
qui palpite comme une grande aile blanche. Elle
s'étonne que M. le curé soit en retard, lui
d'habitude si exact, si empressé pour ses chers
habitants de Gerbéviller.
L'envie nous pousse secrètement d'interroger soeur
Julie. Peut-être un avis de l'administration ou une
note de l'autorité militaire lui auront-ils
officiellement appris la visite du chef de l'Etat. A
quoi bon ! La curiosité des personnes qui
l'entourent d'une affectueuse gratitude nous
accablerait de questions auxquelles nous serions
incapables de répondre et nous procurerions à ces
braves gens peut-être une fausse joie.
Dix heures.
Si, comme on le présumait, M. Poincaré, pourtant,
doit se rendre à Lunéville, où il s'entretiendra
avec le sous-préfet, M. Minier, avec le maire, M.
Keller, avec les citoyens dont l'héroïsme a
vaillamment tenu tête à l'invasion, aura-t-il le
temps de venir ici ?
Nous passons la revue des ruines. Spectacle lugubre
! Le volcan a tout ravagé. Des 650 maisons, occupées
par une population de 1.600 âmes une vingtaine
seulement restent debout pour 350 à 400 personnes :
- Ils l'ont proprement arrangé, n'est-ce pas, notre
malheureux pays ? »
Une ménagère interrompt ainsi notre méditation
devant l'oeuvre abominable, devant ce crime qui tient
du prodige, tant il fut accompli avec une sorte de
fureur systématique, une hâte qui n'oublie rien, un
sadisme assouvi jusque sur les plus minces objets,
avec la folie du sacrilège, qui se rue vers les
tabernacles.
- Vous êtes restée à Gerbéviller, madame ?
- Oui. nous étions une dizaine de réfugiés dans
cette cave, tenez, à votre droite, monsieur. Les
Prussiens tiraient sur nous par le soupirail. Une
voisine eut la cuisse traversée ; une fillette reçut
aux pieds une balle qui lui brisa les deux
chevilles. On entendait au dehors le crépitement
sans fin des fusillades, les vociférations. Tout le
monde croyait bien, allez ! que notre dernière heure
avait sonné : on priait ; on se recommandait à
Dieu... »
La brave femme n'a pas voulu ensuite quitter
Gerbéviller. Sa bicoque reste intacte. Quelques
éraflures dans le plâtre de la façade, les volets
percés à plusieurs endroits, rien de sérieux en
somme :
- Par exemple, je garde des Prussiens un souvenir
utile, ajoute-t-elle en soulevant un coin de la
robe. Mon homme a rapporté un manteau où je me suis
taillé un jupon, c'est solide, monsieur, et ça tient
chaud. Autant de pris sur l'ennemi, comme on dit ! »
Elle relate les incidents de l'occupation, les
galanteries des Boches offrant aux dames, et de
préférence aux demoiselles les confiseries, les
gâteaux qu'ils avaient volés dans les pâtisseries,
le champagne, les liqueurs qu'ils avaient pillés
dans les caves :
- Vous devinez le but de ces gentillesses... Les
scélérats... Ce qu'ils ont osé faire... Leurs chefs
encourageaient les pires horreurs. On m'a raconté
qu'à Fraimbois les monstres s'étaient conduits d'une
manière plus ignoble encore, qu'ils ont odieusement
brutalisé les femmes...
Nous suivons la rue Saint-Pierre, une de celles où
s'organisa la résistance des chasseurs à pied :
- Les Alpins ? interrogeons-nous.
- Non, monsieur, nos chasseurs... Ils ont fait
merveille. A soixante-dix hommes, iis ont lutté
contre au moins deux ou trois régiments, depuis 2
heures du matin jusqu'à 5 heures du soir. C'était
dimanche 23 août. Ils se cachaient dans les maisons
et. par les fenêtres qui regardent la Mortagne, ils
canardaient les Boches. Fallait voir ! Presque tous
les coups portaient jusle. Il y en avait à peu près
une dizaine, pas davantage, pour défendre le pont..
Ah ! ce qu'ils ont démoli... Mais avec si peu de
monde on ne pouvait tenir bien longtemps. Je suppose
que nos chasseurs ont perdu sept ou huit des
leurs... Comme les Allemands ont laissé sur le
carreau un tas de cadavres et qu'ils n'apercevaient
nulle part d'uniformes, ils ont déclaré que les
civils avaient tiré sur eux et ils ont inauguré
l'occupation du village par l'incendie du faubourg
de la rive droite, entre les deux routes de
Lunéville à Rambervillers.»
C'est de ce témoin que nous tenons le récit des
atrocités si souvent racontées : soixante otages
saisis au hasard et exécutes sans jugement dans le
bois de la Presles, le lundi matin ; quarante-neuf
citoyens de tout âge, de toutes conditions, emmenés
par la route de Sérouville et qui durent leur salut
à l'intervention d'un commandant bavarois :
- Ils allaient être fusillés. Vainement notre
adjoint protestait, jurait ses grands dieux que
personne n'avait tiré et que les Allemands se
souillaient de sang innocent.
Le chef de peloton ne voulait rien entendre. Il
attendait un ordre. Le commandant bavarois accourut
à cheval ; il avait ouvert une enquête et il
reconnaissait que les chasseurs avaient seuls
défendu le pays :
- « C'est bien, dit-il... vous êtes libres. On vous
fait grâce. mais à la condition que vous aiderez mes
soldats à enterrer les morts. Et je vous prie de
croire qu'il y avait de la besogne ! Ils ont
travaillé (sic) trois jours sans boire ni manger. »
En contre-bas du faubourg Saint-Pierre, une étroite
ruelle se faufile entre les clôtures des jardins.
Partout les traces de la bataille y sont fraîches
encore : les projectiles ont percé les chambranles
faits d'une poutre et les lattes des portes à
claire-voie : une volée de mitraille a cassé les
branches qui pendent tristement, retenues par un
lambeau d'écorce. Sur l'autre berge de la Mortagne,
la brasserie dresse ses bâtiments à peu près
intacts. Un boulet a démoli en partie la corniche
d'une des cheminées de briques atteinte en outre à
mi-hauteur par un deuxième obus qui la perce d'une
lucarne ronde.
Le canon a légèrement endommagé un pignon ; le feu a
détruit le garage des camions automobiles ; on
aperçoit parmi des ferrailles un coffre-fort ouvert
par des pinces expertes de cambrioleurs :
- Comme le directeur de la brasserie s'appelle
Schmidt, indique notre interlocutrice, les Boches
ont supposé qu'il était leur compatriote. M. Schmidt
sert dans l'armée française avec les galons de
lieutenant. Seulement un des pavillons était occupé
par quelques ouvriers allemands qui ont gagné la
frontière avant la mobilisation. C'est là ce qui a
sauvé sans doute la brasserie. »
Quand ils ont quitté les caves où ils se
préservaient de nos obus, les Allemands fuyaient en
désordre :
- Je logeais un capitaine, nous dit Mme X... Il se
disposait à déjeuner : « Faitesmoi cuire seulement
deux oeufs à la coque... Vite, le temps presse... »
Une minute après il rentra affolé dans la cuisine :
« Je ne puis attendre. Les Français tombent sur
nous. J'emporterai les oeufs tels qu'ils sont. » Et,
d'un saut il fut dehors sans même boutonner son
dolman. »
Les Allemands ont occupé Gerbéviller pendant le
reste de la semaine. C'est le dimanche 30 août
qu'eut lieu ce duel dont tant de sépultures
attestent l'implacable acharnement.
Entre Gerbéviller et Moyen, l'ancienne route soulève
et laisse retomber mollement son ruban grisâtre. Des
talus, ici, la surplombent, non loin de la brasserie
Noël ; là deux pépinières de bouleaux la bordent de
chaque côté ; plus loin, à gauche, un hagis précède
les bois du Haut de la Paxe dont la lisière s'étend
parallèlement sur une distance d'environ un
kilomètre.
Vers la droite, les souples ondulations du terrain
s'arrondissent en trois croupes successives qui
descendent vers la Mortagne et sont sillonnées par
les caprices de la nouvelle route.
Le paysage annonce déjà les Vosges toutes proches. A
l'ouest, les crêtes couronnées de forêts découpent
leurs lignes sèches sur l'horizon. Une buée estompe
la vallée, adoucit les reliefs, lave d'une teinte
d'aquarelle le décor empli maintenant de clameurs et
de râles, de triomphe et d'agonies, d'un immense
tumulte d'uniformes où frémit le vol des drapeaux.
Là-bas, Gerbéviller apparaît dans la lumière dorée à
travers l'exaltation des enthousiasmes comme le but
de tant de sacrifices. Le clocher déchiquette sa
dentelle de granit rougeâtre ; la chapelle rapproche
davantage ses deux tours trapues ; la note écarlate
des toits s'est effacée. Une fumée âcre monte vers
le ciel sans nuages. Le village achève de se
consumer - et c'est pour venger l'exécrable attentat
que tant de héros gravissent le plateau fatal.
L'aspect de cette partie du champ de bataille
dispenserait presque des explications d'un guide ;
on reconstitue aisément les phases de la terrible
lutte ; on distingue l'acheminement par bonds des
masses d'infanterie qui escaladent ce plateau, les
officiers à vingt pas en avant, A mesure qu'ils
surgissent, les mitrailleuses boches moissonnent les
képis, en couvrent le sol comme d'une jonchée de
coquelicots. Derrière les rangs abattus, d'autres
débouchent, auxquels, sans répit, un tragique coup
de faulx réserve le même destin. Nos fantassins
s'écroulent la face centre terre, gardant leur
alignement dans la mort tombés sur leurs flingots
dont l'inutile baïonnette étincelle dans l'herbe.
Un radieux soleil illumine le carnage. La bataille
précipite l'un après l'autre le 30e, le 222e et le
299e de ligne, plusieurs compagnies d'infanterie
coloniale, livrées en pâture à l'insatiable fringale
des canons. Mais personne ne dépasse la suprême
limite tracée par la route, malgré l'appui de notre
artillerie qui fracasse, à cinquante mètres en
avant, les tranchées ennemies.
Le souvenir des manoeuvres d'automne en septembre
1909 hante notre esprit. Les partis se heurtèrent
dans le même cadre. On avait quitté au jour
Domèvre-sur-Vezouze et d'une traite on avait
poursuivi, traqué l'adversaire sur la Meurthe
traversée à Ménil-Flin, puis sur la Mortagne, malgré
la rage d'une incessante canonnade.
Aujourd'hui, une progression de 60 à 200 mètres en
une semaine, c'est la victoire !
Que d'officiers depuis lors disparus ! Le
divisionnaire Houdaille, le colonel Sibille, le
colonel Duchêne, d'autres encore qui groupaient une
élite autour de leur chef le général Pau.
Trois semaines après l'entrée en campagne, nous
devions faire sur ce point le cruel apprentissage de
la guerre telle qu'elle se déroule aujourd'hui en
favorisant notre activité prudente : nos charges,
notre audace impétueuse se brisaient comme les flots
sur un roc à l'assaut des terriers dont la
construction et l'aménagement ont de quoi stupéfier.
La trahison des feuillages épais, des remblais où
s'appuyaient solidement la stabilité des
mitrailleuses, guettait et frappait avec une
précision mathématique l'élan de nos troupes : la
machine à tuer imposait lâchement sa supériorité, la
honte sournoise de sa victoire sur les vaillances de
notre race.
En face de ces admirables travaux de fortifications.
je reverrai toujours la toute petite place où un
lignard, à plat ventre dans le gazon de
l'accotement, avait arrangé ses cartouches pour
tirailler à l'aise, posément, comme dans un stand.
Les cartouches sont restées ; mais où donc repose
maintenant le brave gars ? Dans un de ces tombeaux,
peut-être, qui hérissent de croix le vaste espace où
des compagnies entières garderaient un glorieux
anonymat, sans l'hommage de leurs frères d'armes,
sans les couronnes apportées là, sans les débris
d'uniformes, vestes et képis où apparaît le numéro
des régiments !
- Tandis que Gerbéviller attendait la visite
présidentielle, des soldats recherchaient le corps
d'un capitaine. Lugubre cérémonie. Un vieux essayait
de fixer ses souvenirs :
- Il me semble que nous l'avons mis au bout de la
fosse. Mais il y en avait tant... Pensez donc ! Nous
ensevelissions à part les officiers... Comment se
rappeler l'endroit exact où se confondent pour ainsi
dire leurs grades ?... »
La bataille du 30 août fut aussi farouche dans le
ravin où coule le ruisseau de Falenzey, dominé par
les bois des Rappes, du Four et du Fey, où serpente
la route de Fraimbois. Les tranchées étaient
littéralement jonchées de bidons creves, de lambeaux
d'uniformes, de boîtes vides de conserves,
d'ustensiles de campement ; les cadavres calcinés
des chevaux montrent encore deux jambes roides parmi
les cendres.
Les territoriaux ont fait en quelque sorte la
toilette de ce lieu sinistre. La pluie a rempli les
abris. De rares vestiges attestent chez les lignards
du 81e une longue opiniâtreté ; des tombes, là
encore, jalonnent la prairie. Les défenseurs de la
Mortagne tinrent bon ; ils ont empêché
définitivement le retour des barbares.
Tel est le tableau qu'évoquent les témoignages des
personnes avec qui nous lions conversation.
Un gaillard robuste, de haute taille, aux yeux
luisants de claire énergie et de franchise, s'est
joint à nous. La moustache à la gauloise, semée de
poils gris, accentue les traits profondément creusés
du visage, l'expression de la physionomie qu'animent
les codères soudain ressuscitées par nos questions :
- Ah ! je les ai vus de près ; j'ai senti pour ainsi
dire leur haleine de bêtes fauves dans le cimetière
où je m'étais blotti au milieu des orties, sous un
tas de couronnes. Si les bandits m'avaient
découvert, ils me massacraient comme un lapin. »
L'homme remplit les fonctions de maire. Il ignore la
présence en Lorraine de M. Poincaré. On ne l'a point
prévenu, contrairement à ce qui se passait lors des
premiers voyages du préfet de Meurthe-et-Moselle. Il
en éprouve une déception pleine de mélancolie :
toute sa confiance se tourne vers Maurice Barrès
dont la sympathie, la superbe éloquence, le
patriotisme, la promesse de faire au plus tôt
réparer l'église, les appels dans la presse
réchauffent son âme :
- Nous avons touché pour tout potage un secours
officiel de 500 francs. Que faire avec si peu
d'argent ? L'achat et la pose des vitres aux
fenêtres des écoles communales nous a coûté déjà 600
francs. Tout est ici hors de prix... Mais M. Barrés
s'occupe de nous. Il ne nous abandonnera point. Ah !
Monsieur, quel beau discours il a prononcé sur les
victimes de la guerre ! Nous pleurions et nous
renaissions quand même à l'espoir que tant de
malheurs seraient vite réparés... »
Les habitants sont revenus en assez grand nombre ;
mais ils ont fui de nouveau quand le désastre eut
frappé d'épouvante ces commerçants, ces petits
bourgeois, ces fermiers chassés par l'affreux
cauchemar de l'incendie, du bombardement, des
assassinats et de la dévastation.
Quelqu'un cite le cas d'une vieille parente n'ayant
pour logis qu'une espèce de « gloriette » au fond de
son jardin.
- Elle est tellement attachée à ce coin de terre où
s'est écoulée sa vie entière que, malgré la pluie,
le froid, elle refuse de s'en aller. Est-ce que les
indemnités la consoleront jamais ! Elle mourra avant
la fin de cette guerre atroce. Les plus à plaindre,
Monsieur, ne sont pas ceux qui partiront comme elle.
Dans les premiers temps, on venait nous voir ; on
vient chez nous en touristes ; on ne parle plus
guère de secours ; on oublie nos misères, sans que
nous ayons mérité cette ingratitude. »
Comme elles rendent, en effet, un son creux, quand
on y ette une pièce d'argent, les boîtes accrochées
dans les carrefours en ruines pour recevoir une
obole !
- Une image très douce resplendit à Gerbéviller
comme celle des missels. La soeur Julie met une sorte
de grâce auguste dans le désastre. L'unanime
reconnaissance du pays monte vers elle :
- C'est elle, voyez-vous, qui a sauvé l'hospice et
les maisons d'en face. Sa pieuse intervention a
arrêté les incendiaires. »
Discrètement, avec des réticences, car la nouvelle
n'est pas sûre, nous annonçons l'arrivée du
Président de la République :
- Il apportera aujourd'hui à soeur Julie la croix
qu'elle a si noblement gagnée.
- Ah ! que nous serons heureux de voir le ruban
rouge sur sa robe noire. Si l'on nous oublie un peu,
que la France au moins récompense les services
rendus par la vénérable religieuse ! Nous aurons
plus de courage pour atteindre des jours meilleurs !
»
Deux heures après, M. Poincaré payait la dette
sacrée.
ACHILLE LIEGEOIS.
LA MAITRISE DE NOTRE ARTILLERIE
Encore quelques tranchées gagnées dans l'Aisne, en
Argonne, sur les Hauts-de-Meuse et en Alsace.
Bordeaux, 14 décembre, 15 h. 55.
Rien d'important à signaler entre la mer et l'Oise.
Dans la région de l'Aisne, au nord-ouest de Soupir,
l'ennemi a bombardé violemment nos tranchées. Nous
avons riposté et bouleversé les siennes.
Il n'y a pas eu d'attaques d'infanterie ni d'une
part, ni de l'autre. Notre artillerie a détruit un
ouvrage important aux abords d'Ailles.
En Argonne, dans le bois de la Grurie, nous avons
progressé légèrement à la mine ; aucune attaque
ennemie.
Sur les Hauts-de-Meuse, canonnade violente. Les
batteries ennemies semblent avoir dû se déplacer
vers le nord.
En Woëvre, après avoir enlevé une ligne de tranchées
sur un front de 500 mètres (bois de Mortmare), nos
troupes ont repoussé deux violentes contre-attaques.
En Alsace, nos progrès ont amené notre front jusqu'à
la ligne de la cote 425, au nord de Steinbach, Pont
d'Aspach, Pont de Brininghoffen (1.500 mètres à
l'est d'Eglingen).
NOUVEAUX PROGRÈS VERS YPRES ET EN ALSACE
Ils ont bombardé la gare de Commercy
Paris, 15 décembre, 0 h. 53.
Le communiqué officiel du 14 décembre, 23 heures,
dit :
En Belgique, quelques attaques françaises nous ont
permis de progresser le long du canal d'Ypres et à
l'ouest d'Hollebecke.
Plusieurs violentes contre-attaques ont été toutes
repoussées par nos troupes.
En Alsace, une offensive de l'ennemi, au nord-ouest
de Cernay, a été repoussée.
La gare de Commercy a été bombardée, hier, par des
batteries tirant d'une très grande distance. Les
dégâts sont insignifiants.
Sur le reste du front, rien à signaler.
TRAIN ALLEMAND
incendié
EN GARE DE PAGNY-SUR-MOSELLE
Paris, 15 décembre, 1 h. 10.
BORDEAUX. - Un aviateur français a incendié un train
allemand en gare de Pagny-sur-Moselle.
LES ESSAIS A LA GARE DE LUNÉVILLE
Une machine d'essai a circulé toute la journée du
mardi 15 décembre sur les ponts rétablis en
constructions provisoires : un poids de 120 tonnes a
pu stationner sur les ponts. Les aiguillages ont été
de nouveau éprouvés. Le personnel a fait une
véritable répétition avant de livrer la gare et la
voie au public. Nous sommes donc assurés que toutes
les précautions sont prises en vue du rétablissement
de la circulation entre la gare de Lunéville et
Nancy.
Nous en félicitons la Compagnie et le personnel, qui
a eu seulement depuis quelques jours l'autorisation
de rétablir le service.
LE BOMBARDEMENT DE VARENNES
RÉCIT D'UNE HABITANTE
d'après le Bulletin Meusien
Bar-le-Duc, le 6 décembre 1914.
Si vous saviez quel désastre à Varennes et partout
quelle ruine ! Tout ce que je puis vous dire, c'est
que nous sommes bien malheureux. Vous êtes parties
le mercredi et les Prussiens sont arrivés le jeudi,
à huit heures du soir. Quelle journée déjà ! Ils ont
bombardé Varennes ce même jour, de midi à 7 heures
du soir, sans arrêt. Dans les maisons où il y avait
quelqu'un, ils venaient deux par deux, avec une
bougie à la main, demander du pain, du vin, du tabac
; ils étaient bien polis Pendant cinq ou six jours
il est passé nuit et jour des Prussiens.
Ce même jour, ils ont bombardé, le feu a détruit
votre rue jusqu'à notre maison ; ce sont eux qui
l'ont éteint à notre toiture ; le feu a pris chez
Mme Chanzy à 3 heures de l'après-midi, par un obus
incendiaire des Prussiens. Ils étaient contents de
voir le feu, ils sont arrivés en chantant, hurlant
dans les rues au son du tambour et du clairon. Ce
que c'était triste !
Votre maison a brûlé après celle de Mme Chanzy.
Jusque chez nous il ne reste rien ; ensuite ils ont
logé huit jours à Varennes. Dans les maisons où il
n'y a personne, avec une hache, couteau ou autre
outil à la main, ils brisaient les carreaux et les
portes fermées. Nous étions mortes de frayeur.
A minuit, il a fallu déménager chez nous Marteaux
sur un brancard porté par deux soldats français qui
étaient à l'ambulance. Toute la nuit, maman a
déménagé notre mobilier, on aurait cru qu'elle
allait mourir ; si vous aviez vu dans quel état
étaient tous ceux qui étaient restés dans les caves
! Ça flambait avec une telle violence qu'il n'y
avait rien à faire. Chez n'importe qui, on n'a rien
pu sauver. D'abord il valait mieux que notre rue
soit brûlée la première, au moins les Prussiens ne
se sont pas emparés et enrichis de vos belles
affaires. Ils n'ont rien emporté, tandis que partout
ailleurs ils ont mis tout à sac sans laisser un clou
à la maison et y ont mis le feu.
Les Prussiens avaient à leur dos de belles chemises
à empiècement en dentelles. Il ne restait absolument
rien dans les maisons, chez le pauvre comme chez le
riche ; ce qu'ils ne pouvaient pas emporter, ils le
brisaient pour le plaisir de faire du mal. Ils se
nourrissaient de poules, canards, pintades et de
veaux, tout cela volé, bien entendu. Ils faisaient
enterrer les bêtes mortes dans les champs de pommes
de terre ; ils ont cassé les pompes et les
concessions d'eau, mais nous n'avons pas eu à nous
en plaindre, ils étaient polis avec nous. Ils ont
dévalisé toutes les caves des maisons pillées.
Chez Mme Chanzy, ils ont trouvé un sac rempli de
pièces d'or et de valeurs au nom de Marthe Misset,
la mère de Mme Chanzy. C'est un officier qui a
trouvé cela et il a promis de le rapporter après la
guerre, moyennant récompense, mais j'en doute.
Le prince (kronprinz) a logé chez Mme Faillette tout
le temps ; la maison Larcher a été également pillée.
Tous les jours on avait de la musique sur la place
de l'Eglise, et quand les soldats rentraient le soir
de la bataille, ils chantaient. C'était triste à
mourir d'entendre cela ! Pendant que nous étions
chez nous, le père Marteaux a été blessé par un
éclat d'obus sur sa porte où il était assis ; il est
resté chez lui et a succombé quelques heures après.
Puis il n'y eut plus de Prussiens au pays ; ils
avaient été repoussés jusqu'à Apremont, Baulny et
Montfaucon, où ils sont restés depuis un mois. Ils
ont bombardé Varennes pendant trois semaines ; nous
sommes restées dix jours sous le bombardement nuit
et jour sans arrêt. Si vous saviez quel supplice,
surtout quand on ne peut bouger.
L'obus qui a tué M. Marteaux a démoli les fenêtres
et plafonds chez lui, chez Mme Georges Brandebourg,
Mlle Mauchauffé, les portes et les fenêtres de la
mairie, tandis que les soldats français me
transportaient dans la cave et nous y gardaient
jusqu'à six heures du soir.
Pour la nuit, maman et d'autres personnes se
trouvaient toujours sur le haut de Varennes dans la
salle à manger ; nous avions deux soldats du génie
afin de pouvoir me transporter si le feu prenait.
Comme les obus tombaient toujours sur le haut de
Varennes, dans la nuit on m'a descendue dans le bas
de Varennes, vers trois heures. A cinq heures, les
soldats français brancardiers me remontaient chez M.
Marteaux, parce que la maison où j'étais se trouvait
ébranlée. Enfin, je ne peux pas tout vous raconter.
M. Soumillard, dans la Grand Rue, a été blessé dans
son lit par un éclat d'obus, sa toiture défoncée et
la devanture arrachée, enfin c'est terrible. La
maison de Mme Faillette est effondrée par un obus
ainsi que celle de Mme Potron. Ceux-ci sont depuis
trois semaines dans les caves des maisons brûlées,
la leur l'étant aussi par une bombe. Depuis chez M.
Dannequin jusque chez M. Denis (ancien facteur), la
Basse-Cour, juqu'avant la maison de Mlle Mauchauffé
(là le feu a été encore arrêté par les Prussiens),
depuis chez Mme Oudet jusqu'à chez M. René Person,
il ne reste plus rien du tout. C'était d'abord
décapité par les obus, ensuite par le feu. Il n'y a
plus d'hôpital, d'église, de presbytère ; la rue de
M. Biot jusqu'à l'hôtel Lecoeur (à côté de l'hôpital)
tout est rasé complètement, la rue de Tabur et la
Grand'Rue. Depuis quinze jours, nous avons quitté
Varennes, il y a encore du nouveau. Beaucoup
d'émigrés de Varennes sont à Bar-le-Duc et aux
environs, mais le doyen et M. Evrard sont aussi à
Bar. M. le doyen qui vient me voir m'a encore bien
assuré aujourd'hui qu'il y avait eu un combat à la
baïonnette dans la Grand'Rue. Nous sommes arrivés à
Bar il y a douze jours ; comme il y avait dix jours
que nous étions sous le bombardement, nous étions
folles de terreur ; à n'importe quel prix j'ai voulu
partir. Mes enfants poussaient des cris terribles.
M. Denis est allé à Neuvilly et y a trouvé Paul, mon
beau-frère. Il est venu aussitôt me chercher au
risque de sa vie sous les obus et les balles. Nous
sommes arrivés à Aubréville, de là à Verdun et Bar,
après bien des heures dans les gares. J'étais
toujours étendue sur un brancard prêté par les
soldats, il me fallait toujours deux hommes pour me
monter et me descendre.
Nous n'étions pas coiffées, à moitié habillées. Mme
Denis était comme nous, nous sommes parties sans
rien, nous avons dû acheter une chemise à Bar. Nous
sommes installées, maman, moi, et les enfants dans
une chambre qui nous coûte un franc par jour. Maman
avec Madeleine couchent par terre, moi dans un lit
avec les trois petits. Quand je suis arrivée à Bar
on aurait dit que j'allais mourir, mais aujourd'hui
je vais beaucoup mieux. Nous avons toujours peur que
les Prussiens viennent à Bar. La municipalité de
cette ville ne veut plus d'émigrés, le maire a dit
deux fois à maman qu'il fallait partir bien loin
vers l'Italie avec les autres émigrés. C'est tout de
même malheureux, mais tant qu'il n'y aura pas de
danger à Bar nous ne partirons pas. Maman est
inconsolable de la perte de la maison et pleure tout
le temps.
Recevez, Madame, etc...
AUX PAYS OCCUPÉS
MONT-SAINT- MARTIN - LONGWY LONGLAVILLE - JARNY
REHON - BLAMONT
Le « Bulletin de Meurthe-et-Moselle » publie les
renseignements très intéressants que voici :
MONT-SAINT-MARTIN
A Mont-Saint-Martin, Longlaville, Longwy-Bas, les
violences des Allemands se sont traduites par des
incendies, mais peu d'habitants ont été molestés.
Les aciéries de Mont-Saint-Martin, les usines de la
Chiers et de Senelle, les hauts fourneaux de
Longwy-Bas sont intacts.
L'usine de Mont-Saint-Martin est fermée.
Quelques ouvriers seulement y travaillent, à des
travaux d'entretien. Les Allemands ont puisé
largement dans les stocks, notamment dans les stocks
de ronds pour ciment armé, de tôles, de combustibles
et de minerais.
La station électrique est en marche. Les Allemands
ont exigé, en effet, que Mont-Saint-Martin continue à
être éclairé à l'électricité.
A aucun moment, M. Dreux, administrateur-directeur
des aciéries de Longwy, n'a été ni otage, ni
prisonnier. Il continue à habiter son château avec
Mme Dreux, mais il n'a à sa disposition qu'un très
petit nombre de pièces, car l'état-major allemand
s'est installé dans son château.
Les Allemands ont brûlé une centaine de maisons du
plateau derrière le groupe scolaire, la cité
Mille-Briques, et quelques autres immeubles dans le
centre.
Pendant le bombardement, ils ont tiré des coups de
fusil dans les fenêtres des maisons qui se trouvent
dans le quartier du cimetière.
Une fillette de M. Schneider, l'ancien adjoint, a
été tuée d'une baille dans son lit.
Le pays est bien alimente, grâce aux provisions
qu'on amène de Luxembourg.
Trois dames ont pu quitter Mont-Saint-Martin grâce à
des passeports qu'elles ont pu obtenir dans le
Luxembourg.
Seuls les hommes ayant notoirement plus de 60 ans
pourraient risquer le voyage.
Il est interdit aux autres de quitter le pays.
Tout le personnel des aciéries, demeuré à
Mont-Saint-Martin, est en bonne santé, ainsi que
leurs familles: M. et Mme Dreux, M. et Mme Reuter,
M. et Mme Frilley, M.
Deligny, M. Maire, M. et Mme Sabas, Mme Voisin, etc.
M. Friche a été fait prisonnier à la reddition de
Longwy.
On peut parfaitement correspondre avec
Mont-Saint-Martin par la Suisse, en faisant mettre
les lettres à la poste restante, à Rodange
(Grand-Duché de Luxembourg).
On croit même que, prochainement, les lettres
pourront être adressées à MontSaint-Martin.
A Mont-Saint-Martin et dans le Grand-Duché, on est
complètement ignorant de la situation générale, et
les nouvelles que l'on reçoit sont les nouvelles
communiquées par les communiqués allemands.
Le pays est calme ; il n'y a pas eu de pillage.
Le pays est maintenant occupé par de la landsturm,
c'est-à-dire par des gens paisibles, qui ne
molestent personne.
Puisse-t-il en être de même jusqu'au bout, et la
seule crainte que l'on éprouve dans le pays, c'est
de savoir ce qui se passera lorsque les troupes
allemandes seront refoulées, et contraintes
d'évacuer la région.
M. Marc Raty est à Saulnes.
M. et Mme Emile Thomas sont en bonne santé à Gorcy,
ainsi que Mme Paul Labbé.
Une autre dame complète comme suit, à la date du 27
novembre, les renseignements publiés ci-dessus
Un certain nombre de personnes ont été mises à mort
par les Allemands à Mont-Saint-Martin.
Il y aurait 21 victimes. Les seuls noms que nous
possédions sont les suivants :
Lambert, cafetier près de la gare.
Surbac, propriétaire du café de l'Aérorplane.
Une famille de la route d'Aubange dont on n'a pu
nous citer le nom.
Un Espagnol, auquel les Allemands ont ouvert le
ventre et qu'ils ont laissé exposé, dans cet état,
pendant trois jours, dans une brouette.
Une fils du pharmacien Beckrich, tué à Longwy.
William Pug, d'Halanzy, fusillé sous les yeux de sa
mère et de sa soeur, ainsi que le beau-père de sa
soeur. Ils s'étaient offerts comme otages ; les
Allemands les ont fusillés et n'ont pas, pour cela,
épargné le village.
On nous dit qu'un certain nombre de membres de la
Société des Vétérans, et le président de cette
société, le commandant Lefèvre, avaient été
fusillés. C'est inexact.
On affirme qu'il y a seulement une cinquantaine de
maisons brûlées à Mont-Saint-Martin. On nous a cité
quelques-uns des immeubles incendiés :
La cité Mille-Briques, la ferme de Bellevue, sur le
plateau, démolie par les obus français lorsqu'elle
abritait les assaillants.
La maison de direction de la Société des Aciéries de
Longwy a été un peu détériorée par quelques obus.
L'un a détruit la véranda ; un autre est tombé dans
une chambre à coucher.
Toutes les maisons de Mont-Saint-Martin, depuis le
square situé près du groupe scolaire jusqu'à la
porte de Bourgogne ont été complètement détruites.
Il en est de même, sur la route d'Aubange des fermes
Dorion, Fournel et d'un certain nombre d'autres
maisons.
Un groupe de maisons descendant sur les nouveaux
laminoirs de la Société des Aciéries ont été
également incendiées.
M. Deligny, maire de Mont-Saint-Martin, a été pris
comme otage à plusieurs reprises. Il a beaucoup de
peine pour pouvoir donner satisfaction aux exigences
des chefs de cantonnements dans leurs demandes de
réquisitions concernant : couvertures, fourrage,
pétrole, peaux de boeufs pouvant être exportées en
Allemagne pour la confection du cuir pour
chaussures.
M. Reuter, secrétaire général des Aciéries de
Longwy, adjoint au maire de Mont-Saint-Martin, a été
mis en joue place de l'Eglise et menacé d'être
exécuté, alors qu'il se rendait à la mairie pour
organiser des distributions de pain aux habitants.
Il a été néanmoins épargné.
LONGWY
Le docteur Sypiorski. médecin en chef de
l'Hôtel-Dieu des Aciéries de Longwy, a conduit
merveilleusement son hôpital. A eu un très beau rôle
; ayant vu un entant de six mois tué d'une balle,
est allé le porter au commandant allemand et lui en
a reproché la mort, en s'offrant, poitrine
découverte, comme victime s'il en fallait une à la
fureur teutonne.
M. Friche, chef du service des HautsFourneaux de la
Société des Aciéries de Longwy, a été fait
prisonnier à la reddition de Longwy et se trouve
actuellement à Koenigsbrük (Saxe).
M. de Saintignon n'habite pas sa maison qui, étant
dans la ligne de tir, a reçu quelques obus et qui, à
l'heure actuelle, est en assez mauvais état : elle
est, du reste, occupée par les Allemands.
Les Allemands occupent également le château de M.
Emile Thomas, où ils ont installé la kommandatur de
Longwy.
L'habitation de M. Henri Thomas est aussi occupée
par les Allemands pour des bureaux. Les Allemands y
ont planté, à l'entrée, une allée de sapins, ornée
de guirlandes et de drapeaux allemands.
M. Maire, gérant de l'hôtel Saint-Martin, a été
également menacé par les Allemands qui lui ont
déclaré qu'ils le feraient sauter avec l'hôtel.
Heureusement, ces menaces ont été vaines
jusqu'alors.
Enfin, une personne qui a pu quitter Longwy le 13
novembre nous communique à son tour les
renseignements suivants :
Longwy-Haut est entièrement rasé, y compris les
portes des fortifications, les remparts, etc.
A LONGWY-BAS
Parmi les maisons détruites, on signale :
l'immeuble de la Société Nancéienne, le Parc des
Récollets, la scierie Imbert.
A la liste déjà publiée des victimes, il y a lieu
d'ajouter les noms suivants : M. Bray et M. Ponsard,
attaché à la Société des Produits réfractaires.
La vie à Longwy est maintenant à peu près normale.
Le pillage est interdit aux soldats allemands et il
est infligé une punition aux délinquants.
Il y a marché tous les jours et la population est
bien alimentée. Les cours des denrées ordinaires
sont normaux. Le sucre coûte 0 fr. 70 le kilo ; le
beurre 1 fr. 25 la livre ; les pâtes alimentaires,
les mêmes prix qu'avant la guerre.
Les Longoviciens peuvent aller et venir et même se
rendre à la gare, au passage des convois de
prisonniers, auxquels ils portent quelques douceurs.
Il y a 500 soldats à Longwy ; ils sont tous de la
landsturm.
Le maire allemand est installé à l'école de
Longwy-Bas.
Les cafés et magasins sont ouverts.
Tous les lainages ont été réquisitionnés par les
autorités allemandes.
Il est formellement interdit à la population de
parler de Verdun, de Toul et de Nancy. Toute
personne contrevenant à cette défense est punie de
10 ans de forteresse.
Après la prise de Longwy, un grand nombre de
Luxembourgeois sont venus visiter les ruines de la
ville. On se serait cru à un jour de foire de
Pâques.
Le kaiser est venu deux fois à Longwy et s'est fait
photographier sur les ruines de la ville. Il a du
reste annoncé la prise de Longwy comme s'il
s'agissait de la prise d'une place forte de
l'importance de Verdun, protégée par des forts bien
équipés.
Dans une de ses proclamations, il dit : « Nous avons
pris les forts Romain, Cosne, Gorcy, Maragole,
Piedmont, Bois-de-Chat, et fait 85.000 prisonniers.
»
LONGLAVILLE
A Longlaville, les dégâts sont moindres; quelques
maisons seulement ont souffert.
Le village de Romain est entièrement détruit.
M. Frilley a eu, comme maire de Longlaville, une
alerte.
On avait brûlé un convoi de fourrage appartenant aux
Allemands, et ceux-ci ont imposé à la commune de
Longlaville une contribution de guerre de 40.000
francs, indépendante d'une autre contribution,
beaucoup plus importante, dont les usines du Bassin
auraient été frappées dès le début de l'occupation.
M. Frilley a pu réunir la somme et éviter d'être
fusillé comme on l'en avait menacé.
JARNY
Quelques renseignements tirés d'une lettre d'un
habitant de Jarny :
« Le feu a été mis chez M. Bérard, jusqu'aux
Magasins Réunis, tout fut brûlé, sauf la boucherie
Bilote et la maison Bèche ; de l'église à la place,
tout a été brûlé, la boulangerie Genot, le
cordonnier, le café du Commerce, tout est brûlé.
« Ont été tués : M. le maire Genot, le curé, M.
Collignon, rentier ; M. Pérignon, charron, sa femme,
son fils et sa fille, qui a le bras droit coupé.
D'autres encore, plus une vingtaine d'Italiens. »
REHON
A l'occasion de la fête de la Toussaint, une
cérémonie a eu lieu à Rehon.
Un lieutenant-colonel allemand a prononcé un
discours dans lequel il adresse un souvenir ému aux
soldats qui ont succombé : « A vous, héros français,
morts pour votre Patrie ; à vous, héros
allemands.... »
Les Longoviciens ont déposé sur les tombes des
soldats français des bouquets tricolores.
BLAMONT
Une personne revenue de Blâmont depuis Le 1er
décembre, affirme que cette ville fut brûlée en
partie et entièrement pillée, même au milieu de la
nuit. La chocolaterie Burrus est détruite ; les
uhlans ont fusillé une jeune fille de 17 ans, Mlle
Marguerite Cuny ; un vieillard de 70 ans, M.
Barthélémy ; M. Fouel, qui tenait le café du
Commerce.
Des patrouilles allemandes ont été signalées aux
environs de la ville avant la déclaration de guerre.
NOS AVANTAGES
partout consolidés
Bordeaux, 15 décembre, 15 h. 50.
De la mer à la Lys, les Anglais ont enlevé un petit
bois à l'ouest de Wytschaete.
Le terrain gagné hier par nos troupes le long du
canal d'Ypres et à l'ouest d'Hollebecke a été
conservé, malgré une contre attaque vigoureuse de
l'ennemi.
De la frontière belge à la Somme, rien à signaler.
De la Somme à l'Argonne, canonnade intermittente et
peu intense, sauf dans la région de Crouy.
En Argonne, nous avons fait quelques progrès et
consolidé notre avance des jours précédents.
Dans les Vosges, la gare de Saint-Léonard (sud de
Saint-Dié) a été violemment bombardée à grande
distance par les Allemands.
En Alsace, grande activité de l'artillerie ennemie.
Sauf à Steinbach, où une attaque d'infanterie
allemande, partie d'Uffholtz, a pu prendre pied,
nous avons partout maintenu nos progrès antérieurs.
OFFENSIVE HEUREUSE EN BELGIQUE
Communiqué officiel du 15 décembre, 23 heures :
En Belgique, les troupes franco-belges ont débouché
de Nieuport et occupé la ligne lisière, à l'ouest de
Lombaertzyde, et la ferme Saint-Georges.
Au sud d'Ypres, nous avons attaqué, dans la
direction de Klainzilldeke et nous avons gagné 500
mètres.
En Alsace, nous continuons à tenir les hauteurs de
Steinbach.
Sur le reste du front, rien à signaler.
LE SIGNAL DE LA MÈRE-HENRY
Le communiqué officiel du 13 décembre nous a dit que
quelques attaques de l'ennemi dirigées contre le
signal de la Mère-Henry, au nord-ouest de Senones,
ont été repoussées. Ce signal est un sommet boisé
qui fait partie d'une crête montagneuse courant du
nord-est au sud-ouest et formant le versant droit de
la vallée du Rabodeau affluent de la Meurthe qui
passe à Senones. C'est un point qui, par de fortes
pentes et des escarpements, domine Senones de 300
mètres, à courte distance.
La crête est étroite, et du côté opposé elle
commande le vallon des Ravines, où coule également
un ruisseau. Il est probable que le signal en
question nous est acquis depuis le combat dont nous
avons connu le résultat il y a quelques jours.
LA DESTRUCTION DE ROUVRES
Ses habitants sont massacrés
M. Emile Julien, instituteur à Rouvres (Meuse),
réfugié à Bossey (Haute-Savoie), vient de publier le
rapport qui lui avait été demandé sur l'agonie de la
commune où il enseignait. Nous lui cédons la parole,
et résumons les pages les plus palpitantes de son
travail.
Rappelons toutefois, en commençant, que Rouvres
était un joli village meusien comptant 493
habitants, répartis en 141 ménages, situé au nord
d'Etain, sur la route de Verdun à Briey, à
vingt-cinq kilomètres de Metz :
Des coups de feu tirés des bois voisins par quelques
chasseurs français ayant tué plusieurs uhlans, le
colonel allemand qui occupait le village donna
l'ordre d'incendier, après avoir pillé, et de
massacrer les habitants. Des grenades furent
aussitôt lancées sur les extrémités du village qui
prirent feu.
LE PILLAGE
Guidés par des bergers naguère employés au village,
quelques uhlans fouillent tout et se ruent sur les
maisons des familles les plus aisées. Vingt
automobiles, aménagées spécialement dans ce but,
recueillent les objets pillés, argenterie, objets
d'art, lingerie, victuailles, vins fins et
eau-de-vie. Au presbytère, laissé vide par le curé,
parti pour remplir son devoir militaire, après avoir
profané les vases sacrés, ils remplissent le calice
de viande de porc.
Les automobiles chargées filent ensuite à toute
vitesse sur Metz.
L'INCENDIE
Après le pillage, une grêle de grenades et d'obus
est lancée sur le village, incendiant les maisons,
dont des toits volent en éclats. Les premières
maisons de chaque rue sont brûlées à l'aide de
torches que les soldats lancent dans les granges et
les fenils. Voyant que le désastre ne se propage pas
assez vite, les soldats, munis de bidons de pétrole,
en arrosent les récoltes dans les granges et y
mettent le feu. Deux heures plus tard, le village
n'est plus qu'un monceau de ruines fumantes.
HORRIBLE CARNAGE
Tandis que le feu dévore les récoltes, les uhlans
pénètrent dans les habitations et en font sortir les
personnes à coups de crosse de fusil. Ceux qui
résistent sont abattus à coups de revolver ; ceux
qui sortent, femmes, enfants et vieillards, sont
accueillis dans la rue par la fusillade.
Cinquante-sept personnes du village, sans compter
trente étrangers de la commune d'Affléville
(Meurthe-et-Moselle), incendiée quatre jours
auparavant et qui avaient cherché un refuge à
Rouvres, trouvent la mort dans ce massacre ;
quarante autres ont disparu. Devant la maison de M
Leloup, située à l'extrémité d'une rue, quatorze
cadavres étaient rangés près de la grille. L'une des
victimes, M. Nicolas Périe, adjoint, eut la tête
tranchée d'un coup de sabre, la tête roula sur la
route, le corps fut jeté dans un jardin. Les
cadavres jonchaient le sol Nombreux encore sont ceux
qui périrent dans les champs en se sauvant.
Mme M.-A. Mangeot, 79 ans, fut la première victime.
Une balle tirée du dehors la tua près de son foyer.
Son mari, V. Mangeot, la prit dans ses bras et la
porta dans la cave ; il resta près d'elle environ
une heure. Forcé de s'enfuir pour ne pas rester
enseveli sous les décombres de sa maison en feu, il
courut, à travers la fusillade, se réfugier dans la
cave voûtée d'un voisin. Un tas de bois qui brûlait
et menaçait d'obstruer la sortie l'obligea à quitter
cette nouvelle retraite. Dans la rue, il trouva une
vieille infirme, Mme M. Petitier, abandonnée sur sa
chaise. Aidé de deux autres vieillards, MM. A.
Giland et Th. Simon, il la transporta, au prix de
mille difficultés, au village de Lanhères, distant
de deux kilomètres. Ce trajet pénible et émouvant
dura plus de deux heures.
Mme Brouet-Morin vit tomber près d'elle son père âgé
de 62 ans ; sa fille Alice, âgée de 17 ans, et son
fils René, 14 ans. Sa dernière fille, Colombe, 12
ans, eut le bras fracassé par une balle. Quant à
elle, elle reçut deux balles dans ses habits.
Mme Bertin-Nicot s'enfuyait avec son mari et ses
trois enfants, âgés de quatre, trois et un ans. Elle
donnait île bras à son mari. Un Allemand la saisit,
la dégagea de vive force et la jeta à terre. Puis il
tira un coup de revolver sur M. Bertin, qui tomba.
Celui-ci voulut se relever, une deuxième balle
l'abattit de nouveau ; une seconde tentative qu'il
fit pour se relever lui valut une troisième balle
qui l'étendit raide mort. La pauvre femme resta plus
d'une heure à genoux, auprès du cadavre de son mari.
M. A. Bourgaux, 60 ans, épicier, s'enfuyait, tenant
par la main ses deux petits-enfants, Léonce et
André, âgés de six et quatre ans, quand une balle
l'abattit dans la rue. Les deux pauvres petits,
affolés, rôdèrent longtemps autour de la maison
embrasée et finirent par se coucher près du cadavre
de leur grand-père. C'est dans cette navrante
position que nos soldats les retrouvèrent
vingt-quatre heures après.
Leur mère, partie s'approvisionner à Etain, dut à
cette heureuse circonstance d'échapper à la mort. La
petite Léontine, 10 ans, soeur aînée de Léonce et
d'André, sortait du magasin de sa grand'mère, quand
elle reçut une balle qui l'atteignit au nez et tua
près d'elle une fillette de douze ans, originaire
d'Affléville.
M. Bouché, infirme, père de sept enfants en bas âge,
fut massacré sur le seuil de sa porte.
M. A. Gérard, paralytique, fut brûlé vif dans son
lit, sa femme n'ayant pu l'emporter.
M. Simon Touchot, père de trois garçons, dont deux
sont soldats, eut le ventre horriblement ouvert d'un
coup de lance. Sa femme eut la cuisse traversée d'un
coup de lance. Leur dernier fils, 18 ans, a disparu.
Pendant l'incendie, douze ou quinze femmes et jeunes
filles furent saisies par les uhlans et emmenées
dans un parc au milieu des bois, sur la route de
Briey. On n'a jamais su ce qu'elles étaient
devenues.
Parmi ce malheureux groupe se trouvaient la femme et
la fille de l'instituteur.
Ce dernier échappa, comme par miracle, à dix coups
de feu tirés sur lui. Arrêté et sur le point d'être
fusillé, il fut sauvé par un soldat qui intercéda
pour lui. Mais il dut faire trois kilomètres à pied,
sous les coups de crosse et de poing, jusqu'à
l'ambulance allemande, où il fut contraint de
soigner les blessés, M. Wuillaume, maire, sur le
point d'être fusillé, fut sauvé par un colonel qui
avait bu du Champagne chez lui, et qui cependant eut
le cynisme de lui dire : « Je vous donne la vie pour
que vous puissiez avoir toujours l'horreur du crime
qu'on vient de commettre. Vous êtes seul
responsable. »
ORGIE
Deux maisons, à dessein préservées de l'incendie,
celles de MM. E. Léonard et C. Robinet, furent
ensuite le théâtre d'une orgie de pourceaux. Tout le
bétail, moutons et porcs, abattu à coups de fusil,
plusieurs tonneaux de vin et des centaines de litres
d'eau-de-vie, abreuvèrent et remplirent ces brutes.
L'orgie terminée, au matin, ces deux maisons furent
incendiées. Le reste des viandes et du liquide fut
expédié à Metz.
LE CHATIMENT
Réfugié à Buzy, au milieu de l'armée française, avec
d'autres malheureux habitants de Rouvres,
l'instituteur reconnut, parmi des prisonniers
allemands, le colonel qui avait ordonné le pillage,
l'incendie et le massacre. C'était un homme de haute
stature, aux traits caractéristiques bien marqués, à
l'air féroce et au regard méchant. Il le signala au
colonel français, qui en prit bonne note et promit
de le traduire en conseil de guerre. Ce soudard a dû
recevoir sans tarder la juste récompense de ses
exploits.
Et maintenant les ruines accumulées le long des rues
donnent à ce village l'aspect d'un vaste cimetière.
L'église, encore debout et intacte, ressemble, dans
cette solitude, à un mausolée érigé en souvenir d'un
désastre national. Le clocher, qui domine la plaine,
verra des maisons se reconstruire et se grouper à
son ombre protectrice.
Rouvres renaîtra de ses cendres C'est le désir des
survivants et le voeu qu'espèrent voir réaliser tous
ceux qui comptaient des amis dans ce charmant
village, tous les Meusiens et tous les Français.
La paix qui vient, la victoire qui accourt opéreront
des résurrections, à Rouvres comme dans tous les
villages de l'Est et du Nord.
VERDUN PLUS FORT QUE JAMAIS
Londres, 15 décembre.
L'envoyé spécial du « Times » à Verdun dit que la
défense de Verdun a été pour l'Allemagne l'un des
plus grands désappointements. Car à l'heure
actuelle, cette place est plus forte qu'elle n'a
jamais été, d'autant que l'armée qui combat devant
elle est intacte, aguerrie, entraînée et
enthousiasmée par la cruelle expérience que
l'Allemagne a faite depuis ces quatre mois de
campagne.
Son artillerie, qui peut avantageusement subir la
comparaison avec toutes celles du monde, n'a rien à
craindre des plus grosses pièces ennemies.
En dépit de ses efforts réitérés, l'armée du
kronprinz n'a jamais pu en approcher plus près que
la ligne Montfaucon, Forges, Ornes, Etain,
Fresnes-en-Woëvre, Combres et un point sur la Meuse
un peu au nord de Saint-Mihiel, soit à moins de 15
kilomètres du centre de la forteresse.
Les chances de l'ennemi de s'en venir plus près de
Verdun ne font que diminuer.
A LA GARE
A partir du 16 décembre 1914 les trains
Nancy-Frouard et retour auront leur parcours
prolongé jusqu'à Liverdun et suivront les horaires
ci-après :
Nancy, départ. 5 h. 54 18 h. 54
Liverdun, arrivée. 6 h. 27 18 h. 47
Liverdun, départ. 6 h. 32 18 h. 52
Nancy, arrivée. 7 h. 08 19 :1. 28
NOTRE PROGRESSION
continue
DEPUIS LA BELGIQUE JUSQU'A L'ALSACE
Bordeaux, 16 décembre, 15 h 45.
En Belgique, Westende (nord-est de Lombaertzyde) a
été violemment bombardé par l'escadre anglaise.
L'armée belge a repoussé une contre-attaque sur
Saint-Georges, et occupé les fermes de la rive
gauche de l'Yser.
Nos troupes, qui avaient déjà gagné du terrain vers
Kleinzillébêhe, ont aussi progressé, mais moins
sensiblement, dans la région de Saint-Eloi.
Dans la région d'Arras, dans celle de l'Aisne et en
Champagne, combats d'artillerie où nous avons, sur
divers points, pris nettement l'avantage.
En Argonne, rien à signaler.
En Woëvre, nous avons repoussé toutes les attaques
allemandes dans le bois de Mortmare et conservé
toutes les tranchées enlevées par nous le 13
décembre.
En Alsace, nous avons repoussé une attaque à l'ouest
de Cernay.
Paris, 17 décembre, 10 h. 05.
Communiqué officiel du 16 décembre, 23 heures :
Légère progression jusqu'à la mer, au nord-est de
Nieuport, au sud-est d'Ypres, le long de la voie
ferrée, dans la direction de la Bassée.
Aucun incident notable sur le reste du front.
LES SPORTIFS LORRAINS
Ceux qui font la campagne
Une information parue dans nos colonnes a eu pour
résultat une volumineuse correspondance de tous les
sportifs qui s'empressent d'envoyer à « l'Est
Républicain » un souvenir ou un souhait amical.
Nos sportifs en campagne sont tous remplis
d'enthousiasme et d'entrain, depuis le vétéran
jusqu'au comingman, soit qu'il ait en main le volant
d'une 60 HP, soit qu'il monte une marque obscure ou
célèbre de cycle, soit qu'il se soit illustré dans
le rugby, soit que les épreuves pédestres l'aient
jadis couronné de lauriers.
M. Eugène Beaudouin, chef délégué sportif de l'U.V
F., complète nos renseignements personnels.
Les sociétés nous ont fait, d'autre part, tenir la
liste de leurs membres actuellement sous les
drapeaux.
C'est ainsi que nous sommes en mesure d'annoncer à
leurs amis que la plupart de nos sportifs ont été
généralement épargnés par les Boches. Un seul,
Charles Belliéni, motocycliste, a été ravi en pleine
jeunesse à l'affection des siens, au lendemain de
Morhange.
Stoquert a été blessé dans la Somme, ainsi que
Georges Beaudouin ; le premier est en traitement
dans un hôpital normand ; le second est retourné à
sa batterie, sur le front.
Le cycliste Grandgeorges a été blessé devant
Morhange.
Lucien Barthélémy, de la J.C.N. a été atteint à la
poitrine par un éclat d'obus.
Comme il sautait en selle pour traverser ensuite le
champ de bataille, un obus, cette fois, brisa la
roue avant de sa bicyclette :
- Jamais de ma vie, raconte Barthélémy, je n'ai fait
sur ma machine un aussi beau soleil ! »
Pertusot et Serrière sont cyclistes d'une division,
où sert lui-même M. Maigret, en qualité de
motocycliste, et M. Bechmann, directeur de la
succursale Chenard-Walcker, comme automobiliste.
Excellentes nouvelles d'Ernest Peugeot sympathique
automobiliste, qui a vu souvent de près le feu des
Boches, en Argonne.
A l'autre division du même corps d'armée, figure Paul Voisset, de Toul, motocycliste. A l'état-major
d'un corps d'armée, nous notons la présence des
motocyclistes Alphonse Ferry et Georges Henry, des
automobilistes Louis Bertrand, sergent, et Abel
Beugnot, du sergent-secrétaire Knecht.
Les régiments de la garnison de Nancy comptent dans
leurs effectifs Longa, cycliste du colonel, Victor
Ferry et Hanrion, Laprévotte, maréchal-des-logis de
liaison avec le colonel ; Cuny, cycliste des trains
régimentaires : Ernest Roussel, Charles Kippert,
Krempf, tous trois cyclistes d'escorte à la armée.
Noirtin et Vincent ont les galons d'adjudants
d'artillerie : Chairygnes, le redoutable champion de
rugby est dans la même arme, comme Fernand Jacquiau
et Leloup, de la J. C. N., et comme Gastiger, de
Levallois.
Les frères Simon, Eugène et Paul, sont dans la ligne
; Lhermitte, Robert Beyler, Louis Thiverny,
également. Le sergent Viriot est un excellent «
vitrier » ; Pierre Weiss a le grade de lieutenant
aux chasseurs à cheval.
André Renaud, complètement rétabli, a repris le
volant d'une foudroyante torpedo ; les chauffeurs de
Peugeot justifient la confiance des officiers qu'ils
pilotent et, quoique privés de leurs nouvelles, nous
avons lieu de penser que Chèvre, Perron, Coffre et
leurs camarades sont toujours en aussi bonne santé
qu'aux débuts de la campagne.
La J.C.N. est encore représentée par son trésorier.
Charles Heywang et Georges Muel, parmi les vaillants
qu'iront rejoindre incessamment leurs camarades
Esohbach et Lacroix, réunis par le dernier appel des
classes à Albert Renaud et Georges Caquant.
René Altmeyer, rédacteur à la « Lorraine Sportive »,
s'est engagé volontaire dans le génie ; un autre
confrère, Bardin, rédacteur à « Nancy-Sport »,
arbore modestement le képi de garde civique dans nos
rues M. Charmoille, directeur de l'Institut
d'éducation physique, est automobiliste en
Champagne.
Tels sont les « tuyaux » que nous avons pu obtenir
sur nos sportifs mobilisés ; un seul d'entre eux, le
sergent Schurrer, est disparu, sans qu'on sache
encore s'il a été fait prisonnier et dirigé sur
l'Allemagne.
Nous souhaitons sincèrement à ces braves qui ont si
heureusement défendu leur chance - comme ils disent
- de revenir sains et saufs pour les épreuves en vue
lesquelles la guerre aura si parfaitement entraîné
nos athlètes lorrains.
LES OTAGES
GENÈVE. - Passage d'internés. - Samedi soir, à 9
heures 15, sont arrivés une quarantaine de Français,
parmi lesquels se trouvait le comte de Guichen, qui
avait été amené comme otage à Saverne, et y fut
interné jusqu'à ces jours derniers.
LES OTAGES D'ARRACOURT
Mme Adry, réfugiée à Lons-le-Saunier (Jura), rue des
Roohettes, nous donne le nom des otages emmenés
d'Arracourt. Les voici :
MM. Pernet, conseiller d'arrondissement; Adry, juge
de paix ; Gauçon, greffier ; Pastel, horloger : Eve,
rentier ; Lacour, curé ; Jespirier, instituteur ;
Simonin, aubergiste ; Jacquot, boulanger ; S.
Simonin, Gougelin, Louis, cultivateurs ; Becker.
Ces otages ont été emmenés depuis le 11 septembre,
et sont actuellement au fort von der Tann, à
Ingolstadt (Bavière).
Mme Adry reçoit quelques cartes de son mari, mais
lui n'a pas encore reçu une seule lettre de France.
NOUVEAUX PROGRÈS
en Belgique et dans le Nord
ACCALMIE PARTOUT AILLEURS
Bordeaux, 17 décembre, 15 h. 15.
De la mer à la Lys, nous avons enlevé plusieurs
tranchées à la baïonnette.
Nous avons consolidé nos positions à Lombaertzyde et
Saint-Georges et organisé le terrain conquis à
l'ouest de Gheluvelt.
Nous avons progressé sur quelques points dans la
région de Vermelles.
Pas d'action d'infanterie sur le reste du front,
mais tir très efficace de notre artillerie lourde.
Aux environs de Tracy-le-Val, sur l'Aisne et en
Champagne, ainsi que dans l'Argonne et dans la
région de Verdun, en Lorraine et en Alsace, rien à
signaler.
Paris, 18 décembre, 0 h. 55.
Communiqué officiel du 17 décembre, 23 heures :
En Belgique, nos troupes ont gagné du terrain au
nord de la route d'Ypres à Menin, ainsi qu'au sud et
au sud-est de Bixschoote. Nous avons débouché au
nord-est d'Arras et nous sommes arrivés aux
premières maisons de Saint-Laurent-Blanzy.
Sensibles progrès à Ovillers-LaboisselleMametz et
Maricourt, dans la région de Bapaume-Péronne.
De la Somme aux Vosges, rien à signaler..
NOS RAIDS SUR FRIBOURG-EN-BRISGAU
Paris, 18 décembre, 1 heure.
BELFORT. - Le 4 décembre, les aviateurs de Belfort
ont lancé six bombes efficaces sur
Fribourg-en-Brisgau.
Les aviateurs avaient fait une grande boucle sur la
Forêt-Noire pour gagner Fribourg, afin de dépister
les Allemands.
Le 9 décembre, l'escadrille, malgré une canonnade
furieuse, lança quatorze bombes, qui furent
efficaces et causèrent d'énormes dégâts.
Dans ce raid, le chef de l'escadrille reçut un éclat
d'obus dans l'aile. Plusieurs balles frôlèrent le
réservoir et brisèrent les tendeurs.
Cependant, l'appareil resta stable et, après une
dernière canonnade, près d'Altkirch, les avions
rentrèrent à Belfort, sans autre incident.
NOS MORTS GLORIEUSES
M. NOEL
Nancy, 18 décembre.
C'est avec le plus grand regret que nous apprenons
la mort de M. Noël, directeur des Usines de
Marchéville-Daguin, décédé à l'hôpital militaire de
Nancy, à la suite de ses blessures.
Le défunt était le fils de l'ancien directeur du
service des eaux de la ville de Nancy. Il fut un des
premiers élèves de l'Institut chimique, où il acquit
de grandes connaissances.
Il entrait bientôt aux soudières de la Madeleine où,
grâce à son travail, son activité incessante et ses
grandes qualités d'administrateur, il fut nommé
directeur des établissements Daguin et Cie, qui
comprennent les Soudières et les Salines de
Varangéville.
Appelé par la mobilisation, il se rendit à son poste
avec le modeste grade de caporal et sut se faire
aimer de tous.
L'autorité militaire fit appel à sa science de
chimiste pour connaître la composition d'un explosif
contenu dans un obus ennemi. Hélas ! malgré toute la
prudence avec laquelle il manipulait le terrible
engin, celui-ci fit explosion, le blessant
cruellement.
M. Noël fut transporté à l'hôpital militaire, où
bientôt la médaille militaire lui était décernée
pour son dévouement. Malgré la science des docteurs
et le dévouement de son épouse, le blessé
succombait.
Nous adressons à sa veuve et à toute la famille
l'expression de notre douloureuse sympathie.
UN
HÉROS DE SEIZE ANS
D'une correspondance adressée à sa famille par un de
nos concitoyens, soldat dans un régiment de l'Est,
nous détachons ce passage qui relate un épisode
émouvant et inédit de la guerre en Lorraine :
« Je suis encore sous le coup de l'émotion que vient
de nous causer, à mes camarades et à moi,
l'apparition au milieu de notre bivouac d'un gamin
de seize ans, tout frêle encore, mais qui est animé
d'une extraordinaire énergie, ainsi que l'a prouvé
le touchant récit que voici :
« Je suis né, m'a-t-il dit - sur mes questions - à
Spincourt, au-dessus d'Etain. J'ai 16 ans depuis le
15 juillet. Je m'appelle Robert Lorette ; j'étais
garçon boucher à Etain, chez M. Beuvrier. Lorsque la
guerre fut déclarée, mon patron ferma sa boutique et
je suis retourné chez mes parents. Trois jours
après, les Boches s'emparaient d'Etain et marchaient
sur Spincourt, mais ils se heurtèrent aux ...e et ...
d'infanterie qui les repoussèrent.
« Ah ! si vous aviez vu ça ! Les Boches s'avançaient
en levant la crosse jusqu'aux tranchées du ...e,
comme pour se rendre, et, lorsqu'ils arrivaient à
cent mètres, les nôtres sortirent pour les faire
prisonniers. Hélas ! leurs rangs s'ouvrirent et
leurs mitrailleuses, dissimulées derrière les
premiers rangs, se mirent à cracher, fauchant les
nôtres.
« C'est là que j'ai vu le drapeau pris par les
Boches, mais pas pour longtemps ! Cinquante Français
- pas davantage ! de ceux qui n'étaient pas blessés,
s'élancèrent à la baïonnette et reprirent leur
drapeau ; mais, devant le nombre toujours croissant
des ennemis, ils durent se replier.
« Comme j'aurais voulu être avec eux ! Mon père ne
voulut pas les suivre ; il eut tort. Une pluie
d'obus arrivant sur le village mit le feu à la
plupart des fermes et ma petite soeur fut tuée par un
éclat. Mon père et ma mère étaient affolés et les
Prussiens arrivaient toujours. Lorqu'ils entrèrent
dans le pays, j'étais caché dans une écurie ayant
une porte sur les jardins.
« C'est là que je vis fusiller mon père et ma mère.
Alors, je me suis sauvé en jurant de les venger.
« C'est fait, allez, depuis longtemps ! J'ai rejoint
les soldats et je leur ai dit tout ce que j'avais
vu. Ils m'adoptèrent avec eux, m'ayant habillé avec
des effets de rechange et m'ayant donné un fusil
chargé, pris à un blessé. Le soir, nous rentrions en
vainqueurs à Spincourt. Tout était brûlé. Depuis je
sais charger mon fusil tout seul et je suis sûr
d'avoir tué plus d'un Boche ! »
En terminant ce récit le soldat s'adressant à son
fils, qui a justement l'âge de notre jeune héros
lorrain, ajoute :
« Comme tu vois, nombre de ces enfants, aujourd'hui
sans biens et sans famille, errent à la suite des
combattants avec la haine au coeur.
« Tu dois l'avoir aussi, toi cette haine du Germain,
de ce barbare qui ne respecte même pas les femmes et
les enfants. »
EN TIRAILLEUR
En Haute-Alsace - Le bon vin de France - Une carte
postale émouvante
Nous recevons de temps en temps des nouvelles des «
nôtres », combattant sur différentes parties du
vaste front qui, peu à peu, repousse l'envahisseur
du sol français et qui reconquiert, pied à pied,
notre chère Alsace. Publions, avec la prudence qui
convient, les « notes » que nous recevons de
quelques concitoyens.
L'un d'eux tient, depuis le mois de septembre,
garnison à Dannemarie, la jolie petite ville
d'Alsace, d'où, en montant en haut du clocher de
l'église, on peut apercevoir Mulhouse...
- Je suis ici, nous écrit-il, depuis bientôt trois
mois : c'est vous dire que je connais maintenant
tout le monde, depuis les éclusiers du canal
jusqu'au brave curé du patelin. Au début, les
habitants étaient très hésitants. Songez donc :
c'était la troisième fois qu'on y venait, et ils
craignaient de nous voir repartir encore et de
renouer connaissance avec les Boches. Mais
maintenant, c'est bien changé. Ils nous savent ici
pour toujours. Toute méfiance, toute crainte a
disparu. Si vous savïez l'impression de calme et de
sécurité qui règne. Aussi nos soldats sont gâtés ;
autant du moins que cela est possible à une
population qui manquait de bien des choses, mais
qui, grâce à nous, commence à revivre la vie
normale. Réorganisation des transports,
ravitaillement de la population, travail pour les
malheureux, réouverture des écoles, nous avons tout
organisé. Mais une des choses qui a fait le plus
pour nous, c'est le vin. Notre bon vin rouge du
Midi, si vous saviez l'effet qu'il fait. La
population se paye avec délices des litres à huit
sous. Et les lettres que les gens du pays reçoivent
!... Car il faut vous dire qu'on a évacué d'ici, sur
le Midi et sur l'Algérie, tous les suspects et tous
les hommes qui étaient encore soumis à la loi
militaire allemande. Tous écrivent qu'ils sont dans
un pays merveilleux. L'autre jour, une femme,
recevant une lettre de son mari, qui est en Algérie,
s'est mise à pleurer parce qu'il lui racontait que,
là-bas, il payait le vin trois sous le litre. « Il
ne reviendra jamais, larmoyait-elle, je le connais.
Jamais il ne voudra quitter un tel pays ! » Et c'est
vrai : il y en a beaucoup qui resteront. Hier, nous
avons eu un déserteur allemand pas banal.
Figurez-vous que ce type ressemble comme deux
gouttes d'eau à Napoléon III. Aussi ses supérieurs
passaient leur temps à lui reprocher son air
français : on le brimait. A tel point qu'il a fichu
le camp en disant à ses camarades : « Eh bien !
puisque j'ai l'air français et que ça vous embête,
je vais rejoindre ceux à qui je ressemble !. » Mais
assez bavardé ! Je vous envoie, pour la salle de
dépêches de l'Est un souvenir du pays...
Ce souvenir est charmant. C'est une carte postale
illustrée. Elle représente la place de Dannemarie.
Aux fenêtres des maisons flotte le drapeau
tricolore. Devant la fontaine, un soldat français,
beau gars, l'air martial, tient par la main deux
délicieuses fillettes, en costume alsacien, avec le
joli tablier brodé, le corselet de velours et le
grand noeud de faille abritant les longues boucles
blondes. Le cliché a été pris par un de nos
officiers et la carte postale a eu immédiatement un
succès fou dans le pays.
Le fait est qu'on ne peut se défendre d'une douce
émotion, à voir, sur cette place reconquise, joyeuse
de nos couleurs nationales, un troupier français
qu'encadrent deux mignonnes alsaciennes...
UN BEAU SUCCÈS DANS LA RÉGION D'ARRAS
Nous leur enlevons plus d'un kilomètre de tranchées
de première ligne
Bordeaux, 18 décembre, 16 h, 30.
La journée du 17 décembre a été marquée, comme nous
l'avons annoncé hier, par une progression de notre
part, en Belgique, où toutes les contre-attaques de
l'ennemi ont échoué.
Dans la région d'Arras, une offensive vigoureuse
nous a rendus maîtres de plusieurs tranchées devant
Auchy-les-Labassée, Loos, Saint-Laurent et Blangy.
Sur ce dernier point, nous avons enlevé, sur un
front de plus d'un kilomètre, presque toutes les
tranchées de première ligne de l'ennemi.
Dans la région de Tracy-le-Val, sur l'Aisne et en
Champagne, notre artillerie lourde a pris nettement
l'avantage.
Dans l'Argonne, les Allemands ont fait sauter une de
nos tranchées, au nord de Four-de-Paris, et ont
essayé d'en déboucher avec trois bataillons. Cette
attaque d'infanterie et celle qu'ils ont prononcée à
Saint-Hubert, ont été repoussées.
A l'est de la Meuse et dans les Vosges, rien à
signaler.
DE LA CONTEMPLATION A L'ACTION
Nancy, 18 décembre.
J'adore recevoir des lettres de mauvaise humeur.
Plus j'en reçois, plus je me réjouis. Il n'est rien
qui actuellement me soit plus agréable.
Ce n'est d'ailleurs pas une perversion. Cette joie
est le résultat d'un raisonnement simple Pour
l'instant mon plaisir est sans limites. Je ne reçois
guère que des lettres délicieusement grognonnes. Un
lecteur assidu se plaint de l'administration, - de
toutes les administrations. Un vieil abonné est
suffoqué à l'idée qu'on pourrait bien organiser des
soirées, et même des concerts au bénéfice des
blessés. Des anonymes protestent avec indignation
contre la façon dont on distribue les soupes, les
indemnités, les jouets, les vêtements chauds, et
généralement tout ce qui est distribué.
La poste a sa part d'invectives. Et je n'ose pas
dire que bien d'autres personnes, et des plus haut
placées, sont également sur la sellette.
On demande pourquoi ceci et comment cela.
J'ai même cru remarquer que les petites animosités
de quartier ne sont pas toujours étrangères à ces
récriminations.
On ne peut pas imaginer à quel point je suis
satisfait d'un courrier aussi désagréable pour mes
contemporains.
Voilà déjà longtemps que je n'étais plus habitué à
cela. Au mois d'août, vers la fin surtout, je
n'avais pas une seule lettre de protestataire.
C'est peut-être parce que la direction des postes
avait changé de séjour. Mais en septembre, alors que
le service des lettres avait repris anormalement,
j'avais à lire peu d'épîtres sans indulgence.
On était sans doute préoccupé d'autres soucis. On
écoutait le canon, on plaignait les réfugiés avec la
crainte d'être soi-même un réfugié le lendemain, on
s'apitoyait sur les blessés le long des rues.
Bref la journée était remplie de telles angoisses
qu'il n'y avait plus de place pour d'autres
sentiments.
Mais peu à peu on s'est habitué au bruit de la
canonnade lointaine, à l'aspect des réfugiés dont la
situation est réglée administrativement, à tout ce
qui constitue le présent et le futur de la guerre.
Et on s'est aperçu qu'au-dessus de tout cela,
au-dessus des batailles et des craintes et de tous
ces épouvantables chocs, il y avait quelque chose
qui dominait tout : le sentiment de la vie.
On a vu des paysans, qui avaient fui devant
l'invasion prochaine, retourner à leurs champs
pendant le combat, et ramasser les pommes de terre
dans le sifflement et l'explosion des obus, et on a
trouvé cela très bien.
On s'habitue au danger comme à toutes choses. Ainsi
que le disait le président de la Chambre après la
bombe de Vaillant, la séance continue.
Oui, toujours la séance continue.
On s'est aperçu que l'héroïsme guerrier pour les
non-combattants, ce n'était que paroles vaines, et
qu'il valait mieux, au lieu de discourir en l'air,
déployer ces belles vertus civiques qui s'appellent
l'ordre, la méthode le travail.
Avec la réalité de ces vertus la partie de la nation
qui n'a pas les aimes à la main nourrit la partie de
la nation qui lutte pour la défense de la patrie.
Et on s'est décidé à regarder autre chose que les
incendies, les pillages, les carnages, les
épouvantes de la guerre où les yeux s'étaient
d'abord hypnotisés.
On s'est tourné vers l'atelier, vers le magasin,
vers le foyer, et on a enfin recommencé à
travailler. D'abord d'une façon un peu inquiète,
puis avec l'étonnement de retrouver quelque chose de
cher, puis avec la certitude qu'on défendait mieux
soi-même ce que nos soldats aimés s'efforcent de
sauver.
Dès lors la vie a repris. La vie a repris avec ce
qu'elle a de bon et de mauvais, avec ses douceurs,
avec ses récriminations.
Comme il y a, par ces temps, des gènes
supplémentaires, il y a aussi des récriminations
supplémentaires.
Mais plus je reçois d'amères protestations, et plus
je me réjouis, car je vois dans ces plaintes le
désir mal exprimé de travailler à nouveau, et le
tourment de ne point accomplir de toute une ardeur
régénérée l'oeuvre de création et de reconstitution
qu'on avait un peu délaissée aux premières heures de
la formidable tragédie qui bouleverse le monde.
De la contemplation à l'action, il paraît qu'il est
indispensable de passer par la critique.
Amis, ne protestez pas davantage. Allez tout de
suite à l'action. Travaillez. Vivez.
RENE MERCIER.
DEUX
Batteries lourdes allemandes
DÉTRUITES
Paris, 19 décembre, 0 h. 25.
Voici le communiqué officiel du 18 décembre, 23
heures :
Nous avons gagné un peu de terrain le long des
dunes, au nord-est de Nieuport.
Deux fortes contre-attaques ennemies, au nord de la
route d'Ypres à Menin ont été repoussées.
Légère avance des troupes britanniques dans la
région d'Armentières.
Notre artillerie a détruit deux batteries lourdes
ennemies dans la région de Verdun.
Sur le reste du front, rien à signaler.
LA VIE A METZ
Nancy, 19 décembre.
Une Nancéienne, rentrée cette semaine en notre ville
après une absence de quatre mois qu'elle a passés à
Metz, nous a relaté hier ce qu'elle a pu observer
chez nos voisins pendant cette intéressante période.
Mme X... avait l'habitude de se reposer chaque été
chez ses parents messins. Ceuxci durent,
naturellement, faire à la police la « déclaration »
que la loi exige de tout Allemand dont le domicile
abrite un étranger.
- « Très régulièrement, dit Mme X..., un agent
venait chaque semaine s'informer, prendre bonne note
de ma présence. Cela aura jusqu'au jour où l'on
m'annonça que, pour des raisons très graves, mon
évacuation sur Wiesbaden était ordonnée. Je pris
alors le parti de tomber malade. Un médecin fort
complaisant, délivra l'attestation nécessaire,
reconnut que mes soixante-douze ans, mes crises
cardiaques, ma faiblesse générale, l'impossibilité
où je suis de supporter une fatigue ni une émotion
rendraient pour moi très dangereux le voyage de Metz
à Wiesbaden. J'eus la chance que cette consultation
ne fût suivie d'aucune contre-visite. Je réussis
ainsi à prolonger mon séjour au milieu de ma
famille.»
La guerre est déclarée
A la veille même de la mobilisation, Metz ne
présentait aucun signe d'agitation. Personne ne
prononçait le mot de guerre. On voyait à peine
quelques rares mouvements de troupes. Des manoeuvres
n'auraient pas produit dans les casernes plus de
préparatifs.
Mais les événements se précipitèrent. Soudain, on
apprit l'arrestation des frères Samain, du chanoine
Colin et de M. Houpert, directeur du « Lorrain » ;
l'interdiction de paraître aux journaux de langue
française, la dissolution des sociétés de Vétérans,
l'incarcération de leurs chefs, les exécutions qui
ont été si fréquemment rappelées :
- Une sorte de terreur, ajoute Mme X..., régna sur
Metz. Les relations entre immigrés et indigènes
revêtirent une forme plus agressive ; on sentait
partout la délation ; on échangeait alors des
regards de méfiance et de colère. Les officiers
allemands méprisaient les civils qu'ils toisaient du
haut de leur morgue insolente et je vous certifie
qu'il ne faisait pas bon se trouver par hasard sur
leur chemin. »
Mme X... cite plusieurs exemples d'arrogance de
méchanceté iniques.
Tel est le cas d'un honorable commerçant jeté en
prison parce qn'en livrant plusieurs barriques de
vin, il avait posé à l'octroii cette simple question
: « Est-ce que vos bureaux seront fermés à mon
retour en ville, vers six heures ? »
Crime abominable ! On avait essayé de surprendre
l'établissement et l'organisation des postes
destinés à la protection de Metz !
L'innocence du malheureux négociant ne fut reconnue
devant les juges du conseil de guerre qu'au bout de
huit jours.
Un officier galant
Tel est encore le cas d'une jeune fille qui répond
par un « bonsoir, madame ! » au salut d'une voisine
sur l'Esplanade.
Un officier s'approche de la jeune fille et, à toute
volée, lui applique sur la joue un formidable
soufflet. Puis il explique son geste :
- Sachez, mademoiselle, qu'en Allemagne tout le
monde aujourd'hui est tenu de parler allemand.,.
- Et moi, répond crânement la délinquante, je
parlerai français avec mes amis.
L'officier bondit sous l'injurieux défi. Il empoigne
rudement cette réfractaire, cette soeur de Colette
Baudoche insensible aux galanteries de la kulture
germanique et il la conduit vers la caserne toute
proche.
Mais, tandis qu'il parlemente à l'intérieur du
poste, sa prisonnière ramasse vivement ses jupes et
gagne à toutes jambes un endroit où elle pourra
impunément raconter en français l'excellent tour
qu'elle vient de jouer au lieutenant déconfit.
Les Messins restaient d'abord plongés dans une
totale ignorance. On leur apprit avec force
ménagements que l'Allemagne avait déclaré la guerre
à la France, en inventant des prétextes plus ou
moins puérils.
Pas de nouvelles
La privation de nos journaux fut particulièrement
pénible. Metz manquait de nouvelles. On eut bientôt
soif de vérité. Le population devinait que les
agences officielles trompaient l'opinion. Dans les
brasseries où fréquente ordinairement la clientèle
indigène, on tâchait de se communiquer rapidement, à
voix basse, ce qu'on avait pu connaître par la
lecture d'un bout de journal parisien, par
l'indiscrétion d'une lettre échappée aux « caviars »
de la censure, par l'interrogatoire d'un blessé ou
d'un prisonnier amenés à la gare :
- Nous avons vécu des journées bien tristes, dit Mme
X... L'annonce des plus extravagantes victoires
remplissait d'enthousiasme les Boches et surtout les
femmes des fonctionnaires qui nous insultaient au
passage et nous bravaient. »
C'était la Mutte, le bourdon de la cathédrale, qui
retentissait gravement, solennellement, pour appeler
la foule sur la place de l'Hôtel-de-Ville où une
proclamation des autorités célébrait les succès
allemands en Belgique ou en Pologne.
Les prêtres devaient publier en chaire les mêmes
informations, mais le sort infligé aux curés
lorrains, incarcérés ou fusillés sans pitié par les
bandits d'outreRhin, provoqua dans toutes les
églises une stupeur, une réprobation, une fureur qui
prenaient rarement la précaution de se dissimuler.
Plusieurs prêtres se contentèrent de cette formule
inaugurée par le curé de Saint-Martin :
- Je suis obligé, mes chers paroissiens de vous
apprendre la prise de Liège... »
La « Mutte » se tait
La Mutte garda le silence durant de longues
semaines, après la chute d'Anvers. Que se passait-il
donc ? Les officiers cessaient de colporter
orgueilleusement que leurs troupes campaient sous
les murs de Paris, que Verdun était à deux doigts de
la capitulation.
- Enfin, le 26 ou le 28 novembre, déclare Mme X...,
sa grande voix se fit entendre.
On courait, on se bousculait dans les rues. Le coeur
me battait plus fort que jamais. Quelle nouvelle,
joyeuse ou lugubre, allions-nous connaître ? Dans
quelle bataille décisive le sort de la France
s'était-il joué ? On lisait sur tous les visages la
même anxiété ; mais les sentiments qui animaient les
femmes des fonctionnaires ne ressemblaient pas aux
nôtres. Une victoire des Boches allait-elle
violemment exalter leurs passions contre nous, les
malheureuses exposées sans défense à leurs
sarcasmes, à leurs menaces ?. La proclamation
annonça que l'armée allemande avait fait à Lodz
80.000 prisonniers. Je poussai un soupir de
soulagement ; mais il était visible que les immigrés
éprouvaient une cruelle déception. Eh non ! ce
n'était pas encore l'entrée triomphale à Paris, ni
même le bombardement de Verdun. »
Paris, surtout, obsédait les officiers d'une
perpétuelle hantise. Ah ! quand ils iraient à
Paris... Quand ils feraient la fête à Paris. Quand
ils assisteraient aux réceptions de Paris.
C'était chez eux une idée fixe - à telle enseigne
qu'un lieutenant, ne pouvant obtenir chez un
cordonnier en renom les lacets qu'il désirait pour
ses chaussures, s'écria :
- Bah ! j'attendrai quelques jours. Le temps d'aller
à Paris. J'achèterai là-bas tout ce qui manque dans
les magasins de Metz. »
Prisonniers et blessés
Quand défilait un convoi de prisonniers, on tâchait
d'éviter la surveillance étroite des sentinelles ;
on glissait quelques mark dans les doigts des
troupiers dont l'attitude avait je ne sais quoi de
crâne, malgré la tristesse du sourire qui
remerciait.
Pour montrer mieux les prisonniers, on prolongeait
leur promenade en ville et bien des larmes coulèrent
devant le spectacle de cette humiliation.
Mais un mot, parfois, s'échappait de leurs lèvres :
« Ça va bien... chuchotaient-ils. Ayez confiance...
»
Quant aux blessés, on a le droit, maintenant, de les
visiter dans les hôpitaux, à la condition que l'on
répartisse sans distinction les friandises entre les
Boches et les Français.
Ah ! point n'est besoin de recommander aux annexés
la confiance. Depuis le premier jour, ils gardent
une inébranlable conviction. Rien n'a pu les
détourner de cet espoir que les couleurs françaises
flotteront tôt ou tard sur l'Alsace-Lorraine, que
les vieilles casernes de Metz s'éveilleront au chant
de la Marseillaise, que le maréchal Ney passera
encore la revue des Pantalons rouges au beau milieu
de l'Esplanade.
- Aussi, comme nous prêtions l'oreille au canon,
ajoute Mme X..., on se demandait si, de la
frontière, nos forts recevraient les obus français.
Le passage des aéroplanes nous comblait de joie. »
La bataille de Morhange coûta cher aux Allemands.
Elle laissa chez les soldats l'impression d'un
épouvantable charnier :
- J'ai rencontré un des médecins que l'on vint en
hâte chercher à Metz pour donner leurs soins dans
les ambulances. L'un d'eux, pénétré d'horreur,
disait qu'il n'avait jamais vu d'hécatombes
pareilles. »
Visites d'avions
Quand les avions français lancèrent des bombes sur
les hangars de Frescati, on ordonna le silence sur
les résultats de cette expédition. Un autre jour,
l'apparition d'un Farman fut saluée, au-dessus des
forts, par une fusillade intense et par l'envoi
d'une volée de shrapnells :
- L'appareil volait très bas, raconte Mme X... Nous
admirions son audace.
Tout le monde suivait ses évolutions avec une
ardente curiosité. Tout à coup, il sembla qu'une
flamme jaillissait de l'aéroplane et qu'une fumée
épaisse l'enveloppait. Autour de nous, on battait
des mains, on hurlait : « Capout ! Capout !. »
J'avais l'angoisse dans l'âme. Mais voici que, sans
perdre sa grâce légère, l'oiseau sort du nuage de
feu et qu'il continue sa route vers Pont-à-Mousson.
Les applaudissements se changèrent aussitôt en
vociférations ; les Boches étaient congestionnés de
fureur. »
En prévision d'un siège, l'autorité militaire a
prescrit certaines mesures, telles que
l'approvisionnement en conserves, vin, légumes secs,
etc., pour un laps de plusieurs semaines...
- Les instructions du gouverneur de la place sont
rigoureusement appliquées. On exerce un contrôle
permanent sur les marchandises que tout ménage est
tenu de remplacer au fur et à mesure qu'on distrait
une quantité, si faible qu'elle soit, de ces
subsistances. »
La perfide Albion
Tant de prévoyance contraste singulièrement avec le
peu d'empressement dont témoigne le recrutement des
jeunes classes :
- A quel mobile obéit-on ? Veut-on cacher dans
certaines provinces l'épuisement des effectifs ?
demande Mme X... Nous avons présumé qu'en maintenant
dans leurs foyers les hommes de vingt ans, on
essayait de retarder les mouvements d'opinion, les
protestations, les troubles inévitables qui
éclateront quand on sera fixé sur l'effroyable
consommation de vies humaines faite depuis le mois
de juillet. »
On sait en effet que, dans le Brandebourg et plus
spécialement à Berlin, on s'est jusqu'à présent
abstenu de convoquer les éléments valides du
landsturm pour les raisons dont Mme X... nous a
précisément apporté l'écho des pays annexés.
Il semble également qu'on s'évertue à créer de
l'autre côté de la frontière le revirement en faveur
de la France que les agences d'information ont
signalé en ces derniers temps.
L'Angleterre est devenue la seule ennemie. Elle
accapare les haines de l'Empire. C'est elle qu'il
faut abattre, c'est sa marine qu'il importe de
couler ; c'est son commerce, son industrie qu'il
s'agit de ruiner entièrement ; ce sont enfin ses
colonies qui forment le butin, la proie guettée par
les convoitises teutonnes.
Quant à la France, elle trouve grâce devant la
politique de Guillaume II. On daigne nous pardonner.
On nous excusera d'avoir eu des villages détruits,
des otages, des enfants et des femmes massacrés en
masse ; on oubliera le bombardement de Reims, à la
condition de lâcher nos alliés pour tomber avec un
sublime élan de gratitude dans l'étreinte d'une
Allemagne qui nous a prouvé son immense amour !
Cette proposition honnête, ce vertueux marché est
devenu dans les brasseries l'objet des conversations
entre diplomates prompts à reviser la carte du monde
en y logeant largement la civilisation enseignée par
les baïonnettes à scie et les pastilles incendiaires
!
Le couple impérial
Le kaiser s'est rendu plusieurs fois à Metz ; il
descendait presque toujours à l'hôtel de l'Europe.
Au cours d'une de ses visites, un incident se
produisit dans les jardins mêmes de l'hôtel :
Une dame de la haute société s'était retirée à
l'écart. Elle venait de recevoir une dépêche lui
annonçant la mort de son mari, tué au feu. Son
chagrin fuyait les salons encombrés d'uniformes,
pleins d'un tumulte heureux.
Instruite de son deuil, l'impératrice alla droit à
elle et versa sur cette douleur des consolations. à
la prussienne :
- Votre mari est mort... Vous vous lamentez pour si
peu !... Mon mari est à la guerre ; mes cinq fils y
sont avec lui. Me voyez-vous verser des larmes,
madame ?...» Il serait superflu d'indiquer de quels
commentaires les Messins accompagnent le récit de
cette scène où la pitié de la souveraine donnait aux
veuves une aussi étrange leçon de stoïcisme.
Une circonstance fortuite empêcha la capture de
Guillaume II. Des témoins dignes de foi rapportent
qu'il dut son salut à la vitesse - en quatrième -
d'une ambulance automobile où les officiers le
jetèrent précipitamment.
"Nous sommes des barbares"
La vie économique est exempte de troubles. Le prix
des denrées a peu varié. Nulle part à Metz on
n'éprouve la sensation d'inquiétude qui fait songer
aux événements dont le théâtre est si rapproché de
la ville.
Pourtant, le 20 novembre, un suprême délai de dix
jours fut accordé aux étrangers dans la même
situation que Mme X...
- Je dus partir, nous dit-elle. En deux jours, j'ai
parcouru sans incidents notables la distance qui me
séparait de la Suisse, par Strasbourg,
Fribourg-en-Brisgau et Schaffouse. A la gare
frontière, un général allemand s'approcha du groupe
que formaient avec moi, une dizaine de voyageuses et
interrogea l'une d'elles :
« On répand partout le bruit que nous agissons comme
des Barbares, n'est-ce pas ? »
« Escomptait-il un démenti, une protestation ? Notre
compagne se mit un boeuf sur la langue : « Oh ! c'est
la guerre, général, fit-elle... En ce qui nous
concerne, on n'a pas eu à se plaindre... »
L'officier s'inclina ; il parut satisfait de la
réponse.
L'impression que rapporte de Metz notre concitoyenne
se résume en une confiance sans bornes dans le
succès final de la France, en un insatiable désir de
connaître exactement la tournure des événements, en
une joie profonde au souvenir des manifestations
dont nos soldats prisonniers ou blessés sont
l'objet, en un voeu que son patriotisme exprime avec
force :
- Quand je retournerai là-bas, il n'y aura plus de
Boches ! »
ACHILLE LIEGEOIS.
LE SOUS-PRÉFET D'ALTKIRCH
M. Pailhé, procureur de la République à Besançon,
est nommé sous-préfet d'Altkirch, avec résidence à
Dannemarie.
LES RÉPARATIONS AUX MAISONS DE HARAUCOURT
Haraucourt, 19 décembre.
Les travaux de réparation des maisons de Haraucourt
sont à peu près terminés et une grande partie des
habitants du village ont pu réintégrer leur
domicile. En leur nom, la commission municipale,
composée de MM. Briat, Perroten, Colette et
Gellenoncourt, exprime ses sentiments de profonde
gratitude à M. le préfet de Meurthe-et-Moselle et au
comité des réfugiés qui ont entrepris cette oeuvre de
rapatriement.
Elle remercie spécialement M. Midavaine, qui, chargé
de la direction des travaux, s'est acquitté de sa
mission sans jamais se laisser rebuter par les
réclamations et le mauvais vouloir de quelques-uns.
La commission a le devoir de rappeler les noms des
généreux donateurs qui, durant ces derniers mois,
sont venus en aide à cette commune éprouvée.
M. Payelle, administrateur des salines
Rosières-Varangéville ; Bouivain, directeur de
l'usine Solvay, de Dombasle; Mme Finance et M.
Midavaine, de Nancy ; M. Hutin, sous-chef de bureau
de l'administration de l'octroi du 12e
arrondissement de Paris, à l'occasion de son fils,
mort au champ d'honneur sur le territoire de ladite
commune.
Elle leur adresse à tous ses bien sincères
remerciements.
Le maire, BRIAT.
LES ALLEMANDS A LONGWY
Le 15 novembre dernier, je me trouvais à la gare de
Bourg (Ain), immobilisé dans la salle d'attente par
un arrêt de huit heures. Tandis que la plupart des
voyageurs sommeillaient sur des banquettes, dans un
coin de la salle, deux dames causaient.
L'une, la plus âgée, montrait à l'autre des cartes
postales de la guerre qu'elle allait vendre, le
lendemain, dans un gros marché campagnard des
environs. Tout à coup, la plus jeune des deux femmes
poussa une exclamation en regardant une carte qui
représentait, dans une pose théâtrale, le grand chef
des Boches, le kaiser Guillaume. Et la jeune dame de
s'écrier : « Le kaiser ?... Je l'ai vu autrement que
sur du papier, je l'ai vu en chair et en os, il n'y
a pas bien longtemps. - Où ça ? - A Longwy...
En entendant prononcer le nom de son pays, le vieux
Longovicien que je suis quitta la banquette où il
essayait en vain de s'assoupir quelque peu. Je me
dirigeai vers les deux dames avec lesquelles
j'engageai conversation.
Je me fis connaître, la jeune dame aussi ; c'était
une employée du bureau de postes de Longwy-Bas,
X..., de Saône-et-Loire. Elle avait quitté Longwy
deux jours auparavant, en compagnie de trois autres
dames, employées des postes comme elle.
Par quels moyens, par quels subterfuges
avaient-elles réussi à quitter une ville en pleine
domination allemande, pour se rendre à Metz et
Strasbourg, traverser l'Allemagne et gagner ensuite
la Suisse ? Je n'ai pas à le dire ici, pour ne pas
entraver les tentatives faites par d'autres
Longoviciennes qui devaient aussi, paraît-il, user
du même procédé pour quitter Longwy.
J'ajouterai que le stratagème employé fut bien près
d'échouer et que les quatre Françaises, malgré leurs
passeports bien en règle, faillirent faire
demi-tour, à la dernière gare allemande de la
frontière suisse. Mais toutes les difficultés
s'aplanirent, et l'officier prussien qui faisait
tant de « rouspétance » en lisant les passeports de
nos Longoviciennes, donna enfin le signal du départ
du train qui se dirigeait vers la Suisse. Aussi,
avec quel soupir de soulagement fut accueilli le
coup de sifflet libérateur !
J'ai pu recueillir, de la bouche de mon
interlocutrice, qui vécut avec les Allemands depuis
le 26 août, date de la reddition de la place,
jusqu'au 13 novembre, des renseignements
intéressants sur la situation actuelle des
habitants.
Je crois rendre service aux nombreuses personnes qui
ont laissé à Longwy des amis et des parents en leur
faisant savoir, par l'« Est républicain », que la
population, du moins jusqu'à fin novembre, était en
pleine tranquillité, qu'aucun otage n'avait été pris
par les envahisseurs et que la vie avait repris
quelque peu son cours normal.
Les ravages du bombardement
Longwy-Haut eut à souffrir, pendant six jours et six
nuits, un bombardement terrible ; les obusiers de
220 décimèrent tellement la vieille forteresse qu'il
ne reste plus aujourd'hui de la coquette cité qu'un
amas de ruines et des tas de pierres informes !
Nous avons pu voir, sur des cartes postales éditées
par MM. les Boches, les ravages causés dans la ville
haute par les obus et les boulets : pas une maison
n'a été épargnée, pas une ne reste debout, et
Longwy-Haut n'a plus rien à envier à Revigny ou à
Sermaize-les-Bains, le spectacle est aussi terrible
ici que là.
Du bel hôtel de ville dont les Longoviciens étaient
si fiers, et dans lequel le maire, M Pérignon, avait
installé une organisation municipale modèle, il ne
reste plus que la façade. Toutes les murailles sont
effondrées. Quant à l'église, elle dresse encore
vers le ciel un pan de sa haute tour. Les obus ont
démoli le reste.
On se croirait au milieu des ruines de Pompéi. La
ville est déserte, et les Allemands ne permettent
pas aux habitants d'y rentrer. Toutefois, pendant
les deux premiers jours qui suivirent la reddition,
la kommandatur autorisa exceptionnellement les
Longoviciens à contempler les ravages de leurs «
marmites », et beaucoup d'entre eux, qui s'étaient
réfugiés dans les environs, s'en vinrent avec
tristesse voir ce qui restait de leurs maisons.
En gens qui n'aiment pas de « laisser traîner les
restes », les Allemands firent charger sur des
camions les meubles et autres objets qu'ils purent
trouver dans les immeublles écroulés, et tous ces
colis suivirent le chemin que prirent déjà nos
pendules de 1870.
A Longwy-Bas, le bombardement ne fit pas beaucoup de
dégâts ; un projectile éventra les bureaux de la
Société Générale, et la partie de l'avenue Margaine,
située entre la Société Nancéienne de Crédit et
l'asile Margaine fut complètement détruite par les
obus. On dut évacuer l'ambulance installée à l'asile
Margaine, et la supérieure fut tuée d'un éclat
d'obus en faisant effectuer le transfert des
blessés.
Cinq autres personnes furent tuées à la ville basse
; elles s'étaient, je crois, réfugiées dans une cave
qui s'effondra.
Les remparts de la place ont été sérieusement
détériorés par les projectiles ennemis, et on nous
a rapporté que l'effondrement des casemates causa la
mort de plusieurs centaines de soldats.
L'administration allemande
Un des premiers soins des envahisseurs fut d'imposer
la ville d'une contribution de guerre d'un million
qui fut, paraît-il, versée par les maîtres de forges
restés au pays, notamment MM. de Saintignon et
Dreux.
De pillage, point ou presque pas. Quelques soudards
avinés qui avaient dévalisé une cave à la ville
basse, furent, paraît-il, punis par le commandant de
place, et depuis ce moment aucun autre acte de
pillage ne fut commis.
Dernièrement, les officiers teutons
réquisitionnèrent les lainages et couvertures qui se
trouvaient encore dans les magasins de confection,
et ils payèrent avec. des bons de réquisitions !
L'administration municipale continue à fonctionner ;
tous nos édiles sont restés là, sauf ceux que la
mobilisation appela à leur régiment. L'état civil
fonctionne à l'école des garçons, un autre bureau à
l'hôtel du Commerce, et le dévoué secrétaire, M.
Maîtrehut continue l'exercice de ses fonctions.
Les bureaux de la « kommandatur » sont installés
dans les locaux de l'ancienne banque Thomas,
Grande-Rue. Les officiers logent en ville et les
soldats de la landsturm qui, au nombre de cinq cents,
attestent l'occupation germanique à Longwy, sont
répartis seulement dans quelques maisons,
particulièrement dans les alentours de la gare.
Dans les localités environnant la ville, les postes
de surveillance ont été réduits à leur plus simple
expression, et quelques soldats seulement font la
police.
Au commencement de septembre, de nombreux trains de
recrues passèrent à Longwy, venant de Luxembourg et
se dirigeant vers Longuyon, mais il faut croire que
les réserves allemandes sont épuisées, car ce trafic
ne dura qu'une quinzaine de jours, et il ne passe
plus dans la gare longovicienne que des trains de
blessés et parfois de prisonniers français.
Un matin de novembre, les habitants furent quelque
peu surpris de voir débarquer quatre cents
personnes, hommes, femmes et enfants, que les
Prussiens évacuaient de Consenvoye (Meuse). Pour
quels motifs ?'Raisons stratégiques, sans doute.
Quoi qu'il en soit, les quatre cents Meusiens furent
répartis chez les habitants, qui se montrèrent
empressés à recueillir leurs compatriotes.
La vie à Longwy
Au début de l'occupation, les mesures militaires
furent assez sérieuses ; les portes des corridors
devaient être ouvertes toutes les nuits, et la
circulation était interdite à partir de sept heures
du soir. Maintenant, la surveillance s'est un peu
relâchée ; seuls, quelques jeunes gens noctambules
furent arrêtés et transférés en Allemagne pour avoir
désobéi aux règlements du commandant de place.
On permet même aux habitants d'aller à la gare voir
les blessés français et de leur porter de l'argent
ou des vivres, chose qui était rigoureusement
interdite dans les premiers temps.
Aujourd'hui tous les magasins de la ville basse sont
ouverts, tous les cafés « fonctionnent » comme en
période normale, et les brasseries travaillent dur.
La vie, chose incroyable, est meilleur marché qu'en
temps de paix ; au 15 novembre, le beurre se vendait
1 fr. 60 la livre, le sucre 0 fr. 70 le kilo, le
café 2 fr. 10 la livre.
Les magasins regorgeaient de vivres (amenés
d'Allemagne) et la plupart des pâtes alimentaires se
vendaient le même prix qu'avant la guerre. Alors
qu'il n'y avait autrefois qu'un marché par semaine,
on a trouvé le moyen d'en faire un tous les jours.
La société coopérative l'Epargne, où se trouve
municipalisé le service général de
l'approvisionnement de la commune, a fort à faire
pour assurer le ravitaillement de toute la
population.
Tout le monde, même les personnes et les familles
sans argent, trouve à se nourrir, grâce à une
intelligente initiative de la municipalité. Chaque
famille est, en effet, munie d'un livret
particulier, avec lequel elle peut se faire délivrer
des vivres à l'Epargne ; tous les quinze jours, les
comptes sont établis et relevés, ceux qui peuvent
payer s'acquittent de ce qu'ils doivent ; ceux qui
sont sans argent paieront après la guerre.
La ville fait donc, pour ainsi dire, une avance
d'argent aux familles nécessiteuses, avance qui sera
réclamée et remboursée après la guerre.
Ajoutons que plusieurs familles pauvres trouvent
auprès des soldats allemands la soupe dont elles ont
besoin quotidiennement.
L'autorité militaire a chargé du service de
ravitaillement de la population un homme que la
police spéciale avait arrêté pendant la période de
mobilisation, comme espion prussien, et qui put se
sauver de son cachot pendant le bombardement de la
place : M. Wiltberger, entrepreneur.
Installé dans les locaux de la grande vitesse, M.
Wiltberger fournit aux épiciers de la ville les
produits alimentaires dont ils ont besoin. Seul, le
pétrole manque. Aussi de nombreux Longoviciens
ont-ils fait installer l'électricité dans leurs
logements. Il est superflu d'ajouter que toute
l'épicerie vient d'Allemagne, et que la guerre a,
par conséquent, fourni un excellent débouché à la
camelote des Boches.
Dans les premiers jours de novembre, le commandant
fit afficher qu'il octroyait dix ans de forteresse à
tous ceux qui seraient surpris, causant, dans les
rues, de Metz ou de Verdun ; la même peine était
également dévolue à ceux qui seraient trouvés
porteurs des prédictions de Mme de Thèbes.
Quant aux soldats du kaiser, ils ne causaient, dans
les premiers temps de l'occupation que de Pariss.;
aujourd'hui, c'est de Verdunn qu'ils parlent, en
ajoutant mélancoliquement : « Si nous aller à
Verdunn, nous capout !... »
Dernièrement, le commandant d'armes demanda à un
vieux Longovicien, M. Beckerich, pharmacien, ce que
les habitants pensaient de ses soldats ; M.
Beckerich lui déclara que la population en était
plus satisfaite que de ceux qui vinrent après la
capitulation. De son côté, le commandant ne cacha
pas qu'il était content de l'attitude de la
population longovicienne.
Le jour de la Toussaint, une grande messe militaire
fut dite à Rehon pour les soldats français et
allemands tués dans la région. La garnison y assista
et le commandant y alla d'un speech qu'il prononça
en français, mais avec un accent spécial et en
écorchant affreusement notre langue nationale.
Ce jour-là, le canon s'entendit d'une façon
particulièrement nette à Longwy, et les habitants ne
cachaient pas la joie que leur causait la musique de
nos 75, du côté d'Etain ou de Thiaucourt. Elle leur
signifiait en effet que nos troupes étaient encore
dans les alentours et cette pensée certainement
devait quelque peu atténuer l'amertume de
l'occupation allemande, en leur faisant entrevoir
une prochaine libération.
Avec leur vantardise habituelle, les Allemands
firent grand bruit, chez eux, de la prise de Longwy,
et la stupéfaction des Longoviciens fut grande en
lisant dans les journaux boches que les « troupes du
kronprinz s'étaient emparées de la forteresse de
Longwy, après avoir au préalable pris les forts de
Piedmont, des Maragolles, de Romain, etc. » A la
lecture de cet article, les bonnes poires des
boulevards de la Sprée s'imaginèrent que leur
vaillante armée s'était emparée d'une place forte
aussi redoutable que Verdun ou Metz, alors qu'en
vérité 85.000 Allemands mirent plusieurs semaines
pour s'emparer d'une bicoque construite par Vauban
et défendue seulement par 3 ou 4.000 hommes.
Les Longoviciens, eux, haussaient les épaules ; mais
la façon d'opérer des Boches leur ouvrit les yeux
sur le peu de foi qu'ils devaient accorder désormais
aux autres cancans répandus par les soldats du
kaiser, sur leurs prétendues victoires.
L'autorité militaire a fait le recensement de tous
les hommes valides de 18 à 45 ans, restés dans la
ville. La liste, certainement, doit comprendre
plusieurs milliers de noms, car personne ne put fuir
l'envahisseur, l'investissement ayant commencé dans
les premiers jours du mois d'août.
Pourquoi les Allemands ont-ils fait ce recensement ?
Sans doute pour envoyer en captivité les infortunés
auxquels il ne fut pas possible de mettre quelques
kilomètres entre eux et les troupes ennemies.
Quoi qu'il en soit, pour le 13 novembre, aucun
Longovieien n'avait été emmené en Prusse ; il n'en
était pas de même, paraîtil, dans les villages
environnants, où de nombreux vides existent
aujourd'hui dans la population masculine envoyée
dans des camps de concentration de prisonniers
civils.
Les dégâts commis dans toute la région
longovicienine sont incalculables : Hussigny a plus
de cinquante maisons incendiées ;
Villers-la-Montagne, vingt-six ; Morfontaine et les
communes voisines sont presque complètement
détruites. A Morfontaine les propagateurs de la
kultur germanique fusillèrent onze paysans
inoffensifs qui venaient de porter leurs armes à la
mairie; deux femmes furent brûlées dans leur maison
et deux jeunes gens de ce village également
fusillés.
Quand la victoire aura enfin permis à nos soldats de
l'Est de déblayer le territoire et qu'on pourra
dresser le bilan des méfaits et des atrocités commis
dans l'arrondissement de Briey par les Bavarois de
Guillaume, on verra qu'en général, dans nos
campagnes, les Boches se sont montrés ce qu'ils
furent ailleurs : féroces, barbares et criminels.
Nous avons été heureux de constater qu'à Longwy du
moins la population n'était pas malmenée et que pour
le moment elle ne souffre pas trop matériellement.
Pourvu qu'à l'heure de la débâcle les soldats du
kaiser ne changent pas de conduite ! C'est la seule
chose que redoute la population.
LE COMBAT D'ÉTAIN
On nous communique une lettre d'un soldat du pays
stainois racontant sans prétention les engagements
auxquels il prit part à Etain. Nous résumons ces
renseignements (8 novembre).
Le premier combat a eu lieu à Joppécourt, près
d'Arrancy, le deuxième à Nouillonpont, après à
Deuxnouds et la forêt d'Argonne ; nous avons eu
ensuite un terrible combat à Montfaucon où nous
avons perdu bien des hommes. De là nous sommes allés
à Ornes, dans les bois, où nous avons séjourné six
jours et nous sommes passés deux fois à Beaumont.
Ensuite nous avons pris part au combat de Lamorville
qui dura trois jours et depuis nous sommes dans les
tranchées, où il ne fait pas chaud, sur les
Hauts-de-Meuse.
Je vous raconte la bataille d'Etain. Les Boches sont
arrivés un soir, à 5 heures et demie à Etain. Nous
avons occupé la ferme de l'Hôpital, d'où nous avons
gagné le bois Fabry ; à 2 heures du matin, nous
avons déniché les Boches de dedans les casernes où
il y en a des percés parce que pendant la nuit on
avait enlevé Etain à la baïonnette. Mon escouade a
établi un petit poste derrière le mur des sapins de
la Fontaine-au-Rupt ; à mesure que les Boches
passaient le mur pour se sauver sur Warcy, on les
descendait ; notre escouade en a tué 32 et blessé
11. Au moment où je voulais relever de terre un des
blessés, il y en a un qui me flanqua un coup de pied
au genou. Vous savez, je n'ai pas perdu de temps, je
l'ai tué à bout portant ; si le sergent m'avait
laissé faire je les gousillais tous comme des lapins
l'un après l'autre. De là nous avons gagné le quai
de la gare où ils étaient réfugiés et dans l'usine à
gaz; c'était un vrai massacre et nous avons fait 18
prisonniers dans la cour de chez Humbert,
vétérinaire ; à 8 heures du matin, il n'y avait plus
un Boche à Etain.
Nouvelles du pays meusien
Extraits du « Bulletin Meusier », organe du
groupement fraternel des réfugiés et évacués
meusiens :
Koeur-la~Grande. - Le village a été très éprouvé par
le bombardement. Trois maisons sont, incendiées. Une
multitude d'autres sont à moitié démolies par les
obus. Trois victimes parmi la population civile : M.
Jean Berteloni, tué par la commotion causée par
l'explosion d'une bombe; - M. Albert Berthier,
adjoint au maire, atteint en pleine poitrine par un
éclat d'obus et tue sur le coup ; - M. Ernest
Aubriot, atteint de plusieurs blessures, en
particulier à la jambe. Transporté à l'hôpital de
Commercy avec plusieurs officiers gravement blessés,
M. Aubriot a subi l'amputation de la jambe.
Bannoncourt, Woimbey, Bouquemont. - Bannoncourt a
quatre ou cinq maisons détruites, et la gare a été
fortement bombardée.
Woimbey a reçu des bombes aussi à plusieurs reprises
; mais les dégâts se bornent.
à quelques vitres cassées. Une des bombes est tombée
dans le cimetière A Bouquemont, une maison détruite,
celle de M. Heddebaut Laviron, dont le beau-fils,
Henri Lallement, capitaine aux chasseurs à pied,
était blessé exactement un mois auparavant, le 13
octobre, et mourait quelques jours plus tard à
l'hôpital de Doullens.
Rouvrois-sur-Meuse, Lacroix et Dompcevrin. - Le
village n'a pas souffert du bombardement depuis le
jour de la Toussaint. Mais c'est surtout du 23 au 27
septembre, le 4 octobre et la dernière semaine
d'octobre, qu'il a eu le plus à souffrir. On compte
14 maisons incendiées ; environ 50 ont été plus ou
moins démolies. L'église est fortement endommagée,
surtout le choeur et le clocher.
L'église de Lacroix et son clocher restent debout,
non sans brèches et sérieux dommages.
Par contre, il ne reste guère de celle de Dompcevrin
que le clocher.
Hannonville. - Le 22 septembre, Les Allemands
avaient emmené 47 habitants prisonniers en Prusse.
Quelques jours après, en effet, ils ont pris tout ce
qui restait d'hommes valides à Hannonville et les
ont envoyés sur les frontières de la Bohême.
Ornes. - Ornes se trouve entre le fort très
important de Douaumont et les crètes très élevées
qui se trouvent derrière le village de
Romagne-sous-les-Côtes. Les Allemands occupent ces
côtes depuis environ trcis mods. Ne pouvant arriver
à démolir le fort susindiqué, ils bombardent «
systématiquement » tous les villages qui se trouvent
entre eux et les Français, mais c'est surtout le
village d'Ornes qui paraît être leur point de mire.
Dès le début, ils ont visé la maison du docteur
Simonin. Avec leurs bombes incendiaires, ils ont mis
le feu à plusieurs endroits du village, sans compter
l'église qui a déjà terriblement souffert. Ils sont
même venus de nuit mettre en certains endroits le
feu à la main.
Dans la nuit du 10 au 11 octobre, ils sont venus
nuitamment au village et, au mépris de tout droit
international, ont emmené 74 prisonniers civils,
hommes, femmes, enfants, vieillards ; on en cite un
de 91 ans. Ils ont été conduits, ces pauvres gens,
du côté de Mangiennes,dans les régions évacuées, et
là, pendant un certain temps, les ont occupés à
rentrer les pommes de terre et autres légumes ; ils
les ont ensuite conduits en Allemagne.
Mouilly. - En ces derniers jours, Mouilly, déjà bien
accablé, a subi un nouveau, bombardement.
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
PRÉFECTURE DE MEURTHE-ET-MOSELLE
Nous soussigné, L. Mirman, préfet de
Meurthe-et-Moselle,
Vu la loi du 5 avril 1884 ;
Vu la loi du 3 juillet 1877 sur les réquisitions
militaires et celle du 5 août 1914 relative à l'état
de siège ;
u le décret du 2 août 1914 établissant l'état de
siège sur le territoire français ;
Considérant que, d'une part, la mobilisation d'une
grande partie des cultivateurs et, d'autre part, la
réquisition d'un nombre considérable de chevaux
rendent particulièrement difficiles les travaux
agricoles, notamment les labours et semailles
d'automne ;
Considérant que, dans les circonstances actuelles,
toutes les forces d'action encore présentes dans la
commune doivent être mises en jeu pour assurer la
préparation des futures récoltes indispensables au
salut de la Nation ;
Considérant que, dans le département de
Meurthe-et-Moselle, s'est produit dès le premier
jour, dans l'immense majorité des communes un double
et magnifique mouvement de solidarité ; chaque
agriculteur valide regardant comme un devoir
impérieux de prêter la main pour la mise en valeur
des terres appartenant à un voisin mobilisé, et
chaque agriculteur auquel il reste des chevaux non
réquisitionnés regardant aussi comme un devoir
impérieux de mettre ceux-ci à la disposition des
voisins plus malheureux que lui ;
Mais, considérant que ce ne sera pas diminuer le
mérite de si louables initiatives que de les
généraliser et de les étendre, et que d'imposer une
telle participation aux quelques cultivateurs
égoïstes qui n'ont pas compris en cette circonstance
leur devoir de solidarité et de patriotisme.
ARRÊTONS :
Article premier. - Les travaux de labourage et les
semailles d'automne seront effectués dans chaque
commune sous la direction et la surveillance du
maire, assisté de deux cultivateurs de la commune
choisis par lui, de telle façon que, si la commune
était, avant la guerre, politiquement divisée, ces
deux cultivateurs représentent respectivement l'un
et l'autre partis Sauf cas de force majeure, l'un
des deux cultivateurs susvisés devra être conseiller
municipal, l'autre pourra toujours ne point l'être.
Article 2. - Le maire et ses deux assistants
examineront avec soin la situation des champs où les
travaux de labourage et les semailles d'automne
risquent de ne pouvoir être effectués sans
l'assistance communale, pour l'une ou l'autre des
raisons suivantes :
1° Soit parce que la mobilisation a appelé sous les
drapeaux l'exploitant lui-même, ou ses fils qui
l'aidaient dans son labeur, et que la femme ou les
parents des mobilisés, en dépit de toute leur bonne
volonté, n'ont ni les forces nécessaires pour
effectuer seuls ces travaux, ni la possibilité de
trouver ou les moyens de rémunérer actuellement des
ouvriers ;
2° Soit parce que l'exploitant a vu ses chevaux
réquisitionnés et qu'il lui a manqué ou l'occasion
ou les moyens de s'en procurer d'autres.
Le maire et ses deux assistants, à la suite de cet
examen, dressent la liste des exploitations où, pour
assurer l'exécution des travaux envisagés,
l'assistance communale prévue aux articles suivants
dudit arrêté est nécessaire ; ils déterminent
l'ordre dans lequel cette assistance devra se
produire en faveur des divers intéressés.
Article 3. - Tout agriculteur ayant effectué les
deux tiers de ses travaux personnels, ainsi que tout
autre citoyen valide ne travaillant pas à une tâche
indispensable à l'intérêt général, peut être requis
par le maire de participer, aux jours et heures qui
lui seront indiqués, aux travaux d'automne incombant
aux agriculteurs définis au 1° de l'article
ci-dessus.
Tout agriculteur ayant effectué les deux tiers de
ses travaux personnels et propriétaire d'attelages
non réquisitionnés, peut être requis de mettre tout
ou partie de ceux-ci, aux jours et heures qui lui
seront indiqués, à la disposition du maire pour
venir en aide aux agriculteurs définis au 2° de
l'article ci-dessus. La même réquisition peut être
adressée à tout propriétaire d'attelages non
agriculteur lorsque l'emploi fait par lui desdits
attelages n'est pas indispensable à l'intérêt
général.
Article 4. - Les réquisitions susvisées ne peuvent
être prises par le maire que sur avis conforme de
ses deux assistants.
Article 5. - Les personnes ci-dessus visées et qui
refuseraient d'obéir aux réquisitions formulées en
vertu du présent arrêté seront traduites devant les
tribunaux compétents conformément à la loi.
Article 6. - Les travaux effectués sur réquisition
dans les conditions ci-dessus indiquées seront payés
aux ayants-droit par les bénéficiaires d'après un
tarif et à une date fixée par la commission à
l'article 2 Nancy, le 18 décembre 1914.
Le Préfet :
L. MIRMAN.
Approuvé :
Pour le Général commandant en chef, l'Aide-Major
général,
Signé : (Illisible).
REGAIN D'ACTIVITÉ
IL NOUS VAUT UNE AVANCE PRESQUE GÉNÉRALE
Bordeaux, 19 décembre, 16 heures.
En Belgique, nous avons, dans la journée du 18,
organisé le terrain gagné la veille au sud de
Dixmude et poussé notre front au sud du Cabaret
Korteker.
Notre avance au sud d'Ypres s'est poursuivie dans un
terrain marécageux et très difficile.
De la Lys à l'Oise, nous avons progressé dans la
région de Notre-Dame-de-Consolation (sud de La
Bassée) de plus d'un kilomètre. Au cours des deux
dernières journées, nous avons fait également des
progrès dans la direction de Garancy, à Saint-Laurent
et Blangy. Malgré des très vives contre-attaques,
les positions conquises le 17 ont été maintenues.
Dans la région d'Albert, nous avons, dans la nuit du
17 au 18 et dans la journée du 18, avancé sous un
feu très violent et atteint les réseaux de fil de
fer de la seconde ligne de tranchées ennemies.
Au nord de Maricourt, nous avons dû abandonner une
tranchée prise la veille et incendiée par l'ennemi
au moyen de grenades à main.
Plusieurs tranchées allemandes ont été enlevées dans
la région de Mametz et dans celle de Lihons.
Trois violentes contre-attaques allemandes ont été
repoussées dans la région de l'Aisne.
Combats d'artillerie en Champagne. L'artillerie
ennemie a montré plus d'activité que le jour
précédent.
En Argonne, dans le bois de la Grurie, nous avons
fait sauter une sape allemande près de Saint-Hubert.
L'ennemi, par une attaque très vive, a réussi à
progresser légèrement.
Il est confirmé que sur les Hauts-de-Meuse notre tir
réglé par avions a démoli.
deux batteries lourdes ennemies et endommagé une
troisième batterie.
De la Meuse aux Vosges, rien à signaler.
Dans les Vosges, vives fusillades allemandes, mais
pas d'attaques.
UNE TROUPE ENNEMIE SURPRISE & FAUCHÉE
Communiqué officiel du 19 décembre, 21 heures :
En Belgique, dans la région de Stfenstasceste, une
attaque ennemie a été refoulée, et nous avons fait
de sensibles progrès aux abords du Cabaret Korteker.
Les troupes britanniques ont perdu, à la côte de
Neuvechâtel, quelques-unes des tranchées conquises
hier, tandis que le corps indien progressait de
quelques centaines de mètres vers Richebourg-Lavoye.
L'ennemi a montré de l'activité vers Thiepval et
Lihons. Sur ce dernier point, une troupe ennemie a
été surprise en colonne et littéralement fauchée.
De l'Oise aux Vosges, aucun incident à.noter.
(à
suivre) |