AU CONSEIL GÉNÉRAL
Nancy, 8 novembre.
Avant la séance
La deuxième session ordinaire du conseil général du département de Meurthe-et-Moselle s'est ouverte vendredi dernier, dans la salle des séances à la Préfecture.
La session emprunte aux circonstances une importance particulière. On remarque, en uniforme, M. Chapuis, médecin-major de première classe ; M. de Ludre, lieutenant de cavalerie, attaché à l'état-major ; M. Humbert, soldat territorial.
Dans les couloirs règne une certaine animation. M. le Préfet souhaite la bienvenue aux représentants de Meurthe-et- Moselle. Parmi eux, nous remarquons encore MM. Florentin, Schertzer, Jambois, Courtois, Masson, Méquillet, de Langenbagen, en tenue de commandant d'artillerie; Bonnette, Tourtel, etc.
M. le docteur Chapuis est très entouré.
- La campagne vous rappelle celle de 1870 ? lui demande-t-on.
- Oui, j'avais vu déjà le siège de Toul ; mais dans d'autres conditions, répond l'honorable sénateur.
M. Méquillet se félicite aussi de la situation de Lunéville, qui s'est améliorée sensiblement. Les secteurs de Blâmont et de Cirey restent seuls livrés à l'occupation allemande ; mais, il faut l'espérer, pour un temps très court.
M. de Ludre conte les incidents, les anecdotes par lesquels est marquée la vie qu'il mène dans les camps.
La salle des séances a été entièrement remise à neuf. L'installation électrique sera plus tard complétée par la pose d'un lustre. Les écussons des principales villes de Lorraine éclatent en couleurs vives sur leurs écussons d'or. Les fauteuils semblent sortir du magasin et détachent leur moleskine grenat semée de clous dorés sur le fond laiteux des boiseries aux ornements- légers, aux cadres fleuris de fines sculptures.
Peu de monde dans la tribune réservée au public.
Le buste de la République - en plâtre et conforme aux modèles officiels - sourirait certainement avec plus de majesté dans le marbre.
La séance
La séance est ouverte à 10 heures et demie, sous la présidence de M. Bonnette, doyen d'âge, ayant à sa droite M. Humbert, secrétaire, et M. Mirman, à sa gauche.
M. Bonnette prononce une courte allocution. Il ne s'attendait pas à occuper le fauteuil présidentiel ; il espérait que M. Albert Lebrun, retenu par ses obligations militaires, accepterait le grand honneur dont il se juge indigne.
M. Masson demande qu'en raison des circonstances les pouvoirs du bureau soient maintenus. M. Chapuis appuie cette proposition en disant que le bureau ne siégera que provisoirement puisque le « quorum » n'est pas atteint.
M. Florentin préside ensuite.
Il demande à ses collègues de saluer les armées alliées qui combattent avec tant d'ardeur ; il salue spécialement ceux de ses collègues qui sont mobilisés ; il rend hommage au patriotisme des héros glorieusement tombés en défendant le sol sacré de la Patrie.
« Soyez pénétrés que nous gardons une inaltérable et profonde reconnaissance à ceux qui combattent et qui se sacrifient pour un idéal de liberté et de justice. »
M. Florentin souhaite une cordiale bienvenue au préfet que précède, dans notre région, une haute réputation d'administrateur intelligent, actif et dévoué.
Il remercie enfin ses collègues qui l'honorent de leur confiance et qui lui rendront sa tâche agréable et facile.
Discours de M. Mirman
M. le Préfet se lève à son tour. Il indique de quelle façon il comprend son devoir. Il faut avant tout maintenir l'énergie nationale. La victoire ne dépend pas exclusivement de l'action militaire. L'autorité éclairée des chefs, la vaillance des soldats, la valeur des services administratifs ne suffisent pas. La partie non armée de chaque nation assume une tâche non glorieuse, certes, mais pourtant essentielle. On doit opposer aux conséquences économiques du conflit une résistance que rien n'ébranlera.
Pour cela, quatre conditions s'imposent. Considérons d'abord comme des amis ceux qui gardent les yeux fixés sur le drapeau ; puis, ayons pleine et entière confiance dans la victoire, dans le succès de notre croisade contre les barbares. La bonne humeur dans la discipline est aussi une qualité nécessaire ; qu'il s'agisse des services postaux, de la circulation, des ravitaillements, les hommes qui ne songeraient qu'aux satisfactions dont les citoyens sont privés aujourd'hui, prépareraient un peuple aigri et las.
« Enfin, la vaillance française doit s'affirmer surtout par le travail, ajoute M. Mirman. Mes collaborateurs et moi, nous nous emploierons à favoriser l'essor des affaires ; nous aiderons les réfugiés ; nous veillerons à tout ce qui concerne la protection de l'hygiène et de la santé publiques, nous faciliterons le retour au foyer communal, nous viendrons en aide aux misères dans la mesure compatible avec le souci de ménager les ressources du Trésor.
« Je connais la sage méthode à laquelle, messieurs, vous vous êtes soumis. Inspirés des mêmes sentiments, l'assemblée départementale et le préfet n'auront aucune peine à unir leurs efforts pour augmenter l'efficacité de l'oeuvre administrative. »
M. Mirman conclut en disant que ce sera l'honneur de sa vie d'avoir été appelé à son poste dans les heures magnifiques et douloureuses que traverse la Lorraine.
Une lettre de M. Lebrun
M. le Préfet lit ensuite la lettre suivante de M. Albert Lebrun :
« J'aurais été très heureux, mon cher Préfet, de vous souhaiter de vive voix la bienvenue dans notre cher département, et de vous remercier au nom de nos populations tant éprouvées, de tout ce que vous avez déjà fait pour elles dans ces semaines tragiques. Mais, comme vous le redoutez vous-même, je crains de ne pouvoir me rendre à Nancy à la date du 6 novembre prochain.
Si modeste que soit ma part dans l'immense effort qu'accomplit en ce moment notre armée, je lui subordonne tout à cette heure.
Et puis - pourquoi ne pas vous le confier - la torture morale que j'éprouve, et que je vous remercie de partager avec moi, à sentir encore occupée par l'ennemi la région que je représente au Conseil, ne me laisserait pas la sérénité d'esprit nécessaire pour occuper en ce moment le siège que je dois à sa confiance et je laisse à mes collègues plus heureux que moi le soin de délibérer sur les affaires urgentes que vous leur aurez soumises. Leurs décisions, où ne seront pas oubliés les intérêts éventuels des régions non encore libérées, ont par avance mon plein assentiment.
Si donc je ne puis être au milieu d'eux le 6 novembre prochain, je vous prie de leur porter et de recevoir pour vous-même l'expression renouvelée de ma plus vive et cordiale sympathie, et donnons-nous tous rendez-vous dans cette même salle de nos réunions aux jours heureux où s'y délibéreront les affaires d'un département rénové et restitué dans ses limites d'autrefois. »
(Applaudissements.)
Des lettres d'excuses ont été également envoyées par MM. le commandant Larcher, de Wendel, Louis Marin. Albert Denis et Messier.
M. Jambois propose une méthode de travail dans le sein des commissions, qui est unanimement adoptée, et le renvoi de la séance publique a lieu.
Le Conseil général se réunira dans l'après-midi, à quinze heures.
Questions diverses
La séance de l'après-midi présente la même physionomie que celle du matin.
Parmi ses collègues, M. Voirin, de Baccarat, a pris possession de son siège.
Sur les tables est distribué le rapport de M. le Préfet, avec le supplément qu'il comporte pour cette session et le rôle des affaires soumises à l'assemblée départementale.
La séance est ouverte à 15 heures 15. Elle est présidée par M. Florentin, un des vice-présidents.
M. Jambois a la parole.
Il demande que le budget soit voté en bloc ; il se solde par un excédent. Lecture sera donnée des affaires Comportant un vote de crédits ; celles qui ne présentent aucun caractère d'urgence, dit-il, seront renvoyées à la prochaine session.
La proposition est adoptée.
Une seule considération aurait pu arrêter le conseil général dans la décision qu'il vient de prendre, c'est le vote des allocations et secours aux populations éprouvées par la guerre. Mais M. Jambois a confiance qu'en cette matière satisfaction sera accordée aux intéressés et que le département, selon sa propre expression, se montrera patriote et lorrain.
La nomenclature des affaires est lue ensuite. Les subventions demandées pour les élèves de diverses écoles et institutions sont votées sans observations ni discussions.
MM. Courtois, Jambois et Tourtel sont désignés pour constituer la commission départementale des retraites.
Divers voeux sont renvoyés à la session du mois d'avril.
La foire de Spincourt est supprimée. On adopte les conclusions relatives aux forêts communales de Fontenoy, à la fondation Chevandier, de Cirey, à la pêche fluviale.
M. Méquillet insiste sur le renvoi de tous les voeux à la session, d'avril. Certaines questions, celles qui, entre autres, concernent les travailleurs militaires, se présenteront alors sous un aspect tout nouveau.
La création éventuelle de deux nouvelles foires à Pont-à-Mousson manque également d'urgence ; elle peut attendre quatre ou cinq mois une solution. De même, les chemins de fer d'intérêt local de Lunéville à Blâmont et Cirey, les tramways, etc.
L'entretien des routes
La commission départementale obtient pleins pouvoirs pour trancher certaines affaires en suspens, à l'étude ou qui viendraient à se produire.
Une somme de 2.250 francs sera rendue à la commune de Mercy-le-Bas pour la construction de caniveaux pavés.
Avis favorable est donné aux demandes des communes pour le remboursement de sommes qu'elles ont dépensées pour l'entretien des chemins vicinaux.
Un projet de règlement pour la protection de la voie publique est ajourné en raison des circonstances actuelles jusqu'au moment où la circulation sur les voies aura repris son cours normal.
M. de Langenhagen demande que les matériaux déposés sur les côtés de nos routes nationales et départementales soient à bref délai répandus. L'outillage et le personnel pourraient être mis par l'autorité militaire à la disposition des services des ponts et chaussées.
M. le Préfet s'engage à se faire l'interprète de ce voeu auquel M. Florentin s'associe en demandant que l'administration militaire accorde aux cantonniers et agents voyers l'autorisation de circuler à bicyclette plus librement sur les routes.
La proposition de rachat des tramways suburbains est renvoyée à la prochaine session.
M. Courtois demande que la batellerie facilite dans une large mesure les transactions commerciales.
Le conseil étudie la situation financière de l'asile d'aliénés de Maréville. MM. de Langenhagen et Jambois échangent à ce sujet de fort judicieuses observations ; M. le préfet déclare qu'il y a intérêt à ce que le conseil ait sous les yeux les moyens d'apprécier exactement les conditions qui sont faites en France à la gestion des autres asiles : le prix de 1 fr. 05 par malade est purement artificiel et ne correspond à aucune réalité.
- Je constituerai un dossier, ajoute M. Mirman, qui vous éclairera sur ce point. »
Sont classées dans l'ordre suivant les communes où seront construits des édifices ou groupes scolaires : Bayon, Villermont, Villerupt, Audun-le-Roman, Domèvre-en-Haye, Saint-Max, Grimonviller, Pagney-devant-Barine, Essey-les-Nancy, Labry, Valleroy, Vandoeuvre.
M. Jambois suggère à M. le préfet une démarche auprès de l'autorité militaire pour désaffecter l'ambulance établie à l'école normale d'institutrices, car les élèves de cette école normale préparent le recrutement d'un personnel enseignant dont le besoin se fera sentir à la fin de la guerre.
M. le préfet a devancé le désir de M. Jambois ; il est vraisemblable que satisfaction sera donnée à brève échéance.
On s'occupe des ravitaillements
La création de magasins centraux d'approvisionnements hors du camp retranché de Toul pour ravitailler les communes voisines de cette place forte motive une intervention de M. le docteur Chapuis.
A son tour, M. Méquillet appelle l'attention de ses collègues sur les difficultés rencontrées par les communes de l'arrondissement de Lunéville pour l'achat de farines.
Certaines d'entre elles ont été rationnées à 125 grammes de pain quotidiens. Il semble à M. Méquillet que la chambre de commerce devrait se préoccuper de la question et des précautions qu'il importe encore de prendre en vue de conjurer la crise actuelle.
M. Tourtel assure qu'à la réunion de la chambre de commerce, demain, il soumettra la question à ses collègues.
M, de Langenhagen dit qu'il serait désirable que les machines à battre susceptibles de se déplacer fussent envoyées dans les communes où elles rendraient service aux agriculteurs ; il faudrait créer un ser,vice public, mobiliser le personnel et les batteuses mécaniques, fournir enfin l'essence aux moteurs. On obtiendrait un résultat efficace et certain ; il y aurait assez de grain pour les moulins qui fourniraient dès lors en assez grandes quantités la farine nécessaire à l'alimentation.
Sur ces deux points, M. le préfet donne des explications.
Il dit qu'au début des hostilités le stock local de froment était faible. On s'est vu obligé de demander du grain aux communes qui en possédaient et que cette condition les a obligées d'en livrer; cette
mesure a donc produit d'heureux résultats.
Plusieurs localités sont dans une situation précaire au point de vue du battage ; mais la solution de ce desideratum dépendra surtout de l'administration militaire- qui examinera l'opportunité de délivrer un nombre plus ou moins grand de permis.
En ce qui concerne le rôle des chambres de commerce, M. le préfet a sollicité celle de Nancy ; il l'a priée de collaborer activement au ravitaillement. Aucune suite n'a été donnée à ses démarches : « J'insisterai pour la prise en considération du voeu, messieurs, que vous venez d'émettre.» La municipalité de Nancy a déployé une utile initiative, un zèle laborieux pour son propre ravitaillement et pour celui de nombreuses communes dans la région ; mais elle se trouverait aux prises avec de sérieuses difficultés si le rôle qu'elle a accepté, dans des circonstances exceptionnelles, lui était imposé pendant un longtemps encore.
M. de Langenhagen rend hommage au rôle précédemment rempli par la Chambre de commerce qui, il en est certain, restera digne de ce qu'attendent d'elle les populations lorraines.
Le Bulletin des communes, sur une demande de M. le docteur Chapuis, devrait être expédié dans toutes les localités, afin d'y apporter sur les événements actuels les nouvelles que les journaux ont cessé de leur communiquer.
Les rapports sur l'augmentation de la taxe sur les chiens dans les communes de Frolois, Homécourt et Tomblaine, sont approuvés.
Le chiffre de 54 fixé l'an dernier pour les centimes additionnels et extraordinaires sera maintenu en 1915.
La péréquation de l'impôt foncier
La réforme concernant la péréquation de l'impôt foncier sera-t-elle appliquée immédiatement ou dans le délai de dix ans accordé par la loi ? Le conseil général de Meurthe-et-Moselle s'est déclaré partisan de l'application immédiate, sur la proposition de M. Louis Marin ; or, celui-ci vient de télégraphier au préfet pour qu'il retienne l'attention de ses collègues sur ce fait qu'en raison des ravages, des ruines, des destructions causés par la guerre, il y a lieu d'étendre le délai et de choisir une solution transactionnelle que la loi met à la disposition de l'assemblée départementale.
S'il avait connu plus tôt les intentions nouvelles de M. Louis Marin et ses récentes propositions, M. Jambois aurait étudié encore la question ; mais il persiste à penser, d'après l'avis de personnalités compétentes, qu'il vaut mieux appliquer la réforme en une seule fois.
L'assemblée, à la majorité, se range à son opinion.
Le projet de budget, exposé par M. Jambois, est ainsi établi :
Recettes. 5.977.008 fr. 29
Dépenses 5.953 842 fr. 97
Excédent de recettes. 23.165 fr. 32
Les familles des mobilisés
Avant de lever la séance, M. de Langenhagen envisage les moyens à employer pour réparer les désastres causés par la guerre.
Il est bon de rassurer les sinistrés, surtout les territoriaux, qui souffrent d'un pareil état de choses.
M. le Préfet répond qu'il n'a point qualité pour dire comment seront répartis les indemnités et les crédits votés en faveur des victimes de la guerre. Il est incontestable que des propriétaires, non mobilisés, auraient pu entreprendre des réparations partielles ; ils ne l'ont pas fait. Pourquoi ? Ils n'ont aucune excuse à leur inaction'; ils ont prétendu qu'on leur marchanderait un secours quand les commissions estimeraient les dégâts, les préjudices qu'ils ont subis.
« Je les ai dissuadés : je leur ai montré qu'au contraire ils seraient victimes de leur négligence et que les indemnités ne paieront point les déprédations occasionnées par la mauvaise saison.
« Soit qu'ils servent sous les drapeaux, soit qu'ils n'aient pu donner d'instructions pour les réparations nécessaires, les propriétaires ne sauraient en être punis. » M. le Préfet insiste pour que ces braves gens n'aient aucune inquiétude pour l'avenir.
De nombreux cas sont cités par M. de Langenhagen, qui pose une question intéressante au sujet des allocations versées aux familles des territoriaux. Il semble que certaines faveurs soient parfois accordées. A quel sentiment a-t-on obéi ? On signalé des différences de traitement qui produisent un effet désastreux.
M. Méquillet cite, par exemple, plusieurs cas où l'application des allocations dépend un peu trop du sentiment particulier qui domine dans telle commission cantonale ou dans telle autre.
Des familles ayant six ou huit enfants toucheraient une allocation supérieure au salaire du père - qui est à l'armée.
MM. Jambois et Chapuis réclament une sollicitude plus équitable à l'égard des pauvres. Il faut appliquer, la loi ici comme on l'applique en d'autres régions, notamment dans le Midi.
M. le Préfet précise la pensée du législateur. Les décisions des commissions ont varié d'un canton à l'autre ; mais elles sont malheureusement sans appel. On ne peut contester qu'en mainte circonstance les commissions ont abusé du droit de réduire les majorations, quoiqu'elles doivent scrupuleusement tenir compte des ressources dont les familles disposent.
« On se plaint moins, dit-il, de la parcimonie qu'on ne critique les inégalités de la jurisprudence. Des erreurs ont été commises. Dans plusieurs cas, des situations ont été modifiées par les événements, par la saison, par la prolongation de la crise ; il ne serait donc pas contradictoire d'accorder aujourd'hui ce qu'on a refusé il y a trois mois.
« Nous allons prendre sans retard des mesures pour faire disparaître les abus et pour commencer les enquêtes nécessaires en vue de soulager les misères. »
Après quelques paroles de remerciements prononcées par M. de Langenhagen, une question relative à la rétroactivité de la loi est posée par M. Schertzer.
Sur ce point, M. le Préfet annonce que la rétroactivité ne peut s'exercer qu'au profit de personnes ignorant la loi ou résidant dans une localité occupée par l'ennemi.
En réponse à une question de M. Humbert, le préfet ajoute qu'au jour où les populations de l'arrondissement de Briey seront délivrées des Allemands, il se précipitera vers elles pour leur prodiguer les secours que le gouvernement s'empressera de leur distribuer.
M. Florentin, avant de clore la session, remercie ses collègues et M. le Préfet de Meurthe-et-Moselle. Celui-ci, à son tour, déclare qu'il ne saurait exprimer de voeu plus patriotique ni plus éloquent que celui de M. Albert Lebrun :
- Rendez-vous dans cette même salle pour y délibérer les affaires d'un département rénové et restitué dans ses limites d'autrefois. »
La séance est levée à 18 heures.
LUDOVIC CHAVE.
LE SERGENT MAGINOT
Médaillé militaire
BORDEAUX, 8 novembre. - M. Millerand, ministre de la guerre, a télégraphié de Verdun, qu'il vient de visiter, à M. Poincaré pour lui signaler qu'il a prié M. le gouverneur de Verdun de transmettre les félicitations de M. le président de la République et les siennes au sergent Maginot, qui vient d'être décoré de la médaille militaire pour sa belle conduite devant l'ennemi, et pour la part qu'il a prise à l'enlèvement d'un bois et de deux villages au nord de Verdun.
Le sergent Maginot n'est autre que le député de la Meuse, ancien sous-secrétaire, d'Etat à la guerre.
OCCUPATION ALLEMANDE
A JOEUF-HOMECOURT
Nancy, 8 novembre.
Pour rassurer nos nombreux correspondants privés des nouvelles de la région frontière de Briey, nous sommes heureusement informé que l'occupation allemande, à Joeuf et à Homécourt, a respecté jusqu'à présent les biens et la vie des habitants.
On ne signale aucun des incidents scandaleux, des actes criminels d'incendie, de pillage ou d'atrocité qui ont marqué le passage en Lorraine de la horde barbare.
L'administration allemande s'est, en diverses circonstances, substituée à la nôtre, notamment pour la gestion des affaires municipales et pour la réglementation de l'enseignement dans les écoles.
Les habitants ont, nous assure-t-on, toute liberté pour évacuer le pays à leurs risques et périls ; mais ils courraient tellement de risques en traversant les lignes, qu'ils attendent. C'est du moins ce que dit une lettre qui nous a été communiquée.
EXODE DE
LORRAINS ANNEXÉS
Nancy, 8 novembre.
Samedi, 31 octobre, vers 4 heures du soir, de grands chars villageois, chargés de femmes, de vieillards et d'enfants - et aussi de quelques hardes - arrivaient à Nancy, escortés par quelques gendarmes. Quelques hommes, plus valides, suivaient ce convoi, à pied.
tous ces braves gens étaient des habitants de trois villages annexés des bords de la Seille, dont Ajoncourt, que les Français avaient évacués sur Nancy.
Et cette évacuation prouve tout au moins que, cette fois, nous y sommes pour de bon de l'autre côté de l'ancienne frontière !
Un bon vieux paysan lorrain restait radieux, malgré le triste exode.
- Ils m'ont tout brûlé avant de partir, disait-il, en parlant des Allemands, mais je suis content ! Quand j'y retournerai, je ne les y verrai plus.
LA GUERRE EN LORRAINE
Le Cimetière de Frescati
Sur la Meurthe
Déployez une carte. De Dombasle à Lunéville, la Meurthe, vers le sud, décrit une courbe dont la route nationale réunit les extrémités par une ligne presque droite. Un arc tendu et sa corde. Une espèce de carapace à l'envers. La forêt de Vitrimont emplit cet espace traversé de sentiers, coupé de ravins, hérissé de broussailles, balafré d'une ornière où coule tranquillement le ruisseau de Clos-Prés.
La forêt de Vitrimont est sinistre. Elle sent le massacre. Elle dégage une horreur farouche. La mitraille française s'est acharnée sur ceux qui y cherchaient un refuge et qui n'y trouvèrent que la mort.
La bataille a duré longtemps. Dans la nuit du samedi 22 août, trois explosions annonçaient la destruction des viaducs jetés sur la rivière, de Mont à Blainville. Les hostilités ne cessèrent que le 10 septembre, après trois semaines de terrible carnage.
On commence à apprendre les épisodes principaux de ces luttes. Certain jour, une division bavaroise franchit la Meurthe, entre Damelevières et Rosières, sur des ponts hâtivement construits.
L'ennemi rassemble ses masses profondes avant l'escalade des hauteurs de Saffais. Il manoeuvre avec confiance. Avions et patrouilles n'ont rien signalé de suspect ; ils sont revenus sans incidents de leurs explorations ; ils n'ont aperçu nulle part nos uniformes ; ils ignorent que l'artillerie opère un grand mouvement qui amènera ses pièces au sommet du plateau.
Soudain le tonnerre éclate. Une pluie d'obus anéantit les ponts. Retraite impossible. Hommes et chevaux tombent sous un ouragan de fer. Panique. On compte par centaines les casques à pointe dans les bois.
De Hudiviller à Vitrimont
D'autres batailles se sont déroulées au nord de la forêt, depuis Dombasle jusqu'au village en ruines de Vitrimont. Nos régiments ont soutenu là un choc épouvantable ; ils ont vécu dans un enfer, dont le souffle a consumé successivement les fermes de Léomont, de Frescati et de la Faisanderie, qui marquent sur la carte un cimetière triangulaire où l'on ne pénètre qu'en frissonnant.
A partir d'Hudiviller, la route, déjà, présente un aspect tragique. Des platanes énormes sont fauchés, atteints parfois en plein tronc par un obus qui a transporté leur cime dans les champs voisins comme un enfant, qui y jetterait un bouquet ; les fils du télégraphe pendent comme une chevelure ; les, houblonnières ont penché sous la tempête dont elles indiquent la direction, comme en Provence les oliviers inclinés sous le mistral.
A droite, à gauche, des trous profonds d obus dans le sol. Les talus sont coupés par une ruelle étroite qui tourne brusquement et conduit dans les tranchées.
Hudiviller se tient à l'écart du mouvement intense d'automobiles qui, pendant la belle saison emplit de poussière les rares maisons et les deux cabarets bordant la route.
Le village a peu souffert. Pour l'instant, des territoriaux l'occupent. Un poste arrête au passage les voitures et réclame les sauf-conduits. Des soldats couchent dans les granges, dont plusieurs n'ont plus de toit et ils s'accommodent au pis aller de leur cantonnement.
Plus loin, dans un creux de vallon, Anthelupt abrite sa tranquillité derrière le vedoyant rideau des jardins : ses fumées montent vers le ciel toutes droites ; son clocher érige une flèche intacte au-dessus d'une demi-douzaine d'habitations à moitié démolies par les ricochets, les hasards méchants du combat, les projectiles, venus on ne sait d'où, qui frappent à tort et à travers.
La cible était toute proche. Elle s'appelle Léomont. Elle garde son nom ; mais rien n'existe plus de la ferme qui dominait en cet endroit un mamelon d'où la vue embrassait au loin l'incomparable horizon de bois, de villages, le panorama tout imprégné de charme discret ou mélancolique de la terre lorraine.
A travers les ruines
Les canons allemands convoitaient Léomont. Nos canons voulaient garder la position. Querelle d'artillerie. Les fantassins s'en mêlèrent. Des deux côtés l'acharnement fut farouche. L'agonie de cette ferme dura dix jours ; sa chute eut le fracas d'une catastrophe. Ceux qui l'avaient à tour de rôle possédée avec une âpre et voluptueuse jalousie, tombèrent comme elle ; leurs tombes s'alignent auprès de ses ruines.
Un cultivateur, M. Bazin, me guida avec mon sympathique confrère René Lebaut, du « Journal », sur le champ de bataille. Le brave homme est un des sept ou huit êtres vivants qui occupent Vitrimont. Il documenta notre promenade. Par lui, j'ai connu les détails de cette rencontre où des titans s'abordèrent et la visite du cimetière de Frescati m'a laissé dans le coeur une impression qui ne s'effacera jamais.
Le spectacle de Vitrimont a été maintes fois décrit. Le squelette du clocher, l'innombrable écroulement des murs criblés d'obus, noircis par l'incendie, l'amas des décombres où persiste encore une odeur de pourriture, les greniers du château éventrés par les explosions, tout cela représente un tableau de massacre et d'horreur.
Quelle surprise de pénétrer, au château, dans une salle épargnée par le fléau !
Deux femmes, la mère et la fille, cousaient près de la fenêtre, aux solides barreaux ; elles tournèrent à. peine la tète pour saluer notre entrée par un souhait de bienvenue. Le décor avait la rustique simplicité des existences qui se sont succédé là depuis plusieurs siècles. On lit encore sur la cheminée une inscription, latine et une date qui rappellent qu'en 1767 cette maison a été en partie reconstruite par les seigneurs de Vitrimont
- Les Allemands sont restés dans le pays pendant trente-deux heures, annonce l'hôtesse, qui dut compter ces heures-là, minute par minute, en proie à une anxiété, à une épouvante indicibles.
- Oui, monsieur, trente-deux heures leur ont suffi pour saccager Vitrimont, pour le réduire à l'état où vous le voyez, une solitude, un désert. »
S'il faut en croire notre guide, on a arrangé ce désert, on a nettoyé cette solitude. Cadavres d'animaux enlevés, trous rebouchés, décombres mis en tas, toitures tant bien que mal réparées, une équipe d'ouvriers a déjà fait ce que M. Bazin appelle la toilette de Vitrimont.
Mettre un brin d'ordre dans le désastre, de la propreté dans un tel chaos, c'est une oeuvre capable d'abattre les plus beaux courages. Mais une constance héroïque anime cette Lorraine qui soigne en secret ses blessures, qui cache pudiquement ses deuils, qui essuie ses larmes silencieuses, qui accepte tous les sacrifices parce qu'au fond de son âme les traditions de la race s'épanouissent comme une fleur d'immortelle d'espérance :
- On viendra à bout de cette besogne. Mais dame ! il faudra beaucoup de temps, beaucoup de patience, constate M. Bazin »
La ferme des Quatre-Vents.
En sortant du village, un chemin conduit à gauche vers Léomont, à droite vers Frescati. Des arbres le bordent. Le terrain ondule mollement. On n'a pu faucher les avoines. Tant de troupes ont piétiné la moisson que le grain a germé et qu'une herbe déjà drue frémit aux souffles d'automne :
- J'habite à cent mètres la ferme des Quatre-Vents, nous dit M. Bazin. Un talus la cache à nos yeux. Entrons-y en passant. Elle était au centre de la bataille. Par-dessus mon toit, Léomont et Frescati ont échangé des boulets sans l'atteindre. On aperçoit seulement la trace de quelques balles sur la façade. Ah! j'ai eu de la chance, allez... Le quatrième jour, j'ai réussi à m'échapper. pendant une trêve des artilleries. »
La métairie des Quatre-Vents a été miraculeusement sauvée. Son propriétaire nous en ouvre les chambres coquettes et claires. Des enfants jouent. Le soleil tiède caresse leurs boucles blondes. Une sensation de bien-être honnête, une sécurité faite d'habitudes anciennes, de calme régularité, se répand dans le logis. Le rythme d'une batteuse mécanique emplit la grange voisine :
- Le colonel du 69e de ligne a été tué ici, nous dit M. Bazin. Un lieutenant-colonel, celui du même régiment, je crois, a été grièvement blessé au même endroit.
tenez ! sous le premier arbre que vous apercevez au
bout du bâtiment...
Nous voici de nouveau sur le théâtre de la bataille.
De longues fouilles sillonnent profondément la prairie. Nous ramassons un fil de cuivre souple qui reliait téléphoniquement les chefs et leurs hommes ; des paniers en osier servant au transport des projectiles allemands forment une sorte de barricade recouverte de mottes de gazon.
Et, comme nous admirons ces travaux de campagne :
- Vous verrez là-haut leurs terriers, monsieur. Une merveille. On y vivrait comme chez soi. Rien ne manque. Le dernier mot du confort moderne. Logement pour la troupe, salon pour les officiers, postes d'observation, cabine téléphonique, chambres de repos. Le tout, protégé de la pluie, du vent et des balles. »
Le Calvaire
Nous avançons-lentement. La glu des labours alourdit nos semelles. En marchant droit vers la crête, nous gravissons un sublime calvaire, où les drapeaux agités, d'un saint frisson, défièrent l'essaim d'abeilles qui bourdonnent, affolées, ivres de meurtre.
Pendant une halte, nous considérons la partie du champ de bataille déjà parcourue. En arrière, Vitrimont en ruines ; au bord de la route, un estaminet dont l'enseigne attirait cyclistes et charretiers. Singulière ironie, un panneau du T.C.F. annonce un « tournant dangereux ». Au fond du paysage, une tache blanche éclate dans la verdure, : c'est la Faisanderie, sans toiture, fenêtres béantes, écroulée, misérable.
Au sommet de notre belvédère, un immense horizon déroule ses tableaux changeants. Lunéville apparaît, étalée en nappes de maisons dans la vallée, estompant dans une brume légère la perspective des faubourgs qui reflètent leurs usines, leurs jardins aux clairs miroirs de la Meurthe et de la Vezouse.
Le canon gronde encore. On a appris le matin même qu'un raid de cavalerie avait repoussé l'ennemi vers Parroy. Les Boches, mécontents, reviennent à la charge. On se bat sur les bords de Sânon.
Notre guide cite l'un après l'autre les villages, dont le nom est entré dans l'histoire. De Maixe et Crévic jusqu'à Coincourt, tous ont subi les ravages, les criminelles atrocités de la barbarie. Einville-au- Jard présente un aspect lugubre.
- On est en plein cimetière, dit M. Bazin. »
L'étroit plateau où nous sommes, cet espace de cent pieds carrés foudroyé à bout portant par Léomont et la Faisanderie, fut arrosé d'un sang généreux.
Une pléiade de héros
Quatre régiments d'infanterie ont gravi ce calvaire : la 21e brigade (26e et 69e), puis les 58e et 61e fournis par le 15e corps. Les divisions de Fer et d'Acier ont justifié leur réputation. A côté des Lorrains tenaces, d'autres ont accompli sans défaillance leur devoir : Morvandiaux, Auvergnats, Champenois, Bretons ou Parisiens qui narguent le danger et chantent sous la mitraille.
Nos casernes, aux jours de fêtes, les renvoyaient par trains complets en permission dans leurs foyers. C'est là qu'ils ont puisé une foi ardente dans les destinées de la Patrie, c'est là qu'on attendra vainement le retour des meilleurs d'entre eux peut-être ; c'est là que les mères et les fiancées pleureront doucement après les nécessaires holocaustes.
Le 69e surtout a son compte de héros. Nous relevons sur les croix les noms de douze braves : Chaudron Henri, Coquelle Charles, Bontemps Emile, Bonchaux Robert, de Rizzio, Faillon Joseph, Fontanelle Lucien, Fossard Joseph, Gascard Daniel, Gerardot Léon, caporal, Tartrat Louis, plus un caporal, dont l'identité, faute de médaille, n'a pu être déterminée et qui porte le matricule 7071 - la date de l'Année Terrible.
Les employés du service municipal de la voirie à Lunéville s'acquittent avec un zèle pieux des inhumations. Ils placent les hommes côte à côte; alignés dans le repos comme ils le furent dans l'action ; ils n'ont fait que changer de tranchées. Les reconnaissances seront faciles. Aucune erreur à craindre. En attendant les témoignages d'une affection plus tendre, les victimes de la guerre dorment sous les fleurs qu'un respectueux patriotisme a déposées sur leur sépulture.
A quelques pas, une tombe anonyme rassemble la dépouille de treize Allemands tombés sur le plateau. Leur épitaphe est rédigée en ces termes : Hier ruh KF, Oberlt B Frank B F R 15 fü start den Heldentot am 26.8.14.
Avant d'abandonner leurs camarades, les Boches ont arrangé avec un certain goût ce rectangle de terre fraîche ; ils ont déposé là un casque enveloppé d'un manchon de toile écussonné d'un R rouge au-dessous d'une couronne ; puis, sûrs du culte qu'un glorieux sacrifice inspire toujours aux coeurs français, les incendiaires de Vitrimont, de Maixe et de Crévic ont fui le cimetière de Frescati.
Lugubre cimetière ! D'après le témoignage des fossoyeurs, presque aussi exact qu'une statistique et non moins éloquent, en tous cas, que le récit du combat, 1.500 à 1.800 hommes sont couchés là.
Sur le plateau
Une herbe maigre, des colchiques d'automne couvrent le sol jonché littéralement des tubes de fer que nos 75 envoyèrent par bordées pendant une dizaine de jours : on dirait des porte-bouquets vides, oubliés dans l'effroi d'une panique.
Les Allemands ont dû évacuer précipitamment la position. Les madriers qui supportaient leurs pièces gisent au bord des excavations où l'artillerie lourde s'abritait contre le tir de nos batteries.
Pêle-mêle, des débris de toute espèce sont ramassés par les enfants que la promesse d'une prime amène à Frescati : ceinturons, cartouchières, chargeurs, casques, képis, crosses brisées, sabres tordus, baïonnettes dont la rouille a la couleur du sang, corbeilles pour les obus, lambeaux d'étoffes, d'uniformes, pans de manteaux déchirés, havresacs, boîtes de conserves, gamelles, ustensiles de campement, morceaux de ferraille.
Des cadavres ont été précipités dans les fosses circulaires que les obus creusaient dans le champ. Une mince couche de terre étendait sur les corps un linceul d'où sortait par endroit un casque ou une botte.
C'est dans ces fosses que les services municipaux de Lunéville recherchent, comme dans une morgue sinistre, les victimes auxquelles on restitue le droit de reposer définitivement dans une concession où s'élèvera le monument du Souvenir - si les familles ne réclament point leur dépouille.
Cauchemar d'épouvante
Je ne sais quelle facétie macabre s'est avisée de confronter sur une tombe deux têtes qui se regardent fixement de leurs orbites vides. Les mâchoires grimacent affreusement. Les crânes ont la blancheur de l'ivoire. On dirait d'une exposition de pièces anatomiques, mais on dirait aussi qu'une sorte de férocité posthume, qu'une haine plus forte que la mort a libéré du sépulcre ces têtes au rictus tragique : Hamlet n'a pas connu ce cauchemar dans la nécropole d'Elseneur.
Je me souviens alors que, dans la forêt de Vitrimont, un sous-officier a découvert l'autre jour les cadavres encore debout d'un chasseur à pied et d'un Bavarois transpercés tous deux par leurs baïonnettes. Ils s'appuyaient contre un arbre qui maintenait en équilibre les adversaires tués ensemble dans ce duel implacable.
Un soldat a été inhumé avec son fourniment. Le sac a l'air d'être mis à plat sur le tertre ; mais on ne peut l'enlever, car les courroies passent sous l'aisselle du fantassin à peine recouvert.
Il faut rendre hommage aux dévouements qui organisent - s'il est permis d'employer cette expression - le cimetière de Frescati.
Non loin de ce lieu funèbre, la ferme Saint-Evre dresse ses pignons démantelés, ses clôtures où l'artillerie a percé des créneaux, des brèches énormes. Une résistance suprême a inondé de sang la cour silencieuse, morne, où les cris, les hurrahs, les salves, les gémissements, les appels, les explosions ont retenti pendant une dizaine de jours.
Notre guide nous saisit brusquement par le bras :
- Prenez garde ! Vous allez dégringoler dans leurs taupinières. »
Elles sont en effet invisibles, ces tranchées qui nous servirent de modèles et que nous avons si habilement perfectionnées. Elles échappent aux enquêtes aériennes des avions. Elles dessinent des redans, des ouvrages de fortifications que l'ennemi n'aborde qu'au prix de pertes cruelles.
Je m'y glisse en rampant. L'herbe a grandi très vite ; elle forme un matelas excellent pour une sieste pendant la canicule. Des étuis de cartouches, des fragments de journaux, des boîtes de conserves vides, une paire de semelles de liège, une tige de botte, voilà le maigre butin que nous y récoltons.
Le pèlerinage de Frescati est un de ceux que les Nancéiens devront faire souvent, car en visitant ce cimetière où dorment tant de héros, ils mesureront l'étendue des sacrifices par lesquels notre armée a épargné à la capitale lorraine les fureurs du bombardement et les humiliations de l'occupation allemande.
ACHILLE LIEGEOIS.
LE MAIRE-OTAGE
Dans l'Echo de Paris, M. Maurice Barrès raconte cette jolie anecdote, dont M. Keller, maire de Lunéville, fut le héros, le jour où les Allemands évacuèrent cette ville : « Enfin, les Allemands partirent. Et ce jour-là, pour une dernière fois, ils emmenèrent avec eux M. Keller qui devait leur servir de gage jusqu'à ce que le dernier de leurs soldats fut en sécurité.
« - Je marchais, comme d'habitude, au premier rang. A quelques kilomètres de la ville, le général me dit : « Monsieur le « maire, vous êtes libre, et je vous félicite de la dignité avec laquelle vous avez accompli votre devoir. » Il me tendit la main. Il fallut bien y mettre la mienne. Vous pouvez croire que je manquais d'élan. Ils m'ont laissé, là sur la route. Le temps était beau, je suis revenu à pied. En cheminant, qu'est-ce que je vois ? Deux soldats allemands entourés de femmes et d'enfants « Ils veulent être prisonniers », me dit-on. Ah ! non, gardez-vous du piège ! Qu'un civil fasse un acte de guerre, et les Prussiens reviendront nous fusiller et nous brûler. Je ne m'en mêle pas. « Mais au moins, dis-je à ces deux soldats, vous n'allez pas faire du mal à ces femmes et à ces enfants ? » - « Nous n'y pensons pas ! »
me répondirent-ils avec indignation. Et les enfants, les femmes me criaient : « Ils n'y pensent pas ». - Ma foi, dis-je embarrassé, je ne vous arrête pas, mais si vous voulez venir avec moi. »
« Et c'est ainsi que les bonnes gens de Lunéville, émerveillées, ont vu leur maire, qui était parti le matin, prisonnier des Prussiens, revenir, au soir, sa canne à la main, avec deux captifs. »
LES COMMUNES ÉPROUVÉES
Magnières. Le maire a été emmené comme otage le troisième jour de l'occupation. L'adjoint assure la vie administrative de la commune avec l'aide du curé.
Deux personnes ont été tuées par les Allemands.
25 maisons ont été brûlées ou détruites.
Vallois. - Le maire et l'adjoint ont quitté la commune au moment du danger.
2 victimes ont été asphyxiées dans leurs caves.
40 maisons ont été détruites.
Il a paru nécessaire de constituer une commission municipale pour s'occuper des affaires de la commune aux lieu et place d'une municipalité qui a perdu toute autorité. Cette commission est composée de MM. Méhu, conseiller municipal, resté courageusement à son poste pendant l'occupation ; Malglaive, Henry Léon, Antonot Constant, conseiller municipal.
Moncel. - En l'absence du maire, à l'armée, et considérant que M. Laurent, adjoint, n'est pas demeuré à son poste au moment du danger, il a paru nécessaire de nommer une commission municipale chargée d'assurer la vie administrative de la commune et composée comme suit : MM. Auguste Vichard, Courbière, Tonnelier, conseillers municipaux ; Paul Suisse, agriculteur.
Merviller. - 17 jours d'occupation. Pas de victimes. Dégâts matériels peu importants en dehors des actes ordinaires de pillage.
Vacqueville. - Même situation. Quelques rares maisons endommagées. Dans ces deux communes, le ravitaillement s'opère dans des conditions relativement satisfaisantes.
Pexonne. - L'ennemi a occupé la commune pendant trois semaines et le bombardement du 23 août a causé la mort de deux habitants ; trois autres sont assez sérieusement blessés. Un certain nombre de maisons ont été endommagées par les obus. La vie normale est à peu près reprise à Pexonne dont le ravitaillement se fait sans trop de difficultés. La poste a réinstallé ses services, et la rentrée des classes est faite.
Fenneviller. - Cette petite commune a été occupée pendant un mois ; le maire est demeuré à son poste. Sept maisons sont détruites, quelques autres assez sérieusement endommagées, mais on n'y compte fort heureusement aucune victime. Le ravitaillement en pain se fait régulièrement.
Neufmaisons. - A subi l'occupation allemande pendant vingt jours. Pas de victimes. Quelques maisons endommagées. La commune arrive à se ravitailler sans trop de difficultés. La rentrée des classes est faite.
Veney. - La petite commune de Veney, occupée pendant trois semaines, a eu trois maisons détruites et quelques immeubles endommagés par les obus. Le maire est bravement resté à son poste. Là, comme ailleurs, tout a été pillé.
Bertrichamps. - Cette commune, occupée pendant 18 jours, n'a pas subi de graves dommages en dehors des ordinaires pillages, mais on y déplore la perte d'une vie humaine, un vieillard de 70 ans a été tué par la balle d'un soldat allemand en état d'ivresse. La rentrée des classes est faite.
Le ravitaillement de la commune pour les denrées indispensables est relativement satisfaisant.
Nouvelle Offensive allemande
DANS LES FLANDRES
NOUVEL ÉCHEC
Échec aussi en Alsace
Bordeaux, 9 novembre, 16 heures.
A NOTRE AILE GAUCHE
Les Allemands ont repris à nouveau l'offensive.
Sur Dixmude et dans la région d'Ypres, particulièrement au sud-est de cette dernière ville, leurs attaques ont été repoussées partout.
En fin de journée, dans l'ensemble du front, entre Dixmude et la Lys, nous avons progressé sur la majeure partie des points.
Toutefois notre avance est lente en raison de l'offensive que l'ennemi prend de son côté et des organisations très sérieuses qu'il a déjà eu le temps de réaliser autour des points d'appui, depuis le commencement de la lutte.
Le brouillard a d'ailleurs rendu les opérations difficiles, surtout entre la Lys et l'Oise.
AU CENTRE
Sur l'Aisne, les progrès indiqués par les communiqués d'hier sont maintenus.
EN ARGONNE
En Argonne et autour de Verdun, simples actions de détail.
A NOTRE AILE DROITE
En Lorraine, rien à signaler.
En Alsace, de nouvelles attaques des Allemands contre les hauteurs de Sainte-Marie-aux-Mines, ont encore abouti pour eux à un échec marqué.
Bordeaux, 10 novembre, 7 heures.
Aucune modification dans la situation, en raison des difficultés qu'un brouillard intense crée aux opérations de quelque étendue.
Dans le nord, la journée a été bonne ; nous avons maintenu nos positions entre la Lys et Langemarck et sensiblement progressé entre Langemarck et Dixmude.
A PONT-A-MOUSSON
LES OBUS
Dimanche 8 novembre, vers minuit, sans doute pour terminer une soirée de libations, l'artillerie allemande a envoyé une salve de 105 sur Pont-à-Mousson. Les immeubles Husson, Moïse, Loewenbruck, Robinet ont reçu chacun un projectile.
Le sixième et dernier s'est adressé rue Saint-Laurent, faisant deux victimes, la tante, âgée de 20 ans, et son neveu, âgé de 4 ans, tous deux endormis dans le même lit.
POUR LE RAVITAILLEMENT
Le conseil des notables, dans sa dernière réunion, s'est ému de la situation déplorable faite aux commerçants de Pont-à-Mousson, ces derniers ne pouvant ni expédier, ni recevoir par voie ferrée, la compagnie de l'Est n'acceptant pas de postaux, pas plus que de messageries au delà de Frouard. D'autre part, le libre parcours de la route de Pont-à-Mousson à Nancy, presque impossible par commissionnaire, par raison d'ordre militaire, il s'ensuit que la plus grands partie du commerce mussipontain ne peut se ravitailler, au grand dommage de ses intérêts et de celui de la population. Une commission, composée de MM. Litzler, Patard, Poirot, Peltier, est désignée à l'effet d'étudier et résoudre si faire se peut la question. En tout premier lieu, cette commission a provoqué une réunion des commerçants à laquelle bon nombre a répondu. Une liste d'entente est déposée à la mairie. Ceux qui, empêchés, n'ont pu répondre et désireraient faire partie du groupement, devront sans retard joindre leur adhésion, car il s'agit, pour aboutir, de réunir les divers groupements de chargements pour wagons complets, lesquels seraient réquisitionnés par la municipalité.
DE BADONVILLER
A LA MARNE
Un de nos amis nous communique un récit gentiement mouvementé d'un Lorrain enthousiaste et gai, qui a commencé sa campagne à Badonviller, a continué sur la Marne et la poursuit très probablement à cette heure dans le nord de la France, ou vers les Flandres.
Voici la lettre avec son allure un peu gamine et si entraînante :
Ça va barder !
Je profite de l'occasion qui m'est offerte par le retour d'un ami de Cirey pour vous donner plus longuement que j'ai pu le faire jusqu'à présent, des nouvelles de ma campagne et aussi de ma santé.
Après avoir assisté aux combats de Badonviller, Montigny, Saint-Pôle du 10 août, Pexonne, nous avons laissé place à un autre corps pour prendre la vallée de Celles et le Donon, où nous avons tenu une huitaine de jours tête à des forces très supérieures. Ce n'est que le recul survenu vers Sarrebourg qui nous a forcés de reculer pour ne pas être coupés à l'arrière.
Nous avons démoli et anéanti une dizaine de batteries à Fréconrupt et à l'entrée de Schirmeck, tandis que les Boches nous faisaient entendre pour la première fois le bruit de leurs obusiers qui font plus de bruit que de mal. C'est en descendant le Donon que j'ai réellement reçu le baptême du feu, en arrière de la douane allemande ; l'éclatement à une cinquantaine de mètres d'une de leurs marmites m'a bien étonné un peu ; mais, deux secondes après, j'entonnais avec les camarades, le refrain : « Ça va barder, prépare ton matricule.. » que vous connaissez.
Une ligne célèbre
J'ai eu le plaisir d'embrasser encore mes parents, mon frère et G. la veille de l'arrivée de l'ennemi. Depuis, je suis sans nouvelles d'eux et je suis très inquiet.
Après toutes les atrocités consignées dans les journaux, et celles que j'ai pu constater de mes propres yeux, je suis inquiet, très inquiet. J'ai écrit de nombreuses fois, mais en vain. Nous avons nous-mêmes tiré sur Raon-sur-Plaine, et je ne sais trop ce que nous avons pu faire. Nous avons donc soutenu la retraite des chasseurs dans la vallée. Je n'ai quitté Raon que quelques heures avant l'arrivée des Allemands pour coucher à la Haute-Neuville, tandis que vers Baccarat on entendait sonner la charge à la baïonnette et que les obus allemands éclataient presque sur nos têtes. Cette ligne de la Meurthe entre Baccarat et Saint-Dié restera célèbre dans la mémoire des hommes, par les luttes qu'elle a vues pendant une dizaine de jours. Nous avons subi les assauts de cette horde sauvage, enragée et toujours nous avons tenu, perdant très peu de monde, tandis que nous leur en tuons chaque jour des milliers. Ah ! si nous avions eu comme eux de la grosse artillerie, rien n'aurait résisté à notre premier élan.
Toujours bien approvisionnés en vivres et en munitions, jusqu'ici, nous n'avons jamais manqué de rien. Le tabac même n'a guère manqué. L'entrain a toujours été merveilleux.
J'ai visité Rambervillers au moment du bombardement qu'elle a subi. Par les rues, seuls, des militaires calmes et rares, pas de civils. Partout un silence angoissant, et, toute proche, la voix saccadée et impérieuse de nos petits 75, et le bruit sourd des éclatements allemands.
Dans la Haute-Marne
Vers le 25 août, nous embarquions à Epinal pour une destination inconnue ; par Mirecourt, Sion, Toul, Sorcy. Nous arrivions un dimanche à une heure du matin, par un clair de lune superbe, à J..., en Haute-Marne. Pour le lendemain, commencer et soutenir un rude choc.
Quel amoncellement de cadavres, chers amis, quelle dévastation dans ces pays ayant été occupés Nous avancions pour la première fois et à pas de géants, et voyions ces hommes déchiquetés, étendus le long des routes, ces villages incendiés, brûlant encore et criant vengeance. Et cependant nous aidions malgré tout des blessés allemands à s'asseoir, se retourner, se dégager, et allions même jusqu'à leur donner à boire et à manger, en attendant m l'arrivée des infirmiers.
Certains nous remercient, les larmes aux yeux, réclamaient leur mère. D'autres conservaient leur face de brutes. Oh ! comme il fallait se retenir après avoir traversé des ruines fumantes, pour ne pas achever ce qui survivait de cette horde de sauvages.
C'est à M... que ce pauvre Wagner a trouvé une fin
glorieuse. Combien d'autres, hélas ! manqueront
encore à l'appel...
En deux jours, nous avons avancé de 50 kilomètres, poussant l'ennemi en déroute devant nous, faisant de nombreux prisonniers et rencontrant quantité de munitions abandonnées, de matériel et d'équipements.
Depuis une dizaine de jours, nous sommes sur nos positions, en face des Allemands, qui sont retranchés dans de puissantes tranchées où ils meurent de faim, et sont canardés par nos obus de temps à autre. Surtout de nuit ils tentent une sortie et sont exterminés ou prisonniers ; ils s'épuisent, sont mal ravitaillés, et c'est ainsi que cette armée qui devait prendre Paris en quelques jours trouvera une fin glorieuse peut-être, mais aussi certaine et complète.
Nous avons assez de blessés (fantassins et chasseurs à pied), mais peu de tués..
Mon groupe, trois batteries, 600 hommes, avons depuis le début de la campagne une dizaine de morts et une quinzaine de blessés.
A merveille !
Je suis secrétaire de l'approvisionnement, je touche les vivres aux convois de l'intendance, et les distribue aux batteries combattantes.
Tout cela fonctionne de façon merveilleuse, et nous sommes admirablement nourris, pain et viande fraîche depuis le début de la campagne, sans manquer un seul jour, quelquefois un léger retard à cause des phases de la bataille, mais très rarement.
Je serais le plus heureux des hommes et beaucoup seraient comme moi, si nous recevions beaucoup plus régulièrement des nouvelles des nôtres. La gaieté est générale et continue même dans les moments critiques, lorsque les obus pleuvent. Nous couchons continuellement dehors. C'est bien un peu dur, surtout lorsqu'il pleut, mais nous avons hâte d'avancer encore pour enlever aux tués allemands leurs tentes de campement qui sont excellentes.
Les gelées sont commencées et on ne peut pas toujours faire du feu, l'ennemi étant aux aguets. Cela fait que le matin les jambes sont un peu raides.
J'ai eu l'occasion d aller à C... et me suis muni de tricots, caleçons et vêtements chauds pour l'hiver, car la campagne est encore loin d'être terminée et ce n'est qu'entrés en Allemagne que nous la trouverons dure. Mais nous serons également durs.
Mon appartement a sans doute été soumis à un pillage général. Je vous demande seulement de recueillir dans une caisse mes cahiers et tous les papiers et livres que vous trouverez, même chiffonnés dans mon bureau, ainsi que mon album photo.
Le reste est sacrifié de grand coeur pour la patrie.
Vive la France ! A. M.
FURIEUSES ATTAQUES AU SUD D'YPRES
C'est encore un échec allemand
Bordeaux, 10 novembre, 10 h. 20.
L'action a continué, hier, pendant toute la journée, avec la même intensité que précédemment, entre la mer et la région d'Armentières.
Le choc a été d'autant plus violent que les forces opposées agissaient, de part et d'autre, offensivement
Dans l'ensemble, la journée a été marquée par l'échec d'une attaque allemande, en forces considérables, dirigées au sud d'Ypres et par des progrès sensibles des forces françaises autour de Bixschoote et entre Ypres et Armentières.
Sur le front des troupes britanniques également, toutes les attaques allemandes ont été énergiquement repoussées.
Sur la majeure partie du front, depuis le canal de La Bassée jusqu'à la Woëvre, nos troupes ont consolidé les résultats acquis au cours des dernières journées.
A signaler pourtant notre progression dans la région de Loivre (entre Reims et Berry-au Bac). -
En Lorraine, rien à signaler.
Dans les Vosges, de nouvelles attaques ennemies contre les hauteurs au sud de Sainte-Marie et au sud-est de Thann, ont été repoussées.
Bordeaux, 11 novembre, 7 heures.
Au Nord, la bataille continue très violente.
Sur le reste du front, rien à signaler.
Au PLATEAU d'AMANCE
NANCY DÉLIVRÉE
Trois semaines sous les obus
LE RÉCIT D'UN TÉMOIN
La défense du Grand-Couronné de Nancy restera, parmi les glorieux épisodes de la guerre en Lorraine, comme une page d'héroïsme. Rien de plus simple, rien de plus sublime. Pendant un mois, les ouvrages en quelque sorte improvisés à la veille de la mobilisation ont tenu en respect les forces ennemies sans cesse accrues, constamment renouvelées à mesure que nos coups infligeaient à l'adversaire les plus terribles échecs.
Le temps a passé. Les dispositions adoptées par nos officiers se sont profondément modifiées. Les conditions d'une reprise éventuelle des hostilités sur le même point différeraient totalement de celles que nous jugeons utile de noter sans nul inconvénient ni danger pour l'avenir.
Dès le 20 août, la ...e batterie du ...e régiment d'artillerie occupait le plateau d'Amance, à dix kilomètres environ de Nancy, quand, vers onze heures et demie, l'observatoire central du capitaine Clavaud signala un important convoi ayant franchi la frontière à la ferme de Romont, entre les villages de Moncel et de Brin-sur-Seille.
Amance tire son premier coup de canon.
Une semaine s'écoula. Un mouvement se dessinait dans la région de Chambrey. Les Allemands débarquaient en masse à la gare internationale de cette localité. Un torrent d'hommes, de chevaux envahit la rive droite de la Seille, débordant de Pettoncourt à Bioncourt ; ils franchirent la rivière sur le pont même où, le 22 septembre 1912, S.A.I. la grande-duchesse Nicolas de Russie vient s'accouder un instant pour un salut aux pays annexés.
En arrière, sur Gremecey, on distinguait au loin les casques à pointe.
Le tir d'Amance contraria l'action ennemie pendant deux jours ; il fallut, dans la journée du 29, ouvrir de nouveau le feu sur la ferme de Romont, où se préparait une vigoureuse offensive. Les Allemands battirent en retraite.
La mise au point des pièces occupa la batterie pendant la trêve du lendemain.
On s'attendait à une attaque générale.
Mais, soit en raison du brouillard, soit en raison des travaux auxquels se livrait l'armée allemande, un calme complet régna jusqu'au vendredi 4 septembre.
Ce jour-là, un taube, parti de Metz, survola Nancy et jeta sur la Cathédrale, une bombe qui fit trois victimes sur le parvis.
Les Boches avaient bien employé leur temps. L'artillerie lourde s'était établie à la ferme des Ervantes, à Rozebois, entre le bois de la Grande-Goutte et Sornéville, entre la ferme Saint-Jean et le bois Morel ; une cinquième batterie, enfin, se postait derrière les fours à chaux de Brin.
On découvrit dans la direction de Grémecey plusieurs canons dont les obus donnèrent bientôt le signal d'un formidable orage. Sous la protection de leurs pièces énormes, les Allemands atteignaient la forêt de Champenoux, quoique les deux principales routes d'accès - de Brin et de Moncel à Mazerulles - fussent sans relâche battues par les tirs foudroyants d'Amance.
Un drame sanglant s'est déroulé dans cette forêt de Champenoux. L'inflexible résistance de nos lignes, une lutte qui brisa tous les élans, toutes les téméraires entreprises de troupes supérieures en nombre, abritées dans leurs taupinières, pourvues de mitrailleuses ; une série de charges à la baïonnette ont jonché de milliers de cadavres le champ de bataille où le kaiser, confiant dans le succès, vint en personne assister à l'horrible écrasement de son armée.
Un témoin retrace ainsi les effets du bombardement : « La canonnade a duré sept jours et sept nuits, sans arrêt. Les coups se succèdent avec une extraordinaire rapidité. On s'abrite dans les broussailles, derrière une roche ; on s'aplatit sur le sol, dans l'attente d'un répit qui ne se produira jamais. Notre lieutenant fait momentanément évacuer la batterie. Les hommes se portent, l'un après l'autre, à la file indienne, vers le village d'Amance ; mais, repérés aussitôt par les avions et par les ballons captifs, notre entrée dans le village est saluée par une volée d'obus qui s'abattent sur les maisons avec un fracas épouvantable.
« La population est en proie à une frayeur folle. Elle se réfugie en hâte dans les caves. Elle fuit à travers champs. Des femmes pleurent. Les enfants crient. Rien ne peut enrayer la panique.
« Sur l'ordre du lieutenant Gauteret, nous nous dirigeons vers le cimetière. Courte délibération. Il faut gravir à revers le plateau afin de revenir à nos pièces. La pluie de projectiles redouble. Un véritable feu d'enfer. Enfin nous atteignons les tranchées des fantassins creusées en avant de notre batterie.
« Sauvés ! Non, un obus crève la tranchée. Quatre hommes sont frappés. On improvise une civière. En route pour l'ambulance d'Amance.
« La position devient critique. Le lieutenant décide alors que l'on gagnera, au nord-ouest, le plateau de la Rochette, quoique ce point n'offre guère plus de sécurité. La nuit vient. On couche dans les cantonnements de Moulins, un petit hameau que nous évacuons au point du jour.
« L'ordre de retourner aux pièces, de riposter aux Boches, coûte que coûte, nous trouve résolus, le 6 septembre, à une dépense de munitions qui jettera le trouble chez nos adversaires... »
Cependant, les villages de Bouxières-aux-Chênes et d'Ecuelle, détruits en partie, ne tardent pas à flamber. Les artilleurs n'abandonnent plus leurs pièces. Ils essuient sans broncher un déluge de feu. Pas de pertes, sauf un canon hors d'usage.
La journée du 8 septembre est celle que le kaiser, présent au combat, avait assignée à ses troupes victorieuses pour entrer triomphalement dans Nancy.
« L'infanterie ennemie débouche de la forêt de Champenoux, reprend le témoin de cet inoubliable spectacle. Fifres et musique en tête, elle s'avance. Elle approche des tranchées. Nos fantassins attendent, silencieux. Soudain, les tranchées se vident ; la ligne écarlate de nos uniformes se déploie. Une intense fusillade éclate ; les baïonnettes jaillissent du fourreau, la sonnerie de la charge rythme les bonds d'une irrésistible attaque ; des cris furieux déchirent l'air.
« Les Allemands cèdent ; ils se replient vers les bois ; mais leur retraite couvre de cadavres le terrain qu'ils abandonnent.
« On croyait suffisante cette leçon. Le kaiser juge nécessaires d'autres assauts. On recommence donc. Nos 75 font rage ; notre batterie de 155 tire sans discontinuer. Quelles rafales ! Près de nous, la ferme de Pleure-Fontaine s'écroule sous les shrapnells. Une vigoureuse offensive nous conduit jusqu'aux bois où l'ennemi s'est blotti, après tant de pertes, après la honte d'une si sanglante reculade, que Guillaume II s'éloigne et renonce à son projet d'entrée dans la capitale lorraine. »
La débâcle s'accentua le 10 septembre.
Il avait plu toute la nuit. A la faveur de l'orage, deux pièces allemandes avaient réussi à se rapprocher de nos lignes et à envoyer sur Nancy, pendant une heure et demie, une centaine d'obus.
Mais l'artillerie lourde manoeuvre avec peine sur le sol détrempé. Les pièces s'embourbent ; elles manquent de précision dans le réglage du tir. Il pleut toujours : excellente affaire pour nous !
Le plateau d'Amance prend une magnifique revanche.
Avec les jumelles, on aperçoit nettement l'effet des projectiles. Du matin jusqu'au soir, pendant la journée du 11, le bombardement poursuit la horde ; à 7 heures, un silence impressionnant succédait enfin aux fureurs de la bataille - et les artilleurs d'Amance goûtaient un repos héroïquement gagné.
Le surlendemain, la 11e batterie était relevée par des troupes fraîches.
C'est ainsi qu'un des ouvrages du Grand-Couronné de Nancy justifia les espérances et remplit la mission qui présageait la délivrance de Nancy.
Le capitaine Clavaud a été cité à l'ordre du jour de l'armée ; le lieutenant Cauteret s'est montré constamment digne d'éloges ; sous-officiers et canonniers, sous les ordres de chefs qui commandaient parfois en manches de chemises, à l'aise dans leur tâche comme des contremaîtres sur le chantier, ont bien mérité de la Patrie.
La capitale lorraine leur doit une éternelle reconnaissance et inscrira leurs noms sur le livre d'or de ceux qui ont combattu, et qui sont morts pour sa défense.
Ludovic CHAVE.
M. René VIVIANI
ET
M. Léon BOURGEOIS
en Meurthe-et-Moselle
M. René Viviani, président du Conseil, a visité mardi 10 et mercredi 11 novembre, le département de Meurthe-et-Moselle, accompagné de M. Léon Bourgeois, sénateur de la Marne et président du groupe parlementaire des départements victimes de la guerre.
MM. R. Viviani et L. Bourgeois se sont rendus d'abord à Toul où ils se sont longuement entretenus avec M. le sénateur Chapuis de la situation des habitants du camp retranché évacués au début de la mobilisation en diverses villes de France. Ils se sont ensuite rendus à Nancy, où M. le Préfet leur a présenté successivement M. le Maire, MM. les Adjoints et délégués aux services municipaux, M. le président Vilgrain et une délégation de la Chambre de commerce composée de MM. Bertrand-Oser, Buffet, Renaud, Simon, M. le président Jambois et une délégation du Comité de secours de Nancy, enfin les représentants de tous les journaux de Nancy auxquels s'étaient joints MM. Camppell et Lamure, du « Times », et Rogier, du « Petit Parisien ».
MM. Payelle, Maringer, Mollard et Paillot, président et membres de la commission d'enquête sur la violation du droit des gens, ont aussi salué M. le Président du Conseil.
Le lendemain, MM. René Viviani et Léon Bourgeois ont consacré toute la matinée à d'importantes conférences qu'ils ont eues avec M. le Maire de Nancy, une délégation de la Chambre de commerce et enfin une délégation du Comité de secours.
Au cours de cette conférence, M. le Préfet a exprimé les vives protestations de la presse de Nancy contre la suspension dont elle est victime depuis quelques jours, des dépêches de l'agence Havas, et M. le Président du Conseil a bien voulu télégraphier immédiatement à Bordeaux pour faire cesser cette mesure absolument injustifiée.
M. le Préfet a aussi fait connaître le grave préjudice que portait au commerce de la région le refus opposé dans de nombreuses villes de France de transmettre des télégrammes pour Nancy ; il a demandé de façon pressante, appuyé par toute la délégation de la Chambre de commerce que, en attendant que le télégraphe puisse être rendu normalement à la correspondance privée, un régime spécial soit fait aux télégrammes commerciaux sous la garantie des Chambres de commerce locales.
M. le Président du Conseil a bien voulu aussi, sur ce point, transmettre immédiatement à Bordeaux ce voeu dont il a reconnu et souligné l'importance.
MM. R. Viviani et Léon Bourgeois ont été vivement intéressés par le récit qui leur a été fait des initiatives prises par la Municipalité pour assurer le ravitaillement de la région ; ils ont félicité M. le Maire, de Nancy et ses collaborateurs de ces initiatives qui ont permis d'assurer de façon générale dans cette région des conditions de ravitaillement beaucoup plus favorables que dans la plupart des autres départements sinistrés. M. le Maire de Nancy a rendu témoignage de la collaboration si active et si cordiale qu'il a constamment trouvée auprès de la Préfecture de Meurthe-et-Moselle.
En ce qui concerne les allocations aux familles dont les soutiens sont sous les drapeaux, M. Mirman a soumis à M. le Président du Conseil une requête tendant à assimiler aux dites familles celles dont le soutien, sans être mobilisé, aurait été fait prisonnier ou fusillé par les Allemands ou aurait été victime d'accident de guerre. M. le Président du Conseil a promis que satisfaction serait donnée à cette requêta Diverses questions ont été ensuite traitées relatives à l'assistance aux réfugiés et à la réparation des désastres.
Après le déjeuner, M. le Président du Conseil et M. Léon Bourgeois se sont rendus à Lunéville, accompagnés de M. le Préfet, de M. Minier, sous-préfet, et de M. le député Méquillet. Ils ont été reçus à la mairie par M. Keller, entouré de ses adjoints et conseillers municipaux, et d'un grand nombre de personnes ayant au cours de l'occupation allemande rendu de particuliers services à la population ; parmi l'assistance avaient pris place tous les citoyens de Lunéville ayant servi d'otages durant l'occupation.
M. le Préfet a remercié en quelques mots M. le Président du Conseil de la visite qu'il voulait bien faire, avec M. Léon Bourgeois, au département de Meurthe-et-Moselle ; il a dit que la population de Lunéville était digne de cet honneur par la fermeté qu'elle avait montrée aux heures douloureuses de l'occupation, suivant l'exemple que lui donnaient trois hommes de coeur unis fraternellement pour la commune défense de la cité : le maire, M. Keller, le député, M. Méquillet, le sous-préfet, M. Minier.
M. Keller et M. Méquillet ont prononcé de courtes et fortes allocutions. M. Léon Bourgeois a donné, aux applaudissements de tous, l'assurance que l'union nationale dont ce département offrait le bel exemple, et qui règne dans la France tout entière, présidait aussi à l'action du groupe parlementaire constitué pour examiner et soutenir les intérêts des départements sinistrés.
M. le Président du Conseil prit alors la parole et, dans une chaude et brillante improvisation, souleva les applaudissements unanimes de rassemblée. Il rendit le plus éloquent hommage à la fermeté simple et digne de la population et des autorités de Lunéville et donna l'accolade à M. le maire Keller ; il remercia M. le sous-préfet Minier, M. le député Méquillet du dévouement inlassable mis par eux au service des populations éprouvées de l'arrondissement. Il donna à tous l'assurance formelle que le Gouvernement demanderait aux départements qui ne subirent pas les horreurs de l'invasion de s'unir pour la réparation des désastres matériels. Il indiqua que le Gouvernement avait aussi le souci profond de toutes les questions relatives au ravitaillement de la population.
Puis s'élevant au-dessus de ces questions économiques si dignes soient-elles d'attention, M. le Président du Conseil, dans une superbe envolée oratoire, glorifia l'union nationale, l'union sacrée dont le Parlement nationale, l'inoubliable exemple dans les a donné l'inoubliable exemple dans les séances historiques du 4 août, et qui fait la grandeur et la force de la France. Il montra la cause magnifique dont la France est aujourd'hui, avec les nations alliées, le défenseur et le représentant devant le monde entier. Il affirma la certitude absolue du Gouvernement dans l'heureuse issue du conflit, il rendit un hommage ému à la vaillance de l'armée, à la maîtrise de ses chefs, à la volonté de résistance de la population civile, à tout ce qui constitue l'énergie nationale, à tout ce qui contribue à préparer la victoire de la France, qui sera la victoire du progrès, de l'honneur et du droit.
Après avoir serré la main de toutes les personnes assemblées, que leur présenta M. Keller, M. le Président du Conseil accompagné de M. Léon Bourgeois et de M. le Préfet, reprirent la route d'Epinal. M. Mirman tint à faire faire à ses deux hôtes éminents le douloureux pèlerinage de Gerbéviller. Là, au cours d'une triste promenade à pied à travers les ruines, M. le Président du Conseil put fortifier sa volonté - qui sera demain celle du Gouvernement et de la France tout entière - de réparer au nom de la Solidarité nationale, les désastres matériels accumulés par la barbarie de l'ennemi ou par la dure épreuve du combat.
L'ACHARNEMENT ALLEMAND
à passer l'Yser
BARRIÈRE INFRANCHISSABLE
Bordeaux, 11 novembre, 11 h. 45.
A NOTRE AILE GAUCHE
La bataille a repris hier, dès le matin, avec une intensité toute particulière, entre Nieuport et la Lys.
D'une façon générale, notre front a été maintenu, malgré la violence et la force des attaques allemandes dirigées contre certains de nos points d'appui.
Au nord de Nieuport, nous avons pu réoccuper Lombartzyde et progresser au delà de cette localité ; mais, vers la fin de la journée, les Allemands ont réussi à s'emparer de Dixmude.
Nous tenons toujours, aux abords mêmes de ce village, sur le canal de Nieuport à Ypres, qui a été solidement occupé. La lutte a été très chaude sur ce point.
Les troupes britanniques, attaquées elles aussi sur plusieurs points, ont partout arrêté l'ennemi.
Sur le reste du front, la situation générale reste sans modification, sauf quelques progrès de nos forces, au nord de Soissons et dans la région à l'ouest de Vailly.
Sur la rive droite de l'Aisne, en dehors de ces deux points, l'état de l'atmosphère n'a permis que des actions de détail heureuses pour nos armes.
Nous avons bousculé, notamment, un détachement ennemi à Coincourt (trois kilomètres de la forêt de Parroy).
Le Communiqué officiel du 11 novembre, 23 heures, dit :
L'ennemi a continué toute la journée, son effort d'hier, sans obtenir de résultat nouveau.
Il a dirigé contre Lombartzyde une contre-attaque, qui a été repoussée, et a fait une vaine tentative pour déboucher de Dixmude sur la rive gauche de l'Yser.
Sur le reste du front, rien de nouveau.
LES ALLEMANDS CHEZ NOUS
Le sportsman bien connu Georges Prade, nous fait, dans le « Journal », l'historique des Tauben auxquels ont succédé les Aviatik et les Albatros, dont les plans ont été, naturellement, copiés dans les maisons françaises, chose d'autant plus facile que les directeurs actuels des usines allemandes sont pour la plupart d'anciens ingénieurs suisses de chez nous.
M. G. Prade cite, entre autres, un nommé Schneider :
« Suisse encore, écrit-il, le directeur-ingénieur de la seconde grande maison et même de la plus importante maison d'aviation allemande, la L.V.G., de Berliner (Johannisthal), dont les appareils, dits type Schneider, portent le nom.
« Schneider fut en France le dessinateur et le confident du regretté Nieuport, le grand constructeur français. Il dirige toujours depuis 1911 l'usine allemande victorieuse de la Coupe du prince Henri, et son chef pilote qui réceptionne en ce moment les appareils est Albert Rupp, encore un Suisse, de Berne, qui est là-bas depuis 1912, et continue, depuis la guerre, à raison de mille mark par mois, à recevoir les engins et à dresser les hommes, à Johannisthal et sur l'aérodrome militaire de Koeslin, en Poméranie.
« L'usine produit en ce moment CINQ APPAREILS par semaine, et a cédé sa licence à Otto, de Munich, dont le chiffre de production m'est inconnu.
« Les L.V.G. sont des biplans de 44 mètres carrés, de 14 mètres d'envergure, pesant 750 kilos à vide. »
Ce Schneider, dont parle M. G. Prade, a travaillé longtemps à Nancy, comme ingénieur dans une grande maison d'électricité. Il habitait au n° 14 de la rue Claudot, et avait épousé une fille de Hayange.
Il quitta Nancy pour Paris vers 1903, et entra, peu
après, comme contremaître à la maison Nieuport, d'où
il partit pour Berlin, en 1911, en cédant sa place à
Paris à l'un de ses frères, qui peut-être l'a
rejoint depuis à Berlin. On va au plus offrant et
dernier enchérisseur...
Les amis et connaissances que Schneider peut avoir encore à Nancy seront certainement heureux de savoir que les appareils qui sont venus nous bombarder sont de sa fabrication.
Il nous devait bien ça, comme remerciement.
LEUR OFFENSIVE RÉTROGRADE
Les Allemands sont partout tenus en respect ou repoussés
Bordeaux, 12 novembre, 16 heures.
A NOTRE AILE GAUCHE
L'action a continué toujours aussi violente.
Elle s'est poursuivie avec des alternatives d'avance et de recul, sans importance caractérisée.
D'une façon générale, le front de combat n'a pas sensiblement varié depuis le 10 novembre dans la soirée : il passe sur la ligne Lombartzyde-Nieuport, canal de Nieuport à Ypres, avancées d'Ypres dans la région de Zonnebeke, et est d'Armentières.
Aucune modification sur les positions tenues par l'armée britannique, qui a repoussé les attaques ennemies, et notamment une offensive tentée par les éléments de la garde prussienne.
Depuis le canal de La Bassée jusqu'à l'Oise, actions de détail.
Dans la région de l'Aisne, autour de Vailly, nous nous sommes maintenus vis-à-vis d'une contre-attaque et nous avons consolidé le terrain reconquis précédemment dans la région de Craonne.
A la ferme Heurtebise, notre artillerie est parvenue à réduire au silence l'artillerie ennemie, dont elle a même démoli quelques pièces.
Quelques progrès également autour de Berry-au-Bac.
Dans l'Argonne, en Woëvre, en Lorraine et dans les Vosges, les positions respectives ne sont pas modifiées.
Voici le communiqué du 12 novembre, 23 heures : Au nord, nous avons tenu sur toutes nos positions.
L'ennemi a cherché à déboucher de Dixmude par une attaque de nuit, mais il a été repoussé.
Nous avons repris l'offensive corilre l'ennemi, qui avait franchi l'Yser, et nous l'avons refoulé sur tous les points, sauf en un endroit où il occupe encore de deux à trois cents mètres, sur la rive gauche.
Au centre, nous avons gagné quelque terrain, dans la région de Tracy-le-Val, au nord-est de Laigle.
Dans l'Argonne, des attaques très sérieuses des Allemands n'ont abouti à rien.
LE MARTYRE D'UN FONCTIONNAIRE DE RAUCOURT
Le traître Alfred BERAIN
Notre excellent confrère, le « Petit Troyen », a pu interviewer M. Collin, receveur des douanes à Raucourt, qui se trouve en ce moment à Troyes, et par son très émouvant récit on verra quelle abnégation, quel courage, quel héroïsme il a fallu aux vaillants Lorrains de la frontière pour traverser les jours maudits de l'invasion. - Voici le texte même de ce récit :
« M. Collin, ou mieux M. Théophile, comme on l'appelle au pays de Lorraine, parce qu'il est sympathique et que tous, là-bas, fonctionnaires ou simples citoyens, ont, pour habitude, de marcher la main dans la main, est un vigoureux vieillard de soixante-six ans, en paraissant cinquante-cinq à peine. Président de la Société des Vétérans de Raucourt, gestionnaire du bureau téléphonique, receveur des douanes, il avait plus que tout autre de quoi retenir l'attention des Allemands. Demeuré à peu près seul d'homme valide à Raucourt, ses préposés s'étant repliés conformément à la consigne générale, c'était chez lui d'abord que l'ennemi devait s'adresser; même s'il n'avait pas été signalé à son attention par un espion de Saint-Jure, village voisin de Raucourt, mais situé en Lorraine annexée.
Homme de sac et de corde, braconnier de profession, le traître, qui se nomme Alfred Bérain, et qu'il serait bon de rechercher dès que nous aurons lranchi la Seille, s'était offert de diriger la première patrouille allemande, pénétrant sur ce point en territoire français, exactement le 3 août, au lendemain de l'incendie de Nomeny.
Il était près de midi : M. Théophile Collin et Mlle Angèle, sa fille, institutrice à Moivron, où, malgré le voisinage de l'ennemi, elle a tenu à reprendre son cours dans les premiers jours d'octobre, allaient se mettre à table, quand on frappa bruyamment à la porte. Tandis que le père, allait ouvrir, la jeune fille, peu rassurée, enjamba la fenêtre et s'enfuit chez le curé. L'huis ouvert, un lieutenant, un sous-officier et un cavalier du 6e chasseurs saxon se présentèrent, et, le revolver menaçant, l'officier l'interrogea :
- Où est le téléphone ? Où sont vos fusils ? Qu'est devenue votre caisse ? Votre fille est-elle là ?... Toutes questions auxquelles le fonctionnaire s'efforça de répondre plutôt bien que mal.
- L'appareil du poste téléphonique est enlevé ; les fusils ont été retirés ; la caisse et la comptabilité sont en lieu sûr... »
La perquisition commence, et comme le receveur ne précède pas assez vite à son gré, le soudard galonné, celui-ci le bouscule, le frappe et le jette dehors, où on le reçoit pour l'attacher à un arbre du jardin.
Il y reste une heure, durant que la visite domiciliaire continue. Le gros du régiment apparaît ; on le détache parce que des officiers ont besoin de lui pour que des lits leur soient préparés. Les cavaliers du 6e chasseurs à cheval saxon se répandirent dans la basse-cour ; des quantités de volailles sont sacrifiées; en un tour de main, elles sont plumées, troussées et passées à la broche. La cave de M. Collin est bien approvisionnée ; les chefs s'octroient le vin en bouteilles, la canaille se rabat sur celui en fût.
La jeune institutrice, qui craint pour son père, est revenue, et avec une vieille femme qu'on est allé chercher, elle devra servir à table les ennemis.
Un instant, elle peut se rencontrer avec son père, mais c'est pour constater que la montre en or, avec la chaîne, de ce dernier, ont disparu. Volé aussi le portefeuille qui contenait 4.250 fr. M. Collin réclame: le lieutenant, qui a dû se les approprier lors de la perquisition, se contente de hausser les épaules et de sourire.
Il fait chaud. M. Collin voudrait pouvoir se rafraîchir : on lui arrache le verre de la main ; il désirerait manger quelque chose, ne fût-ce qu'un morceau de pain : les brutes, qui s'empiffrent, lui font comprendre qu'il n'y a rien qui soit à lui ; et ils le font de nouveau charger de liens, qu'on fixe au décrottoir de sa porte.
Il a fini par savoir qu'il est inquiété surtout à cause de sa qualité de président d'une société d'éducation militaire et que pèse sur lui une grave affaire d'espionnage.
Un général survient, qui l'interroge à son tour, et décide de l'envoyer à Nomeny, ou il sera confronté avec son délateur, le contrebandier Alfred Bérain.
On l'attache par le poignet droit à la selle d'un cavalier, et le voilà en route pour le malheureux chef-lieu de canton. Au bout de trois kilomètres il n'en peut plus, bien que l'officier qui commande le détachement ait fait ralentir l'allure des chevaux : cet homme, plus humain que la plupart de ses pareils le fait détacher. De Nomeny, où aucune preuve n'a pu être relevée contre lui, il est ramené à Raucourt gardé à vue dans une chambre et enfin il lui est permis d'absorber trois oeufs.
Le 6e chasseurs à cheval saxon part : il va pouvoir être libre, quand se présente un officier de uhlans, chargé de le conduire à Sécourt, sous une escorte de 25 cavaliers. Il y est enfermé pendant trois heures au presbytère, le temps, suppose-t-il, de retrouver son délateur, pour qu'on puisse les confronter et d'examiner les papiers saisis à son domicile. Il parvient à confondre le traître Bérain et à établir comment le gredin, fraudeur des deux côtés de la frontière, trompe la douane française et roule le fisc allemand.
Cette fois, c'est bien la liberté, et il rentre à Raucourt juste à temps pour assister aux prouesses bachiques et autres d'un général teuton ; seulement sa maison était à demi pillée, et jusqu'à sa montre en argent, un modeste chronomètre qu'il pensait devoir remplacer celui en or passé de son gousset dans la poche du lieutenant saxon, tout avait été bon aux envahisseurs ; tellement, pour ce monde guerrier mais d'esprit mercantile, il n'est point de trop petits profits.
Après cela, croyez-vous que M. Collin ait cherché à fuir cette terre de Lorraine devenue, avec l'invasion, si peu hospitalière à ses enfants ? Ce serait mal connaître cet admirable et fier entêté : il est demeuré à son poste jusqu'au 16 septembre, date à laquelle il a faussé compagnie à une patrouille bavaroise, venue pour l'arrêter, et peut-être pour le passer par les armes.
Il est aujourd'hui notre hôte, prêt à rejoindre sa fille, qui, au seuil de la frontière assure si vaillamment son devoir de Française et d'éducatrice. »
LE CHOC DU BELIER PRUSSIEN
n'ébranle point
LA PORTE VERS LA MER
Bordeaux, 13 novembre, 16 heures.
Depuis la mer jusqu'à la Lys, l'action a présenté un caractère de violence moindre qu'au cours des journées précédentes.
Plusieurs tentatives des Allemands pour franchir le canal de l'Yser, à la sortie ouest de Dixmude et sur d'autres points de passage en amont, ont été arrêtées.
Dans l'ensemble, nos positions se sont maintenues sans changement, au nord, à l'est et au sud-est d'Ypres.
Des attaques ennemies ont été repoussées, en fin de journée, sur diverses parties de notre ligne et de celle de l'armée britannique.
DU NORD A L'AISNE
A 50 mètres des lignes ennemies
Depuis la région à l'est d'Armentières jusqu'à l'Oise, canonnades et actions de détail.
Au, cours des dernières journées de brouillard, nos troupes n'ont cessé de progresser peu à peu ; elles sont établies presque partout maintenant à des distances variant de trois cents à cinquante mètres des réseaux de fil de fer de l'ennemi.
Nous progressons aussi dans l'Aisne
Au nord de l'Aisne, nous nous sommes emparés de Tracy-le-Val, à l'exception du cimetière.
Nous progressâmes aussi légèrement au nord-est de Tracy-le-Mont et au sud-est de Nouvron, ainsi qu'entre Crouy et Vrigny, au nord-est de Soissons.
Dans la région de Vailly, une contre-attaque allemande contre celles de nos troupes qui avaient repris Chavonne et Soupir a été repoussée.
Même insuccès allemand aux environs de Berry-au-Bac.
DE L'ARGONNE A LA LORRAINE
Dans l'Argonne, violente canonnade.
Quelques progrès de détail autour de Saint-Mihiel et dans la région de
Pont-à-Mousson.
Détachement ennemi enlevé près de Cirey
Un coup de main, tenté par nos troupes contre le village de Val-et-Châtillon, près de Cirey-sur-Vezouze, a permis d'enlever un détachement ennemi.
Echec allemand en Vosges
La neige
Une attaque allemande, sur les hauteurs du col de Sainte-Marie, a échoué.
On signale que la neige commence à tomber sur les Hautes-Vosges.
Paris, 14 novembre, 0 h. 34.
Le communiqué officiel du 13 novembre, 23 heures, dit. :
De la mer à la Lys, l'action allemande a été moins vive et, sur quelques parties du front, nous avons repris l'offensive.
Nous avons progressé au sud de Bixschoote.
A l'est d'Ypres, nous avons repris, par une contre-attaque, un hameau précédemment perdu.
Au sud d'Ypres, nous avons repoussé une offensive de la garde prussienne.
Sur le reste du front, on signale seulement des canonnades.
LE VENTRE DE NANCY
Nancy, 13 novembre.
Malgré les moyens de transport encore précaires, l'approvisionnement de Nancy continue sans incidents sérieux.
Un récent arrivage de volailles, d'oeufs, de beurres a montré cette semaine que la Bresse était capable de nous fournir d'excellents produits à des prix sensiblement inférieurs au cours normal :
- Dirait-on pas qu'on donne pour rien la marchandise. » se récriaient les témoins des assauts livrés aux étalages par nos ménagères heureuses de l'aubaine.
Plusieurs négociants ont réalisé avec le même succès un ravitaillement où ils trouvaient leur bénéfice - et le public aussi.
Des wagons de pommes de terre ont été amenés à la gare en quantités assez importantes pour exercer sur les prix du marché une très heureuse influence.
M. Massart - qui l'eût cru ? - et M. Discours - qui l'eût dit ? - ont provisoirement renoncé l'un à servir des bocks et l'autre à exploiter un cinéma pour entrer dans l'alimentation.
Le poisson manquait. Plus de goujons, partant plus
de friture ; plus de moules, partant plus de
marinière. Or, M. Defaut annonce pour demain une
marée si abondante qu'elle eût sauvé Vatel ornant le
dîner de son roi. Avis aux gourmets délicats.
L'irritante question du sucre s'est naturellement dissoute ; celle des fromages a marché comme un simple livarot vers une solution qui fait honneur à la laiterie Saint-Hubert.
On n'a pas à récriminer que, faute de pain, les consommateurs mangeront de la brioche, car boulangers et pâtissiers servent leur clientèle, sans la juger digne de la demi-ration.
La confiserie, les chocolats abondent. Bref, Nancy est loin encore de passer pour une ville idéale de cocagne ; mais, en raison des circonstances actuelles, nos concitoyens doivent savoir quelque gré aux initiatives qui s'efforcent d'atténuer les répercussions économiques de la guerre.
Celles-sur-Plaine bombardé
Les Allemands ont envoyé, de Luvigny, le 7 novembre, un certain nombre d'obus sur l'inoffensive localité de Celles-sur-Plaine. Quelques bâtiments ont été endommagés, mais peu gravement. Malheureusement, trois personnes ont été tuées et d'autres blessées, la plupart dans les champs où elles travaillaient.
AU PAYS DE BRIEY
Les Allemands occupent Briey. - Quelques escarmouches. -- L'héroïsme de Longwy. - Les centres miniers épargnés. - Audun incendié. - Landres brûli. - A Jarny. - Le bruit des usines s'est tu.
UN TÉMOIGNAGE ITALIEN
A la porte du Consulat de Briey accoururent en foule les Italiens des environs, porteurs de valises, etc. Le consul, le chevalier de Crocé, organisa l'exode avec beaucoup d'habileté. Il avait obtenu du gouverneur de Verdun de grandes facilités : des trains spéciaux avaient été mis à la disposition des Italiens à la gare d'Etain. Puis toute communication avec Briey fut coupée ; Briey fut occupé par les Allemands le 5 août. Le Consul trouva moyen d'organiser de nouveaux départs à la gare d'Hagondange, Alsace-Lorraine, sur la ligne Metz-Thionville). Les départs continuaient encore de Metz. Nos compatriotes prêtaient volontiers leurs concours pour les organiser ; un nommé Amadori, de Villerupt, fut arrêté et retenu quelques jours par les Allemands à cause de son zèle à favoriser leur départ.
Premiers coups de canon
A Briey, les Allemands firent leur apparition le 5 août, à 6 heures du matin, avec le 144e régiment d'infanterie. Le bruit des chevaux m'avait attiré à la fenêtre ; je vis arriver une patrouille de uhlans à cheval qui avaient l'air surpris et regardaient aux fenêtres comme s'il devait en partir des coups de feu. Rien. La population de Briey, composée de famille de fonctionnaires, fut admirable de calme et de sang-froid. Dans les rues désertes (bien que le régiment ait pris position sur la hauteur de Baroche, à 2 kilomètres de Briey), vers le 8 au matin, je me promenai en cherchant à me rendre compte de l'impression produite par l'arrivée inopinée de l'ennemi, lorsqu'au tournant de la rue qui va à l'Hôtel de Ville, un officier à cheval, qui précédait une patrouille, me demanda, revolver au poing :
- Où est la mairie, s'il vous plaît ? » (en français).
L'artillerie en position, la cavalerie fut placée derrière l'aérodrome, l'infanterie dissimulée. Une canonnade. Les Français ouvraient le feu de Lubey. Les Allemands ripostèrent par quelques coups, mais n'insistèrent pas, et leurs troupes rentrèrent à Briey. Jusqu'au 23 août, le 144e régiment, composé en grande partie d'Alsaciens et Lorrains, manoeuvra autour de la ville et il se livra quelques escarmouches à Labry, Valleroy, Jarny et Conflans. Pendant cette première quinzaine de la guerre, plusieurs aéroplanes français furent accueillis par une fusillade et à coups de mitrailleuses : un seul est tombé près de
Tucquegnieux.
La chute de Longwy
C'est dans cette période que se place la chute de Longwy. La glorieuse place forte, que les fortifications de Vauban furent impuissantes à sauver, s'est défendue avec acharnement. Cent fois les officiers français, à Longwy même, m'avaient dit que la ville ne pourrait résister plus de 24 heures. Longwy n'est devenu allemand qu'après 60 heures de bombardement !
Longwy-Haut est devenu une immense carrière, et la cité industrielle qui à ses pieds couvre de ses cheminées le terrain jusqu'à Mont-Saint-Martin, paraît un désert.
Pendant que la garnison décimée après que le combat héroïque eut cessé cherchait un refuge en Belgique, les rares habitants sortaient des caves, où ils s'étaient réfugiés, et montraient aux troupes d'occupation leurs visages éplorés.
Une mère me raconte avoir dû son salut et celui de sa famille à son enfant qui, ayant la fièvre, lui avait demandé à boire : sortie de la cave, elle avait vu la maison en flammes et sur le point de s'écrouler et de les ensevelir vivants en obstruant toute issue.
Incendies et bombardements
Le 23 août arrivèrent des renforts importants à Briey, ils se dirigèrent sur Etain.
A Audun-le-Roman, quelques coups de feu tirés par les chasseurs à cheval, disent les habitants, par des civils, prétendent les Allemands, provoquèrent l'incendie du village.
Landres fut brûlé pour le même motif, le soir du 23 août, au moment où on s'apprêtait à célébrer la fête patronale. Rien ne fut épargné, et l'église même est un monceau de ruines. Deux Italiens, MM.
Strambelli Clementi et Guenzi Piétro, furent tués au moment où ils cherchaient à sauver des chevaux qui allaient brûler dans une écurie.
Les centres miniers de Piennes, la Mourière et Bouldgny furent épargnés, mais les troupes saccagèrent les nombreux cafés et cantines que les Italiens avaient abandonnés. Baroncourt fut bombardé.
C'est seulement à Rouvres, à quelques kilomètres d'Etain, que les Allemands rencontrèrent des troupes françaises importantes. La bataille dura deux jours et le canon ne faisait pas trêve, même la nuit.
Rouvres et Etain furent complètement rasés (rasi al suolo) ; une partie des habitants se réfugia à Briey dans des conditions lamentables.
Le 23 août, en revenant de porter des secours avec M. Galimani, le chancelier du Consulat, nous tombâmes sur un détachement allemand important. Ni le drapeau italien arboré sur l'auto, ni nos explications (M. Galimani parle cependant parfaitement l'allemand), nous ne pûmes obtenir libre passage, et dûmes suivre à pied pendant des heures interminables de nombreux kilomètres. En fin de compte, nous fûmes conduits devant le général qui nous interrogea et nous relâcha.
A Briey, on nous croyait fusillés.
On fusille
On fusilla, en effet, le lendemain. Entre le départ du 144e régiment et l'arrivée des troupes de renfort, le sous-préfet de Briey s'était fait conduire en automobile à Verdun par M. Winsback, le pharmacien, lequel avait pu soustraire son auto aux réquisitions. M. Winsback était revenu seul et, quelques heures après, six chasseurs français à cheval étaient venus à Briey et avaient fait prisonnier un piquet de uhlans. Le lendemain, une patrouille de uhlans se présenta à la pharmacie Winsback, le fit sortir et le fusilla place Thiers. La population de Briey fut terrorisée et, depuis ce moment jusqu'aujourd'hui, aucun acte d'hostilité n'a été commis envers les troupes d'occupation.
Le commandant de Briey, le capitaine Rolfs, qui parle très bien l'italien, s'est montré plein de tact et de courtoisie.
A Jarny, le 14, un Italien tue malheureusement son chien à coups de revolver.
Les Allemands croient à une, attaque et tuent un autre Italien, le nommé Tron.
Le 25, les troupes contre lesquelles on avait tirés, incendièrent le pays et bombardèrent l'église. On tua le nommé Ambrogetti Aggeo et on blessa sa fille ; elle dut être amputée. Le lendemain, neuf Italiens furent fusillés dans un jardin à côté de la mairie, de même un cordonnier, Anftero Cosimo.
A Jarny, furent également fusillés la maire et le curé.
Dans le bassin de Briey, il y a encore des milliers d'Italiens. Une partie travaille dans les minières et les usines ; d'autres purent s'employer dans les usines métallurgiques de là frontière, à tarif réduit, à Rombas, Aumetz, Esch-sur-Alzette.
Afin d'éviter la famine qu'on craignait, et qui menaçait les Allemands eux-mêmes, on dut prendre des mesures. La région, saignée à blanc par les réquisitions, reçoit actuellement les vivres de première nécessité des localités allemandes limitrophes. Mais, dans le bassin florissant, le bruit des usines s'est tu le grondement du canon continue à rendre les visages anxieux et entretient l'angoisse dans tous les coeurs.
UN CHATEAU DE LA MEUSE
canonné par son propriétaire
Le « Courrier des Etats-Unis » rapporte dans son numéro du 30 octobre que la vicomtesse de Chambrun, soeur de l'ancien député Nicholas Longworth, gendre de M. Théodore Roosevelt, a reçu de son mari, ancien attaché militaire de l'ambassade de France à Washington et actuellement au front avec le grade de capitaine d'artillerie, une lettre qui contient le paragraphe suivant : « J'ai à présent le grand plaisir de diriger le feu de mes canons contre notre propre château, et j'éprouve une grande joie à en voir les murs s'abattre les uns après les autres. »
Le château de Chambrun est situé près de Saint-Mihiel, où, depuis les six semaines que ce point est occupé par les Allemands, la lutte s'est poursuivie avec opiniâtreté.
LES COMMUNES ÉPROUVÉES
Nancy, 13 novembre.
M. Minier, sous-préfet de Lunéville, accompagné de M. Méquillet, député, a visité hier : Moriviller, Franconville et Mattexey.
Dans ces communes, l'occupation a été de courte durée, mais toutes trois sont restées pendant près de vingt jours au centre même de la bataille.
Moriviller. - N'a été occupé que pendant vingt-quatre heures. Le bombardement y a fait une victime à la date du 5 septembre. On y compte trois maisons incendiées ou détruites et environ quatorze immeubles endommagés par les obus. Le pillage des denrées a été général.
La rentrée des classes a eu lieu le 18 octobre.
Franconville. - L'occupation ennemie s'est prolongée pendant quarante-huit heures. Le bombardement a fait une victime ; une autre personne assez sérieusement blessée est rétablie.
On compte deux maisons détruites et environ dix maisons endommagées par les obus. Le pillage a sévi comme partout. La rentrée des classes, qui aurait pu, sans inconvénient, se faire à la date normale, a eu lieu le 10 novembre.
Mattexey. - Comme Franconville, a. été occupé pendant quarante-huit heures. Là aussi le bombardement a fait une victime Trois maisons sont entièrement détruites et douze immeubles sont assez sérieusement endommagés par les obus. L'ennemi a systématiquement pillé toutes les denrées et récoltes.
La rentrée des classes s'est faite à la date du 13 octobre.
Dans les trois communes, le ravitaillement s'opère d'une façon à peu près satisfaisante, grâce à l'activité des municipalités.
ATROCITÉS COMMISES PAR LES ALLEMANDS
à EMBERMÉNIL
De l'Eclaireur de Lunéville
A Emberménil, localité voisine de Lunéville, une patrouille de dragons avec quelques chasseurs à pied a tendu une embuscade à une patrouille allemande qui s'avançait dans le village et un sous-officier du 5e bavarois landwehr ennemi fut fait prisonnier.
Furieux de cette prise, les Allemands revenaient au village le 5 novembre, et reconnurent la maison auprès de laquelle était dissimulée la patrouille française.
Ils firent sortir tous les habitants des maisons et les rassemblèrent devant l'église.
L'officier annonça que le bétail allait être enlevé parce qu'une femme du village avait trahi les soldats allemands.
Une jeune femme, Mme Masson, courageusement s'avança vers l'officier et dit : « Il ne faut pas pour moi que vous preniez les bêtes des gens du pays, je ne vous ai pas trahis, j'ignorais quand vos soldats ont passé devant chez moi que les Francais étaient là, je ne les avait pas vus, je le jure. » Ah ! c'est vous, dit l'officier, et, s'exprimant mal en français, il fit dire par une personne parlant allemand la phrase suivante :
- « Par ordre du colonel, cette femme sera fusillée. » Et il la fit conduire sur les marches des escaliers de l'église. Et, comme si une victime ne suffisait pas à sa fureur barbare, l'officier fit saisir un jeune homme de vingt-trois ans, le fils Dim, dépositaire du journal l' « Eclaireur de Lunéville », qui avait été réformé et le fit sortir du groupe des habitants.
- Vous aussi, allez vous asseoir à côté de la femme. »
Quelques minutes après, des coups de feu retentirent et les deux pauvres martyrs tombèrent la tête sur la pierre, sous les balles de ces brutes maudites.
On n'entendit qu'un cri dans le groupe des habitants, deux femmes roulèrent sur le sol évanouies, les mères qui venaient d'assister à l'exécution de leurs chers enfants: Quels excès de cruauté ! Non seulement ils ont fusillé des innocents, mais encore faut-il pour mieux jouir de leur plaisir sanguinaire qu'ils les fusillent sous les yeux de leurs mères impuissantes.
Et ils les laissèrent là, jusqu'à cinq heures du soir, tous ces pauvres gens assemblés, presque tous des femmes, vieillards ou bambins qui pleuraient.
L'officier, qui se promenait de long en large devant eux, sur la place de l'église, fier de son courage devant. des femmes, répondit à l'une d'elles, qui lui demandait : « Pouvons-nous rentrer dans nos maisons ? »
- Non, restez ! C'est la guerre », dit-il avec un rire sauvage.
Ils partirent enfin du village, non sans avoir au préalable mis le feu à quatre maisons, dont celle de la pauvre femme exécutée.
Ce n'était pas assez du sang, il leur fallait le feu !
Voilà le récit des actes de notre ennemi, tel qu'il a été fait par des témoins oculaires.
Plus tard nous pourrons l'ajouter à la liste déjà longue des cruautés qu'il commet et que le monde devra connaître.
COMMENT FUT BLESSÉ
le Sergent MAGÏNOT
« La Liberté »
Le 9 novembre, le sergent qui avait contribué les. jours précédents, en y entrant à la tête de ses hommes, à la reprise des villages de Maucourt et de Mogeville, voulut ce jour-là, afin de donner encore plus d'air à notre action, reconnaître un bois, le bois des Haies, qui passait pour être occupé en permanence par l'ennemi.
Avec une vingtaine d'hommes, rampant et se défilant, le sergent put longer, en s'en approchant jusqu'à 200 mètres, une des lisières du bois, sans essuyer le moindre coup de feu. A l'extrémité du bois, toujours en lisière, se trouvait une tranchée allemande ; le sergent voulut la reconnaître avec quelques hommes ; il put arriver jusqu'à elle, mais tout d'un coup, à vingt mètres dans le bois, il aperçut l'ennemi : une centaine de fantassins allemands qui attendaient en embuscade. Une décharge nourrie flanquait immédiatement quatre des nôtres par terre ; c'est alors que le sergent pour couvrir la retraite de ses hommes s'arrêta, déchargeant son magasin sur l'ennemi qui s'avançait ; deux des leurs tombèrent mortellement frappés. Aussitôt il reçut une première balle qui lui fracassa le tibia, il tomba, mais se releva aussitôt et, tirant les trois ou quatre balles qui lui restaient, put se replier une cinquantaine de mètres, malgré la grêle de projectiles que les Allemands faisaient pleuvoir autour de lui. Une seconde balle vint atteindre le sergent à la rotule ; il tomba de nouveau, mais parvint, en se traînant sur les mains, à gagner une grosse pierre derrière laquelle il put se dissimuler, retrouvant là cinq ou six survivants de notre petite troupe.
Il était à ce moment huit heures du matin ; jusqu'au soir, les Allemands ne cessèrent d'opérer des tentatives pour cerner la poignée d'hommes que nous étions. Quatre ou cinq fois ils arrivèrent jusqu'à une quarantaine de mètres ; chaque fois ils durent se replier, perdant six ou sept des leurs.
Décidé, ainsi que ses hommes à ne pas se laisser faire prisonniers, le sergent, ménageant ses munitions, ne faisait tirer sur l'ennemi qu'à coup sûr. Enfin, la nuit arriva ; les blessés encore capables de marcher quittèrent en se défilant avec moi le champ de bataille, pour aller chercher du renfort. Le sergent Maginot, dont les jambes étaient immobilisées, resta avec deux hommes, le caporal B... et le soldat R..., tous deux non blessés. Ces deux braves tentèrent alors de ramener le sergent ; ils commencèrent à le porter à tour de rôle, en rampant pendant une centaine de mètres. Ils essayèrent ensuite de le porter sur les crosses de leurs fusils ; finalement, le sergent Maginot, par sa taille et son poids - on sait qu'il mesure un peu plus de deux mètres - devenant impossible à porter, ils durent le traîner par les mains. Ce dernier, malgré la douleur terrible qu'il endurait, ne perdit pas connaissance un seul instant, et lorsque j'arrivai avec ma section de renfort pour faire face à l'ennemi qui s'avançait de nouveau, il continuait à donner des instructions pour organiser la défense. Nous pûmes enfin le mettre sur un brancard et, pendant que je protégeai la retraite, le sergent Maginot était conduit au village de Maucourt, où il recevait seulement un premier pansement sommaire.
A onze heures du soir, après un calvaire sans nom, le sergent Maginot entrait à l'hôpital Saint-Nicolas, où ses blessures étaient soignées de toute urgence.
Sur dix-huit hommes, nous avons eu cinq tués et sept blessés, mais tous nos blessés étaient ramenés et aucun des nôtres n'était prisonnier. - Sergent L.
LA RONDE DE PONT-A-MOUSSON
Dans la ville aux maisons blanches
Les cloches mènent grand train.
Rien n'égale en ces dimanches
La douceur du ciel lorrain.
Des fillettes - toutes blondes -
Vont par la vieille cité
Chantant leurs petites rondes
- Le canon tonne à côté.
Au fracas de la mitraille
Qui rythme votre chanson,
Tournez ! Gentille marmaille
De Pont-à-Mousson !
Plus fort que leurs voix d'aurore
Gronde le monstre d'airain
Mais son aboiement sonore
Ne trouble pas le refrain
De vos rondes enfantines
Ô chers bébés de chez nous !
Ô douces voix argentines !
Je vous écoute à genoux !
Est-il un geste qui vaille
Votre innocente chanson.
Chantez ! Vaillante marmaille
De Pont-à-Mousson !
Un seul cri - court, mais atroce !
- Ah ! je l'entendrai toujours !
La bombe aveugle et féroce
A moissonné ces amours !
Apportez les roses blanches
Cueillez les humbles bleuets
Les fronts des mères se penchent
Au bord des berceaux muets.
Ah ! Le coeur le plus stoïque
Malgré lui. sent un frisson...
Dormez ! Marmaille héroïque
De Pont-à-Mousson !
Dominique BONNAUD.
Pont-à-Mousson, novembre 1914.
L'ÉCHEC GÉNÉRAL DES ATTAQUES ALLEMANDES
En Belgique, dans le Nord, dans l'Aisne, comme en Argonne, les attaques des Allemands n'ont abouti qu'à un recul.
Paris, 14 novembre, 15 h. 25.
En Belgique, une attaque allemande contre la grande tête de pont de Nieuport a échoué.
Diverses tentatives d'offensive de l'ennemi, dans la région à l'est et au sud-est d'Ypres ont été arrêtées.
Aux environs de Bisxchoote, nous avons progressé de un kilomètre.
Vers l'est, entre le canal de La Bassée et Arras, nous avons réalisé quelques progrès de détail.
Dans la région de Lassigny et de l'Aisne, jusqu'à Berry-au-Bac, les Allemands ont attaqué, mais sans succès.
En Argonne, la lutte a recommencé plus vive. L'ennemi a essayé, mais en vain, de reprendre le Four-de-Paris et Saint-Hubert.
Autour de Verdun également, plusieurs offensives partielles de l'ennemi ont été arrêtées par le feu de notre artillerie, avant que le mouvement en avant de l'infanterie ait pu se déclancher.
En Woëvre et en Lorraine où le mauvais temps sévît, rien à signaler.
LA JOURNÉE FUT BONNE
dit le second communiqué
Paris, 15 novembre, 0 h. 40.
Le communiqué officiel du 14 novembre, 23 heures, dit ;
De la mer du Nord à Lille, la journée a été bonne.
Deux attaques de l'ennemi, l'une au nord-est de Zonnebeke, l'autre au sud d'Ypres, ont été repoussées, cette dernière avec de grosses pertes pour les Allemands.
Entre le canal de La Bassée et Arras, et dans la région de Lihons, l'ennemi a fait deux tentatives, sans résultat.
Rien autre à signaler.
LA NOUVELLE VERTU
Nancy, 15 novembre.
On prêtait aux Français, avant la guerre, bien des vices, et peu de vertus.
Les peuples, même ceux qui s'affirmaient les plus portés vers nous, nous connaissaient mal. Ils voyaient en nos moeurs de luxe et de plaisir une décadence élégante, mais quand même une décadence. Notre ironie légère les déconcertait. Ils estimaient que le sourire avec lequel nous soulignions les choses les plus respectables cachait mal, une profonde inaptitude à l'action.
Vaniteux, inconséquents, sceptiques, impuissants, désordonnés, tels on nous désignait. Et ce sont encore les moindres défauts qu'on nous trouvât.
L'Angleterre nous a demandé loyalement pardon de nous avoir méconnus.
Et on lui pardonne de grand coeur, car il faut une bien subtile psychologie pour retrouver sous notre apparence insoucieuse la vigueur de notre esprit et la fermeté de notre âme. L'Allemagne commence à avoir pour nous quelque estime. Nous n'en sommes pas plus fiers bien qu'il ne soit pas désagréable qu'un ennemi apprécie notre valeur. Seulement elle n'a pas droit au pardon parce qu'elle a violé toutes les lois de l'honneur et qu'elle tente de détruire la magnifique civilisation latine.
On voulait bien toutefois reconnaître aux Français du courage, de l'entrain, de la fierté, et surtout cette hardiesse inconsciente qui les lance en tumulte sur les périls et sur les voluptés.
Il est une vertu que nous ne connaissions pas, que nous n'avions jamais eu à pratiquer, dont nous n'aurions jamais voulu nous vanter, même si nous l'avions eue : c'est la patience.
Dire d'un Français qu'il est patient, c'est presque une insulte. Du moins c'était une insulte il y a trois mois. Maintenant c'est un éloge dont nous sommes orgueilleux, et que nous méritons.
L'impatience, nous l'avons enfin compris, est un signe de faiblesse. La patience est l'indice de la force.
Pour se battre à la baïonnette il suffit de se ruer. Pour combattre dans les tranchées, il faut calculer. Calculer sous les balles, sous les obus, dans le brouillard, dans la nuit, dans le froid, sous la pluie, combiner joyeusement des ruses profitables, éclater de rire quand elles réussissent, conserver sa sérénité quand la mort fait rage, quand le canon tousse de sa gueule brutale, quand la mitrailleuse crachotte en sifflant, être calme dans la bataille, cela c'est le courage, le courage, le courage qui fait les héros et qui brise tous les obstacles.
Le génie est une longue patience. Le courage aussi.
Cette patience que nos soldats ont acquise à l'école de la guerre moderne, les civils la considèrent aussi maintenant comme une qualité bien française. Ils s'exercent à l'avoir entièrement, et même à l'orner d'un sourire.
Les femmes qui ne sont point du tout préparées par leur sensibilité délicate à la pratique d'une pareille vertu ont été les premières à en comprendre l'irrésistible pouvoir. Elles ont abandonné leurs illusions de la première heure, et ont eu la fierté d'attendre silencieusement que le droit armé triomphât de la violence barbare. Elles ont sans larmes et sans cris apporté leurs consolations aux blessés, des fleurs aux morts, tout leur coeur à ceux qui combattent.
Dans leurs yeux brille une âme ferme, et que rien ne saurait désespérer. Elles ont cette nouvelle vertu qui les fait plus belles et qui sauvera la patrie, - la Patience.
Les hommes ont admiré et imité cette dignité. Ils ont abandonné leurs querelles justes ou injustes, mis de côté tout ce qui affaiblissait l'union nationale. Ils se sont fait grâce les uns aux autres des récriminations que soulève d'ordinaire la vie en commun. Ils sont forts aujourd'hui parce qu'ils sont devenus patients. Ils peuvent agir utilement parce qu'ils sont patients.
Si notre armée doit ici ou là céder devant le nombre, ils ne s'affolent pas. Ils conservent leur confiance. Si au contraire l'ennemi est refoulé, ils ne se bercent pas d'espoirs illimités. Ils savent se contenter du possible. Ils ne rêvent plus. Ils réfléchissent. Ils se rendent compte.
Un peuple est invincible, et sa destinée immortelle, quand il unit à ses qualités traditionnelles de courage ardent cette vertu des héros et des dieux, la Patience.
RENÉ MERCIER.
LES ATROCITÉS ALLEMANDES
dans les Vosges
Du « Petit Parisien » ces lignes qui confirment et complètent sur certains détails, les renseignements que nous avons déjà publiés sur les crimes allemands dans les Vosges :
A Allarmont, des soldats allemands avaient saisi, au saut du lit, le maire, M. Charles Lecuve, et le curé, M. Mathieu, et ils les avaient conduits devant le général Demiling. « Que faut-il faire d'eux ? » demandèrent-ils. Le général eut un geste évasif. Que lui importait ! Et il détourna la tête. On emmena les deux prisonniers dans un champ. « Je vous offre cent mille mark, proposa M. Charles Lecuve, non pour obtenir ma grâce - je ne veux ni l'implorer, ni l'acheter - mais pour savoir quelles raisons vous avez de me fusiller. »
On ne daigna pas lui répondre. On les poussa tous deux, le maire et le curé, contre un mur, et on les assassina.
A Luvigny, un petit village de trois cents habitants, le curé fut fusillé, lui aussi. Pourquoi ? On ne sait pas. Pour rien, pour le plaisir qu'ont ces brutes de tuer.
Fusillé également le maire de Vexaincourt, M. Seyler. Cette fois les Allemands assouvissaient une vengeance. Un jour, il y a de cela quelques mois, M. Seyler remarqua, sur la place du village, deux dentistes forains qui, à grand renfort de boniments et de grosse caisse, conviaient les habitants assemblés autour d'eux à leur confier leur mâchoire endolorie. On arrachait les dents sans douleur, on soulageait, on guérissait les névralgies les plus invétérées. Et ça ne coûtait rien, ou presque rien et l'on donnait par-dessus le marché un flacon d'élixir.
Ce n'était pas la première fois que ces praticiens opéraient à Vexaincourt. Ils y venaient à chaque marché, à chaque foire, sans manquer jamais. Leur travail fini, ils allaient visiter les environs du village ; on les rencontrait sur les routes, dans les champs, dans les bois, partout. Un carnet à la main, ils écrivaient, dessinaient. C'étaient des gens studieux. Mais quels étranges dentistes ! M. Seyler, que leurs louches allures intriguait, les fit surveiller discrètement. Un jour, on les arrêta. C'étaient des officiers allemands. On les renvoya dans leur pays, après les avoir quelque peu rossés.
Et quand, à la tête de leurs troupes, ils revinrent à Vexaincourt, les officiers-dentistes allèrent tout droit à la maison du maire. Avec une politesse goguenarde, ils se firent reconnaître, plaisantèrent agréablement. Quelques minutes après, M. Seyler était étendu, la tête fracassée, au pied d'un mur.
Le maire de Celles, M. Cartier-Bresson, fut plus heureux. Il alla au-devant des Allemands, se nomma, demanda qu'on épargnât sa petite ville et qu'on ne molestât point les habitants. Pour toute réponse, on le retint comme otage. On l'emmena, sous la mitraille, sous la pluie des obus français qui tombaient dans la vallée. Sous cet ouragan de fer et de feu, les officiers allemands marchaient, rasant les murs, la tête basse, le dos courbé et parfois se couchaient. Lui, le vieillard, allait le front haut, le corps droit, sans peur. Il donna à nos ennemis une leçon de courage. On le garda deux jours prisonnier à Senones. « Que voulez-vous faire de moi ? demanda-t-il. Ici, je ne suis bon à rien, tandis qu'à Celles, je puis être utile à mes administrés. Laissez-moi partir. » On le renvoya. »
INUTILES RUÉES AUTOUR D'YPRES
Bordeaux, 15 novembre, 16 heures.La journée d'hier, relativement calme sur tout le front, a été caractérisée principalement par des luttes d'artillerie. Toutefois, les Allemands ont tenté à nouveau plusieurs attaques au nord, à l'est et au sud d'Ypres.
Elles ont toutes été repoussées, avec des pertes considérables pour eux.
En résumé, tous les efforts faits par les Allemands, ces jours derniers, n'ont abouti qu'à la prise du village en ruines de Dixmude, dont la position isolée sur la rive droite du canal rendait la défense difficile.
Entre la Lys et l'Oise, les travaux d'approche ont continué sur la majeure partie du front.
Sur tout le reste du front, jusqu'en Lorraine et dans les Vosges, simples canonnades ou actions de détail sans importance.
LES ALLEMANDS
complètement rejetés
SUR LA RIVE DROITE DE L'YSER
Paris, 16 novembre, 0 h. 48.
Voici le communiqué officiel du 15 novembre, 23 heures :
L'incident le plus notable de la journée a été le rej et de l'ennemi sur la rive droite du canal de l'Yser.
La partie de la rive gauche que les Allemands tenaient encore a été complètement évacuée par eux.
Nous avons repris, au sud de Bixschoote, un petit bois qui avait été perdu, à la Suite d'une attaque de nuit.
A la fin de la journée, l'ennemi a tenté, mais sans succès, une offensive au sud d'Ypres.
Sur le reste du front, rien à signaler.
HANSI A ÉPINAL
Le caricaturiste alsacien prend une belle revanche
Epinal, 16 novembre.
Le spirituel collaborateur de « Dur's Elsass » l'auteur de « Mon Village », du « Professeur Knatschké », des oeuvres humoristiques où s'applique la fine ironie de son inspiration, le dessinateur Hansi - pour l'appeler par son nom - remplit maintenant à Epinal, sous l'uniforme, les fonctions d'interprète.
Il a le grade d'adjudant.
Point n'est besoin, pour les patriotes, de rappeler les tracasseries sans nombre, les procès, les vexations qui aboutirent, pour Hansi, à sa comparution devant la Cour suprême de Leipzig, sous la kolossale et ridicule imputation de haute trahison.
Au lieu d'expier son « crime » dans les geôles allemandes, le condamné préféra mettre la frontière entre ses gardes-chiourmes et lui.
Hansi resta quelque temps à Belfort. Il a pu obtenir, à Epinal, un poste d'interprète ; c'est là qu'un de nos rédacteurs a pu le surprendre, presque dans l'exercice de ses fonctions :
- Je remercie votre journal, dit-il d'abord, pour les marques si nombreuses de sympathie et de fidèle dévouement qu'il m'a prodiguées en mainte circonstance. L' « Est Républicain » m'a prouvé que mes productions avaient la chance de plaire et d'être comprises par les Lorrains qui voyaient de plus près et jugent plus exactement notre résistance aux efforts du pangermanisme en Alsace. »
Le « bon oncle », comme il s'intitule lui-même, a gardé intacte sa jovialité. Il a le sourire. Il ne compte autour de lui que des camaraderies, aussi bien parmi les officiers et les soldats de la garnison que dans La population civile. On l'accable littéralement de demandes d'autographes ; c'est avec une inlassable complaisance qu'il accorde aux solliciteurs les satisfactions vite obtenues :
- J'ai mis ma signature, dit-il, au bas de je ne
sais combien de cartes postales illustrées. Beaucoup d'amis inconnus, qui se disent aimablement mes admirateurs, achètent mes livres et me prient d'écrire quelques mots sur la première page ; je m'exécute très volontiers. Mais, hélas ! je ne suis guère disposé à augmenter la collection des bibliophiles par de nouvelles oeuvres.
- Pourquoi cela ?
- Les conditions dans lesquelles je travaillais en Alsace, déclare alors le vaillant artiste, ont disparue. Quelle joie, quelle excitation je puisais jadis dans ma campagne contre les oppresseurs de mon pays, les tyrans dont la haine implacable essayait de réduire la malheureuse Alsace ! Mes « charges » notaient les ridicules, les travers, l'orgueil grotesque, le puffisme extravagant de l'ennemi ; elles remplissaient mon album de croquis exacts, saisis sur le vif. J'opposais ainsi aux rodomontades ou aux insolences une satire sans cesse aiguisée par mon désir de jouer avec les tribunaux qui nous guettent comme la souris croit s'amuser aux dépens du chat, qui peut, d'un coup de croc, lui casser les reins.
Hansi faillit avoir les reins cassés. De même Zislin, et les autres caricaturistes, dont les taquineries exaspéraient la rage allemande :
- Des maisons d'édition françaises m'ont proposé des contrats avantageux, dit-il simplement. On me paierait fort cher des croquis en d'autres pays. Mais non ; il me semble qu'il manque à ma verve quelque chose, que je suis privé d'un stimulant. »
Ce qui manque à Hansi, c'est l'épée du Damoclès de Potsdam ; c'est l'assignation imprévue, la prison en perspective, les amendes, les contraintes par corps, toutes les persécutions que multipliait la rancune de ses bourreaux.
- Mais je savoure aujourd'hui, ajoute Hansi, les voluptés de la vengeance. Je suis interprète. Mes fonctions me mettent fréquemment, j'allais dire heureusement, en relations avec les traîneurs de sabre dont j'ai crayonné la silhouette dans les rues (le Mulhousfe ou sur les places de Strasbourg... »
Le bon oncle raconte alors de quelle manière il procède à l'interrogatoire des officiers que nos soldats ramènent assez souvent à Epinal.
- Si vous me, teniez entre vos malins, leur dit-il, mon affaire serait instruite et réglée en cinq secs. Le peloton d'exécution vous débarrasserait de moi. Le sort des armes vous livre à la merci des Français.
Savez-vous ce que les Français font ordinairement de
leurs prisonniers ?...
Naturellement la question trouble un peu les Boches auxquels s'adresse l'adjudant Hansi : plusieurs d'entre eux répriment mal leurs mouvements d'inquiétude. Mais pour mieux ménager ce qu'au théâtre on appelle les « effets », Hansi s'empresse de rassurer ceux qu'il tient ainsi sur la sellette :
- Oh ! soyez tranquille. On observe ici les lois de l'humanité ; on ne tue pas les enfants ni les femmes. Les prisonniers sont traités avec les égards que méritent les vaincus qui ont loyalement porté les armes pour défendre leur patrie. Non, vous ne serez pas condamnés à mort ! »
Ce sont les « blagues » peu féroces que réserve Hansi à ceux qui le traquaient.
Ne vous semble-t-il pas que ce genre de plaisanterie l'apparente avec Henri IV, se vengeant du ventripotent Mayenne en lui imposant une promenade où le chef des Ligueurs suait à grosses gouttes ?
LUDOVIC CHAVE.
L'AFFAIRE DE CHAUVONCOURT
t Le « Soleil du Midi » a reçu des détails intéressants sur l'action qui vient de se produire dans les environs de Saint-Mihiel et à Chauvoncourt plus particulièrement. Nous lui empruntons les passages suivants :
« Le 16 novembre au soir, les batteries lourdes, qui, de Koeur-la-Petite avaient soutenu notre assaut contre le Camp des Romains, prenaient position à Fresnes-au-Mont, sur la rive gauche de la rivière, à neuf kilomètres à l'ouest de Saint-Mihiel. L'objectif de l'attaque était la prise de Chauvoncourt.
Mais avant l'entrée en action de nos fantassins, il nous fallait détruire les obusiers allemands des Paroches. La place de l'artillerie adverse avait été repérée avec soin. En pleine nuit, nous ouvrons le feu. Un avion français survole les positions prussiennes et guide notre tir à l'aide de fusées. Les obus pleuvent sur les batteries bavaroises. Les Prussiens, surpris par ce bombardement subit, incapables de savoir d'où viennent les projectiles tentent de faire défiler leurs obusiers. Mais le poids des 280 s'oppose à un déplacement rapide. Pendant ce temps, nos shrapnells éclatent, tuant canonniers et servants. Un de nos 75, qui s'est rapproché sur la route, à moins de trois kilomètres des Paroches, réussit à faire sauter du premier coup la réserve de munitions des Bavarois.
Quand le jour se lève, nous avons envoyé 400 projectiles sur l'ennemi, qui nous a répondu à peine trente fois. Il est six heures. Notre infanterie, massée dans la presqu'ile des Romains, franchit rapidement la Meuse sur un pont de bateaux.
Tandis que notre cavalerie se porte sur la route de Fresnes, menaçant l'ouest de Chauvoncourt, nos fantassins, descendant le cours de la rivière, s'apprêtent à attaquer le village par le sud. Mais nos colon-
nes ne tardent pas à être signalées. Un grondement se fait entendre dans la direction des Paroches, et un obus vient tomber à notre gauche, sur un bois. Nous nous apprêtons à recevoir la bordée réglementaire qui suit le coup d'essai, mais la canonnade se réduit à un unique projectile toutes les trente secondes. Un seul obusier, endommagé sans doute est tout ce qui reste des batteries ennemies.
A dix heures notre infanterie est en vue de Chauvoncourt. Les Bavarois, qui depuis une demi-heure sont aux prises avec nos dragons à l'ouest du village, marchent à notre rencontre en masses serrées. Ils avancent par bonds, font cent mètres en courant tête baissée, puis se couchent, tirent une dizaine de salves, se relèvent et ainsi de suite. Et pour protéger leur avance, le dernier des 280 des Paroches nous envoie toutes les trente secondes son obus inoffensif et solitaire. Nos colonnes, qui se sont déployées, se sont arrêtées à l'abri d'un chemin creux. De là, posément, nos hommes saluent chaque bond des ennemis, leur causant des pertes sensibles. Les Allemands, qui craignent sans doute de nous aborder à l'arme blanche, ont fait halte à leur tour, derrière un vallonnement. De là, ils exécutent, une demi-heure durant, un tir plongeant sans grand effet. La lutte menace de s'éterniser dans une fusillade, lorsque notre cavalerie, qui s'est formée en bataille à notre gauche, reçoit l'ordre de donner. Dragons et chasseurs, la lance en avant, chargent en fourrageurs. Dans leur élan, ils entrent en plein dans les lignes de l'infanterie ennemie. Craignant d'être coupée, celle-ci se replie après une courte résistance. Nos cavaliers poursuivent les Bavarois, les obligeant à rentrer précipitamment dans Chauvoncourt. L'obusier des Paroches, qui tire en aveugle ses deux coups par minute, envoie trois projectiles en plein sur les' rangs allemands. Cette aide si précieuse; qui sème la panique chez les adversaires, permet à notre infanterie de franchir sans aucune perte les trois kilomètres qui nous séparent du village.
A l'entrée de Chauvoncourt, nos dragons qui ont mis pied à terre, sont en train de faire le siège des premières maisons. De derrière les murs, la fusillade crépite. Par les fenêtres, du haut des toits, les Bavarois nous tirent dessus. Mais nos compagnies se succèdent ; entraînées par leurs chefs, nos troupes se lancent à travers le village. Des portes sont enfoncées à-coups de crosses. Une bataille s'engage dans les rues, dans les cours, dans les escaliers. Nous parvenons à la première caserne, l'ancien quartier de cavalerie.
Dans une lutte de ce genre, on combat par troupes dispersées, souvent sans directions précises : les nôtres ne tardent pas à avoir l'avantage. Les Bavarois, sitôt hors de vue de leurs officiers, s'enfuient ou se rendent. A la fin du jour, nous sommes maîtres de la partie ouest de Chauvoncourt.
La nuit seule arrête la lutte. Le clairon sonne le rassemblement. Ce soir du 17 novembre, nous coucherons sur nos positions, dans une caserne française reconquise. Nous envoyons sur l'arrière deux cents prisonniers faits pendant l'attaque.
Les Allemands n'occupent plus sur la rive gauche de la Meuse que quelques maisons en ruines: Le 18, à cinq heures du matin, une détonation sourde se faisait entendre à l'extrémité de la grande rue de Chauvoncourt, en même temps qu'une pluie de terre, de pierres et de débris de toute sorte tombait sur le village. Trois maisons, vides heureusement, venaient de sauter.
Notre commandement donna aussitôt l'ordre d'évacuer la partie de la ville occupée par nos troupes. La précaution n'était pas inutile. Sur une étendue de deux hectares, l'ennemi avait miné le sud-ouest de Chauvoncourt. A huit heures du matin, tout un quartier sautait, y compris une caserne. Nos troupes s'étaient retirées dès cinq heures trente ; on ne compte aucune victime militaire. Mais parmi la population civile plusieurs personnes qui avaient refusé d'abandonner leurs demeures ont dû périr dans l'explosion. »
LE COMBAT DU BAN-DE-SAPT
Un correspondant du « Times », écrivant de Nancy, en date du 7 novembre, donne des détails intéressants sur les opérations qui se développent dans l'Est, Il écrit le combat qui eut lieu, le 20 octobre, dans la région du Ban-de-Sapt et qui fut un combat-type de tous ceux qui se produisent dans cette partie du théâtre de la guerre.
L'artillerie allemande avait pris position sur une colline commandant le Ban-de Sapt, et avec deux batteries de mitrailleuses placées près d'un ancien couvent, elle ouvrit, un feu violent sur les hameaux
de la commune. En même temps, trois compagnies d'infanterie bavaroise, protégées des deux côtés par les deux batteries de mitrailleuses s'avancèrent sur le village de Laulois. Mais les Français les attendaient. Au point du jour, tandis que les Allemands s'avançaient dans la direction de l'ouest, les Français, précédés de trois mitrailleuses et d'une demi-batterie de 75, s'étaient postés à un kilomètre et demi ouviren. dissimulés dans les bâtiments de la douane française. Une distance d'environ 4 kilomètres et demi séparait les canons des forces opposées. Les 75 français ouvrirent rapidement le feu contre les canons et les mitrailleuses allemands et l'engagement devint général.
En cinq minutes, les deux batteries de mitrailleuses de l'ennemi étaient détruites, et l'infanterie bavaroise, balayée par le tir des trois seules mitrailleuses de la colonne française, se réfugia dans l'église et dans les maison du village. A ce moment, les mitrailleuses cessèrent le feu. L'ordre de charger à la baïonnette fut donné, et vingt minutes plus tard le village du Ban-de-Sapt était aux mains des Français. Les batteries de campagne allemande? réussirent à s'échapper, mais des deux batteries de mitrailleuses de l'ennemi, une douzaine d'hommes à peine restèrent vivants. Les Allemands eurent 300 tues et 200 à 300 blessés. Les Français n'eurent que 12 tués et 40 blessés.
Depuis cet engagement, il y en a eu d'autres dans ce district, et le résultat en est que les Français, aujourd'hui, sont maîtres de cette partie de la frontière qui va de Badonviller à Sainte-Marie-aux-Mines.
Sans grande importance, en elle-même, cette action est le type du genre de combat qui se livre à la frontière de l'Est, et montre l'élan et l'impétuosité avec lesquels les Français repoussent les attaques occasionnelles de l'ennemi.
AU PAYS DE BRIEY
A AUDUN
Voici l'intéressant récit, d'après la « Croix », de ce qui s'est passé depuis la déclaration de guerre, à Audun, de l'arrondissement de Briey, occupé encore par l'ennemi :
Depuis plusieurs jours déjà les Allemands massaient leurs troupes sur la frontière. On pouvait voir, le 31 juillet, deux sentinelles allemandes garder le poteau frontière placé sur la voie ferrée.
Le même jour, la circulation fut interrompue aussi bien par route que par chemin de fer entre les deux pays Un fort détachement de chasseurs à cheval se trouvait à Fontoy.
A 17 heures, parvenait à la gare l'ordre d'évacuation. En une heure, la plupart des hommes valides quittaient le pays.
A 18 heures, le dernier train quittait Audun pour l'intérieur.
Les premiers soldats allemands qui franchirent la frontière en cet endroit, un détachement de uhlans, occupa le village le 4 août.
Jusqu'au 20 ils ne firent presque aucun dégât dans le village, se contentant de réquisitionner des vivres et des fourrages pour lesquels ils donnaient des bons.
C'est vers cette époque qu'eut lieu un beau fait d'armes des chasseurs à pied.
Ils étaient en embuscade le long de la voie. Une reconnaissance allemande descendait d'Audun sur Longuyon. N'ayant rien vu en route, elle envoya un message téléphonique à l'arrière. Les chasseurs l'interceptèrent : « Voie libre. Envoyez train.» Le train vint plein de soldats. Les chasseurs s'élancent, font dérailler le convoi, tuent 900 hommes, mettent les autres en fuite et disparaissent à leur tour.
Le 21, à 19 heures, commençait l'oeuvre de destruction, les sauvages brûlaient les cités des employés de l'Est et quelques maisons du haut du village.
Ce jour-là et les jours suivants, il passa dans là plaine plus de 100.000 hommes. Les paysans qui travaillaient aux champs durent abandonner leurs travaux.
Et malgré cette avance formidable, les soldats craignaient la retraite. A la vue des trains complets de blessés qui revenaient sans cesse du front, ils avouaient leur terreur aux habitants : « Nous serons battus, disaient-ils. »
Aussi voulurent-ils sans doute là, comme partout ailleurs, laisser trace de leur passage, et les exécutions commencèrent.
M. Somin fut arrêté et fusillé un soir. Les barbares le traînèrent dans le fossé, et comme il n'était pas mort, ils défendirent à sa femme, qui les en suppliait, d'apporter le moindre soulagement au malheureux qui n'expira que le lendemain matin.
Trente fantassins pénètrent dans la maison, font main basse sur tout ce qui leur plaît et détruisent le reste. Ils s'emparent du propriétaire, et, sous les yeux de sa femme et de ses deux filles, ils le fusillent devant sa maison. Mais ils sont tellement maladroits que deux balles seulement l'atteignent, le blessant assez grièvement. Des uhlans survenant alors l'achèvent à coups de lance. La famille n'eut pas même la consolation d'enterrer les restes de son chef. Après deux jours de prières, les Allemands permirent que le corps fût conduit au cimetière, mais refusèrent le brancard pour le transporter. Deux amis se dévouèrent alors et le placèrent sur une échelle et, détail horrible, le corps devenu rigide n'ayant pas une position horizontale, ce fut sa fille qui dut le tenir le long du parcours pour l'empêcher de tomber.
MM. Bernard et Michel emmenés comme otages furent conduits à Dudelange et là on les fusilla après leur avoir fait creuser leur fosse. M. Snard, parti à Malavillers, revient à Audun et est arrêté à son tour.- Qu'est-il devenu maintenant ?
Un jeune homme, le fils Thierry, a le cou tranché. Un vieux de 65 ans est fusillé.
Une jeune fille, Marie Roux, a le bras traversé par deux balles.
Et combien d'autres encore furent victimes de cette rage d'assassinat ? Nous saurons leur nom un jour, lorsque les bandits ayant enfin quitté le sol français, nous pourrons revoir ce qui fui nos villages, nos demeures.
Et chaque soir, après la tuerie, après le pillage, venait l'orgie à laquelle prenaient part certaines femmes du pays. Elles avaient été à la peine, pillant, elles aussi, volant les maisons inoccupées, il était bien juste que le soir elles fussent de la noce. Cela dura jusqu'à ce que les amis d'un, moment redevinrent ennemis. Un jour, elles furent chassées par ceux que la veille encore elles applaudissaient frénétiquement.
Celles-là aussi auront un jour la récompense qu'elles méritent. Peut-être alors reconnaîtra-t-on qu'une salle à manger prise dans ces conditions coûte plus cher que celles du Bon Marché.
Parmi ceux qui purent échapper à cet enfer, il faut citer Mme L.., dont le voyage mouvementé mérite une mention spéciale.
Partie d'Audun le 24 août avec sa mère, sa soeur, un bébé de quelques mois et quelques autres fugitives, elles se dirigèrent d'abord sur Trieux où elles séjournèrent six jours, puis de là sur Fléville où les Allemands mirent à leur disposition plusieurs voitures, des passeports (un général saxon leur offrit même de l'argent), afin de pouvoir continuer leur voyage par Rouvres et Etain jusqu'à Verdun.
Mme G., avec deux petits enfants, n'eut pas la même chance. Partie quelques jours plus tard, elle dut rebrousser chemin à 4 kilomètres d'Audun, et vint se réfugier à Beuvillers où se trouvaient déjà de nombreuses évacuées d'Audun. Elle y séjourna près de deux mois, dans une tranquillité toute relative et non exempte de privations. Elles passèrent dix jours sans un morceau de pain.
Enfin, le 16 octobre, avec une amie, elle obtient un passeport pour la Suisse. Le voyage s'effectue bien jusqu'à la frontière suisse. Mais là, elles sont arrêtées et ramenées à Fribourg. On les interne dans une pension. Elles y restèrent six jours.
« Nous étions très heureuses, m'ont-elles dit ».
Des dames leurs firent raconter leur infortune. L'aumônier demanda pour elles l'autorisation de sortir et se fit gracieusement leur cicerone. Chacun s'ingénia pour adoucir aux malheureuses et à leurs enfants le séj our en territoire allemand. Ils firent même les démarches nécessaires pour obtenir le fameux papier qui leur permettrait de reprendre le voyage interrompu, et lorsqu'enfin il fut parvenu, le brave abbé voulut les accompagner lui-même et tint à payer le supplément de leur billet pour qu'elles puissent prendre un express. Il était temps. Quelques jours plus tard l'autorité allemande rassemblait toutes ces victimes de l'invasion et formait des camps de concentration dans la Forêt Noire.
A l'heure où ces lignes sont écrites, il ne reste plus rien de ce qui fut Audun. L'église elle-même n'a pas trouvé grâce devant les pirates. Seule peut-être la nouvelle gare, qui du reste n'était pas encore achevée, sera sauvée.
Des autres maisons, il ne restera là comme. partout que des ruines fumantes qui attendront patiemment que sonne l'heure des réparations.
MINES DE LONGWY & BRIEY
La « Deutscher Eisenhandel », dans son n° 45 du 7 novembre 1914, porte l'avis suivant, que nous reproduisons sous toutes réserves :
Par ordre de l'empereur et selon notification du chancelier de l'Empire, les mines de Longwy et de Briey ont été mises sous l'administration civile allemande.
Les mines et les sociétés métallurgiques de cette région ont passé sous une administration de protection, afin de continuer, dans la mesure du possible, l'exploitation de ces importantes affaires, malgré le manque de personnel, et afin que le service hydraulique continue à fonctionner pour que les puits de mine ne soient pas inondés.
LES BOMBARDEMENTS DE PONT-A-MOUSSON
Dans la nuit de samedi 14 à dimanche 15 novembre, les Allemands ont bombardé à nouveau Pont-à-Mousson.
La municipalité a pris les mesures nécessaires pour assurer l'hospitalisation d'une cinquantaine d'habitants qui sont partis pour Nancy.
LE DANGER DES OBUS
Lundi soir, 16 novembre, à 8 heures et demie, à Rozelieures, dans la maison de Mme veuve Paquotte, les fils de cette dame distillaient de l'eau-de-vie. Pour passer leur temps, ils résolurent de démonter un obus qu'ils avaient ramassé dans le village. Léon Paquotte, entouré de son frère Emile, du jeune Anxionnat, 14 ans, et d'un voisin, M. Augustin Claudin, âgé de 60 ans, se mit en mesure d'ouvrir le projectile à coups de burin pour en sortir la poudre, disait-il.
Au premier coup de marteau, l'obus éclata avec un bruit énorme qui fit accourir les habitants du village. La maison Paquette était dans un état lamentable, les cloisons sautées, le mobilier détruit, une large baie ouverte dans le mur.
Dans la rue se traînait jusqu'au ruisseau le fils Léon Paquotte, dont une cuisse était arrachée complètement. Le membre fut retrouvé à dix mètres de la maison. Emile Paquotte fuyait la face brûlée. Le jeune Anxionnat était mort. M. Claudin, les cheveux et la barbe brûlés, courait en criant comme un fou.
M. le docteur Jacot, de Bayon, fut appelé. A son arrivée, Léon Paquotte avait succombé. Il allait partir au régiment.
La semaine dernière, M. Cropsal, à Einvaux, avait eu l'imprudence de retourner un obus non éclaté. L'engin sauta et le malheureux eut les doigts de la main droite emportés.
On ne saurait trop recommander aux cultivateurs de ne pas toucher aux obus. Ils doivent les laisser sur place et les signaler à l'autorité militaire.
(à suivre) |