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Novembre 1914 - La Vie en Lorraine (3/3)

 
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L'Eau, le Canon, les Baïonnettes
LES REFOULENT EN BELGIQUE
Un Régiment allemand détruit

Bordeaux, 16 novembre, 16 heures.
Le long du canal de l'Yser, de Nieuport jusqu'en amont de Dixmude, il n'y a eu, dans la journée d'hier, qu'une simple canonnade.
De nouvelles inondations ayant été tendues, le terrain immergé se prolonge actuellement au sud de Dixmude, jusqu'à cinq kilomètres au nord de Bixchoote.
Les forces ennemies qui avaient tenté de franchir le canal, entre la. région de Dixmude et celle de Bixchoote, ont toutes été refoulées au delà des ponts.
Un régiment allemand a été entièrement détruit au sud de Bixchoote.
Au sud-est d'Ypres, deux autres attaques des Allemands ont été repoussées.
Nous avons, de notre côté, pris l'offensive et reconquis quelques points d'appui dont l'ennemi avait pu se rendre maître, il y a quelques jours.
Entre la Lys et l'Oise, on ne signale que des opérations de petites unités et des progrès partiels de nos travaux d'approche.
Dans la région de l'Aisne et en Champagne, canonnades sans résultat.
Dans la région de l'Argonne, Saint-Hubert a. été encore attaqué, sans succès, par les Allemands.
Dans la région de Saint-Mihiel, l'ennemi a échoué dans un coup de main tenté sur le bois d'Apremont. - Dans les Vosges, peu d'activité.

EN ALSACE

La défense de Strasbourg

On a annoncé ces derniers jours, dit le Démocrate, que des troupes considérables étaient concentrées à Strasbourg. D'après des renseignements qui nous parviennent, de bonne source, nous pouvons dire qu'il ne s'agissait que des hommes du landsturm qui n'avaient pas encore été appelés en Alsace et qui ont dû se réunir dans cette place. On les a rapidement préparés et les meilleurs sont partis. Les autres ont été occupés aux travaux de fortification entrepris autour de la ville.
Ces travaux sont considérables ; mais il semble qu'ils aient été exécutés avec une hâte qui a nui parfois à leur solidité. C'est ainsi qu'au fort de Graffenstaden, entre le Rhin et le canal du Rhône au Rhin, on avait fait installer des plates-formes en ciment pour y placer des pièces d'artillerie; or, il a fallu recommencer la besogne parce que la couche de ciment, posée sur un terrain sablonneux et mouvant, n'a pas résisté sous le feu des lourdes pièces d'artillerie. On a remplacé le ciment par des blocs de béton de deux mètres d'épaisseur.
On projette, en cas d'attaque de la place, d'inonder tout le sud de la ville au moyen de l'Ill et du canal du Rhône au Rhin. Mais il n'est pas certain que cet expédient aurait des chances de succès, puisqu'il suffirait à l'assiégeant de creuser un canal de dérivation de Mundolsheim au Rhin.
Il est du reste peu probable qu'une attaque serait entreprise de ce côté, où l'assaillant se trouverait directement sous le feu du puissant fort de Mutzig. Au contraire, au nord, les obstacles à surmonter seraient beaucoup moindres, surtout si l'attaque était dirigée du côté de Haguenau, le long de la voie ferrée.
On a pris toutes les mesures pour assurer la défense de la place dans les meilleures conditions possibles, mais ces points faibles ne laissent pas que de préoccuper les autorités militaires.

Autour de Belfort

Il y a moins d'un mois, des gens qui prétendaient être bien informés affirmaient avec énergie qu'une grosse action se préparait en Haute-Alsace. De Bâle, on annonçait que des files immenses de troupes, avec d'importantes forces d'artillerie, passaient le Rhin sur des ponts de bateaux, près de Leopoldshoele, et se dirigeaient du côté de l'ouest. Des journaux, pour corser l'affaire, parlaient même de l'arrivée des fameux mortiers de 420, qui devaient entreprendre le siège de Belfort. Avant quinze jours, la célèbre place devait tomber entre les mains des Allemands et la chute de Verdun devait suivre sans délai.
Tout cela était du bluff. La preuve en est faite aujourd'hui. En réalité, ces nouvelles venues d'outre-Rhin, n'avaient d'autre but que de donner le change et de faire croire que les Allemands disposaient de forces considérables en Haute-Alsace ou dans le pays de Bade, alors qu'ils n'ont dans cette région que de pauvres contingents et qu'ils ont en quelque sorte dégarni Istein, dit le Démocrate.
Au moment même où cette campagne de presse battait son plein, ils rassemblaient tous les hommes et tout le matériel encore disponible, pour les diriger sur la Belgique, où leur situation est fort difficile.
Dans les milieux militaires français du reste, on ne s'est pas laissé prendre à cette, malice cousue de fil blanc.
Il y a trois semaines, les Allemands n'avaient en Haute-Alsace que les forces suivantes : le 109e de landwehr, à Moernach., Biesel et Ferrette ; les 110e à Altkirch, 40e à Galfingen et 119e à Cernay. A la frontière suisse, de Winkel à Courtavon, le territoire était uniquement occupé par des hommes du landsturm. Depuis lors, quelques troupes - environ quatre régiments sont arrivées, à la nouvelle que les Français avaient eux-mêmes renforcé leurs contingents.
La cavalerie allemande est presque nulle en Haute-Alsace. Les services qui lui inl, combent d'habitude sont confiés aux cyclistes militaires, qui, toutefois, sont devenus plus prudents et ont cessé à peu près complètement de s'aventurer dans les lignes françaises.
Quant à l'artillerie, elle se réduit à quelques batteries seulement, dont les effets n'ont pas été bien terribles jusqu'ici, au sud du moins. On a pu s'en rendre compte lorsque les obus allemands sont tombés sur le territoire suisse, à la ferme de Largin, près de Bonfol. Plus au nord, à Cernay, en face de Thann, les Allemands disposent d'excellente artillerie lourde dont nous avons eu l'occasion récemment de relater les exploits.
Les deux adversaires continuent à se fortifier. Ils ont aménagé leurs tranchées de la façon la plus confortable possible : les Français sont sur la rive gauche de la Largue, de Serpois à Friesen ; ils sont devant Dannemarie, à Ballerstorf et à Gommersdorf, en face d'Altkirch ; ils occupent ensuite les villages plus au nord, vers Thann sur une ligne qui passe à Sentheim, à l'entrée de la vallée de Masseveaux. Comme nous avons eu l'occasion de le dire, ils tiennent, plus haut, tous les cols des Vosges et les vallées qui en débouchent, ainsi que les sommets proches de la frontière ; de sorte qu'il leur sera facile, à l'heure voulue, de diriger une sérieuse offensive du côté de la plaine d'Alsace et du Rhin.
Les forces allemandes sont juste en face de leurs adversaires, d'Altkirch à Cernay, avec des réserves peu importantes à Mulhouse.
Comme on le voit, il ne faut pas s'attendre pour l'instant - et peut-être d'ici plusieurs semaines - à des opérations importantes en Haute-Alsace. Du moins, c'est la conclusion qui se dégage d'un coup d'oeil d'ensemble sur les forces immédiatement en présence.
Toutefois, il est possible que l'issue de la bataille du Nord ne soit pas sans influence sur la suite des événements dans cette région. A Belfort, se trouvent des troupes extrêmement considérables, et il est certain que si les Français voulaient lancer cette armée en Alsace, ils nettoieraient le pays sans difficulté. Pourquoi ne le font-ils pas ? Parce qu'ils ont des raisons de ne pas entreprendre une opération de ce genre.

EN ANALYSANT UN OBUS

Nancy, 18 novembre.
M. Noël, directeur de la Madeleine, caporal au ...e territorial, détaché au service des automobiles, avait été prié d'apporter ses connaissances de chimiste à la manipulation et à l'analyse d'un obus pour en déterminer la composition.
L'examen de l'engin était presque terminé, quand, soudain, une violente explosion se produisit. L'obus, en éclatant, avait enlevé trois doigts de la main de M. Noël et l'avait grièvement blessé à la figure.
L'oeil droit est considéré comme perdu.
Son capitaine a proposé M. Noël pour la médaille militaire.

SOLDAT A 13 ANS
UN GAMIN EN CAMPAGNE

C'est un Nancéien, un gosse qui pourrait tout aussi bien lancer une toupie, jouer aux chiques, faire dans nos rues, comme nos écoliers en vacances, la petite guerre avec un sabre de bois, un képi en carton et un mouchoir pour drapeau...
Charles Trottemant a treize ans. Il est né en effet le 9 juillet 1901. Sa famille se compose du père, de la mère et de neuf enfants. Il est l'aîné des garçons. Ce n'est pas lui, certes, qui met le moins de bruit dans la maison où vivent ensemble parents et mioches au numéro 66, rue de l'Equitation.
Au lieu de la petite guerre, Charles Trottemant a voulu tâter de la grande et, dans le tapage qui remplit la maison, il mêle aujourd'hui le récit de ses précoces exploits :
- Ah ! il nous a fait bien de la peine, soupire la mère. Figurez-vous qu'un beau jour il est parti de chez nous, sans nous prévenir. On l'a cherché partout. Peine inutile. On le croyait perdu, mort. Du diable si nous aurions deviné qu'il marchait avec les régiments.
La maman a séché ses larmes. Si elle pleure maintenant, c'est de joie en lisant les témoignages de satisfaction que son jeune gars a rapportés déjà de la campagne, et de fierté en écoutant son Charlot raconter sa fugue :
- C'était le 13 août, explique le gamin... Je me trouvais à la gare, dans la cour de la petite vitesse. Des soldats arrivaient. L'idée d'aller avec eux, de porter le flingot, de canarder aussi les Boches me poussait. Ma foi, j'ai suivi le 146e de ligne jusqu'à Crévic. Cela m'amusait beaucoup.
Pour ses débuts dans la carrière des armes, Charles Trottemant connut les corvées, naturellement :
- Les soldats me chargeaient de leurs commissions, dit-il gaiement. Pour me remercier, ils me prêtaient leur fusil. Ça tape rudement dans l'épaule, vous savez, à cause du recul. Parbleu ! un fusil, c'est trop grand, trop lourd pour moi. J'ai été bien content, allez ! quand j'ai pu me servir d'un mousqueton. quoique le mousqueton fasse plus de mal à l'épaule. ;; »
Ne vous avisez pas de dire à Charles Trottemant qu'il est un enfant de troupe, il protesterait avec une farouche indignation :
- Je suis un soldat, un vrai soldat. J'ai fait campagne, moi ;;. »
Gardez-vous également de le traiter en héros. Il hausserait les épaules. Sa modestie s'offenserait. Tout le monde est capable d'en faire autant que lui. Une belle fichaise que la guerre : quand les balles sifflent on se tapit dans les tranchées... Les grosses «  marmites » font plus de potin que de mal. Et puis les Boches sont singulièrement maladroits !
La guerre, on en revient. La preuve c'est qu'il est encore debout sans une égratignure, le petit Trottemant, qu'il rigole comme un parapluie et qu'il se tord comme une baleine, frimousse en éveil, nez au vent, l'oeil goguenard, la bouche fendue comme une tirelire pleine de blagues et de chansons :
- Tu as l'intention de repartir ?
La présence de la mère gêne un peu la réponse ; mais un mouvement de la tête traduit familièrement toutes les expressions du langage populaire :
- Voyons ! est-ce qu'on lâche en public des naïvetés pareilles... Repartir ? Pour sûr qu'à la prochaine occasion je remettrai les voiles dare-dare... Va, mon vieux, t'occupe pas du chapeau de la gamine... et pousse la voiture. »
Au surplus, puisque la famille se compose de onze personnes, il semble logique, naturel en somme, puisque le père est réformé, que l'aîné des gars soit à sa place sous les drapeaux L'appel de la «  Vivandière » claironne dans ce jeune cerveau :
Viens avec nous, petit !.
Tu connaîtras le froid, tu connaitras la faim,
Tu sauras ce que c'est que de manquer de pain,
Qu'avoir les doigts glacés en tenant le fusil.
Mais ton coeur te dira : Souffre pour ton pays !
Si tu tombes au feu, tu meurs comme un vaillant.
Viens avec nous, petit. Viens !
Avec son régiment, le «  bleu » de treize ans, traversa les champs de bataille lorrains. Il était à Morhange ; il se replia sur Chambrey ; il descendit dans les tranchées d'Haraucourt et de Sommerviller :
- Là, j'ai rencontré le 4e d'artillerie lourde, raconte Trottemant... J'ai aidé les cuisiniers ; je soufflais sur le feu, j'épluchais les patates ; je surveillais la soupe... Mais voilà qu'un beau jour la fumée est aperçue par les Allemands. Les obus dégringolent sur nous. On était au bord des bois de Crévic... Ah ! monsieur, quelle avalanche ! Notre 120 long, un canon comme il y en a dans les forteresses, ripostait de son mieux. On a tenu longtemps. A la fin, il a fallu tout de même plier bagages... »
Comme nous lui parlons des emplacements occupés par nos troupes sur le terrain, Charles Trottemant précise, avec l'autorité d'un officier qui consulte sa carte :
- On est resté à la cote 311...mais je suis allé sur la cote 316... Pendant dix jours, monsieur, la batterie n'a presque pas bougé des bois de Crévic... Je servais la deuxième pièce... Le maréchal des logis m'aimait beaucoup...
Si le fusil est lourd, si le recul du mousqueton blesse l'épaule, il nous semble que le métier d'artilleur présente aussi quelques inconvénients et qu'il exige des forces au-dessus de son âge :
- Oh ! réplique le gosse, je ne faisais pas de besogne très fatigante... J'étais pourvoyeur de gargousses... J'en mettais trois dans un sac de cuir. Ça pèse environ un kilo et demi. Vous voyez que je suis de taille à porter trois gargousses.
Le jeune artilleur s'est dressé. Son képi penche crânement sur l'oreille ; son pantalon à bande rouge a un peu trop d'ampleur, mais son dolman s'ajuste sur la poitrine. Le capitaine a commandé au tailleur du fort de Bruley un uniforme sur mesure :
- Vous m'excuserez si ma tenue est sale... En campagne, n'est-ce pas, le temps manque pour l'astiquage... On a autre chose à faire... Les coups de brosse, c'est pour les revues dans les chambres ou dans la cour d'une caserne... »
Quand l'évacuation des troupes allemandes eut rendu à la Lorraine un peu de tranquillité, le régiment du petit Trottemant s'en alla vers le Nord :
- On s'est embarqué dans un train à Toul...
La mère du jeune artilleur intervient
- Oui, monsieur il a eu le courage, en traversant Nancy, de passer auprès de la maison sans y entrer... Franchement, est ce raisonnable ?. Les enfants, quels ingrats !... Nous vivions dans les transes...
Mon mari avait été mobilisé, mais on l'avait réformé au bout d'une dizaine de jours... Tout le monde aurait été content de savoir ce qu'était devenu notre Charles..
Le coureur d'aventures n'aurait pu résister à l'étreinte des bras maternels ; il eût été sans forces pour déserter de nouveau la maison ; il s'est épargné l'attendrissement des adieux ; il voulait continuer quand même son escapade :
- Tiens ! je n'ai pas voulu m'arrêter, car vous m'auriez probablement empêché de suivre les camarades. »
L'appréhension d'une remontrance ne se présente pas à mon esprit. Ce qu'il évite, c'est une atteinte à la liberté ; il aime les alertes, les nuits à la belle étoile, les obus qui crèvent le sol, la gamelle qu'on attend longtemps et qu'on recevra seulement le lendemain :
- Tu n'as jamais eu peur ?
- Peur ? non... Faim ? oui... Mais on s'habitue... Je n'ai jamais souffert... De Toul, le ...e d'artillerie a été dirigé sur le Nord. J'étais là-bas, du côté de Rosières, d'Etinehem, puis nous sommes venus à Bray-sur-Somme. De terribles batailles, je vous en réponds...
Charles Trottemant a été, de Bray-sur- Somme, renvoyé dans ses foyers, à cause des rigueurs de la saison. Par un scrupule qui honore son capitaine, celui-ci n'a pas consenti à engager davantage sa responsabilité en exposant un enfant aux épreuves de la campagne.
Il a remis au gamin une lettre qui vaut les plus élogieuses références.
Nous la citons textuellement :
«  Chère Madame,
Je certifie que votre fils Charles a fait' avec ma batterie la campagne et qu'il a participé à nos combats. Il s'est toujours conduit comme un courageux petit soldat, rendant service à tout le monde et faisant oeuvre utile. Les fatigues de l'hiver, les marches de nuit ne permettent plus d'assurer sa sécurité comme j'ai pu le faire jusqu'ici. Je profite d'une occasion pour vous le rendre en bonne santé et bon courage.
Nul doute qu'il soit un bon fils comme il est un bon Français.
Capitaine HENRI MICHELAND. »
En repliant la lettre soigneusement, le gosse résume ses impressions :
- Je gagnais un sou par jour. N'empêche que j'ai rapporté à la maison un peu d'argent... Les soldats se sont cotisés... Le métier est dur... On maigrit, surtout dans les premiers temps...
Et le benjamin de nos armées, le plus jeune artilleur de France peut-être, ce volontaire nancéien de treize ans, répète avec l'accent que devaient avoir les vétérans de l'Empire après leurs glorieux exploits, leurs courses à travers l'Europe :
- J'en ai vu... ah ! pour ça, oui, j'en ai vu... »
ACHILLE LIÉGEOIS.

DANS LES FLANDRES
Ses attaques vaines partout.
En Alsace, ses réservistes, décimés, reculent.

Bordeaux, 18 novembre, 17 heures.
La journée du 17 a été analogue à la précédente ; nombreuses canonnades et quelques attaques isolées de l'infanterie ennemie, toutes repoussées.
De la mer du Nord à la Lys, le front a été assez activement bombardé, notamment à Nieuport, à l'est et au sud d'Ypres.
Près de Bixschoote, les zouaves, chargeant à la baïonnette, ont brillamment enlevé un bois, disputé depuis trois jours entre l'ennemi et nous.
Au sud d'Ypres, une offensive de l'infanterie ennemie a été refoulée par nos troupes.
L'armée anglaise a également maintenu son front.
D'Arras à l'Oise, rien à signaler.
Dans la région de Craonne, notre artillerie a pris, en plusieurs points, l'avantage sur les batteries ennemies.
Le bombardement de Reims a continué.
De Reims à l'Argonne, rien à signaler.
Dans la région de Saint-Mihiel, malgré les contre-attaques allemandes, nous avons conservé la partie ouest de Chauvoncourt.
En Alsace, les bataillons de landwehr, envoyés dans la région de Sainte-Marie-aux-Mines ont dû être ramenés en arrière, ayant perdu la moitié de leur effectif.

ACTES SE COURAGE et de DÉVOUEMENT

Nancy, 18 novembre.
Des médailles d'honneur et des mentions honorables sont accordées et des lettres de félicitations sont adressées aux personnes ci-après désignées, qui ont accompli des actes de courage et de dévouement :
MEURTHE-ET-MOSELLE
L. F. - M. Léger (Jules), surveillant à la gare de Nancy ;
L. F. - M. Morel (Joseph-Hubert), employé à la gare de Pagny-sur-Moselle ;
L. F. - M. Bacro (Alfred-Joseph), batelier à Nancy ;
M. H. - M. Moreaux (Georges-Etienne), gendarme à pied à la 6e légion de gendarmerie.

VOSGES
M. H. - M. Vilmin (Auguste), brigadier de police à Epinal.
M. H. - M. Sartory (Jules-Augustin), demeurant à Paris.
L. F. - M. Kempf (Camille - Adolphe), représentant de commerce à Saint-Dié.

QUATRE NOUVEAUX TRAINS

Nancy, 18 novembre.
La Chambre de commerce de Nancy a reçu de M. l'Inspecteur, principal de la Compagnie des chemins de fer de l'Est, en réponse à une demande qui lui avait été adressée, la lettre dont copie suit et qu'elle est heureuse de porter à la connaissance du public :
Monsieur le Président,
Par votre lettre du 12 courant, vous avez bien voulu me transmettre une demande que vous avait adressée M. le Maire de Frouard, dans le but d'obtenir la misé en marche entre Nancy et Frouard et viceversa, de nouveaux trains de voyageurs, qui permettraient aux ouvriers de se rendre à leur travail.
J'ai l'honneur de vous faire connaître que mon administration vient d'autoriser la mise en marche des quatre trains dont l'horaire est indiqué ci-après et qui auront lieu à partir du 18 courant.
Tr. 12035. Tr. 12111.
Nancy. 5.44 18.24
Champigneulles. 5.54 18.34
Frouard 6.00 18.40
T. 12008. Tr. 12084.
Frouard. 5.39 18.19
Champigneulles. 5.45 18.25
Nancy. 5.58 18.38
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma considération la plus distinguée.
L'inspecteur principal :
Signé : A. NÉROT.

CANONNADE ININTERROMPUE DANS LE NORD
Les Allemands font sauter une partie de Chauvoncourt

Paris, 19 novembre, 0 h. 45.
Le communiqué officiel du 18 novembre, 23 heures, dit :
La journée a été marquée par une canonnade très violente, presque ininterrompue sur notre front nord.
Dans la région de Saint-Mihiel, les Allemands ont fait sauter la partie ouest de Chauvoncourt, qu'ils avaient minée.
Sur le reste du front, rien à signaler.

UNE VISITE AU
Champ de bataille de Mandray

Lépanges, 19 novembre.
Un employé de la Compagnie de l'Est, M. Ch. Laurent, facteur enregistrant à Pompey, détaché à Lépanges (Vosges), pendant le commencement des hostilités, a bien voulu nous adresser le compte rendu suivant d'une visite qu'il a faite au champ de bataille de la côte de Mandray, quelques jours après le combat des 6 et 7 septembre :
«  Parti de Lépanges par un train complètement bondé d'évacués rentrant dans leurs foyers vers Rambervillers et Saint-Dié nous traversons successivement Bruyères et Laveline, dont les quais sont encombrés de familles entières chassées par l'invasion et qui ont de la peine à trouver place dans les compartiments.
A la Houssière, un drapeau de la Croix Rouge flotte sur une grosse maison du village. Sur la route qui longe la voie ferrée, des voitures régimentaires, des chariots, des caissons se suivent sans interruption.
Tout le long de la ligne nos territoriaux font bonne garde.
Entre Corcieux et Saint-Léonard, au hameau du Sarupt, des trous énormes d'obus sillonnent la prairie, des sapins de la forêt sont coupés et hachés par les projectiles ennemis.
Saint-Léonard ! Ici on s'aperçoit que l'on approche du théâtre de la lutte, la toiture du bâtiment principal de la station porte la trace de trois trous d'obus. L'hôtel du Saumon, la maison du garde barrière ont été incendiés, une partie de la toiture de la halle servant à la petite vitesse est complètement démolie et pend lamentablement.
Enfin, nous arrivons à Saulcy, la petite station a particulièrement souffert ; par tout des traces de balles dans les vitres, les portes ont été défoncées à coups de crosses, tout autour le sol piétiné, enfin, tout indique qu'il s'est passé là une résistance opiniâtre ; la palissade est brisée le long du quai des voyageurs ; là tout près, un casque prussien défoncé et maculé, un sac allemand déchiré.
Un obus tombé sur les water-closets, a démoli le cabinet «  côté dames ». La maison du garde-barrière n'offre plus aux regards que quatre murs noircis.
Nous traversons la barrière du chemin de fer, le café de la Gare à droite a été préservé et ne présente aucune trace d'incendie, mais le pillage est passé à cet endroit ; la maison est absolument vide.
A gauche de la route, voici une maison dont il ne reste que les murs ; dans le jardin, une tranchée creusée par nos soldats vient se terminer près de la route ; en haut du pignon, dans le mur, les fenêtres béantes supportent des pots de fleurs dont la verdure tranche singulièrement au milieu de ces ruines fumantes. Sur une fenêtre du bas, un litre aux trois quarts remplis de vin et un verre presque plein semblent indiquer que les habitants du lieu on fait passer à nos braves troupiers quelques réconfortants avant l'attaque du village.
Dans les rues, des femmes s'abordent et s'embrassent en pleurant :
- Vous avez de la chance ! dit l'une d'elles, votre maison est debout ! mais la notre ! plus rien !. »
Et ce sont alors des sanglots à fendre l'âme.
Ici, sur le bord de la route, des cadavres de chevaux carbonisés, dont on aperçoit encore les quatre fers ; les corps ont été brûlés après avoir été arrosés de pétrole.
Partout, ce n'est que ruines, routes coupées par des tranchées, murs percés de créneaux ; voici à la sortie du village, une maison criblée de balles et dont la literie est éparse dans la grange et dans le caniveau de la route ; le linge est rempli de sang, des blessée ont dû séjourner là.
Plus loin, un pont transformé an barricade, des chariots, des échelles barrent la route. Les parapets du pont sont écornés par les éclats des projectiles.
A droite de la route, dans la prairie, on aperçoit, le long d'un ruisseau bordé de saules, des fusils en faisceaux et recouverts d'une veste ou d'un képi.
La route qui conduit à Entres-deux-Eaux est jonchée de fusils brisés, de sacs ouverts dont le contenu est épars ; les talus ont été transformés en travaux de défense, des sacs éventrés, des uniformes salis et déchiquetés, des cartouchières, etc.
De distance en distance, un immense trou de 3 à 4 mètres de diamètre a creusé le sol et projeté les débris à 20 mètres de là. Au bord de la route, des tombes fraîchement recouvertes ont, en guise de croix, un fusil planté debout, la crosse en l'air surmontée du képi du brave tombé à cet endroit.
A gauche de la route, dans la prairie, des fusils en faisceaux, des tombes et encore des tombes.
De là, nous apercevons le village d'Entre-deux-Eaux, et, au-dessus, sur la droite, la côte de Mandray.
Un obus a coupé la route dans le sens de la largeur ; à cet endroit, un peuplier est couché, arraché, et un chariot qui se trouvait probablement attelé au moment de l'explosion est en morceaux au bord du fossé. Les chevaux de l'attelage sont enfouis à côté.
Nous entrons dans le petit village. Partout des fusils, des casques prussiens, des bettes jonchent le sol. Dans un jardin, trois tombes allemandes portent sur de petites croix de bois les noms de ceux qui reposent sous chaque monticule. Dans le clair ruisseau qui serpente dans la rue principale du village, des milliers de cartouches allemandes ont été jetées et lancent des reflets étincelants.
Je m'arrête près d'une grosse maison, à la sortie du pays, pour prendre un peu de repos, et j'en profite pour sortir de ma musette une croûte de pain et une boîte de sardines, car la marche m'a creusé L'estomac et l'appétit se fait sentir.
Les habitants de la ferme sont occupés au nettoyage de différentes pièces du bâtiment, qui a été occupé par les Allemands, lesquels, d'après les dires du fils de la maison, ont laissé quelques souvenirs jusque dans la vaisselle !...
Parmi les flaques de boue qui recouvrent le chemin, on ne voit que bidons, ceinturons, képis, etc. ; Le petit coteau qui surmonte ce chemin est labouré par les obus.
Des champs de seigle, de genêts, de luzerne sont couverts de débris d'uniformes français et allemands, de fusils avec baïonnette au canon, qui sont alignés sur un talus. Des crosses brisées, des cartouchières éparses sur le sol piétiné, indiquent qu'un terrible corps-à-corps a eu lieu à cet endroit. Plusieurs baïonnettes Lebel sont brisées au niveau de la poignée !...
Ici, tout un rang de bottes allemandes, à moitié remplies de sang, est aligné le long d'un petit bois ; à côté, l'emplacement d'une batterie allemande, des centaines de culots d'obus jonchent le sol ; jusqu'à des obus allemands renfermés dans de petits paniers d'osier, qui attestent un brusque départ des artilleurs ennemis.
Partout des fosses fraîchement recouvertes ; partout des fusils fichés en terre indiquent l'endroit où nos vaillants soldats reposent.
J'achève mon triste pèlerinage en adressant un souvenir ému à tous ces braves qui m'entourent, pendant que sur les collines opposées, j'aperçois très distinctement les obus de notre artillerie, qui occupe le village de Coinches, et, au loin, La Croix-aux-Mines, près de la frontière, où est massée l'artillerie allemande, dont j'entends nettement la riposte.
Tout au loin, dans le noir des forêts de sapins, Sainte-Marie-aux-Mines se détache au delà de la frontière, sur la ligne bleue des Vosges.
CH. LAURENT.

L'ITALIE FRÉMIT

Nancy, 19 novembre.
L'impatience du peuple italien paraît ne plus se contenir. Partout on sent bouillonner l'esprit national. L'agitation balkanique a déterminé le grand frisson.
Dimanche dernier une imposante manifestation en faveur de la guerre jetait Rome en grande émotion.
Au banquet offert à Federzoni, le nouveau représentant de Rome au Parlement, les orateurs ont soulevé l'enthousiasme en déclarant que l'Italie se ruinait moralement et matériellement si elle restait les bras croisés dans l'immense conflit européen.
Oliva, le meilleur critique littéraire de ces temps, s'écriait :
- Nous avons le devoir d'espérer. Regardons à nos frontières de l'Est, et préparons-nous à les franchir.
Après Oliva est venu Pantaleoni, ancien professeur de l'Université de Genève, qui, ayant autrefois dirigé son esprit vers les idées socialistes, s'est rallié au nationalisme.
Qu'est-ce qui constitue une nation, s'est demandé M. Pantaleoni ? Ce n'est pas l'identité de langage, puisqu'il y a au monde une Suisse où l'on parle trois langues. Ce n'est pas non plus l'identité de religion, puisqu'il existe une Allemagne composée de catholiques et de protestants. Non, ce qui constitue une nation, c'est l'unité de conscience, l'unanimité du sentiment national. Or, cette unité est celle que nous poursuivons et nous devons être prêts à tout pour la réaliser.
Enfin le héros de la fêle, Federzoni, le nouveau représentant de Rome, a déclaré que l'Italie devait dès maintenant entrer dans le conflit aux cotés des puissances alliées.
C'est un devoir pour nous, a-t-il dit, de nous associer aux efforts des autres nations qui luttent contre l'hégémonie germanique.
Nous devons, pour l'achèvement de nos destinées historiques, affirmer notre solidarité avec toutes les nations européennes ennemies du bloc austro-allemand. Notre génération serait à jamais déshonorée, si elle laissait passer l'occasion qui s'offre aujourd'hui et qui certainement ne se présentera plus, de délivrer finalement Les provinces italiennes encore sujettes de l'Autriche.
On ne peut guère être plus clair. Les cris ardents de «  Vivent Trente et Trieste ! » qui ont accompagné l'ovation finale n'a laissé aucun doute sur le sens et sur la portée de la manifestation.
Dans une autre réunion, le même jour, le député italien Meda exprimait sa sympathie au vaillant et douloureux peuple belge.
Le lendemain, à Milan, l'assemblée démocratique régionale lombarde, comprenant 5 sénateurs, 33 députés et 30 associations, votait un ordre du jour demandant que soit assurée à l'Italie la possession des territoires des Alpes Adriatiques auxquels elle a droit pour des raisons ethniques et de sûreté nationale, et pour la défense de ses intérêts moraux et économiques.
Après une conférence faite par le publiciste Gayda, et qui avait pour objet : «  L'Italie qui attend », des manifestations patriotiques ont eu lieu dans les rues.
Pendant ce temps, le directeur de l'Avanti, Mussolini, qui a donné sa démission, s'est séparé de ses compagnons, et va, dans un nouveau journal, il Popolo, avec les socialistes dissidents, batailler pour la guerre.
Puis le conseil des ministres a, paraît- il, adopté des crédits de 400 millions pour les dépenses de l'armée.
Nous n'en sommes donc plus au sentimentalisme du début de la guerre, mais à l'organisation d'un mouvement réfléchi, ordonné.
Les nationalistes monarchistes, avec Federzoni, Oliva, Pantaleoni, les catholiques avec Meda, les révolutionnaires avec Mussolini, les démocrates avec leurs trente-huit représentants du peuple et leurs nombreuses associations, tous sont d'accord pour courir sus à l'Autriche, pour libérer leurs compatriotes asservis de Trente et de Trieste, pour réaliser l'idéal national.
Et le conseil des ministres prend dès maintenant des précautions qui paraissent destinées à transformer en action toutes ces paroles.
Mieux encore que les communiqués français, mieux que les silences savants de l'agence Wolff, mieux que les assurances cependant fondées du Temps, l'attitude de l'Italie, qui a franchement avoué il n'y a pas longtemps son «  égoïsme sacré », prouve que la situation des Alliés est excellente. Cet égoïsme sacré, devant lequel nous n'avions pas grand'chose à dire, pousse l'Italie à nos côtés.
La maison des Alliés va regorger d'amis. Allons, nous nous serrerons pour leur faire de la place. La besogne ne manquera pas aux nouveaux venus.
RENÉ MERCIER.

AU PAYS DE BRIEY

Nancy, 19 novembre.
Nous recevons quelques renseignements complémentaires qui mettent au point certaines informations données par le Consul d'Italie dans l'article du Secolo que nous avons publié.
En ce qui concerne notamment la triste aventure de M. Magre, sous-préfet de Briey, et du malheureux Winsbach, il est. dit que M. Winsbach revint seul à Briey après avoir conduit le sous-préfet à Verdun. Ce n'est point exact. M. Magre, conduit en auto par M. Winsbach, alla à Etain porter le courrier et donner des nouvelles. Tous-deux de compagnie rentrèrent le soir à Briey. C'est seulement le lendemain, après l'assassinat de Winsbach, que M. Magre se décida à partir. Nous avons d'ailleurs reproduit, en octobre une information du Temps qui relatait ainsi ces événements.
Il n'est pas confirmé non plus que le maire de Jarny ait été fusillé, et on peut espère encore que la vie de M. Ginot a été épargnée.

LA DEFENSE D'AMANCE

Nancy, 19 novembre.
Nous recevons une lettre qui nous apporte d'autres précisions sur la défense d'Amance.
Le combattant qui nous écrit nous assure que le premier coup tiré sur Amance fut le 4 septembre, à 5 heures du soir Les derniers le furent le 12 septembre, à 6 heures du soir.
Les Prussiens ne sortaient de la forêt de Champenoux qu'en rampant et de nuit pour se porter à environ trente mètres en avant dans la position du tireur couché. Ils restaient jusqu'à la nuit suivante pour se glisser de nouveau dans les bois.
Et de toute la batterie qui a tiré sur les Prussiens, il n'est tombé que trois hommes.
«  Les survivants, ajoute notre combattant, sont toujours un peu là. Nous n'avons fait, ne faisons et ne ferons que notre devoir, et je ne pense pas que mes camarades plus que moi en tirent vanité. », D'autres renseignements nous sont donnés par cette lettre, mais il nous est défendu de les publier. On comprend cette réserve

LE CANON SEUL A PARLÉ HIER

Bordeaux, 19 novembre, 15 h. 35.
Au nord, la journée d'hier a été marquée par une recrudescence d'activité de l'artillerie -ennemie, particulièrement entre la mer et la Lys.
Il n'y a pas eu d'attaques d'infanterie.
Entre l'Oise et l'Aisne, les opérations autour de Tracy-le-Val se sont terminées très favorablement pour nos troupes.
On se rappelle que nous nous étions emparés de ce village il y a quelques jours; avant-hier, les Allemands ont essayé de le reprendre.
Après avoir enlevé nos premières tranchées, ils sont parvenus jusqu'au carrefour central de la localité, mais une vigoureuse riposte de nos contingents algériens a refoulé l'ennemi, lui a repris tout le terrain perdu et lui a fait subir de très fortes pertes.
Dans l'Argonne, nous avons maintenu nos positions.
Sur le reste du front, rien à signaler.

LEURS SUCCÈS A REBOURS
dans la région de Cirey

Paris, 19 novembre, 16 h. 20.
Une note officielle dément les communiqués allemands annonçant qu'ils repoussèrent une forte attaque des Français dans la région de Cirey.
Nous n'engageâmes là qu'une reconnaissance qui, très heureusement conduite, contraignit l'ennemi à dévoiler ses forces et ses dispositions.

LES PRÉCAUTIONS A METZ

BALE, 19 novembre. - On apprend de Metz que le service des chemins de fer est extrêmement réduit. Les voyageurs pour la ville et ses environs ne sont plus admis que nantis d'une autorisation du chef de police, le général von Ingersleben.

LES PROGRÈS FRANÇAIS
en Haute-Alsace

Delémont, 20 novembre.
Le bulletin officiel de mercredi annonçait que les Français avaient réalisé des progrès dans la direction de Guebwiller jusqu'à Soultz.
En effet, toutes les hauteurs environnantes sont occupées par les chasseurs français, qui manifestent dans la région une grande activité. La situation des Allemands à Guebwiller ne va pas tarder à devenir intenable, dit le Démocrate.
Un peu plus au nord, les Français ont également fait quelques progrès. Ils sont descendus de la Schlucht sur Stossweier et Münster. Ils ont également pris Gebwenheim, au sud-ouest de Cernay, où les Allemands ont massé environ 8.000 hommes.
La possession de ce village, à l'issue de la vallée de Massevaux (Masmünster), a pour les Français une importance considérable ; car ils peuvent désormais communiquer directement et sûrement avec Belfort par la route de Rodern, la Chapelle-sous-Rougemont, Roppe, tandis que naguère le passage n'était pas sûr dans le voisinage de Gebwenheim. Il fallait traverser le Ballon d'Alsace sur Saint-Maurice et la Schlucht pour arriver à Thann, par les vallées d'Urbis et Saint-Amarin.
De source allemande, on annonce que le chemin de fer Altkirch-Ferrette, qui avait suspendu toute activité au commencement de la guerre déjà, a repris son activité depuis samedi dernier. En même temps, sur les lignes Bollweiler-Sulz-Guebwiller, Colmar-Münster et Schlettstadt-Markirch, le trafic a repris également. Les administrations de ces voies ferrées annoncent que leurs convois n'atteindront plus les vallées des Vosges comme auparavant.

Un Alsacien bien connu, M. Paul-Albert Helmer, qui se trouve en France actuellement, vient d'être rayé, après, M. Blumenthal. de l'ordre des avocats du barreau de Colmar. Cette mesure disciplinaire a été motivée de la manière suivante : Lors de l'occupation de Mulhouse par les troupes françaises, M. Helmer se présenta à l'hôtel de ville comme mandataire du gouverneur militaire et demanda les pièces relatives à l'exécution d'un citoyen suisse à Burzweiller. Comme on refusait, il s'en empara de force.

L'INTERVENTION DE L'HIVER
La neige tombe dans les Flandres. - Le canon s'assoupit, mais leurs mortiers s'enlisent - Nous repoussons l'ennemi en Argonne et progressons en Woëvre.

Paris, 20 novembre, 15 h. 30.
La journée du 19 novembre a été caractérisée par l'absence presque totale d'attaques de l'infanterie ennemie et les attaques de l'artillerie ont été beaucoup moins violentes que la veille.
Au nord, le temps est très mauvais ; la neige est tombée.
Toute la région, du canal de l'Yser à l'est de Dixmude, est envahie par. l'inondation.
Devant Ramscapelle, on a retiré de l'eau deux mortiers de 165 abandonnés par les Allemands.
Canonnade assez intense au sud d'Ypres.
Au centre, pas d'actions importantes à signaler.
Dans l'Argonne, trois vigoureuses attaques de l'infanterie ennemie ont été repoussées.
A l'aile droite, les Allemands ont réoccupé la partie détruite de Chauvoncourt.
Plus à l'est, nous avons fait quelques progrès.

LA TOMBE OUVERTE

Nancy, 20 novembre.
Avec une farouche obstination les Allemands se ruent sur nos tranchées entre Dixmude et Nieuport, Ils veulent passer. Est-ce Calais qu'ils désirent pour, effrayer l'Angleterre ?
Comptent-ils faire par là une trouée vers Paris ? Ou bien désirent-ils seulement, en enfonçant nos lignes, relever l'opinion allemande qui commence à s'énerver de cette longue station devant les Alliés et de la marche russe dans la Prusse orientale ?
On ne sait. Ils ne savent sans doute pas non plus. Ils frappent et sont frappés parce qu'ils sont aveuglés par le destin contraire.
Au début de la guerre, malgré l'héroïque résistance des Belges, les Allemands étaient habitués à des succès plus apparents que réels. Ils avaient envahi facilement le pays de Briey, ils avaient débordé sur la frontière lorraine. Ils avaient pris Anvers et Liège, ils s'étaient avancés jusqu'aux portes de Paris, jusqu'aux rives de la Marne.
Ils pensaient : Qui peut nous résister? Tout fuit devant nous. Nous sommes les triomphateurs de Pangermanie. Rien ne reste debout quand nous passons.
Ils ont dû reculer jusqu'à l'Aisne. Un peu surpris au début, ils ont imaginé ensuite que cette retraite était due à une infortune passagère.
On les a tenus là. Ils ne pouvaient point s'immobiliser. Leur tâche est de marcher. S'ils ne marchent pas, ils sont perdus. Ils sont condamnés par leur plan à avancer ou à reculer.
Ne pouvant pénétrer par la Lorraine, ni par le chemin de l'Argonne, ni par la trouée de Roye, ils se sont massés au bord de la mer, et, par les terres inondées, se sont acharnés sur la ligne de Dixmude à Nieuport.
Les hommes tombent sous les feux croisés de nos 75, des pièces de la marine anglaise, des mitrailleuses belges. Ils se noient dans les marais que la tactique des Alliés rend plus meurtriers.
depuis plus d'un mois ils se précipitent dans une tombe ouverte.
Qu'importe à leurs chefs entêtés les morts, et les morts encore ? Il leur faut une victoire, ou une apparence de victoire, un fait dont ils puissent se glorifier, par lequel l'Agence Wolff, en le déformant, surexcite l'enthousiasme national qu'engourdit ce trop long arrêt, qu'inquiète un silence inaccoutumé.
Des plans ? Ah ! il est bien question de plans à cette heure ! Il s'agit de combattre, de combattre tête baissée, au même endroit, sans savoir pourquoi, seulement pour la vaine gloire de retarder la retraite à travers un pays ravagé et hostile.
Mais la retraite est fatale. Plus elle est retardée, plus elle sera cruelle. Et si elle tarde trop, elle se transformera en déroute.
Avoir Paris ? Les Allemands n'y songent plus guère sans doute. Avoir Calais ? Croit-on sérieusement affoler ainsi la solide Angleterre ? Quelle farce funèbre !
Non. Les combats de Nieuport et de Dixmude sont exécutés pour la galerie, pour la galerie allemande. Ils ne répondent à aucun besoin. Ils portent le signe de l'affolement.
Les ennemis sont persuadés, ceux du moins qui ont conservé la liberté de penser, - qu'une trouée sur l'Yser ne les mènerait nulle part, qu'elle n'aurait aucune utilité pratique, que la pointe poussée par là serait aussitôt émoussée, que la possession même des côtes ne leur donnerait guère d'avantages précis.
Ils se battent quand même, ils se battent toujours, sans compter leurs morts, comblant les vides effroyables avec de nouvelles recrues amenées en hâte de toutes les provinces allemandes, appelant éternellement d'autres soldats vers la mort, mais non pas vers la gloire.
Quel capitaine au cerveau de fer a voulu ce combat infini dans le feu duquel se consument les forces prussiennes ? Quel entêtement suprême a désigné aux troupes du kaiser cette tombe ouverte-où sans trêve elles se ruent comme en une folie de mort et de sang ?
Ce chef sera certainement appelé dans l'histoire des peuples le grand fossoyeur de l'Allemagne.
RENÉ MERCIER

CE QUI S'EST PASSÉ
dans le Luxembourg

Une série de nouvelles fantaisistes ont été répandues dans la presse concernant l'occupation du Luxembourg. La grande duchesse avec le ministre d'Etat von Eyschen se seraient rendus en automobile au-devant des troupes allemandes et auraient essayé de leur barrer le passage sur le pont Adolphe ; le village de Merl aurait été rasé ; les officiers du corps des volontaires auraient été fusillés ; la grande-duchesse Marie-Adélaïde aurait été exilée et serait en captivité dans un château allemand, aux environs de Nuremberg, etc.
L'un de nos lecteurs, parfaitement au courant de ce qui s'est passé dans le grand-duché le 2 août et jours suivants, rétablit les faits comme suit : Les Allemands, qui ont loué, depuis 1870 une grande partie des lignes de chemin de fer luxembourgeoises, sont arrivés dans un train blindé par la ligne Luxembourg-Trêves. Il est vrai que des wagons vides avaient été placés sur la ligne auprès de la station d'Ottrange, pour arrêter le train. Mais c'était jeu d'enfants pour les Allemands que de débarrasser la voie de cet obstacle. Le train s'est avancé jusqu'à proximité immédiate de la gare de la capitale. Avant d'entrer en gare, on a débarqué un détachement, qui s'est rendu à pied dans la capitale pour y occuper militairement la station. C'est seulement après que le train est entré en gare.
L'officier d'ordonnance de la grande-duchesse était accouru entre temps et avait lu devant le commandant allemand une protestation énergique. Le commandant allemand se contenta de signer la protestation et de déclarer à l'officier d'ordonnance qu'il recevait ses ordres de Berlin et non de Luxembourg. Les Allemands ont ensuite occupé toutes les lignes dé chemin de fer du grand-duché. C'est d'ailleurs ce qui reste encore en ce moment de l'occupation du Luxembourg.
Par une fiction amusante, les troupes allemandes n'ont jamais cessé de traiter le grand-duché de pays «  neutre », ils ont fait mettre sur les locomotives qui font le service des trains dans l'intérieur du pays d'immenses pancartes avec l'inscription «  Neutral-Luxemburg ». Dès le premier jour de l'occupation, ils avaient mis également la main sur l'hôtel des postes et télégraphes. Mais sur les instances du ministre d'Etat von Eyschen, ils ont retiré leurs troupes de cet édifice après quelques jours.
La présence des ambassades de France et de Belgique devait tout naturellement gêner les Allemands. Ils ont envoyé le ministre d'Etat von Eyschen transmettre l'ordre formel du commandant allemand d'avoir à quitter immédiatement le territoire du grand-duché. Celui-ci a ajouté que le gouvernement grand-ducal n'était pour rien dans cette démarche, et que du côté de ce gouvernement, il n'y aurait pas de difficulté à ce qu'ils restent. Mais ceux-ci ont préféré quitter de suite le pays en automobile.
Une énorme quantité de troupes de toutes les armes ont été acheminées à travers le Luxembourg sur le théâtre de la guerre.
On a estimé leur nombre à 800.000 environ.
De même une grande quantité de blessés ont été dirigés à travers le Luxembourg sur les villes voisines de la Prusse rhénane. Un sous-chef de gare en avait compté jusqu'au commencement d'octobre 125.000 environ. Beaucoup de blessés, tant Allemands que Français, sont hospitalisés dans la ville de Luxembourg même. La Croix-Rouge luxembourgeoise les traite d'une façon tout à fait égale. On n'en saurait dire autant de la charité privée, qui se fait presque exclusivement au profit des blessés français ou belges. Quand on en- terre un Belge ou un Français, on constate une affluence énorme de la population indigène, tandis que personne ne bouge lorsqu'il s'agit de l'enterrement d'un Allemand. Les tombeaux des Français sont couverts de fleurs et sont entretenus par les Luxembourgeois avec des soins touchants. Tout cela s'est passé sous les yeux de l'empereur Guillaume, qui habita la capitale pendant plusieurs semaines avec son état-major, tandis que le kronprinz tenait son quartier général, pendant les combats auteur de Longwy, dans la ville d'Esch (ville industrielle au sud du pays, y à proximité de la frontière française).
Les troupes allemandes ont payé tout ce qu'ils ont acheté dans le pays avec des bons de guerre et une grande partie des dégâts causés par le passage des troupes ont été payés également par les autorités allemandes. Grâce aux exhortations des autorités et du clergé en particulier, la population est toujours restée calme. Il n'y a eu ni révolte, ni exécution sommaire depuis le début de l'occupation. Par contre, les affaires semblent plutôt se gâter ces derniers temps. Les occupants sont forcés de contenir la population par des menaces et d'autres moyens d'intimidation.
Il serait possible que des événements plus graves se passent l'un de ces quatre matins.
On raconte qu'un incident sanglant, qui s'est passé dans la gare de. Luxembourg, a contribué dans une large mesure à monter la population luxembourgeoise contre les envahisseurs. Un officier français prisonnier de guerre, s'est promené pendant l'arrêt du train, sur le quai des voyageurs. Un garde prussien s'approcha de lui et lui cracha dans la figure. L'officier leva la main pour venger l'insulte, mais au même moment le garde le transperça de sa baïonnette. Le cadavre de l'officier a été enterré dans le cimetière de Hollerich, et le tombeau est écrasé sous les fleurs.
Il est vrai que la grande-duchesse a eu la visite de l'empereur Guillaume à plusieurs reprises. De même, un général allemand a été reçu par S. A. R. la grande-duchesse. Tout cela, ainsi que l'ordre impérial allemand, que la jeune souveraine a reçu ces jours-ci de la part de l'empereur n'a nullement contribué a la rendre populaire. Au contraire. Le petit peuple luxembourgeois déteste toujours bravement les Prussiens. Preuve en soit le refrain de son hymne national, qui dit : «  Nous ne voulons pas être des Prussiens. » Les derniers événements ont rendu les Prussiens encore beaucoup plus odieux, car on commence à se rendre compte que le petit grand-duché pourrait bien devenir le théâtre de sanglantes batailles, si à un moment donné les Alliés réussissaient à refouler les Allemands au delà de la Meuse. La porte du pays ayant été ouverte par les Allemands, elle reste ouverte également pour les Alliés en cas de victoire. La ligne de la Moselle pourra devenir un immense champ de bataille et les contrées avoisinantes de Luxembourg seraient en ce cas détruites et ruinées.
Il va sans dire que les Allemands tiennent aussi en leurs mains la censure de la presse luxembourgeoise. L'Indépendance luxembourgeoise, qui se rédigeait en langue française, a cessé de paraître dès le début de la guerre. Les autres journaux n'ont que les communiqués allemands, de sorte qu'à Luxembourg on ignore jusqu'en ce moment toute l'affaire de la Marne.
A leur arrivée, les troupes allemandes croyaient sincèrement à ce qu'il semble que la neutralité luxembourgeoise avait déjà été violée par la France. Ils n'ont trouvé de troupes françaises nulle part, car aucun soldat français n'a à aucun moment franchi la frontière du pays.
Les Luxembourgeois ne s'attendaient d'ailleurs nullement à être molestés par les Français. Ils savaient trop bien que le danger venait de leur frontière orientale. Si vraiment l'Allemagne s'était attaquée à la Belgique parce qu'elle croyait à des accords militaires avec la France ou l'Angleterre, elle aurait dû en tout cas se garder de toucher à la neutralité luxembourgeoise. Personne ne pourra en effet accuser ce pays, qui n'a pas de troupes, d'avoir conclu des accords militaires avec un Etat quelconque. Le peu de cas que les Allemands ont fait de la neutralité de ce pays, sans défense aucune, montre ce qu'il faut penser des accusations lancées contre la Belgique par la presse allemande.
Ce que les Allemands ont fait dans le petit Etat du Luxembourg peut se résumer en ces quelques mots : ils ont compromis la tranquillité de ce petit peuple en ouvrant son territoire brutalement aux actions stratégiques des belligérants ; ils ont compromis la grande-duchesse aux yeux du peuple luxembourgeois en lui faisant jouer un rôle indigne et en fournissant la preuve de fait qu'elle est impuissante à protéger le pays contre une invasion des belligérants. Or, les Luxembourgeois attendaient, de la part de leur souveraine surtout, l'avantage qu'elle saurait, grâce à ses relations, empêcher la violation de la neutralité du pays.
(Journal de Genève.)

DÉPARTEMENT DE LA MEUSE
LISTE DES COMMUNES
ayant souffert
DE L'OCCUPATION ALLEMANDE

ARRONDISSEMENT DE BAR-LE-DUC
Canton de Revigny
Andernay, 297 habitants. - 96 maisons : 18 détruites, 52 détériorées.
Brabant-le-Roi, 225 habitants. - Environ la moitié du village brûlée : 72 maisons : 34 détruites, 1 détériorée.
Bussy-la-Côte, 166 habitants. - Quelques maisons trouées par les obus.
Couvouges, 204 habitants. - 73 maisons : 10 détruites, 54 détériorées.
Laimont. - 168 maisons : 16 détruites, 32 détériorées.
Mussey, 313 habitants. - Quelques maisons, 17 environ, brûlées ou détériorées par les obus.
Mognéville, 509 habitants. - 160 maisons : 52 détruites, 20 détériorées.
Neuville-sur-Orne. - 206 maisons : 46 détruites, 66 détériorées.
Revigny, chef-lieu de canton, 2.051 habitants. - 393 maisons : 172 complètement détruites, nombreuses autres détériorées.
Remennecourt. - 20, maisons détruites sur 23.
Vassincourt, 296 habitants. - Commune complètement brûlée. Il ne reste pas une seule maison sur les 147 qui existaient dans le village.
Villers-aux-Vents, 161 habitants. - Village entièrement brûlé, 66 maisons détruites.

Canton de Vaubecourt
Auzécourt, 173 habitants. - 53 maisons : 13 détruites, plusieurs détériorées.
Erize-la-Petite, 104 habitants. - 5 maisons brûlées, 5 détériorées.
Laheycourt, 614 habitants. - 45 maisons détruites sur 212, 20 détériorées.
Louppy-le-Châtaau, 339 habitants, - Localité entièrement détruite. Pas une seule maison intacte.
Noyers, 354 habitants. - Maisons détériorées..
Rembercourt-aux-Pots, 536 habitants. - 179 maisons: 111 détruites, 11 détériorées. L'église, classée parmi les monuments historiques, est endommagée, mais réparable.
Soumaisne, petit village de 72 habitants. - De nombreuses maisons sont démolies par le bombardement.
Sommeilles, 365 habitants. - 119 maisons détruites sur 125, les autres endommagées.
Vaubecourt, 700 habitants. - 232 maisons : 19 endommagées.
Villotte-devant-Loupy, 348 habitants. -62 maisons détruites sur 120, 6 endommagées.

Canton de Triaucourt
Beauzée, 517 habitants. - Village entièrement détruit, 161 maisons : 78 détruites, 66 détériorées.
Brizeaux, 250 habitants. - 98 maisons : 16 détruites.
Bulainville, 200 habitants. - 62 maisons: 40 détruites, 5 détériorées.
Evres, 243 habitants. - 93 maisons :: 37 détruites, 24 endommagées.
Fleury-sur-Aire, 260 habitants. - Quelques maisons ont été endommagées.
Foucaucourt, 164 habitants. - 7 maisons détruites.
Ippécourt. - 96 maisons : 42 détruites, 34 détériorées.
Lavoye. - 13 maisons détruites sur 101.
Nubécourt, 253 habitants. - 18 maisons brûlées et quelques autres détériorées par les obus.
Pretz, 201 habitants. - Village presque entièrement brûlé : 50 maisons détruites sur 62.
Triaucourt, 760 habitants, chef-lieu de canton : 36 maisons brûlées et 17 détériorées par les obus.

ARRONDISSEMENT DE VERDUN
Clermont, 1.066 habitants. - De cette jolie petite ville, il ne reste que l'hospice et 5 ou 6 maisons.
Varennes, 1.097 habitants. - Ce chef-lieu de canton a été détruit par les obus ou brûlé.

MORT TRAGIQUE DE M. DE KLOPSTEIN

Nancy, 21 novembre.
Une lettre de Lunéville nous apprend, que M. de Klopstein, conseiller général du canton de Cirey, vient d'être tué par une balle prussienne dans les circonstances suivantes : Depuis quelques jours, Val-et-Châtillon, où se trouve sa résidence, avait été repris par les Français. M. de Klopstein logeait chez lui quelques officiers, et il se trouvait avec l'un d'eux, au balcon de sa demeure, lorsque survint une patrouille allemande qui, au passage, déchargea sur eux ses armes.
L'officier ne fut pas atteint, mais M. de Klopstein, atteint d'une balle au front, tomba foudroyé.
Le baron Jean de Klopstein était né le 21 janvier 1853 ; il avait été élève de l'école spéciale militaire de Saint-Cyr et était devenu chef d'escadrons de cavalerie. Il avait été élu, pour la première fois, membre du Conseil général de Meurthe-et-Moselle le 3 juillet 1898 ; il avait été réélu l'an dernier et devait exercer son mandat, jusqu'en 1919.

LEURS ATROCITÉS DANS LES VOSGES

Du «  Petit Parisien » ces tragiques détails, relatifs à l'occupation de Saint-Dié et des environs
«  Au village de Rougiville, ils ont mis le feu à une maison où s'étaient réfugiés un homme, sa femme et leurs quatre enfants. On a retrouvé les malheureux carbonisés.
Aux portes mêmes de Saint-Dié, c'est affreux... Et comment conter cela !... Les Allemands occupaient depuis quelques heures Saint-Dié, lorsqu'un train de voyageurs fut annoncé, venant de Raon-l'Etape. Il y avait dans ce train des officiers et des soldats. Les laisser aller plus loin, c'était les livrer à l'ennemi. Le gardien du sémaphore - on n'a pu me dire le nom de ce héros - n'eut pas-une minute d'hésitation.
Il bloqua le disque à l'arrêt, alla au-devant du mécanicien et lui fit rebrousser chemin.
Mais quand il revint à sa petite maison, il la trouva pleine d'Allemands, ivres de fureur, qui hurlaient : capout ! capout ! Le brave homme comprit que ses heures étaient comptées. Mais qu'importe ! Il avait fait son devoir, il était heureux et s'avançait en souriant. Les brutes sauvages le frappèrent rudement, le poussèrent sur une chaise et l'y attachèrent pieds et poings liés. Puis ils arrosèrent la maison de pétrole et y mirent le feu. »

CINQ ATTAQUES ALLEMANDES
repoussées
Entre VERDUN et FRESMES

Paris, 22 novembre, 1 h. 50.
Communiqué officiel du 21 novembre, 26 heures : La journée a été des plus calmes.
Rien d'intéressant à signaler sinon que, dans la Woëvre, aux Eparges, cinq attaques allemandes exécutées en masses et dans un espace de deux heures, ont été arrêtées net par le tir de notre artillerie.

LE CALME APRÈS LA TEMPÊTE

Bordeaux. 22 novembre, 15 h. 30.
La journée du 21 a été calme sur la totalité du front.
En Belgique comme dans la région d'Arras à l'Oise, il n'y a eu que des canonnades intermittentes.
Notre artillerie s'est montrée, en général, plus active que l'artillerie ennemie.
Nos batteries ont réussi à démolir plusieurs lignes de tranchées allemandes ; l'ennemi travaille, d'ailleurs, à en reconstruire de nouvelles en arrière.
Journée calme également sur l'Aisne et en Champagne, aussi bien qu'en Argonne, sur les Hauts-de-Meuse et dans les Vosges.

A HARAUCOURT
COMMENT SE RELÈVENT
les Villages en ruines

INTERVIEW DE M. MIDAVAINE

Haraucourt, 22 novembre.
Comme il a changé, le pauvre village ! Depuis le jour où, en pleine canonnade, j'y passai quelques heures dans une tenue de fossoyeur «  in partibus », le bombardement a fait son oeuvre : la rue du Port aligne les façades croulantes de ses maisons, la tour du clocher détache sur le ciel ses lignes crénelées ; la place de la Liberté, où l'état-major de la division rassemblait ses fourgons, est déserte, silencieuse, devant les vestiges du vieux château ; les écoles, occupées alors par les services de l'intendance, sont abominablement ravagées et montrent par une brèche énorme les rayons en désordre d'une bibliothèque...
L'église présente un aspect lamentable, navrant. Les cloches ont fondu dans le brasier. La nef, le choeur sont pleins de poutres calcinées, de briques, de fers tordus, d'objets ayant servi au culte et qui accumulent pêle-mêle ex-voto, croix, bénitiers, fonts baptismaux.
Plus de toiture, plus de vitraux ornant le trèfle des ogives, plus de chapiteaux couronnant les piliers. Deux tableaux ont seuls échappé au ravage. L'autel est recouvert d'informes débris. Un catafalque distoqué évoque la scène pénible qui attrista les obsèques de l'adjudant Cafaxe.
Cafaxe est un enfant de Haraucourt. Il servait au 156e de ligne. Sa compagnie attaquait le Bois-de-la-Forêt, non loin du village natal, quand une balle le coucha sur le sol.
Son cadavre resta près d'une semaine à la même place. Un beau soir, son père résolut de le ramener. On attela donc une carriole ; mais l'équipage fut bientôt repéré. Les obus, les balles sifflèrent. On n'eut que le temps de fuir.
Deux ou trois jours plus tard, les Allemands se repliaient. On put enfin ramasser le corps du sous-officier ; une courte prière était récitée dans l'église, quand un obus troua la voûte et s'abattit sur la bière, au milieu de l'émouvante cérémonie.
Il était huit heures du soir. Le père chargea le funèbre fardeau sur une brouette pour aller au cimetière. Une lanterne éclairait le cortège composé de quelques amis. Cette fois, une patrouille française crut que cette lumière était un signal - et, après la tragique inhumation de son gars mort au champ d'honneur, le malheureux père dut passer la nuit au corps de garde sous l'inculpation d'espionnage, lui, le vétéran, qui avait fait toute la campagne de 1870 !

Un bataillon du ...e de ligne, originaire de la Saintonge, cantonne à Haraucourt depuis la semaine dernière. Le poste est installé dans ce qui reste d'une vaste ferme, dont les engrangements, au fond de la cour vide, découpent la silhouette délabrée de leurs murs. Des corvées passent ; des cuisiniers activent un foyer récalcitrant ; un sous-officier distrait ses loisirs en peignant une délicate aquarelle.
Pendant ce temps les fantassins arpentent, non loin de Haraucourt, les terrains profondément creusés en maints endroits par des tranchées que l'on a maintenues absolument intactes, en prévision d'une reprise des hostilités sur le même champ de bataille.
Rien ne saurait traduire l'impression qui se dégage de ces manoeuvres, de ces exercices ayant pour but l'attaque - sans un coup de fusil, sans l'accompagnement sourd du canon - du village évacué d'abord sur les ordres de la prévôté, abandonné ensuite par l'affolement de la panique :
«  - Une demi-douzaine d'habitants, nous dit M. l'adjoint Barotin, sont restés ici. Un ménage de vieux, une paralytique qui refusa d'être transportée dans une brouette. Les pauvres gens ont été si douloureusement bouleversés par la destruction de Haraucourt qu'à cette heure, hélas ! ils dorment côte à côte dans notre petit cimetière.
Le maire a dû céder son écharpe à M.vBriat, qui s'occupe avec fermeté des intérêts de la commune.
- Le bombardement a duré du 6 au 8 septembre, ajoute M. Barotin. Pendant trois jours et trois nuits consécutifs, les Allemands se sont acharnés sur le pays. Leurs obus incendiaires ont répandu partout la dévastation. Toitures, plafonds, mobiliers ont disparu dans la catastrophe.
Nous sommes allé à Haraucourt afin d'assister justement aux travaux que fait exécuter la commission d'assistance pour le rapatriement des réfugiés des villages lorrains.
Car une question, actuellement, se pose dans tous les esprits :
- Avec les fonds de secours accordés par l'Etat, avec les ressources qu'a fournies la générosité des souscripteurs, dont la bourse vient en aide à tant de misères, comment s'y prendront les architectes, les terrassiers, les maçons, les couvreurs, toutes les corporations du bâtiment, en un mot, pour reconstruire ce que le vandalisme des barbares a criminellement anéanti ? »
La meilleure réponse à cette question, c'était une visite dans les chantiers en pleine activité qui réparent déjà le désastre de Haraucourt.

MM. de Roche du Teilloy et Chrétien, membres du Comité, se sont fréquemment rendus sur place, afin d'étudier les moyens prompts et sûrs qu'il convenait d'employer pour la remise en état des immeubles susceptibles de supporter sans trop de frais les réparations et l'aménagement nécessaires.
L'exécution des travaux a été confiée à l'active surveillance de M. Midavaine, que nous avons eu la bonne fortune de rencontrer hier chez M. l'adjoint Barotin.
- Vous avez mesuré toute l'étendue, toute la gravité du mal, nous dit M. Midavaine. Vous apprécierez mieux l'importance du remède. Suivez-moi donc. Je vous servirai de guide. Chemin faisant, je vous expliquerai la marche des travaux ; vous verrez à l'oeuvre le personnel que nous avens recruté pour réaliser le voeu des commissions officielles et de la population lorraine. »
Reconstruire les édifices entièrement démolis, il n'y faut point songer. L'Etat se chargera de ce soin après la guerre. Des commissions évalueront exactement les dégâts, abattront les murs, laisseront subsister seulement au ras du sol les basses fondations, s'entendront avec les propriétaires pour les indemnités qui leur sont dues : - Je présume que les villages détruits bénéficieront d'avantages sérieux ; les rues seront plus correctement alignées ; les fumiers cesseront de verser leur purin dans les ruisseaux ; des commodités en rapport avec les progrès de l'hygiène rendront agréable la disposition des logements. En attendant l'accomplissement d'une telle besogne, il sera indispensable, à mon avis, de construire provisoirement, non loin des villages en ruines, des baraquements pour l'architecture desquels, l'Etat adoptera sans doute un type, comme on fait pour les cités industrielles. Chaque habitant retrouvera pour un temps son foyer, ses habitudes, son matériel agricole. Les fermes obtiendront naturellement un espace-proportion- né à l'importance de leur exploitation ; les particuliers sauront se contenter d'un logis modeste. »
En opérant ainsi, une période de quatre à cinq années suffirait pour effacer, dans certaines communes aussi terriblement éprouvées que Gerbéviller, par exemple, toutes les traces des incendies et du pillage germaniques.
Nous n'en sommes pas encore à envisager cette oeuvre immense et délicate.
M. Midavaine se borne à réparer les toitures, à boucher un trou d'obus dans les façades, à clore une chambre dont l'explosion a réduit en miettes les fenêtres, à faire ce qu'en terme du métier on appelle le racolement :
- Mes ouvriers, dit-il, travaillent depuis trois semaines. Ils ont permis à environ 200 personnes de revenir déjà à leur domicile. Tenez ! voici le devis approximatif établi par la commission et dont les estimations limitent à peu de chose près mes dépenses. L'achat des tuiles a coûté environ 4.000 francs ; la maçonnerie, les ferrures et les serrures des fenêtres, 1.500 francs ; la vitrerie de 77 immeubles, à raison de six fenêtres par immeuble, 1.400 francs ; les autres matériaux, lattes pannes, chevrons, etc., porteront à 20.000 fr. le total des frais prévus... »

Tout en causant, M. Midavaine nous a conduit à la cantine de ses ouvriers. C'est l'heure du déjeuner. Une soupe appétissante fume dans les assiettes. Les hommes se serrent autour du poêle. La pièce sert à la fois d'atelier et de réfectoire. On remarque trois établis de menuiserie enfouis dans les copeaux, une table où sont rangés une vingtaine de couverts et, dans un coin, de la paille abondamment étendue sur le plancher.
Nous interrogeons :
- Etes-vous satisfaits du menu ?
- Dame, oui. répond un grand diable. La soupe est excellente, mais, pour deux sous, on n'a guère de pain.
La nourriture est abondante et saine.
Aux débuts de son installation à Haraucourt, l'équipe avait «  pris pension » dans un restaurant de l'endroit ; mais, avec les trois francs de salaire quotidiens octroyés par la préfecture, les ouvriers économisaient très difficilement quelques sous :
- J'ai déniché cette maison, indique M. Midavaine. Au premier étage, on peut coucher une trentaine d'hommes: Vous voyez que le confortable, à défaut de luxe, règne ici. J'ai obtenu un «  arrangement » avec l'ancienne pension de mon équipe qui, moyennant un prix fixe de deux sous, sert des rations suffisantes de soupes, de légumes, de viande. Le pain et surtout le vin augmentent le prix des repas. Mais je vcus assure que personne ne se plaint. »
Si les ouvriers ne se plaignent pas, l'entrepreneur n'a pas toujours le coeur rempli d'allégresse. Il trouve en eux des collaborateurs sans empressement, d'un zèle plutôt tiède :
- Je ne peux leur verser un salaire supérieur à celui que la commission a fixé. Quel dommage, soupire M. Midavaine, que nous ne soyons pas mieux secondés. Les chômeurs du bâtiment ont une occasion de gagner pendant tout l'hiver de quoi vivoter. Les ouvriers de la vallée de la Seille ont été remarquables, mais ils sont une exception. Pensez donc, monsieur, qu'avec cinquante hommes actifs, consciencieux, la réfection totale des trois ou quatre villages qu'il faut ainsi remettre en état demanderait moins de trois semaines ! Ce serait un magnifique service à rendre. Hélas ! la plupart de ceux qui ont aux lèvres le grand mot de solidarité oublient trop vite que nous les associons précisément à une oeuvre où la solidarité trouvera bien rarement une plus belle application. »
Nous promettons à M. Midavaine de lancer un appel aux ouvriers et notre confiance dans le résultat semble atténuer sensiblement sa misanthropie.
- Tant mieux si vous réussissez ! La nature humaine est faite d'égoïsme. Je m'en aperçois chaque jour davantage. N'ai-je pas rencontré des sinistrés qui réclamaient qu'avant toute autre prooccupation.
je couvre leur grenier où le foin était plus qu'à moitié pourri ?. Le sort du voisin sans gîte les intéressait moins vivement que la préservation de leur fourrage. »
En revanche, la nouvelle qu'on répare leurs maisons a été accueillie chez les réfugiés, par une joie qui récompensera de leur infatigable dévouement les membres de la commission de rapatriement.
M. Midavaine reçoit chaque jour la visite d'habitants impatients de rentrer à Haraucourt ; ils réintègrent leurs pénates avec attendrissement, quand par hasard les fureurs du bombardement ont seulement causé des dégâts insignifiants - Tous ces braves gens sont prêts à reprendre le cours si tragiquement interrompu de leurs travaux, ajoute l'entrepreneur. Ils parlent encore d'espoir ; ils disent leurs projets ; ils se tournent vers l'avenir avec confiance ; ils ont l'âme forte et l'on sent qu'après la guerre ils participeront avec fierté au mouvement de résurrection nationale où la Lorraine occupera une place digne d'elle, par son effort, par son énergie, par son glorieux désir d'oublier tant de jours mauvais, tant de souffrances. »
ACHILLE LIÉGEOIS.

A LA GARE DE NANCY

On a eu enfin l'heureuse idée, vendredi, 20 novembre, d'ouvrir toutes les portes de la grille de la gare, dont les territoriaux gardaient l'accès, baïonnette au canon, depuis le 1er août, jour de la mobilisation générale.
Le public peut donc maintenant aller attendre ou accompagner un parent, en un mot, circuler sans laissez-passer, dans la cour de la gare. Il ne peut toutefois pénétrer sans passeport dans les dépendances.
Les factionnaires se trouvent dans la salle des bagages, et c'est là qu'il faut montrer patte blanche maintenant, sous la forme du laissez-passer.

L'ACCALMIE CESSE
YPRES BOMBARDÉ

Paris, 23 novembre, 0 h. 44.
Communiqué officiel du 22 novembre, 23 heures :
La journée du 22 novembre a été marquée par un violent bombardement d'Ypres, qui a détruit les Halles et l'Hôtel de Ville Assez forte canonnade dans la région de Soissons et de Vailly.
Sur le reste du front, rien à signaler.

NOTES DE CAMPAGNE

X..., novembre. - Je ne sais s'il est exact que certains soldats aient emporté dans leur sac en campagne un Homère, ou un Montaigne.
Il ne m'est resté, pour ma part, aucune place de nature à abriter mes auteurs favoris. Aussi dois-je vivre sur mon «  fond » intellectuel.
Sur la grande route, traversée par des dragons, tout en réchauffant mes doigts gourds à un feu de bivouac, j'ai rappelé à un vieux camarade de classe quelques passages de l'éloge du général Langlois, prononcé par M. Boutroux à l'Académie française. Le général, avec son admirable clairvoyance, avait nettement prévu le caractère de la guerre d'aujourd'hui, guerre lente, savante, toute de précautions et de ruses infinies.
Et c'est la tactique de Langlois que nos généraux ses disciples appliquent dans tous ses modes. Comme il aurait été heureux de voir triompher les idées pour lesquelles il a combattu avec tant d'énergie !
Et au souvenir de Langlois se mêle aussi celui de Gilbert, du capitaine Gilbert, le protagoniste de la défense de Nancy.
A l' «  Est Républicain » figurait autrefois et doit se trouver encore dans les archives, un plan détaillé du Grand-Couronné de Nancy, avec l'emplacement d'Amance.
Ainsi, selon la forte parole d'Auguste Comte, nous sommes gouvernés par les morts.
Et puis cette guerre exige encore plus d'héroïsme que les autres.
Je viens de voir une compagnie monter vers les tranchées. Ces soldats sont placés comme sentinelles à une très petite distance de l'ennemi. Songez à ce qu'elles doivent déployer d'énergie pour ne pas se laisser surprendre, pour donner l'éveil à leurs camarades.
Deux hommes sont perdus dans l'obscurité tragique. La mort rôde autour d'eux, mais ces enfants de vingt ans n'ont ni tristesse, ni peur.
Ils accomplissent un devoir plus difficile que les charges des cavaliers du roi Murat ou que les assauts d'Austerlitz.
Chez nous, pas d'énervement, malgré la longueur de la guerre. L'être humain a d'ailleurs une incroyable force de résistance. On s'habitue très vite à coucher
dans la paille humide des granges avec des rats pour voisins, trop heureux encore de cet abri, infiniment plus confortable que celui des tranchées.
PIERRE LEONY.

Les AVIONS ANGLAIS de BELFORT

Delémont, 23 novembre.
Les avions qui ont bombardé Friedrichshafen sont tous trois des biplans anglais blindés dit Bristol, de grandes dimensions. Ils sont, dit le «  Démocrate », partis de Belfort, où ils stationnaient depuis peu.
Vendredi, ils tournoyèrent autour de la citadelle pour leurs vols d'essai. Samedi matin, à 6 heures, tous trpis partirent pour Friedrichshaten, un quatrième ne put s'élever, deux sont rentrés, croyant avoir réussi dans leur tâche.
Dimanche matin, une revue militaire a eu lieu en leur honneur au Champ de Mars. Le général gouverneur Thévenet a félicité chaudement les aviateurs, les a embrassés et les a décorés de la Légion d'honneur. Militaires et civils ont crié : «  Vive l'Angleterre ! » Les glorieux pilotes saluèrent modestement.
Les avions Bristol sont de puissants engins de guerre attachés à Belfort pour exécuter des raids en Allemagne et qui feront parler d'eux.

POURSUITES contre l'Abbé COLLIN

GENÈVE, 24 novembre. - La «  Gazette de Francfort » annonce que le gouvernement de Metz, sur l'ordre du gouverneur militaire, décide d'ouvrir une enquête contre l'abbé Collin sous l'inculpation de haute trahison et de crime de lèse-majesté en raison d'un article publié récemment par celui-ci dans le journal français «  la Croix ».

ILS CANONNENT SOISSONS et REIMS
Nous les repoussons en Argonne

Bordeaux, 23 novembre, 15 h. 50.
La journée du 22 a été marquée par des violentes canonnades.
L'ennemi a dirigé particulièrement ses coups sur Ypres (dont le clocher, la cathédrale, les halles et de nombreuses maisons ont été incendiés) ; sur Soissons et sur Reims.
Dans l'Argonne la journée a été très chaude. L'ennemi a prononcé des attaques très vives, qui ont été repoussées.
En Woëvre et dans les Vosges, la situation est sans changement.
Paris, 24 novembre, 0 h. 50.
Le communiqué officiel du 23 novembre, 23 heures, dit :
Aujourd'hui, comme hier, canonnade dans le Nord. vers Soissons et Reims.
Dans l'Argonne, violentes attaques des deux partis, sans résultats.

NOUVELLES ATTAQUES
repoussées en Argonne

Paris, 24 novembre, 15 h. 15.
D'une façon générale, la situation n'a subi aucune modification dans la journée du 23 novembre.
Sur la plus grande partie du front, l'ennemi a manifesté surtout son activité par une canonnade intermittente, moins vive que dans la journée précédente.
Çà et là, cependant, quelques attaques d'infanterie se sont produites. Elles ont été toutes repoussées.
Comme d'habitude, toutefois, les attaques ont été particulièrement violentes en Argonne, où nous avons gagné du terrain dans la région du Four-de-Paris.
Rien à signaler entre Argonne et Vosges. Une brume très épaisse a gêné, d'ailleurs. les opérations.
On constate le bon état sanitaire de nos troupes.
Paris, 25 novembre, 0 h. 25.
Voici le communiqué officiel du 24 novembre, 23 heures : Journée relativement calme.
Canonnades intermittentes sur le front.
Quelques attaques dans l'Argonne, toutes repoussées, d'ailleurs.

DANS LE SECTEUR D'ARRACOURT
Les deux Mobilisations
NOTRE ARTILLERIE

Nancy, 25 novembre.
Presque jour pour jour, deux ans ont passé depuis l'alerte d'Arracourt, depuis ce réveil en pleine nuit qui fut une sorte de répétition générale de la mobilisation.
C'est en effet le 26 novembre 1912 qu'une erreur du receveur des postes à Arracourt provoqua cette sensationnelle affaire au sujet de laquelle se donnèrent libre cours tant de commentaires plus ou moins fantaisistes.
Pour beaucoup, il s'agissait d'un essai volontaire, d'un mouvement prémédité ; pour d'autres, la gaffe administrative résultait d'une trop hâtive interprétation d'ordres et d'instructions lancés en haut lieu ; pour quelques-uns, la confusion entre les fameux plis A et B prouvait que le gouvernement avait réellement voulu exécuter une mobilisation partielle, mais que l'on avait agi trop légèrement en convoquant les réservistes avec les douaniers, les gendarmes, les fonctionnaires civils et militaires préposés à la garde de la région frontière.
Il nous a paru intéressant de noter, dans le même secteur d'Arracourt en quoi la véritable mobilisation de 1914 a différé de la fausse mobilisation de 1912 - et, dans ce but, nous avons interviewé hier un réserviste de Hoéville :
- Oh ! ça n'a pas été du tout la même chose, dit-il... En 1912, la convocation a mis sur pied les hommes de toutes les classes, depuis celle de 1889. Les gendarmes allaient de porte en porte. En moins de deux heures, une petite troupe se formait, et, musette au flanc, se dirigeait sur les casernes de Nancy. Cette année, la mobilisation s'est faite en deux ou trois appels, du jeudi 30 juillet au samedi. Il n'y a rien de particulier en ce qui concerne le récolement du bétail ; mais, à ce propos, je dois vous signaler que la méthode allemande ne ressemble pas à la nôtre.
Notre interlocuteur a remarqué, pendant les trois semaines d'occupation de son village par l'ennemi, que les Allemands réservaient seulement les animaux de boucherie pour la consommation du jour et pour celle du lendemain.
- De telle sorte, ajoute-t-il, qu'en cas de retraite précipitée, ils ne trouvent en arrière aucune pièce de bétail et ils jugent inutile d'emmener avec eux les animaux... Les Français, au contraire, vident les étables et, quand ils sont obligés de se replier, leurs abattoirs trouvent dans les nouveaux cantonnements les génisses nécessaires à l'alimentation des troupes... »
Le réserviste d'Hoéville, à qui nous empruntons ces détails, déclare que les cuisines de campagne allemandes fonctionnent convenablement, que les soldats s'en approchaient en ordre parfait, que la distribution s'opérait sans incident et sans retard :
- J'ai vu les Boches revenir le soir, à 10 heures, de la bataille. Ils n'avaient pas besoin d'allumer de feu pour la soupe ; tout était prêt. Ils mangeaient en toute hâte et, moins d'une heure après, un silence profond régnait dans les cantonnements.
Nous demandons si le village eut à souffrir. Sur ce point, notre interlocuteur déclare qu'à l'exception de l'église, les maisons du village ont été épargnées :
- Nous avons tous été pendant une semaine enfermés dans l'église, avec la défense formelle d'en sortir, sous prétexte que le tir de l'artillerie française était d'une telle précision et causait dans leurs rangs de tels ravages que le réglage des pièces avait lieu avec la complicité de la population civile.
La précision de notre artillerie et les terribles effets qu'elle a produits aux environs d'Hoéville avaient effectivement de quoi stupéfier l'ennemi...
Qu'on en juge :
- J'ai eu l'occasion de voir à l'oeuvre nos canonniers, indique la même personne... Ils appartenaient au ...e d'artillerie où s'exécutent constamment, d'un bout de l'année à l'autre, des tirs d'efficacité. Les pointeurs atteignaient toujours le but en moins de trois coups. Les obus du 75 foudroyaient littéralement les tranchées, les positions de l'adversaire.
Parmi les officiers d'élite qui commandaient dans les batteries établies en cet endroit, un jeune lieutenant se distingua par une prouesse, un exploit plein d'audace et de sang-froid.
- Par une belle nuit, je veux dire une nuit où la lune et les étoiles étaient cachées, le lieutenant X... fait envelopper de linges épais les roues de ses canons et les pieds des chevaux. Vers minuit, il se porte sur un point qu'il avait d'avance repéré avec exactitude. Aucun bruit ne révèle ses mouvements. Les pièces sont mises en batterie à moins d'un kilomètre des Boches. Aucune sentinelle n'a jeté l'alarme. Soudain, un fracap de tonnerre. L'ennemi, surpris, évacue précipitamment ses tranchées dans un affreux désordre, avec des pertes considérables. Vous pensez bien que l'officier n'a pas tardé à coudre sur sa manche un troisième galon...
C'est près d'Hoéville que le lieutenant Doumer, fils de l'ancien ministre, fut mortellement frappé.
Les Allemands ont abandonné Hoéville le 12 septembre. Ils n'y reviendront plus ; telle est l'assurance que nous donne notre interlocuteur : - Le patriotisme de notre région, conclut-il, se réjouit de voir comment est organisée la défense de la frontière. Trois mille hommes suffiraient pour barrer le passage à un corps d'armée ennemi. Nous dormons tranquilles. Nancy peut en faire autant. »
LUDOVIC CHAVE.

LA PREMIÈRE NEIGE

Nancy, 26 novembre.
Mercredi 25 novembre, à la première heure, la neige a fait son apparition à Nancy, couvrant d'une légère couche les chaussées et les trottoirs.
La circulation des voitures et des passants et l'air devenu doux firent fondre cette première neige, à laquelle pourrait bien succéder la pluie.

MATÉS DANS LES FLANDRES
ils essaient
DE MORDRE EN LORRAINE
ILS Y REÇOIVENT
de bons coups de crocs

Bordeaux, 25 novembre, 16 heures.
De la mer du Nord à Ypres, aucune attaque d'infanterie.
Entre Langemark et Zonnebeke, nous avons gagné du terrain.
Aux abords de La Bassée, les troupes indiennes ont repris à l'ennemi des tranchées qui leur avaient été enlevées la veille au soir.
De la Bassée à Soissons, calme à peu près complet.
Nous avons légèrement progressé près de Berry-au-Bac et en Argonne.
A Béthincourt (nord-ouest de Verdun), une attaque allemande a été repoussée.
Une suspension d'armes demandée par l'ennemi a été refusée
Dans la région de Pont-à-Mousson, notre artillerie a pu bombarder Arnaville.
Aucun incident dans les Vosges.
Paris, 26 novembre, 1 heure.
Voici le communiqué officiel du 25 novembre, 23 heures :
Journée calme.
Aucune modification sur l'ensemble du front.

UN ÉCHEC ALLEMAND
dans l'Aisne
AVEC DE GROSSES PERTES

Paris, 26 novembre, 15 h. 20.
Aucun fait important ne s'est produit dans la journée du 25 novembre.
Dans le Nord, la canonnade a diminué d'intensité. Il n'y a eu aucune attaque d'infanterie sur nos lignes, qui ont progressé légèrement sur certains points.
Dans la région d'Arras, le bombardement a continué sur la ville et les faubourgs. 3 Sur l'Aisne, l'ennemi a tenté une attaque contre le village de Missy. Il a échoué complètement et les Allemands ont eu des pertes sérieuses.
Nous avons réalisé quelques progrès dans la région ouest de Souain.
Dans l'Argonne, en Woëvre, en Lorraine, en Vosges, calme complet sur tout le front.
La neige est tombée en abondance dans les parties les plus élevées des Vosges.

LA GUERRE EN LORRAINE
Pourvu qu'on rigole !

N..., le 26 novembre. - Toujours en Woëvre. Toujours dans les mêmes taupinières. Existence invariable. Ma batterie fait de temps en temps parler d'elle par l'envoi de ses petits cadeaux destinés à entretenir l'amitié des Boches.
Les tranchées ennemies sont à trois cents mètres des nôtres. Excellent voisinage. Elles forment trois lignes parallèles. On se tient dans la première - en avant - pour tirer et l'on goûte dans la troisième un brin de repos.
C'est dans celle-ci que se préparent la soupe et le café, à cause du feu, de la fumée qui, trop près, serviraient de cible à nos voisins d'en face.
Une corvée est chargée de la distribution aux hommes qui veillent.
Or, cette semaine, il arriva qu'en pleine nuit, celui qui «  était de café » partit avec ses marmites pleines. A quoi songeait-il ? Est-ce à la payse ou à la mort de Louis XVI ? Mystère. Dans sa distraction, il oublia de compter les tranchées et, sans y prendre garde, il s'aventura le plus tranquillement du monde jusqu'aux lignes allemandes.
Jugez de l'effarement des Boches, quand le porteur s'écria joyeusement au bord de leurs tranchées :
- Hé ! les copains, apprêtez vos quarts... Tout le monde au jus ! »
On lui cria un avertissement :
- Viche le gamp... blus fide que ça... Tu fas rezefoir guelgue jose...
Le bruit des mausers qu'on arme ne laissa aucun doute sur les intentions de ceux chez qui l'avait conduit une erreur de ses sens abusés par les ténèbres.
Bientôt les balles sifflèrent à ses oreilles. Mais, sans hâter sa marche, l' «  homme de café » battit si prudemment en retraite qu'il arriva sain et sauf. Pas une goutte de son précieux breuvage n'avait débordé des marmites.

C'est déjà crâne, mais il y a mieux. D'ailleurs, quand les historiens dresseront le bilan de tous les traits d'héroïsme, ils devront remuer une montagne de documents. L'autre jour, un coup de vent abat et éteint la lanterne qui sert, la nuit, pour le pointage des pièces dans la direction de l'objectif ou de la zone qu'il s'agit d' «  arroser ».
Un brave territorial s'offre pour replacer le falot. Il faut chercher, tâter sur le sol, impossible de retrouver le piquet auquel était fixé la lanterne.
De guerre lasse, il frotte une allumette, «  éclaire » le lumignon qu'il place sur sa tête, à peu près comme le fils de Guillaume Tell mit une pomme sur la sienne ; puis il nous crie :
- Ça y est... vous pouvez tirer.
Silence de la batterie.
Le territorial s'impatiente :
- Tirez donc, n... de D... !
Si nous avions pointé notre 75 et tiré comme il en donnait l'ordre, le malheureux était naturellement réduit en bouillie. C'est miracle que nos pièces se soient abstenues.
Nous annonçons au «  terrible » qu'il l'avait échappé belle :
- Il s'en est fallu de rien, mon vieux, que tu n'aies la tête emportée.
- Bah ! qu'est-ce que ça f..., riposte-t-il avec bonne humeur. Pourvu qu'on rigole ! »

La rigolade est souvent à l'ordre du jour.
Témoin ce qui s'est passé non loin de nous, dans une tranchée où l' «  Est républicain » venait d'apporter la nouvelle que nos amis les Russes avaient remporté une éclatante victoire en Prusse orientale.
La batterie entonna la «  Marseillaise ».
Notre hymne national eut le don d'exciter chez nos voisins d'en face une vive curiosité. Ils commencèrent par nous imposer silence en se servant d'expressions empruntées sans doute au langage de quelques prisonniers : - La verme. Vermez fos g...
Après la «  Marseillaise », une voix bien timbrée chanta l'Hymne russe. Tout le monde reprit en choeur. Cela déplut aux Boches, qui répétèrent plus énergiquement leur sommation :
- Vermez fos g...
Seulement, à la nuit tombante, on vit s'approcher, sans arme, un Boche qui rampait et qui, de la main, fit signe qu'il avait quelque chose à demander.
Arrivé près de nous, il posa une question :
- Pourquoi vous chantiez la «  Marseillaise » ? Il y a donc chez vous de bonnes nouvelles ?. Vous êtes contents ?. Je suis là-bas avec des Lorrains qui voudraient bien savoir...
- Eh ! bien, tu peux raconter à tes camarades que Guillaume a reçu hier sur la frontière polonaise une purge dont son armée se souviendra longtemps.
- C'est vrai ? interrogea le parlementaire sceptique...
- Si c'est vrai !.. Tiens, mon vieux, on va te donner une collection de journaux... Emporte-les dans ta tranchée...
- Merci.
La lecture de nos journaux dut produire son petit effet chez les Boches, car, le lendemain, sans doute sur les ordres de leurs officiers, on entendit hurler à pleins poumons le «  Wach am Rhein » : c'était la réponse à notre manifestation de la veille.

Depuis qu'on sait que les Lorrains annexés sont à portée de nos pièces et des flingots de l'infanterie, les relations se sont singulièrement améliorées.
Ainsi, il est convenu, en principe, qu'on respectera tous les matins, de neuf heures à dix heures, la sortie des Allemands qui se rendent à l'écart dans une feuillée où ils s'accroupissent en nous montrant leurs pensées très pacifiques.
En d'autres endroits, une fontaine est commune aux deux troupes en présence et, à tour de rôle, les corvées y puisent de l'eau sans nul conflit entre elles.
La guerre en dentelles, vous dis-je !
Comme les tirs boches ont lieu à peu près régulièrement aux mêmes heures de jour et de nuit, il n'est pas rare d'entendre, le soir, une sentinelle allemande - ou, plutôt, lorraine - crier qu'on va exécuter la salve réglementaire :
- Attention, les Français... ça commence. »
L'alarme passée, la sentinelle nous prévient :
- On a fini... Sortez si bon vous semble...
A demain... Bonsoir, les Français ! »
Très souvent, comme ils ont fait le jour de la «  Marseillaise » et de l'Hymne russe, un Lorrain est délégué pour venir en cachette bavarder avec nous pendant cinq minutes.
L'autre jour, après avoir obtenu l'assurance que les prisonniers allemands reçoivent chez nous une hospitalité sans mauvais traitement et qu'en France ils mangeront à leur faim :
- Nous sommes prêts à venir ici. Deux compagnies. Il y a seulement une chose qui nous ennuie.
- Laquelle ?
- Les officiers ne voudront pas nous laisser partir (sic).
- Amenez-les de force... Vous verrez que, plus tard, ils vous remercieront.
- On tâchera.
Depuis deux jours nous attendons la désertion en masse des deux compagnies, avec les officiers ligotés, ficelés comme des saucissons par leurs soldats.
Nous sommes certains qu'ils viendront.
AUGUSTIN FEROT.

LES ATROCITÉS
DE BLAMONT

Le «  Petit Journal » a publié le carnet de route d'un briscard, rengagé pour la durée de la guerre dans les chasseurs à pied.
Le 13 août, notre chasseur est à Blâmont, où les Allemands l'ont, hélas ! précédé, laissant partout les traces monstrueuses de leur passage. Il écrit :
«  Le soir de mon arrivée, je rencontre un des habitants de Blâmont, M. Cuny, dont la fille, âgée de 17 ans, a été fusillée par les uhlans, à la lisière d'un bois. Les yeux embrumés de larmes, il nous raconte l'affaire.
«  Voyez, mes enfants, ma pauvre Marguerite était là, en face ; elle portait un corsage blanc. Les uhlans sont venus sur la gauche ; ils l'ont prise, et, après l'avoir attachée solidement à un arbre, ils l'ont tuée d'un coup de revolver en pleine poitrine !... La tête de ma pauvre petite s'est inclinée, très pâle ; une mousse sanglante apparut à ses lèvres, et ce fut tout... tout...
«  Vos camarades du ...e chasseurs n'ont heureusement pas tardé à la venger. Ils sont survenus sur ces entrefaites, ils ont ouvert le feu et ont «  zigouillé » tous les «  Alboches »...
Marguerite Cuny ne fut pas la seule victime des bandits, qui fusillèrent encore un pauvre vieux de 70 ans, M. Barthélémy, et emmenèrent comme otage le maire de Blâmont, M. Bentz. »

SUR LA ROUTE D'ALTKIRCH

Lors de l'occupation de Dannemarie par les Français, nos soldats se mirent en demeure de faire disparaître les vestiges de la tyrannie allemande. En particulier, ils descellèrent la plaque teutonne qui portait :
«  Dammkirch » Kreis Altkirch Altkirch, 10 kil.
Au moment de la jeter, ils s'aperçurent en la retournant qu'elle portait l'inscription de l'Empire : Haut-Rhin. Route impériale n° 19
Altkirch, 10 kil.
Les Allemands, en 1870, s'étaient contentés de prendre la plaque française et de graver au verso les inscriptions nouvelles.
Ainsi, à quarante-quatre ans de distance, le chemin d'Altkirch est indiqué aux anciens Alsaciens qui ont vécu les deux guerres, par une plaque de l'ancien régime, par la même plaque qu'ils avaient devant les yeux pendant leur jeunesse.

OU L'ON RETROUVE
près de Saint-Mihiel leurs plates-formes bétonnées

Du Cri de Londres :
«  Il y a deux ans, une compagnie allemande, fondée soi-disant pour la fabrication des produits chimiques, loua un grand terrain aux environs de Saint-Mihiel, avec un bail de trente ans. C'était une grande compagnie à qui il fallait de grands bâtiments avec de solides fondations. C'est ainsi que, fut posé un plancher de ciment renforcé de 250 mètres de long sur 30 de large. Après quoi, la compagnie annonça qu'elle n'avait plus d'argent, qu'elle était forcée d'abandonner la construction de ses bâtiments et qu'elle était dissoute. Mais le terrain et le plancher de ciment armé, que les ouvriers avaient eu soin, avant de partir, de recouvrir d'une large couche de terre, lui appartenait toujours. Quand l'armée de Metz arriva sur les lieux, quelqu'un eut la curiosité ou l'intelligence de se demander ce qui pouvait bien se cacher sous cette couche de terre qui, en conséquence, fut enlevée. Et là, toujours par le plus grand et le plus bienheureux des hasards, on découvrit non seulement le plancher de ciment, mais percés dans ce ciment, nombre de trous qui se trouvèrent admirablement placés pour l'installation des gros canons.
«  La compagnie de produits chimiques fit sans doute faillite, mais elle avait bien servi la patrie, car c'est grâce à son innocent plancher de ciment et de fer que les Allemands purent bombarder le fort français du Camp des Romains. »

LA JOURNÉE DU 26

Paris, 27 novembre, 1 heure.
Communiqué officiel du 26 novembre, à 11 h. 23 :
En Belgique, calme complet.
Au centre, canonnades, sans attaque d'infanterie.
Rien à signaler dans l'Argonne.
Petit engagement à l'est de Verdun.

CHEMINS DE FER DE L'EST

Services journaliers entre PARIS et NANCY sans changement de voitures
A partir du 26 courant, deux trains journaliers comportant des voitures directes de toutes classes circuleront dans chaque sens entre Paris et Nancy, viâ Châlons-sur- Marne, Bar-le-Duc, Gondrecourt et Pagny-sur-Meuse.
A l'aller : départs de Paris à 0 h. 02 et à 12 h. 02, pour arriver à Nancy à 16 h. 28 et à 4 h. 28 ;
Au retour : départs de Nancy à 9 h. 14 et à 21 h. 14, pour arriver à Paris à 1 h. 26 et à 13 h. 26.

LES OTAGES DE BADONVILLER
Le récit de leur exode et de leur captivité

Notre confrère l' «  Indépendant », de Lunéville, a pu recueillir de la bouche d'un jeune homme de Badonviller, Marcel Grandclaude, 18 ans, emmené comme otage avec vingt-deux de ses concitoyens, le récit émouvant de l'entrée des Allemands dans la jolie petite ville, des atrocités qu'ils y commirent et de l'exode vers la captivité.
Nous ne reviendrons pas sur l'incendie de la ville, l'assassinat de Mme Benoît, femme du maire, ; du jeune André Massé, 18 ans, étendu mort d'un coup de feu, sous les yeux de ses propres parents, et alors qu'il levait les bras en l'air, comme cela était recommandé ; sur les arrestations de Charles Fridel, 21 ans ; d'un vieillard de 72 ans, M. Frechard, qu'ils forcèrent à regarder l'incendie de sa maison; de M. J.-B. Duhant, de M. Grandgeorge, malade ; de M. Badoz, gendarme en retraite, emmené en bonnet de coton et en caleçon ; de M. Coulon, juge de paix ; de MM. Jeanniot, receveur des postes ; Dedenon, instituteur en retraite ; Ory, commis de perception ; Thomas, comptable à la Faïencerie Fenal ; et des deux gardes champêtres Bertrand et Diedler.
Mais le 14 août, les Allemands sont chassés de Badonviller. L'exode des malheureux otages commence. Ils sont à Cirey et c'est ici que les détails donnés par le jeune Grandclaude deviennent particulièrement intéressants, parce qu'ils sont mal connus ou inédits.
«  A 10 heures, raconte-t-il, des soldats allemands nous escortèrent jusqu'à l'hôtel de ville de Cirey. Nous y avons trouvé du riz et du pain, et un habitant nous fit passer un broc de vin.
«  Les convois passaient toujours. Des canons allemands prenaient la route de Bertrambois. On nous les fit suivre à distance.
«  A la sortie de Cirey, trentre-quatre habitants de Neuviller-lès-Badonviller furent joints à notre troupe, qui se trouvait ainsi plus que doublée. Parmi les nouveaux prisonniers se trouvaient M. le maire Miller et l'instituteur, M. Çolas.
«  Près de Bertrambois, on nous fit faire halte dans un verger. Vers midi, le lieutenant, chef du détachement, envoya chercher le maire de Bertrambois en vue de réquisitionner du pain pour nous. Il ne devait même rien y avoir du tout à manger, car on ne nous distribua qu'un quart d'eau.
«  Le canon tonnait toujours et plus fort. On nous pressa pour le départ et l'on nous mena jusqu'à Landange.
«  Il paraît que ce premier village annexé n'avait pas non plus de pain à nous fournir. Nous dûmes nous contenter encore d'un quart d'eau avant de nous étendre dans la remise de la pompe pour prendre un sommeil d'autant plus réparateur que nous n'avions pris qu'un peu de «  jus » et d'eau depuis le matin. Les plus jeunes prisonniers grimpèrent sur un faux grenier, pour laisser de la place aux «  anciens ».
«  A 4 heures du matin, réveil en fanfare. Les artilleurs allemands nous demandaient ironiquement si nous avions faim.
«  - Oui, fut-il répondu.
«  - Ya, fit un autre.
«  - Café ? Café ? cria un artilleur.
«  - Oui !
«  Alors, au travers de la porte, on nous lança trois seaux d'eau.
«  Le lieutenant nous fit sortir de la remise à 6 heures.
«  - On va vous conduire à Sarrebourg, dit-il. Mangez rapidement ! ! -
«  C'était bien inutile de nous faire cette recommandation : nous eûmes à nous mettre sous la dent deux bouchées de pain. Une demi-douzaine d'entre nous purent profiter de l'obligeance d'un habitant qui apporta du café au lait.
«  En route, toujours à pied, pour Sarrebourg. Plus nous avancions, plus il nous semblait que le canon se rapprochait.. Sans doute les troupes françaises avançaient et très rapidement. Vers dix heures du matin, nous étions près de Sarrebourg. On nous campa dans un pré où l'on nous ordonna de nous tenir couchés. Nous avions le ventre creux. Un soldat nous offrit du pain noir, du «  pumpernickel ». A trois heures, l'éternelle soupe au riz nous fut donnée, avec, oh ! générosité; un morceau de viande à demi-cuite et une boule entière de pain noir par personne.
«  A 5 heures, nous faisions notre entrée à la prison de Sarrebourg, avec chacun une botte de paille.
«  Mais voilà qu'à 7 heures on nous annonce notre départ pour 8 heures et demie du soir, par un train qui nous conduirait en Allemagne. Est-ce que les Français- avanceraient toujours ?
Le départ eut lieu, en effet, vers 9 heures et demie.
«  Nous avons franchi la porte de la prison au milieu d'une foule assez dense, qui probablement prévenue, voulait nous voir passer malgré le mauvais temps. La pluie tombait.
«  Nous avions été mis sur deux rangs par des soldats qui avaient l'air furieux. Ils nous poussaient à coups de pied et à coups de poing. Quelques-uns, criaient sans cesse : «  Capout ! » et ils montraient leurs fusils afin d'être mieux compris. Les deux gardes champêtres de Badonviller furent les plus maltraités, à cause, certainement, des képis dont ils étaient coiffés. La foule nous était hostile, mais ne manifestait guère ses sentiments. Pourtant il y avait un «  civil » qui, en français, nous traitait de belle manière ! «  Crapules, apaches, sales Français, francs-tireurs » étaient des expressions qui revenaient constamment dans ses cris.
«  Au passage, j'ai entendu dire : «  Ils seront fusillés car ils ont tiré sur les soldats ».
«  L'embarquement en gare fut rapide si le voyage fut long. On nous fit monter dans deux wagons à bestiaux extrêmement sales que l'on ferma à clef. Une mauvaise lanterne de voiture éclairait le wagon. En route la pluie continuait à tomber et coulait au travers de notre véhicule. A Sarreguemines, des soldats nous offrirent de l'eau. C'était plutôt par curiosité, pour nous voir.
«  Nous arrivâmes à Strasbourg à dix heures du matin. La gare était occupée par des territoriaux d'infanterie. Un piquet nous accompagna. Dans les rues on nous regardait. Des gens nous suivaient. Un dragon, nous voyant, tira son sabre et se précipita vers nous. Un officier lui barra le chemin et l'empêcha d'approcher. De temps à autre, nous recevions des bourrades. Un prisonnier, originaire de Neuviller, fut frappé très fort. Sans notre escorte, nous aurions été lynchés. Nous fûmes ainsi maltraités jusqu'à la prison.
«  Les formalités d'écrou ont été accomplies au greffe. Notre état civil inscrit, nous ayons été considérés comme des condamnés de droit commun, mais on ne nous faisait pas travailler.
«  Et, pendant vingt-quatre heures, nous devions rester dans cette prison. A 6 heures du matin, réveil ; coucher à 6 heures du soir. L'existence était plutôt monotone.
«  Un pasteur protestant nous rendait visite quelquefois et c'était pour nous donner des nouvelles peu faites pour irfms réjouir. Un jour, l'état-major allemand accusait dix mille prisonniers à Morhange et Dieuze ; quatre corps d'armée français étaient en déroute.
«  On voyait, à ce moment, des fenêtres de la prison, des drapeaux sur tous les monuments voisins, mais nous nous demandions quand même si le pasteur.n'était pas envoyé pour nous tromper.
«  Il vint aussi deux Alsaciens, condamnés, disaient-ils, pour des délits. Ceux-là furent bientôt suspects pour nous et nous retenions nos langues quand ils nous annonçaient que les Allemands venaient de faire soixante-dix-sept mille prisonniers français, ; que les Anglais n'étaient pas avec nous, etc.
«  Le lendemain, le pasteur surenchérissait : une division de cavalerie anglaise était prisonnière.
«  Et puis, on nous racontait que Toul, Epinal, Belfort avaient capitulé. Et, sans cesse, on nous annonçait des victoires allemandes.
«  Pourtant, il y avait moins de drapeaux visibles des fenêtres de la prison ; il semblait qu'on en retirait chaque jour, alors que, précédemment, c'était une véritable débauche de pavoisement.
«  Un lundi, vers neuf heures et demie du soir, on vint nous réveiller. Le gardien déclara que «  les gens de Badonviller et de Neuviller devaient être prêts à partir pour deux heures du matin ».
«  Inutile de vous dépeindre notre joie !
A trois heures nous partions vers la gare, nantis chacun d'une boule de «  pumper- nickel » et d'un passeport en règle.
«  Plus de drapeaux en ville, même plus sur la prison ni sur la cathédrale. Ils étaient enlevés depuis plusieurs jours et les enfants ne chantaient plus.
«  De Deutsch-Avricourt, nous avons pris à pied la route de Badonviller. Quand nous sommes rentrés chez nous, nous n'avons plus trouvé personne. Trois fois les Allemands ont été chassés de notre malheureuse cité à moitié détruite et y sont rentrés. Que vous dirai-je de l'état de notre ville que vous ne sachiez déjà !
«  Et, termine le jeune homme, ma pauvre mère était morte de peine de n'avoir point reçu de nouvelles de ses deux fils qu'elle avait cru morts. »

LES ATTAQUES SE RALENTISSENT

Bordeaux, 27 novembre, 16 h. 20.
Dans la journée du 26 novembre, le ralentissement du feu de l'artillerie ennemie a été partout constaté.
Deux attaques d'infanterie dirigées contre les têtes de pont que nous avons jetées sur la rive droite de l'Yser, au sud de Dixmude, ont été facilement repoussées.
Aucune action sur le reste du front, en Belgique et jusqu'à l'Oise, non plus que sur l'Aisne et en Champagne ; toutefois, Reims a été bombardé assez violemment pendant une visite de la ville par les journalistes des pays neutres.
Dans l'Argonne, quelques attaques d'infanterie ont abouti à la perte et la reprise de quelques tranchées ; les effectifs engagés n'ont jamais atteint un bataillon ; le terrain perdu et regagné n'a jamais dépassé vingt-cinq mètres.
Sur les Hauts-de-Meuse et dans les Vosges, rien à signaler.
Du 27 novembre, 23 heures Journée calme.
Rien à signaler.

COMMENT FUT SAUVÉE NANCY
La division de fer. - La marche sur Nancy par Pont-à-Mousson et Château-Salins. - L'offensive française. - Morhange. - De Morhange à Champenoux. - La belle défense. Nancy bombardée. - Ste-Geneviève. - La Grande Couronnée de Nancy.

Le «  Temps » traduit et résume aujourd'hui une série d'articles parus dans le «  Times », qui constituent un ensemble remarquable des combats acharnés dont la Lorraine française a été le théâtre depuis le début de la campagne.
Bien que l' «  Est » ait publié au jour le jour le récit des événements importants qui se sont produits en Lorraine, il nous paraît que l'histoire ainsi présentée en raccourci de l'action de nos armées est vraiment digne d'être lue. Elle ne se contente pas de réveiller les souvenirs, elle les unit vigoureusement.
Le «  Bulletin des armées », dit le «  Temps », en nous donnant le récit détaillé des opérations dont l'ensemble constitue la bataille des Flandres, nous permet de nous rendre compte de l'effort véritablement gigantesque accompli par notre armée du Nord. Mais ce qui se passe à la gauche de notre front, quelle que soit l'importance de la partie engagée de ce côté, ne doit pas nous faire oublier l'oeuvre également admirable que poursuivent depuis le début de la campagne nos troupes de l'Est. S'il ne leur a pas été donné de supporter le choc principal de l'envahisseur, celui-ci, grâce aux effectifs considérables dont il dispose, a pu cependant lancer sur notre frontiere de l'Est des masses importantes.
Celles-ci se sont heurtées à la résistance des troupes incomparables qui constituaient notre principale armée de couverture, notamment le 20e corps et, en particulier la célèbre division de Nancy, la 11e division, dite «  division de fer ».
Notre excellent confrère, le «  Times », vient de consacrer aux opérations qui se sont déroulées devant Nancy une série d'articles.
Notre confrère en profite pour attirer l'attention de ses compatriotes sur la grandeur de la tâche accomplie par notre armée, au moment où les intrigues allemandes s'efforcent de semer la dissension entre les alliés :
«  Il est de toute nécessité, déclare-t-il, que le peuple anglais se rende compte de la splendide bravoure dont l'armée de Nancy et de Tout a fait preuve pendant ces opérations si complexes.
«  Les intrigues allemandes s'exercent actuellement à provoquer la dissension entre les deux armées et les deux nations alliées.
«  L'objet de ces intrigues en ce qui nous concerne est de faire naître et d'entretenir l'idée que le poids principal de la lutte retombe sur nous et que les Français ne jouent pas le rôle qui leur revient. Insidieusement. on leur en dit autant de nos troupes. Mais ici, en Meurthe-et-Moselle, on sait que ce sont là des mensonges. On sait ce que nous avons fait et ce que nous faisons.
«  Les civils et les soldats expriment continuellement leur admiration pour la valeur des armées britanniques et de l'Inde.
Mais je ne suis pas sûr que nos compatriotes se rendent suffisamment compte de la grandeur de la tâche accomplie par les Français dans l'Est. »
Après ce préambule, le correspondant fait le récit chronologique des combats qui ont eu pour résultat l'échec complet des efforts faits par les Allemands pour s'emparer de la capitale de la Lorraine française.

Les quatre routes d'invasion

Les Allemands s'avancèrent sur Nancy par deux routes, à savoir Pont-à-Mousson au nord, Château-Salins au nord-est ; en même temps, ils marchaient sur Cirey, à l'est, et Saint-Dié, au sud-est.
Les deux premiers corps d'armée qui participèrent à l'invasion de la Lorraine étaient tous deux composés de troupes bavaroises.
Une partie de l'armée de Metz qui avait commencé à s'avancer dans la direction de l'ouest, sur Verdun, effectua un mouvement de conversion au sud, sa droite s'appuyant à Saint-Mihiel, sur la Meuse, et sa gauche à Pont-à-Mousson, sur la Moselle, et se joignit à l'attaque contre Nancy.
D'autre part, les deux premiers corps allemands partis de Strasbourg pénétrèrent en France par les défilés supérieurs des Vosges et, entre Cirey et Baccarat, s'avancèrent sur Lunéville et le groupe de villages qui entourent cette ville par les trois vallées de la Meuse, de la Mortagne et de la Vezouze.
Le troisième corps d'armée qui était également composé de Bavarois, possédait une artillerie nombreuse, notamment de pièces de gros calibres. Ce corps, qui comprenait quelques régiments de cavalerie prussienne : uhlans et cuirassiers blancs de la garde, était parti de Sarrebourg ; pénétrant en France par Château-Salins, il eut une série de violents engagements avec les Français aux environs de la forêt de Champenoux.
Le 4 août, les troupes françaises, qui avaient été maintenues à plusieurs kilomètres de la frontière, commencèrent leur mouvement en avant, marchant sur Sarrebourg, en étendant un front qui s'étendait de Château-Salins à Cirey. Pendant ce temps, les Allemands bombardaient Badonviller et Baccarat, puis Cirey, qu'ils occupèrent pendant cinq ou six jours.
Mais la marche générale des troupes françaises se poursuivait avec succès sur toute la ligne frontière de Pagny-sur-Moselle, près de Metz, jusqu'à Belfort, au sud. A l'extrémité septentrionale de cette ligne, les Allemands prenaient l'offensive, et Pagny et Pont-à-Mousson étaient bombardés les 13, 14 et 15 août par les canons. Au sud de Cirey, les Français, après de violents combats, occupaient, le 10 août, les cols du Bonhomme et de Sainte-Marie-aux-Mines et un peu plus bas franchissaient la chaîne des Vosges et pénétraient en Alsace.
Donc, huit ou dix jours après la déclaration de guerre, les Français étaient en train d'exécuter deux mouvements offensifs en territoire allemand : l'un par le nord, l'autre par le sud et tenaient le centre des Vosges entre les deux points d'attaque, tandis que les Allemands occupaient la partie supérieure des Vosges et se livraient de leur côté à deux mouvements offensifs, de moindre envergure, sur chacune des ailes de l'armée française d'invasion, à Pont- à-Mousson et à Cirey respectivement.
Lorsqu'on examine la carte de cette région, on s'explique parfaitement la raison d'être des mouvements parallèles auxquels se livraient les deux adversaires.
Dans chaque cas, en effet, l'offensive était couverte par une forteresse. Les attaques des Allemands sur Pont-à-Mousson et dans la région de Cirey et leur prise de possession de l'extrémité septentrionale des Vosges étaient appuyées par Metz et Strasbourg.
De même, l'invasion par les Français de la Lorraine allemande entre Metz et Strasbourg et de l'Alsace et leur installation sur les crêtes des Vosges étaient protégées en arrière par Toul, Belfort et Epinal.
La première modification dans la disposition des armées en présence se produisit à Cirey, où les forces allemandes qui avaient occupé Cirey, Bacarat et Badonviller, durent se replier sur Strasbourg. Mais jusqu'au 20 août, la situation ne subit aucun changement notable. Ce jour-là, l'offensive victorieuse des Français sur Sarrebourg fut enrayée devant le grand camp militaire de Morhange, où les troupes françaises se trouvèrent en présence de forces bien supérieures en nombre.
L'armée du général de Castelnau, se retirant en bon ordre, se replia d'abord sur un front indiqué par la Meurthe, en passant au nord de Lunéville et le canal de la Marne au Rhin et la Seille ; puis, plus à l'ouest sur la vallée de la Mortagne pour occuper un front s'étendant vers le nord dans la même direction jusqu'à Champenoux.
Au delà de cette ligne, qui coïncide presque avec le Grand-Couronné, les Allemands malgré tous leurs efforts, n'ont jamais pu pénétrer.
De Morhange à Champenoux, soit une distance de trente-deux kilomètres, leur marche fut rapide. Trois jours après la victoire allemande de Morhange, la première armée allemande avait réoccupé Cirey et Badonviller, bombardé et occupé Blâmont, complètement détruit le fort de Manonviller, et enfin occupé Lunéville.
Presque simultanément, la seconde armée, celle qui avait franchi les Vosges, plus au sud, occupait Saint-Dié et Raonl'Etape, sur la Meurthe, Rambervillers et Gerbéviller, sur la Mortagne, et rejoignait la première armée à Lunéville, tandis que la troisième armée commençait l'assaut de Champenoux et des villages environnants, le 22 août, avec la coopération de l'armée de Metz qui essayait d'atteindre Amance.
L'attaque principale allemande s'effectuait désormais de deux seules directions de Lunéville et de Champenoux. Toutes les pièces de l'échiquier allemand se trouvaient rassemblées dans un coin. Lunéville avait été sacrifiée par les Français comme on sacrifie une tour pour sauver une reine, et Nancy, la reine de la Lorraine, était serrée de près.

Les pertes allemandes

Mais pendant tout le cours des opérations les généraux Pau et de Castelnau avaient continuellement eu la situation bien en main et à l'issue de cette première phase de la lutte 11.000 cadavres allemands gisaient dans les champs et les forêts situés autour de Lunéville et 20.000 entre Nancy et Champenoux.
Les positions occupées par les troupes françaises après leur retraite de Morhange, avaient été habilement choisies. Partant du mont Toulon, au nord, elles suivaient les hauteurs du mont Saint-Jean, de la Pochette et d'Amance, contournaient les forêts de Champenoux, de Saint-Paul et de Grévic, longeaient enfin la forêt de Vitrimont et le cours de la Mortagne sur une faible distance.

L'attaque du plateau d'Amance

Vient ensuite le récit des combats dont le Grand-Couronné fut le théâtre pendant quinze jours, combats dont certains furent extrêmement sanglants et qui furent marqués par des alternatives d'avance et de recul : Haraucourt, Rosières, Dombasle, etc. Enfin vint l'assaut dirigé par les Allemands contre le plateau d'Amance. Cette position fut l'objet de deux tentatives de la part des Allemands : la première dirigée de la direction du sud, la seconde du nord. Pendant une semaine entière le plateau fut soumis, jour et nuit, à une canonnade incessante.
Le 30 et le 31 se produisit une accalmie, qui cependant fût plus pénible pour les troupes que la canonnade elle-même. Pendant ces deux jours, un brouillard épais enveloppe le plateau, et bien qu'on fût conscient de la présence de l'ennemi dans le voisinage immédiat, on ne pouvait rien distinguer à quelques mètres. Les artilleurs durent se borner à faire pleuvoir de temps à autre une grêle de shrapnells sur les routes par lesquelles l'ennemi aurait pu déboucher.
Pendant ce temps, comme le pensaient les Français, les Allemands avaient mis de l'artillerie lourde en position. Le 4 septembre, les aviateurs allemands ayant repéré les positions de nos batteries, celles-ci furent soumises par les batteries lourdes allemande à une canonnade si violente qu'à un moment donné les troupes furent obligées d'abandonner leurs tranchées et de se réfugier dans le village. Mais les avions allemands les ayant découvertes immédiatement, le village fut canonné à son tour.
Au bout de quelque temps le feu diminua d'intensité, les troupes réintégrèrent leurs tranchées, et les canonniers se mirent en devoir de bombarder vigoureusement l'ennemi, à leur tour.
Le 8 septembre, le kaiser voulant briser définitivement la résistance des Français, donna l'ordre à ses troupes, et notamment aux cuirassiers blancs de la garde, d'enlever la position d'assaut.
Sortant des bois environnants, les troupes allemandes, précédées de leurs musiques, comme si elles étaient à la parade, escaladèrent les pentes du plateau et s'avancèrent contre nos positions. Notre artillerie gardant le silence, les Allemands crurent avoir démoli nos pièces. De son côté, l'infanterie laissa arriver l'ennemi jusqu'à deux cents mètres de ses lignes. A ce moment, nos troupes s'élancèrent hors des tranchées et se précipitèrent à la baïonnette contre les assaillants. Le choc fut formidable et l'ennemi, complètement surpris, lâcha pied. Nos 75, entrant alors en jeu, achevèrent la déroute et tirant à une faible portée firent dans les rangs ennemis un épouvantable carnage. Les assaillants prirent la fuite, mais d'autres troupes les remplacèrent. A nouveau, les Allemands s'élancèrent à l'assaut de nos lignes et à six reprises ils furent repoussés. Les cuirassiers blancs chargèrent avec furie, mais nos shrapnells firent de tels ravages dans leurs rangs que bientôt le sol du plateau était jonché de leurs cadavres aux cuirasses étincelantes. Les pertes allemandes furent épouvantables. Des milliers et des milliers de cadavres couvraient le sol, et dans la soirée du 9, l'ennemi demanda un armistice de quatre heures pour pouvoir enterrer ses morts. On dit qu'il profita de cet armistice pour mettre en position, à la faveur d'un violent orage, de grosses pièces avec lesquelles il bombarda ensuite Nancy.
Le jour suivant, les troupes françaises prenaient définitivement l'offensive et bombardaient les bois de Champenoux dans lesquels l'ennemi s'était réfugié. A onze heures du matin, il n'y restait plus que les cadavres et les blessés qu'il n'avait pu enlever.

Le Trou de la Mort

De son côté, l'armée de Metz, qui avait quitté Pont-à-Mousson le 22 août pour attaquer le plateau d'Amance et la direction de l'Est, s'était dirigée sur Sainte-Geneviève, dont l'occupation était indispensable au succès de l'opération. Elle comptait s'emparer du village sans coup férir, mais gênés dans leur marche par les réseaux de fils de fer barbelés disposés par les Français autour du village, les Allemands jugèrent prudent de préparer leur attaque au moyen de leur artillerie lourde et de campagne. Dans un espace de soixante-quinze heures, ils lancèrent quatre mille obus sur Sainte-Geneviève. Le village était occupé par un seul régiment d'infanterie de trois mille hommes qui, bien retranchés cependant, ne perdirent que trois tués et une vingtaine de blessés pendant le bombardement. Les batteries françaises s'étaient si bien dissimulées que les avions ennemis ne purent les découvrir. Elles laissèrent les Allemands gaspiller leurs munitions sans répondre.
Le 24 au soir, le général allemand trompé par ce silence et croyant que l'infanterie française était anéantie, fit avancer ses troupes en colonnes compactes sur Sainte-Geneviève.
Quand nos 75 jugèrent la distance convenable, ils ouvrirent le feu.
Pendant trois heures leurs obus s'abattirent sur les masses d'infanterie allemande.
L'infanterie française avait reçu l'ordre de laisser avancer l'ennemi jusqu'à trois cents mètres des tranchées. A ce moment, le commandement si redouté des Allemands de : «  Baïonnette au canon ! » retentit. Mais nos hommes avaient préalablement reçu le mot d'ordre. Au lieu de charger, ils restèrent dans leurs tranchées. Cependant, entendant sonner la charge, les Allemands, qui s'étaient couchés à terre avant le dernier bond contre les tranchées françaises, se levèrent pour recevoir le choc de nos troupes. Celles-ci dirigèrent alors contre les rangs ennemis une succession de salves meurtrières.
Le subterfuge avait réussi, et dès lors les lebels ne s'arrêtèrent plus de tirer. En quelques instants, quatre mille cadavres allemands se trouvaient amoncelés devant les tranchées françaises.
A la chute du jour, l'ennemi abandonnait sa tentative et se repliait, complètement démoralisé, sur le village d'Atton.
Les survivants, en arrivant à Atton, baptisèrent Sainte-Geneviève du nom de «  trou de la Mort ».
L'offensive allemande contre Nancy avait complètement échoué, et la division de fer, conclut le correspondant, avait mérité le nom de «  la grande couronnée de Nancy ».

JAMAIS TROP

Nancy, 27 novembre.
Quelqu'un me dit : Vous avez vraiment trop de confiance.
J'ai répondu : Jamais trop.
Le scepticisme, qui est un état d'esprit amusant en temps de paix, est la plus vilaine, la plus déprimante chose en temps de guerre.
On ne peut pas en cette période vivre utilement si on n'a la foi. C'est elle qui pousse à l'action et la dirige.
Chacun l'a à sa façon, suivant son tempérament, son éducation ou même son système philosophique. Le tout est de l'avoir, et très ferme, et irréductible.
Il faut croire à l'avenir de la France, à l'impossibilité matérielle et morale d'être vaincus, à la science de nos officiers, à. la bravoure de nos soldats, à tout ce qui maintient l'espoir.
Pour moi, j'affirme que pas un instant, à n'importe quelle heure de la bataille, je n'ai douté.
Lorsque le pays de Briey a été envahi, lorsque Lunéville a connu l'occupation, lorsque les obus sifflaient sur Nancy pendant une nuit d'orage, je n'ai pas douté.
Et je n'ai pas douté non plus quand les Allemands ont saccagé la Belgique, quand nos armées, en une retraite qu'on n'admirera jamais assez, se retiraient jusque sur la Marne, quand la vague germaine déferlait aux portes de Paris.
Que le danger fût proche ou lointain, il ne m'a jamais enlevé la confiance.
Les opérations stratégiques des braves gens qui croient en savoir plus que l'état-major, les frayeurs des personnes un peu nerveuses, les exagérations des malheureux villageois qui, fuyant en aveugles dans la bataille, étaient convaincus d'en avoir saisi tous les détails - et quels détails ! - les défaites annoncées à voix basse par des citoyens qui ignoraient tout de la guerre, les suspicions honteuses, les accusations précises ou non, rien de tout cela ne m'a troublé une seconde. Rien.
Rien ne peut abattre cette confiance infinie.
Et elle est venue en moi dès le commencement de la guerre, spontanément, sans qu'elle ait eu besoin du réconfort parfois décevant des motifs raisonnés.
J'ai foi en la destinée de la France comme un fils a foi en l'amour de sa mère et en la force de son père.
A la vérité depuis lors j'ai étayé cette confiance de quelques arguments : la résistance des Belges, l'alliance indestructible de la France, de l'Angleterre et de la Russie, l'énormité de l'armée russe, la froide énergie des Anglais, la vaillante gaieté de nos troupiers, l'expérien,t ce et le travail de nos officiers, la sereine clarté du général Joffre, l'appui moral des neutres civilisés, l'impatience de l'Italie irrédentiste, la valeur des ; Serbes, la faiblesse des Turcs, la désorganisation de l'Autriche, et même la méthode des Allemands qui les attache brutalement à un plan, et les rend inaptes à l'assimilation rapide. 1 Tout cela pourtant n'est que du raisonnement, et le raisonnement, s'il est appliqué aux choses de la guerre, est souvent détruit par le fait inattendu.
Au fond, la confiance que j'ai toujours eue, qui ne m'a jamais abandonnée, c'est comme le fond même de l'être humain. Elle circule avec le sang, elle vibre avec les nerfs elle est toute la chair et toute l'âme. Elle est un atome dans cet immense élan qui porte la France, à travers les sacrifices les plus cruels, vers la victoire définitive. Elle ne s'analyse pas. Elle est indivisible. Elle est.
Cependant elle n'abolit pas l'esprit critique nécessaire au temps de guerre comme au temps de paix. La confiance permet de regarder les événements avec une intelligence peut-être plus subtile, et d'en tirer des conclusions plus proches de la vérité.
Mais aujourd'hui, si quelques citoyens ont douté, ils doivent grandement regretter leurs hésitations premières. Ils voient que l'Allemand, malgré quarante ans de préparatifs militaires, n'a pas pu avoir raison de la brave petite Belgique, a dû reculer de la Marne à l'Aisne, n'a forcé nulle part, ni dans les Vosges, ni du côté de Nancy, ni à Verdun, ni à Roye, ni à Dixmude, ni à Nieuport, ni à Ypres, les lignes alliées, que vers l'Est il recule devant l'ouragan russe, et que, ne sachant plus à quel plan se vouer, il fonce en désespéré à droite et à gauche, qu'il se transporte sans résultats du Sud au Nord, de l'Orient à l'Occident, qu'il se bat sans aucune chance de succès, qu'il s'affole comme un oiseau de proie emprisonné dans un filet souple et solide.
Heureux ceux qui n'ont pas douté.
Pour nous, il n'est pas de titre dont nous soyons plus fier que celui dont un de nos amis saluait récemment notre journal :
«  L'Est porteur de confiance. »
RENÉ MERCIER.

CONSEIL MUNlCIPAL,
Séance du 27 novembre

Nancy, 27 novembre.
La séance est ouverte à neuf heures du matin. M. Simon, maire, préside. Il est assisté de MM. Schertzer, Souriau, Dorez, Peltier, Devit, adjoints. M. Grosjean remplit les fonctions de secrétaire. Quatorze conseillers sont présents.
Le conseil adopte un avis de la commission administrative de la maison des Orphelins ayant pour objet le paiement des frais pour l'acquisition.
Adoptée également la nomination de MM. Bacherer, Marquet et Voiriot, comme secrétaires dans les bureaux de police.
Sont adoptés les rapports de M. Souriau, le conseil concluant à : 1° l'extension du service des études surveillées pour les écoles de filles et de garçons ; 2° la création d'un quatrième emploi d'instituteur adjoint à l'école des garçons de Boudonville, le nombre des élèves ayant augmenté considérablement depuis les années précédentes, et à l'acquisition d'un mobilier neuf ; 3° l'installation provisoire de l'Ecole des Beaux-Arts dans les galeries de la Salle Poirel, la salle de l'Agriculture et le salon de l'Impératrice à l'Hôtel de Ville. (On sait que l'Ecole actuelle des Beaux-Arts est actuellement occupée par une ambulance), et à la nomination de trois professeurs à cette école.
Le conseil vote 0 fr. 10 de centimes additionnels pour l'année 1915, pour effectuer divers travaux municipaux.
Après l'adoption de divers marchés de gré à gré et la résiliation d'une concession d'emplacement d'un kiosque à journaux, situé dans l'impasse du faubourg Saint-Jean.

Caisse de Chômage

M. Antoine, dans un rapport étudié, demande la création d'une caisse de chômage, dont la durée ne dépassera par celle de la guerre, afin de ne pas mettre en péril les finances de la ville.
Cette caisse sera le complément indispensable du bureau de placement, qui, malgré sa parfaite organisation, est impuissant à résoudre le grave problème des événements actuels.
Le rapporteur indique de quelle façon la caisse de chômage devra fonctionner, et que l'Etat doit entrer dans une certaine mesure dans son organisation. Il termine par une demande de dotation provisoire de 20.000 francs.
Après la lecture des statuts de la caisse qui sera administrée par une commission comprenant :
1° Le maire ou son délégué, président ;
2° La commission de contrôle du Bureau de placement paritaire ;
3° Quatre délégués patrons et quatre délégués ouvriers, désignés par le maire et dont la moitié au moins seront pris en- dehors des syndicats.
4° Trois membres du conseil municipal.
Les conclusions du rapport ont été adoptées.

La Houille à Nancy

M. Vergne demande à M. le Maire quelles mesures ont été prises pour empêcher l'augmentation du prix de la houille.
M. Simon répond qu'à l'heure actuelle, la houille arrive du centre de la France et de l'Angleterre. Par suite du transport par voie ferrée, les prix de revient sont assez élevés. Lorsque les négociants pourront établir ces prix, il les réunira pour fixer les prix de vente du combustible.
Sur la demande de M. Barthélémy, M. Simon fournit des explications sur le stock actuel de la houille sur les chantiers. Le prix de la houille est moins élevé à Nancy qu'à Paris.
M. le Maire indique aussi que de nombreux bateaux qui se trouvaient sur le canal de la Marne au Rhin ont pu être amenés à Nancy. Ils ont été répartis entre les compagnies du gaz, de l'électricité et de diverses industries.
Il en résulte que le gaz est assuré pour la ville de Nancy, jusqu'au 20 janvier, et que le combustible ne fera pas défaut.
La séance est levée à dix heures. Le conseil se constitue en comité privé.

A MAMEY, FAY et REGNIÉYILLE

Nancy, 28 novembre.
Deux otages de Mamey, MM. Petit et Raymond, l'un manoeuvre, l'autre charron qui avaient été emmenés à Metz par les Allemands à la fin de septembre, ont pu s échapper et rentrer en France. Ils sont venus à Nancy apporter des nouvelles de leurs camarades faits prisonniers en même temps qu'eux dans les communes de Mamey, Fay et Regniéville.
D'autre part, Mme Navet, réfugiée de Fay, actuellement chef, M. Glatte, 31, rue de Belfort, Nancy, nous a donné quelques renseignements sur l'occupation de Fay.
Le 27 septembre, les habitants furent avisés par les Allemands que l'on allait mettre le feu aux habitations et qu'il fallait partir.
Trois personnes seulement restèrent Mme Navet et les deux Bonnot.
Les Allemands firent sauter le clocher à la. dynamite et pillèrent les maisons.
Les hommes furent dirigés sur Vandières et Pagny, puis sur Metz.
Le lendemain, les Français arrivèrent. Pendant la bataille, les trois restants de Fay purent s'enfuir derrière les troupes et aller d'abord à Verdun, puis à Nancy.

COMBATS
d'Artillerie et d'Infanterie
DES FLANDRES AUX VOSGES
tournèrent partout à notre avantage

Bordeaux, 29 novembre, 16 h. 25.
Le 28 novembre, la canonnade de l'ennemi a été plus active, mais exécutée surtout avec des pièces de 77 millimètres. Son artillerie lourde a très peu fait sentir son action Dans ces conditions, la lutte d'artillerie a tourné partout à notre avantage.
En Belgique, notre infanterie a enlevé divers points d'appui au nord et au sud d'Ypres.
Dans la région au nord d'Arras, une attaque ennemie menée par trois régiments environ a définitivement échoué après plusieurs contre-attaques exécutées de part et d'autre. Entre la Somme et Chaulnes; nous avons marqué de sensibles progrès. Dans le voisinage du village de Fay, nos troupes sont parvenues au contact immédiat des réseaux de fil de fer de la défense.
Dans la région dé l'Aisne, entre Vailly et Berry-au-Bac, un groupe de mitrailleuses et une coupole pour pièce de 30 centimètres ont été détruits par nos obus, dont l'un a déterminé une explosion dans une batterie ennemie.
Dans les Vosges, trois contre-attaques allemandes en vue de reprendre le terrain conquis par nous précédemment dans le Ban-de-Sapt ont été successivement repoussées.

UNE HEURE ÉMOUVANTE

C'est en Haute-Alsace, à Massevaux, un chef-lieu de canton de 3.600 habitants, situé dans le cercle de Thann, à 51 kilomètres de Colmar, qu'a été ouverte la première classe - en français. Simple et émouvant instant ! les écoliers, vêtus de leurs habits du dimanche, s'étaient placés devant leurs pupitres, tandis que leurs parents se tenaient debout au fond de la salle.
O douce surprise ! Le maître d'école, à la dure allure germanique, était remplacé par un soldat-instituteur, un sous-officier français en tenue, un vrai fils d'Alsace, qui, tranquillement, prit place à la chaire. Il s'adressa en patois à ses disciples et a leurs parents. Ce fut un joyeux éclat de rire que personne ne songea à réprimer. La première leçon ne porta que sur un thème, une phrase d'abord parlée, qu'à tour de rôle, sur le tableau noir, puis sur les cahiers, les enfants inscrivaient, pieusement, et avec quel enthousiasme ! «  La France est notre patrie ! Vive la France ! »
Pas une faute d'orthographe ! Les petits Alsaciens de Massevaux prouvèrent ainsi qu'ils connaissaient par coeur l'adorable formule.
Et les grands-pères, aux écoutes eux aussi, aux abords de l'école, se rappelaient, avec une émotion devenue très douce, une vision presque cinquantenaire : le vieux maître parlant pour la dernière fois on français aux petits enfants d'Alsace.

NOS SPORTIFS

Nancy, 30 novembre.
Que sont devenus les sportifs, depuis leurs chefs jusqu'aux humbles membres de nos sociétés lorraines ? Bien peu d'entre eux donnent des nouvelles, ce qui, suivant le proverbe, signifie plutôt qu'elles sont bonnes.
M. Eugène Beaudouin, chef délégué de l'U.V.F. de Meurthe-et-Moselle, est cycliste à l'état-major de la 11e division.
M. Edmond Hanrion, vice-président du Comité départemental, son fidèle collaborateur, a été blessé, pendant la retraite de Morhange, d'un éclat d'obus à la cuisse. Soigné à l'hôpital de Châteauroux, il rejoint sur le front ses camarades du 26e de ligne, après un mois de convalescence.
M. Bardin. notre confrère de «  Nancy-Sportif », porte modestement, au Point Central, le képi de garde civique.
MM. Abel Beugnot, Haumouche, Bosseler, directeurs des maisons de cycles bien connues, conduisent actuellement des autos, ainsi que MM. Gustave Closse, Henri Chèvre, Maurice Perron, etc., les champions réputés du volant.
Le jeune René Chassot, gagnant de notre Circuit des Vosges 1912, sert au 67e, à Dreux.
Un autre routier, Lorain, le premier Français de Nancy-Luxembourg 1914, a reçu une balle dans l'épaule droit au, cours d'une reconnaissance cycliste ; il est en traitement à Rennes.
Deux coureurs de la J.C.N., l'artilleur Fernand Jacquiau et Louis Thiverny, caporal au ...e d'infanterie, sont dans le Nord et la Somme.
Jusqu'à présent, automobilistes, motocyclistes et fervents de la pédale paraissent favorisés par la chance.

RÉSUMÉ DES ÉVÈNEMENTS
de Novembre 1914

1er novembre. - Rupture avec la Turquie. Les ambassadeurs de Russie, de France et de Grande-Bretagne quittent Constantinople.
2 novembre. - Les Allemands évacuent complètement la rive gauche de l'Yser entre Nieuport et Dixmude. - Combat naval au large de Yarmouth. - L'escadre anglo- française bombarde les Dardanelles.
5 novembre. - Les Russes progressent en Prusse orientale.
6 novembre. - Réunion du Conseil général de Meurthe-et-Moselle. - Jaroslaw est repris par les Russes.
7 novembre. - Tsing-Tao capitule. - MM. Millerand, Viviani et Léon Bourgeois visitent la région de l'Est.
9 novembre. - Les troupes russes occupent Soldau, en Prusse orientale.
11 novembre. - Le croiseur allemand Emden est pris dans l'Océan indien.
16 novembre. - Les Français s'emparent des premières maisons de Chauvoncourt, près Saint-Mihiel, rejetant les Allemands sur la rive gauche de la Meuse. - M. Noël, directeur de la Madeleine, analysant un obus à Nancy, est très grièvement blessé par une explosion.
18 novembre - Les Allemands font sauter la partie ouest de Chauvoncourt, qu'ils avaient minée.
23 novembre. - Trois aviateurs anglais partis de Belfort jettent des bombes sur les usines Zeppelin, à Friedrichshafen.
26 novembre. - M. R. Poincaré remet la médaille militaire au général Joffre.
27 novembre. - Les Autrichiens évacuent Czernowitz. - M. Poincaré visite nos positions dans la forêt d'Argonne. - Le général Joffre, à Thann, dit aux Alsaciens : «  Notre retour est définitif. Vous êtes Français pour toujours. »

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