LES ATROCITÉS ALLEMANDES
RAPPORT OFFICIEL
de la Commission instituée en vue de constater les
actes commis par l'ennemi, en violation du droit des
gens.
Il faut avoir le coeur bien accroché pour supporter
la lecture du rapport que le « Journal officiel »
publie sur les atrocités allemandes. Nous publions
quand même ce rapport, car il faut que chacun en
France sache bien quelle effroyable bande
d'assassins s'est abattue sur la terre française, et
qu'il est nécessaire de balayer cette horreur pour
que l'atmosphère de l'Europe devienne respirable.
Quand un honnête homme, serait-il neutre jusqu'à la
folie, aura lu ce document, ajouté aux documents
belges, il est impossible qu'il continue à partager
sa sympathie entre les victimes et les bourreaux,
entre la vertu crucifiée et le sadisme sanguinaire.
MM. Georges Payelle, premier président de la Cour
des comptes ; Armand Mollard, ministre
plénipotentiaire ; Georges Maringer, conseiller
d'Etat, et Edmond Paillot, conseiller à la Cour de
cassation, ont, en établissant ce procès-verbal
d'épouvante, écrit une page d'histoire allemande qui
est une oeuvre définitive de flétrissure allemande.
Nous extrayons de ce rapport, sans y ajouter, sans y
retrancher un seul mot, les faits qui concernent les
départements de la Meuse et de Meurthe-et-Moselle.
Le rapport de la commission explique d'abord que
s'il apporte déjà une ample moisson de
renseignements, « il ne comprend, cependant, qu'une
part assez restreinte des constatations que nous
aurions pu faire, si nous n'avions soumis à une
critique sévère et à un contrôle rigoureux chacun
des éléments d'information qui se sont présentés à
notre examen. Nous n'avons cru devoir, en effet,
retenir que les faits qui, irréfragablement établis,
constituaient d'une façon certaine des abus
criminels nettement caractérisés, négligeant ceux
dont les preuves étaient insuffisantes à nos yeux,
ou qui, si dommageables ou si cruels qu'ils fussent,
pouvaient avoir été la conséquence d'actes de guerre
proprement dits, plutôt que d'excès volontaires,
imputables à l'ennemi.
« Dans ces conditions, nous avons la ferme assurance
qu'aucun des incidents dont nous avons fait état ne
saurait être discuté de bonne foi. La preuve de
chacun d'eux, d'ailleurs, ne résulte pas seulement
de nos observations personnelles ; elle se fonde
principalement sur des documents photographiques et
sur de nombreux témoignages reçus en la forme
judiciaire, avec la garantie du serment. »
Le rapport de la commission au président du conseil
ajoute :
« Dans les régions que nous avons traversées, et
notamment dans ce pays de Lorraine qui fut si
fréquemment victime des fléaux de la guerre, nous
n'avons entendu ni une sollicitation, ni une plainte
; et pourtant, les misères affreuses dont nous avons
été les témoins dépassent en étendue et en horreur
ce que l'imagination peut concevoir. De tous côtés,
le regard se pose sur des décombres ; des villages
entiers ont été détruits par la canonnade ou par le
feu ; des villes autrefois pleines de vie ne sont
plus que des déserts remplis de ruines ; et quand on
visite les lieux désolés où la torche de
l'envahisseur a fait son oeuvre, on a continuellement
l'illusion de marcher parmi les vestiges d'une des
cités antiques que les grands cataclysmes de la
nature ont anéanties. »
« Les attentats contre les femmes et les jeunes
filles ont été d'une fréquence inouïe. Nous en avons
établi un grand nombre, qui ne représente qu'une
quantité infime auprès de ceux que nous aurions pu
relever ; mais, par un sentiment très respectable,
les victimes de ces actes odieux se refusent
généralement à les révéler. Il en aurait été moins
commis, sans doute, si les chefs d'une armée dont la
discipline est des plus rigoureuses, s'étaient
inquiétés de les prévenir ; on peut toutefois, à la
rigueur, ne les considérer que comme des actes
individuels et spontanés de brutes déchaînées ; mais
il n'en est pas de même de l'incendie, du vol et de
l'assassinat ; le commandement, jusque dans ses
personnifications les plus hautes, en portera,
devant l'humanité, la responsabilité écrasante.
« Dans la plupart des endroits où nous avons fait
notre enquête, nous avons pu nous rendre compte que
l'armée allemande professe d'une façon constante le
mépris le plus complet de la vie humaine, que ses
soldats et même ses chefs ne se font pas faute
d'achever les blessés, qu'ils tuent sans pitié les
habitants inoffensifs des territoires qu'ils
envahissent, et qu'ils n'épargnent dans leur rage
homicide ni les femmes, ni les vieillards, ni les
enfants. Les fusillades de Lunéville, de
Gerbéviller, de, Nomeny et de Senlis en sont des
exemples terrifiants ; et vous lirez, au cours de ce
rapport, le récit des scènes de carnage auxquelles
des officiers eux-mêmes n'ont, pas eu honte de
prendre part.
« L'esprit se refuse à croire que toutes ces tueries
aient eu lieu sans raison. Il en est pourtant ainsi.
Les Allemands, il est vrai, en ont toujours donné le
même prétexte, en prétendant que des civils avaient
commencé par tirer sur eux. Cette allégation est
mensongère, et ceux qui l'ont produite ont été
impuissants à la rendre vraisemblable, même en
tirant des coups de fusil dans le voisinage des
habitations, comme ils ont l'habitude de le faire
pour pouvoir affirmer qu'ils ont été attaqués par
les populations innocentes dont ils ont résolu la
ruine ou le massacre. Nous en avons maintes fois
recueilli les preuves ; en voici une, entre bien
d'autres : Un soir, une détonation ayant retenti
pendant que l'abbé Colin, curé de Croismare, se
trouvait auprès d'un officier, celui-ci s'écria : «
Monsieur le curé, en voilà assez pour vous faire
fusiller ainsi que le bourgmestre, et pour vous
faire brûler une ferme. Tenez, en voici une qui
brûle. - « Monsieur l'officier, répondit le prêtre,
vous êtes trop intelligent pour ne pas reconnaître
le bruit sec de votre fusil. Pour moi, je le
reconnais. » L'Allemand n'insista pas.
« De même que la vie humaine, la liberté des gens
est de la part de l'autorité militaire allemande
l'objet d'un absolu dédain. Presque partout, des
citoyens de tout âge ont été arrachés à leurs foyers
et emmenés en captivité. Beaucoup sont morts ou ont
été tués en route. »
La commission établit enfin sans peine que
l'incendie est employé par les Allemands comme un
procédé usuel, soit comme élément de dévastation
systématique, soit comme moyen d'intimidation. Et
elle laisse de côté la destruction des maisons
occasionnée même partiellement par les obus, au
cours de la bataille, comme à
Villotte-devant-Louppy, Rembercourt, Mogneville,
Amblaincourt, Pretz, Louppy-le-Château, etc.
Quant au vol, partout où une troupe ennemie a passé,
elle s'est livrée, en présence de ses chefs et
souvent même avec leur préméditation, à un pillage
méthodiquement organisé.
Voici maintenant le bilan des exactions, de la
dévastation et de toutes les atrocités dans la Meuse
et Meurthe-et-Moselle :
MEUSE
Le département de la Meuse, dont les armées
allemandes occupent encore une grande partie, a été
cruellement éprouvé. Des communes importantes y ont
été ravagées par des incendies allumés
volontairement, en dehors de toute nécessité d'ordre
militaire, et sans que les populations eussent
aucunement provoqué par leur attitude de semblables
atrocités. Tel est le cas, notamment, de Revigny, de
Sommeilles, de Triaucourt, de Bulainville, de
Clermont-en-Argonne et de Villers-aux-Vents.
A REVIGNY
Après avoir complètement pillé les maisons de
Revigny et avoir enlevé leur butin sur des voitures,
les Allemands ont incendie les deux tiers de la
ville, pendant trois jours consécutifs, du 6 au 10
septembre, en arrosant de pétrole les murs, avec des
pompes à main et en jetant dans les foyers des
sachets remplis de poudre comprimée en tablettes. Il
nous a été remis des spécimens de ces sachets et de
ces tablettes, ainsi que des baguettes d'une matière
inflammable et fusante, abandonnés sur les lieux par
les incendiaires.
L'église, qui était classée au nombre des monuments
historiques, et la mairie, avec toutes ses archives,
ont été détruites.
Plusieurs habitants, au nombre desquels étaient des
enfants, ont été emmenés comme otages. Ils ont été,
d'ailleurs, rendus à la liberté le lendemain, à
l'exception du sieur Wladimir Thomas.
A SOMMEILLES
Peu de localités, dans la Meuse, ont autant souffert
que la commune de Sommeilles. Elle n'est plus qu'un
amas de décombres. ayant été complètement incendiée,
le 6 septembre, par un régiment d'infanterie
allemande qui portait le n° 51. Le feu a été mis à
l'aide d'engins ressemblant à des pompes à
bicyclettes et dont beaucoup de soldats s'étaient
munis.
Ce malheureux village a été le théâtre d'un drame
affreux. Au début de l'incendie la dame X..., dont
le mari est sous les drapeaux, s'était réfugiée dans
la cave des époux Adnot, avec ces derniers et ses
quatre enfants, respectivement âgés de onze ans, de
cinq ans, de quatre ans et d'un an et demi. Quelques
jours après, on y découvrit les cadavres de tous ces
infortunés, au milieu d'une mare de sang. Adnot
avait été fusillé, la dame X... avait le sein droit
et le bras droit coupés, la fillette de onze ans
avait un pied sectionné, le petit garçon de cinq ans
avait la gorge tranchée.
La femme X... et la petite fille paraissaient avoir
été violées.
A VILLERS-AUX-VENTS
A Villers-aux-Vents, le 8 septembre, des officiers
allemands invitèrent les habitants qui n'avaient pas
encore fui à quitter leurs demeures en les prévenant
que le village allait être brûlé parce que,
prétendaient-ils, trois soldats français s'étaient
habillés en civil. D'autres donnèrent comme prétexte
qu'on avait trouvé dans une maison une installation
de télégraphie sans fil. La menace fut si
rigoureusement exécutée qu'un seul bâtiment resta
debout.
A VAUBÉCOURT
A Vaubécourt, où six immeubles ont été incendiés par
les Wurtembergeois, le feu a été mis dans une grange
avec de la paille amoncelée par les soldats.
A TRIAUCOURT
A Triaucourt, les Allemands, se sont livrés aux
pires excès. Irrités sans doute des observations
qu'un officier avait adressées à un soldat contre
lequel une jeune fille de 19 ans, Mlle Hélène
Procès, avait porté plainte, à raison d'entreprises
inconvenantes dont elle avait été l'objet, ils
incendièrent le village et organisèrent le massacre
des habitants. Ils commencèrent par mettre le feu à
la maison d'un paisible propriétaire, le sieur Jules
Gand, et par fusiller ce malheureux, au moment où il
sortait de chez lui pour échapper aux flammes ; puis
ils se répandirent dans les habitations et dans les
rues en tirant des coups de fusil de tous côtés. Un
jeune homme de 17 ans, Georges Lecourtier, qui
essayait de se sauver, fut tué. Le sieur Alfred
Lallemant subit le même sort ; poursuivi jusque dans
la cuisine de son concitoyen Tautelier, il y fut
massacré, tandis que ce dernier recevait trois
balles dans la main.
Craignant, non sans raison, pour leur vie, Mlle
Procès, sa mère, sa grand'mère, âgée de 71 ans, et
sa vieille tante de 81 ans, Mlle Laure Mennehand,
tentèrent de franchir, à l'aide d'une échelle, le
treillage qui sépare leur jardin d'une propriété
voisine. La jeune fille seule parvint à passer de
l'autre côté et put éviter la mort en se cachant au
milieu des choux. Quant aux trois autres femmes,
elles furent abattues à coups de fusil. Le curé du
village, après avoir ramassé sur le sol, où elle
s'était répandue, la cervelle de Mlle Mennehand, fit
transporter les corps dans la maison Procès. Pendant
la nuit qui suivit, les Allemands jouèrent du piano
auprès des cadavres.
Tandis que le carnage sévissait, l'incendie se
propageait rapidement et dévorait trente-cinq
maisons. Un vieillard de 70 ans, Jean Lecourtier, et
un enfant de deux mois trouvaient, la mort dans les
flammes. Le sieur Igier, qui s'efforçait de sauver
son bétail, était poursuivi sur un parcours de 300
mètres par les soldats qui ne cessaient de tirer sur
lui. Cet homme eut, par miracle, la chance de n'être
pas blessé ; mais cinq balles traversèrent son
pantalon. Comme le curé Viller s'indignait auprès du
duc de Wurtemberg, logé dans le village, du
traitement infligé à sa paroisse : « Que voulez-vous
? répondit celui-ci nous avons comme chez vous de
mauvais soldats. »
Dans cette même commune, une tentative de viol, qui
manqua son effet, grâce à la résistance opiniâtre et
courageuse de la victime, fut commise par trois
Allemands sur la personne de la dame D..., âgée de
47 ans ; enfin une vieille dame de 75 ans, Mme
Mapoix, fut si violemment frappée à. coups de bottes
qu'elle en mourut quelques jours après. Pendant que
les soldats la maltraitaient, d'autress dévalisaient
ses armoires.
A CLERMONT-EN-ARGONNE
La petite ville de Clermont-en-Argonne adossée à une
colline pittoresque, au milieu d'un paysage
agréable, recevait chaque année la visite de
nombreux touristes. Le 4 septembre, pendant la nuit,
les 121e et 122e régiments wurtembergeois y firent
leur entrée, en brisant les portes des maisons et en
se livrant à un pillage effréné, qui devait se
continuer pendant, le cours de la journée suivante.
Vers midi, un soldat alluma l'incendie dans
l'habitation d'un horloger, en y répandant
volontairement le contenu de la lampe à alcool qui
lui avait servi à préparer son café. Un habitant, M.
Monternacht, courut aussitôt chercher la pompe
municipale, et demanda à un officier de lui fournir
des hommes pour la mettre en action. Brutalement
éconduit, et menacé d'un revolver, il renouvela sa
demande auprès de plusieurs autres officiers sans
plus de succès. Pendant ce temps, les Allemands
continuaient à incendier la ville, en se servant de
bâtons au bout desquels des torches étaient fixées.
Tandis que les maisons flambaient, des soldats
envahissaient l'église, qui est isolée sur la
hauteur, y dansaient au son de l'orgue, puis, avant
de se retirer, y mettaient le feu à l'aide de
grenades, ainsi que de récipients garnis de mèches
et remplis d'un liquide inflammable.
Après l'incendie de Clermont, on trouva deux
cadavres, celui du maire de Vauquois, M. Poinsignon,
complètement carbonisé, et celui d'un jeune garçon
de onze ans, qui avait été fusillé à bout portant.
Quand le feu fut éteint, le pillage recommença dans
les immeubles que la flamme avait épargnés. Des
objets mobiliers, enlevés chez le sieur Desforges,
et des étoffes, volées dans le magasin du sieur
Nordmann, marchand de nouveautés, furent entassées
dans des automobiles.
Un médecin-major s'empara de tous les objets de
pansement de l'hospice ; et un officier supérieur,
après avoir inscrit sur la porte de la maison
d'entrée Lebondidier une mention interdisant de
piller, fit emporter sur une voiture une grande
partie des meubles qui garnissaient cette
habitation, les destinant, comme il s'en vanta sans
vergogne, à l'ornement de sa propre villa.
A l'époque où tous ces faits se sont passés, la
ville de Clermont-en-Argonne était occupée par le
treizième corps wurtembergeois, sous les ordres du
général von Durach, et par une troupe de uhlans que
commandait le prince de Wittenstein.
A LILLE-EN-BARROIS
Le, 7 septembre, une dizaine de cavaliers allemands
pénétraient dans la ferme de Lamermont, commune de
Lisle-en-Barrois, et après s'être, fait servir du
lait, partirent en paraissant satisfaits. Après leur
départ, on entendit au loin des coups de fusil. Un
peu plus tard, une seconde troupe, composée
d'environ trente hommes, se présentait à son tour,
et accusait les gens de la ferme d'avoir tué un
soldat allemand. Immédiatement saisis et emmenés
dans les environs, le fermier Elly et un de ses
hôtes, le sieur Javelot, étaient, malgré leurs
protestations d'innocence, impitoyablement fusillés.
A LOUPPY-LE-CHATEAU
A Louppy-le-Château, les Allemands se sont livrés à
des actes d'immoralité et de brutalité révoltante,
pendant la nuit du 8 au 9 septembre, dans une cave
où plusieurs femmes s'étaient réfugiées, pour se
préserver du bombardement. Toutes ces malheureuses
furent odieusement maltraitées ; la demoiselle X...,
âgée de soixante-onze ans ; la femme Y..., âgée de
quarante-quatre ans ; ses deux filles, l'une de
treize ans, l'autre de huit ans, et la dame Z...,
furent violées.
A LAIMONT ET NUBÉCOURT
Dans beaucoup de communes, des otages ont été
emmenés. C'est ainsi qu'à Laimont huit personnes ont
été contraintes de suivre les troupes allemandes, au
commencement du mois de septembre. Le 27 octobre,
aucune d'elles n'avait reparu. Le curé de Nubécourt,
enlevé le 5 septembre, n'était pas non plus rentré
dans sa paroisse.
A SAINT-ANDRÉ
A Saint-André, au nombre des personnes arrêtées, se
trouvait le sieur Havette.
Il obtint d'un officier la permission d'aller
veiller le corps de sa femme tuée d'un éclat d'obus
le jour précédent. Dans la soirée, ordre fut donné à
tous les habitants de se rassembler dans une grange.
Havette ayant cru pouvoir échapper à cette
obligation, en vertu de l'autorisation qu'il avait
reçue, resta à son domicile jusqu'à onze heures du
soir. Quand il sortit, il fut abattu d'un coup de
fusil.
A VASSINCOURT ET BRABANT-LE-ROI
D'autres villages que ceux dont nous avons relaté,
l'incendie, notamment Vassincourt et Brabant-le-Roi,
ont été plus ou moins complètement brûlés. Il ne
nous a pas été possible, jusqu'à ce jour, d'établir
d'une façon complète les circonstances de leur
destruction. Notre enquête, en ce qui les concerne,
sera ultérieurement poursuivie.
Il a été enfin porté à notre connaissance que, dans
le département de la Meuse, l'ennemi avait commis
des actes de cruauté à l'égard de militaires
français blessés et de prisonniers. Nous exposerons
ce genre de faits à la fin du présent rapport.
MEURTHE-&-MOSELLE
Nous sommes arrivés le 26 octobre dans le
département de Meurthe-et-Moselle, et nous avons
visité un très grand nombre de communes des
arrondissements de Nancy et de Lunéville.
A NANCY
Nancy, ville ouverte, dans laquelle l'armée
allemande n'a pu pénétrer, a été bombardée, sans
avertissement préalable, pendant la nuit du 9 au 10
septembre. Soixante obus environ sont tombés sur les
quartiers du centre et dans le cimetière du Sud,
c'est-à-dire en des endroits où il n'existe pas
d'établissement militaire. Trois femmes, une jeune
fille et une fillette ont été tuées ; treize
personnes ont été blessées ; les dégâts matériels
sont importants.
Des avions ennemis ont survolé la ville à deux
reprises. Le 4 septembre, l'un d'eux a jeté deux
bombes, dont l'une a tué, sur la place de la
Cathédrale, un homme et une petite fille et a blessé
six personnes.
Le 13 octobre, trois bombes ont été lancées sur la
gare de marchandises. Quatre employés de la
Compagnie des chemins de fer de l'Est ont été
blessés.
A PONT-A-MOUSSON
Quand nous nous sommes rendus à Pont-à-Mousson, dans
la matinée du 10 novembre, sept obus venaient d'y
être envoyés par les batteries allemandes, quelques
heures auparavant. C'était, depuis le 11 août, le
vingt-quatrième jour de bombardement.
La veille, une jeune fille de 19 ans et un enfant de
4 ans avaient été tués dans leur lit par des éclats
de projectiles. Le 14 août, les Allemands ont
spécialement pris pour objectif l'hôpital sur les
tours duquel flottaient des drapeaux de la
Croix-Rouge, visibles de fort loin. Cet édifice n'a
pas reçu moins de soixante-dix obus. Nous avons
constaté les dégâts qu'ils ont causés.
Quatre-vingts maisons, environ, ont été endommagées
par les différents bombardements, qui, tous, ont eu
lieu sans avertissement. Quatorze personnes de la
population civile, principalement des femmes et des
enfants, ont été tuées. On compte à peu près le même
nombre de blessés. Or, Pont-à-Mousson n'est pas
fortifié. Seul, le pont sur la Moselle avait été mis
en état de défense, au début des hostilités, par le
26e bataillon de chasseurs qui tenait garnison dans
la ville.
A NOMENY
Nous avons éprouvé une véritable impression
d'horreur, quand nous nous sommes trouvés en
présence des ruines lamentables de Nomeny. A part
quelques rares maisons qui subsistent encore, auprès
de la gare, dans un emplacement séparé par ]a Seille
de l'agglomération principale, il ne reste de cette
petite ville qu'une succession de murs ébréchés et
noircis, au milieu d'un amas de décombres dans
lequel se voient, çà et là, quelques ossements
d'animaux en partie calcinés, et des débris
carbonisés de cadavres humains. La rage d'une
soldatesque en furie s'est déchaînée là
implacablement.
Nomeny, à raison de sa proximité de la frontière,
avait, dès le début de la guerre, reçu de temps en
temps la. visite de cavaliers allemands. Des
escarmouches avaient eu lieu dans ses environs et,
le 14 août, dans la cour de la ferme de la Borde,
située à une faible distance, un soldat ennemi
avait, sans autre motif, tué d'un coup de fusil le
jeune domestique Nicolas Michel, âgé de 17 ans.
Le 20, alors que les habitants avaient cherché dans
les caves un refuge contre le bombardement, les
Allemands, après s'être par suite d'une méprise,
mutuellement tiré les uns sur les autres,
pénétrèrent vers midi dans la ville.
D'après ce que l'un d'eux a raconté, leurs chefs
leur avaient affirmé que les Français torturaient
les blessés, en leur arrachant les yeux et en leur
coupant les membres ; aussi étaient-ils dans un état
de surexcitation épouvantable. Jusque dans la
journée du lendemain, ils se livrèrent aux plus
abominables excès, pillant, incendiant, massacrant
sur leur passage. Après avoir enlevé dans les
habitations tout ce qui leur avait paru digne d'être
emporté et avoir envoyé à Metz le produit de leurs
vols, ils mirent le feu aux maisons, avec des
torches, des pastilles de poudre comprimée et aussi
avec du pétrole qu'ils transportaient dans des
récipients placés sur un petit chariot. De tous
côtés des coups de fusil éclataient ; les malheureux
habitants, que la crainte de l'incendie chassait de
leurs caves, étaient abattus comme un gibier, les
uns dans leur demeure et les autres sur la voie
publique.
Les sieurs Sanson, Pierson, Lallemand, Adam,
Jeanpierre, Meunier, Schneider, Raymond, Duponcel,
Hazotte père et fils sont assassinés à coups de
fusil dans la rue. Le sieur Killian, se voyant
menacé d'un coup de sabre, place ses mains sur son
cou pour se protéger ; il a trois doigts tranchés et
la gorge ouverte. Un vieillard de 86 ans, le sieur
Petitjean, assis dans son fauteuil, est frappé d'une
balle qui lui fracasse le crâne et un Allemand met
en présence du cadavre la dame Bertrand, en lui
disant : « Vous avez vu ce cochon-là ! » M. Chardin,
conseiller municipal faisant fonctions de maire, est
requis de fournir un cheval et une voiture. A peine
a-t-il promis de faire tout son possible pour obéir
qu'il est tué d'un coup de feu. Le sieur Prévot, qui
voit des Bavarois faire irruption dans la pharmacie
dont il est le gardien, leur dit qu'il est le
pharmacien et qu'il leur donnera tout ce qu'ils
voudront ; mais trois détonations retentissent et il
tombe en poussant un grand soupir. Deux femmes qui
se trouvaient avec lui se sauvent, poursuivies à
coups de crosse jusqu'aux abords de la gare, où
elles voient, dans le jardin et sur la route, de
nombreux cadavres amoncelés.
Entre trois et quatre heures de l'après-midi, les
Allemands pénètrent dans la boucherie de la dame
François. Celle-ci sort alors de sa cave avec son
garçon, Stub, et un employé nommé Contal. Dès que
Stub arrive sur le seuil de la porte d'entrée, il
tombe grièvement blessé d'un coup de fusil ; puis
Contal, qui se sauve dans la rue, est immédiatement
assassiné. Cinq minutes après, comme Stub râle
encore, un soldat se penche vers lui et l'achève
d'un coup de hache dans le dos.
L'incident le plus tragique de ces horribles scènes
s'est produit chez le sieur Vassé, qui avait
recueilli dans sa cave, faubourg de Nancy, un
certain nombre de personnes. Vers quatre heures, une
cinquantaine de soldats envahissent la maison, en
enfonçant la porte ainsi que les fenêtres, et y
mettent aussitôt le feu. Les réfugiés s'efforcent
alors de se sauver, mais ils sont abattus les uns
après les autres à la sortie. Le sieur Mentré est
assassiné le premier. Son fils Léon tombe ensuite
avec sa petite soeur de huit ans dans les bras. Comme
il n'est pas tué, on lui met l'extrémité du canon
d'un fusil sur la tête et on lui fait sauter la
cervelle. Puis c'est le tour de la famille Kieffer.
La mère est blessée au bras et à l'épaule, ; le
père, le petit garçon de 10 ans et la fillette, âgée
de 3 ans, sont fusillés. Les bourreaux tirent encore
sur eux quand ils sont à terre. Kieffer, étendu sur
le sol, reçoit une nouvelle balle au front ; son
fils a le crâne enlevé d'un coup de feu. Ensuite,
c'est le sieur Striffert et un des fils Vassé qui
sont massacrés, tandis que la dame Mentré reçoit
trois balles, une à la jambe gauche, une autre au
bras du même côté et la troisième au front, qui est
seulement éraflé. Le sieur Guillaume, traîné dans la
rue, y trouve la mort. La jeune Simonin, âgée de
dix-sept ans, sort enfin de la cave avec sa soeur
Jeanne, âgée de trois ans. Cette dernière a un coude
presque emporté par une balle. L'aînée se jette à
terre et feint d'être morte, restant pendant cinq
minutes dans une angoisse affreuse. Un soldat lui
porte un coup de pied, en criant : « Capout ! »
Un officier survient à la fin de cette tuerie. Il
ordonne aux femmes qui sont encore vivantes de se
relever et leur crie : « Allez en France. »
Tandis que tant de personnes étaient massacrées,
d'autres, suivant l'expression d'un témoin, étaient
emmenées « en troupeau » dans les champs, sous la
menace d'une exécution imminente. Le curé,
notamment, n'a dû qu'à des circonstances
extraordinaires de n'être pas fusillé.
D'après les dépositions que nous avons reçues,
toutes ces abominations ont été commises surtout par
les 2e et 4e régiments d'infanterie bavaroise. Pour
les expliquer, les officiers ont prétendu que des
civils avaient tiré sur leurs troupes. Ainsi que l'a
formellement établi notre enquête, ce prétexte est
mensonger ; car, au moment de l'arrivée des ennemis,
toutes les armes avaient été déposées à la mairie et
la partie de la population qui n'avait pas quitté le
pays s'était cachée dans les caves, en proie à la
plus grande terreur. D'ailleurs, la raison indiquée,
fût-elle vraie, ne suffirait assurément pas pour
excuser la destruction de toute une cité, le meurtre
des femmes et le massacre des enfants.
Une liste des personnes qui ont trouvé la mort au
cours de l'incendie et des fusillades a été dressée
par M. Biévelot, conseiller d'arrondissement. Elle
ne comprend pas moins de cinquante noms. Nous ne les
avons pas cités tous. D'une part, en effet, parmi
les personnes dont le décès a été constaté,
quelques-unes sont mortes dans des conditions mal
précisées ; d'autre part, la dispersion des
habitants de la ville, aujourd'hui anéantie, a rendu
notre information assez difficile. Nos recherches
seront continuées. En tout cas, ce que nous avons
déjà pu établir d'une manière incontestable suffit
pour qu'on se rende compte de ce qu'a été, dans la
journée du 20 août, Le martyre de Nomeny.
A LUNÉVILLE
Lunéville a été occupée par les Allemands du 21 août
au 11 septembre. Pendant les premiers jours, ils se
sont contentés de piller, sans molester autrement
les habitants. C'est ainsi, notamment, que le 21
août, la maison de la dame Jeaumont a été dévalisée.
Les objets volés ont été chargés sur une grande
voiture, dans laquelle se tenaient trois femmes,
l'une vêtue de noir, les deux autres portant des
costumes militaires et, nous a-t-on dit, paraissant
être des cantinières.
Le 25, l'attitude des envahisseurs changea
subitement. Le maire, M. Keller, s'étant rendu à
l'hôpital, vers trois heures et demie de
l'après-midi, vit des soldats tirer des coups de
fusil dans la direction du grenier d'une maison
voisine et entendit siffler les balles qui lui
parurent venir de l'arrière. Les Allemands lui
déclarèrent que des habitants avaient tiré sur eux.
Il leur offrit alors, en protestant, de faire avec
eux le tour de la ville, pour leur démontrer
l'inanité de cette allégation. Sa
proposition fut acceptée, et comme, au début de la
tournée, on trouvait dans la rue le cadavre du sieur
Crombez, l'officier qui commandait l'escorte dit à
M. Keller : « Vous voyez ce cadavre, c'est celui
d'un citoyen qu'un autre civil a tué, en tirant sur
nous, d'une maison voisine de la synagogue. Aussi,
comme notre loi nous l'ordonne, nous avons brûlé la
maison et nous en avons exécuté les habitants. » Il
faisait allusion au meurtre d'un homme dont le
caractère timide était connu de tous, le ministre
officiant israélite Weill, qui venait d'être tué
chez lui, avec sa fille, âgée de seize ans. Le même
officier ajouta : « On a également brûlé la maison
qui fait l'angle de la rue Castara et de la rue
Girardet, parce que des civils avaient tiré de là
des coups de feu. » C'est de cet immeuble que,
suivant les prétentions des Allemands, on aurait
tiré sur la cour de l'hôpital ; or, la disposition
des lieux ne permet pas d'admettre l'exactitude
d'une telle affirmation.
Tandis que le maire et la troupe qui l'accompagnait
poursuivaient leur reconnaissance, l'incendie
éclatait de différents côtés ; l'hôtel de ville
brûlait, ainsi que la synagogue et plusieurs maisons
de la rue Castara et le faubourg d'Einville était en
flammes. En même temps commençaient les massacres
qui devaient se continuer jusque dans la journée du
lendemain. Sans compter le sieur Crombez, le
ministre officiant Weill et sa fille, dont nous
avons déjà mentionné la mort, les victimes furent
les sieurs Hamman, Binder, Balastre père et fils,
Vernier, Dujon, le sieur Kahn et sa mère, le sieur
Steiner et sa femme, le sieur Wingersmann et son
petit-fils, enfin les sieurs Sibille, Monteil et
Colin.
Les meurtres furent commis dans les circonstances
suivantes. Le 25 août, après avoir tiré des coups de
fusil à l'intérieur de la tannerie Worms pour faire
croire qu'ils y étaient attaqués, des Allemands
envahirent un atelier de cette usine, dans lequel
travaillait l'ouvrier Goeury, en compagnie des sieurs
Balastre père et fils, Goeury, traîné dans la rue, y
fut dévalisé et brutalement maltraité, tandis que
ses deux compagnons, découverts dans les cabinets
d'aisances, où ils avaient cherché un refuge,
étaient tués à coups de feu.
Le même jour, des soldats vinrent appeler le sieur
Steiner qui était caché dans sa cave. Sa femme,
redoutant un malheur, essaya de le retenir. Comme
elle le pressait dans ses bras, elle reçut une balle
au cou. Quelques instants après Steiner ayant obéi à
l'injonction qui lui avait été adressée, tombait
mortellement frappé dans son jardin. Le sieur Kahn
fut, lui aussi, assassiné dans le jardin de sa
maison. Sa mère, âgée de quatre-vingt-dix-huit ans,
qui fut carbonisée dans l'incendie, avait été
préalablement tuée dans son lit d'un coup de
baïonnette, d'après ce qu'a raconté un individu qui
servait d'interprète à l'ennemi.
Le sieur Binder, qui sortait pour échapper aux
flammes, fut également abattu. L'Allemand par lequel
il a été tué a reconnu avoir tiré sur lui sans
motif, alors que le malheureux se tenait
tranquillement devant une porte. Le sieur Vernier
eut le même sort que Binder.
Vers trois heures, des Allemands firent irruption en
brisant les fenêtres et en tirant des coups de fusil
dans une maison où étaient la dame Dujon, sa fille
âgée de trois ans, ses deux fils et un sieur
Gaumier. La fillette faillit être tuée. Elle eut le
visage brûlé par un coup de feu. A ce moment Mme
Dujon ayant vu son plus jeune fils, Lucien, âgé de
quatorze ans, étendu sur le sol, l'invita à se lever
pour prendre la fuite avec elle. Elle s'aperçut
alors qu'il tenait à pleines mains ses entrailles
qui s'échappaient. La maison était en feu, le pauvre
enfant fut carbonisé, ainsi que le sieur Gaumier qui
n'avait pu se sauver.
Le sieur Wingerstmann et son petit-fils, âgé de
douze ans, qui étaient allés arracher des pommes de
terre à peu de distance de Lunéville, au lieu dit «
les Mossus », territoire de Chanteheux, eurent le
malheur de rencontrer des Allemands. Ceux-ci les
placèrent tous deux contre un mur et les
fusillèrent.
Enfin, vers 5 heures du soir, des soldats étant
entrés chez la femme Sibille, au même lieu,
s'emparèrent sans raison de son fils, l'emmenèrent à
deux cents mètres de la maison et le massacrèrent,
ainsi qu'un sieur Vallon, au corps duquel ils
l'avaient attaché. Un témoin qui avait aperçu les
meurtriers au moment où ils entraînaient leur
victime, les vit revenir sans elle et constata que
leurs baïonnettes-scies étaient pleines de sang et
de lambeaux de chair.
Ce même jour, un infirmier, nommé Monteils, qui
soignait à l'hospice de Lunéville un officier ennemi
blessé fut foudroyé d'une balle au front, pendant
qu'il regardait par une fenêtre un soldat allemand
tirant des coups de fusil.
Le lendemain 26, le sieur Hammann et son fils, âgé
de vingt et un ans, furent arrêtés chez eux et
traînés dehors par une bande qui était entrée en
brisant la porte. Le père fut roué de coups ; quant
au jeune homme, comme il essayait de se débattre, un
sous-officier lui cassa la tête d'un coup de
revolver.
A une heure de l'après-midi, M. Riklin, pharmacien,
ayant été prévenu qu'un homme était tombé à une
trentaine de mètres de son magasin, se rendit à
l'endroit indiqué et reconnut dans la victime son
beau-frère, le sieur Colin, âgé de soixante-huit
ans, qui avait été frappé d'une balle au ventre. Les
Allemands ont prétendu que ce vieillard avait tiré
sur eux ; mais M. Riklin leur donne, à cet égard, un
démenti formel. Colin, nous a-t-il dit, était un
homme inoffensif, absolument incapable de se livrer
à un acte d'agression et ignorant complètement le
maniement d'une arme à feu.
Il nous a paru utile de relever aussi, à Lunéville,
des actes moins graves, mais qui jettent un jour
particulier sur la mentalité de l'envahisseur. Le 25
août, le sieur Lenoir, âgé de soixante sept ans,
fut, ainsi que sa femme, emmené dans les champs, les
mains liées derrière le dos. Après que tous deux
eurent été cruellement maltraités, un sous-officier
s'empara d'une somme de dix-huit cents francs en or
que Lenoir portait sur lui. Le vol le plus impudent
semble bien, d'ailleurs, comme nous l'avons déjà
dit, être entré dans les moeurs de l'armée allemande,
qui le pratique publiquement. En voici un exemple
intéressant : Pendant l'incendie d'une maison
appartenant à la dame Leclerc, les coffres-forts de
deux locataires avaient résisté aux flammes. L'un,
appartenant à M. George, sous-inspecteur des eaux et
forêts, était tombé dans les décombres ; l'autre,
dont M. Goudchau, marchand de biens, était
propriétaire, était resté scellé à un mur à la
hauteur du second étage. Le sous-officier Weiss, qui
connaissait admirablement la ville où il avait été
maintes fois bien accueilli, quand il y venait avant
la guerre pour son commerce de marchand de houblon,
se rendit avec des soldats sur les lieux, ordonna
qu'on fît sauter à la dynamite le pan de muraille
resté debout et assura le transport des deux coffres
à la gare, où on les. plaça sur un wagon à
destination de l'Allemagne. Ce Weiss jouissait
auprès du commandement d'une confiance et d'une
considération particulières. C'était lui qui,
installé à la kommandatur, était chargé
d'administrer en quelque sorte la commune et de
pourvoir aux réquisitions.
Après avoir commis de nombreux actes de pillage à
Lunéville, y avoir fait brûler environ soixante-dix
maisons avec des torches, du pétrole et divers
engins incendiaires, après y avoir, enfin, massacré
de paisibles habitants, l'autorité militaire
allemande a jugé à propos d'y faire afficher la
proclamation suivante, dans laquelle elle a formulé
des accusations ridicules pour justifier
l'extorsion, sous forme d'indemnité, d'une
contribution énorme :
AVIS A LA POPULATION
Le 25 août 1914, des habitants de Lunéville ont fait
une attaque par embuscade contre les colonnes et
trains allemands. Le même jour, les habitants ont
tiré sur des formations sanitaires marquées par la
Croix-Rouge. De plus, on a tiré sur des blessés
allemands et sur l'hôpital militaire, contenant une
ambulance allemande. A cause de ces actes
d'hostilité, une contribution de six cent cinquante
mille francs est imposée à la commune de Lunéville.
Ordre est donné à M. le maire de verser cette somme
en or (et en argent jusqu'à 50.000 francs) le 6
septembre, à neuf heures du matin, entre les mains
du représentant de l'autorité militaire allemande.
Toute réclamation sera considérée comme nulle et non
arrivée. On n'accordera pas de délai. Si la commune
n'exécute pas ponctuellement l'ordre de payer la
somme de 650.000 fr., on saisira tous les biens
exigibles. En cas de non-paiement, des perquisitions
domiciliaires auront lieu et tous les habitants
seront fouillés. Quiconque aura dissimulé sciemment
de l'argent, ou essayé de soustraire des biens à la
saisie de l'autorité militaire, ou qui cherche à
quitter la ville, sera fusillé. Le maire et les
otages pris par l'autorité militaire seront rendus
responsables d'exécuter exactement les ordres
sus-indiqués.
Ordre est donné à la mairie de publier de suite ces
dispositions à la commune.
Hénaménil, le 3 septembre 1914.
Le commandant en chef, VON FOSDENDER.
Quand on a lu cet inimaginable document, on a le
droit de se demander si les incendies et les
meurtres commis à Lunéville, les 25 et 26 août, par
une armée qui n'agissait pas dans l'excitation du
combat, et qui pendant les jours précédents s'était
abstenue de tuer, n'ont pas été ordonnés pour rendre
plus vraisemblable l'allégation qui devait servir de
prétexte à l'exigence d'une indemnité.
A CHANTEHEUX
Situé tout à proximité de Lunéville, le village de
Chanteheux ne fut pas plus épargné. Les Bavarois,
qui l'occupèrent du 22 août au 12 septembre, y
brûlèrent vingt maisons, par leurs procédés
habituels et y massacrèrent, le 25 août, huit
personnes : les sieurs Lavenne, Toussaint,
Parmentier et Bacheler, qui furent tués, les trois
premiers à coups de fusil, le quatrième de deux
coups de feu et d'un coup de baïonnette ; le jeune
Schneider, âgé de vingt-trois ans, qui fut assassiné
dans une dépendance de la commune ; le sieur
Wingerstmann et son petit-fils dont nous avons
relaté plus haut la mort, en exposant les drames
commis à Lunéville ; enfin, le sieur Reeb, âgé de
soixante-deux ans, qui est certainement décédé à la
suite des mauvais traitements qu'il a subis. Cet
homme avait été emmené comme otage en même temps que
quarante-deux de ses concitoyens, qui furent retenus
pendant treize jours. Après avoir, d'abord, reçu de
terribles coups de crosse au visage et un coup de
baïonnette au flanc, il continuait à suivre la
colonne, bien qu'il perdît beaucoup de sang et que
sa face fût meurtrie an point de le rendre
méconnaissable, quand un Bavarois, sans aucun motif,
lui fit encore une large plaie, en lui lançant au
front un seau de bois. Entre Hénaménil et Bures, ses
compagnons s'aperçurent qu'il n'était plus au milieu
d'eux. Il est hors de doute qu'il a succombé.
Si ce malheureux a été le plus cruellement
martyrisé, tous les otages que les ennemis ont pris
dans la commune ont eu aussi à subir des violences
et des outrages. Avant de mettre le feu au village,
on les avait adossés au parapet d'un pont, tandis
que les troupes passaient en les brutalisant. Comme
un officier les accusait d'avoir tiré, sur les
Allemands, l'instituteur lui donna sa parole
d'honneur qu'il n'en était rien. « Cochon de
Français, répliqua l'officier, ne parlez pas
d'honneur, vous n'en avez point. »
Au moment où l'incendie de sa maison commença, la
dame Cherrier, qui sortait de sa cave, pour échapper
à l'asphyxie, fut inondée d'un liquide inflammable,
par des soldats qui en arrosaient les murs. L'un de
ces hommes lui dit : « C'est de la benzine. » Elle
courut alors se cacher avec ses parents derrière un
tas de fumier, mais les sentinelles les ramenèrent
de force devant le brasier ; et elle dut assister à
la destruction de son immeuble.
A GERBÉVILLER
De même qu'à Nomeny, la jolie ville de Gerbéviller,
au bord de la Mortagne, a été, dans des conditions
effroyables, victime de la fureur allemande. Le 24
août, les troupes ennemies s'y heurtèrent à la
résistance héroïque d'une soixantaine de chasseurs à
pied, qui leur infligèrent de grosses pertes. Elles
s'en vengèrent durement sur la population civile.
Dès leur entrée dans la ville, en effet, les
Allemands se livrèrent aux pires excès, pénétrant
dans les habitations en poussant des hurlements
féroces, brûlant les édifices, tuant ou arrêtant les
habitants, et n'épargnant ni les femmes, ni les
vieillards. Sur quatre cent soixante-quinze maisons,
vingt au plus sont encore habitables. Plus de cent
personnes ont disparu, cinquante au moins ont été
massacrées, les unes ont été conduites dans les
champs pour y être fusillées, les autres ont été
assassinées dans leurs demeures, ou abattues au
passage dans les rues, quand elles essayaient de
fuir l'incendie. Trente-six cadavres ont été,
jusqu'à, présent, identifiés. Ce sont ceux de MM.
Barthélémy, Blosse père, Robinet, Chrétien, Rémy,
Bourguignon, Perrin, Wuillaume, Bernasconi,
Gauthier, Menu,, Simon, Lingenheld père et fils,
Benoît, Calais, Adam, Caille, Lhuillier, Regret,
Plaid, âgé de 14 ans, Leroi, Bazzolo, Gentil, Dehan
Victor, Dehan Charles, Dehan fils, Brenneval,
Parisse, Yong, François, secrétaire de mairie ; de
MMmes Perot, Courtois, Gauthier et Guillaume, et des
demoiselles Perrin et Miquel.
Quinze de ces pauvres gens ont été exécutés au lieu
dit « la Prêle ». Ils ont été enterrés par leurs
concitoyens le 12 ou le 15 septembre. Presque tous
avaient les mains liées derrière le dos ;
quelques-uns avaient les yeux bandés ; les pantalons
de la plupart étaient déboutonnés et rabattus jusque
sur les pieds. Cette dernière circonstance, ainsi
que l'aspect des cadavres, ont fait penser à des
témoins que les victimes avaient subi une
mutilation. Nous ne croyons pas devoir nous
approprier cette opinion, l'état de décomposition
très avancée des corps ayant pu causer une erreur.
Il est d'ailleurs possible que les meurtriers aient
déboutonné les pantalons de leurs prisonniers pour
mettre ceux-ci dans l'impossibilité de s'enfuir, en
leur entravant les jambes.
Le 16 octobre, au lieu dit « le Haut-de-Vormont »,
on a découvert, enfouis sous 15 ou 20 centimètres de
terre, dix cadavres de civils portant des traces de
balles et ayant tous les yeux bandés. On a trouvé
sur l'un d'eux un laissez-passer au nom de Sever
(Edouard), de Badonviller. Les neuf autres victimes
sont inconnues. On croit que ce sont des habitants
de Badonviller qui ont été amenés par les Allemands
sur le territoire de Gerbéviller pour y être
fusillés.
Dans les rues et dans les maisons, pendant la
journée du carnage, Les scènes les plus tragiques se
sont produites.
Dans la matinée, des ennemis, pénètrent chez les
époux Lingenheld, se saisissent du fils, âgé de 36
ans, qui portait le brassard de la Croix-Rouge, lui
lient les mains derrière le dos et le traînent dans
la rue où ils le fusillent ; puis ils reviennent
chercher le père, un vieillard de 70 ans. La dame
Lingenheld prend alors la fuite. En se sauvant, elle
voit son fils étendu sur le sol. Comme le malheureux
remue encore, des Allemands l'arrosent de pétrole,
auquel ils mettent le feu en présence de la mère,
terrifiée. Pendant ce temps, on conduit Lingenheld
père à « la Prèle », où il est exécuté.
Au même moment, des soldats frappent à la porte
d'une maison occupée par le sieur Dehan, sa femme et
sa belle-mère, la veuve Guillaume, âgée de
soixante-dix-huit ans. Celle-ci qui va leur ouvrir
est fusillée à bout portant et tombe dans les bras
de son gendre qui accourt derrière elle. « Ils m'ont
tuée, s'écrie-t-elle, portez-moi dans le jardin. »
Ses enfants lui obéissent, l'installent au fond du
jardin, avec un oreiller sous la tête et une
couverture sur les jambes, puis vont eux-mêmes
s'étendre le long du mur pour éviter les
projectiles. Au bout d'une heure, quand la dame
Guillaume est morte, sa fille l'enveloppe dans sa
couverture et lui place un mouchoir sur le visage.
Presque aussitôt les Allemands font irruption dans
le jardin. Ils emmènent Dehan pour le fusiller à «
la Prèle » et conduisent sa femme sur la route de
Fraimbois, où elle trouve une quarantaine de
personnes, principalement des femmes et des enfants,
entre les mains de l'ennemi, et où elle entend un
officier d'un grade élevé crier: « Il faut fusiller
ces enfants et ces femmes. Tout cela doit
disparaître. » La menace ne fut pourtant pas suivie
d'effet. Rendue le lendemain à la liberté, Mme Dehan
put rentrer à Gerbéviller vingt et un jours plus
tard. Elle est convaincue, et tous ceux qui ont vu
le cadavre partagent cette opinion, que le corps de
sa mère a été profané. Elle l'a, en effet, retrouvé
étendu sur le dos, les jupes relevées, les jambes
écartées et le ventre ouvert.
A l'arrivée des Allemands, le sieur Perrin et ses
deux filles, Louise et Eugénie, étaient allés se
réfugier dans leur écurie. Des soldats y
pénétrèrent, et l'un d'eux, apercevant la jeune
Louise, lui tire à bout portant un coup de fusil à
la tête. Eugénie parvient à s'échapper, mais son
père est arrêté dans sa fuite, placé parmi les
victimes qu'on conduit à « la Prèle » et fusillé
avec elles.
Le sieur Yong, qui sort pour mettre son cheval au
manège, est abattu devant chez lui. Les Allemands,
dans leur fureur, tuent le cheval après le maître et
mettent le feu à la maison. D'autres soulèvent la
trappe d'une cave dans laquelle sont cachées
plusieurs personnes et tirent des coups de fusil
dans la direction de celles-ci. La dame Denis
Bernard et le jeune Parmentier, âgé de sept ans,
sont blessés.
Vers cinq heures du soir, la dame Rozier a entendu
une voix suppliante crier : « Pitié ! pitié ! » Ces
cris venaient de l'une des deux granges voisines,
appartenant aux sieurs Poinsard et Barbier. Or, un
individu qui servait d'interprète aux Allemands a
déclaré à une dame Thiébaud que ceux-ci s'étaient
vantés d'avoir brûlé vif, dans l'une de ces granges,
un père de famille de cinq enfants, malgré ses
supplications et ses appels à leur pitié. Cette
déclaration est d'autant plus impressionnante qu'on
a trouvé dans la grange Poinsard les débris d'un
corps humain carbonisé.
A côté de ce carnage, d'innombrables actes de
violence ont été commis. La femme d'un mobilisé, la
dame K..., a été violée par un soldat, dans le
corridor de ses parents, tandis que sa mère, sous la
menace d'une baïonnette, était obligée de se sauver,
Le 29 août, la supérieure de l'hospice, soeur Julie,
dont le dévouement a été admirable, s'étant
transportée a l'église paroissiale, pour se rendre
compte, avec un prêtre mobilisé, de l'état intérieur
de l'édifice, constata que la porte en acier du
tabernacle avait été l'objet d'une tentative
d'effraction. Les Allemands, pour parvenir à
s'emparer d'un vase sacré, avaient tiré des coups de
fusil autour de la serrure. La porte était traversée
en plusieurs endroits, et le passage des balles y
avait formé des trous presque symétriques, ce qui
prouvait qu'on avait tiré à bout portant. Quand la
religieuse l'ouvrit, elle trouva le ciboire perforé.
Les excès et les crimes qui ont été commis à
Gerbéviller sont principalement l'oeuvre des
Bavarois. Les troupes qui s'y sont livrées étaient
sous le commandement du général Clauss, dont la
brutalité nous a aussi été signalée ailleurs.
A CREVIC
Le 22 août, les Allemands incendièrent une partie du
village de Crévic, à l'aide de torches et de fusées.
Soixante-treize maisons furent brûlées, notamment
celle de M. le général Lyautey, que. les
incendiaires, sous la conduite d'un officier,
avaient envahie, en réclamant à grands cris « Madame
et Mademoiselle Lyautey, pour leur couper le cou ».
Un capitaine menaça le sieur Vogin, en lui mettant
son revolver sur la gorge, de le fusiller et de le
jeter dans Les flammes, avec un habitant auquel,
disait-il, « on avait déjà fait sauter la cervelle
». Il faisait ainsi allusion à la mort d'un vieux
rentier, M. Liégey, âgé de 78 ans, qui fut retrouvé
dans les décombres, avec une balle sous le menton. «
Venez voir, ajouta l'officier, la propriété du
général Lyautey, qui est au Maroc, qui brûle. »
Pendant ce temps, un ouvrier, nommé Gérard, était
contraint, baïonnette au dos, de monter dans son
grenier. Là, les Allemands mettaient le feu à un tas
de fourrage et obligeaient le sieur Gérard à rester
auprès du brasier. Quand les soldats, chassés par la
chaleur intolérable, se furent retirés, il put
s'échapper par une petite ouverture, mais il avait
déjà une joue fortement brûlée.
A DEUXVILLE
A Deuxville, où l'ennemi incendia volontairement
quinze maisons, le maire Bajolet et le curé Thiriet
furent arrêtés. L'abbé Marchal, curé de Crion, les
ayant vus tous deux, dans sa paroisse, aux mains des
Allemands, s'approcha de son confrère et lui demanda
la raison de son arrestation. Celui-ci répondit : «
J'ai fait des signes. » Après lui avoir donné un peu
de pain, l'abbé Marchal se retira ; mais à peine
avait-il fait une trentaine de pas, qu'il entendait
une fusillade. C'étaient les deux prisonniers qu'on
venait d'exécuter. Le lendemain, un officier qui
parlait parfaitement notre langue, et qui disait
avoir été pendant huit ans attaché à l'ambassade
d'Allemagne à Paris, déclara à l'abbé Marchal que le
curé de Deuxville avait fait des signes et l'avait
avoué. « Quant au maire, ajouta-t-il, le pauvre
diable, je crois bien qu'il n'avait rien fait. »
A MAIXE
A Maixe, les Allemands ont incendié trente-six
maisons et ont massacré, toujours sous le prétexte
qu'on avait tiré sur eux, les sieurs Gauçon,
Demange, Jacques, Thomas, Marchal, Chaudre, Grand,
Simonin, Vaconet et la dame Beurton. Gauçon, arraché
de chez lui, fut précipité sur un tas de fumier, où
un soldat le tua d'un coup de fusil au ventre.
Demange, blessé aux deux genoux, dans sa cave,
parvint à se traîner jusqu'à la cuisine. Les
Allemands mirent le feu à la maison, empêchèrent la
dame Demange de porter secours à son mari et
laissèrent brûler leur victime dans l'immeuble
incendié.
Mme Beurton était, elle aussi, dans sa cave avec sa
famille, quand deux soldats, dont l'un portait une
lanterne et l'autre un fusil, y descendirent. Le
second tira au hasard sur le groupe et abattit la
malheureuse femme. Vaconet fut frappé d'une balle au
côté, au pied de l'escalier du sieur Rédiger ; quant
à Simonin, il fut emmené dans la direction de
Drouville. Quelques jours après, une note faisant
connaître qu'il avait été fusillé et que ses
dernières volontés étaient consignées dans un
document placé entre les mains du commandant général
de la 3e division bavaroise, fut remise par un
officier allemand à M. Thouvenin, conseiller
municipal de la commune. Cette note, dont une copie
nous a été délivrée, porte la signature d'un
officier du 3e régiment de chevau-légers. Les autres
victimes de Maixe ont reçu la mort dans des
circonstances qu'il ne nous a pas été possible de
préciser.
Dans le même village, la demoiselle X..., âgée de 23
ans, a été violée par neuf Allemands, pendant la
nuit du 23 au 24 août, sans qu'un officier qui
couchait au-dessus de la chambre dans laquelle se
passait cette ignoble scène, jugeât à propos
d'intervenir, bien qu'il entendît certainement les
cris de la jeune fille et le bruit fait par les
soldats.
A BEAUZEMONT
Le château de Beauzemont a été envahi le 22 août.
Vers le quinzième jour de l'occupation, sont
arrivées des automobiles dans lesquelles étaient
installées plusieurs femmes d'officiers de
l'état-major allemand. On y a chargé tout ce qui
avait été volé dans le château, notamment de
l'argenterie, des chapeaux et des robes de soie. Le
21 octobre, le lieutenant-colonel, commandant le e
régiment d'infanterie française a pris possession de
cet édifice. Il l'a trouvé dans un état de désordre
et de saleté repoussant. Les meubles étaient ouverts
et fracturés, le plancher de la salle de billard
était couvert de matière fécale. Dans la chambre à
coucher, qui avait été habitée par le général
allemand chef de la 7e division de réserve, régnait
une odeur infecte. Le placard placé à la tête du lit
contenait du linge de toilette et des rideaux de
mousseline remplis d'excréments.
A BACCARAT
A Baccarat, l'armée ennemie n'a massacré personne,
mais elle a effectué, le 25 août, un pillage général
après avoir, pour pouvoir opérer plus
tranquillement, donné l'ordre à la population de se
rassembler à la gare. Ce pillage a été dirigé par
les officiers. Des pendules, des meubles divers et
des objets d'art furent enlevés ; puis, quand les
habitants furent rentrés chez, eux, on Leur
enjoignit de nouveau d'en sortir au bout d'une
demi-heure, en les prévenant qu'on allait procéder à
l'incendie de la ville. En effet, tout le centre de
l'agglomération fut la proie des flammes. Le feu,
qui fut mis à l'aide de torches et de pastilles,
dévora cent douze immeubles. Quatre ou cinq
seulement furent incendiés par les obus. Après le
sinistre, des sentinelles empêchèrent les
propriétaires d'approcher des ruines de leurs
habitations et quand les décombres furent refroidis,
les Allemands les fouillèrent eux-mêmes pour dégager
les entrées de caves. Après cette opération, le
général Fabricius, commandant l'artillerie du 14e
corps badois, dit à M. Renaud, qui faisait fonctions
de maire : « Je ne, croyais pas qu'il y avait autant
de vins fins à Baccarat. Nous en avons pris plus de
100.000 bouteilles. » Il est juste d'ajouter qu'à la
cristallerie, nos ennemis ont bien voulu faire
preuve d'une certaine probité relative, car ils se
sont bornés, tout en jouant avec leurs revolvers, à
exiger sur le prix des marchandises dont ils se sont
rendus acquéreurs, des réductions de 50 à 75 %.
A JOLIVET
A Jolivet, le 22 août; le sieur Villemin sortait de
la maison de M. Cohan, avec celui-ci et un sieur
Richard, quand des soldats assaillirent ce dernier.
Atteint d'un coup de crosse à la tête, Richard
tomba, tandis que Cohan rentrait précipitamment chez
lui. Après avoir suivi pendant un instant Richard,
que ses agresseurs emmenaient, Villemin alla soigner
son bétail. Vers cinq heures du soir, il sortit pour
se rendre chez un voisin, mais il fut immédiatement
arrêté et fusillé. Les assassins lancèrent son corps
dans un jardin pardessus une palissade.
Le 25, dans la même commune, le logis de Mme Morin,
rentière, a été pillé. Les Allemands y ont dérobé du
lin £ re, de l'argenterie, des fourrures et des
chapeaux. Le surlendemain, ils ont incendié la
maison, en allumant des fragments de bois provenant
de caisses d'emballage.
A BONVILLER
A Bonviller, les 21, 23 et 25 août, ils ont mis le
feu à vingt-six immeubles, en se servant de pétards
et de bougies.
A EINVILLE
A Einville, le 22 août, jour de leur arrivée, ils
ont fusillé un conseiller municipal, M. Pierson,
qu'ils accusaient mensongèrement d'avoir tiré sur
eux. Ils ont également exécuté sais motif les sieurs
Bouvier et Barbelin, qu'ils avaient emmenés à
proximité de la commune. Ils ont aussi massacré un
braconnier, nommé Pierrat, qu'ils avaient trouvé
porteur d'un sac contenant un épervier et un fusil
démonté. Après l'avoir traîné hors du village, ils
l'ont ramené devant chez la dame Famôse.
Cette femme l'a vu passer au milieu d'eux. Il avait
le nez presque détaché. Ses yeux étaient hagards,
et, selon l'expression du témoin, il semblait avoir
vieilli de dix ans en un quart d'heure. A ce moment,
un officier a donné un ordre ; huit soldats sont
partis avec le prisonnier, et quand ils sont revenus
sans lui, dix minutes après, l'un d'eux a dit, en
français : « Il était mort avant. »
M. Dieudonné, maire, d'Einville, a été emmené comme
otage, avec son adjoint et un autre de ses
concitoyens, le 12 septembre, par les troupes
ennemies, au moment où elles ont battu en retraite.
Elles l'ont envoyé en Alsace, puis en Allemagne, où
on l'a gardé jusqu'au 24 octobre, ainsi que ses
compagnons. Avant son arrestation et pendant un
combat qui avait lieu autour de sa commune, M.
Dieudonné avait été obligé, malgré ses
protestations, de requérir. plusieurs de ses
administrés pour procéder à l'inhumation des morts.
Trois des habitants d'Einville, employés de force à
cette besogne, ont été blessés par des balles ; un
autre, le sieur Noël, a été tué par un éclat d'obus.
A REMONVILLE
La ferme de Remonville, située sur le territoire du
même village, a été incendiée. Les femmes ont pu se
sauver. Quant aux quatre hommes qui travaillaient
dans ce domaine, ils ont dû être tous assassinés.
Les cadavres de deux d'entre eux, Victor, Chaudre et
Thomas Prosper, ont été retrouvés, deux mois plus
tard, enterrés ensemble à proximité des bâtiments
brûlés. Tous deux étaient décapités et la tête de
Thomas était broyée.
A SOMMERVILLER
A Sommerviller, le passage de l'ennemi, le 23 août,
a été marqué par le pillage des cafés, des
épiceries, ainsi que de plusieurs maisons
particulières, et par le meurtre des sieurs Robert,
âgé de 70 ans, et Harau, âgé de 65 ans, qui ont été
tués à coups de fusil. Le second, au moment où il a
reçu la mort, était tranquillement en train de
manger un morceau de pain.
A REHAINVILLER
A Rehainviller, le 26 août, les Allemands ont
empoigné dans la rue le curé Barbot ainsi que le
sieur Noircler. Les cadavres de ces deux hommes ont
été retrouvés longtemps après, enterrés dans les
champs, à quelques centaines de mètres du village.
Leurs corps étaient en pleine décomposition. On n'a
pas pu, pour cette raison, relever les blessures que
le curé avait reçues ; quant à Noircler, sa tête
était placée dans la fosse à côté du reste de son
corps, à la hauteur de la hanche.
Dans cette, commune, 27 maisons ont été brûlées. On
n'a pas vu mettre le feu, mais on a ramassé, après
le sinistre, un certain nombre de baguettes fusantes
dont les Allemands se servent fréquemment pour
allumer l'incendie, et que les paysans appellent des
« macaronis »
A LAMATH
A Lamath, le 24 août, les Bavarois ont fusillé un
vieillard de 70 ans, le sieur Louis, qui était sorti
devant sa porte pour satisfaite un besoin naturel.
Le malheureux a reçu au moins dix balles dans la
poitrine. Son gendre, qui est atteint d'une
tuberculose avancée, a été pris et emmené. On n'a de
lui aucune nouvelle. Deux autres habitants de la
commune, qui ont été faits prisonniers en même temps
que lui, sont actuellement retenus en Bavière.
A FRAIMBOIS
L'abbé Mathieu, curé de Fraimbois, a été arrêté, le
29 août, sous le prétexte faux qu'on avait tiré sur
les Allemands dans sa paroisse. Au cours de sa
captivité, qui a duré seize jours, il a assisté à
l'assassinat de deux de nos compatriotes, M.
Poissonnier, de Gerbéviller, et M. Victor Meyer, de
Fraimbois. Le premier, un infirme qui se tenait à
peine sur ses jambes, était accusé d'avoir suivi les
armées pour se livrer à l'espionnage ; le second
avait été arrêté parce que sa fillette avait ramassé
un morceau de fil télégraphique brisé par des
shrapnells. Un matin, vers 6 heures, les officiers
bavarois procédèrent à un simulacre de jugement, en
lisant un document rédigé en allemand et en faisant
voter huit ou neuf jeunes lieutenants auxquels on
avait remis des bulletins. Condamnés à l'unanimité,
les deux hommes furent avertis qu'ils allaient
mourir, et le prêtre fut invité à leur donner les
secours de la religion. Ils protestèrent de leur
innocence, en suppliant et en pleurant, mais on les
contraignit à s'agenouiller contre un talus de la
route, et un peloton de vingt-quatre soldats, placés
sur deux rangs, fit feu sur eux, par deux fois.
Le village de Fraimbois a été pillé et les objets
volés ont été chargés sur des voitures. L'abbé
Mathieu s'étant plaint aux généraux Tanner et Clauss
de l'incendie de son rucher, reçut du premier cette
simple réponse : « Que voulez-vous ? C'est la guerre
! » Le second ne lui répondit même pas.
A HENIMÉNIL
A Mont, trois maisons ont été brûlées avec du
pétrole. A Hériménil, le 29 août, l'ennemi, qui y
était arrivé le 24, s'est rendu coupable de faits
monstrueux. Les habitants ont été invités à se
rendre dans l'église et y ont été maintenus pendant
quatre jours, tandis que leurs maisons étaient
pillées et que les Français bombardaient le village.
Vingt-quatre personnes ont été tuées par un obus, à
l'intérieur de l'édifice. Comme une femme, qui avait
pu, à grand'peine, sortir un instant, revenait avec
un peu de lait pour les enfants, un capitaine
furieux de voir qu'on avait laissé passer cette
prisonnière, s'écria : « Je ne voulais pas qu'on
ouvrît la porte. Je voulais que les Français
tirassent sur leur propre peuple. » Ce même
capitaine venait d'ailleurs de commettre peu de
temps auparavant, un acte de cruauté révoltant.
Ayant assisté, le monocle à l'oeil, à la sortie jugée
par lui trop lente de Mme Winger, jeune femme de 23
ans, qui, pour obéir à l'ordre général, se dirigeait
vers l'église, avec ses domestiques, une fille et
deux jeunes hommes, âgés tous trois de 18 ans, il
avait, par un mot bref, commandé à ses soldats de
faire feu, et les quatre victimes s'étaient
abattues, mortellement frappées. Les Allemands
laissèrent les cadavres dans la rue pendant deux
jours.
Le lendemain, ils fusillèrent le sieur Bocquel, qui,
ignorant les instructions données, était resté dans
sa maison. Ils tuèrent également chez lui M.
Florentin, âgé de 77 ans. Ce vieillard, qui reçut
plusieurs. balles dans la poitrine, fut probablement
massacré à cause de sa surdité qui l'empêcha de
comprendre les exigences de l'ennemi.
Dans cette commune, vingt-deux maisons ont. été
brûlées avec du pétrole. Avant de mettre le feu à
celle de la dame Combeau, des soldats, en piochant
le sol de la cave, ont déterré une somme de 600
francs qu'ils se sont appropriée.
A HUDIVILLER
Le 23 août, le jeune Simonin, âgé de quinze ans et
demi, demeurant à Hudiviller, revenait de Dombasle,
quand les Allemands, après l'avoir mis en joue,
s'emparèrent de sa personne. Ils commencèrent par le
rouer de coups, puis il fut emmené par un soldat,
sur l'ordre d'un officier.
Chemin faisant, il aperçut à une cinquantaine de
mètres de lui son père qui l'appelait. Son gardien
l'attacha alors à un poteau télégraphique, et fit
feu sur Simonin père, qui tomba en vomissant le
sang, et expira presque sur-le-champ. Le jeune homme
put, pendant ce temps, se dégager ; de ses liens, et
parvint à prendre la fuite, non sans avoir essuyé
plusieurs coups de .fusil, dont l'un lui déchira sa
veste.
A MAGNIÈRES
A Magnières, où un immeuble seulement fut brûlé, un
Allemand, armé de son fusil, pénétra vers la fin du
mois d'août, dans la maison du sieur Laurent, et
obligea la jeune..., âgée de douze ans, qui y était
réfugiée, à l'accompagner dans une chambre. A deux
reprises, il la viola, malgré les plaintes et les
cris qu'elle ne cessait de faire entendre. La pauvre
petite était absolument terrorisée. Le soldat, du
reste, était si menaçant que le sieur Laurent n'osa
pas intervenir.
A CROISMARE
A Croismare, le 25 août, quand les Allemands durent
battre en retraite, furieux de leur échec, ils se
mirent à tirer sur toutes les personnes qu'ils
rencontrèrent. Un officier de uhlans, après avoir
tué, d'un coup de revolver, dans les champs, le
sieur Kriege, qui était allé arracher des pommes de
terre, aperçut MM. Matton et Barbier, revenant de
leur travail. S'étant approché d'eux, sur son
cheval, il leur ordonna de s'arrêter et de se placer
contre un talus. Les deux paysans pensèrent d'abord
qu'il voulait les mettre à l'abri des coups de fusil
qui éclataient de divers côtés, mais leur illusion
se dissipa, quand ils le virent charger son
revolver. Au cours de cette opération, trois
cartouches tombèrent et le uhlan donna à Matton et à
Barbier l'ordre de les ramasser. Ce dernier, en lui
en remettant une, lui dit : « Ne nous faites pas de
mal, nous venons de travailler dans les champs. » -
Nich pardon, cochon de franzose, répondit
l'officier, capout », et il fit feu à deux reprises.
Matton, qui s'était brusquement effacé, ne fut,
grâce à ce mouvement, atteint qu'à l'épaule droite,
au lieu l'être en pleine poitrine. Quant à Barbier,
une balle lui traversa les deux pouces et lui
laboura l'index gauche.
A REMEREVILLE
A Réméréville, le 7 septembre, l'ennemi, prétendant
faussement que, du clocher les habitants avaient
tiré sur lui, a mis le feu aux maisons à l'aide de
fusées. Quelques immeubles seulement ont échappé aux
flammes. Avant d'être incendié, le village a été
bombardé par les Allemands, qui ont pris
particulièrement pour objectif une ambulance dont
ils voyaient parfaitement le drapeau.
A DROUVILLE
La commune de Drouville, occupée deux fois, a été
fortement pillée. Le 5 septembre, l'envahisseur y a
brûlé trente-cinq maisons à l'aide de torches et
sans doute aussi avec du pétrole, car il a abandonné
sur les lieux un bidon qui en contenait vingt-cinq
ou trente litres.
A COURBESSEAUX
A Courbesseaux, il y eut également, le 5 septembre,
incendie et pillage. Dix-neuf maisons ont été
brûlées. M. Alix, qui s'efforçait d'éteindre le feu
allumé chez lui, dans un amas de luzerne, essuya
plusieurs coups de fusil et fut obligé de se sauver.
A ERBEVILLER
Enfin, le 23 août, à Erbéviller, lin capitaine saxon
trouva un moyen très pratique de se procurer de
l'argent. Ayant fait rassembler tous des hommes du
village, il tenta vainement, d'abord en les menaçant
de les faire fusiller, d'obtenir de quelqu'un
d'entre eux la déclaration qu'on avait tiré sur ses
sentinelles, bien qu'il sût pertinemment que le fait
n'était pas exact ; puis il les enferma dans une
grange. Dans la soirée, il fit venir la femme de M.
Jacques, ancien instituteur, l'un des prisonniers,
et lui dit : « Je ne suis pas certain que ce soient
ces hommes qui aient tiré. Ils seront libres demain,
si vous pouvez me verser mille francs dans quelques
instants. » Mme Jacques donna la somme.
Sur sa demande, il lui fut délivré un reçu, et les
otages furent mis en liberté.
Le récépissé rédigé par l'officier est ainsi conçu :
« Erbéviller, 23 août 1914. Quittance.
Pour pénitence d'être suspect d'avoir tiré sur des
sentinelles allemandes, dans la nuit du 22-23 août
j'ai reçu de la commune, Erbéviller 1.000 fr. (mille
francs). - Baron (illisible) haut, reit. régim. »
ACTE HONTEUX
Dans une commune du département de
Meurthe-et-Moselle, deux religieuses ont été,
pendant plusieurs heures, exposées sans défense à la
lubricité d'un soldat, qui, en les terrorisant, les
a obligées à se dévêtir et, après avoir contraint la
plus âgée à lui enlever ses bottes, s'est livré sur
la plus jeune à des pratiques obscènes. Les
engagements que nous avons pris ne nous permettent
pas de faire connaître les noms des victimes de
cette scène abominable, ni celui du village dans
lequel elle a eu lieu, mais les faits nous ont été
révélés sous la foi du serment par des témoins
dignes de la plus entière confiance, et nous prenons
la responsabilité d'en certifier l'exactitude.
Pendant nos séjours à Nancy et à Lunéville, nous
avons eu l'occasion de recevoir plusieurs
témoignages relatifs à des crimes commis par les
Allemands dans des localités que leurs troupes
occupaient encore et que la plupart des habitants
avaient dû évacuer.
LE CRIME D'EMBERMENIL
Les plus cruels de ces faits ont eu pour théâtre le
village d'Emberménil. A la fin d'octobre ou au
commencement de novembre, une patrouille ennemie
ayant rencontré dans les environs de cette commune
une jeune femme, Mme Masson, dont l'état de
grossesse était très apparent, l'interrogea sur le
point de savoir s'il n'y avait pas de soldats
français à Emberménil. Elle répondit qu'elle
l'ignorait, ce qui était vrai.
Les Allemands étant alors entrés dans le village, y
furent reçus à coups de fusil par les nôtres. Le 5
novembre, un détachement du 4e régiment bavarois
arriva et rassembla tous les habitants devant
l'église, puis un officier demanda quelle était la
personne qui avait trahi. Soupçonnant qu'il pouvait
s'agir de la rencontre qu'elle avait faite quelques
jours auparavant et se rendant compte du danger que
couraient ses compatriotes, Mme Masson, très
courageusement, s'avança, répéta ce qu'elle avait
dit, et affirma qu'en le disant elle avait été de
bonne foi. Immédiatement saisie, elle fut contrainte
de s'asseoir sur un banc, à côté du jeune Dime, âgé
de 24 ans, qui avait été pris au hasard comme
seconde victime. Toute la population demandait grâce
pour l'infortunée, mais les Allemands furent
inflexibles. « Un homme et une femme dirent-ils,
doivent être fusillés. Tel est l'ordre du colonel.
Que voulez-vous ? C'est la guerre. » Huit soldats,
placés sur deux rangs, firent alors feu à trois
reprises sur les deux martyrs, en présence de tout
le village. La maison du beau-père de Mme Masson fut
ensuite livrée aux flammes.
Celle de M. Blanchin avait été incendiée quelques
instants auparavant.
A DOMEVRE-SUR VEZOUSE
La dame Millot, de Domèvre-sur-Vezouse, nous a fait
le récit du meurtre qui a été commis sur la personne
de son neveu, Maurice Claude, âgé de dix-sept ans,
et dont elle a été le témoin oculaire. Le 24 août,
au moment de l'arrivée des Allemands à Domèvre, ce
jeune garçon se trouvait, avec sa famille, au bas
d'un escalier, dans la maison de ses parents, quand
il s'aperçut que des soldats le mettaient en joue,
de la rue. Il fit quelques pas pour se garer, mais
il ne put se mettre à l'abri et fut atteint de trois
bailles. Blessé au ventre, à la fesse et à la
cuisse, il succomba trois jours plus tard, après
avoir fait preuve d'une admirable résignation. Quand
il se sentit perdu, il dit à sa mère désolée « Je
puis bien mourir pour mon pays. »
Le même jour, MM. Auguste Claude et Adolphe Claude,
ce dernier âgé de soixante-quinze ans, furent
également tués, et cent trente-six maisons du
village furent brûlées au moyen de cartouches
incendiaires. Enfin, deux habitants, MM. Breton et
Labart, furent pris comme otages. On ne sait ce
qu'ils sont devenus depuis.
A AUDUN-LE-ROMAN
M. Véron, ancien instituteur à Audun-leRoman,
arrondissement de Briey, a déposé devant nous, dans
les termes suivants : « Le 21 août, vers cinq heures
du soir, les Allemands, qui occupaient depuis
dix-sept jours le village d'Audun-le-Roman, se
mirent, sans motif à tirer sur les maisons des coups
de fusil et de mitrailleuse. Quatre femmes, Mlle
Roux, Mlle Tréfel, Mme Zappoli et Mme Giglio, ont
été blessées. Mlle Tréfel a été atteinte pendant
qu'elle donnait à boire à un soldat allemand. Trois
hommes ont été tués : M. Martin, cultivateur, âgé de
soixante-dix-huit ans, dont la maison a été brûlée,
a été emmené hors, de chez lui et fusillé dans la
rue, en présence de sa femme et de ses enfants. M.
Chary, âgé de cinquante-cinq ans, chef cantonnier,
fuyait devant l'incendie, en tenant sa femme par la
main, quand il a été tué à coups de fusil. J'ai vu
son cadavre qui était criblé de blessures. M. Ernest
Samen a reçu cinq balles de revolver au moment où il
était en train de fermer la porte de sa remise. J'ai
vu l'ennemi mettre le feu au café Matte, avec du
pétrole. Mme Matte étant sortie, ayant à la main un
petit sac qui contenait ses économies, environ 2.000
francs, a été dévalisée par un officier allemand,
qui lui a arraché son sac. »
Le témoin a ajouté que le maire avait dû être enlevé
par une patrouille, qu'en tout cas il avait disparu.
A ARRACOURT
A Arracourt, le sieur Maillard a été tué dans Les
champs, par une balle qui l'a traversé de part en
part, et cinq maisons ont été incendiées.
A BRIN
Le village de Brin-sur-Seille a été presque
entièrement détruit par le feu, allumé avec des
cartouches et des rondelles fusantes.
A RAUCOURT
Enfin la femme d'un mobilisé de Raucourt, la dame
X..., nous a déclaré qu'elle avait été violée chez
elle, en présence de son petit garçon, âgé de trois
ans et demi, par un soldat qui lui avait mis la
pointe de sa baïonnette sur la poitrine, pour
vaincre la résistance qu'elle lui opposait.
FAITS D'ORDRE MILITAIRE
Les faits commis en violation des droits de la
guerre à l'égard des combattants, meurtre des
blessés ou des prisonniers, ruses interdites par les
conventions internationales, attaques contre les
médecins et les brancardiers, ont été innombrables
dans tous les endroits où des combats ont été
engagés. Il nous est impossible de constater la
plupart d'entre eux, parce que les témoins en sont
surtout des militaires, obligés à se déplacer
continuellement. Ces actes ont été, du reste,
relatés dans les rapports adressés par les chefs de
corps à l'autorité militaire, qui pourra les joindre
aux documents de notre enquête, si elle le juge à
propos. Beaucoup sont aussi attestés par des
témoignages que des magistrats ont recueillis dans
les hôpitaux, et dont nous opérons en ce moment le
dépouillement en vue de l'établissement d'un rapport
complémentaire. Il nous en a été néanmoins révélé à
nous-mêmes un certain nombre au cours de notre
information.
A Bar-le-Duc, M. le médecin principal Ferry nous a,
à cet égard, rapporté des déclarations recueillies
par lui dans son service. Le sergent Lemerre, du e
régiment d'infanterie, lui a déclaré que, blessé le
6 septembre à Rembercourt, d'un éclat d'obus à la
jambe, il avait été laissé sur le terrain, pendant
huit jours, par les ambulanciers allemands, qui le
voyaient parfaitement. Le quatrième jour, sur
l'ordre d'un officier qui parcourait le champ de
bataille son revolver à la main, ce sous-officier a
été blessé de nouveau d'un coup de fusil par un
soldat. Il a d'ailleurs vu à plusieurs reprises,
autour de lui, des brancardiers allemands tirer sur
nos blessés.
Le soldat Dreyfus, du ...e régiment d'infanterie, a
également raconté au docteur Ferry le fait suivant :
atteint d'une blessure, à Somaine, le 10 septembre,
il se retirait du champ de bataille, quand il
rencontra trois Allemands. Il leur dit, dans leur
langue, qu'il venait d'être blessé ; mais ces hommes
lui répondirent que ce n'était pas une raison pour
ne pas recevoir une nouvelle balle, et il en reçut
une en effet, à bout portant, dans l'orbite.
A Vaubecourt, un sergent d'infanterie et deux
soldats ont été fusillés par l'ennemi pour le motif
qu'un de ces derniers avait été capturé dans le
clocher du village, d'où il aurait pu échanger des
signaux avec nos troupes.
Le 22 août, un détachement allemand se présenta sur
le territoire de Bonvillers (Meurthe-et-Moselle), à
la ferme de la Petite-Rochelle, où le propriétaire,
M. Houillon, avait donné asile à des blessés
français. L'officier qui le commandait ordonna à
quatre de ses hommes d'aller achever neuf blessés
qui étaient étendus dans la grange. Chacun de
ceux-ci reçut une balle dans l'oreille. Comme la
dame Houillon demandait grâce pour eux, l'officier
lui enjoignit de se taire en lui mettant le canon de
son revolver sur la poitrine.
Le 25 août, M. l'abbé Denis, curé de Réméréville, a
soigné dans la soirée le lieutenant Toussaint, sorti
le premier de l'Ecole forestière au mois de juillet
dernier. Tombé blessé sur le champ de bataille, ce
jeune officier avait été frappé à coups de
baïonnette par tous les Allemands qui étaient passés
auprès de lui. Son corps était criblé de plaies, des
pieds à la tête.
A l'hôpital de Nancy, nous avons vu le soldat Voyer,
du 6 régiment d'infanterie, qui portait encore les
traces de la barbarie allemande. Grièvement blessé à
la colonne vertébrale, en avant de la forêt de
Champenoux, le 24 août, et paralysé des deux jambes,
par suite de sa blessure, il était resté étendu sur
le ventre, quand un soldat allemand l'avait
brutalement retourné avec son fusil, et lui avait
porté trois coups de crosse sur la tête. D'autres,
en passant auprès de lui, l'avaient également frappé
à coups de crosse et à coups de pied.
Enfin, l'un d'eux lui avait, d'un seul coup, fait
une plaie au-dessous et à trois ou quatre
centimètres de chaque oeil, à l'aide d'un instrument
que la victime n'a pas pu distinguer, mais qui,
d'après l'opinion du docteur Weiss, médecin
principal et professeur à la Faculté de Nancy,
devait être une paire de ciseaux.
Un hussard, qui a été soigné par ce même docteur, a
raconté que, s'étant fracturé la jambe en tombant de
cheval, et s'étant trouvé engagé sous sa monture, il
avait été assailli par des uhlans qui lui avaient
volé sa montre et sa chaîne, et dont l'un, lui ayant
pris sa carabine, lui en avait déchargé un coup dans
l'oeil.
Sept soldats français, auxquels M. Weiss a aussi
donné ses soins, lui ont affirmé avoir vu les
ennemis achever des blessés sur le champ de
bataille. Comme ils avaient feint d'être morts pour
échapper au massacre, des Allemands leur avaient
porté des coups de crosse, afin de reconnaître s'ils
étaient encore vivants.
Au même hôpital, un soldat allemand atteint d'une
blessure au ventre, a confié à M. le docteur Rohmer
qu'elle lui avait été faite d'un coup de revolver
par son officier parce qu'il avait refusé d'acheter
un blessé français. Enfin, un autre Allemand,
porteur d'une plaie au dos, produite par un coup de
feu tiré à bout portant, a déclaré au docteur Weiss
que, pour obéir à l'ordre d'un officier, un soldat
avait tiré sur lui, afin de le punir d'avoir
transporté dans un village situé à proximité du
champ de bataille plusieurs blessés de notre armée.
Le 25 août, à Einvaux, les Allemands ont ouvert le
feu à trois cents mètres sur le docteur Millet,
médecin-major au ...e régiment colonial, au moment
où, aidé de deux brancardiers, il faisait un
pansement à un homme couché sur une civière. Comme
il leur présentait le côté gauche, ils voyaient
parfaitement son brassard. Ils ne pouvaient
d'ailleurs se méprendre sur la nature de la besogne
à laquelle les trois hommes étaient occupés.
Le même jour, le capitaine Perraud, du même
régiment, ayant remarqué que les soldats d'une
section prise pour objectif par ses mitrailleuses
portaient des pantalons rouges, a donné l'ordre de
cesser le feu. Immédiatement, cette section a tiré
sur lui et sur ses hommes. Elle était composée
d'Allemands déguisés.
Paris, 17 décembre 1914.
G. PAYELLE, président.
ARMAND MOLLARD.
G. MARINGER.
PAILLOT, rapporteur.
ON LES DÉBUSQUE
Leurs ripostes sont vaines
Paris, 10 janvier, 15 h. 40.
De la mer jusqu'à l'Oise, duels d'artillerie.
Sur l'Aisne, dans la région de Soissons, l'ennemi
n'a pu, malgré de nombreuses attaques, reprendre les
tranchées qu'il avait perdues hier. A la fin de la
journée, il a de nouveau bombardé Soissons.
En Champagne, de Reims à l'Argonne, notre artillerie
a très efficacement tiré sur les tranchées
allemandes, dispersant en plusieurs points des
groupes de travailleurs.
Les positions que nous avons conquises à Perthes et
autour du village ont été organisées. Une
contre-attaque ennemie à l'ouest de Perthes a été
repoussée.
Aux abords de la ferme de Beauséjour, nous avons
réalisé un double progrès en gagnant du terrain à
l'ouest et en nous emparant d'un fortin vers le
nord.
En Argonne, l'ennemi a bombardé la région du
Four-de-Paris. Nous avons riposté et détruit un
blockhaus allemand. L'effort de l'ennemi s'est porté
sur la cote 263, à l'ouest de Boureuilles. Toutes
nos positions ont été maintenues.
Entre Argonne et Meuse, rien à signaler.
Sur les Hauts-de-Meuse, dans la forêt d'Apremont,
une attaque ennemie a été arrêtée par le feu de
notre artillerie.
Dans les Vosges, au nord-ouest de Wattwiller (région
de Thann), nous avons également repoussé une attaque
ennemie.
LES NOUVELLES DU PAYS MEUSIEN
Du Bulletin Meusien, organe des réfugiés et évacués
meusiens :
Villers-devant-Dun. - D'après une lettre de M.
Bernier, maire de cette commune, qu'on nous
communique, cette localité aurait été fortement
abîmée lors des combats qui eurent lieu à la fin
d'août et qui durèrent deux jours, surtout à
Montigny, où il y eut de violentes charges à la
baïonnette dans les rues.
Muzeray-Nouillonpont. - Le docteur Didion, maire de
Muzeray, conseiller général de Spincourt, est
prisonnier à Ingolstadt, avec sa soeur.
Montmédy. - On nous dit que les Allemands auraient
installé une ou plusieurs ambulances centrales dans
cette ville, en utilisant à cet effet les vastes
locaux publics qui s'y trouvent.
Montigny. - On nous écrit que cette commune a été
brûlée presque entièrement et que les Allemands y
ont mis le feu à la main. Tous les habitants restés
se seraient réfugiés à Halles qui a moins souffert.
Gercourt. - Saint-Julien, le 30 décembre 1914. -
Monsieur le Rédacteur, je vous envoie ces deux mots
pour vous dire où est internée ma femme, Mme Postal,
de Gercourt (Meuse).
Voici ce qu'elle nous dit :
Elles ont mis trois semaines pour aller de Gercourt
à Saulnes, près Longwy, conduites par les Boches,
comme on conduit des bêtes, et vivre on ne peut se
rappeler de quoi ; de plus, coucher sur les fumiers
etc., enfin, elle ne se plaint pas trop ; pour le
moment, elle est chez M. Dahlem, négociant à
Saulnes, près Longwy (Meurthe-et-Moselle).
De plus, mon fils, Clovis Postal, qui était aux
cyclistes de chasseurs à pied, est prisonnier à
Fedpost (poste aux armées), 48 compagnie de
prisonniers français, camp d'Ammelburg, Bavière
(Allemagne).
POSTAL.
Morgemoulin (lettre du maire de Morgemoulin). - Les
habitants de Morgemoulin ont été emmenés prisonniers
en Allemagne au nombre de 80, vers la fin d'octobre.
Les Allemands avaient enlevé cinq grosses voitures
de mobilier avant leur départ et ont enlevé le reste
après.
Morgemoulin serait encore debout, M. Rodicq, ancien
instituteur, est décédé le 1er décembre, à Zwickau
(Saxe).
Vingt-quatre personnes de Morgemoulin et Gincrey
sont à Les Abrets (Isère) : M. Lepezel, maire de
Morgemoulin, et sa famille; Mme Lecourtier et ses
enfants; M. Gody et sa famille ; Mme Mangin ; Mme
Génin et sa famille ; M. Delandre, sa famille et sa
soeur de Gincrey ; M. Lecourtois, adjoint, et sa
fille.
Bar-le-Duc. - Nécrologie. - M. Chuqet,
propriétaire-gérant de l' « Echo de l'Est », vient
de mourir à l'âge de 86 ans.
Vaudoncourt. - Le 23 août, le village fut incendié
par les Allemands sans que les habitants aient rien
pu sauver. M. Janin a été fait prisonnier par
l'ennemi et on est sans nouvelles de sa plus jeune
fille disparue et sans doute prisonnière aussi
Fréméville. - La semaine dernière, des obus de 210
tuèrent trois personnes, M. et Mme Bourcier et un
enfant dans la même maison. Cinq maisons détruites.
Marville. - Une personne de Marville, réfugiée à
Paris, a reçu des nouvelles de a mère qui habite
Longuyon. Celle-ci dit cpie M. Leroy, jardinier à
Marville, vient à Longuyon toutes les semaines,
faire les commissions des Boches. Et par lui, elle
sait qu'il reste à Marville 200 habitants qui ne
souffrent nullement de l'occupation allemande. Ils
sont ravitaillés régulièrement.
Mouilly. - Au début de la guerre au 1 septembre, ce
village de 400 habitants fut occupé par les
Français. Le. 8, à 7 heures du matin, arrivée de
quelques uhlans, puis d'une colonne entière à 10
heures.
L'infanterie s'installe dans le bois voisin.
L artillerie sur le côté, dominant les églises et
des avant-postes à chaque entrée du village.
Après-midi, un soldat français resté en arrière ou
revenu blessa dans le bois d'un c. up de fusil un
soldat allemand : résul tat : fusillade, émotion des
Allemands : le maire était parti ; un détachement
vint chercher le curé, l'abbé Alnot (71 ans), qui
était resté et on voulut le convaincre ou 1 ii faire
croire que le coup de feu avait été tiré par des
habitants de la commune, il fut condamné à être
fusillé et l'incendie <iu village ordonné.
Le curé put se faire conduire chez le commandant
d'armes qui écouta ses explications et celles de
l'officier qui l'avait fait arrêter. Le commandant,
apprenant que l'abbé Alnot avait soigné les blessés
allemands en 1870, rapporta les deux ordres
ci-dessus et consentit même à laisser la liberté à
une pauvre femme retenue par les Allemands à
Mouilly, parce qu'elle voulait retourner chez elle à
Rupt-en-Woëvre (Mme Jaspard).
Malheureusement, on trouva après le départ des
Allemands, le 14 septembre, trois cadavres de civils
alignés contre le mur du cimetière. L'un était celui
d'un pauvre homme qui, revenant avec un peu de pain
et d'argent destinés à sa famille, avait voulu
forcer une consigne et avait été immédiatement passé
par les armes. Les deux autres étaient ceux d'un
jeune homme et de son oncle. Celui-ci ayant eu une
altercation avec un soldat allemand, avait été
arrêté : son neveu, qui l'aimait beaucoup, n'avait
pas voulu le quitter et avait partagé son triste
sort.
Dans la nuit du 12 au 13 septembre, une alerte fit
partir précipitamment les Allemands et délivra la
population. Le lendemain, les soldats français
arrivèrent du fort de Genicourt et un cycliste qui
devançait la compagnie, vit, à trois kilomètres de
Mouilly, deux officiers prussiens occupés à réparer
leur automobile ; il les blessa et les mit en fuite
tous les deux. Le soir, quand nos troupes vinrent
pour s'emparer de l'auto, elles constatèrent avec
indignation qu'elle contenait trois tonneaux de
pétrole et une canule : le tout fut conduit à
Verdun.
C'était sans doute le matériel destiné à incendier
Mouilly.
Mouilly ne fut pas brûlé, mais il fut bombardé par
les Français pendant que les Allemands l'occupaient
et ensuite par les Allemands quand ils l'eurent
quitté ; il fut en outre pillé sérieusement.
Sébastien Colson fut tué, plusieurs habitants furent
blessés ; des maisons furent détruites, d'autres
fort endommagées. Aussi le village fut-il évacué ;
environ 50 habitants sont dans la Haute-Savoie ; les
autres n'ont pas quitté la région ou le département.
Ornes. - Un de nos concitoyens. appartenant à la
garnison de Verdun, nous écrit:
« Le 13 décembre, on s'est battu à Ornes, pour la
prise de la côte sud d'Ornes donnant du côté de
Maucourt. Le génie s'avance le soir jusqu'aux fils
de fer des Allemands en rampant et se retire après
les avoir coupés sans donner l'éveil aux Allemands
terrés dans leurs tranchées. Au petit jour,
l'attaque commence avec une impétuosité ; après une
canonnade d'une heure de nos 75 et mitrailleuses, le
...e enlève la tranchée allemande en moins d'une
heure et en organise solidement la défense.
En même temps, une attaque est poussée sur la côte
nord, mais elle est si fortement retranchée qu'on ne
peut l'emporter. En outre, les Boches agitent un
drapeau français, font placer nos blessés en avant
de leurs rangs et cessent leur feu, afin de faire
croire à nos occupants de la côte sud que la côte
nord est occupée par nous.
Les nôtres, abusés par ce stratagème, avancent avec
confiance et en arrivant sur les tranchées sont
accueillis par un feu d'enfer, mettant hors de
combat beaucoup de notre effectif. En fin de compte,
nous emportons l'ouvrage en infligeant à l'ennemi
des pertes considérables. De temps en temps, on voit
passer des prisonniers : hier deux officiers et
quinze hommes pris du côté d'Ornes. Du côté d'Etain,
les ennemis sont formidablement retranchés dans la
carrière de Rouvres, où on peut circuler en auto
dans leurs tranchées, tant elles sont bien
organisées. »
PRISONNIERS MEUSIENS
Du « Bulletin Meusien » : MM. Fulbert, Paul
Fauquenot, Antoine et Louis Alzain, Aimé Goeuriot,
Klein-Saguez, de Bouligny ; Erard Proth, Léon
François, Victor Lavigne, de Spincourt, sont
prisonniers à Koenigsbrück. - André de Foug, de
Ligny, prisonnier à Grafenvoerh (Bavière). - Pol
Déchanne et Edmond Nicolas, tous deux de
Villers-le-Sec.
Dans la liste des prisonniers internés en Allemagne,
nous avons fait figurer MM. Nocpal, père et fils, de
Bréhévile, qui sont vivants et en France, alors
qu'il s'agit de M. Nochel, cantonnier à
Livry-devant-Dun.
Parmi les prisonniers civils de Bréhéville, on nous
cite Emile Lepage, Drouet Thomas, Laminette Léon,
internés à Darmstadt.
Guillaume-Jean Henry, de Foameix, prisonnier de
guerre au camp d'Altengrabor, par Magdebourg
(Alemagne), 1er bat., 2eCie, baraquement n° 9,
demande nouvelles de sa famille.
Les frères Saint-Mard Jean-Baptiste et Gustave, de
Petit-Verneuil, sont prisonniers au fort Hartmann,
n° 13, à Ingolstadt (Bavière).
Collignon Eugène, de Thonne-le-Thil, prisonnier à
Darmstadt.
Perignon Numa, de Thonne-le-Thil, est prisonnier en
Allemagne, ainsi qu'Adolphe Paulot, de Breux.
Lepaule René, de Thonne-la-Long, et Défay Ernest
sont prisonniers de guerre, le premier à Stuttgart,
le deuxième ailleurs.
Goffinet Adolphe, d'Avioh, est prisonnier à
Stuttgart.
Cresson H., de Stenay, prisonnier à Ingolstadt,
demande adresse de sa femme. S'adresser Vesseron, 4,
rue Lavoisier, Pantin.
M. Hémard, adjoint de Romagne-sous-les-Côtes, est
prisonnier civil à Zwickau.
Emile Fagnot, habitant à Varennes-enArgonne (Meuse),
âgé de 58 ans, fait prisonnier civil à la fin du
mois de septembre et conduit à Wurzburg (Bavière).
Alfred Maquet, de Han-les-Juvigny ou Murvaux,
prisonnier de guerre à Stuttgart, dépôt 11, 26e
escouade.
Gérard Eugène, de Jametz, prisonnier de guerre à
Stuttgart, dépôt n° 2, 27e escouade.
Michel Emile, de Bouligny, au camp de Grafenvoehr, à
Orhdruf. Thuringen (Saxe) ; Arsène Sergent, de
Montigny ; Léon Thomassin, Albert Mirmont, de
Montmédy, prisonniers à Regensbrug (Bavière).
Miaurice Leclerc, de Bantheville, prisonnier à
Ingolstadt (Bavière).
Borre, de Beauclair, Gerangenen Kom pagnie Lager,
Grafenvoehr (Bayern).
ENCORE
quelques Tranchées conquises
LEURS ATTAQUES REPOUSSÉES
Paris, 11 janvier, 15 h. 30.
De la mer à la Lys, canonnades intermittentes et peu
intenses. Dans la région d'Ypres, notre artillerie a
contrebattu efficacement celle de l'ennemi et a
réussi des tirs bien réglés sur les tranchées
allemandes.
De la Lys à l'Oise, dans la tranchée de la
Boisselle, nos troupes se sont emparées d'une
tranchée, après un violent combat.
Au nord-est de Soissons, sur l'éperon 132, elles ont
repoussé hier une contre-attaque allemande, puis ont
attaqué à leur tour et ont enlevé deux lignes de
tranchées ennemies, sur un front d' environ cinq
cents mètres, prolongeant vers l'est les tranchées
conquises le 3 janvier, et assurant la possession
entière de l'éperon 132.
Sur l'Aisne et en Champagne, jusqu'à Reims, duel
d'artillerie.
De Reims à l'Argonne, notre artillerie a bombardé
les tranchées ennemies de première ligne et les
abris des réserves.
Au nord de Perthes, après avoir refoulé des
contre-attaques signalées hier soir, nous avons
progressé en gagnant une ligne de deux cents mètres
de tranchées.
Au nord de Beauséjour, l'ennemi s'est acharné à
reprendre le fortin qu'il avait perdu. Ses
contre-attaques étaient fortes chacune de deux
bataillons, la seconde en formations serrées. Elles
ont été toutes deux repoussées après avoir été très
fortement éprouvées.
En Argonne, quelques petits engagements. Notre front
a été maintenu.
Entre Meuse et Moselle, journée calme.
Dans les Vosges, chute abondante de neige. Quelques
obus sont tombés sur Vieux-Thann, à la cote 425.
Paris, 12 janvier, 1 h. 02.
Communiqué officiel du 11 janvier, 23 heures :
Aucune modification n'est signalée dans la
situation.
MORT TRAGIQUE D'UN RÉFUGIÉ DE BATILLY
Paris, 12 janvier, 2 h. 20.
GENÈVE. - M. Dupent, contrôleur des douanes à
Batilly, qui faisait partie d'un convoi de réfugiés
français rapatriés d'Allemagne par la Suisse, est
tombé sur la voie ferrée, près de Rolle, en voulant
passer d'une voiture à l'autre, pendant la marche du
train.
Il a été tué sur le coup et son corps à, été ramené
à Genève, chez un cousin.
LES ALLEMANDS EN LORRAINE
A LONGWY ET A REHON
Ils ont peur de Jeanne-d'Arc
D'une double interview auprès de Mme Cl..., pour
Longwy, et de Mlle R..., pour Rehon, nous avons
rapporté avant-hier des renseignements qui ont
édifié nos lecteurs sur la domination allemande dans
le pays qu'elle courbe momentanément sous un joug
inique.
Notre bloc-notes a enregistré une série de faits
présentant une importance ou un intérêt plus ou
moins grands.
Citons-les au hasard :
Les territoriaux de la landsturm étaient occupés, en
ces derniers temps, à arracher les fils de cuivre
des installations électriques dans les usines, sur
le réseau des tramways et jusque dans les maisons
particulières.
Le cuivre devient une marchandise rare en Allemagne
pour la fabrication des douilles d'obus, Afin de
remédier à cette pénurie, l'autorité militaire
ordonne qu'on ramasse avec soin dorénavant toutes
les boîtes de conserves dont le métal servira pour
confectionner d'excellentes cartouches.
Ils en sont là, les Boches.
Si l'introduction des lettres et journaux motive des
mesures exceptionnelles de rigueur, c'est que la
vérité sur la guerre jetterait une trop vive lumière
sur les informations du Wolfbureau.
Les soldats du kaiser ne se font toutefois aucune
illusion sur la sincérité des proclamations
officielles, ni sur la valeur des articles célébrant
les victoires impériales, ni sur la signification
des carillons triomphants de Virton ou d'ailleurs.
- Rien que des mensonges, disent-ils, avec un
haussement d'épaules. »
Les territoriaux de la landsturm déclaraient que la
mobilisation, en Alsace-Lorraine, avait laissé dans
leurs foyers les hommes âgés de plus de 45 ans, dans
le but de leur prouver qu'on avait pour eux les
mêmes égards que la France pour les militaires de
leurs classes, ou pour tromper les populations
annexées sur la triste situation de l'armée
allemande. Moyen politique d'écraser dans l'oeuf tout
germe de révolté, de séparatisme ou d'espoir d'un
retour possible à l'ancienne patrie !
Les feux des usines de Longwy-Bas, de Gouraincourt,
de Mont-Saint-Martin, ont été « couverts » pour six
mois ; la plupart sont maintenant éteints.
En septembre, les brasiers dont les lueurs
incendient l'horizon d'une perpétuelle aurore ont
été convertis en fours crématoires. Des compagnies,
des régiments entiers ont été incinérés après les
batailles en Argonne ; aucune statistique ne
proclamera jamais les quantités de cadavres dont les
aciéries ont englouti les hécatombes, caché la
disparition.
Les trains de blessés se succédaient sans
interruption. Mme Cl... nous en a décrit la parfaite
installation, salles d'opérations, chambres
soigneusement aménagées infirmeries, wagons où se
réunissaient les médecins-majors après les
consultations Partout la lumière et la chaleur,
partout les meilleures dispositions en vue d'un long
et fatigant voyage :
- « Un jour, je vis arriver à la gare un convoi
d'environ trente voitures, indique Mme Cl... Elles
étaient disloquées, à demi-broyées ; des portes
manquaient ; les toitures étaient crevées. On
distinguait les effets désastreux d'une catastrophe.
Le train avait dû s'aventurer imprudemment dans la
zone battue par notre artillerie ; mais je crois
plutôt qu'une mauvaise manoeuvre avait provoqué un
terrible tamponnement. Les. pauvres blessés, pour
cette fois, apprécièrent mal le mérite des
formations sanitaires... »
En revanche, le respect pour les hôpitaux et les
établissements que protège la Croix-Rouge, n'arrêta
point le furieux bombardement de l'usine Margaine,
où de nombreux blessés se trouvaient en traitement.
A Rehon, une vingtaine d'obus seulement s'abattirent
sur la ville, sans causer de sérieux dégâts.
Les nouvelles des villages voisins ont appris à Mlle
R... la mort du vaillant curé de Cutry.
- La fosse creusée pour l'inhumation de cette,
victime des barbares était trop courte, dit-elle,
pour la haute taille du prêtre. Les monstres
l'enterrèrent sans cercueil, comme un chien. Ils
eurent l'affreux courage de piétiner la poitrine de
celui qu'ils venaient d'assassiner pour que son
cadavre descendît dans la fosse où il gît ainsi
replié sur lui-même.
Le réveillon fut annoncé gaiement. Les officiers
allemands se réjouissaient de célébrer à leur
manière la naissance du Christ: un Noël arrosé de
Champagne, avec des chansons, des éclats de rire,
des femmes avec un bal à la préparation duquel on
apporta des soins particuliers :
- On abattit les cloisons d'un établissement ouvert
ordinairement à leurs réunions, déclara Mlle R...,
afin qu'il y eut assez de place pour la réception
des invités. Mais, soit que les filles de Longwy
aient refusé de venir à Rehon pour ce bal dont on
leur vantait pourtant les merveilles, soit qu'un
échec de leurs troupes ait refroidi l'enthousiasme
des Boches, on renvoya les violons, on mit de côté
le champagne, on ajourna la fête et le programme de
ces agapes attend encore que des circonstances plus
heureuses en favorisent l'exécution.... »
Ah ! c'est que les Allemands n'ont pas eu tous les
jours l'occasion de rire et de s'amuser. De fâcheux
symptômes leur annonçaient une débâcle ; leur rage
impie s'efforçait de conjurer les menaces d'un
destin où ils sentaient obscurément une sorte
d'intervention de ce vieux bon Dieu décidément
coupable de lèse-Majesté envers Guillaume II :
- Ce qu'ils craignaient surtout, c'est le culte de
Jeanne-d'Arc. Une statue de la vierge lorraine fut
mutilée dans l'église de Rehon ; on lui cassa un
bras à coups de marteau. On interdit formellement
dans toutes les paroisses du pays les prières, les
invocations à la bergère de Domremy. »
Jeanne-d'Arc fait trembler le kaiser !
Mlle R... réussit à quitter Rehon ; elle atteignit
Saulnes sans être aperçue des sentinelles, puis,
gagnant les bois de la Sauvage, elle eut la chance
de rencontrer dans sa fuite Mme Cl... et les enfants
qu'elle désirait ramener en France par le
Luxembourg, l'Alsace et la Suisse.
- Malgré la sévérité des peines qui aurait
certainement suivi l'échec de mes projets, raconte
la jeune fille, je cachais dans la semelle de mes
chaussures un papier où étaient inscrits les noms et
adresses des personnes de Nancy pour qui j'acceptai
en partant diverses commissions. »
De son pénible voyage, Mlle R. se rappelle les
émotions qu'elle connut dans ses démarches pour
obtenir les sauf-conduits, les humiliations, les
menaces, les grossièretés d'une soldatesque sans
vergogne : - Nous avons obtenu les derniers
laissez-passer. Maintenant personne ne peut revenir
par le chemin que nous avons pris. Dans la gare de
Strasbourg, les sentinelles, baïonnette au canon,
empêchaient les voyageurs de se pencher par les
portières. et il faut voir sur quel ton ils
parlaient aux gens! »
Quelle sublime flamme d'énergie, jaillit des foyers
de patriotisme où se trempent comme un acier pur la
vaillance et la foi de ces femmes parties pour un
saint pèlerinage, sans regarder à la fatigue ni aux
éprouves des étapes qui les séparaient de la France.
ACHILLE LIEGEOIS.
REGAIN D'ACTIVITÉ
POSITIONS MAINTENUES
ou
TRANCHÉES CONQUISES
Paris, 12 janvier 15 heures.
De la mer à l'Oise, canonnade intermittente, assez
violente sur quelques points.
Sur l'Aisne, au nord de Soissons, des combats très
mouvementés ont été livrés autour des tranchées
conquises par nous le 8 et le 10 janvier. L'ennemi a
prononcé au cours de la journée d'hier plusieurs
retours offensifs, que nous avons repoussés, et nous
avons gagné de nouveaux éléments de tranchées.
De Soissons à Reims duels d'artillerie. Nos pièces
lourdes ont contre-battu efficacement les batteries
et les minenwerfer (lance-mines) des Allemands.
En Champagne, dans la région de Souain, tir très
précis de notre artillerie sur les positions
adverses.
Près de Perthes, le fortin situé au nord de la ferme
de Beauséjour a été le théâtre d'une lutte acharnée.
L'ennemi est parvenu à établir une tranchée à
l'intérieur de l'ouvrage, dont nous conservons le
saillant. La lutte continue.
(La ferme de Beauséjour est située sur la route qui
va de Souain à VilleurTourbe, en paissant par
Perthes-les-Hurlus, Hurlus, le Mesnil-les-Hurlus,
etc. Elle se trouve à 3 kilomètres à l'est de cette
dernière localité et à 11 kilomètres et demi à l'est
de Souain.) En Argonne et jusqu'à la Meuse rien à
signaler.
Sur les Hauts-de-Meuse deux attaques allemandes
l'une au bois de Consenvoye, l'autre au bois Le
Bouchot, ont été repoussées.
Au sud-est de Cirey-sur-Vezouze, un de nos
détachements a surpris et mis en fuite une compagnie
allemande, qui pillait le village de Saint-Sauveur.
Dans les Vosges et en Alsace journée calme ; le
mauvais temps et la tempête continuent.
L'OFFENSIVE ENNEMIE
dans le Soissonnais
Paris, 13 janvier, 0 h. 45.
Communiqué officiel du 12 janvier, 23 heures : Au
nord-est de Soissons l'ennemi a bombardé violemment,
toute la nuit, nos positions sur le plateau de
Perrières et sur l'éperon 132. II a prononcé
aujourd'hui, pour reprendre ce dernier point, une
attaque importante dont le résultat n'est pas encore
connu.
Aucun autre fait notable n'est signalé.
LA LUTTE AUTOUR DE L'ÉPERON 132
Canonnades et mauvais temps
Paris, 13 janvier, 15 h. 23.
Le mauvais temps persistant a gêné, sur presque tout
le front, les opérations.
En Belgique tempête de sable dans les dunes du bord
de la mer.
Dans la région Nieuport-Ypres notre artillerie a
tiré efficacement sur les ouvrages ennemis.
Sur l'Aisne, au nord-est de Soissons, le combat
autour de l'éperon 132 a été, toute la journée, très
dur. Les Allemands y ont engagé des forces très
importantes.
Nous nous sommes maintenus sur le haut des pentes, à
l'ouest de l'éperon. Vers l'est, nous avons dû céder
du terrain. La lutte continue.
(L'éperon qui porte la cote 132 est au-dessus du
village de Soupir. C'est une sorte de bastion boisé.
Ajoutons que cet éperon domine la route de
Coucy-le-Châtaeu et la vallée où court le chemin de
fer de Laon.)
Entre Soissons et Berry-au-Bac, le tir de notre
artillerie a déterminé, sur plusieurs points, des
explosions au milieu des batteries ennemies.
En Champagne, de Reims à l'Argonne, duels
d'artillerie très violents dans la région de Souain.
Le saillant du fortin, au nord de la ferme de
Beauséjour, est toujours entre nos mains. Nous y
avons établi une tranchée, à 60 mètres de la
tranchée allemande.
En Argonne, pluie et vent. Aucune action de
l'infanterie.
De l'Argonne à la Moselle, canonnade intermittente.
Dans, les Vosges, brouillard et chute abondante de
neige.
Paris 14 janvier, 0 h. 40.
Communiqué officiel du 13 janvier, 23 heures : Au
nord-est de Soissons, notre contre-attaque a
progressé légèrement entre Cuffies et Crouy, mais
elle n'a pas pu déboucher de Crouy.
Violemment attaquées, à l'est de cette localité, nos
troupes ont fléchi légèrement aux abords du village
de Moncel, qu'elles occupent.
Elles tiennent Sainte-Marguerite et Missy-sur-Aisne.
Aucun autre fait notable n'est signalé.
LES JOUETS DES ETATS-UNIS
AUX
Enfants de Pont-à-Mousson
Nancy, 13 janvier.
On sait que les enfants des Etats-Unis se sont
cotisés pour envoyer à leurs petits frères et soeurs
de France, d'Angleterre et de Belgique, vêtements et
jouets. Il y a quelque temps, un navire,
spécialement affrété à cet effet, apportait à
Marseille la jolie cargaison. La répartition entre
les départements fut faite à Marseille même, de
concert avec les autorités américaines et françaises
; un certain nombre de caisses furent destinées au
département de Meurthe-et-Moselle et dirigées vers
Nancy.
Au lieu de répartir ces dons entre les diverses
communes éprouvées du département, M. le préfet a
estimé qu'il se conformerait plus fidèlement à
l'intention des jeunes donateurs en les réservant
entièrement aux braves petits enfants de
Pont-à-Mousson - de Pont-à-Mousson qui, bien que
ville ouverte, a souffert déjà de soixante
bombardements et qui a subi en outre plusieurs
semaines d'occupation allemande. La population y est
restée nombreuse et vaillante ; elle compte encore
environ 1.300 enfants.
A ces dons des Etats-Unis avaient été joints 200
poupées et 150 jouets de garçon provenant de l'Arbre
de Noël organisé par Mme L. Mirman, et de nombreuses
caisses de mandarines adressées à M. Mirman pour les
petits Lorrains par de généreux donateurs français
d'Algérie.
M. le préfet s'est rendu hier à Pont-à-Mousson pour
présider la distribution ; deux cérémonies avaient
été organisées par le Conseil des notables, l'une
sur la rive droite, dans la belle salle d'honneur de
la mairie, l'autre sur la rive gauche, dans la salle
des écoles. Dans ces deux salles, les enfants les
plus grands avaient été réunis. Assistaient à cette
petite fête MM. les colonels commandants d'armes de
l'une et l'autre rives, M. le conseiller général
Bonnette, M. le maire Bertrand avec tout le Conseil
des notables, MM. les curés de Pont-à-Mousson et
diverses notabilités. M. le préfet avait à sa droite
M. Pecker, citoyen américain en résidence dans la
ville.
M. Linge, doyen du conseil, prononça une allocution
chaleureuse dans laquelle il exprima la confiance
des habitants de Pont-à-Mousson dans les destinées
de la Patrie, confiance que n'ont pu ébranler à
aucun moment les dures épreuves subies par la
coquette cité lorraine si proche de la frontière
provisoire qui, pour peu de temps encore, sépare la
France des pays annexés.
M. le préfet, rappelant les événements survenus
depuis le commencement de la campagne et les longues
souffrances si vaillamment supportées par la
population, remercia le Conseil des notables de
toute l'activité dépensée par lui au cours de cette
crise ; il expliqua aux enfants les souffrances
morales et les humiliations éprouvées pendant
quarante ans par leurs aînés, il les félicita de
l'ère meilleure d'indépendance et de fierté
nationale qui bientôt allait s'ouvrir et dans
laquelle ils seraient appelés, eux, à vivre et à
grandir ; et, serrant la main de M. Pecker, il lui
exprima la gratitude profonde des petits Lorrains
envers leurs frères et soeurs des Etats-Unis. Au nom
de la population tout entière, M. L. Mirman salua
avec émotion MM. les colonels commandants d'armes,
leur dit l'admiration et l'affectueux respect que
nous éprouvons tous à l'égard de nos vaillants
officiers et soldats, aussi bons que braves, qui,
dans les tranchées, supportent et dominent l'assaut
répété d'un puissant ennemi, et qui préparent une
victoire aujourd'hui certaine.
Accompagné de M. le Maire, de MM. les commandants
d'armes et de plusieurs notabilités, M. le Préfet
visita ensuite tous les soldats malades ou blessés
en traitement à l'hôpital civil de la rive droite et
à l'ambulance de la Croix-Rouge rive gauche.
Ajoutons que, pendant ces deux distributions, les
Allemands envoyèrent sur cette ville ouverte, sans
aucun espoir d'obtenir un résultat d'ordre militaire
et conformément à leur méthode ordinaire, un nombre
copieux d'obus : et ce fut le 61e bombardement de
Pont-à-Mousson.
ENCORE UNE VICTIME DES OBUS
Lunéville, 14 janvier 1915.
Un de nos confrères annonce qu'un domestique de Mme
veuve J... a été victime d'un accident dans les
circonstances suivantes :
Rentrant pour se coucher dans une petite pièce
attenant à l'écurie, il heurta avec son pied un obus
qui avait été apporté là et qui fit explosion
aussitôt, le blessant aux deux jambes. Il fut
aussitôt transporté à l'hôpital de Lunéville, où il
a été admis d'urgence. Son état n'est pas grave.
LE GÉNÉRAL ET LE CALICE
Pont-à-Mousson, 14 janvier.
M. Houssard, brigadier des douanes en retraite à
Pont-à-Mousson, écrit à un de nos confrères cette
anecdote qui montre bien que les généraux allemands
valent leurs soldats, comme pillards :
« Le 7 septembre, je causais devant le cimetière
avec une personne de Pont-à-Mousson, lorsqu'une
automobile venant de Nomeny et dans laquelle se
trouvait un officier général allemand, stoppa à
notre hauteur. Nous interpellant, le général nous
demanda où il pourrait bien trouver de la luciline
pour alimenter son moteur, et il m'invita à prendre
place à côté du chauffeur pour le piloter dans la
ville. Mais au diable ! à peine étais-je assis à
côté du chauffeur, que le général, l'air courroucé,
me cria : « Levez-vous et descendez ! » Tout
surpris, je descendis de l'auto. Le général commanda
au chauffeur de lever le coussin sur lequel je
m'étais appesanti. 0 stupéfaction ! j'avais écrasé
un beau calice en cristal doré, enveloppé dans un
bel écrin, qui avait été volé à Nomeny. Impossible
de décrire la colère du général. Il me traita de «
sâle tête de Français » et il talocha le chauffeur
d'importance avec accompagnement d'imprécations
véhémentes. De colère, le général, au lieu de me
faire remonter dans l'auto, ferma lui-même la
portière et donna l'ordre au chauffeur de filer sur
Champey.
Comme celaa j'étais quitte d'une désagréable corvée
! »
LE CAS DU DÉPUTÉ WEILL
Allemand malgré lui
Selon une information de la « Gazette de Cologne »,
le citoyen Georges Weill, député de Metz au
Reichstag et soldat dans l'armée française, est
déclaré déchu de sa nationalité par le ministère
d'Alsace-Lorraine, conformément à l'article 27 de la
loi sur les nationalités. Il a donc perdu son droit
d'éligibilité au Reichstag.
L' « Humanité » publie les félicitations que le
citoyen Vliegen, député d'Amsterdam et le militant
bien connu du parti socialiste hollandais, a
adressées à M. Weill.
« Amsterdam, 25 décembre.
Cher camarade, Laissez-moi vous féliciter de tout
coeur de votre attitude et souhaiter que vous pourrez
rester le « Abgeordnete » (député) de Metz, mais
dans la Chambre française l Saluez de ma part les
amis français.
W.-H. VLIEGEN, député hollandais. »
M. Vliegen est le président du comité directeur du
parti socialiste hollandais, qui l'a choisi comme un
de ses délégués à la conférence socialiste des pays
neutres, qui s'ouvrira, le 15 janvier à Copenhague.
CHASSE AUX TAUBES
Nancy, 14 janvier 1915.
Nous avons eu, hier matin, entre huit heures et
demie et neuf heures la visite de Taubes.
Les vilains oiseaux, qui volaient à une grande
hauteur, s'apprêtaient évidemment à lancer leurs
cadeaux, quand nos vigilants canonniers leur
envoyèrent un salut à leur façon.
Un des avions allemands en passant au-dessus de
Nancy a laissé tomber une bombe, faubourg Stanislas,
sur le bâtiment de la chaufferie en bordure de la
rue. Elle a fait un simple trou dans la toiture. Pas
d'accident.
Et les Taubes décampèrent, l'un d'eux en battant de
l'aile.
Mais les badauds, au lieu de s'assembler dans la
rue, ne pourraient-ils pas plutôt se mettre à l'abri ?
AVIS DE MONSIEUR LE MAIRE DE NANCY
Nancy, 14 janvier 1915.
Deux Taubes ont survolé Nancy le 13 janvier.
Notre artillerie a accompli son devoir, canonnant
dans les airs les avions qui tentaient de jeter sur
notre ville quelques bombes.
Curieusement, nos concitoyens ont suivi les
péripéties de cette lutte aérienne, saluant par des
applaudissements les petits « nuages » qui
entouraient les Taubes et indiquaient dans le ciel,
les éclatements de nos obus de 75.
C'est très bien... mais, par mesure de prudence, je
ne saurais trop recommander aux habitants de ne pas
rester ainsi les yeux en l'air, quand explosent nos
75, des éclats d'obus français pouvant tout aussi
bien les blesser qu'un éclat de bombe des avions
allemands.
Dans ces conditions, dès que vous entendrez les
coups de canon de notre artillerie, garez-vous sous
une porte cochère ou rentrez chez vous afin d'éviter
tout accident.
SIMON.
LE BON BAVAROIS ET LA PETITE FILLE FRANÇAISE
L' « Humanité » reproduit une lettre d'un
correspondant de la « Gazette de Francfort » où se
peint au naturel la sensibilité niaise de l'Allemand
entre deux actes de sauvagerie.
La scène se passe à Saint-Mihiel. L'Allemand à plume
s'attendrit ainsi :
« La circulation de la ville a pris son plus haut
développement quand les marchandises des cantiniers
arrivèrent de Metz. Une partie de ces marchandises
est fournie également à la population française,
surtout les vivres, nécessaires à la nourriture des
« petits Français ». Ce sont bien ces petits, somme
toute, qui, avec leurs jeux innocents, font oublier
toutes les misères de la guerre. On voit ces
enfants, dont les pères sont sous le feu des
shrapnells allemands et dont les grands-parents et
les mères se lamentent sur la malheureuse France,
meurtrie à coups de canon, jouer à cache-cache dans
les coins et recoins des rues, entre les soldats
allemands. La petite Jacqueline, là-bas, apprend à
courir, aidée par son frère André. La sentinelle
bavaroise barbue arrête le pas et lui lance un
sourire, derrière sa baïonnette plantée au canon. »
Le « Temps » fait suivre ce récit des fort justes
réflexions suivantes :
« L'Allemand à fusil sourit et l'Allemand à plume
s'émeut. Mais que ce petit croquis sympathique ne
nous fasse pas oublier le rapport d'hier... Car
aussi bien, à un autre moment, la sentinelle
bavaroise barbue lancerait avec le même sourire sa
baïonnette dans le corps de la petite Jacqueline et
de son frère André. « Que voulez-vous ! C'est la
guerre ! » Et puis c'est aussi dans la nature - dans
leur nature...
Il était aussi très bien disposé à sa manière et
dans une certaine limite l'officier qui disait à une
jeune mère se présentant pour le recevoir, avec sa
fillette qu'elle tenait à la main.
- Madame, cachez cette enfant, qu'on ne la voie
pas,, qu'on ne l'entende pas, que nous puissions
ignorer qu'il y a un enfant chez vous. C'est plus
prudent...
C'était louable, mais il ne répondait de rien. Et
vraiment aucun Allemand ne devrait plus parler ou
d'enfants ou d'honneur.
Par pitié pour ceux qui sont morts jusque dans les
bras de leurs mères n'oublions pas les petits
cadavres qui ont jonché les rues et les routes de la
Belgique et de la France envahies ! Le rapport des
atrocités allemandes doit être le livre de chevet de
tout Français. Que les enfants y apprennent à lire
et que les pères se souviennent. »
LA CRUE DE L'AISNE
a entravé notre riposte
Paris, 15 janvier, 0 h. 48.
Voici le communiqué officiel du 14 janvier, 23
heures : La nuit dernière, nos troupes ont réussi,
dans un coup de main, à bouleverser les tranchées
récemment construites par les Allemands au
nord-ouest de Fouquescourt et au nord de Roye.
Les attaques ennemies dans la région nord de
Soissons sont enrayées.
Comme il a été dit dans le communiqué de la matinée,
la crue de l'Aisne, en détruisant plusieurs de nos
ponts ou passerelles, avait rendu précaires les
communications avec nos troupes qui opéraient sur
les premières pentes de la rive droite, et nous
empêchait de leur envoyer des renforts.
Telle fut la cause essentielle du repli de ces
troupes qui luttaient dans des conditions difficiles
et furent obligées d'abandonner quelques canons, par
suite de la rupture d'une partie d'un pont. Nous
avons rendu tous ces canons inutilisables.
Des prisonniers ont été faits par les Allemands,
notamment des blessés qui, dans le mouvement de
repli, n'ont pas pu être tous évacués.
De notre côté, nous avons fait un nombre important
de prisonniers, non blessés, appartenant à des
bataillons de sept régiments différents.
Il s'agit, en résumé, d'un succès partiel de nos
adversaires, qui ne saurait pas avoir d'influence
sur l'ensemble des opérations.
En effet, en raison de l'obstacle de l'Aisne et des
dispositions que nous avons prises, l'ennemi est
dans l'impossibilité d'exploiter sur la rivière un
succès qui a un caractère purement local.
Sur le reste du front, rien à signaler.
A NOTRE TOUR
Notre infanterie les bouscule. - Notre canon les
fait taire ou démolit leurs batteries.
Paris, 15 janvier, 15 h. 15.
De la mer à la Lys, combats d'artillerie,
quelquefois assez vifs. Nous avons progressé près de
Lombaërtzide et près de Bocelaere.
Au nord d'Arras, une brillante attaque des zouaves a
enlevé à la baïonnette les positions ennemies
voisines de la route Arras-Lille.
Dans la même région à la Targette et à
Saint-Laurent, ainsi qu'au nord d'Andéchy, dans la
région de: Roye, notre artillerie a pris l'avantage
sur celle de l'ennemi, dont les batteries ont été
réduites au silence ; deux pièces ennemies ont été
démolies ; nous avons fait exploser un dépôt de
munitions et détruit des ouvrages en construction.
A deux kilomètres au nord-est de Soissons, les
Allemands ont attaqué Saint-Paul. Ils y sont entrés,
mais nous l'avons repris aussitôt.
Dans la région de Craonne et de Reims, combats
d'artillerie violents au cours desquels les
batteries ennemies ont été fréquemment réduites au
silence Dans la région de Perthes, dans l'Argonne et
sur les Hauts-de-Meuse, rien d'important à signaler.
Nous avons détruit les passerelles établies par les
Allemands sur la Meuse, à Saint-Mihiel, et repoussé,
dans le bois d'Ailly, une attaque dirigée contre les
tranchées prises par nous le 8 janvier.
Dans les Vosges, au sud de Senones, nous avons, dans
un vif combat d'infanterie, bousculé les Allemands,
coupé leurs réseaux de fils de fer et comblé leurs
tranchées.
Sur le reste du front, rien à signaler.
GUERRE DANS LES AIRS
Tirs contre Avions
Quand les tauben ont survolé Nancy, des mesures de
police invitèrent les badauds à suivre le tir de
l'artillerie contre ces visiteurs boches en
assistant au spectacle derrière leurs fenêtres On ne
saurait trop encourager les agents, qui dispersaient
jadis avec énergie d'inoffensifs rassemblements, à
prodiguer les mêmes conseils si, par hasard, les
aviateurs d'outre-Rhin veulent encore goûter les
charmes de notre réception.
Il faut, en effet, dans ce genre de feu d'artifice,
craindre la chute des baguettes - sous la forme de
culots pesant trois à quatre kilos.
Un de nos amis mobilisés adresse au journal une
lettre sur ce sujet ; nous pensons qu'il est utile
et prudent de la reproduire :
« Monsieur le Rédacteur, J'ai eu le plaisir de lire
un article qui rassure les Nancéiens sur l'effet que
peuvent produire les obus tirés sur les avions qui
survolent notre ville.
Je suis un fidèle lecteur de votre journal et aussi
un vieil artilleur. Je me permets de vous faire
remarquer qu'il y a un certain danger à regarder
canonner un avion quand il se trouve à peu près
au-dessus de l'endroit qu'il occupe.
Généralement, les canons employés à ce tir sont nos
75, soit pièce habituelle de campagne, soit
auto-canon.
Le projectile qui détermine le petit nuage blanc est
un obus à balles qui, au moment où il éclate,
projette en avant, quelques centaines de balles,
l'ogive et la fusée.
Le corps de l'obus (ou culot) est sensiblement
arrêté dans sa course par l'explosion ; il fait «
canon » et tombe aux environs de l'endroit au-dessus
duquel il a éclaté.
L'ogive avec la fusée pèse plus d'un kilo, le corps
de l'obus de trois à quatre kilos.
Inutile de vous dire qu'en tombant d'une hauteur de
quinze cents à deux mille mètres, chacun de ces
morceaux blesserait mortellement la personne sur
laquelle ils tomberaient, l'un ou l'autre.
Je crois qu'il serait urgent de dire à nos
compatriotes qu'il est dangereux de mettre le nez en
l'air sous un taube ou un avion boche quelconque :
il ne peut leur tomber dessus que des choses
désagréables.
D'autre part, il ne faut pas exagérer le danger qui
existe ; je suis resté sur le front pendant plus de
quatre mois et j'ai vu des centaines de tirs sur
avions, soit par le canon français sur les tauben,
soit par le canon allemand sur nos avions et je n'ai
pas entendu signaler un seul accident causé par la
chute de ces projectiles éclatant en l'air, à des
gens, civils ou militaires, dans la région où nous
nous trouvions.
J'ajoute que nous étions en rase campagne, mais que,
dans une agglomération comme Nancy, les chances
d'accidents sont plus grandes. - A. N.
Les observations et les sages recommandations de
notre correspondant méritent d'autant mieux d'être
aujourd'hui prises en considération que l'on a
ramassé, sur divers points de Nancy, les éclats de
shrapnells et les culots de plusieurs obus tirés sur
les deux tauben de mercredi matin.
Les avions boches n'ont fait de nombreuses victimes
à Dunkerque, l'autre jour, qu'en raison de
l'affluence des curieux massés dans les rues.
Que les badauds restent donc chez eux !
Les Projecteurs
Le mieux serait-il vraiment pour certains esprits
l'ennemi du bien ?
On voulait des canons, des projecteurs, que sais-je
? afin que la défense de Nancy inspirât partout un
sentiment profond de sécurité.
Après la magnifique résistance des ouvrages du
Grand-Couronné aucune transe, aucune émotion ne
devrait percer dans les conversations, où revient
encore cette question :
« Croyez-vous qu'ils viendront ? »
Un de nos confrères parisiens proposa jadis avec
beaucoup d'esprit un impôt sur les phrases inutiles
ayant trait à la durée de la guerre, aux rigueurs de
la saison, aux résultats de la dernière escarmouche
en Pologne, etc...
Eh non ! ils ne viendront pas à Nancy.
Le jour et l'occasion ont passé. Plus d'alarmes
vaines. Alors que la capitale lorraine s'offrait
comme une proie relativement facile à leurs premiers
appétits de conquête, les Boches ont dû se retirer
sur la Seille. Ils y sont toujours. Quand ils
quitteront leurs tranchées ce sera pour ramener en
arrière des troupes harcelées, talonnées, poussées
la baïonnette aux reins.
Toutefois les auteurs de, phrases inutiles répètent
qu'abondance de précautions finit par nuire, qu'en
multipliant, les projecteurs on évite Charybde pour
échouer dans Scylla, que le mieux devient, en somme,
l'ennemi du bien !
Ecoutez-les :
- Les projecteurs, en croisant leurs feux, servent à
repérer de loin Nancy. Les projecteurs n'éclairent
point au delà de l'écran des nuages. Les projecteurs
n'empêchent point un zeppelin de se cacher dans la
brume et de naviguer en s'orientant d'après les
postes lumineux qui guideront leur marche. Et
patati, et patata. »
La conclusion, vous la devinez : on préconiserait
volontiers un retour à l'ancien état de choses, à
cette confiance dont Nancy se plaignit si amèrement.
Or, un officier d'artillerie, que nous avons
consulté à ce sujet, nous répond en ces termes qui
dissiperont toutes les inquiétudes :
« - Au début de la guerre, nous employions rarement
les projecteurs. Au contraire, les Allemands,
notamment en Woëvre, en faisaient un très fréquent
usage. Nous nous sommes très vite rendu compte que,
s'ils aident à distinguer le but et à régler le tir
presque sans tâtonnements, l'adversaire, aveuglé,
peut braquer ses pièces dans la direction des
projecteurs, mais sans que les chefs de batteries
puissent évaluer la distance : les coups sont
invariablement trop longs ou trop courts.
Quant à craindre que le croisement des faisceaux
lumineux sur Nancy désigne de loin la ville aux
zeppelins, favorise l'orientation de leur marche,
indique plus sûrement les quartiers où ils jetteront
leurs bombes, ah ! pour le coup, je suis à bout
d'arguments sérieux. »
En résumé, il faut s'abstenir pendant le jour de
fréquenter les endroits où il n'y a rien de bon à
recevoir sur la tête et il faut se convaincre
pendant la nuit que la vigilance des projecteurs
préserve notre ville d'une fâcheuse entrée en scène
des zeppelins sur le théâtre de la guerre aérienne.
Le traitement est pratique, efficace, économique,
commode à suivre - même à domicile !
ACHILLE LIÉGEOIS.
LES TAUBEN
Lunéville, 16 janvier 1915.
Mercredi, comme Nancy, Lunéville a reçu la visite
des Tauben. Trois ont survolé la ville à une très
grande hauteur.
Deux sont venus vers 8 heures du matin, et le
troisième à 2 h. 30 de l'après-midi.
Le dernier venait du nord-ouest. Seul, il lança deux
bombes qui tombèrent au Champ-de-Mars sans causer ni
dégâts ni victimes. L'oiseau noir s'éleva aussitôt
et disparut dans le ciel, poursuivi par nos obus.
RECONNAISSANCE D'AVIONS
Bâle, 16 janvier.
Du « Journal de Genève » :
N'ayant guère de faits d'armes à raconter pour
vendredi, les dépêches allemandes s'attachent aux
reconnaissances d'aéroplanes.
Des avions allemands ont survolé Belfort sans tenter
le bombardement, et, grâce à la hauteur où ils se
sont tenus, ils ont échappé à la fusillade dirigée
contre eux.
D'autre part, huit avions français ont exploré le
pays. L'escadrille s'est séparée près d'Altkirch.
Les uns sont partis du côté d'Istein sans franchir
la ligne du Rhin ; les autres sont allés vers le
nord jusqu'à Colmar et ont survolé le
Wesserlingerthal.
Vers 4 heures, deux avions planaient sur Mulhouse.
Au bruit de la fusillade, croyant à l'approche des
Français, toute la population se rassembla sur les
places, en dépit des ordres du commandant de place
et du chef de police.
La violente canonnade de vendredi après-midi, très
distincte à Bâle, est attribuée à une attaque
française contre les positions allemandes dans les
environs de Seppois, où des fermes ont été
incendiées.
Les fugitifs de Cernay, ne pouvant tous être
hospitalisés à Mulhouse, sont dirigés sur la
Basse-Alsace et sur le grand-duché de Bade,
notamment à Fribourg et Neustadt, dans la
Forêt-Noire. A Colmar, on a mis à la disposition des
réfugiés l'école de Sainte-Catherine.
Comme exemple de misère et de dévouement, on cite le
cas d'un jeune garçon orphelin de père et de mère
qui a emporté à pied, dans son sac de montagne, de
Cernay à Mulhouse, sa petite soeur âgé de trois mois.
EN LORRAINS
Nancy, 16 janvier.
- Mais enfin, éternel mécontent, que réclamez-vous
encore ?
Mon ami, sans s'impatienter, répliqua :
- Peu de chose. Et beaucoup. Nous sommes majeurs.
Nous demandons à être traités autrement que des
enfants en bas âge.
Nous sommes les êtres les plus disciplinés qui
soient sur la terre. Il est bien inutile qu'on nous
commande la discipline quand nous l'acceptons
librement et de plein coeur.
Nous avons le patriotisme le plus ardent et le plus
éclairé qu'on puisse imaginer. Tout le monde est
d'accord là-dessus. Cela résulte assez naturellement
de notre situation ethnique, d'un caractère formé
par des siècles de fortes traditions, par les
nécessités matérielles et morales de notre vie, de
la menace constante de l'invasion aujourd'hui
arrêtée comme elle le fut si souvent dans le passé,
de notre position de combat aux confins de la race
latine et de la race germaine. Alors nous n'avons
pas de leçons de patriotisme à recevoir. Nous n'en
recevons de personne. Personne n'a pouvoir de nous
en donner.
Notre race lorraine est robuste. Elle est en parfait
équilibre. Elle a subi les pires tourments, les
épreuves les plus cruelles. Elle accomplit son
destin à travers les pillages, qui ne l'ont pas
ruinée, les meurtres, qui ne l'ont pas épuisée, les
incendies, qui ne l'ont pas calcinée.
Elle renaît de ses cendres. Pratique, elle a mis au
bilan de son existence l'obligation de reconstruire
de temps en temps sa maison rasée par l'ennemi. Elle
ne s'étonne pas plus du désastre qu'elle ne
s'émerveille de la renaissance.
Pourquoi nous plaint-on avec des paroles abondantes
au lieu de nous apporter une aide efficace ? Le
verbiage n'est pas de l'éloquence, pi l'agitation de
l'action.
Les villageois sont restés dans leurs villages
jusqu'à la dernière minute, quelques-uns, hélas !
pour y subir un sort lamentable. Leur conseiller de
retourner dans leurs communes où leurs maisons sont
brûlées, les bêtes dispersées ou tuées, les récoltes
ravagées, les meubles détruits, et où d'ailleurs
l'autorité militaire refuse avec raison de les
accepter, c'est les traiter en enfants qui ont
déserté l'école. Etait-ce le moment ? Ils savent
bien, que diable, ce qu'ils ont à faire.
A Nancy qui, dans les plus tragiques circonstances,
a conservé le sourire, on a recommandé la bonne
humeur. Les Nancéiens ont regardé partir un certain
nombre d'administrations vers la seconde décade
d'août. Ils n'ignoraient pas que les Allemands
étaient tout proches, et que d'une bataille dont
personne ne pouvait escompter avec certitude un
résultat heureux dépendait le sort de leur ville.
Ils ont laissé partir les administrations, ont
admiré les belles automobiles sous pression, ont
renvoyé quelques femmes et quelques jeunes filles, -
mesure très sage, - et ont attendu.
Nos soldats ont retenu l'ennemi sur le Grand
Couronné, et nous ont prouvé que nous avions bien
fait. Est-ce que nous n'avons pas là commencé à
prouver à ceux qui ne nous connaissent pas que nous
sommes à l'épreuve du fer et du feu ?
Un Taube déposait une bombe sur la place de la
Cathédrale, et tuait deux personnes. Pourquoi nous
le cacher, comme si nous n'étions pas capables de
résister à de pareilles émotions ?
Une nuit d'orage nous recevons une soixantaine
d'obus. A peine le sinistre vrombissement des
explosifs s'était-il apaisé que la foule était
dehors pour porter secours aux sinistrés si cela
était nécessaire. Le lendemain on supprimait à la
première heure les journaux lorrains qui parlaient
de cela.
Est-ce que, ayant assez de courage pour supporter
gaillardement un bombardement, nous n'en avons plus
assez pour lire dans les gazettes ce que nous avons
vu, entendu et subi sans défaillance ? Nous sommes
donc de petits nerveux qui résistent aux terreurs de
l'obscurité, et s'épouvantent des jeux de la lumière
!
Depuis nous avons eu des Taubes, un Zeppelin, des
bombes, des fléchettes. Ils ont commis des dégâts,
tué des innocents. On aurait dû le crier très haut
puisque ces crimes soulèvent contre l'atroce ennemi
la conscience du monde civilisé et nous attache
davantage la sympathie universelle.
On a eu peur que nous ayons peur. On ne veut pas
comprendre que la façon la plus propre à maintenir
notre tranquille courage est encore de dire la
vérité.
Et comme de pauvres enfants dolents on nous a bercés
dans un balancement de phrases pittoresques qui
devait nous procurer un repos exempt de cauchemars.
Je trouve qu'on exagère. J'estime que nous valons
mieux que cela. Je suis agacé qu'on me fasse la
leçon une fois la semaine au moins, par le silence
quelquefois, et plus souvent, trop souvent par la
parole.
- Bref on entoure votre coeur des soins les plus
délicats, et vous en êtes froissé ?
- Vous l'avez dit. Trop de soins. Trop de soins.
Nous sommes accoutumés à moins de sollicitude.
- Qu'est-ce que vous désirez en somme ?
- Qu'on nous connaisse. Nos yeux ont l'habitude de
découvrir la vérité, et de la fixer sans chavirer.
Je demande qu'on nous traite en hommes, en Lorrains.
RENÉ MERCIER
LEUR ÉCHEC DANS LA
Région de Flirey
UN AUTRE AU NORD DE CLEMERY
Paris, 16 janvier, 15 h. 20.
En Belgique, combats d'artillerie dans la région de
Nieuport et d'Ypres.
De la Lys à la Somme, à Notre-Damede Lorette, près
de Carency, l'ennemi a réoccupé une partie des
tranchées qu'il avait perdues le 14 janvier.
A Blangy, près d'Arras, nos progrès ont continué.
L'ennemi a prononcé une attaque énergique, précédée
d'un violent bombardement sur nos positions à
l'ouest de La Boisselle. Nous avons repoussé cette
attaque.
Sur tout le front, de la Somme à la Meuse, aucune
action d'infanterie.
Dans les secteurs Soissons-Reims, notre artillerie a
obtenus des résultats appréciables sur plusieurs
points (dispersion d'un régiment en voie de
rassemblement ; explosion dans une batterie ennemie
; démolition d'un ouvrage).
En Argonne, action assez intense de l'artillerie
ennemie sur Fontaine-Madame.
De l'Argonne aux Vosges, échec complet d'une attaque
assez vive dirigée contre nos tranchées, à Flirey,
et évacuation par les Allemands, en raison du tir de
notre artillerie, d'une crête au nord de Clémery (à
l'est de Pont-à-Mousson).
Dans le secteur des Vosges, combat d'artillerie sur
tout le front, avec quelques fusillades, notamment à
la Tète-de-Faux.
Aucun changement en Haute-Alsace.
PETIT A PETIT
Paris, 17 janvier, 0 h. 32.
Voici le communiqué officiel du 16 janvier, 23
heures : Rien d'important n'a été signalé si ce
n'est que nos troupes se sont emparées d'une
nouvelle tranchée aux abords de Perthes et d'un bois
à deux ou trois mètres en avant de nos lignes, au
nord de Beauséjour.
L'ODYSSÉE D'UN MAGISTRAT NANCÉIEN
Interview de M. Limon
Nancy, 17 janvier.
Vacances interrompues
La guerre a jeté le trouble dans les Vacances de M.
Limon, magistrat honoraire, dont une note brève
annonçait, hier, en trois lignes le retour à Nancy.
Tous les ans, après la revue des troupes de notre
garnison, M. Limon bouclait ses malles et partait
pour Alberstroff. Un château qui se souvient des
Suédois, un vaste domaine, des bois magnifiques, des
étangs où abonde le gibier aquatique, tous les
charmes d'une heureuse villégiature l'attendaient.
On retrouvait bientôt la société de l'autre saison ;
de fidèles amis revenaient ; entre autres M. M...,
professeur cens un lycée parisien ; M. l'abbé Cl...,
de l'école Fénelon, des fonctionnaires, des voisins,
des amis personnels.
Mais cette année, quelques défections se
produisirent. Une vague inquiétude se dégageait des
événements. La tension franco-allemande s'aggravait.
Plusieurs invités de M. Limon restèrent chez eux.
- Mes amis n'avaient que trop raison, déclare M.
Limon, que nous avons interviewé pour obtenir des
renseignements sur son séjour au milieu des Boches.
Moi, je lisais les journaux. Un certain optimisme
régnait encore. On espérait une solution qui
garantirait la paix pour quelque temps. La
diplomatie arrangerait les choses... Chaque soir, à
la table de famille, j'agitais ces questions avec ma
femme et ma fille. Hélas ! je reconnais que mes amis
eurent raison de bouder les pays annexés ; leurs
pressentiments ne les trompaient pas... Ah ! si
j'avais su... »
Bientôt il fut trop tard pour prendre une décision.
On surveillait étroitement les étrangers. Tout
visage nouveau devenait suspect. Les routes
s'encombraient de police et les gares de
gendarmerie. Quoiqu'il fut dans son canton un des
plus gros propriétaires, M. Limon sentait autour de
lui une sourde hostilité ; peu à peu l'opinion
s'ameutait autour de lui.
A quel parti s'arrêter ? Partir ou rester ? Pour
sortir de ses perplexités, le magistrat adressa au
Kreisdirektor une dépêche exposant sa situation. La
réponse vint. Elle conseillait de rester et
annonçait que l'administration statuerait
ultérieurement sur le cas qu'on lui soumettait.
Nous sommes civilisés
Huit jours plus tard, le Kreisdirektor quittait sa
bonne ville de Château-Salins pour faire dans la
région une tournée de visites officielles et
constater de près sans doute les premiers résultats
de la mobilisation.
A Alberstroff, il descendit chez le maire où il
consentit à recevoir M. Limon, soucieux de regagner
la frontière sans trop d'embarras.
Le haut fonctionnaire montra une arrogance
inflexible
- Restez ici, Monsieur... Que craignez-vous ?
N'êtes-vous pas aussi bien que dans votre pays ? Je
tiens personnellement à vous prouver que notre
peuple vaut mieux que le vôtre. Oui, Paris a chassé
les Allemands, les a expulsés à coups de pied au
derrière. Eh bien, loin d'user de représailles, je
vous prouverai, Monsieur, que nous ne sommes pas des
gens de sac et de corde, ni des barbares, ni des
sauvages, comme on le prétend en France... Nous
sommes civilisés, Monsieur. Restez ici... Je vous
enverrai les autorisations nécessaires. »
M. Limon était condamné aux vacances forcées.
L'espace lui manquait. Des restrictions limitèrent
bientôt sa liberté. Comme l'Aiglon à Schoenbrunn, il
n'était pas un prisonnier, mais...
Mais on lui défendit de pousser ses promenades
jusqu'aux localités voisines de Léning, de Réning,
d'Insming et de Nesling ; mais on fixa à un
kilomètre environ ses sorties sur les cinq routes
qui s'éloignent d'Alberstroff ; mais on lui défendit
de regarder le mouvement des troupes.
Bref, l'honorable magistrat n'était pas prisonnier,
mais il eut tout juste le droit de rêver entre les
quatre murs de son jardin et d'y conduire dans les
allées un brave petit poney que les règlements
boches rendaient presque aussi malheureux que la
chèvre de M. Seguin.
D'une santé chancelante, très éprouvé par les crises
d'une affection cardiaque exigeant les plus grands
ménagements, M. Limon devait s'épargner les émotions
trop vives, les spectacles trop impressionnants, les
mouvements d humeur. On avouera que le contact avec
les fonctionnaires du kaiser n'était guère fait pour
hâter sa convalescence.
Un charitable avis du garde champêtre aurait détruit
leurs suprêmes illusions, si, par hasard, M. Limon
et sa famille avaient pu supposer qu'ils jouiraient
d'un traitement de faveur.
- Ne bougez pas, leur disait-il. Malgré la signature
du Kreisdirektor, malgré les sceaux officiels sur
les plus beaux papiers du monde, on vous arrêtera un
matin sous un prétexte quelconque. et vous serez
tous fusillés. »
La bataille de Morhange
Autour d'eux le réseau des surveillances so
resserrait étroitement. Le château était gardé à
vue. Quand une visite se présentait, elle réservait
quelque humiliation nouvelle. M. le percepteur
raillait avec urne légèreté d'esprit adorable en
fournissant par exemple mille détails sur le
remarquable fonctionnement des services
d'espionnage.
- Nous connaissions ici la marche de vos troupes sur
Morhange... Nous étions prévenus exactement de leur
entrée dans Château-Salins, deux heures avant leur
arrivée dans cette ville... »
M. Limon assista aux tristes événements du 20 août ;
il vit notre armée établir ses avant-postes dans la
région ; il écouta pendant toute la nuit l'incessant
roulement des trains qui amenaient en masses
compactes les renforts de Metz ; il suivit les
premières escarmouches vers les hauteurs de Marimont
:
- Un officier français passe auprès de nous, dit-il,
tandis que nous observions sur la lisière des bois
les effets de la fusillade et des charges : «
Attention, mesdames et messieurs, cria-t-il
gaiement. Le bal va commencer !... Comme si ses
paroles en donnaient le signal, une effroyable volée
d'obus s'abattit dans notre direction et l'on n'eut
que le temps de se réfugier précipitamment dans les
caves...
Hélas ! le bal dura peu.
M. Limon pensait que nous occuperions solidement
Montdidier. Notre artillerie eût exercé une action
efficace sur les gares de Lening, au nord, de
Nébing, au sud, de Neufvillage et surtout de
Benestroff, à l'ouest, gardant les positions d'où, à
son avis, les Allemands ne nous auraient délogés
qu'au prix de pertes énormes
- Les régiments venus de Metz, dit il, donnaient à
l'ennemi un avantage écrasant. Nous n'avions qu'à
battre en retraite, qu'à nous replier devant eux
jusqu'à la frontière... »
Parfois des convois de blessés, de prisonniers
passaient, épuisés de fatigue.
Un médecin-major de l'hôpital de Dieuze eut la
cruauté, malgré un soleil brûlant, malgré la
poussière qui leur desséchait la gorge, malgré leur
souffrances, de refuser à nos malades une goutte
d'eau. Il ricanait, il se réjouissait de voir «
crever les sales Français » ; il montrait dans la
haine une telle fureur, une telle exaspération qu'il
effrayait M. Limon :
- J'ai eu l'impression qu'un tel bandit était
capable des pires atrocités et qu'il a dû semer son
chemin de victimes sans nombre. »
Parfois l'administration molestait ceux qui
gardaient pieusement au fond du coeur une affection
fidèle, un culte vivace et profond pour l'ancienne
patrie ; on les obligeait à quitter le pays.
Pourtant un digne Lorrain, âgé de 92 ans, trouva
grâce aux yeux des tortionnaires.
- Je n'ai plus que peu de jours à vivre. Ma place
est marquée dans notre petit cimetière...
Accordez-moi la faveur de m'y reposer... »
Les Allemands s'inclinèrent devant le voeu du
vénérable vieillard.
En route pour Baden-Baden
Dès lors, les vacances d'Alberstroff perdirent
l'espoir d'une joie, l'illusion d'un retour
triomphant des Français Mme Limon connut
l'inquiétude, l'appréhension d'une guerre qui
durerait longtemps, un an, deux ans peut-être,
privant le pays de denrées, de pétrole, de nouille,
de provisions ; elle conseilla le départ.
- « Tâchons de gagner Baden-Baden... Le régime et le
climat du pays, dit-elle à son mari, te rendront des
forces. Tu y vivras dans le calme. Il faut quitter
la Lorraine... »
Ce que fut un tel voyage, le distingué magistrat en
fait le récit avec un frisson. Insultes, menaces
l'accueillirent à chaque arrêt. On se ruait sur sa
famille et sur lui ; on proférait d'ignobles
outrages ; on crachait au visage des femmes sans
défense ; une effervescence, un déchaînement des
plus basses passions marqua leur passage dans les
gares de Sarrebourg et de Strasbourg.
Enfin, on atteignit Baden-Baden. Mêmes rumeurs. Même
hostilité. Les agents feignaient de protéger les
touristes : - Parlez-nous en allemand... On ne parle
qu'allemand ici... Montrez vos papiers. Ouvrez vos
malles, afin que nous voyions si vous me cachez pas
de revolver dans votre linge. »
Les formalités de la douane, les investigations de
la police s'accompagnaient de bourrades, de
nouvelles injures contre les « cochons de Franzozes
».
Le séjour dans cette station hospitalière fut une
forme imprévue de la captivité pendant un mois,
jusqu'au jour où un de nos aviateurs ayant lancé des
bombes, près de là, sur un hangar de zeppelins, à
Poss, un ordre fut aussitôt donné d'évacuer les
baigneurs français
- Nous eûmes le temps de faire connaissance. raconte
M. Limon, avec un négociant de Sarrebourg, un
patriote qui n'a jamais caché sa sympathie pour la
France. Son nom a été souvent prononcé. Il s'appelle
Gérard. Un matin, on le convoqua au commissariat et,
sans lui fournir aucune explication, M. Gérard fut
enfermé dans la geôle, traîné ensuite dans les
prisons de Bitche et de Strasbourg, envoyé à Baden,
par mesure de clémence... »
Surveillés de près, M. Gérard et les annexés
d'Alsace-Lorraine vécurent des jours tristes. Quand
l'ordre d'évacuation leur fut signifié, on leur
laissa le choix entre fois villes où ils pourraient
se réfugier soit en Saxe, soit en Hanovre.
La délivrance
En raison de a gravité de son. état, M. Limon obtint
la faveur de se rapprocher de la frontière suisse.
Il exprima le désir de continuer sa cure à Triber,
en pleine Forêt-Noire, quoique l'humidité et les
rigueurs du climat fussent plutôt pernicieuses - et
c'est là qu'il attendit impatiemment sa délivrance.
Elle vint, cette délivrance.
Malgré les certificats médicaux ; malgré de
pressantes démarches auprès de nos
représentants, le malade ne dut son « exeat » qu'à
la rivalité qui dressait l'une contre l'autre la
police de Triber et la sous-préfecture de Mannheim.
Ce que l'intervention du consulat d'Espagne n'avait
pu obtenir, la sous-préfecture de Mannheim l'accorda
pour le malin plaisir de jouer un tour à la police
locale :
- Cette chicane politique nous, sauva. conclut M.
Limon... Munis de nos passeports bien en règle, nous
franchissions la frontière suisse à Schaffouse ;
puis nous rentrions à Nancy, par Bâle et Delle, non
sans avoir fait connaissance, dès notre arrivée sur
le territoire français, avec la
maussade humeur de certains fonctionnaires. On nous
traita en suspects ; un pénible interrogatoire,
l'exhibition, de nos pièces d'identité, les
références les plus convaincantes parvinrent
difficilement à dissiper les doutes de ces
fonctionnaires sans délicatesse pour les exilés si
heureux de fouler le sol natal... »
Mais ces misères sont oubliées et la sereine
philosophie du magistrat envisage seulement a cette
heure un glorieux retour vers le bois, les étangs
d'Alberstroff, où il fait si bon chasser avec des
amis, pendant les vacances.
ACHILLE LIEGEOIS.
UNE BONNE JOURNÉE
Toutes leurs attaques repoussées notamment au bois
Le Prêtre
Paris, 17 janvier, 15 h. 30.
Nous avons continué à progresser dans la région de
Nieuport et de Lombaertzide, sur une profondeur de
deux cents mètres environ.
Notre artillerie a obligé les Allemands à évacuer
leurs tranchées de la Grande-Dune. Elle a détruit le
redan qui se trouve au nord de celle-ci, et bombardé
les ouvrages ennemis sur cette partie du front et au
sud de Saint-Georges.
Dans la région d'Ypres comme dans celle de La Bassée
et de Lens, combats d'artillerie.
A Blangy, près d'Arras, action assez vive. Les
Allemands s'étaient emparés de la fonderie de
Blangy, nous la leur avons reprise aussitôt par une
énergique contre-attaque et nous nous y sommes
maintenus.
Notre artillerie a continué à démolir les tranchées
ennemies près de La Boisselle.
Dans le secteur de Soissons, rien à signaler.
Entre Vailly-sur-Aisne et Craonne, l'ennemi a
prononcé, sans succès, une attaque près de la
sucrerie de Troyon. Une autre attaque contre nos
tranchées de Beaulne a été repoussée.
Dans la région de Perthes et de Beauséjour, notre
progression a continué, malgré une violente tempête.
Dans l'Argonne, sur les Hauts-de-Meuse et en Woëvre,
rien de nouveau.
Au bois Le Prêtre, près de Pont-à-Mousson, une
attaque allemande a été repoussée.
Dans les Vosges, nous avons gagné du terrain à
l'ouest d'Orbey. La neige est tombée en abondance
toute la journée.
Paris, 18 janvier, 0 h. 45.
Communiqué du 17 janvier, 23 heures : Rien à
signaler. De l'Argonne aux Vosges, chute de neige.
LA GUERRE ET L'INDUSTRIE DE LA RÉGION DE BRIEY
De l' « Information » :
L'armée ennemie occupe encore aujourd'hui tout le
bassin minier de Briey et la région de Villerupt,
qu'elle envahit, on s'en souvient, aux premières
journées du mois d'août. On s'est demandé ce qu'il
était advenu des exploitations et usines de cette
région, dans lesquelles de considérables capitaux
français ont été engagés, et qui, pour un bon
nombre, sont la propriété de grandes firmes
métallurgiques. Nous sommes heureux de pouvoir
offrir à nos lecteurs quelques informations à leur
sujet.
Tout d'abord, il convient d'observer que notre plan
militaire ne comportait pas la défense du bassin de
Briey. Aucun combat n'a donc été livré à l'est de la
ligne de Conflans-Jarny à Longuyon (section de la
ligne de Nancy à Charleville), et au sud de la ligne
de Longuyon à Audun--leRoman.
Nos exploitations n'ont donc pas eu à souffrir de
bombardements effectués par l'une ou l'autre armée.
D'autre part, on sait que les Allemands avaient dans
la région de Briey d'importants intérêts, et qu'ils
tiraient de nos gisements des ressources en fer
assez élevées. On n'ignore même pas qu'ils
regardaient le bassin avec une certaine convoitise.
Leur premier soin, en arrivant dans le pays, a donc
été non de détruire, mais d'organiser. L'esprit qui
a présidé à cette « organisation » se manifeste dans
le choix de l'homme chargé de poursuivre l'activité
industrielle du bassin. La direction générale des
mines et usines a été confiée à M. le professeur von
Kolhmann, directeur de l'école des mines de
Thionville, et l'auteur de plusieurs travaux sur les
minettes lorraines. M. Kolhmann est un savant
minéralogiste et un administrateur réputé en
Alsace-Lorraine. On peut admettre qu'il aura pris
toutes mesures pour maintenir les mines en bon état.
D'ailleurs, nous savons que les hauts-fourneaux de
Micheville sont intacts ; les puissantes usines de
Joeuf (de Wendel) et d'Homécourt (Aciéries de la
Marine) ont été placées sous séquestre. On les
entretient mais aucun travail du fer n'y est
pratiqué.
L'usine d'Aubrives-Vililerupt, à Villerupt, n'a pas
été davantage endommagée. Les mines de fer sont
également en bonne position. A Saint-Pierremont et à
La Mourière, l'exploitation, quoique réduite, a été
maintenue. Le courant électrique est fourni à
Saint-Pierremont par les mines de charbon de la
Houve. La mine de La Mourière, d'un autre côté, fait
l'épuisement à Pienne (Nord et Est), à Joudreville
(Mokta-el-Hadid) et à Amermont. Nous n'avons pas de
données précises sur les autres mines, mais nous
devons conserver toute tranquillité à leur sujet. On
sait que les aciéries de Longwy ont été épargnées.
Les mines de Tucquegnieux doivent être également
intactes. Les mines de Vailleroy n'ont pas dû être
endommagées.
SORT DE PARUX
[NDLR : les dates sont fausses ; c'est le 10 août
1914 et non le 3 que les Bavarois saccagent Parux]
Une réfugiée adresse au « Bulletin de
Meurthe-et-Moselle » la relation ci-dessous du
pillage et l'incendie de Parux, village de 200
habitants, situé à 5 kilomètres de Cirey-sur-Vezouze
(arrondissement de Lunéville) :
« Dès le mercredi 29 juillet, dans l'après-midi, des
patrouilles de uhlans avaient franchi le territoire
français et leur présence était signalée dans les
bois des communes de Parux et de Petitmont.
« Le lundi 3 août, à 8 heures du matin, 200 à 300
fantassins bavarois pénètrent dans Parux, font
évacuer les maisons et rassembler les habitants dans
l'église, après avoir fusillé, sans jugement et sous
le faux prétexte que des coups de feu avaient été
tirés sur eux : MM. Victor Petit fils (40 ans), son
beau-frère, Jean Zan Zotera, sujet italien (40 ans),
J-B. Petit fils (58 ans) et Joseph Martin (35 ans).
« A 9 heures, après avoir méthodiquement déménagé
les meubles et autres objets de quelque valeur, les
soldats procèdent à l'aide de pastilles incendiaires
lancées sur les toits à la destruction des maisons,
sans en évacuer le bétail, puis font sortir les
prisonniers de l'église. Les femmes et les enfants
sont conduits sous escorte dans un pré, d'où ils ont
la douleur de contempler le spectacle des flammes
dévorant l'église, leurs maisons et leurs récoltes,
sans autre nourriture que quelques morceaux de pain
et de biscuits, que, pris de pitié, les soldats leur
donnent en cachette de leurs chefs ; de l'artillerie
passe dans le village et se dirige sur Badonviller.
« Vers 6 heures du soir, le R. P. Camille Perrin,
eudiste, desservant la commune, pendant Les
vacances, en remplacement du curé s'informe du sort
réservé à ses paroissiens ; un officier lui répond
qu'il « ne sera pas fait de mal aux femmes », et
offre de les diriger à leur choix sur Cirey ou
Petitmont. A l'unanimité, les malheureuses demandent
à aller à Cirey.
« Les femmes et les enfants, l'abbé Perrin, en tête,
entourés de soldats en armes, sont conduits à Cirey
où, arrivés à huit heures, ils sont parqués dans les
différentes salles de l'hôtel de ville ; de la
paille et quelques matelas sont fournis par les
habitants qui distribuent du lait aux enfants ; à 11
heures, les Allemands apportent de la soupe (viande
concentrée et légumes) et engagent les prisonniers à
en manger après l'avoir goûtée au préalable.
« Le lendemain 4 août, les malheureux se voient
octroyer la permission de sortir jusqu'à 4 heures du
soir ; les habitants de Cirey leur procurent de la
nourriture. Le 5, la surveillance des Allemands se
relâchant, plusieurs prisonniers ne réintègrent pas
l'hôtel de ville ; les uns restent à Cirey chez des
parents, les autres regagnent Parux et ont la
douleur atroce de constater que l'incendie a dévoré
en totalité, avec l'église dont les cloches sont
fondues, 45 maisons sur 55.
« Un certain nombre ne sachant où aller ne quittent
pas Cirey et les habitants pourvoient à leur
entretien.
« Si les femmes et les enfants n'ont subi aucun
mauvais traitement, on le doit dire, les hommes
furent moins favorisés ; après avoir été menés par
quatre, les mains liées, dans un pré, ils y
séjournèrent, sans aucune nourriture, toute la
journée du 3 août et la nuit suivante. A la suite
des démarches de l'abbé Perrin, dont la dignité et
la fermeté furent au-dessus de tout éloge, le 4,
dans la matinée, ils furent conduits sous escorte à
Cirey où ils purent circuler librement. Pour eux
aussi, la charité des habitants de Cirey, suivant
l'exemple du maire, le comte de Guichen, adoucit
quelque peu leur infortune.
« Le maire de Parux, Léon Laquemaire, fait
prisonnier le lundi matin, fut emmené par les
Allemands et retenu pendant trois jours ; l'adjoint,
Alexandre Maire, blessé à la tête par un cheval
bavarois, ne reçut aucun soin. »
Ajoutons que l'abbé Perrin fut molesté par les
Allemands dans des circonstances et des conditions
inconnues de notre correspondante ; son décès a été
signalé par l' « Echo de Paris », dans son numéro du
7 décembre (Rubrique : « Morts au champ d'honneur
»), dans les termes suivants :
« Le R. P. Perrin eudiste, mort dans la région de
Cirey des suites des mauvais traitements que lui
infligèrent les Allemands pendant l'occupation, le
pillage et l'incendie du village de Parux. »
A noter enfin que les quelques maisons de Parux qui
avaient échappé à l'incendie du 3 août furent plus
tard dévastées, pillées et incendiées par les
Vandales ; le village n'existe plus.
DE LA BELGIQUE A L'ALSACE
Tempête en Belgique et neige en Vosges. Nous leur
enlevons des ouvrages au bois Le Prêtre et ils
bombardent Thann.
Paris, 18 janvier, 15 h. 10.
De la mer à l'Oise, tempête violente, surtout en
Belgique. Combats d'artillerie sur certains points.
Près d'Autrèche (nord-est de Vic-sur-Aisne), deux
attaques allemandes ont été repoussées.
Dans les secteurs de Soissons et de Reims aucun
changement.
Dans la région de Perthes, tir très efficace de
notre artillerie sur les positions ennemies.
En Argonne, les attaques allemandes sur la cote 263
(ouest de Boureuilles) sont restées sans résultat.
Nous nous sommes emparés de plusieurs ouvrages
allemands au nord-ouest de Pont-à-Mousson, dans la
seule partie du bois Le-Prêtre qui soit encore aux
mains de l'ennemi. Nous avons ensuite repoussé une
contre-attaque et maintenu tous nos gains.
Dans les Vosges, abondante chute de neige.
L'ennemi a bombardé Thann, sans résultat sérieux.
CHEZ LES RÉFUGIÉS DU PAYS DE BRIEY
Nancy, 18 janvier 1915.
Une importante réunion des réfugiés du pays de Briey
a eu lieu dimanche, à quinze heures, dans la salle
principale de la Brasserie Saint-Jean.
Environ deux cents personnes ont répondu à la
convocation qui leur était adressée.
Heureux de se retrouver momentanément dans une
atmosphère où s'épanouit une fraternelle solidarité,
le besoin d'associer leurs espoirs, d'échanger le
récit des épreuves et des misères qui ont frappé
leurs loyers désolés - tous ces braves gens ont dans
les yeux la même expression de tristesse.
Tout ce qu'ils ont vu, tout ce qu'ils ont appris par
de rares lettres, tous les renseignements que leur
apporta parfois le hasard des circonstances,
nouvelle fausse ou information vraie, alimentent les
conversations.
L'un annonce que nos troupes se sont rapprochées de
Conflans, au point d'en bombarder la gare ; l'autre
a reçu les confidences du curé de M., resté au pays
malgré les dangers de l'invasion ; celui-ci raconte
la mort de commerçants réservistes ayant péri dans
les premiers combats ; celui-là précise le pillage
des caves de l'hôtel du Balcon, en face de la gare
d'Homécourt, d'autres énumèrent les vexations, les
atrocités, les attentats contre les personnes ou les
propriétés.
Certaines contradictions entre les nouvelles
d'origine différente motivent un long débat. On
s'accorde à réclamer un traitement égal pour tous
les citoyens et leurs familles ayant les mêmes
droits aux allocations et aux secours de l'Etat ; on
commente généralement certaines décisions
administratives qui doivent s'inspirer d'un
sentiment nécessaire d'équité et de justice.
M. Gervais, auteur de la convocation par voie de la
presse, prend la parole. Il expose le but de la
séance. Il montre que l'association des efforts,
l'union des voeux prêteront une autorité plus grande
à l'oeuvre qu'il s'agit d'accomplir et qu'il résume
ainsi :
« - Rendre service à tous les réfugiés en même temps
qu'aux habitants de Meurthe-et-Moselle restés dans
la région envahie ; se communiquer des nouvelles ;
apprendre à se mieux connaître ; adopter les
résolutions ayant pour objet une amélioration de la
crise actuelle. »
Lecture est donnée ensuite d'une lettre parue dans
la presse et qui trace un émouvant tableau des
cambriolages commis par les Boches dans la région
industrielle de Briey et de Joeuf.
« - Nous avons décidé de tenter une démarche, ajoute
M Gervais, qui appellera sur nous la sollicitude du
Comité des départements envahis que M. Léon
Bourgeois préside avec tant de distinction et de
patriotique fermeté. L'intervention des puissances
neutres, notamment de la République des Etats-Unis,
pourrait s'exercer utilement.
Est-il exact que les évacuations aient commencé à
Olley, à Jarny, à Friauville, dans plusieurs autres
localités des environs de Conflans ? Faut-il croire
que les fonctionnaires locaux et diverses
notabilités aient fourni aux Allemands des otages
qu'ils ont enfermés dans une citadelle lointaine ?
Quelqu'un annonce que six cents personnes ont été
conduites en Suisse et qu'elles ont réussi à
rejoindre la France. Tel est le cas de nombreux
habitants d'Olley, réfugiés en ce moment à La
Roche-sur-Fo ron, dans la Haute-Savoie, où ils
reçoivent une généreuse hospitalité.
« - Ces évacuations, en apparence humanitaires,
demande M. Gervais, ne sont-elles pas destinées
plutôt à favoriser les criminelles opérations des
bandits d'outre-Rhin, dont les hordes s'accompagnent
de convois de charrettes et de camions pour
transporter chez eux le produit de leurs rapines
?... »
*
Un ouvrier italien a fourni sur Joeuf des
renseignements qui sembleraient prouver que le calme
y règne, que la domination allemande n'a point
commis de regrettables excès ; mais, par contre,
d'autres correspondances, non moins dignes de foi,
représentent comme un danger les relations que l'on
serait tenté naturellement d'entretenir avec les
communes écrasées sous le joug des Boches.
Mieux vaut, en conséquence, s'abstenir ; mieux vaut
priver l'ennemi de lettres sur lesquelles il met
l'embargo et qui sont susceptibles de lui fournir
par de fâcheuses indiscrétions, un moyen de se
renseigner exactement sur la population et sur les
intérêts du pays qu'il occupe.
Les rapports entre Sancy-Haut et SancyBas sont
presque impossibles ; des fusillades ont exécuté
lâchement des vieillards inoffensifs. Un régime de
terreur sévit.
Malheur à quiconque détourne une volaille ou laisse
imprudemment disparaître un objet mentionnés avec
soin sur les inventaires des basses-cours, des
logements et des caves où les réquisitions de
l'ennemi ont jeté leur dévolu !
Après un examen attentif de cette situation,
diverses propositions étudient le remède qu'il est
indispensable d'y apporter. En premier lieu, il
faut, par l'énergique et prompte intervention des
puissances neutres, obtenir de l'Allemagne le
respect de la vie humaine et de la propriété.
M. Crevoisier s'élève éloquemment contre les
barbares qui, au mépris des conventions qu'ils ont
signées, foulent aux pieds comme un chiffon de
papier les lois de la guerre et le droit des gens.
Une commission est désignée. Elle se compose de MM.
Crevoisier, Poirot, Lavallée et Brichon ; elle
rédigera et transmettra à l'ambassade des Etats-Unis
une supplique, une pétition revêtue de la signature
de ses quatre membres, pour réclamer d'urgence, au
nom des pays envahis, l'évacuation sans retard de la
population, sur la demande qu'en feront les
intéressés ; elle reçoit enfin le mandat le plus
large pour traiter toutes les questions se
rattachant plus ou moins étroitement à l'oeuvre dont
la commission vient de prendre la patriotique
initiative.
« - La campagne est loin de toucher à sa fin, dit le
président. Il faut ravitailler nos foyers alimentés
de pain noir par les Allemands ; il faut empêcher
que l'on emmène comme otages en captivité de
paisibles et honnêtes citoyens. C'est une belle et
grande tâche. Il n'y a pas à perdre un seul instant.
Créons dès maintenant un comité provisoire, où
seront défendus les intérêts de nos familles et,
s'il y a lieu, pour hâter et simplifier le travail,
autant de sections ou de bureaux qu'il y aura parmi
nous de cantons représentés. »
Avant de lever la séance, un vote unanime de
remerciements et de félicitations approuve sans
réserve M. Gervais, qui renouvellera ses
convocations toutes les fois que le besoin s'en fera
sentir.
Une discussion est enfin ouverte au sujet des
allocations destinées aux réfugiés dont la misère
appelle d'une manière pressante la sollicitude
officielle.
On signale, à cette occasion, que les évacués de
Meurthe-et-Moselle ne touchent, aucune indemnité ;
mais, en revanche, une somme de 1 franc ou de 1 fr.
25 est versée en d'autres départements. On cite
notamment la Meuse, la Côte-d'Or, la Marne, etc.
La commission désignée au cours de la séance fera
une démarche collective en ce sens à la préfecture.
On a dit (mais c'est une information aussitôt
démentie) que certains cantons avaient touché dans
notre région.
La séance est levée à seize heures.
(à
suivre) |